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Au programme des chroniques
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• A • Rémi Abram • Act Big Band • Antonio Adolfo • Cyrille Aimée • Monty Alexander • Louis Armstrong • B • Dmitry Baevsky • Emmanuel Baily • Kenny Barron • Count Basie • John Beasley • Daniel Bechet & Olivier Franc Quintet • Belmondo Family Sextet • Airelle Besson • B.F.G • Ran Blake • Céline Bonacina • Frederic Borey • Itamar Borochov • Bossa Nova in USA • Brass Messengers • Christian Brazier • Dee Dee Bridgewater • Buddy Bolden Legacy Band • Katie Bull • C • Jean-Yves Candela • Eva Cassidy • Joe Castro • Frank Catalano/Jimmy Chamberlin • Tom Chang • Fred Chapellier • Popa Chubby • Chris Cody • Nat King Cole • John Coltrane • Sam Coombes • Laurent Coulondre • Philippe Crettien • D • Dal Sasso-Belmondo Big Band • Guy Davis • Miles Davis • Pierre de Bethmann • Raul de Souza • Jean-Pierre Derouard • Lorenzo Di Maio • Aaron Diehl • Lucy Dixon • Roberta Donnay • Hubert Dupont • E • Mark Elf • Eli & The Hot Six • Andy Emler MegaOctet • Emler/Tchamitchian/Echampard • European Jazz Cool • Teodora Enache/Theodosii Spassov • Duane Eubanks • European Jazz Sextet • Orrin Evans • F • José Fallot • Dominick Farinacci • Claudio Fasoli • The Fat Babies • Nicola Fazzini • Franck Filosa • Clare Fischer • Dominique Fitte-Duval • Ella Fitzgerald • Chico Freeman • George Freeman & Chico Freeman • Larry Fuller • Champian Fulton • G • Richard Galliano/Jean-Charles Capon • Melody Gardot • Erroll Garner • Stan Getz • Sebastien Girardot/Félix Hunot/Malo Mazurié • Aaron Goldberg • Guitar Heroes • H • Jeff Hackworth • Rich Halley • Hard Time Blues • The Harlem Art Ensemble • Phil Haynes • Heads of State • Fred Hersch • Robert Hertrich • Lisa Hilton • Ramona Horvath • Hot Club de Madagascar • Sylvia Howard • I • Abdullah Ibrahim • Chuck Israels • J • Ahmad Jamal • JazzAccordéon • JCD 5tet • Nicole Johänntgen • Jessica Jones • K • Kassap/Touéry/Duscombs • Manu Katché • Hetty Kate • L • La Section Rythmique • Christophe Laborde • Fapy Lafertin • Prince H. Lawsha & Frédérique Brun • Olivier Le Goas • Le Jazz à l'écran • LG Jazz Collective • Frédéric Loiseau • Jean-Loup Longnon • Claude Luter/Barney Bigard • M • Christian McBride • Les McCann • Pete McGuinness • Kirk MacDonald • Harold Mabern • Mack Avenue SuperBand • Richard Manetti • Perrine Mansuy • Delfeayo Marsalis • Fabien Mary • Tina May • Brad Mehldau • Merlaud/Rebillard • Jason Miles/Ingrid Jensen • Jean-Marc Montaut • Wes Montgomery • Ed Motta • Muddy Waters • N • Fred Nardin/Jon Boutellier Quartet • Kevin Norwood • Guillaume Nouaux • O • Austin O'Brien • Jean-Philippe O'Neill • On Air & Fabrizio Bosso • P • Paris-Calvi Big Band • Paris Jazz Big Band • Emile Parisien • Charlie Parker • Jeb Patton • Yves Peeters • Alain Pierre • Antoine Pierre • Lucky Peterson • Enrico Pieranunzi • Valerio Pontrandolfo • PG Project • R • Cecil L. Recchia • Herlin Riley • François Ripoche/Alain Jean-Marie • Duke Robillard • Sonny Rollins • Jim Rotondi • S • David Sanborn • Julie Saury/Felipe Cabrera/Carine Bonnefoy • John Scofield • Eric Séva • Frank Sinatra • Steve Slagle & Bill O'Connell • Slavery in America • Wadada Leo Smith • Florent Souchet • Emil Spányi/Jean Bardy
• Spirit of Chicago Orchestra
• T • Lew Tabackin • Ignasi Terraza • Virginie Teychené • Claude Tissendier • Samy Thiébault • Romain Thivolle • Sarah Thorpe • Jean-My Truong • Steve Turre • U • Phil Urso • V • Jacques Vidal • Aurore Voilqué • Heinrich Von Kalnein/Michael Abene • W • Terry Waldo • Reggie Washington • Big Daddy Wilson • Anne Wolf • Michael Wollny / Vincent Peirani • Z • Miguel Zenón
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Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
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© Jazz Hot 2016
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Olivier Le Goas
Reciprocity
Corners,
Main Street, Since I Know, Curves and Colors, Day Home, Call, Cécile,
Evision
Olivier
Le Goas (dm), Nir Felder (g), Kevin Hays (p), Phill Donkin (b) Enregistré
le 12 et 13 octobre 2015, Ludwigsburg (Allemagne) Durée:
58' Neuklang
4139 (www.neuklangrecords.de)
Le
batteur Olivier Le Goas s’est assuré d’une solide section de
musiciens new-yorkais pour enregistrer en Allemagne son nouvel album.
Il avait déjà pu s'adjoindre, sur ces précédents enregistrements,
les collaborations prestigieuses de John Abercrombie et Kenny
Wheeler. Ici ce sont des musiciens plus jeunes mais déjà fort
connus notamment Kevin Hays (Sonny Rollins) qui assurent le service.
