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Au programme des chroniques
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Des extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes signalées par une info-bulle.


© Jazz Hot 2018


Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueHoward Johnson and Gravity
Testimony

Testimony, Working Hard for the Joneses, Fly With the Wind, Natural Woman, High Priest, Little Black Lucille, Evolution, Way Back Home
Howard Johnson (tubas en si, fa, bar), Velvet Brown (lead tuba en fa), Dave Bargeron (tuba en mi), Earl McIntyre (tuba en mi), Joseph Daley (tuba en si), Bob Stewart (tuba en do) Carlton Holmes (p), Melissa Slocum (b), Buddy Williams (dm) + Nedra Johnson (voc), Joe Exley (tuba en do), CJ Wright, Butch Watson, Mem Nahadr (choir)

Enregistré en 2016, New York

Durée: 54'

Tuscarrora Records 17-001 (www.hojotuba.com)

A 76 ans, Howard Johnson s’offre le luxe d’une éternelle jeunesse musicale et réunit une nouvelle fois sa bande de tubistes. Leur harmonie date de longues années et la joie et la force de se retrouver sonnent de grands airs. Il est bon de rappeler le parcours d’un des tubistes mais aussi compositeur majeur qui a donné ses lettres de noblesse à un instrument? trop souvent cantonné à marquer le tempo. Appelé à New York en 1963 par Eric Dolphy, le tout jeune Howard (22 ans) débarque dans la capitale du jazz et se fait remarquer par des compositeurs qui ne cesseront de faire appel à ses services. Ses lettres de noblesses acquises auprès de Charlie Mingus, il se met au service de Gil Evans, de Carla Bley et de tant d’autres patrons de grands orchestres. A noter qu’il ne délaissera jamais le blues et, dès 1971, il est auprès de Taj Mahal. Une carrière exemplaire qui le fait apparaître dans des dizaines d’albums et qui le pousse à monter son propre ensemble. Sans cesse précurseur, il compose et arrange des dizaines de titres et aime puiser dans un répertoire populaire qu’il adapte à ses formations.
Dans ce nouvel opus, les tubas, accordés sur différents tons, sont les rois et chacun a droit à sa partie de bravoure. Il est difficile de comparer entre eux ces mousquetaires du souffle car tous, par leur nom, leurs qualités, leurs expériences, ont contribué à l’histoire de leur instrument. Si Bob Stewart est le seul à avoir vraiment mené aussi une carrière de leader, tous sont des sérieux candidats de l’olympe des cuivres embouchés, des brass gros volumes comme on les appelle. Howard Johnson signe deux des compositions «Testimony» et «Little Black Lucille», rend hommage, à McCoy Tyner, «Fly With The Wind» et «High Priest», à Carole King «Natural Woman» sans oublier le pianiste Bon Neloms avec «Evolution». L’album s’écoute sans temps mort, avec un immense plaisir, du début à la fin, et paraît bien court. L’atmosphère générale baigne dans le blues et l’ensemble revisite les étapes qui marquent sa carrière. L’album se conclue sur «Way Back Home» comme un hymne au retour à la maison de la soul, à l’égal d’un «Sweet Home Chicago». Un final où se succèdent Bob Stewart, Dave Bergeron et Howard Johnson; on remonte le Mississippi jusqu’à Chicago dans une tradition revisitée. Un précieux album qui nous prouve une nouvelle fois que des musiciens, même d’un âge avancé, peuvent nous faire vibre
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Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Steve Slagle
Alto Manhattan

Family, Alto Manhattan, I Know That You Know, Body & Soul, Inception, Guess I’ll Hang My Tears Out to Dry, A.M, Holiday, Viva la Famalia
Steve Slagle (as, fl), Laurence Fields (p), Gerald Cannon (b), Bill Stewart (dm) + Joe Lovano (ts, mezzo ss), Roman Diaz (cga)

Enregistré le 6 aôut 2016, Paramus (New Jersey)

Durée: 52'

Panorama Records 006 (www.steveslagle.com)

Malgré une longue carrière de plus de quarante ans, Steve Slagle reste hélas un des altistes contemporains les plus mal connus et dont néglige de plus les qualités de flûtiste. Arrivé à New York en 1976, il est sollicité aux pupitres de grands orchestres,de Machito à Carla Bley, en passant par Woody Herman, Lionel Hampton ou Cab Calloway… et se singularise auprès de Steve Kuhn, Ray Barreto. Au milieu des années quatre-vingt, il se produit avec ses propres groupes –dans lesquels figurent Mike Stern–, il apparaît régulièrement aux côtés de Joe Lovano, et codirige à partir de 2000 le Stryker/Slagle Band. Il enregistre et tourne avec le chanteur brésilien Milton Nascimento et le Charlie Mingus Big Band (quatre albums) où il assure un temps le rôle de chef d’orchestre et d’arrangeur; il travaille même avec Elvis Costello et Dr John. Il revêt souvent son habit de formateur et intervient notamment dans les «clinics» du Thelonious Monk Institute.
Pour son dix-septième album, Steve Slagle a réuni ses fidèles accompagnateurs et invité son ami Joe Lovano sur trois titres. Alto Manhattan est le nom latino de l’Upper Manhattan, cette partie de New York que Steve Slagle appelle sa maison. Une évocation de son quartier à travers des compositions originales, certaines inspirées par la musique cubaine, et des reprises «Body & Soul» ou «Guess I’ll Hang My TearsOut to Dry», thème moins connu de J. Styne et S. Cahn, ainsi qu’un hommage à McCoy Tyner avec «Inception». La totalité de l’album est d’excellente tenue. On soulignera son style envolé qui aime accélérer les tempos. Le groupe est très soudé autour de son patron et les invités, Roman Diaz aux congas et Joe Lovano aux saxophones ténor et mezzo-soprano contribuent de tout leur savoir-faire à la réussite de cet album. Tous les titres recèlent leur propre intérêt et on peut apprécier en particulier les deux derniers où Steve Slagle prouve ses talents de flûtiste. Un excellent artisan qui mérite que l’on s’attarde sur son travail d’orfèvre
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Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Madness Tenor
Be Jazz for Jazz

Awo, Plus Plus, Nobody’s Perfect, Sadness, Fox in the Wood, Hey Open Up, A Bacchus, On the Phone
Lionel Martin (ts, as, ss), George Garzone (ts), Mario Stanchev (p), Benoît Keller (b), Rampo Lopez (dm)

Enregistré en mars 2015, St Genis L’Argentière (Rhône)

Durée: 47'

Cristal Records V001/5 (Sony Music)

Madness Tenor, nom en référence à John Coltrane et Sonny Rollins, dont on retrouve la filiation dans les deux premiers titres époustouflants, «Awo», pour Coltrane, et «Plus Plus», pour Rollins. Les deux sax, parfaitement soutenus par un trio dévastateur, célèbrent cette rencontre entre l’Europe et l’Amérique, réunion rendu possible par le Jazz Forum Festival de Stara Zagora en Bulgarie, d’où est originaire Mario Stanchev, le Festival à Vaulx Jazz et le Théâtre des Pénitents de Montbrison. Si on connaît bien dans l’hexagone le travail, les groupes et les expériences multiples de Lionel Martin, Mario Stanchev, Benoit Keller et Ramon Lopez, il est bon de rappeler le rôle de George Garzone, pédagogue émérite et jazzman absolu. Professeur au Berklee College of Music et à la New Scool for Jazz and Contemporary Music, entre autres, il a enseigné à nombre de pointures, tels Joshua Redman, Branford Marsalis,Mark Turner et a joué avec Joe Lovano, John Patitucci, Gary Peacock, Dave Holland ou Dave Liebman.
Son curriculum vitae n’a en rien intimidé la fine équipe qui l’accueille et balaie tout préconcept qui pouvant opposer les musiciens des deux côtés de l’Atlantique. Cet album est un hymne à la liberté, l’entente et la complicité des souffleurs est épaulé à tout moment par la vitalité du groupe qui nous emporte dans un vent violent. Toutes les compositions sont originales mais nous apparaissent déjà comme des titres inscrits dans la mouvance de la musique libertaire, celle puisée aux sources du free jazz. L’album est fort du début à la fin et on ne peut que basculer dans cet univers de bataille d’où jaillit un son de tonnerre. Pas de temps mort, on écoute tous les titres dans une fusion jubilatoire et l’on regrette de n’avoir pu assister en live à un concert face à cette tempête. Nul besoin d’isoler un titre ou une félicitation à un des musiciens, il faut prendre le groupe en bloc et accepter le choc.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Jean-François Bonnel
With Thanks to Benny Carter

When Lights Are Low, Titmouse, Mood Indigo, Lotus Blossom, Blues in My Heart, If Dreams Come True, Key Largo, Cocktails for Two, ‘Deed I Do, Love You’re Not the One for Me
Jean-François Bonnel (as, cl), Chris Dawson (p), François Laudet (dm), Charmin Michelle (voc)

Enregistré en novembre 2015

Durée: 52’

Arbors Records 19452 (http://arborsrecords.com)

Dans un style impeccable, Jean-François Bonnel exprime sa passion pour le répertoire et le musicien qu’était Benny Carter. Jeune étudiant et sans un sou en poche, il monta à Paris pour écouter ce maître et il put assister à un concert en club. Tout juste assis en face de l’orchestre, émerveillé, il n’osa aller saluer le saxophoniste mais resta à jamais marqué par ce souvenir. Ce moment magique le guidera dans sa carrière pour exprimer au mieux l’authenticité du jazz qu’il entend défendre. Jean-François Bonnel n’est plus un débutant. A presque 60 ans, il présente un parcours des plus riches. De ses débuts avec le Hot Antic Jazz Band (qui se produit aux Etats-Unis avec en invités Benny Waters, ts, et Jabbo Smith, tp), à la découverte de Cécile McLorin Salvant, qui se forme dans la classe de jazz qu’il dirige au conservatoire d’Aix-en-Provence, Jean-François, pédagogue et multi-instrumentiste (as, cl, tp, g) mène discrètement une carrière complète.
Pour cet enregistrement, spécial à son cœur, il a invité deux amis d’Outre-Atlantique, Chris Dawson (p) et Charmin Michelle (voc), et le fidèle et excellent François Laudet qui a été son compagnon lors des tournées avec Benny Carter (Saxomania). Les musiciens ont décidé de se priver d’un contrebassiste, laissant ainsi une plus grande place à la rythmique. Le répertoire a été vite choisi: en l’occurrence, les titres préférés de Benny Carter et, en particulier, ceux déjà interprétés par la chanteuse rencontrée au sein du Tuxedo Big Band. Le titre qui sert d’introduction, «When Lights Are Low», est la composition la plus connue de Benny Carter, qu’il écrivit à l’époque où il vivait à Londres; on peut en compter plus d’une centaine de versions enregistrées et celle-ci ne démérite en rien. Charmin Michelle promène avec une justesse extrême sa belle voix sur les versions de «When Lights Are Low», «Mood Indigo», «Lotus Blossom», «Blues in My Heart», «Key Largo», «Love You’re Not the One for Me», apportant son feeling et sa joie qui dynamisent ce beau programme. Les trois autres musiciens, présents sur la quasi-totalité des titres, gambadent allégrement, illustrant de leur talent sobre et élégant un disque bien plus qu’agréable. Il suffit d’écouter «Deed I Do» pour se rendre compte de l’entente qui stimule cette séance en studio. Un bel hommage qui permet de découvrir des musiciens dont le rôle demeure essentiel dans l’échange des générations et la transmission d’une véritable tradition. On ne peut que saluer cette heureuse initiative du label américain Arbors Records qui aux côtés de Bucky Pizzarelli, Al Grey, Bob Dorough, publie ici l’enregistrement un artiste français. Un seul regret, l’intéressant petit livret, signé d’Ed Berger, co-auteur de Benny Carter. A Life in American Music, est disponible seulement en anglais.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Paul Pioli Trio
Lignes

Rituel’s Blues, Ne Coupez Pas, En Sortant de l’école, The Jim’s Song, A la bonne heure, Manoir de mes Rêves, One for Ben, Motif, Chuchotements, Valse pour Auguste
Paul Pioli (g), Pierre Fenichel (b), Fred Pasqua (dm)

Enregistré en décembre 2016, Marseille (Bouches-du-Rhônes)

Durée: 52'

Autoproduit 01-2017/AP (www.paulpioli.com)

Bonne surprise venant du sud de la France,le nouvel opus du guitariste marseillais Paul Pioli, Lignes, qui a précédé de peu l’album de l’aixois Jean-François Bonnel, les deux étant de sérieux compères depuis des lustres. Guitariste sachant rester discret, Paul Pioli n’en présente pas moins une carrière de près de quarante ans qui l’a vu s’associer au guitariste Jean-Paul Florens en duo (son premier LP Caramel), au Trio Rituel ou encore à la regrettée flûtiste Dominique Bouzon. Grand admirateur de Wes Montgomery, dont il emprunte le toucher, jouant sur les cordes sans médiator, il a su au fil du temps s’en délivrer en affirmant un jeu plus personnel. Sa grande collection d’albums historiques a nourri sa curiosité, en même temps qu’il s’ouvrait aux guitaristes new-yorkais entendus dans les clubs de la Grosse Pomme ou sur la scène du Cri du Port (le rendez-vous des amateurs phocéens) avec, entre autres, Kurt Rosenwinkel, John Abercrombie,Joe Beck, Ben Monder, Gilad Hekselman… Bon pédagogue, il sait transmettre sa technique et son savoir, et ses cours accueillent de nombreux jeunes (et moins jeunes) musiciens qui veulent parfaire leur éducation jazzique. Entre concerts et cours, le temps passe vite et les rencontres multiples ont forgé un musicien très sollicité, qui tantôt en leader ou en invité, va de scène en scène, le plus souvent sudistes. On peut rappeler les superbes rencontres avec les vétérans américains Tony Pagano, Ben Aronov ou George Brown, ou celles avec la jeune garde en devenir : Thomas Bramerie, Bernard Jean, sans oublier Cécile McLorin Salvant qu’il a accompagnée à ses débuts.
Sur cet album concept, il est épaulé par son groupe régulier qui avec la solidité d’une Cadillac, tient la route tant dans l’accompagnement que dans les moments de soliste. Le répertoire choisi alterne entre anciennes compositions totalement revisitées et de belles découvertes; souvent nostalgiques, elles évoquent d’anciens disparus: «The Jim’s Song», «One for Ben», mais aussi des grands moments de rencontres «En sortant de l’école» (hommage à Prévert?), «Valse avec Auguste». A l’exception de l’éternel «Manoir de mes rêves», de Django Reinhardt, la totalité des titres est signée et arrangée par le leader. Porté par le cours d’un fleuve tranquille, la musique nous guide en toute sérénité dans les méandres de l’univers de Paul Pioli, dont la douceur apparente cache un formidable travail de précision
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Ellen Bertet
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Diederik Wissels
Pasarela

Timid Statues, Molenbeek, Inspirit, Wayfare, Releae, Within, Far and Wide, Beyond the Frame, Pasarela, Dreamcatcher, Hideout, Carpe Noctem
Diederik Wissels (p, synth, loops), Nicolas Kummert (ts), Thibault Dille (acc, synth, loops) +Victor Foulon (b), Emily Allison (voc)
Enregistré en octobre 2016, Bruxelles (Belgique)
Durée: 56' 47''
Igloo Records 283 (Socadisc)

On ne présente plus le talentueux pianiste Diederik Wissels mais, au fil d’une carrière riche en louanges, on redécouvre le compositeur-arrangeur, son âme, sa poésie, ses aquarelles. Il a récemment donné deux concerts triomphants et très différents par l’approche; enjoué, bebop et terriblement swing en quartet, avec son complice de toujours, le chanteur David Linx; puis, son projet Pasarela qui fait l’objet de cet album. L’identité du quinqua hollando-bruxellois s’expose par une musique non étiquetée –si ce n’est par lui-même. Bien sûr, il y a un background qui a démarré avec Michel Herr et s’est affiné –il y a bien longtemps– au Berklee College. Sa musique, après avoir incorporé les canons classiques européens et scandinaves, de Chopin à Edvard Grieg va bien au-delà des écoles sous-Jarrett. Aujourd’hui, Diederik Wissels est sa musique: intimiste, impressionniste, introvertie aussi. Pour cette dentelle, nul n’est besoin d’un batteur –fusse même aux balais; les synthés, les loops et la mastérisation fine de Dan Lacksman créent l’atmosphère diaphane qui colle à l’écriture. Utiles et judicieux aussi pour porter l’œuvre: le souffle retenu du ténor de Nicolas Kummert et la touche world de l’accordéoniste; Thibault Dille. A la basse, sur quatre thèmes, Victor Foulon apporte un soutien un peu plus enlevé; Emily Allison, peu présente, jette quelques paillettes angéliques. Nul besoin d’analyser chaque composition tant l’unité de la création est évidente de but en blanc. Soulignons seulement la photographie d’un «Molenbeek» à cent lieues de l’image misérabiliste qu’en donnent les médias. C’est là qu’il habite et c’est là qu’il est «habité». Puisque vous aimez le jazz, vous aimez sans doute aussi la Musique, la grande, celle qui vous retourne le cœur et vous transporte dans ses climats éthérés ou romantiques. Alors, oui, cet album est «indispensable»!

Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Claudio Fasoli
Haiku Time

Fit, Dim, Far, Wet, Low, Bag, She, Try, Bow, Day, Fog
Claudio Fasoli (ss, ts), Michael Gassman (tp, flh), Michelangelo Decorato (p), Andrea Lamacchia (b), Marco Zanoli (dm)

Enregistré entre janvier et mai 2017, Cavalicco (Italie)

Durée: 56' 12''

Abeat Records JZ 178 (www.abeatrecords.com)

Après s’être inspiré de l’âme des villes, Brooklyn, Londres, Venise, Claudio Fasoli se laisse emporter par le temps du haïku. C’est un chant de l’intérieur qui explose littéralement dans ce nouveau quintet, avec quand même quelques-uns de ses compagnons de route. Claudio Fasoli renouvelle le classique quintet bop/hard bop, par l’écriture, son voicing si particulier («Dim») dans les ensembles qui est sa marque profonde, et un art du contrepoint («Bag») qui n’appartient qu’à lui, ainsi que l’utilisation du répons, comme dans «Low» entre basse, batterie, piano ténor. Avec toujours ce goût de la belle mélodie, de la beauté des sons, et cette expressivité lyrique contenue qui lui donne toute sa force, aussi bien au soprano qu’au ténor. Son pianiste habituel fait merveille, retenue, art de la litote, jeu aéré qui donne de la musique au silence, écouter «Day», où se goûte toute la sensibilité du pianiste, ou encore ce duo ««Fog» avec le ténor, auteur de magnifiques envolées, et un pianiste qui baigne dans la beauté. Michael Gassman possède un vrai son de trompette, chaud et cuivré, une grande volubilité pour un phrasé personnel comme en fait foi sa prestation sur ««Far», avec aussi de beaux graves. Le batteur est d’une discrétion exemplaire, tout en étant très présent, il colore mais pulse également, parfaitement en osmose avec le contrebassiste, adepte du gros son perlé, mais capable de traits rapides et légers. Chaque morceau possède sa propre identité, son atmosphère, mais fait partie du tout, conçu comme une œuvre globale de part l’écriture de Claudio Fasoli. Celui-ci dès l’ouverture du disque, nous offre un majestueux solo de soprano, peut-être le plus beau parmi ceux qu’il a enregistrés. Claudio Fasoli est un musicien, discret, généreux et chaleureux, et certainement l’un des plus créatifs tout en n’oubliant pas les bases du jazz. Un phare de la scène italienne.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Gonzalo Tejada Special Trio
5 Urte Muestra BBK Jazz Bilbao. Chet Baker Tribute

Way to Go Out, September Song, My Heart Belongs to Daddy, My Funny Valentine, Star Eyes, Love for Sale, But not for Me
Gonzalo Tejada, (b), Joaquín Chacón (eg), Chris Kase (tp)
Enregistré le 8 octobre 2011, Bilbao (Espagne)
Durée: 57'
Moskito Rekords 012 (www.jazz-on.org)

Donner en concert sept pièces enregistrées par Chet Baker, tel est le projet du contrebassiste Basque Gonzalo Tejada. Comme pour toute la série «Muestra BBK», il s’agit d’un live. Reprenant le schéma du trio de Chet dans les années cinquante (David Wheat, g, et Russ Savakus, b), le disque parcourt des titres enregistrés par le trompettiste à diverses périodes. L’intérêt est d’avoir donné une unité à tous ces thèmes, les reliant par un fil conducteur, le style de Cris Kase mais aussi la remarquable prestation de Chacón qui apporte une touche très moderne. Dans tous les cas, les deux musiciens bénéficient d’un appui de premier de Gonzalo Tejada. «Way to Go Out» possède un formidable swing impulsé par Kase. «September Song»débute avec l’archet de Tejada et la guitare égrène ses notes derrière la trompette. Magnifique. L’oreille doit s’attacher à écouter la contrebasse sur «My Heart Belongs to Daddy» car un effort est à faire tant les deux autres instruments sont très attirants! Toujours l’archet pour attaquer «My Funny Valentine» et propulser la trompette (applaudissements fournis). La guitare se fait discrète puis termine par un beau solo, ce que propose aussi le contrebassiste. Kase brille encore sur «Star Eyes», tandis que «Love for Sale» est introduit (longuement comme plusieurs autres thèmes) par l’archet. Toutes ces introductions permettent d’apprécier pleinement les qualités de Tejada. Au fil des morceaux on s’aperçoit que Joaquín Chacón est un guitariste sous-estimé. Sur ce thème son solo déchaîne le public! Le concert s’achève sur «But not for me». Les Gershwin n’auraient pu qu’apprécier ces sept minutes de jazz qu’offre le trio, très en osmose et déployant un swing entrainant. Un disque indispensable pour les amateurs de la scène jazz espagnole, au demeurant quasiment introuvable dans les bacs des disquaires.

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Pablo Martín Quintet
5 Urte Muestra BBK Jazz Bilbao

Intro, El Caminero, El 13 de la Suerte, Alter Ego, Colina, El Republicanón, Fantasía Erótica
Pablo Martín (b), Perico Sambeat (as), Toni Belenguer (tb), Abe Rábade (p), Bruno Pedroso (dm)
Enregistré le 15 octobre 2011, Bilbao (Espagne)
Durée: 1h 11’
Moskito Rekords 015 (www.jazz-on.org)


Basque formé en partie à Vienne mais ancré dans sa terre natale, Pablo Martín est un contrebassiste d’une génération différente de celle de Gonzalo Tejada. C’est un musicien plein d’idées adorant le live, collaborant avec des chorégraphes, des danseuses de danse contemporaine ou de flamenco. Il maîtrise parfaitement la musique dite classique et s’amuse avec Bach. Il a rassemblé pour cet enregistrement, dans la salle BBK Bilbao, les deux Valenciens Perico Sambeat et Toni Belenguer (tb), le Galicien Abe Rábade, formé à la méthode Kódaly dès ses 4 ans, et dont il reste beaucoup de traces dans son jeu créatif. Le batteur est le voisin Portugais Bruno Pedroso.
Cet album, qui a des parentés avec un autre disque de Martín, El Caminero, est un bon disque de jazz alliant swing et dynamisme. Martín, auteur de toutes les compositions –signalons-en la qualité–, offre plusieurs soli, telle l’introduction de «El 13 de la Suerte», un thème qui prend des accents flamenco au détour de quelques phrases. Martín entraîne avec vigueur ses partenaires de la section rythmique, lesquels assurent la permanence d’un bon swing. Les trois compères se connaissent parfaitement pour avoir très souvent travaillé ensemble. De cette section rythmique, Rábade sait jaillir pour exprimer sa propre personnalité dans de bons soli («El 13 de la Suerte») et aussi toute sa fantaisie.Perico –qui parfois s’aventure dans des chemins variés histoire de ne pas céder à la routine– s’exprime ici dans le registre qui nous semble le plus proche de ce qui fait sa force, c’est à dire un jeu straight dans lequel il excelle. Annoncé à l’alto il joue aussi du soprano et de la flûte selon les thèmes. Ses improvisations sont de qualité, notamment sur «Colina» (as), sans doute un thème en hommage à Javier Colina le contrebassiste, également sur «El Caminero» (fl, ss) mais pourquoi restreindre car c’est du bonheur tout au long du disque. Toni Belenguer, souvent partenaire de Sambeat, se hisse à son meilleur niveau pour rivaliser avec le saxophoniste. C’est une réussite. On remarque ses soli sur«El R
epublicanón», «El Caminero» dans un dialogue avec Perico, «El 13 de la Suerte». La «Fantasía Erótica» ne nous parait pas des plus érotiques! et c’est sans doute le thème le moins attrayant rythmiquement bien que Martín s’y mette personnellement en valeur. Le meilleur titre étant «Alter Ego», sur laquel tous les intervenants s’illustrent en donnant ensemble le meilleur d’eux-mêmes. La plus belle des compositions offertes par Pablo Martín.

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Javier Colina Quintet
5 Urte Muestra BBK Jazz Bilbao

Eighty One, Belén, You Don’t Know What Love Is, Verdad Amarga, Assmaudi, Cinco Hermanas
Javier Colina (b), Ariel Brínguez (ss, ts), Albert Sánz (p), Dani García (dm)
Enregistré le 7 octobre 2013, Bilbao (Espagne)
Durée: 1h 06’
Moskito Rekords 016 (www.jazz-on.org)

Voici un excellent disque d’un contrebassiste méconnu en France: on le découvre ici aussi comme compositeur et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il domine son art. Javier Colina, s’il n’est pas Basque et ne s’est pas entouré de Basques, a réuni quelques-uns des meilleurs jeunes jazzmen vivant dans la péninsule. Le swing est la caractéristique de cet enregistrement. Il en déborde à commencer par le premier titre «Eighty One» mais aussi «You Don’t Know What Love Is». La contrebasse de Colina sait propulser ses deux partenaires de la section rythmique, le Valencien Albert Sanz et le remarquable Dani García, très original. Colina offre également des soli de grande classe danstous les thèmes et particulièrement dans «You Don’t Know What Love Is», «Belén» et «Assamaudi» (daux forts accents gwana). La délicatesse est aussi présente dans le magistral«Belén», dans «Verdad Amarga» avec un beau travail de Sanz qui récidive dans «Cinco Hermanas», thème possédant un beau swing. Albert aime aussi s’amuser avec les citations!
Le saxophoniste Ariel Brínguez est également une pièce clé du disque. Formé à Cuba, lauréat du concours JoJazz,il s’est installé en Espagne et, contrairement à nombre de ses collègues expatriés, il n’a rien perdu de ses qualités. Il joue beaucoup, notamment à Madrid. Capable de retenue comme de démesure (toujours bien contrôlée), c’est un vrai jazzman qui sait laisser sa cubanité lorsque cela est nécessaire. Toutes ses interventions dans ce concert enregistré sont de belle facture surtout lorsqu’il prend son ténor. A travers cet enregistrement, Javier Colina montre qu’il n’est pas seulement le contrebassiste polyvalent – qui a pu accompagner Tete Montoliú, Bebo Valdés, Chano Domínguez, Jorge Pardo ou Perico Sambeat – mais qu’il est bien une pièce maîtresse du jazz en Espagne.

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Lance Bryant/Christian Fabian/Jason Marsalis
Do for you?

Five Minute Blues, Never Again, Of a Certain Age*, The Cat Hatter, Do For You?, If You Never Come to Me*, Resolvence of the Old, Weather Forecast, Moxie Inside, Hey-It's Me You're Talking To
Lance Bryant (ts, voc), Christian Fabian (b), Jason Marsalis (dm) + Gates Thomas (kb)*
Enregistré en novembre 2016, Paramus (New Jersey)
Durée: 57’ 59”
Consolitated Artists Productions 1057 (www.christianfabian.com)

Un disque de jazz par des musiciens qui font le corps de cette musique. Pas d’interrogation sur l’origine, il s‘agit d’un jazz direct «mainstream d’aujourd’hui», c’est-à-dire, ayant intégré dans le discours les éléments post coltranien et colemanien (Ornette), avec blues, swing et une belle expression naturelle, joué par des musiciens enracinés «Of a Certain Age». Jason Marsalis est toujours aussi précis, brillant et plus relâché dans ce contexte, d’une belle musicalité qui respire. Son jeu de batterie est vraiment un régal. Le bassiste est dans l’esprit de cette musique, suivant assez souvent le discours linéaire du sax à l’unisson ou en contre-chant, un discours qui pourrait s’apparenter parfois à la postérité colemanienne des années soixante, ante Free Jazz, avec moins de systématisation, de tension, et plus de lyrisme et de qualité mélodique, qui se rapproche aussi de Sonny Rollins dans ses trios sans piano du tournant des années soixante, avec un son moins puissant. Lance Bryant, natif des environs de Chicago, a étudié au Berklee College of Music. Il a fait partie du big band de Lionel Hampton dans les années 1990, a participé au film de Spike Lee, Malcolm X, et a accompagné Jon Hendricks, Wallace Roney, Abdulah Ibrahim, James Williams, parmi beaucoup d’autres… Cet enregistrement est donc original, ancré dans une histoire, sans volonté d’épater, un bon moment de musique par de bons musiciens de jazz dans l’esprit. Le saxophoniste chante sur deux thèmes, d’une voix naturelle, et avec le soutien d’un clavier. Un jazz serein avec des moments plus relevés comme «Resolvence of the Old», un peu plus tendu et de belle facture.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Roger Mennillo/Ugo Lemarchand
Thinking of Ben

Béatrice, Autumn Leaves, Body and soul, The Says of Wine and Roses, On the Sunny Side of the Street, Misty, It Could Happen to You, Here's That Rainy Day, Blue in Green, Cherokee, The Shadow of Your Smile, Blues for Boubs, It Could Happen to You
Roger Mennillo (p), Ugo Lemarchand (ts)
Enregistré le 8 mai 2015, Pompignan (Gard)
Durée: 1h 07'10''
Autoproduit (www.art-expression.net)

Tous deux professeurs à l'école de jazz «Art Expression», à Saint- Cannat (Bouches-du-Rhône), le pianiste Roger Mennillo –également fondateur et programmateur du beau festival Jazz à Beaupré, ceint en ce lieu enchanteur– et le saxophoniste Ugo Lemarchand publient un hommage à Ben Aronov (1932-2015). Ce pianiste américain a eu son heure de gloire à partir des années soixante à New York, accompagnant Frank Sinatra, Lena Horne, Peggy Lee, et jouant avec Tom Harrel et Lee Konitz ou Zoot Sims, autant dire une «star» en pays aixois où il s'est retiré au début des années 2000. Ami et partenaire de Roger Mennillo, les deux pianistes se sont produits en duo à plusieurs reprises, face à face, chacun attelé à son Steinway, comme lors de l’édition 2007 du festival de Beaupré.
Si le répertoire de cet album est surtout constitué de standards bien connus, il reprend aussi «Béatrice», magnifique ballade de Sam Rivers très peu souvent jouée, et «Blues for Boubs», une très belle composition d'Ugo Lemarchand.La prise de son très soignée, l'entente complice entre les deux musiciens, leur grand sens de l'improvisation et leur goût des surprises et des changements de climat leur permettent d'éviter la monotonie qu'engendrent parfois les duos piano-saxophone et font de cet enregistrement parfait, un modèle à faire écouter dans toutes les éco
les de jazz.

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Ken Schaphorst Big Band
How to Say Goodbye

How to Say Goodbye, Blues for Herb, Mbira, Green City, Amnesia, Take Back the Country, Float, Mbira 2, Global Sweat, Descent
Ken Schaphorst (tp, ep), Michael Thomas (as, ss, cl), Jeremy Udden (as), Danny McCaslin, Chris Cheek (ts), Brian Landrus (bar, bcl), Tony Kadleck, Dave Ballou, John Carlson, Ralph Alessi (tp, flh), Luc Bonnila, Jason Jackson, Curis Hasselbring (tb), Jennifer Wharton (btb), Uri Caine (p), Brad Shepik (g) , Jay Anderson (b), Matt Wilson (dm), Jerry Leake (perc)

Enregistré les 18 et 19 décembre 2014, New York

Durée: 1h 11'

JCA Recordings 1602 (www.kenschaphorst.com)

Sur sa carte de visite, Ken Schaphorst se présente comme un compositeur, interprète et surtout comme un professeur tenant la chaire du Département d’Etudes Jazz du New England Conservatory de Boston. Il enseigne effectivement la composition, l’arrangement l’analyse et dirige le NEC Jazz Orchestra. Il nous invite à écouter le septième album de son big band pour lequel il a signé toutes les compositions. Renouvellement d’un répertoire pour grand orchestre qui emporte cet ensemble sur la première ligne du front des gros volumes. Fidèles à ces mentors, il leur dédie deux titres, «Blues for Herb» pour Herb Pomeroy et «Take Back the Country» pour Bob Bookmeyer, qui a autant influencé sa musique que Duke Ellington. Aux côtés d’anciens élèves, on retrouve des pointures qui illustrent aussi en leader les pages du jazz actuel. Si l’on distingue les plus connus, tels Chris Cheek, Ralph Alessi, Uri Caine ou Brad Shepik, ils ne font ici que se mettre au service de la collectivité qui illumine un magnifique album digne des grands albums des maîtres du passé. Faire vivre un tel ensemble reste toujours très difficile: si Gil Evans ou Thad Jones/Mel Lewis arrivaient à rassembler des fidèles pour un concert hebdomadaire, la vie et surtout la qualité permanente demande un réel investissement.
L’art du compositeur et du professeur réside ici dans l’alchimie qui permet, au-delà de l’originalité du répertoire, d’apprécier musicien chevronnés et plus jeunes. Et il est fort dommage que nos festivals nationaux refusent constamment de faire la part belle à de tels groupes qui doivent en concert encore mieux s’exprimer. Si tous les titres sont dignes d’intérêt, on retient, en particulier, les trois derniers qui semblent des hymnes aux voyages lointains. «Mbira 2», sonne comme une traversée du Grand Ouest chevauchée par la guitare de Brad Shepik et le trombone de Jason Jackson. «Global Sweat», le plus long titre (9 minutes), dans un soleil saharien, fait vibrer et scintiller les cuivres. Quant à «Descent», il conclue l’album de façon triomphante dans un trilogue laissant le champ libre à Uri Caine, Ralph Alessi et Matt Wilson. Outre ses talents de chef d’orchestre, Ken Schaphorst se révèle, par ailleurs, un trompettiste de haut niveau
.