Nir Felder, fer de lance des nouveaux guitaristes peine à s’affirmer
de ce côté de l’Atlantique pourtant son quartet tourne
régulièrement en Europe. Olivier Le Goas signe toutes les
compositions où sa pulsion illumine tous les solos. Le guitariste
dialogue avec le pianiste dans des thèmes très écrits sans jamais
se perdre. Un disque très technique où les entrelacements des notes
de guitares raviront les spécialistes mais qui lasse un peu au fil
des titres. Les arrangements se rassemblent et la guitare et le piano
souvent joués à l’unisson dans les introductions donne une sorte
de monotonie. L’ensemble est parfaitement maîtrisé mais si
l’urgence de l’interprétation qui caractérise la
quasi totalité des titres on pourra s’attarder sur «Day Home» et
«Cécile» sur lesquels un peu de respiration nous laisse plus
rêveur.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Michael Wollny / Vincent Peirani
Tandem
Song
for Untitled, Adagio for Strings, Hunter, Bells, Did You Say
Rotenberg?, Sirènes, Uniskate,Vignette, Fourt for July, Travesuras Michael Wollny (p), Vincent Peirani (acc) Enregistré
les 4 et 5 mai 2016, Montreuil (93) et le 17 février 2016, Krün
(Allemagne) Durée:
52' Act
9825-2 (Harmonia Mundi)
Les
deux premiers titres nous plongent dans une profonde mélancolie,
s’agit-il de jazz ou tout simplement de musique européenne
d’inspiration classique, très climat pour musique de film intello
dans un paysage peint par Peter Greenaway? «Hunter» (le chasseur)
de Björk est revisité dans un climat tempétueux sur fond de paso
doble andalou pour introduire «Bells» de Wolny. Ensuite Peirani
nous entraîne avec «Did You Say Rotenberg» dans une de ces
compositions qui vous font se perdre dans les brumes du nord, comme
celles de Jacques Brel dans le plat pays. Un album en fait assez
minimaliste qui surligne les qualités indéniables de solistes des
deux compères. Il se conclut sur «Travesuras» signé, par Tomás
Gubitsch, où le dialogue se conjugue dans une progression rythmique
un peu plus endiablée. L’entente est parfaite entre ces musiciens
couverts de prix et récompenses mais qui néanmoins échappent à la
grosse tête et n’hésitent pas à partager les grandes scènes
comme les espaces intimes plus propices à ce type de duo.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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The Harlem Art Ensemble
Live in New York
Keep Talkin', All in Love Is Fair,
Invitation, That's When We Thought of Love, Four, Blues For Beth,
Strollin', Bumpin on Sunset Bruno Carr(dm), Lonnie Smith (org),
Jimmy Ponder (g), Harold Ousley (ts) Enregistré les 15-17 août 1990, New
York
Durée: 48' 54'' Explore Records 0027
(www.explorerecords.com)
Voici une nouveauté déjà ancienne ou
une réédition de 1990, peut-être éditée à l’origine chez Hip
Bop, sans certitude. Quoi qu’il en soit, c’est de l’excellente
musique, avec quatre magnifiques musiciens: Bruno Carr, le batteur né
à New York en 1928 et décédé en 1993, a accompagné Ray Charles,
David Newman, Aretha Franklin, chez Atlantic, avant d’accompagner
Sarah Vaughan et Betty Carter (1963), Lou Donaldson et Shirley Scott
(1964), ce qui permet d’évaluer sans peine le niveau d’un
magnifique instrumentiste. Il était d’ailleurs le cousin de Connie
Kay (le batteur du Modern Jazz Quartet) et avait débuté sa vie
comme boxeur. Lou Donaldson est un fil conducteur
pour cet enregistrement. On ne présente plus Dr. Lonnie Smith (né
en 1942), un fantastique organiste très proche de la tradition de
Jimmy Smith, et qui, avec son magistral turban et son jeu
spectaculaire, accompagne depuis de nombreuses années le vétéran
Lou Donaldson dans des échappées où le blues est roi. Sa longue
carrière depuis les années 1960 lui a fait croiser la route des
Supreme, de Jack McDuff, Lee Morgan, King Curtis, Frank Foster,
George Benson, Gladys Knight, Dionne Warwick parmi beaucoup d’autres
(cf. Jazz Hot n°580). Jimmy Ponder (né en 1946) est un
splendide guitariste habitué à cette configuration avec orgue dans
la tradition. Il a côtoyé Charles Earland, Joe Thomas (voc),
Grassella Oliphant (dm), Stanley Turrentine (ts) dans les années
1970-80. Son jeu prend sas racines dans le blues et dans l’esprit
impulsé par Wes Montgomery. Enfin, Harold Ousley est un contemporain
du leader Bruno Carr, né en 1929 à Chicago. Il a accompagné Billie
Holiday, King Kolax et Gene Ammons, Dinah Washington, Brother Jack
McDuff (1966), Clark Terry, Howard McGhee, Joe Newman, Lionel Hampton
(1970), Count Basie (1973-74), Machito, sans oublier ses propres
groupes dans les années soixante; un parcours qui fait de lui un de
ces musiciens familiers qui ont apporté une belle contribution au
jazz sans fanfares ni trompettes. Autant dire que ce groupe et ce disque
respirent le blues, l’expression, le swing et la tradition d’un
jazz de culture dont aucune note n’est jouée par hasard. Le
répertoire n’est pas que blues mais le traitement est marqué par
cet esprit. Ils sont des incarnations de ce que le jazz est par
essence: une expression artistique d’une culture populaire par des
artistes authentiques. Pour ceux donc qui aiment le jazz qui respire
le blues.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Herlin Riley
New Direction
New Direction*, A Spring Fantasy°, The
Crossbar°, Shake off the Dust, Connection to Congo Square, Herlin's
Hurdle°, Hiccup Smooth, Harlem Shuffle, Tutti Ma Herlin Riley (dm, voc), Bruce Harris
(tp), Godwin Louis (as, ss), Mark Whitfield* (g), Emmet Cohen (p)
except 6, Russell Hall (b), Pedrito Martinez° (perc) Enregistré à New York, date non
communiquée Durée: 1h 03' 34'' Mackavenue 1101 (www.mackavenue.com)
On peut être l’un des plus brillants
batteurs du jazz actuellement en activité, être bien entouré, sur
un bon label et produire un disque sans intérêt. C’est ici le
cas, et quelle que soit la virtuosité d’Herlin Riley, c’est
consternant de fadeur quand on a vu tout ce que ce musicien est
capable d’apporter à la musique des autres. La New Direction
d’Herlin Riley ressemble à une grande surface du rythme, une
démonstration adolescente de ses capacités à produire toutes les
figures rythmiques possibles avec tous les outils du batteur, mains
comprises. Ce n’est pas spécialement l’image qu’on se faisait
de ce batteur hors norme. Les musiciens qui l’accompagnent n’y
sont pour rien et font correctement et sans génie ce qu’ils ont à
faire, mais ça ne donne pas une âme à un patchwork sans ligne
directrice, nouvelle ou pas. Un disque pour batteurs, sans doute, les
seuls peut-être capables d’apprécier la puissance et les
acrobaties rythmiques d’Herlin, mais le jazz, la musique dans tout
ça? On pourrait isoler quelques moments de l’esprit néo-orléanais
(«Tutti Ma»), ou «Harlem Shuffle» de ce galimatias, où un peu de
cette histoire du jazz ressurgit à la façon des Jazz Messengers,
mais dans le genre, il y a bien mieux, l’original en particulier,
et depuis des lustres. Mais bon, pas d’inquiétude, Herlin Riley
nous rassurera bientôt, mais peut-être pas en leader.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Duane Eubanks Quintet
Things of That Particular Nature
Purple Blue and Red,
As Is, Rosey, Holding Hands, Beer and Water, Anywhere's Paradise,
Dance With Aleta, Aborted Dreams, Slew Footed , "P" Abraham Burton (tp, flh), Marc Cary (p, clav), Dezron Douglas (b),
Eric McPherson (dm), Steve Nelson (vib) Enregistré le 8 juillet
2014, Paramus (New Jersey) Durée: 53' 33'' Sunnyside 1390
(http://sunnysidezone.com)
Duane Eubanks appartient à une famille de musiciens de Philadelphie.
Sa mère Vera enseigna le piano à Kenny Barron, son oncle n’est
autre que le légendaire Ray Bryant, et ses frères Robin (tb) et
Kevin (g) ont une réputation certaine dans le jazz depuis de
nombreuses années. On n’est donc pas étonné de cet excellent
disque qui réunit un all stars de la génération de Duane
(1969) avec Abraham Burton (1971), Marc Cary (1967), Eric McPherson
(coproducteur avec Duane de cet enregistrement). Duane, très bon
trompettiste, malgré quelques recherches qui l’ont parfois
détourné du jazz, revient enrichir une saga familiale où le talent
est chose si courante. A ses côtés, on trouvera également un aîné,
le bon Steve Nelson (1954), et un cadet, Dezron Douglas, un habitué
des all stars. Cette musique, une descendance des orchestres d’Art
Blakey, Woody Shaw, est parmi ce que le jazz produit de plus
authentique dans ce registre post hard bop qui depuis les années
1970 a illuminé de nombreux concerts sans complaisance commerciale
malgré un air du temps défavorable déjà. Le jazz y est une
belle musique exigeante mais abordable où la mélodie, la poésie,
le blues et le swing sont naturellement au cœur d’une expression
pourtant entièrement renouvelée mais qui ne renie pas ses origines.
Un seul thème n’est pas de Duane, c’est le magnifique «Holding
Hands» du regretté Mulgrew Miller. Retrouver les splendides
Steve Nelson, Abraham Burton et Marc Cary aux côtés de Duane
Eubanks, dans un registre in the tradition, c’est
l’assurance d’une belle heure de musique, car tous, jusqu’à la
section rythmique sont simplement au diapason d’une culture
musicale enracinée.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Brad Mehldau Trio
Blues & Ballads
Since I Fell For You, I Concentrate on
You, Little Person, Cheryl, These Foolish Things (Remind Me of You),
And I Love Her, My Valentine Brad Mehldau (p), Larry Grenadier (b),
Jeff Ballard (dm) Enregistré les 10 décembre 2012 et 12
mai 2014, New York Durée: 55' 40'' Nonesuch 7559794650 (www.nonesuch.com)
Ces enregistrements qui datent de deux
à quatre ans, regroupés ici, se présentent sous un titre qui en
évoquent d’autres comme le splendide Ballads, Blues and Bey,
d’Andy Bey; contrairement à ce chef-d’œuvre, la dénomination
pose ici un vrai problème quand on se réfère au contenu. Il y a
bien des Ballads, parfois un peu de swing, avec parcimonie,
quant au blues, c’est la disette, tout juste une teinte délavée
qui ne trompe personne («Since I Fell For You», «Cheryl»). La
formule trio, avec basse et batterie, jazz de naissance, donne bien
quelque illusion, mais l’écoute ne s’arrête pas à ces
apparences et simulations. Le blues est en effet une composante
permanente et intrinsèque du jazz et de la personnalité des
jazzmen, pas une couleur ponctuelle. Il est la composante
fondamentale qui permet de distinguer le jazz de culture du jazz
d’exécution («These Foolish Things»), le jazz hot
auraient dit nos aînés du jazz straight, une musique de
variété au fond («And I Love Her», «My Valentine»).
Ce qui n’étonnera personne, quand on
connaît Brad Mehldau, un pianiste, doué techniquement, mais éloigné
par culture de cette racine jazz, –il a grandi dans le rock-pop–
même s’il est capable, par mimétisme savant et selon le contexte,
en jam par exemple, de faire illusion comme Uri Caine dans ce même
contexte. Brad Mehldau est bien l’héritier de Keith Jarrett et de
toute une tradition du piano jazz, de Martial Solal à Uri Caine,
capable de se fondre dans le jazz qu’ils ont écouté, travaillé,
côtoyé de près, mais dont ils ont, dans leur for intérieur, dans
leur moi, refusé les fondamentaux. Brad Mehldau a une approche du
jazz purement formelle, avec la même prétention, lui-même, comme
ses producteurs, ses devanciers et ses pairs, d’en définir
l’actualité, la modernité, d’en redéfinir les contours
artistiques, alors qu’ils appartiennent à un autre monde. Comme
ils ne sont pas portés par une tradition populaire (par exemple les
cas Kenny Barron, Cyrus Chestnut, Marcus Roberts, Eric Reed, Aaron
Diehl pour se limiter à quelques pianistes actuels…), qu’ils ne
veulent pas, par choix, appartenir au classique dont la rigidité des
réseaux, des codes et des fonctionnements reste une contrainte,
qu’ils ne veulent pas appartenir aux monde des variétés, dévalué
dans leur esprit sur le plan artistique, ils ont entrepris de
redéfinir le jazz, la plus accueillante des cultures. Ils pourraient
se contenter d’être hébergés, mieux d’en intégrer les codes
comme le fond des milliers de musiciens, artisans et artistes, mais
leur ego ne le permet pas. La question reste toujours la même:
pour Jarrett, Mehldau, Caine et quelques autres, où situer ces
musiques à la lisière du jazz, de la variété et de la musique
classique? Déjà pas dans la musique populaire et pas dans le jazz
donc, car il faut des racines pour cela. On pourrait dire dans une
forme de musique classique, une sorte d’exécution, plus ou moins
savante, une relecture du jazz et d’autres musiques (ici les
Beatles), mais une musique classique qui s’affranchirait des
racines classiques également, car la musique classique suppose
encore un enracinement et l’acceptation de codes multiséculaires.
Pourtant, tout l’intérêt du vocable
indifférencié de «variétés», qu’il ne faut pas confondre avec
la chanson populaire (un autre secteur artistique à côté du jazz
et du classique), les variétés donc qu’on a tort de dévaluer car
les artisans de la musique sont parfois brillants, sincères et
intéressants, est de pouvoir regrouper un certain nombre de
musiciens qui interprètent plus qu’ils ne créent, parce que leur
biographie n’a pas déterminé de fortes racines, et cela
indépendamment de la complexité et de la virtuosité,
indépendamment de la sincérité, des trucs et des simulations. Ce
monde incertain, où l’on peut aussi mettre Richard Clayderman,
André Rieu et certains autres musiciens qui, privés de racines (une
réalité de plus en plus partagée à l’échelle de la planète,
ce n’est la faute de personne, juste un constat) mais plus ou moins
bons techniciens, interprètent une musique légère, plus ou moins
élaborée et virtuose, pas populaire pour un sou, même si beaucoup
vendue parfois, car bénéficiant des réseaux de la diffusion de la
variété internationale. Même si la complaisance est devenue la
règle la plus répandue en matière de variétés en raison de la
consommation de masse imposée, rien ne dit que les variétés
doivent nécessairement être des musiques dévaluées et
d’inspiration commerciale. Elles pourraient tout au contraire
bénéficier d’une définition plus exigeante, y compris sur le
plan de leur élaboration, déconnectée de la complaisance
commerciale ou de l’abrutissement des masses comme ce fut parfois
le cas par le passé.