Michel Antonelli
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Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJimmy Greene
Flowers. Beautiful Life. Volume 2

Big Guy, Stanky Leg, Flowers, Second Breakfast, Fun Circuit, Stink Thumb, Someday, December, Amantes, Something About You, Thirty-Two
Jimmy Greene (ts, as, bar, ss), Kevin Hays (p, ep), Ben Williams (b), Otis Brown III (dm, perc), Renee Rosnes (p, ep), John Patitucci (b, eb), Jeff TainWatts (dm), Rogerio Boccato (perc), Sheena Rattai (voc), Ben Williams (b), Mike Moreno (g), Jean Baylor (voc)
Enregistré en 2017, New York
Durée: 1h 03' 39''
Mack Avenue Records 1118 (www.mackavenue.com)

Flowers est le deuxième volume et le pendant du magnifique Beautiful Life, hommage à sa fille assassinée le 14 décembre 2012 dans une école de Newtown dans le Connecticut, sorti en 2014. Si de nouveau, on retrouve sur ce disque un casting all-stars avec, en particulier, la rythmique d’airain de John Patitucci et Jeff Tain Watts, les titres qui composent ce nouvel opus ne brillent pas par la même cohérence stylistique, comme s’il s’agissait d’ébauches de compositions moins homogènes laissées de côté lors des sessions de Beautiful Life. Les morceaux interprétés par Ben Williams et Otis Brown III comportent des aspects plus roots, là où ceux de John Patitucci et Jeff Tain Watts semblent plus «flashy» et démonstratifs. Bien sûr, le timbre magnifique du leader au saxophone ténor et soprano domine l’ensemble d’une superbe incontestable, et il n’est pas question ici de mettre en cause la sincérité d’une musique à ce point empreinte d’émotion et de résilience (mention spéciale au jeu de claviers de Renee Rosnes). Même s’il est toujours difficile de donner suite à un album qui porte l’empreinte de souffrances des plus imposantes jamais éprouvées par un être humain, la volonté de sérénité affichée ici ajoute une tonalité «Christian Music» plus affirmée aux phrasés traditionnellement associés au jazz d’Amérique du Nord, en particulier sur les deux morceaux chantés «Flowers» et «Someday». L’acmé du disque est sans nul doute atteinte avec la guitare de Mike Moreno sur «Something about You». Un album des plus déroutants, mais dont certains titres tracent leur chemin tout doucement jusqu’à nous.

Jean-Pierre Alenda
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Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueRichard Niles Bandzilla
Bandzilla Rises!!!

Bandzilla Rises!!!, Live as One, You Can’t Get There From Here, L.A Existential, The World is Mine, Stone Jungle, The 5th Elephant, The Alligator From West 15th, Love Don’t Mean a Thing, Welcome, to My World, Talkin’ in Whispers, Tip For a Toreador, Why Is This World so Strange
Richard Niles (g,voc), John Thirkell (tp), Mark Nightingale (tb), Ed Barker (as, ts,cl), Tini Thomasen (bcl, bar), Michaël Parlett (bar), Adam Kaplan (fl), Alexander Niles (p, kb), Steve Hamilton (kb), Ian Palmer (dm), Kurt Hamernick (perc), James Beauton (marimba, vib), Garret Wolfe (b), Kim Chandler, Randy Brecker, Leo Sayer, Bakerville Jones, Lamont Dozier Jr, Julia Zuzanna Sokolowska, Daisy Chute, Paola Vera, (voc)
Enregistré à Los Angeles, Londres, New York, Ecosse, France, Espagne et Australie, dates non communiquées

Durée: 1h 09'
Bandzilla Records (www.bandzilla.net)

Attention c’est du lourd. Richard Niles, guitariste, compositeur, arrangeur et producteur dirige d’une main de fer cet ensemble tonitruant qui voyage entre jazz et rythm and blues. Dans la pure lignée d’un Blood Sweat and Tears lorgnant vers Frank Zappa, les titres s’enchainent telle une déferlante dans un esprit de fête, proche de la danse. La quasi-totalité des compositions, signées par Richard Niles, sont chantées par une dizaine de voix où chaque soliste fait preuve d’un professionnalisme tout américain. Certains titres pourraient figurer dans les charts radiophoniques mais pourquoi se priver d’une forme très populaire du jazz servi par de bons musiciens. Chaque intervention des solistes, notamment Ed Barker aux saxophones et Richard Niles à la guitare apportent un élément original sur un fond de cuivres parfaitement orchestré. Tout est bien arrangé, on a affaire à des requins de studio qui connaissent leur métier et rien n’est laissé au hasard.
Richard Niles, 65 ans, est tombé tout petit dans la marmite, son père, Tony Romano travaillait déjà pour Frank Sinatra, Bing Crosby, Cole Porter …quant à lui, il est sorti en 1975 du Boston’s Berklee College of Music avec un diplôme en composition. Il gagne ensuite l’Angleterre ou il sera le directeur musical de Cat Stevens et servira plusieurs années à la TV comme arrangeur et chef d’orchestre. On le retrouve comme producteur musical de nombreuses chanteuses; Kate Bush, Kim Wilde, Gloria Gaynor, Anita Baker, Grace Jones ou encore Killy Minogue mais aussi des groupes plus rock tels Depeche Mode. En 1980, il fonde Bandzilla pour interpréter des projets musicaux moins commerciaux mais continue d’assurer ses revenus en travaillant avec des vedettes telles; James Brown, Barry Manilow, Ray Charles, Paul McCartney, Joe Cocker ou Tina Turner mais aussi des boy bands et même Mariah Carey. Côté plus jazz, il a été partenaire de Pat Metheny, Bob Mintzer, Michel Legrand, John Patitucci… Il a enregistré deux albums en tant que guitariste
«Santa Rita»(Sanctuary) and «Club Deranged» (Nucool) et il continue d’animer des émissions radiophoniques. AvecBandzilla Rises!!!, second CD du groupe, il signe un véritable album d’un polyvalent de l’industrie musicale qui a su garder une passion pour des escapades rafr
aichissantes.

Michel Antonelli
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XY Quartet
11. Orbite

Titov, Gagarin, Malcolm Carpenter, Buzz, Valentina Tereshkova, John Glenn, Rakesh, Vladimir Komarov
Nicola Fazzini (as), Saverio Tasca (vib), Alessandro Fedrigo (bg), Luca Colusssi (dm)
Enregistré en 2017, San Biagio Di Callalta (Italie)
Durée: 48' 57''
Nusica.org 452 (www.nusica.org)


Après Idea F et 05, voici le troisième album du XY Quartet publié par Nusica.org, jeune label italien qui en est à sa onzième production. Ce quartet repose sur deux leaders, Nicola Fazzini et Alessandro Fedrigo, fondateurs du groupe, qui se partagent également les compositions, à l’exception de deux morceaux signés par Saverio Tasca. Pour cet opus, ils se sont inspirés des cosmonautes qui ont marqué leur enfance. Ces musiciens sont nés dans les années soixante-dix, la grande époque de la conquête spatiale, et déjà, dans le volume précédent, on trouvait quelque inspiration venue de ces événements. Chaque morceau porte ainsi le nom d’un ou d’une cosmonaute.
La musique du XY Quartet a évolué vers encore plus de dépouillement, mêlant différentes influences contemporaines, qui se font oublier, tant elles sont en osmose, donnant une écriture à la fois riche et reposant sur l’art de la litote. Ces quatre-là sont tout à fait dans le courant qui se dessine chez pas mal de jazzmen italiens, courant qui semble mené par Claudio Fasoli. Tendance qu’on trouve aussi en France chez Oilvier Bogé, par exemple. Musique épurée avec un saxophoniste alto qui joue sans vibrato mais avec un son cuivré, chaud, beaucoup de présence et une belle inspiration. Le vibraphoniste a bien intégré les jeux de Milt Jackson et Gary Burton: un son très pur, du cristal, avec un positionnement harmonique exemplaire. Le batteur est léger, précis, avec de belles attaques franches. Le bassiste joue de la guitare basse, un son qui ajoute au rendu de la formation. On goûtera toutes ces qualités sur «Rakesh» avec un solo du soprano sur une tessiture resserrée, d’autant plus expressive, et un solo de vibraphone inspiré et chauffant. Le quartet fonctionne souvent sur le dialogue sax-vibraphone, comme dans «Malcolm Carpenter», dans lequel répons et unissons vont crescendo. On a une véritable écriture de groupe, avec un son unitaire où pourtant chaque musicien trouve sa propre expression sans empiéter sur l’autre; citons en exemple «Valentina T...», un équilibre parfait.Cet XY Quartet fondé il y a six ans dans le nord de l’Italie, très apprécié par la presse spécialisée transalpine, a déjà un beau passé de concerts.

Serge Baudot
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Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueLes Fils Canouche
La Fasciculation

Tabadabada, Hernie Fiscale, Croma Quedam, Maura Fernanda, La Fasciculation, Beyu, Seven Ut,Swing in a Bikini, Pipeline Theory, Youpinouche
Xavier Margogne (g), Stéphane Cozic (b), Samuel Thézé (cl), Maxime Perrin (acc) + Olivier Kikteff (g)
Enregistré en 2017, Paris
Durée: 52’
VLAD Productions (Socadisc)

Les Fils Canouche se sont formés à deux guitares en 2005, puis sous la forme d’un quartet qui a pris sa forme actuelle en 2012. Après quelques six-cents concerts, ils sortent leur quatrième disque. Ils produisent une musique à l’intersection du jazz Django, des musiques balkaniques et de la musique de Piazzola. Ces trois influences, revendiquées, font très bon ménage, avec des musiciens qui possèdent une technique d’aujourd’hui, et s’expriment sans imiter l’ancien. C’est donc un mélange assez savoureux, pas du tout world music, mais une expression contemporaine de la tradition Django.
«Tabadabada» nous vaut une splendide partie de clarinette basse; Samuel Thézé possède un phrasé fluide et véloce avec de belles inflexions. Dommage qu’il ne joue pas plus sur cet instrument. Il est tout aussi brillant sur la clarinette soprano avec un jeu assez marqué Balkans. «Croma Quedan» est une sorte de valse à cinq temps avec un beau partage des quatre garçons. Une autre valse, plus manouche, «Maura Fermand» avec une guitare du côté Django, qui doit être celle de l’invité. Restons dans la valse lente cette fois, mais swing, avec «Beya» jouée avec une grande sensibilité en duo clarinette-accordéon. «Pipeline Theory» nous emmène droit chez Piazzola et son style tango. Retour au swing façon Django avec «Swing in the Bikini», très plaisant. «Youpinouche » clôt de manière virevoltante ce disque où le clarinettiste fait décidemment merveille.
Une belle façon de revitaliser cette forme de jazz.

Serge Baudot
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Henri Texier
30 ans à la Maison de la Culture d'Amiens

Colonel Skopje, Mucho calor, Don’t Buy Ivory Anymore, Barth’s Groove, Y’a des vautours au Cambodge, Desaparecido, Noises
Henri Texier (b), Michel Portal (anches, bandonéon), Thomas de Pourquery (as), Manu Codja (g), Bojan Zulfikarpasic (ep), Edward Perraud (dm)
Enregistré le 3 mars 2016, Amiens (80)
Durée : 1h 10' 27''
Label Bleu 06730 (L’Autre Distribution)


Pour fêter ses 30 ans d’existence, Label Bleu a proposé à Henri Texier, le musicien qui a enregistré le plus d’albums sous ce label (une vingtaine), une carte blanche. Le contrebassiste a choisi de mélanger de nouveaux musiciens du label, Thomas de Pourquery et Edward Perraud, à de vieux compagnons de musique: Michel Portal, Manu Codja, Bojan Zulfikarpasic. Mélange détonnant et parfaitement réussi pour ce concert enregistré en public à la Maison de la Culture d’Amiens.
Les morceaux sont tous de la plume d’Henri Texier, peu ou très connus, comme «Colonel Skopje», qui démarre sur un bel et long ensemble à l’unisson mettant en valeur cette splendide mélodie, brisée par quelques conciliabules des anches, une sorte d’engueulade qui s’achève sur un solo de batterie qui réconcilie tout le monde. Et «Don’t Buy Ivory Anymore», sorte de valse lente sur laquelle le pianiste et le contrebassiste s’expriment à merveille et avec délicatesse. Des atmosphères différentes, mais toujours le même son d’ensemble et le développement mélodique, atmosphères dans lesquelles le guitariste fait merveille. Que ce soit aux anches ou à la clarinette basse, Michel Portal est dans un grand jour, ainsi qu’au bandonéon sur «Y’a des vautours au Cambodge» qui débute par un long solo de contrebasse avant le chaloupé du bandonéon, à noter l’échange avec la guitare; et le solo à l’alto de Pourquery dans une veine Garbarek, en plus chaud, plus suave. «Desaparecido» nous vaut un délire des saxes, un solo rentre dedans du pianiste. Tous sont au sommet. Le concert se termine par «Noise » sur un rythme des îles; ça sent le soleil, la joie, le bonheur et le plaisir de jouer ensemble, c’est léger, lyrique et dansant. Un disque qui fête en beauté ce Label Bleu et le jazz. Longs et chaleureux applaudissements.

Serge Baudot
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueLisa Lindsley
Long After Midnight

Long After Midnight, Star Eyes, The House Is Haunted, Heat Wave, Skylark's Song, I Walk a Little Faster/Manhattan, Diamonds Are a Girls Best Friend, Love You Didn't Do Right by Me, Mellow Yellow, The Surry With the Fringe on Top, When You're Smiling/Pennies From Heaven
Lisa Lindsey (voc), Esaie Cid (as,cl,fl), Laurent Marode (p), Jeff Chambers (b), Mourad Benhammou (dm)
Enregistré à Paris, date non communiquée
Durée: 48' 31''
Black & Blue 814.2 (Socadisc)

Originaire d'Oakland (Californie), la chanteuse Lisa Lindsley a profité d'un long séjour à Paris pour enregistrer quelques standards de l'American Song Book avec Jeff Chambers, son contrebassiste californien habituel (qui a fait ses classes avec le pianiste et vibraphoniste Buddy Montgomery) et l'appui de musiciens parisiens de grand talent: Mourad Benhammou, Laurent Marode et le Catalan Esaie Cid. Dénué de toute fanfaronnade, le résultat ne manque pas de charme. La voix est claire, bien en place, d'une grande justesse, témoin la version de «When You're Smiling», seulement soutenue par Mourad Benhammou. Pour autant, c'est l'accompagnement, de grande classe, qui fait tout l'intérêt de ce disque qui aurait été parfait dans une version instrumentale...

Daniel Chauvet
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Jim Snidero
MD 66

MD 66, Recursion, Free Beauty, Unified, Who We've Known, Un4scene, Blue in Green, Purge
Jim Snidero (as), Alex Sipiagin (tp), Andy LaVerne (p), Ugonna Okegwo (b), Rudy Royston (dm)
Enregistré le 22 avril 2016, New York
Durée: 52' 29''
Savant 2156 (www.jazzdepot.com)

Bien que sa carrière soit encore peu connue de ce côté-ci de l'Atlantique, voici le vingtième album en leader de l'altiste Jim Snidero (60 ans). A ses débuts, il a tenu un pupitre dans l'orchestre de Toshiko Akiyoshi, tout comme le trompettiste du groupe, le Russe Alex Sipiagin, dans le Mingus Big Band. Le pianiste, Andy LaVerne, leur aîné, est, lui, connu depuis ses aventures avec Stan Getz, Sinatra ou Dizzy Gillespie. Quant aux benjamins de la formation, ils ne manquent pas d'expérience: le contrebassiste Ugonna Okegwo s'est illustré aux côtés de Jacky Terrasson et de Tom Harrell, tandis que le batteur Rudy Royston s'est fait remarquer auprès de Ravi Coltrane et de Branford Marsalis.

Et de l'expérience il en faut pour aborder les compositions de Jim Snidero, celle d'Andy LaVerne ou la reprise «Blue in Green», toutes destinées à rendre hommage à la musique de Miles Davis vers 1966, d'où le titre «MD 66» qui donne son nom à l'album. Son quintet, pas encore électrique comptait alors dans ses rangs Wayne Shorter (ou George Coleman) au sax, et la rythmique de rêve Herbie Hancock (p), Ron Carter (b) et Tony Williams (dm). Si la musique de ce CD n'a pas le caractère novateur et prophétique de l'original, il semble pourtant (signe des temps qui passent?), qu'elle gagne en dynamisme et en audace. A vos platines! Pas besoin d'en dire davantage, c'est tout simplement superbe.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Jane Ira Bloom
Early Americans

Song Patrom, Dangerous times, Nearly, Hips & Sticks, Singing the Triangle, Other Eyes, Rhyme or Rhythm, Mind Gray River, Cornets of Paradise, Say More, Gateway to Progress, Big Bill, Somewhere
Jane Ira Bloom (ss), Mark Helias (b), Bobby Previte (dm)
Enregistré les 16 et 17 juillet 2015, New York
Durée: 52' 22''
Outline 142 (www.janeirabloom.com)

Musique «expérimentale»?... Le type de formation (soprano/contrebasse/batterie) le laisse pressentir autant que la réputation de la saxophoniste Jane Ira Bloom de «pionnière des effets électroniques» et de «grande prêtresse» de l'abstraction pour son illustration musicale de tableaux de Jackson Pollock. Pourtant, à l'écoute, aucune violence, aucun excès. On discerne même souvent une construction jazz assez classique (thème-impros- modulations-reprise du thème) et un vrai sens des mélodies. Peu connue du grand public mais adulée par ses pairs (un astéroïde porte même son nom), elle a étudié aux côtés de George Coleman et notamment joué avec Charlie Haden, Ed Blackwell et, en duo, avec le pianiste Fred Hersch. Parfaitement soutenue par deux accompagnateurs «experts», sa musique, bien que très originale, reste attrayante et limpide.