Il y avait, naguère, sur une radio
nationale une émission intitulée: «Le quart d’heure de musique
légère». Ce disque de Brad Mehldau, pas désagréable sans être
très profond, y aurait sa place: une heure de musique légère…
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Fapy Lafertin
Lafertin & Le Jazz. The Recordings 94-96
Swing Guitars 1994: I've Had My
Moments, I Wonder Where My Baby Is Tonight, Besame Mucho, Vous qui
passez sans me voir, Swing Guitars, Je suis seul ce soir, Puttin' on
the Ritz, To Each his Own, Diminishing, Minor Swing, La Defense, Que
reste t'il de nos amours, Swing Guitars 2, Anouman, Puttin' on the
Ritz (inédit), Je suis seul ce soir (inédit), I've Had My Moments
(inédit), Minor Swing (inédit), Anouman ‘live’ (inédit) Hungaria 1996: Melancholy Baby, 12th
year, Songe d'automne *, Time on My Hands, Billet Doux, Russian
Lullaby, Stardust, Hungaria, Liebestraum N°3, Swing 42 *, Stockholm
*, Notes Noir, What a Difference a Day Made, Viper's Dream, Black and
White, J'attendrai (inédit), Loverman (inédit), What a Difference a
Day Made (inédit) Fapy Lafertin (g), Steve Elsworth
(vln), Dave Kelbie (g), Pete Finch (g), Tony Bevir (b), Bob Wilber
(cl)* Enregistré du 11 au14 novembre 1994
(Swing Guitars) et du 19 au 25 août 1996 (Hungria), Avon
(Royaume-Uni) Durée: 1h 12' 59'' et 1h 00' 07'' Lejazzetal Records/Frémeaux et
Associés 8521 (Socadisc)
Ces deux enregistrements, partiellement
inédits (des prises d’autres thèmes déjà présents et deux
thèmes supplémentaires), réalisés dans les conditions d’époque,
comparables à celles des enregistrements effectués par Django
Reinhardt, Stéphane Grappelli et le Quintette du Hot Club de France,
avec des micros de la BBC d’avant-guerre, dans une grange du nord
de l’Angleterre, voulaient restituer, au milieu des années 1990,
la magie sonore du plus célèbre quintette à cordes de l’histoire
du jazz. Cette ambition a été pleinement
justifiée par la réussite de ces deux disques de 1994 et 1996
réunis ici, car outre la technique du son, le studio à l’ancienne,
il y a une belle formation avec le grand Fapy Lafertin, l’un des
très rares guitaristes qui a hérité de l’épaisseur, de
l’intensité expressive du grand Django. Fapy Lafertin possède
également une musicalité, un lyrisme dignes de son illustre
devancier. La formation qui l’accompagne est au diapason de Fapy,
et dans l’esprit du fameux Quintette, avec la puissance de trois
guitares associées, et en particulier un beau violoniste en la
personne de Steve Elsworth. Le répertoire fait non seulement appel
aux classiques du genre («Minor Swing», «Viper's Dream»,
«J'attendrai»…), des compositions que le Quintette du HCF
illustra, mais aussi à la chanson française et populaire («Besame
Mucho», «Vous qui passez sans me voir», «Je suis seul ce soir»…),
aux standards («Stardust», «Russian Lullaby», «Loverman», «What
a Difference a Day Made»…), car c’est dans ce cadre large, jazz,
standards et chanson française jazzy (Trenet, Sablon…) que
s’épanouit le talent de Django, faut-il le rappeler? On trouve également «Anouman» auquel
le lyrisme de Fapy donne une dimension particulière, car joué avec
une manière plus ancienne, plus Django acoustique d’avant-guerre,
que celle à laquelle on est habitué. Il y a aussi chez Fapy Lafertin le côté
sombre de la tradition tzigane, celle que Django conserva dans son
jazz comme une couleur essentielle de sa tradition, qui donne une
intensité particulière, comme une patine, à ces enregistrements.
Le beau soutien de deux guitares, le côté chantant du violoniste,
les commentaires, les harmonies sombres propres à
l’entre-deux-guerre («Stockholm»), les puissants
vibratos-crescendos chers à Django, tout donne à cet enregistrement
nouveau et différent, une tonalité pourtant proche de l’original,
et cela pour notre plus grand plaisir. Il y a enfin chez Fapy Lafertin, cette
manière de poser la note, de développer le contre-chant, de
commenter, d’attaquer la note qui font irrésistiblement penser à
l’illustre modèle («Stardust»). Une féérie guitaristique! Sur trois thèmes, l’incomparable Bob
Wilber, toujours présent dans les meilleurs groupes, apporte son
oreille et son sens musical qui lui permettent de jouer avec des
musiciens de tous les horizons avec naturel, en magnifiant le
résultat comme ce «Songe d'automne», «Stockholm». Il y a encore ces valses manouches,
incomparables comme un monde nouveau qui s’éveille, une
composition splendide de Fapy Lafertin («Notes noir») qui vous
emporte dans ses tourbillons de notes et dans sa manière de faire
rouler les notes. Fapy Lafertin est un indispensable de
la tradition de Django Reinhardt, un de ceux dont on ne peut se
passer, en disque ou en live, si on a la musique de Django chevillée
à l’âme, ce qui est forcément le cas à Jazz Hot. Du très
grand Art!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Rich Halley 4
Creating Structure
Analog Counterpoint, Rain Percolates
Laterite, Riding the Trade Winds, Angular Momentum, The Shadow of
Evening, Metal Buzz, Street Rumors, View through the Ellipse, Echoes
of the South Side, The Tumbled Lands, Small Perturbations, Working
the Interstices, Quiet like Stone, Pushing Breath, The Shove, The
Respond Rich Halley (ts, perc.), Michael Vlatkovitch, (tb, perc,
acc.), Clyde Reed (b), Carson Halley (dm) Enregistré les 30 et 31
mai 2014, Portland (Oregon), le 19 mai 2012 et le 26 mai 2013,
Corvallis (Oregon) Durée: 1h 01' Pine Eagle 007
(www.richhalley.com)
Rich Halley 4
Eleven
Reification
suite, The Dugite Strikes, The Creep of Time, Glimpses Through the
Fog, Adjusting the Throughput, Dead of Winter, Convolution, Slider,
The Animas Rich Halley (ts), Michael Vlatkovich (tb), Clyde Reed
(b), Carson Halley (dm) Durée: 1h Enregistré les 30 et 31 mai
2014, Portland (Oregon) Pine Eagle 008 (www.richhalley.com)
Rich
Halley n’est pas un novice si l’on se réfère à son assez
longue discographie. Toutefois, il atteint un âge (il est né en
1947) auquel il devrait être davantage connu. Ses qualités
d’instrumentiste le permettraient mais il a choisi de composer et
jouer un jazz (?) tellement cérébral qu'il n'est plus lié à cette
musique que marginalement. Creative Structure est ainsi
formé de seize compositions du leader (en fait une succession
d'improvisations) que d'aucuns qualifieraient peut-être de free
jazz. Les musiciens entrent en studio sans feuille de route et tout
est spontané. A moins d’être un grand amateur, il faut du cran
pour écouter d’une traite les 61 minutes du disque! La basse et la
batterie, solides, assurent imperturbablement le cadre aux
improvisations débridées du saxophone et du trombone. La fin de
«Riding the Trade Winds» et dans une certaine mesure «Echoes of
the South Side» et quelques passages d’autres compositions
marquent une différence car mieux construits, avec une certaine
logique et un lien avec le jazz. Ces thèmes permettent de valoriser
Rich Halley. Le son et le style du saxophoniste - finalement assez
brillant - s’ancrent chez Rollins, Coleman et Ayler et les acteurs
de l’AACM de Chicago. Eleven est dans le même esprit.
Sauf que même le souffle des improvisations paraît ici rigide. Un
disque qui n'a d'intérêt que si l'on considère la musique avant
tout comme une affaire de technique. En somme, on aimerait entendre
le son de Rich Halley sur de vrais standards de jazz!
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Raul de Souza
Brazilian Samba Jazz
Bossa eterna, Rio Loco, Brazilian Samba Jazz,
Descendo da mangueira, Saudade do Franck, Violão quebrado, Ilha do
mel, Luminosa manhã, Oito e meia, Amigo JJ
Raoul de Souza (tb), Mario Conde (g),
Julien Lallier, Leo Montana (p), Glauco Solter (elb), Maurio Martins,
Zaza Desiderio (dm) Durée:
47’ Enregistré en France, décembre 2015 Encore Merci 001483
(https://rauldesouza.net)
Fidèle à la terre de ses
racines, le Brésil, où il réside toujours, le tromboniste Raul de
Souza (1934) se présente fréquemment en France (il y a vécu un
temps) et c’est ici qu’il a enregistré Brazilian Samba Jazz.
Malgré une très longue trajectoire qui lui a permis de traverser
toute la MPB en côtoyant ses plus grands artistes, de Souza livre
pour la première fois un album sur lequel ne figurent que ses
propres compositions. Imprégné de sa culture musicale brésilienne
– antérieure à la naissance de la bossa nova - il est très tôt
attiré par le jazz et on l’entend avec ceux qui le sont aussi au
Little Club ou au Bottle’s. La plupart écriront avec lui
l’histoire de la musique brésilienne des années suivantes: Sérgio
Mendes, Paulo Moura, Som Um Romao, Bebeto, Durval Ferreira, Airto
Moreira, Baden Powell... Dès 1955, il enregistre avec ce dernier un
des tous premiers albums de musique instrumentale brésilienne, Turma
da Gafieira. Son intérêt pour le jazz est grandissant et il
rejoint Airto aux Etats-Unis ce qui lui offre la possibilité de
côtoyer des jazzmen de premier plan et d’inviter Cannonball
Adderley et Jack DeJohnette pour Colors (1974) et de
bénéficier des arrangements de J.J. Johnson. Ces précisions sont
là pour signaler que de Souza n’est pas un de ces fusionnistes à
la mode mais que jazz et musique brésilienne sont les deux rives de
sa musique et que celle-ci coule déjà depuis quelques
lustres. C’est dans cette perspective qu’il faut apprécier ce
Brazilian Samba Jazz. Qui marque ses 60 ans de carrière.
Pour celui-ci, le tromboniste a fait appel à de bons musiciens
brésiliens installés en Europe ou venus du Brésil. Un petit
frenchy s’y est joint, Julien Lallier. Ils fournissent un
environnement d’une grande qualité qui permet à de Souza de
montrer qu’il est sans doute l’un des meilleurs spécialistes
latins de l’instrument. Sa sonorité est très personnelle. C’est
du jazz mais il s’en dégage un parfum carioca. On apprécie
en ce sens plus particulièrement la «Bossa Eterna», «Ilha do mel»
pleines de swing; «Brazilian Samba Jazz» ou encore «Amigo JJ» qui
met aussi en valeur le guitariste. «Rio Loco» avec l’intervention
de l’harmonica est original. L’artiste sait transmettre par son
instrument l’indéfinissable atmosphère du saudade
brésilien («Saudade do Franck»). L’écoute de ce disque doit
inciter à rechercher les bons moments offerts par Raul de Souza dans
sa discographie et notamment ce Colors mentionné ci-dessus.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Romain Thivolle Big Band
Django Revisited
Féérie, When Day Is Done, Mabel,
Tears, Troublant Boléro, Django Jones, Nuages, Night and Day, Minor
Blues, Belleville Romain Thivolle (dir, arr), Lois Coeurdeuil (g
solo), Thierry Amiot (tp lead), Gabriel Charrier (tp), José Caparros
(tp), Fabrice Lecomte (tp), Romain Morello (tb lead), Michael
Steinman(tb), Igor Nasonov(tb), Jean-Philippe Langlois (btb), Gérard
Murphy (as, ss, cl), Julian Broudin (as), Jean-François Roux (ts),
Pascal Aignan (ts, ss), Yannick Destree (bar, fl), Florent Py (fl),
Franck Pantin (p, clav), Serge Arese (b-eb), Philippe Jardin (dm),
Sébastien Lhermitte (perc) Enregistré le 5 août 2015, Pertuis
(Vaucluse) Durée: 1h 17’ 55” RTBB 03 (www.romainthivolle.com)
Vous en savez beaucoup déjà sur ce
disque si vous avez parcouru le compte rendu détaillé de ce
festival en 2015 et si vous avez lu l’intéressante interview de
Romain Thivolle paru dans notre n°676 (été 2016). Et sinon, il est
encore possible de le faire car cela reste disponible sur notre site
et c’est un bon accompagnement pour cette écoute. Il s’agit donc
d’un concert enregistré lors du Festival de Big Bands de Pertuis
en 2015, autour de la musique de Django Reinhardt, arrangée avec
autant d’originalité que de respect par Romain Thivolle, mise en
valeur par un soliste de haute tenue, Lois Coeurdeuil, brillant
soliste à l’origine de cette belle idée de relire la musique de
Django, et par un bel orchestre mêlant jeunes et anciens, où
œuvrent de bons solistes, comme Thierry Amiot, Romain Morello,
Gérard Murphy entre autres. Le répertoire est lui aussi choisi avec
sagacité, avec des compositions de Django et Stéphane Grappelli,
bien entendu, deux standards et un original de Romain Thivolle. L’enregistrement en live est aussi
une autre performance, dont il faut féliciter tout le monde,
musiciens et techniciens; combiné avec un orchestre très impliqué
et des solistes dont un guitariste leader exceptionnel, Lois
Coeurdeuil, en état de grâce («Minor Swing»), cela donne un bel
enregistrement qui nous fait dire qu’il est urgent que les
programmateurs de festivals et concerts sortent des sentiers battus
pour aller à la rencontre de tels projets. Celui-ci est original
tout en étant ancré dans la tradition du jazz, aussi bien celle de
Django Reinhardt et Stéphane Grappelli d’ailleurs que celle des
big bands, de tous les âges du jazz (l’arrangement de «Nuages»
avec un beau chorus de trombone de Romain Morello, «Django Jones»…).
Encore une fois, si vous lisez l’interview de Romain Thivolle, vous
trouverez beaucoup de clés utiles à l’écoute dont une bonne
culture jazz, et si vous écoutez attentivement ce disque, vous
constaterez que ça swingue («Night and Day») avec ce qu’il faut
de blues, que ça joue et que ça improvise avec originalité et
talent dans toutes les sections. Un bel enregistrement qui sort de
l’ordinaire des relectures sans trahir l’esprit!