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Jean-Michel Davis
Vibraphone jazz

Yesterday Vibes: Stardust, My Romance, Too Blue, Prelude to a Kiss, Somday My Prince Will Come, Stella By Starlight, Invitation, Star Eyes, Carinhoso; Good Vibes Triptych: Luba, Song For Nora, Dancing in The Sky, Fay Douce; Ethereal Vibes: After You, Deux Points Magenta, Interlude, Mondeville, Crystal Silence
Jean-Michel Davis (vib, marimba), Frédéric Loiseau (g), Raphaël Scwab (b), Julien Charlet (dm) + Juliette Davis (voc), Joachim Polack (g), Guillaume Broquin (cga)

Enregistré les 3 juin et 2 juillet 2016, Montreuil-Sous-Bois

Durée: 1h 09'
Fremeaux & Associés 8534 (Socadisc)

En trois volets, Jean-Michel Davis revisite l’histoire du vibraphone ou marimba dans le jazz. Avec «Yesterday Vibes», première époque, plus traditionnelle, il rend différents hommages, à Lionel Hampton, avec «Stardust» où il reprend le solo improvisé du maître lors d’un concert à Amsterdam, avec «Too Blue» pour saluer Victor Fieldman et Milt Jackson ou avec «Prelude to a Kiss» pour Red Norvo qui l’avait joué en trio avec Mingus au violoncelle et Tal Farlow à la guitare. Cette première partie reprend les arrangements qu’il a relevé pour sa méthode 10 études pour Vibraphone Jazz (Editions Salabert). Une introduction qui situe parfaitement l’originalité de cet instrument dans le jazz et qui permet d’apprécier un groupe de qualité. Second volet avec «Good Vibes Triptych», trois compositions originales suggérées par l’actualité de sa vie familiale et de son entourage. «Song For Nora» est dédiée à sa mère et lui a été inspirée lors d’une séance du pianiste Philippe Saisse en compagnie du batteur Vinnie Colauita. Troisième partie, «Ethereal Vibes», qui revisite son répertoire, sa méthode, ses compositions et celles de compositeurs modernes tels Mike Stern («After You») ou Chick Corea («Crystal Silence»), première période du Return to Forever ou en duo avec Gary Burton. Didactique et pédagogique, ce long album s’écoute avec réel plaisir, et n’oppose pas d’autre enjeu que de conter en bonne compagnie et avec calme cet instrument, compagnon de sa vie. Le petit livret qui complète ce disque présente avec clarté la démarche du percussionniste; ceux qui voudraient mieux le connaître peuvent le retrouver dans différents groupes tels Les Primitifs du Futur, Novelly Fox, Les Movies Swingers et/ou lire ses deux méthodes historiques pour vibraphone jazz.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueBilly Childs
Rebirth

Backwards Bop, Rebirth, Stay, Dance of Shiva, Tightrope, The Starry Night, The Windmills of Your Mind, Peace
Billy Childs (p), Steve Wilson (as, ss), Hans Glawischnig (b), Eric Harland (dm) + Claudia Acuna, Alicia Olatuja (voc), Ido Meshulam (tb), Rogerio Boccato (perc)

Enregistré les 2 et 4 décembre 2015, New York

Durée: 57'
Mack Avenue 1122 (www.mackavenue.com)

Le pianiste californien, Billy Childs est surtout connu pour ses arrangements et productions. Malgré ses talents d’instrumentiste, il reste à découvrir. Formé à l’University of Southern California, il se dit aussi bien influencé par Herbie Hancock, Keith Emerson, Chick Corea que par Paul Hindeminth, Maurice Ravel et Igor Stravinsky. Il a forgé ses armes dans les groupes de J.J. Johnson puis de Freddie Hubbard. A partir des années 80, il travaille pour Diane Reeves et obtient un Grammy Awards pour sa réalisation de l’album The Calling: Celebrating Sarah Vaughan. On retrouve souvent dans ses employeurs des chanteurs tels que Sting, Michael Bubble, Gladys Knight, mais aussi le violoncelliste Yo-Yo Ma. Il a également signé plusieurs commandes associant grand orchestre et soliste jazz notamment avec Roy Hargrove, Wynton Marsalis, Régina Carter…
Il propose avec
Rebirth un ensemble plus resserré qui nous permet d’apprécier ses compositions complétées de titres de Michel Legrand et de Horace Silver. Son style semble proche de la musique classique, les thèmes sont sophistiqués mais interprétés sobrement, son toucher expressif et lyrique se double d’une technique sans faille. Rebirth peut nous apparaître comme une suite, une progression pour musique de chambre chaudement interprété. Les voix des chanteuses, Claudia Acuna sur Rebirth ou celle de Alicia Olatuja sur Stay sont poignantes et sont utilisés comme des bijoux au creux de leur écrin. Steve Wilson apporte un souffle déroutant dans une atmosphère souvent bien tempéré et toujours maîtrisé, qui éclate constamment. A noter la très belle interprétation des «Moulins de mon cœur» de Michel Legrand où Billy Childs, musicien que l’on pourrait taxer de trop de sagesse, s’affirme comme un excellent soliste. Autre moment magique, le final en duo avec Steve Wilson sur une superbe version de Peace d’Horace Silver; on n’avait pas entendu d’aussi belle version depuis celle de Chico Freeman, en 1979 sur l’album Spirit Sensitive.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

MAM
25 ans

Titres détaillés dans le livret
Viviane Arnoux (acc, voc), François Michaud (vln, avln) + François Parisi (acc, CD2) et, selon les titres, Alain Grange (cello), Olivier Marc, Sylvain Pignot, Xavier Desandre-Navarre (dm, perc)
Enregistré entre 1995 et 2017, lieux précisés dans le livret
Durée: 1h 13' 49'' + 52' 11''
Buda Musique 860315 (Socadisc)


MAM
Jazz in My Musette (DVD)

Titres détaillés dans le livret
Viviane Arnoux (acc, voc), François Michaud (vln, avln), François Parisi (acc)
Enregistré le 17 juin 2010, Montanaire (Suisse)
Durée: 1h 07' 50''
La Seine TV (www.mammusique.eu)

Complices depuis 1992, l’accordéoniste Viviane Arnoux et le violoniste François Michaud (également à l'alto) ont fondé MAM, formation à géométrie variable (duo, trio, quartet, etc.) et dont le spectre musical est pour le moins étendu. A l’occasion de ses 25 ans d’existence, MAM propose une anthologie en deux CD de ses enregistrements, agrémentée de quelques inédits, sobrement intitulée 25 ans. Le premier CD, au fil de ses dix-sept titres, nous permet d’apprécier l’éclectisme du groupe –dont le point d’ancrage est la folk et la musette– tel qu’il a pu se manifester dans sa discographie la plus récente: Brassens passionnément (2009, autoproduit), une relecture délicate des chansons du guitariste en compagnie de la chanteuse Guénaelle Fériot; Paris Village (2011, Buda Musique), très jolie suite, douce et mélancolique, composée à quatre mains; Musique acoustique machines (2010, Buda Musique) et Human Swing Box (2015, Buda Musique) à ranger sous l’étiquette «electro-swing».
Le lien véritable avec le jazz se manifeste dans le second CD de cette anthologie 25 ans, consacré au projet Jazz in My Musette qui, depuis l’album éponyme paru en 2005, est développé en collaboration avec François Parisi (acc). Rencontre originale et onirique entre valse-musette, chanson, folk et tradition Django Reinhardt, la démarche donne lieu à quelques jolies pépites dont une pétillante reprise de «Minor Swing». Un DVD sorti conjointement, Jazz in My Musette, nous en offre la version filmée. Polymorphe, MAM emprunte, en compagnie de François Parisi, le chemin d’un jazz aux accents populaires, puisant conjointement aux sources du Mississippi et de la Seine, et qui trouve à s’épanouir sur des compositions à la poésie singulière, telle «Folk in My Musette», dont le titre résume à lui seul l’épopée sonore de ces joyeux troubadours depuis un quart de siècle.

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueLia Pale
The Schumann Song Book

First Green (Erstes Grün), Lotus Blossom (Die Lotusblume), I Don't Complain (Ich Grolle Nicht), The Maiden (Die Sennin), Dedication (Widmung), Autumn Song (Herbstlied), When This Song Starts Playing (Hör' Ich Das Liedchen Klingen), In The Morning (Morgens Steh' Ich Auf Und Frage), In a Wonderful Sweet Hour (Ich Will Meine Seele Tauchen), My Friend, My Shade, My Guard (O Freund, Mein Schirm, Mein Schutz), First Pain (Nun Hast Du Mir Den Ersten Schmerz Getan), I Can't Believe It (Ich Kann's Nicht Fassen, Nicht Glauben), Deep, Dark, Black (Es Stürmet Am Abendhimmel), In My Dreams I've Been Crying (Ich Hab' Im Traum Geweinet), Sweet Violets (Märzveilchen), Night of the Moon (Mondnacht),
Lia Pale (voc, fl, trad), Mathias Rüegg (p, arr), Hans Strasser (b), Ingrid Oberkanins (dm), avec selon les thèmes Roman Jánoška (vln), Stanislas Palúch (vln), Mario Rom (flh, tp)
Enregistré le 3 novembre 2016, au Porgy and Bess de Vienne (Autriche)
Durée: 50' 44''
Lotus Records 17048 (www.liapalemusic.com)

Après Schubert (Gone Too Far, repris et augmenté en 2017 sur Winter’s Journey, Lotus Records 17046), Lia Pale et son réputé complice Mathias Rüegg vont continuer d’étonner dans la construction d’une œuvre originale qui consiste à réactiver l’héritage romantique, ici Schumann, musical mais aussi poétique, viennois en particulier. Elle et il intègrent dans ce projet hors du commun, savant et ouvert, autant la tradition d’Europe continentale que des formes musicales contemporaines, le jazz en principal (par le type de formation, certaines inflexions de l’expression, l’esprit de la musique avec les contre-chants de trompette ou violon, la place de la section rythmique); pas seulement jazz, car on perçoit clairement chez Lia Pale et Mathias Rüegg, comme chez les violonistes, d’autres traditions d’Europe centrale, classiques et populaires. Poursuivant la synthèse, The Schumann Song Book fait bien sûr référence à ces grands opus d’Ella Fitzgerald dont nous vous parlons en cet hiver 2017-2018 consacrés aux auteurs-compositeurs originaires pour la plupart d’Europe centrale, et affiche dans l’esprit le rattachement au jazz. Si la thématique est plus pastorale que populaire (dans le cas américain) et la musique plus savante au plan de l'écriture, ce projet a aussi pour vocation d’explorer un patrimoine poétique et musical, et qu’il le soit par des «natifs» (ou d’adoption) de cette culture est un gage d’authenticité.
Ces enregistrements ambitieux font donc appel à l’imagination et à la curiosité de l’auditeur, peut-être plus qu’à l’ordinaire, car ils évoquent des références habituellement éloignées entre elles, et Lia Pale (aidée par Anne Gabriel) universalise l’accès à ce répertoire par une traduction en anglais (plusieurs textes d’Heinrich Heine parmi d’autres auteurs) pendant que Mathias Rüegg arrange la musique de Robert Schumann avec son habituel savoir-faire, le modelant aux besoins du projet, avec légèreté et humour («Sweet Violets») ou intensité et précision selon les moments.
Lia Pale a des qualités de cantatrice par la justesse de son expression, très musicale toujours, flûtiste parfois («I Don’t Complain», «Dedication», «Autumn Song»); Mathias est le parfait metteur en scène de cet ensemble, le décorateur de ce théâtre par son jeu de piano («Autumn Song»), et les musiciens sont comme toujours d’excellents instrumentistes, les habituels complices de la section rythmique, comme les solistes Mario Rom («First Green») et Roman Jánoška («I Can’t Believe It»), doués d’un très beau son.
Cette création, parce qu’elle fait appel à des textes et une musique extra-américaine, pourrait faire penser que nous sommes à des années-lumière du jazz, mais à bien y réfléchir, ce n’est pas très différent dans l’esprit de la tradition de la grande chanson française qui emprunta au jazz tout en développant un fond original très distinct, texte et musique, car le blues en est bien sûr absent, la respiration rythmique différente comme le vécu.
Ce chemin choisi par Lia Pale et Mathias Rüegg est une aventure, pas sauvage dans une terre vierge (à l’américaine), mais plutôt poétique dans un monde oublié redécouvert d’un œil neuf (à l’européenne): une découverte indispensable pour les amateurs d’œuvres sonores originales, culturellement enracinées, hors des modes et du temps.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueBen Sidran
Picture Him Happy

Another Old Bull, Big Brother, College, Discount Records I Might Be Wrong, Picture Him Happy (Sisyphus Goes to Work), Shaboogie, Thank God For The F Train, Too Much Too Late, Was, Who Are You
Ben Sidran (p, voc), John Ellis (st), Will Bernard (g), Will Lee (b, voc), Leo Sidran (dm, vib, voc), Moses Patrou (perc, voc), Trixie Waterbed (voc)

Enregistré du 12 au 18 septembre 2016, New York

Durée: 45' 28''

Bonsaï Music 170301 (Sony Music)

Le pianiste-chanteur Ben Sidran a mené une carrière couvrant une large spectre de la musique populaire américaine: rock’n’roll, boogie-woogie et jazz. On retrouve ces trois inspirations dans son dernier disque, pour le meilleur. Le groupe s’exprime dans un style qu’on peut qualifier de mainstream, sans affèteries; ça joue, en place, avec chaleur, swing et mélodie, dans un plaisir partagé. Ben Sidran possède une voix bien timbrée, virile, une belle diction; il chante les mots, restant dans le médium grave de la tessiture. Pas de prouesses, de la simplicité, il chante, c’est tout. Son jeu de piano est du même type, ce qui crée une bonne unité d’expression. Il utilise souvent le parlé-chanté, ou bien le parlé rythmé, qui a préfiguré le rap, comme dans ««Too Much Too Late», dans lequel il raconte une histoire, ou encore «Thank God For The Train». Dans «Shaboogie» sur tempo médium, et beaucoup d’autres morceaux, on retrouve avec plaisir la veine boogie-woogie, assez délaissée de nos jours. D’autres morceaux sont traités plutôt rythm’n’blues, tel «Another Old Bull». Pour le sens mélodique écouter «I Might Be Wrong» ou «Was» sur tempo médium, avec un beau solo de guitare puis de sax.Ce CD qui nous offre un jazz limpide, tout de plaisir, avec des musiciens qui à l’évidence se régalent, est une bonne surprise, dont il faut profiter.

Serge Baudot
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Vittorio Silvestri
Soulful Days

The Best Things in Life Are Free, Played Twice, How Deep Is the Ocean?, Opportunities , The Things We Did Last Summer, Subconscious Lee, These Are Soulful Days, Sippin' at Bells, I Should Care, The End of a Love Affair
Vittorio Silvestri (g), Philippe Rosengoltz (p), Michel Altier (b), Michael Santanastasio (dm)
Enregistré en juillet-août 2015, Marguerittes (Gard)
Durée: 59' 39''
Autoproduit VS4tet 01 (www.parisjazzcorner.com)


Une découverte indispensable! Vittorio Silvestri, 46 ans, fait le bonheur de la scène autour de Montpellier, mais il n’encombre ni les bacs, ni les scènes du jazz. Passé sous les radars des programmateurs comme de la production discographique, il n’a à son actif que quelques enregistrements, en groupe et en sideman, qui laissent entendre sa virtuosité mais peu les qualités jazziques dont il fait preuve dans cet opus. Pétri dans la pâte dont on fait les grands guitaristes de la tradition, il possède tout à la fois le jeu en accord à la Wes Montgomery («Opportunities»), la touche de blues indispensable et la musicalité («The Things We Did Last Summer»), la danse («These Are Soulful Days») héritées de la tradition italienne de la belle guitare dans le jazz de Joe Pass à Pat Martino. On peut réécouter ce disque sans limite avec toujours plus d’attention et de plaisir parce qu’il poosède de multiples richesses. Il appartient déjà à la grande histoire du jazz. Elevé dans la musique et dans le jazz, Vittorio Silvestri s’est ici approprié une culture qui apporte à son jeu cette touche de blues et de swing qui manque à tant de guitaristes de jazz actuellement, et pas des moindres en notoriété. Vittorio fait corps avec son instrument et laisse sa virtuosité servir une expression enracinée, celle post bop qui commence dans les années 1950-60 et qui a trouvé chez Blue Note en particulier, mais pas seulement, ses lettres de noblesse.
Cet enregistrement est en effet construit à l’ancienne, avec un excellent choix de standards du jazz et de la musique populaire, de Thelonious Monk, Miles Davis, Cal Massey et Lee Konitz à Irving Berlin et Sammy Cahn, plus un bon original. L’enchaînement des titres est parfaitement réussi, le livret est sobre, mais il manque un bon texte à propos d’un musicien et d’un groupe aussi peu connus. Car la deuxième qualité de cet opus est de réunir quatre musiciens parfaitement en phase sur l’esthétique, l’esprit et la musique: Vittorio Silvestri, installé dans la région de Montpellier comme ses compagnons, alterne sa vie musicale entre la France et l’Italie. Philippe Rosengoltz a étudié le piano à Reims, travaillé comme pianiste, arrangeur avec Jérôme Savary de 2008 à 2012. Il évoque la grande tradition du piano jazz post Oscar Peterson en général et McCoy Tyner parfois («Played Twice»), avec une qualité d’écoute qui contribue à la qualité de ce disque. Michel Altier, qui a découvert le jazz avec Guy Labory, le fondateur aujourd’hui disparu du festival Jazz à Nîmes, est un bassiste de référence dans la région, «le plus connu» du groupe. Ils forment avec Michael Santanastasio une belle section rythmique. Le batteur, italo-américain, venu de New York en 2005, a étudié avec Jimmy Heath et les regrettés Alan Dawson, Roland Hanna. Il a côtoyé dans sa vie outre-Atlantique Bobby Watson, Bobby Porcelli, Bill Pierce et, localement, il a joué avec Daniel Huck. Comme ses compagnons, dans cet enregistrement, il est à l’écoute, musical avant tout. Tous participent à ce disque de jazz où la musique ne se cherche pas parce qu’elle est au centre de la culture jazz. Cet indispensable Soulful Days, qui fait peut-être référence à l’album réunissant Don Patterson, Pat Martino, Jimmy et Albert Heath (Muse), porte dans son titre comme dans la musique la grandeur et la nostalgie d’une autre époque. Pourquoi est-ce seulement le premier disque de jazz de cette qualité de Vittorio Silvestri? Mystère, il a du jazz plein les doigts! Pour la suite, pour l’artiste et pour le jazz, on les croise (les doigts).

Yves Sportis
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Adrien Chicot
Playing in the Dark

Late, Fourth Floor, Under The Tree, Blue Wall, Key For Two, Playing In the Dark, Bacpack, Lush Life, Sunset With the Birds
Adrien Chicot (p), Sylvain Romano (b), Jean-Pierre Arnaud (dm)

Enregistré en juillet 2016, Pompignan (Gard)

Durée: 41’

Gaya Music Production 034 (Socadisc)


Malgré le titre de l’album, la musique d’Adrien Chicot scintille dans la lumière et brille d’un feu endiablé. Après un premier album, All In, très réussi, le jeune pianiste reprend la même équipe et ranime la flamme qui le porte en première ligne de la jeune garde française. Son trio, avec Sylvain Romano et Jean-Pierre Arnaud tourne comme un seul homme et livre tous les combats. On avait déjà remarqué Adrien Chicot au sein du quartet de Samy Thiebaut (ts) et du quintet de Julien Alour (tp), qu’il servait parfaitement. Mais en leader son rôle et son talent s’affirment encore plus. Punch, rythme, souffle tout contribue à la qualité et l’efficacité de ces neuf titres: pas de temps mort, direct à l’essentiel. A l’exception de «Lush Life» de Billy Strayhorn, le répertoire entièrement signé de sa main varie les climats et donne un album complet, très agréable à écouter. En véritable symbiose, la rythmique transcende le clavier qui n’a de cesse d’élever le dialogue vers le firmament. Clarté du son des instruments et qualité de l’enregistrement servent ce second album. Son salut au répertoire de Duke Ellington se veut en solo et le pianiste n’a pas à rougir de sa version, qui tient la comparaison avec les maîtres d’outre-Atlantique. Pour calmer les esprits, «Sunset With the Birds» est introduit et parsemé de chants d’oiseaux qui rapidement s’envolent vers un horizon lointain déclinant comme le coucher attendu et nous apaisent.


Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueBen Rando
True Story

Walk Along, True Story, One Heart, Clear Midnight, Better Angels, Sail, Moments, Dandy’s Waltz, Peace
Ben Rando (p), Sarah Elisabeth Charles (voc), Yacine Boularès (ts), Federico Casagrande (g), Sam Favreau (b), Cedrick Bec (dm)

Enregistré en juillet 2016, Saint-Cannat (13)
Durée: 48'

Onde Music 3 (InOuïe)

Bien qu’il s’agisse du premier album sous son nom, le pianiste et compositeur Benjamin «Ben» Rando avait déjà fourbi ses armes avec deux productions soignées, celle de la chanteuse Anna Farrow, Days & Moods, et celle du quintet Dress Code, Far Away, qu’il dirigeait. Son rôle dépasse largement celui du musicien et il intervient dans la prise de son et le mixage dans le Studio Eole qu’il a créé dans la campagne aixoise. True Story nous invite à écouter ses dernières compositions. Il est ainsi l’auteur de la totalité des titres, à l’exception de Peace d’Horace Silver. A ses côtés, on retrouve sa rythmique habituelle, solide et confortable, et un plateau international avec des compagnons de route tels le saxophoniste franco-tunisien, Yacine Boularès, le guitariste italien, Federico Casagrande et la chanteuse haïtienne Sarah Elisabeth Charles. Surprise ou coïncidence de l’actualité, ses trois invités viennent de faire paraître leur propre album respectif. On retrouve tout au long de cette «histoire vraie» un climat au beau fixe, tel le caractère calme et apaisant du leader qui nous délivre une suite de titres bien enchainés, comme un voyage du solitaire vers l’apaisement final. Nulle esbroufe ici, les solos sont au moment voulu et ne s’éternisent pas, un album au temps resserré que l’on écoute d’une seule traite. Quelques clins d’œil à l’atmosphère de musiques de films, une voix brésilienne qui fredonne au lointain (Flora Purim?), ballades et balades sur des sentiers tranquilles, les musiciens sont complices d’un moment volé d’un bel après-midi méditerranéen. La voix charmante de Sarah Elizabeth Charles accompagne le pianiste sur la majorité de l’album et que ce soit de l’introduction «Walk Along» au final «Peace» sa présence accentue la quiétude et la chaleur de l’album. A noter que la chanteuse est la protégée de Christian Scott qui a produit son album.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018

Michel Pastre Quintet
Feat. Dany Doriz & Ken Peplowski

Downhome Jump, Shoe Shiners Drag, Avalon, Singin’ the Blues, Hampton Stomp, Don’t Be That Way, Jack the Bellboy, Ring Dem Bells, Moonglow, Airmail Special, Six Appeal, Flying Home
Michel Pastre (ts), Malo Mazurié (tp), David Blenkhorn (g), Sebastien Girardot (b), Guillaume Nouaux (dm) + Ken Peplowski (cl), Dany Doriz (vib)
Enregistré les 26 janvier et 27 février 2017, Dreux (28)

Durée: 48'49''
Autoproduit MPQ002 (mpastre@sfr.fr)

Ce disque en hommage à Lionel Hampton s’inscrit dans la suite du précédent album de Michel Pastre, l’indispensable Charlie Christian Project (Jazz Hot n°673). Le vibraphoniste et le guitariste ayant été associés au sein des petites formations de Benny Goodman (on en conserve la trace dans un enregistrement du Benny Goodman Sextet d’octobre 1939), c’est donc une évocation de ces trois grands musiciens qui nous est ici proposée. Membre de l’excellente Section Rythmique (qui accompagnait déjà Michel Pastre dans l’enregistrement antérieur), David Blenkhorn endosse de nouveau le costume de Charlie Christian. Alors que la formation est ici enrichie de la présence de Malo Mazurié (un des grands talents de la nouvelle génération), elle accueille deux invités de marque: Ken Peplowski, souvent comparé à Benny Goodman et qu’il accompagna d’ailleurs (au saxophone ténor) ainsi que Dany Doriz, fils spirituel de Lionel Hampton auquel il ne cesse de payer son tribut de concert en concert; soit deux solides interprètes à la filiation assumée. On a donc ici affaire à une réunion de solistes tous du meilleur niveau, à commencer par le leader, Michel Pastre, dont l’expressivité est à son sommet (il est magnifique sur «Moonglow»); le ténor nîmois ayant assimilé le jazz au point de le pratiquer avec la même authenticité que les saxophonistes de culture afro-américaine. Le dialogue avec Malo Mazurié est particulièrement intéressant d’autant que le jeune homme ne cesse de nous épater par l’intensité de son jeu. Comme à son habitude, la rythmique Blenkhorn-Girardot-Nouaux nous réserve un accompagnement au cordeau. On note les solos inspirés de David Blenkhorn, joliment bluesy sur «Singin’ the Blues», le soutien impeccable de Sebastien Girardot et les introductions énergiques de Guillaume Nouaux («Avalon» et «Hampton Stomp»). Enfin, les deux maîtres du swing invités déroulent une belle démonstration: Ken Peplowski (aérien sur «Downhome Jump») comme Dany Doriz (tout en nuances sur «Don’t Be That Way») nous régalent de leurs interventions. Et c’est sans doute le swinguissime «Airmail Special» qui, nous permettant d’apprécier chacun des intervenants, se révèle le titre le plus réjouissant de ce disque dont on savoure chaque note. Splendide.

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Akpé Motion
Migrations

The Clock, Désert, Migrations, Bedesakalava, Antsiranana, Aurore, MB de Grande Terre, Automate, Rue Colbert
Alain Brunet (tp, bg, voc), Jean Gros (g), Sergio Armanelli ou Chacha Taua (b), Pascal Bouterin (perc), Hanitra, Julia Caldera (voc)

Enregistré en juillet 2014, Salon-de-Provence (13)

Durée: 46' 43''

Great Winds 3153 (Musea)

Président du festival Parfum de jazz, dans la belle Drôme provençale (voir notre compte-rendu dans ce numéro), Alain Brunet a eu plusieurs vies: grand commis de l’Etat (sous-préfet, conseiller puis chef de Cabinet de Jack Lang au ministère de la Culture et de l’Education nationale, co-créateur de La Cinquième, future France 5…), il n’a jamais cessé d’être parallèlement trompettiste de jazz. Aujourd’hui retraité, le jazz l’occupe à plein temps. Globe-trotter dans l’âme, il rencontre Pascal Bouterin de retour d’un voyage au Togo et fonde avec lui en 2008 le groupe «Akpé» («merci» en togolais).
Migrations
est le deuxième album du groupe (après Loco-Motion en 2014), un album entre musiques du monde et un «jazz psychédélique» qui oscille entre Miles période électrique (la filiation dans le jeu d’Alain Brunet est sans équivoque) et... Pink Floyd. Le disque, qui s’ouvre avec la voix d’Alain Brunet récitant un passage du poème «Exil» de Paul Eluard, évoque l’errance et ses drames épouvantables qui nourrissent l’actualité. Un projet à réserver aux amateurs de fusion et d’explorations transfrontalières.

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Albert Bover Trio
Live in Bilbao

How Deep Is the Ocean, Luiza, 45’, Verdad Amarga, Sis per Vuit, Nosferatu, Raynald’s Doubt, The Wedding
Albert Bover (p), Masa Kamaguchi (b), Jorge Rossy (dm)

Enregistré en 2011, Bilbao (Espagne)

Durée: 1h 14'
Moskito Rekords 002 (www.jazz-on.org)

Albert Bover, tout comme Jorge Rossy, sont deux personnalités qui marquent de leur empreinte, depuis plus de trente ans, le jazz en Espagne. Bover place ce disque sous le signe du swing et ne perd pas de temps. Dès les premières mesures de «How Deep Is the Ocean», cette caractéristique du jazz est présente et tant Rossy que le contrebassiste Kamaguchi –installé à Barcelone– y apportent leur contribution. «Luiza» est d’une grande douceur avec des notes égrenées lentement et un travail discret du batteur. Dans «45’», la première des quatre compositions d’Albert, on relève le beau solo de Kamaguchi; le swing entre progressivement et le tempo va en accélérant. Le pianiste offre une version personnelle, une vision jazz, du boléro «Verdad Amarga» à laquelle évidemment les meilleurs des artistes latinos Consuelo Velázquez, Pablo Milanés, José Feliciano… ne nous avaient pas habitués. On apprécie la fluidité du style de Bover. «Sis per Vuit» peine un peu à démarrer mais le swing émerge jusqu’au délicieux decrescendo final. Une certaine appréhension naît à la lecture du titre «Nosferatu». Allons-nous entendre un jazz d’outre-tombe? Ce film muet, historique, a captivé Albert et c’est à une sorte d’hommage à Murnau, son auteur, que nous convie le pianiste-compositeur. Le thème, très nostalgique, n’est pas spécialement jazz mais beau. Toute la science du piano que possède Bover peut être appréciée. Ses partenaires le servent avec discrétion et à propos. Le thème a plu et le public manifeste son plaisir. Que le live est valorisant! Retour au jazz avec une très belle composition d’Albert, «Raynald’s Doubt», une sorte d’hommage à un trompettiste Catalan Raynald Colom. Rossy et Kamaguchi sont excellents derrière Bover et portent une responsabilité dans l’excellent swing. Bon solo de Jorge. Albert Bover offre pour terminer une superbe version de l’œuvre d’Abdullah Ibrahim, «The Wedding». En l’absence d’orchestre à cordes, présent dans The African Suite, ou de saxophones comme lors d’autres prestations de Ibrahim live, toute l’attention se porte sur Bover qui étale sa maîtrise du piano et donne au thème une sensibilité davantage jazz. L’accompagnement se fait tout en nuances et douceur.
Tout au long du disque on sent une parfaite osmose entre les membres du trio qui visiblement on la même perspective sur le jazz
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Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Albert Bover & Marco Mezquida
Live at Sunset. Duo Nosferatu

O Haupt voll Bult und Wunden, Dôce de Coco, Nosferatu, Cleaning Blood off the Keyboards, In Walked Bud, Graceful Ghost Rag, Menguante, Devil May, The Wedding
Albert Bover (p), Marco Mezquida (p)

Enregistré le 25 avril 2015, Girona (Espagne)

Durée: 1h 02’
Autoproduction (www.albertbover.com)

Changement d’ambiance pour ce très beau duo entre Albert Bover et Marco Mezquida (Minorque, 1987). Ce dernier, qualifié d’étoile montante du piano en Espagne –ancien élève du premier–, est aujourd’hui très recherché par ses collègues jazzmen. Si la France l’ignore encore, Marco a déjà écumé les salles d’Espagne et les plus grands clubs de New York, de San Francisco, d’Allemagne, de Hollande, d’Autriche et du Japon. Sa formation classique transparaît dans ce travail live qu’il offre avec son aîné et qui s’annonce dans le premier thème de… Bach. Les deux pianistes ne tardent pas à profiter des possibilités offertes par celui-ci pour s’affranchir de lui, proposer des improvisations, des changements de tempo qui nous rapprochent un peu du jazz. On sent parfaitement, tout au long des thèmes, que ce travail n’a pas été construit mais a jailli in situ au Sunset Jazz Club de Girona. Il est bel et bien le fruit d’une osmose entre deux artistes qui sont en empathie depuis un bout de temps. Ils s’écoutent et on doit supposer qu’ils s’écoutent au-delà de ce disque. On note aussi que le style de l’un influence la manière de jouer de l’autre. Du moins, on le perçoit dans le sens Mezquida-Bover, si on écoute ce disque juste après celui en trio. On peut supposer que l’inverse doit être vrai mais il faudrait mieux connaître le travail de Marco.
Les choix d’Albert Bover quant aux thèmes sortent vraiment des sentiers battus. Le second titre, «Dôce de Coco», est une composition d’un musicien brésilien très peu connu, joueur de mandoline, Jacob do Bandolim. C’est un chorro dans lequel Mezquida apporte de la vigueur. La seule composition de Bover inclue ici, «Nosferatu», garde l’esprit qu’elle possède dans le disque en trio, un tempo lent, une grosse charge de mystère, des modulations permanentes. Là comme ailleurs les deux artistes n’ont aucunement un rôle défini. Marco lance le thème puis la musique va et vient au gré de leurs désirs. Si jamais leurs interventions dans la conversation se chevauchent, immédiatement l’un ou l’autre reprend le dialogue. Rôle de la main droite, de la main gauche, tout ça n’a pas de sens dans leurs échanges. Mais le fait de pouvoir écouter Albert dans l’oreillette gauche et Marco dans la droite est un bonus pour bien appréhender le style de chacun, la maturité de Bover et la fraicheur de Mezquida, de mieux noter les prises de parole successives mais aussi de percevoir cette influence qu’ils exercent l’un sur l’autre Bover attribue le thème suivant à un Nosferatu sorti de son imaginaire. A peine quinze secondes de plaisanteries musicales! Sur le thème de Monk,«In Walked Bud»,on entre davantage dans le jazz bien que Monk soit trituré dans une alternance de questions-réponses entre Albert et Marco. L’utilisation du stride est aussi une référence-hommage à Thelonious. Le thème est prétexte à de belles improvisations de la part de nos deux pianistes. Ça swingue tout au long des six minutes et demie. Sous le casque, on perçoit bien qui joue quoi et quand et c’est un atout pour bien appréhender chacun des pianistes. Un bon moment de musique que les plus classiques des jazzophiles apprécieront. Bover continue de chercher l’inspiration chez d’excellents compositeurs moins célèbres. C’est le cas pour«Graceful Host Rag» de William Bolcom. Les influences de Milhaud, Messiaen restent perceptibles dans l’interprétation que donnent Albert et Marco qui s’éloignent du jazz. Le thème de l’autorité de Mezquida,«Menguante» est une jolie ballade impressionniste. Belle rupture avec le morceau suivant, un succès de Sinatra, «Devil May». Le tempo s’accélère, les doigts de Mezquida s’énervent sur les touches.
Comme le disque en trio, celui-ci finit en beauté avec le thème d’Abdulah Ibrahim, «The Wedding». Le duo en donne une version chargée d’émotion. L’interprétation est magnifique, quasi magique. Les deux pianistes se sortent les tripes dans leurs improvisations.