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Aurore Voilqué Septet
Machins choses et autres trucs très chouettes
Mr William, Cocek, Russian Lullaby, The
Mooche, Machins choses, En route, Clopin clopant, A chacun son
problème, Miss Celie’s Blues Aurore Voilqué (vln, voc), Olivier
Defays (ts), Jérôme Etcheberry, François Biensan (tp), Jerry
Edawards (tb), Jean-Baptiste Gaudray (g), Thomas Ohresser (g, bjo),
Basile Mouton (b), Julie Saury (dm, perc) Enregistré entre le 22 et le 24 mai
2016, Droue-sur-Drouette (28) Durée: 49' 37'' Arts & Spectacles 160502
(www.aurorequartet.com)
Pour son nouveau projet, Aurore Voilqué
a mis des cuivres dans son moteur. Après avoir revisité le
répertoire de Django Reihardt en quartet avec Rhoda Scott
(Djangolized) et donné de la voix sur quelques fameuses
chansons françaises (Live à La Fabrique), la violoniste
confirme son goût de l’éclectisme et surtout son envie de jouer
toujours plus de ses cordes… vocales! En effet, le violon d’Aurore
se fait ici plutôt discret (sauf sur «Cocek» et «The Mooche»,
seuls morceaux instrumentaux) alors que la formation, qui se
caractérise par la présence de trois soufflants (Olivier Defays,
Jerry Edwards et, en alternance selon les titres, Jérôme Etcheberry
et François Biensan), donne à chaque titre l’ampleur que pourrait
lui conférer un big band (saluons au passage les bons arrangements de Biensan, Defays et Mouton). Aurore aime chanter et, sans être devenue
chanteuse de jazz, elle a trouvé sa voie (et sa voix) dans
l’interprétation à la fois habitée et gouailleuse de la chanson
française à texte (au sein de laquelle s’insèrent ici deux bons
originaux: «En route» et «A chacun son problème»). Et, de fait,
l’assemblage entre voix et orchestre (on ne peut plus jazz)
fonctionne assez bien. On n’en apprécie que davantage la variété
des titres: standards (excellent «The Mooche» aux accents funky),
chansons françaises jazzy (c’est le «Machins choses» de Serge
Gainsbourg qui inspire le titre de l’album) et même un joli
traditionnel serbe, «Cocek». A noter qu’un morceau est chanté en
anglais, «Miss Celie’s Blues» (tiré du film The Color Purple
de Steven Spielberg), lequel est surtout l’occasion d’apprécier
la qualité des musiciens qui entourent la leader: Thomas Orhesser (qui
introduit ce blues au banjo) et Jérôme Etcheberry (avec sourdine
wha-wha) pour la facture "vintage", Jerry Edwards, pilier de cette
section de cuivres, jusqu’à Julie Saury qui semble avoir trempé
ses baguettes dans le Mississippi. Au final, un disque effectivement
chouette.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Heads of State
Search for Peace
Impressions, Uncle Bubba, Search For Peace, Capuchin Swing, Soulstice,
Crazy She Calls Me, Summer Serenade, Lotus Blossom, I Wish I Knew Gary Bartz (as, ss), Larry Willis (p), Buster Williams (b),
Al Foster (dm) Enregistré le 11 janvier 2015, New York Durée: 1h 08' 05'' Smoke Sessions Records 1506 (www.smokesessionsrecords.com)
Ce disque présente ce que le jazz a d’essentiel. Nul besoin
de longues explications pour comprendre que chacun de ces musiciens possède les
qualités fondatrices du jazz, ici dans l’esprit hérité de John Coltrane.
L’enregistrement fait plus exactement référence à McCoy Tyner, le pianiste et
dernier survivant du quartet légendaire de John Coltrane, car ces musiciens
l’ont côtoyé dès les années 1970 dans ses diverses formations. Le swing, l’expression, le blues, les
atmosphères coltraniennes, qui doivent tant à Tyner, un beau répertoire (John Coltrane,
McCoy Tyner, Jackie McLean, Benny Carter, Billy Strayhorn, Gary Bartz…) et un
naturel qui font de cette heure de musique une heure de pur bonheur. Nul doute
qu’eux-mêmes prennent un grand plaisir à se retrouver dans ce monde, car ils
ont écrit ensemble une belle partie de l’histoire du jazz des quarante
dernières années, et de cette branche du jazz. La légèreté très musicale d’Al
Foster, la profondeur de Buster Williams et le brillant de Larry Willis
soutiennent parfaitement le discours post-coltranien mais en plus linéaire de
Gary Bartz. Un excellent disque de jazz, comme c’est souvent le cas pour ce bon
label qui présente aujourd’hui le meilleur de la scène new-yorkaise dans ce que
nous appellerons le jazz de culture.
Yves Sportis © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Le Brass Messengers de Dominique Rieux
Gead Mulheran Sings Sinatra
Hello Dolly, Come Fly With
Me, The Good Life, I've Got You Under My Skin, Fly Me to the Moon, As Time Goes
By, Mack the Knife, Strangers in the Night, You Are the Sunshine of My Life,
New York New York, My Way, The Lady Is a Tramp Gead Mulheran (voc), Tony
Amouroux, Dominique Rieux (tp, fgh), Rémi Vidal (tb), Christophe Mouly (ts,
fl), Florent Hortal (g), Thierry Ollé (p), Julien Duthu (b), André Neufert (dm) Enregistré en janvier 2016,
lieu non précisé Durée: 38' 24'' LBM 01/1 (www.facebook.com/Dominique-Rieux-Officiel)
Gead Mulheran, originaire de
Rochdale dans le Grand Manchester, est un chanteur jazz et pop (il est aussi
auteur-compositeur et guitariste). Nous avons là la version crooner dans la
lignée du Frank Sinatra des années 1950 et ultérieures. Il aime aussi Nat King
Cole et Mel Tormé. Il s'est produit dans ce créneau avec le Big Band Brass de
Dominique Rieux, aujourd'hui réduit (en effectif) à ces Brass Messengers tout
aussi performants comme le démontre le premier titre, «Hello Dolly»
(Tony Amouroux, tp). Gead Mulheran possède une excellente technique vocale
(maîtrise de la colonne d'air: «Strangers in the Night») et le
phrasé de Sinatra («I've Got You Under My Skin»). La voix plus
légère que celle de Sinatra n'est pas un obstacle à la réussite de cette
évocation. Gead Mulheran possède la décontraction, le feeling des maîtres
américains qu'il a pris pour modèles. Bref ce disque est excellent et balance
bien, agrémenté, sur des arrangements de classe, par de bons solos instrumentaux
de Christophe Mouly («The Good Life»), Rémi Vidal («I've Got
You Under My Skin», «Lady Is a Tramp»), Dominique Rieux
(bugle van Laar!: «Fly Me to the Moon»; tp: «Lady Is a
Tramp»), Thierry Ollé («As Time Goes By»), André Neufert («Lady
Is a Tramp»).
Michel Laplace © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Nat King Cole & The Quincy Jones Big Band
Live in Paris. 19 avril 1960
20 titres Nat King Cole (voc, p) accompagné par
le big band de Quincy Jones et par son trio selon les thèmes
(deux concerts le même soir avec un répertoire voisin) Enregistré le 19 avril 1960, Paris
Durée: 1h 14' 59'' Frémeaux et Associés 5494 (Socadisc)
Etranges, ces coproductions de Ténot et Filipacchi avec Norman Granz, post-mortem (cf. la chronique d’Ella Fitzgerald de la même collection) car cet enregistrement est inédit et, à l’époque, Nat King Cole est sous contrat avec Capitol. Si on peut l’attribuer à la naissance de la société de consommation musicale, dont les producteurs supposés, Ténot et Filipacchi, furent d’ardents promoteurs, la dépréciation du jazz vint parfois des musiciens eux-mêmes, et parmi les plus talentueux. En cédant à la pression commerciale pour un statut de star hors catégorie, et donc hors jazz et culture, en renonçant à l’authenticité de leurs racines pour un statut social ou commercial, par conformisme, et en faisant une musique de complaisance, ils ont contribué à leur échelle à faire que le jazz perde progressivement son public, parfois ses artistes, et plus largement son indépendance. Ce mouvement, apparu très tôt dans l’histoire aux Etats-Unis, plus concentrés sur l’entertainment, terre natale du jazz, mais pas celle de sa reconnaissance et de son identification culturelle, a depuis gagné tous les continents, et nous en subissons aujourd’hui les derniers développements caricaturaux avec le retour de l’étiquette jazz dans le giron des musiques commerciales, comme avant le jazz hot. Ce disque de Nat King Cole, qui fut le premier des artistes de jazz afro-américain à atteindre ce statut de star hors catégories à un tel niveau de notoriété, est l’illustration d’un grand débat entre amateurs de jazz. Soutenu ici par un big band dirigé par Quincy Jones, avec des arrangements du même, très jazz, servis par des solistes de haut niveau (Julius Watkins, Phil Woods, Budd Johnson, Jerome Richardson, Sahib Shihab, Melba Liston, Jimmy Cleveland, Quentin Jackson, Benny Bailey, Roger Guérin qui remplaçait selon le livret Clark Terry, etc.), Nat King Cole (au piano également) sucre certaines de ses interprétations jusqu’au coma diabétique, avec complaisance et/ou un mauvais goût absolu, alors qu’il bénéficie d’un splendide ensemble de jazz très professionnel, les quelques instrumentaux («Tickle Toe», «Blues in the Night» par exemple) le démontrent. L’auteur des notes de livret s’étonne, avec superficialité, de l’accueil parfois mitigé que reçut le chanteur de la part des amateurs de jazz lors de ces tournées. La question n’est pas le purisme d’amateurs de jazz "intégristes" (comme sous-entendu), plutôt plus passionnés qu’ils ne le sont aujourd’hui, mais le manque d’authenticité, de sincérité d’un chanteur qui porte un masque commercial qui se craquelle parfois («Welcome to the Club», «Joe Turner’s Blues», «Thou Swell» qui sont bien meilleurs) quand il se souvient qu’il a été Nat King Cole, le jazzman. Les musiciens de jazz défendent toujours Nat King Cole car, outre l’aspect communautaire, ils savent quel musicien a été Nat King Cole, comme Norman Granz le savait. Mais Norman Granz comme Quincy Jones, le texte du livret le rappelle, n’ont pas hésité à demander à King Cole de jouer du jazz pour faire passer le sirop de sucre. Ils avaient donc conscience, l’un et l’autre, d’un problème et d’un public pour se permettre une telle inconvenance. Des amateurs connaisseurs pas encore soumis au conformisme de l’opinion du plus grand nombre et des médias, c’est plutôt un bon public, possédant encore un sens critique. Le jazz comme l’opéra, parce que musiques populaires, ont eu un tel public, et ce public n’a pas eu toujours tort. C’est mieux que le public consensuel et suiviste des messes médiatiques et des soirées mondaines de notre début de siècle. Au moins, il y avait débat et écoute. Pour éviter toute mauvaise interprétation de ce qui est écrit, Frank Sinatra peut chanter ce qu’il chante, parce que c’est sa culture, et qu’en dehors de son talent artistique d’interprète (car c’est un bon acteur), il est en harmonie avec son expression. Dans ce registre, il chante d’ailleurs avec plus de vérité que Nat King Cole sur le plan de l’expression parce qu’il n’est pas maniéré… Pour éclairer encore le propos, la question n’est pas le répertoire, mais l’expression. Louis Armstrong peut chanter «La Vie en rose» ou «Hello Dolly» parce qu’il reste lui-même, Billie Holiday «My Man», pour la même raison, etc. Il y a d’autres exemples de même nature au fond que cette perdition de King Cole, prenant toutes les formes selon les modes et les pressions du temps, comme pendant la période jazz rock, pour la musique d’avant-garde, pour la musique improvisée, le hip hop… Le résultat est au fond le même: le manque d’authenticité de l’expression et la perte des racines sous la pression d’un quelconque conformisme, commercial, social et/ou esthétique.
Yves Sportis © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Sebastien Girardot/Félix Hunot/Malo Mazurié
Three Blind Mice
Persian Rug,
Black Bottom Stomp, Polka Dot Stomp, When Your Lover Has Gone, Rockin' in
Rhythm, Changes, Echoes of Harlem, Maple Leaf Rag, Bogalusa Strut, I'm Coming
Virginia, Weary Blues, I May Be Wrong, Jubilee Malo Mazurié
(cnt, tp), Félix Hunot (g, voc), Sébastien Girardot (b) Enregistré les
15 décembre 2015 et 28 janvier 2016, Paris Durée: 51' Autoproduit
(www.malomazurie.com)
Dans le
territoire dit jazz on a connu ou on connait encore le trio de ce type, d'un
bord considéré traditionnel avec l'excellent Alvin Alcorn (Alcorn, tp, Justin
Adams, g, Frank Fields, b, New Orleans Jazz Brunch, Sandcastle LP 1030 –
très rare!) à l'autre, avec Stéphane Belmondo qui a porté la formule et l'ombre
de Chet Baker à travers les festivals de l'été 2016. Cette formule orchestrale
a le double avantage d'être économique (ce qui aujourd'hui n'est pas à
négliger) et d'être très musicale (mieux vaut pas de batteur qu'un mauvais).
Bien sûr, le climat de ce trio n'est pas sans évoquer la musique aussi fine que
pleine de swing du quartet Ruby Braff-George Barnes et de sa regrettée réplique
française sous la houlette d'Alain Bouchet (finalement avec Félix Hunot, un
guitariste suffit). Les arrangements sont biens tournés («Rockin' in
Rhythm», «Echoes of Harlem», etc). Malo Mazurié utilise beaucoup
les sourdines. Bien sûr, «I'm Coming Virginia» présente les trois
artistes en solo. Sébastien Girardot, bon slappeur (« Black Bottom Stomp »,
« Weary Blues ») mais pas seulement, est fréquemment soliste,
toujours excellent (« Maple Leaf Rag », « Bogalusa Strut»).
Il est aussi l'assise solide du groupe. Félix Hunot, formé par Jean-François
Bonnel, chante à la Bing Crosby dans un titre («Changes»), mais
démontre surtout ses qualités d'accompagnateur et de soliste (introduction très
fine dans « When Your Lover Has Gone »). Malo Mazurié est le jeune
trompettiste (plus souvent au cornet ici) qui monte. Bien sûr, il évoque ici
Ruby Braff («When Your Lover Has Gone», «I May Be Wrong»,
«Jubilee»). Mais inconsciemment peut-être, grâce à sa solide
culture jazz, on entend, sans copie à la lettre, ici où là des traces de Bix («Changes»,
«I'm Coming Virginia»), George Mitchell (exposé de «Black
Bottom Stomp»), Jabbo Smith («Polka Dot Stomp») et la volubilité
de Rex Stewart («Persian Rug», stop chorus de «Black Bottom
Stomp», «Rockin' in Rhythm»). Bref ce CD est un rayon de
soleil dans l'affligeante production dite musicale de nos jours.