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Akua Dixon
Akua's Dance

I Dream a Dream, Dizzy’s Smile, If My Heart Could Speak to You, Orion’s Gat, Akua’s Dance, Throw It Away, Afrika/Afrika, The Sweetest Taboo, I’m Gonna Tell God all of My Troubles, Don’t Stop
Akua Dixon (cello, vln, bar, voc), Freddie Bryant, Russel Malone (g), Kenny Davis, Ron Carter (b), Victor Lewis (dm)
Enregistré en 2016, Union City (New Jersey)
Durée: 55' 07''
Akua’s Music 48103 (www.akuadixon.com)

Dès la première écoute de cet album on sait que l’on tient une pépite, une rareté qui ravit nos oreilles et notre cœur. On note là d’ailleurs un vrai dysfonctionnement dans l’économie actuelle du jazz: comment expliquer qu’aucun label n’ait sorti ce disque (le personnel est un all-stars!), obligeant le leader à le produire lui-même… Car Akua Dixon, grande prêtresse du violoncelle, joue aussi du violon et du baryton sur cet enregistrement, et nous enchante avec un répertoire signé de sa main ou de grandes dames nommées Abbey Lincoln et Sade.Tous les titres sont dignes d’intérêt et leur traitement, souvent assez calme, délivre une atmosphère de sérénité dans une maîtrise totale de leur interprétation. La rythmique excelle, que ce soit Kenny Davis ou Ron Carter à la contrebasse, leur assise est parfaite, complétement claire, à l’écoute et au service de la soliste. Idem pour les guitaristes, Freddie Bryant ou le célèbre Russel Malone dont les notes nous enchantent et dont les solos, toujours brefs cisèlent les compositions. On peut s’arrêter en particulier sur «Afrika/Afrika», où le dialogue cello/contrebasse, avec Ron Carter, rejoint par Russel Malone, nous emporte vers des chemins sonores merveilleux. La reprise de «Throw It Away», où Akua Dixon chante aussi et se lance le défi de passer après Abbey Lincoln, est réussie; l’arrangement empruntée à la bossa nova serait sans doute reconnue par la grande chanteuse. La légèreté de «The Sweetest Taboo» s’élève comme un hymne au ciel, le son du cello qui remplace le chant nous murmure des douces notes, sensuelles comme la voix de Sade. Tout est à citer, surtout l’introduction «I Dream a Dream» qui immédiatement nous prédit qu’il va s’agir d’un album qui deviendra un album de chevet. Puisant dans son héritage traditionnel de negro spiritual «I’m Gonna Tell God all of My Troubles» livre un formidable duo avec Freddie Bryant qui avant le final nous plonge dans la méditation. Si on se pose la question du swing d’Akua Dixon, il suffit d’écouter le final «Don’t Stop» qui, dans un crescendo délicat, flirte de nouveau avec la bossa nova. Il ne faut pas oublier le jeu subtil de Victor Lewis, grand batteur et fignoleur devant l’éternel: mais depuis l’époque où il accompagnait Stan Getz on le savait déjà.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Duke Robillard
Blues Full Circle

Lay a Little Lovin’ on Me, Rain Keeps Falling, Mourning Dove, No More Tears, Last Night*, Fool about my Money, The Mood Room**, I’ve Got a Feelin’ That You’re Foolin’, Shufflin’ and Scuffin’°, Blues for Eddie Jones,You Used to Be Sugar, Worth Waitin’ On, Come with Me Baby
Duke Robillard (g, voc), Bruce Bears (p, org), Brad Hallen(b), Mark teixeira (dm) + Sugar Ray Norcia (voc)*, Kelley Hunt (voc, p)**, Jimmie Vaughan (g)°, Sax Gordon Beadle (ts, bs)*, Doug James (bar)°
Enregistré en avril 2016, West Greenwich, Pawtucket (Rhode Island) et Lenexa (Kansas)
Durée: 54' 14''
Dixiefrog 8792 (www.bluesweb.com)

Avec huit nouvelles compositions au compteur, Duke Robillard continue de faire vivre l’idiome qui lui colle à la peau depuis cinquante ans maintenant. Ce qu’il propose tient forcément la route. Au menu, guitares plaintives, voix profondément rocailleuse, éclats de piano, profondeur de notes d’Hammond, rythmique bien en place et, pour pimenter le tout, des invités de qualité. Honneur à Jimmie Vaughan, le frère de Stevie Ray toujours présent pour porter haut les couleurs du Texas. Sur «Shufflin’ and Scufflin’», il reste relativement sage laissant la lumière à l’orgue de Bruce Bears, mais n’en demeure pas moins redoutable dans ses interventions. Sur cette compo du Texan, il bénéficie aussi de la présence Doug James (bar) pour donner encore plus de rondeurs aux propos. La présence de la blueswoman Kelley Hunt sur «The Mood Room», apporte une touche de fraîcheur et de légèreté à cette production, qui permet au programme de se dérouler avec des variations intéressantes. La voix succède aux notes du piano, les sons de l’Hammond se combinent avec les bending sur la guitare. Avec Blues full Circle, le florilège du blues s’expose sans retenue pour perpétuer la tradition.

Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Neal Black / Larry Garner
Guilty Saints

God Today, Guilty, A Friend Like You, Saints of New Orleans, Better Days, Do Not Stand at My Grave and Weep, Back at It Again, Bad Things Good People, You Can’t Do It, Chances, Ride with Me, Neighbor Neighbor
Larry Garner (g, voc), Neal Black (g, voc),Pascal Bako Mikaelian (hca), Christophe Duvernet (acc), Mike Lattrell (p, org), Kris Jefferson (b, perc), Jean Michael Tallet (dm), Larry Crockett (perc), Leadfoot Rivet (voc)
Enregistré à Baudonvilliers (55) et Carpentras (84), date non précisée
Durée: 52' 40''
Dixiefrog 8787 (www.bluesweb.com)

Après un long break, dû à des problèmes de santé, Larry Garner revient dans la lumière en compagnie de Neal Black. Pour l’occasion, les deux compères se sont fendus de plusieurs titres écrits à quatre mains et d’autres composés séparément. Larry Crocket et Leadfoot Rivet sont là pour les accompagner sur l’album. Guilty Saintsdébute avec une couleur blues marquée et des chants entrecroisés entre les deux intervenants. Cette relation au blues profond se perpétue sur les morceaux qui suivent. L’orgue de Mike Latrell colore de ses notes profondes «Saints of New Orleans», avant que le combo ne s’encanaille pour swinguer davantage avec la bénédiction de l’harmonica de Pascal Bako Mikaelian («Better Days»). La mise en musique du poème de Mary Frye («Do Not Stand at My Grave and Weep») évoque par moments les premiers albums de Santana, quand le blues le marquait encore profondément. C’est ensuite une compo de Garner qui lui succède et qui possède ce côté West Coast doucereux, avec ses arpèges de piano électrique («Back at It Again») et ses jolis déroulés de guitare. L’album se termine comme il avait commencé par des pièces très ancrées dans la tradition rurale («Ride With Me») ou plus soul («Neighbor, Neighbor»). De belles ballades entre bayou, église et club pour un voyage réussi.

Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Fred Chapellier
It Never Comes Easy

It Never Comes Easy, You Only Know my Name, Let Me Be Your Loving Man, Changed Minds*, A Silent Room, Never Be Fooled Again, Funk It, Made in Memphis, I Thank You, I Have to Go, Something Strange, In The Lap of the Gods
Fred Chapellier (g, voc, b*), Charlie Faber (g), Abder Benachour (b), Denis Palatin (dm), Guillaume Destarac (dm), Johan Dalgaard (kb)
Enregistré à Noyant-la-Gravoyère (49), date non précisée
Durée: 48' 20''
Dixiefrog 8789 (www.bluesweb.com)


Avec ce nouvel opus, Fred Chapellier reste dans l’univers qui a fait sa réputation: le blues. Sa guitare télé ou strato est toujours aussi étincelante quand ses doigts partent sur le manche à la rencontre du corps de son instrument. Ses textes restent eux aussi dans l’esprit, évoquant, l’amour, la folie ou Memphis. Pour l’accompagner, il a une nouvelle fois fait appel à Abder Benachour (b) et Denis Palatin (dm). S’il maîtrise bien les fondements du Chicago blues, il n’hésite pas à aborder le registre plus soft du west coast blues avec le soutien de Johan Dalgaard (kb) sur «Never Be Fooled Again». L’ambiance funk lui convient aussi avec «Funk It», puis, telle une randonnée en montagne, Chapellier nous fait redescendre dans les méandres du Mississippi («I Have to Go») et ce départ nous emmène directement vers des rêves étranges qui remplissent ses nuits de french bluesman. L’album se clôt avec de jolis mouvements de guitare comme pour nous faire atterrir de ce voyage organisé en pays bleu
.

Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Louis Prima Forever
Joue Disney

Heigh Ho, Bibbidi-Bibbidi-Boo, Everybody Wants to Be a Cat, I Wanna Be Like You, Someday My Prince Will Come, Dream Medley, Chim Chim Cher-ee, My Own Home, Supercalifragilisticexpialidocious, Bella note, Whistle While You Work, The Bare Necessities, Who’s Afraid of the Big Bad Wolf, When You Wish Upon a Star
Patrick Bacqueville (lead voc, tb), Pauline Atlan (voc), Michel Bonnet (tp, voc), Claude Braud (ts, voc), Nicolas Peslier (g), Fabien Saussaye (p), Enzo Mucci (b), Stéphane Roger (dm)
Entregistré les 30, 31 janvier, 1er et 2 février 2017, Paris
Durée: 45' 23''
Autoproduit (stefroger@wanadoo.fr)


Les musiciens de jazz ayant consacré des albums aux chansons des films de Walt Disney sont nombreux, à commencer par Louis Armstrong (Disney Songs the Satchmo Way, 1968) car elles constituent un corpus de standards tout à fait valables. C’est particulièrement vrai des longs-métrages possédant une bande-son jazz: Les 101 dalmatiens (1963),  Le Livre de la jungle (1967), Les Aristochats (1970) et, plus récemment, La Princesse et la grenouille (2009) qui prend place à New Orleans et met en scène, pour la première fois, une héroïne afro-américaine. En outre, Louis Prima a été étroitement associé à la conception du Livre de la jungle (dernier long-métrage à avoir été supervisé directement par Walt Disney, décédé en 1966) et a inspiré et doublé le personnage de King Louie, l’orang-outan.

D’où l’idée de la joyeuse bande de Louis Prima Forever de reprendre, pour son deuxième CD, le répertoire Disney à la façon du «King of the Swingers». Y figure évidemment deux titres tirés du Livre de la Jungle («I Wanna Be Like You», «The Bare Necessities») et un des Aristochats («Everybody Wants to Be a Cat»), mais ce sont surtout les compositions écrites dans un esprit proche de Broadway (et fort bien réarrangés, à la sauce jazz, par Michel Bonnet) qui sont l’objet de ce disque, à l’instar de «Someday My Prince Will Come» (Blanche Neige et les sept nains, 1937), titre à succès, bien au-delà du film, et adopté de longue date par les jazzmen (Miles Davis, Bill Evans, Hank Jones…). Si le mimétisme vocal de Patrick Bacqueville avec Prima est saisissant, le groupe ne se contente pas pour autant d’une imitation-hommage mais propose un vrai disque de jazz, tout à fait réjouissant, parsemé de clins d’œil humoristiques. Un CD à offrir aussi aux enfants, pour leur initiation au jazz.

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Paddy Sherlock
Too Good to Be True

You’re too Good to Be True, Sugar Sugar in Your Bowl, Kill Me With Your Kiss, More, The Girl From Union Hall, Emma Tais-toi, Babe our Love Is Here to Stay, Take Me Take Me, On Raglan Road, The Girl From Pontchartrain, By’n By, Going Down Dancing
Paddy Sherlock (voc, tb), Manu Faivre (tp), Mathieu Bost (as, cl), Stan Noubard Pacha (g), Yarol Poupaud (b, bjo), Melissa Cox (vln), Hervé Koury (kb, acc), Laurent Griffon (b), Philippe Radin (dm), Jean-Philippe Naeder (perc), Ellen Birath, Ayélé Labitey, Brisa Roché (voc)
Enregistré en 2017, Paris
Durée: 49' 26''
Autoproduit (www.paddysherlock.com)

Ellen Birath / Paddy Sherlock
Ella & Louis. A Tribute

A Foggy Day, Under a Blanket of Blue, Isn’t This a Lovely Day, Can’t We Be Friends, The Nearness of You, Cheek to Cheek, Tenderly, Don’t Be That Way
Ellen Birath (voc), Paddy Sherlock (voc, tb), César Pastre (p)
Enregistré en 2017, Paris
Durée: 38' 44''
Autoproduit (www.paddysherlock.com)

Le zébulonesque tromboniste-chanteur Paddy Sherlock, qui anime les dimanche soirs parisiens depuis trente ans (voir son interview dans Jazz Hot n°671), est avant tout un artiste de scène, un «entertainer». Il offre néanmoins, de temps en temps, une petite galette en autoproduction à ses afficionados, réalisée avec les musiciens et le répertoire du moment. Fidèle à l’esprit festif des live, la cuvée 2017, Too Good to Be True, propose un mélange de styles (jazz, reggae, folk irlandais…) autour de compositions originales de Paddy (paroles comprises). On y retrouve les complices de longue date (Jean-Philippe Naeder, Philippe Radin…) et deux duos avec deux chanteuses de talent que Paddy a généreusement mis dans la lumière, il y a déjà quelques années: Brisa Roché sur «Take Me, Take Me» et Ellen Birath sur «You’re too Good to Be True».
Avec la seconde, Paddy Sherlock a enregistré parallèlement un autre projet, plus centré sur le jazz, issu d’une série de concerts donnés en trio avec César Pastre, au pub Tennesse-Paris, entre l’automne 2016 et le printemps 2017 (voir notre compte-rendu dans Jazz Hot n°677). Ce Ella & Louis. A Tribute est un hommage à l’un des sommets de la discographie jazz: Ella and Louis (Verve, 1956) et Ella and Louis Again (Verve, 1957). Un Everest que les deux vocalistes abordent avec simplicité et naturel. Dans le rôle d’Ella, Ellen Birath arbore un swing absolument charmant et l’on ne saurait trop l’encourager à creuser davantage le sillon du jazz, auquel elle a beaucoup à offrir. Dans le rôle de Louis, Paddy donne la réplique à Ellen avec truculence, laissant libre cours à sa fantaisie, sans chercher l'imitation. Quant au troisième larron de l’affaire, César, il produit un accompagnement impeccable, remarquable même sur «The Nearness of You». Un CD délicieux.

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Marie-Laure Célisse & The Frenchy's
Dansez sur moi

Douce France, N.O.U.S., Mon homme, C’est merveilleux, Déhanche toi, Honnête morose et à sec, La Javanaise, Nationale 7*, Caravane, Avec toi je m’sens jeune, Bohème, Dansez sur moi
Marie-Laure Célisse (voc, fl), César Pastre (p), Brahim Haiouani (b), Lucio Tomasi (dm) + Drew Davies (ts)*
Enregistré les 18 et 19 février 2017, Fère-en-Tardenois (02)
Durée: 57' 18''
Autoproduit MLC17001 (mlaure.celisse@gmail.com) 


Le disque dont il est ici question est né de la complicité (à la scène comme à la ville) entre une jeune flûtiste classique devenue chanteuse, Marie-Laure Célisse, et un non moins jeune pianiste tombé dans le swing dès sa petite enfance, César Pastre (que nous vous présentons dans ce numéro 681). Au menu de ce premier album, des standards du jazz chantés en français ou des chansons françaises chantées en jazz (et une composition). Un parti pris intéressant (l’exercice a connu de nombreux précédents: Mimi Perrin, entre autres) qui prend ici la forme d’une rencontre entre deux expressions musicales: d’un côté, la chanson (Marie-Laure) de l’autre, le jazz, avec le trio des «Frenchy’s». Deux expressions qui se superposent ici fort bien (Trenet, Gainsbourg ou Nougaro, judicieusement choisis, illustrent cette tradition de la chanson française imprégnée de jazz); tandis que, lorsque elle intervient à la flûte, Marie-Laure Célisse embrasse le registre du jazz à l’unisson de ses musiciens, les protagonistes du disque formant alors un véritable quartet (on apprécie d’ailleurs, tout particulièrement, la partie instrumentale sur «Caravane»/«Caravan»). On aurait aimé en entendre davantage sur ce plan-là et sans doute qu’il y aurait matière à nourrir de futurs projets. A moins que Marie-Laure Célisse ne fasse usag
e de sa personnalité pour construire une œuvre originale, orientée vers une «chanson à texte» au plus près du jazz, façon Nougaro. On reste curieux de voir comment ses chemins musicaux vont se dessiner.

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Bobby Watson
Made in America

The Aviator «For Wendell Pruitt», The Guitarist «For Grant Green», The Butterfly «For Butterfly McQueen», The Cyclist «For Major Taylor», The G.O.A.T. «For Sammy Davis, Jr.», The Entrepreneur «For Madam C. J. Walker», The Jockey «For Isaac Murphy», A Moment of Silence, The Real Lone Ranger «For Bass Reeves», The Computer Scientist «For Dr. Mark Dean», I've Gotta Be Me
Bobby Watson (as), Curtis Lundy Trio (b), Stephen Scott (p), Lewis Nash (dm)

Enregistré le 13 décembre 2016, New York

Durée: 1h 03' 30''

Smoke Sessions Records 1703 (www.smokesessionsrecords.com)

«C’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleurs confitures». Ce proverbe très français (donc tourné vers la dimension gustative de notre culture) convient très bien au jazz et particulièrement à Bobby Watson, aujourd’hui un aîné, qui nous donne un disque exceptionnel, en brillante compagnie du trio de Curtis Lundy, avec un bon Stephen Scott et le grand Lewis Nash. Bobby Watson (Jazz Hot n°664 et Spécial 2005, entre autres) appartient à la longue liste des Messengers d’Art Blakey dont il a été l’un des directeurs musicaux; plus de 25 ans après la disparition de l’emblématique leader, il continue de porter la bonne parole du jazz, à New York comme ici, ou dans son Kansas City et lors de tournées en Europe. Le jazz pour Bobby Watson et nombre de ses pairs musiciens, artistes, comme pour nous à Jazz Hot, ne s’arrête pas à une expression formellement codifié ou une étiquette de vente, mais il est l’expression d’une culture populaire, le fruit d’une longue histoire, artistique mais pas seulement, dans laquelle la déportation et l’esclavage restent les étapes fondatrices de leur art, et pour laquelle l’émancipation réelle (l’égalité réelle, pas celle de façade ou des textes légaux) demeure un objectif à ne jamais perdre de vue. On les comprend au regard de l’actualité américaine, on le sent dans ce XXIe siècle où les inégalités s’accroissent de concert avec les communautarismes et les privilèges.
C’est pourquoi, de nombreuses œuvres artistiques afro-américaines, pas seulement musicales, y font toujours référence, et ce disque est l’une d’elles, qui propose une suite de onze compositions dédiées à des personnalités afro-américaines qui ont contribué à cette quête, qui reste, comme celle du Graal, une ligne d’horizon, un idéal: ainsi sont présents dans le choix de Bobby Watson l’aviateur
Wendell Oliver Pruitt (1920-1945), l’un des célèbres Tuskegee Airman (la première unité de pilotes afro-américaine qui s’illustra dans la Seconde Guerre mondiale); l’actrice Butterfly McQueen (1911-1995), le champion cycliste Marshall Major Taylor (1878-1932), champion du monde en 1899. Madame C.J. Walker (1867-1919), célèbre femme d'affaires. Isaac Burns Murphy (1861-1896), le plus célèbre des jockeys américains; Bass Reeves (1838-1910), le premier US Marshall à l’ouest du Mississippi; Mark E. Dean (1957, l’un des inventeurs de l’ordinateur personnel). La musique n’est pas oublié avec Grant Green, le guitariste dont le sens mélodique est pour beaucoup dans l’esthétique de Blue Note (époque Alfred Lion-Francis Wolff), et le polyvalent Sammy Davis, Jr. est gratifié de GOAT (Greatest of All Time) pour ses talents multidimensionnels, y compris dans le cadre de la lutte pour l’émancipation.
Au-delà de Martin Luther King, qui fait partie –pour les Afro-Américains et ils ont raison– des pères fondateurs des Etats-Unis, au même titre que Washington, Jefferson, Franklin, Lincoln, ce genre d’hommage à des membres célèbres de la société civile afro-américaine est fréquent dans ce monde américain plus ségrégué que jamais en 2017, où toutes les communautés, mêmes les natives (les Amérindiens), ont besoin de se sentir exister à côté de «l’aristocratie» supposée des Euro-Américains, et entre elles. Même la pauvreté y est redevenue une cause de ségrégation majeure et être une femme reste, comme toujours et partout, la cause de ségrégation la plus répandue.
Les titres choisis pour cette galerie de portraits musicale sont évocateurs. La musique est de haut niveau pour cet album composé en totalité par Bobby Watson, à l’exception d’un titre de Curtis Lundy, un de Stephen Scott et d’un standard très particulier que chanta d’ailleurs Sammy Davis, Jr. et dont le premier couplet dit justement:
«
Whether I'm right or whether I'm wrong
Whether I find a place in this world or never belong
I gotta be me, I've gotta be me

What else can I be but what I am»

Le message de ce disque, sous la forme d’un bel album d’une excellente musique, est donc on ne peut plus clair. Il prolonge celui de Louis Armstrong, Duke Ellington, Ella Fitzgerald (qui chanta aussi ce thème), Billie Holiday, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Max Roach, Mahalia Jackson, Ray Charles («Georgia»), Charles Mingus, John Coltrane pour ne parler que des plus célèbres. C’est aussi à ce point très précis, et pas si fréquent, qu’on discerne avec une certaine  évidence ce qui est de l’art et du jazz de ce qui n’en est pas. C’est toujours le révélateur, le marqueur absolu. Les artifices, même techniquement sophistiqués, ne peuvent jamais se substituer à cette sublimation indispensable de la condition humaine.
Bobby Watson, en bon disciple du grand Art Blakey, nous rappelle le message avec sa modestie habituelle.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Heads of State
Four in One

Four in One, And He Called Himself a Messenger, Dance Cadaverous, Moose the Mooche, Aloysius, The Day You Said Goodbye, Milestones, Keep the Master in Mind, Someone to Watch Over Me, Sippin' at Bells, Freedom Jazz Dance
Gary Bartz (as), Larry Willis (p), David Williams (b), Al Foster (dm)
Enregistré le 1er novembre 2016, New York
Durée: 1h 12' 15''
Smoke Sessions Records 1702 (www.smokesessionsrecords.com)

D’une telle formation, on attend le meilleur du jazz. Et la conception de ce disque n’échappe pas à l’idée d’anthologie, autant par le all-stars réuni que par le choix des thèmes, très étudié. Ces quatre musiciens sont sans doute aujourd’hui de second plan en matière de notoriété. Et pourtant, ils sont de premier ordre en matière de jazz. Ils mériteraient d’être en haut des affiches de nos scènes festivalières de jazz. Ils sont l’essence du jazz, chacun sur leur instrument.
Dans ce disque, chacun apporte une composition. Les autres thèmes sont de la plume de Thelonious Monk, Wayne Shorter, Charlie Parker, John Lewis, Miles Davis, Eddie Harris et des frères Gershwin. Rien n’est donc laissé au hasard, et la musique d’une précision presque académique, s’il pouvait exister une académie libre de sa création et culturellement ancrée. C’est simplement parfait, sans effet, simplement direct et évident: du jazz et du meilleur par des artistes. Ces musiciens ont tous fait une carrière exceptionnelle, et on vous renvoie à vos Jazz Hot pour en faire le tour; c’est en fait le tour des formations du jazz parmi les meilleures apparues depuis les années 1960. Ils continuent d’inventer une belle musique qui ne surprendra pas parce qu’ils sont des classiques: Gary Bartz est passionnant sur le second thème de sa composition, comme Larry Willis est magnifique sur la sienne, Al Foster aérien dans son «Aloysius» et David Williams a apporté une splendide valse jazzée «Keep the Master in Mind» qui aurait pu servir de titre à cet album construit jusqu’au plus petit détail. Mais tous les thèmes sont servis avec un égal souci d’excellence, et ça donne 72 minutes de grande musique de jazz.
Dans la production discographique, ces albums restent des bornes de beauté et de culture jazz, et ce sont des nouveautés de 2017
.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Eric Bibb
Migrations Blues

Refugee Moan, Delta Getaway, Diego’s Blues, Praying for Shore°, Migration Blues, Four Years, No Rain, We Have to Move, Masters of War, Brotherly Love, La Vie c’est comme un oignon,With a Dolla’ in My Pocket*, This Lnad Is Your Land, Postcard From Booker, Blacktop, Mornin’ Train°°
Eric Bibb (g, bjo, b, voc), Michael Jerome Browne (g, voc, bjo, mandolin, triangle), Jean Jacques Milteua (hca), Olle Linder (dm, perc, b*), Big Daddy Wilson (voc)°, Ulrika Bibb (voc)°°
Enregistré à Sherbrooke (Québec), date non précisée
Durée: 48' 05''
Dixiefrog 8795 (www.bluesweb.com)

Eric Bibb
The Happiest Man in the World

The Happiest Man in the World, Toolin’ Down the Road, I’ll Farm for You, Tassin’ and Turnin’, Creole Café, Born to Be Your Man, Perison of Time, King Size Bed, On the Porch, Skiing Disaster, Tell Ol’ Bill, Wish I Could Hold You Now, Blueberry Boy, You Really Got Me
Eric Bibb (g, bjo, voc), Danny Thompson (b), Olli Haavisto (pedal steel, g), Petri Hakala (mandolin, fiddle, g), Michael Jerome Browne (g), Janne Haavisto (dm, perc), Ulrika Ponten Bibb (voc), Mary Murphy (Irish whistle), Pepe Aldqvist (hca)
Enregistré à Norfolk (Royaume-Uni), date non précisée
Durée: 48' 13''
Dixiefrog 8790 (www.bluesweb.com)

Eric Bibb
Guitar Tab Songbook. Vol. 1

Champagne Habits, Come Back Baby, Connected, Don’t Ever Let Nobody Drag Your Spirit Down, Goin’ Down Slow, In my Father’s House, Needed Time, On my Way to Bamako, Saucer 'n' Cup
Eric Bibb (g)
Enregistré les 17 et 18 Mai 2014, à Paris
Durée: 1h13'
Dixiefrog 8778 (www.bluesweb.com)

Voici trois jolies galettes d’Eric Bibb à se mettre sous le coin de l’oreille. Le bluesman continue sa mission de mettre en avant un idiome qui n’en finit plus de se renouveler. Migration Blues est un album tout en délicatesse qui aborde une question d’actualité: celle des réfugiés. C’est d’ailleurs «Refugee Moan», qui ouvre ce CD et le propos de cette chanson aurait pu être le même il y a un siècle, quand les grandes migrations jetaient sur les routes des milliers d’Afro-Américains fuyant la misère. Le bluesman fait en tous cas clairement le lien entre ces deux tragédies. Sa voix envoutante transmet de profonds frissons («Brotherly Love»). Quand il ne chante pas, il cède à la place à ses amis pour lui tenir compagnie. Ainsi, Michael Jerome Browne se met en lumière avec sa mandoline sur «With a Dolla’ in my Pocket», tandis que Jean Jacques Milteau, présent aussi pour l’occasion, fait apprécier la qualité de son phrasé en jouant très en retrait sur «Prayin’ for Shore». Big Dadddy Wilson fait entendre sa voix soft et profonde sur «Prayin for Shore» et Ulrika Bibb en accompagnement de «Mornin’ Train».
Changement de décor avecThe Happiest Man in the World. Cet opus est construit sur la base de souvenirs partagés avec les frères Haavisto: Janne (dm) et Olli (guitare Dobro), rencontrés à Helsinki alors que Bibb y résidait. Ensemble, ils ont mis en commun leur vécu, notamment sur la route. Un être central est apparu dans leurs dialogues en la personne de Danny Thompson. Il n’en fallait pas plus pour se fixer un challenge: enregistrer avec ce légendaire contrebassiste, ce qui fait d’Eric Bibb «l’homme le plus heureux du monde». La couleur générale de ce disque est proche de celle de Migration Blues. La voix du guitariste est toujours aussi douce et feutrée pour exposer des thèmes souvent langoureux («Creole café»). Les sonorités acoustiques vous pénètrent, pour vous faire apprécier la beauté de la ruralité («I’ll Farm for You») ou pour parler d’amour, encore, mais n’est-ce pas la vocation première du blues («Born to Be Your man»)? «1912 Skiing Disaster» est dédiée aux fans de la six-cordes, tellement cette pièce est merveilleuse à savourer. Si on retrouve une certaine linéarité dans la douceur de cette production, Bibb parvient aussi à la faire décoller légèrement en usant d’artifices naturels avec le soutien épais de Danny Thompson (b) et Olli Haavisto (pedal steel) pour «Blueberry Boy». En bonus, Eric Bibb offre une chanson des Kinks («You Really Got Me»), une totale originalité dans ce paysage paisible et fruité des guitares et autres instruments acoustiques, dont celui de Pepe Ahlqvist (hca).
Enfin, pour les mordus d’Eric Bibb, un pack CD-DVD-CD Rom propose de s’entrainer à jouer sa musique. Le CD comprend neuf morceaux avec à chaque fois un exposé à la guitare puis avec la voix. On retrouve des classiques de ce troubadour comme «In my Father’s House», «Champagne Habits» ou «Connected». Avec cette troisième production, Eric Bibb ajoute une autre dimension à son travail de valorisation du blues. Un bel acte de foi
.

Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Bruno Schorp
Into the World

Into the World, Mister K, Le Lien, A nos parents, Katmandou, A Noite, I Heard About a Thing in You, Travessia, Louise
Bruno Schorp (b), Christophe Panzani (ss, bcl) Leonardo Montana (p, fender), Gautier Garrigue (dm) + Nelson Veras (g), Charlotte Wassy (voc)

Enregistré en 2015, Poitiers (86)

Durée: 42'

Shed Music 006 (Absilone)

La belle quarantaine, Bruno Schorp a choisi sa fidèle équipe pour nous livrer un troisième album en leader très imprégné de son vécu et de ses inspirations. A part deux titres d’évocation brésilienne -«Travessia» de Milton Nascimento, bien revisitée, et «A Noite», signé par le pianiste Leonardo Montana (qui a grandi au Brésil)-, il est l’auteur de la totalité des compositions. Les morceaux assez sombres peuvent paraître un peu monotones, mais il faut se laisser envelopper par l'atmosphère du disque pour en apprécier le nectar. Chaque thème est bien exposé, soutenu par un batteur original où le dialogue laisse place au jeu de tous les solistes. Christophe Panzani, très présent, apporte sa solitude contribution, surtout au soprano, quant à Leonardo Montana, ses courts solos imprègnent de sa légèreté et brillance la tonalité de l’album. Nelson Veras, sur «Le Lien», exprime tout son savoir-faire avec élégance. D’une maîtrise parfaite et d’une solidité sans faille, Bruno Schorp sait échapper aux longs solos plombant pour se mettre entièrement au service de sa musique. Le final «Louise», sans doute dédiée à un amour passé ou présent, avec une délicatesse distillée par le Fender Rhodes, nous invite à une méditation de courte durée. Un album où le temps s’écoule trop vite. Remarqué aux côtés de vétérans tels qu’Aldo Romano, il joue actuellement dans les groupes de Jean-Pierre Como, d’Eric Séva, dans le Christophe Panzani Large Ensemble et avec Vincent Peirani.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Jean-Marie Carniel Trio
This I Dig You

This I Dig You, Witch Hunt, The Peacocks, All of You, I Hear a Rhapsody, Jardin d’hiver, I Remember Boris, Yesterdays
Jean-Marie Carniel (b), Denis Césaro (p), Cédrick Bec (dm)

Enregistré les 20 et 21 décembre 2016, Fuveau (13)

Durée: 52'

Autoproduit MMCD01/1 (
jmcarniel@aol.com)

Le contrebassiste toulonnais, Jean-Marie Carniel, qui depuis des années soutien de sa rythmique impeccable de nombreux groupes, a décidé de signer un opus plus personnel. Le titre éponyme de l’album vient d’Hank Mobley qui introduit un répertoire choisi au sein de standards de Gershwin à Cole Porter… mais aussi de thèmes plus rarement repris tels «Witch Hunt» de Wayne Shorter ou «The Peacoks» signé par Jimmy Rowles. Un disque délicat qui met en valeur la technique subtile de musiciens de haut niveau: le déjà vétéran pianiste Denis Césaro, hélas trop absent en leader, et l’encore jeune batteur (très sollicité) Cédrick Bec. Revisitant la chanson contemporaine française il s’empare de «Jardin d’Hiver» de Benjamin Biolay, qu’Henri Salvador interprété, pour en extraire une belle version romantique. Les doigts du pianiste caressent un thème qui se révèle parfaitement adapté à une ballade nostalgique jazz et Jean-Marie Carniel nous offre une traversée solitaire empli d’émotion. Seul titre original, signé par le leader, «I Remember Boris», peut-être dédié à Vian, poursuit un répertoire nostalgique dans son introduction, servie a perfection par le jeu du pianiste, pour ensuite se lancer dans une belle sarabande maîtrisée. L’album se conclut sur «Yesterdays» de Jerome Kern qui poursuit un dialogue de vieux complices de pianiste et contrebassiste démarré il y a déjà bien des années et qui a fait le bonheur de groupes sudistes. Un album dans une juste durée qui laisse écouler le temps nécessaire à apprécier un beau répertoire bien interprété.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017

André Villéger / Philippe Milanta / Thomas Bramerie
Strictly Strayhorn

Low Key Lightly, Satin Doll, Lotus Blossom, Cap Strayhorn, Lush Life, Johnny Come Lately, Exquise, Boo-Dah, My Little Brown Book, Smada, Multi-colored Blue, Passion Flower, Blood Count
André Villéger (ts, ss, bar, bcl), Philippe Milanta (p), Thomas Bramerie (b)
Enregistré les 12-13 octobre 2016, Meudon (78)
Durée: 1h 09' 05''
Camille Productions MS012017 (Socadisc)

Même si tout n’est pas indispensable dans ce disque, il y a d’abord l’idée indispensable de faire vivre un répertoire d’une beauté sans égale, celui du grand Billy Strayhorn, en respectant l’auteur. Comme il s’agit d’un pianiste, compositeur, arrangeur, et que dans notre trio se trouve un autre indispensable de l’instrument, Philippe Milanta, voici au moins deux raisons pertinentes de distinguer ce disque; elles ne sont pas les seules.
Philippe Milanta a cette qualité rare parmi les musiciens non afro-américains d’être en mesure d’endosser le répertoire du jazz, ellingtonien en particulier, et donc aussi celui de Billy Strayhorn qui en fut l’une des plus belles couleurs. Il possède cette musique de l’intérieur, body and soul, et son excellence pianistique n’explique pas tout dans la magie qui pointe au bout des dix doigts de ce pianiste hors norme: il maîtrise en fait les codes intimes de cette musique, le blues, le swing bien entendu, mais aussi cette maturité artistique qui fait que chez lui la reprise d’un répertoire n’est pas une exécution mais une appropriation, une véritable réinvention. C’est particulièrement sensible dans cet enregistrement, non que ses compagnons ne soient pas remarquables, ils le sont, mais parce que Philippe survole littéralement ce répertoire depuis l'Eden musical auquel n’accèdent que les plus talentueux du jazz (assez nombreux, notamment en matière pianistique, car le jazz est une musique très généreuse en artistes d’exception). Sa composition «Exquise» rejoint l’excellence du grand compositeur mis à l’honneur dans ce disque. Pour illustrer ces propos, il y a mille exemples dans ce disque comme l’intro' de «Smada», «Lush Life», «Passion Flower», mais en fait, il serait plus simple et plus exact de dire que Philippe est dans l’âge d’or de son expression et toutes ses interventions sont indispensables: du grand art!
André Villéger continue de (se) régaler dans le jazz, et il le fait en savant, avec le bon goût de la grande culture qu’il possède, plus expressif à notre sens au ténor, où son beau son feutré fait merveille («Low Key Lightly», «Satin Doll», «Smada», «Multi-colored Blue»…) que sur ses autres instruments plus coloristes qu’expressifs. Il reste aussi plus rivé au texte, très beau il vrai dans son épure, alors que Philippe le développe, l’enrichit. Thomas Bramerie se joint avec ses qualités de bassiste accompli, parfois discret, à cette paire d’artistes de haut vol déjà si complices depuis de nombreuses années, car, c’est à relever, cet enregistrement fait partie d’une série commencée en 1999, consacrée à l’univers ellingtonien (Duke Ellington and Billy Strayhorn’s Sound of Love, 1999, Jazz aux Remparts, cf. Jazz Hot, n°569, et For Duke and Paul, Camille Productions, 2015, cf. Jazz Hot n°673) que Michel Stochitch a la grande idée de perpétuer sur son excellent label, Camille Productions, dans ces petites configurations si belles et si libres quand les artistes savent peupler l’espace comme ici.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueLaure Donnat
Afro Blue

Afro Blue, Summertime, September Song, That’s All, Do Nothing Till You Hear From Me, ‘Round Midnight, You Go to My Head, I’M Old Fashioned, Dat Dere, Alfonsina y el Mar, Old Devil Moon
Laure Donnat (voc), Sébastien Germain (p), Lilian Bencini (b), Frédéric Pasqua (dm)

Enregistrée en juin 2016, Pernes les Fontaines (84)

Durée: 1h

Aneto 1604 (www.anetomusic.com)

Si le début de sa notoriété commence avec sa participation à l’ONJ en 2000, sous la direction de Paolo Damiani, la chanteuse Laure Donnat mène une riche carrière qui échappe encore à la médiatisation et la reconnaissance nationale qu’elle mérite. Avec cet album, espérons que les programmateurs et journalistes ouvriront un peu plus leurs oreilles qui restent trop bouchées quand il s’agit d’artistes qui ont décidé de vivre loin de Paris. Son parcours a croisé les hommages à Hendrix et Police menés par le guitariste Rémi Charmasson, mais aussi des parcours plus improvisés aux côtés de Raymond Boni ou René Botlang. Au-delà des genres, sa voix s’est affirmée dans des projets personnels vers la musique africaine avec Tamalalou ou des vibrants hommages au Brésil métissé et énergique avec Rio-Mandingue et Brasil Project. Mais c’est sans aucun doute dans les traces du jazz qu’elle exprime au mieux sa passion. Elle dirige ses propres formations, son quintet, le Trio Mémoires, le JaZzMin Quartet ou encore le magnifique duo Billie’s Blues avec le contrebassiste Lilian Bencini, (album Billie’s Blues, 2010, autoproduction).
Après Le Temps d’Agir et Straight Ahead, elle signe avec Afro Blue son troisième album et abandonne son répertoire de compositions personnelles pour un répertoire de standards revisités. Elle ose reprendre en introduction «Afro Blue» dont la superbe version d’Abbey Lincoln marque encore la mémoire; pari réussi mais qui mériterait un peu plus de folie dans l’improvisation des musiciens,laquelle doit sans doute être bien plus vibrante sur scène. Les titres de Georges Gershwin, Kurt Weil, Duke Ellington, Jerome Kern, etc., qui ont été maintes fois repris, sont ici bien illustrés et avec des versions intéressantes. Les arrangements sont signés de Lilian Bencini qui depuis des années apporte sa précieuse collaboration à la chanteuse qui mène son équipe avec un grand professionnalisme. Fred Pasqua, comme d’habitude, assure un soutien parfait et si l’on regrette le manque de fureur de Sébastien Germain, il tient à merveille sa place. Les trois derniers titres sont tirés d’un répertoire plus original: «Dat Dere» est signé par Bobby Timmons et Oscar Brown qui l’a créé, puis repris par Sheila Jordan entre autres; «Alfonsina y el Mar» a été chanté par Mercedes Sosa, Maurane ou encore Shakira; «Old Devil Moon», rendu célèbre par Frank Sinatra ou Chet Baker; ces trois compositions connaissent ainsi un traitement qui ne démérite pas des versions originales. Un album et un groupe plus qu’intéressant à découvrir
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Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueCécile McLorin Salvant
Dreams and Daggers

Part 1: And Yet°, Devil May Care, Mad About the Boy, Sam Jones' Blues, More°, Never Will I Marry, Somehow I Never Could Believe, If a Girl Isn't Pretty, Red Instead°, Runnin' Wild, The Best Thing For You (Would Be Me); Part 2: You're My Thrill°, I Didn't Know What Time It Was, Tell Me What They're Saying Can't Be True, Nothing Like You, You've Got to Give Me Some*, The Worm°, My Man's Gone Now, Let's Face the Music and Dance, Si J'étais Blanche, Fascination°, Wild Women Don't Have the Blues, You're Getting to Be a Habit With Me
Cécile McLorin Salvant (voc), Aaron Diehl (p), Paul Sikivie (b), Lawrence Leathers (dm), Sullivan Fortner (p)*, Catalyst Quartet: Karla Donehew Perez (vln), Suliman Tekkali (vln), Paul Laraia (avln), Karlos Rodriguez (cello)°

Enregistré les 9, 10, 11 septembre 2016 et le 13 décembre 2016, New York

Durée: 47' 39'' + 1h 04' 21''

Mack Avenue 1120 (www.mackavenue.com)

Remarquable personnalité et splendide enregistrement –en partie live au Village Vanguard, l’autre partie en studio au DiMenna Center for Classical Music, avec un quartet à cordes– voilà les remarques qui peuvent résumer l’impression profonde laissé par ce double album qui ponctue de la plus belle des manières le début de carrière de Cécile McLorin Salvant, car la chanteuse est maintenant dans le gotha des artistes de jazz. Cécile a sidéré la scène du jazz en élevant sans concession et sans complexe l’art vocal à un niveau artistique atteint seulement par quelques chanteuses de l’âge d’or du jazz; d’un autre temps donc. Cécile McLorin Salvant est de son temps, et ne fait pas dans la recette, la mode, le fac simile ou la reprise. Cultivée, curieuse, intelligente, miraculeusement enracinée dans le jazz en dépit d’une culture franco-américano-caribéenne qui aurait pu provoquer une recherche sans fin d’une identité artistique, elle est parvenue en très peu de temps à une synthèse artistique et à une expression d’une maturité qui lui ressemble: joyeuse, contestatrice, directe et originale, douée d’humour et de finesse, et qui rassemble tous les fils d’une histoire personnelle étonnante dans le cadre de l’histoire du jazz. Sa culture en matière de musique classique, comme ses capacités virtuoses en matière vocale, n’ont pas non plus déterminé les habituelles rigidités de l’enseignement académique. Comme pour les grands artistes du jazz, la forte personnalité naturelle et la culture ont distillé l’apprentissage pour le mettre avec naturel au service d’un projet expressif enraciné dans le grand récit collectif du jazz.
La culture et la curiosité de Cécile McLorin Salvant lui font choisir un répertoire toujours très original, personnel dans sa thématique: standards (Gershwin, Berlin…) ou jazz (Bob Dorought, les beaux «Nothing Like You», «Devil May Care»), traditionnels et originaux (d’elle-même, de Paul Sikivie), chanson française ou poèmes de Langston Hugues mis en musique par Kurt Weil ou par elle-même… Culture et curiosité qui lui font aussi embrasser l’ensemble stylistique du jazz sans a priori d’époque ou de mode, mettant toujours le blues, le swing et l’expression au cœur de sa musique. Elle s’approprie sans préjugé le répertoire très blues des premières vocalistes («You've Got to Give Me Some», Bessie Smith, 1928, avec l’excellent Sullivan Fortner, «Wild Women Don't Have the Blues», Ida Cox, 1924) aussi bien que celui de Gershwin, Billie Holiday («You’re My Thrill»), Dinah Washington («Mad About the Boy»), Joséphine Baker («Si j’étais blanche») et parfois Damia (pas ici mais à Marciac, cet été 2017), n’hésitant jamais à le prolonger par ses propres compositions ou celles des musiciens de son groupe.
Elle possède la familiarité naturelle avec le monde classique pour faire de la partie avec le quartet à cordes de magnifiques moments de musique («More»), de poésie baroque par les arrangements («Fascination») et de jazz («You're My Thrill», splendide!). Exercice de maturité, la rencontre des cordes et du jazz n’est jamais évidente. Cécile en joue avec naturel avec de bons arrangements sans perdre une once d’authenticité. Son égale et parfaite maîtrise du français et de l’anglais enfin donne à ses interprétations dans les deux langues cette aisance dans l’expression qui vient du naturel de la culture native.
Elle a trouvé avec l’assurance de la grande artiste, musicienne et instrumentiste, une formation qui correspond parfaitement à son projet: Aaron Diehl, leader d’un excellent trio, est un pianiste dont l’étendue du talent («Let’s Face the Music and Dance») et l’art de l’accompagnement («Si j’étais blanche», «Wild Women Don't Have the Blues») est un idéal pour Cécile McLorin Salvant; Paul Sikivie, bon contrebassiste, est l’auteur de nombre d’arrangements et de certaines compositions, sa complicité avec Cécile fait merveille («You're Getting to Be a Habit With Me»); Lawrence Leathers est très musical, parfaitement à l’écoute, subtil. L’accueil du public, perceptible sur cet enregistrement en live, dit assez la fascination qu’elle exerce sur son auditoire, et les réactions qu’elle provoque de tous les publics. Cet enregistrement prend en live une dimension particulière, car sa voix est le plus bel instrument à ce degré de vérité expressive, un vrai miracle du jazz!

Enfin, ce disque est une étape importante, sans doute le premier de Cécile McLorin Salvant à rassembler autant d’éléments caractéristiques de sa personnalité aussi affirmée que complexe, le premier à synthétiser aussi clairement ses choix artistiques: ils sont en tous points parfaits
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Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJazz at Lincoln Center Orchestra
The Music of John Lewis

2 Degrees East, 3 Degrees West**, Animal Dance**, Django, Delaunay's Dilemma, La Cantatrice*, Piazza Navona*, Pulcinella*, Spanish Steps*, Two Bass Hit
Wynton Marsalis (tp), Jon Batiste (p), Chris Crenshaw (tb, dir), Sherman Irby, Ted Nash (as), Victor Goines (ts, cl), Walter Blanding (ts), Paul Nedzela (bar), Ryan Kisor, Kenny Rampton, Tim Hagans (tp), Vincent Gardner, Elliot Mason (tb), Carlos Henriquez (b), Ali Jackson (dm) + Howard Johnson (tu)*, Doug Wamble (g)**
Enregistré le 19 janvier 2013, New York
Durée: 51' 31''
Blue Engine Records 0008 (www.jazz.org/blueengine)

En se dotant de son propre label, Blue Engine Records, Jazz at Lincoln Center a ajouté une nouvelle dimension à son activité. Certes, les concerts du Lincoln Center Jazz Orchestra de Wynton Marsalis ont déjà laissé des traces discographiques (chez Columbia, EmArcy), mais on peut parier que ce nouveau label, entièrement dédié au JLCO, à ses solistes, voire à quelques familiers de JALC, va permettre une large mise à disposition des enregistrements live de ce fabuleux orchestre (il en a des dizaines en réserve), lequel, plusieurs fois par an, présente des programmes thématiques, souvent autour d’un musicien appartenant à la grande Histoire du jazz. Le présent enregistrement, sorti au printemps de cette année, a été réalisé en 2013 dans le Frederick P. Rose Hall du Lincoln Center. Il est consacré à John Lewis, artisan d’un bebop sophistiqué qui, tout en jetant un pont avec la musique classique européenne, est resté fermement enraciné dans le jazz, ne cessant jamais d’être autre chose qu’un immense jazzman. Pour rendre hommage au pianiste du Modern Jazz Quartet, le big band de Wynton Marsalis avait invité le jeune prodige louisianais, Jon Batiste, qui, à 30 ans à peine (26 ans à l’époque du concert), a derrière lui une carrière déjà longue et bien remplie.
Neuf compositions de John Lewis sont l’objet de ce disque. Six sont tirés de deux albums du Modern Jazz Quartet (Django, Prestige, 1953-55, et The Comedy, Atlantic, 1960-62), «Two Bass Hit» fut d’abord enregistrée par le big band de Dizzy Gillespie, tandis que les deux titres restant appartiennent à la discographie en leader de John Lewis. Ce sont d’ailleurs ces deux morceaux qui ouvrent le disque. En premier lieu, «2 Degrees East, 3 Degrees West» (Grand Encounter, Pacific Jazz, 1956) est introduit par un solo de Victor Goines (cl), soutenu par la guitare bluesy de Doug Wamble et les baguettes d’Ali Jackson. Quel swing! Avec peu de moyens (le grand orchestre n’est pas encore entré dans la danse), nous voilà déjà pris par la fièvre. Jon Batiste prend le relais simplement en trio et porte d’emblée l’art du jazz au plus haut. Changement d’ambiance avec «Animal Dance» (Animal Dance, Atlantic, 1962) dominés par les cuivres rugissant du big band. La pièce suivante, «Django», chef-d’œuvre de John Lewis (et certainement l’une des ballades les plus belles du jazz) est interprétée en solo par Jon Batiste qui, étirant la mélodie en des circonvolutions surprenantes (la «surprise» étant l’essence du jazz pour John Lewis, voir Jazz Hot n° Spécial 2001), dessine son propre chemin, rappelant la virtuosité créatrice d’un Marcus Roberts. Le résultat est tout simplement somptueux. Suit logiquement «Delaunay's Dilemma». Le choix de ce morceau dans la set-list ne doit sans doute rien au hasard (cf. l’intervention de Wynton à Jazz in Marciac en août dernier). On retrouve le ton badin de l’original, la trompette du directeur de JALC ayant remplacée le vibraphone de Milt Jackson. C’est l’occasion d’un solo brillant, précédant les interventions non moins réjouissantes de Ted Nash (as) et de Chris Crenshaw (tb). Les quatre titres suivants proviennent tous de The Comedy, album particulièrement représentatif de la «third steam» incarnée par le MJQ. Le big band confère évidemment à ces pièces une dimension orchestrale et met en exergue l’influence ellingtonienne du compositeur John Lewis (en particulier sur «Piazza Navona»). Parmi les détails savoureux à retenir de cette adaptation, le clin d’œil à New Orleans sur «Pulcinella»: en quelques mesures, Jon Batiste nous transporte de la commedia dell’arte au Preservation Hall! Le final gillespien, «Two Bass It» est intense, concluant cet hommage dans l’excellence propre au JALC. Un disque très élaboré (avec un livret proposant des informations détaillées ainsi qu’un texte sur John Lewis signé de Jon Batiste) dont on découvre les richesses et les subtilités à chaque nouvelle écoute.

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017

Sébastien Iep Arruti / Craig Klein
Got Bone?