Charles Chaussade © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Phil Urso
The Philosophy of Urso
Titres détaillés dans le livret Phil Urso (ts, bs), Bob Brookmeyer (tb), Julius Watkins (flh), Ron Washington
(ts), Walter Bishop Jr., Horace Silver, Bobby Timmons (p), Bobby Banks (org),
Percy Heath, Jimmy Bond, Oscar Pettiford, Charles Mingus (b), Kenny Clarke,
Peter Littman (dm) Enregistré entre 1953 et 1959 à Hackensack, Hollywood, New York et
Louisville Durée: 1h 08’ + 1h 02’ Fresh Sound Records 889 (Socadisc)
Le saxophoniste Phil Urso (1925-2008) est peu connu du public. Né à Jersey City mais ayant grandi à Denver, sa carrière (commencée en 1948) a été avant tout celle d'un accompagnateur, notamment aux côtés de Woody Herman, Miles Davis et surtout Chet Baker (1954-1972). Il est par ailleurs retourné vivre à Denver dans les années 60. Il a peu enregistré en leader: outre les sessions rééditées ici, il a sorti en 2002 un Salute Chet Baker avec Carl Saunders (tp). Signalons d’emblée la qualité du livret de la présente production (mais intégralement en anglais)
qui contient un bon texte de Jordi Pujol, les notes de tous les disques
originaux, ainsi que la reproduction des pochettes. Les deux
CDs reprennent des titres que Phil Urso a enregistrés en trio,
quartet et quintet, ainsi qu’au sein du Jomar Dagron Quartet et du sextet d’Oscar
Pettiford. Notons que cette livraison ne contient pas de plages avec Chet Baker (se reporter au Fresh Sound 457).
Cette intégrale des années 1953 à 1959 est une belle pièce pour découvrir le
saxophoniste.
Un premier bloc est constitué par huit thèmes édités auparavant sous le titre The Philosophy of Urso. Quatre
d’entre-eux ont été enregistrés en quartet en 1953. On y trouve notamment une
composition de Phil, «Little Pres». Le travail des trois
partenaires permet de mettre le saxophone en valeur et de bien découvrir le
son, la technique et la personnalité de Phil Urso. Quatre autres – des compositions du
saxophoniste – édités originellement sous le titre Phil Urso & Bob Brookmeyer sont enregistrés un an plus tard en
quintet avec Brookmeyer au trombone à pistons mais aussi Horace Silver, Percy
Heath et Kenny Clarke. S’il a pu, un moment, avant ces enregistrements, sonner
un peu west coast (époque avec Woody
Herman), c’est bien chez les boppers que s’alimente Urso. Ça swingue sur tous
les titres, notamment «Chiketa», ça dialogue en permanence avec
Brookmeyer. Pour ne rien gâcher, les trois autres partenaires s’en donnent à
cœur joie. Mentionnons aussi la belle ballade «Ozzie’s Ode». Deux titres sont issus de compilations éditées sur la Côte Ouest. Pour
«It’s Only a Paper Moon», le quartet de Phil n’est autre que la
formation de Baker avec qui Urso joue à ce moment (1956)… mais sans le
trompettiste! Pour «Too Marvelous for Words» un trombone est
adjoint à la formation. Les deux thèmes swinguent. Evidemment, le saxophoniste
se hisse à une hauteur qu’il ne peut avoir aux côtés de Chet Baker. Ceux qui le
connaissent avec le trompettiste découvrent ici un autre Urso.
Un autre bloc de huit thèmes figure sur ce premier CD. Phil Urso est pour
ceux-ci le saxophoniste ténor et baryton du «Jomar Dagron Quartet»
(nom correspondant aux premières syllabes des membres fondateurs de la
formation: Jo Jo Williams, Marvin Holladay, Dag Walton, Ron Washington). Ce
n’est pas un grand groupe qui entoure ici Urso mais celui-ci en émerge suffisamment
pour que l’on puisse goûter son travail au saxophone baryton sur les standards
«Squeeze me», «Satin Doll», «Pent-up
House», «Star Eyes»… Sans doute pour éviter la comparaison
avec Mulligan c’est au ténor qu’il interprète «Line for Lyons»
ainsi que sa bonne composition «Extra Mild».
Le CD2 débute avec les autres thèmes de The
Philosophy of Urso. Changement total d’ambiance avec ce très mélodique duo
saxo ténor-Hammond pour les cinq – très courts – titres de la session de 1954,
rejoint par un batteur pour les dix autres – à peine plus longs – de celle de
1956. C’est encore contemporain du début de la période Chet Baker mais le
saxophoniste a pris pour ces enregistrements un tout autre chemin. «Sentimental
Journey» pourrait symboliser l’ensemble des quinze plages. La grande
discrétion du batteur tout comme celle de l’orgue dans la plupart des cas,
permet d’apprécier la technique de Phil Urso, et le son cool qui tranche avec
la vigueur des autres thèmes du disque, mentionnés plus haut. On se régale
également avec le très beau phrasé du saxophoniste. «My Heart Stood
Still» et «Easy Out» remporte notre adhésion pour le duo
tandis que le trio brille sur la composition de Ozzie Cadena «Blues to Remember
Her by», «They Can’t Take Away from Me» de George et Ira Gershwin,
«Moonlight Serenade», dans une interprétation plus enracinée dans
le jazz que celle bien connue de Glenn Miller… Le disque s’achève sur la participation de Urso avec le sextet de Oscar
Pettiford. Ce dernier, signataire de quatre des cinq titres, est au violoncelle
et Mingus à la contrebasse. Urso, plus que Watkins (fhn) donne le ton et assume
quasiment un rôle de leader à côté du violoncelle de Petittford qui prend la
basse dans «Tamalpais». Chronologiquement ces cinq plages font
suite aux quatre premières du CD1 (avec le même W. Bishop Jr. au piano) et le
saxophoniste y distille le même style sauf sur cet étrange «Tamalpais»
dépourvu de dynamisme et d’un swing que l’on trouve dans «Jack the
Fieldstalker» ou «The Pendulum at Falcon’sLair».
Au final, ce double CD aura sa place dans la discothèque d’un jazzophile
un peu curieux.
Patrick Dalmace © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Florent Souchet/Pierre Bernier/Ilfat Sadykov/Anders Ulrich/Corentin Rio
Talkin' About John
What About,
Le John, Bouncin’with John, Jeanne, L’Audière, Etatique, T.C., Dunes, Château
Rouge, Chief Dalton Florent Souchet (g), Pierre Bernier (ts,
ss), Ilfat Sadykov (ts), Anders Ulrich (b), Corentin Rio (dm) Enregistré les 16-17-18-20 Avril 2014, Paris Durée: 1h Parallel 001 (Absilone)
Ce quintet
parisien peu connu dans l’hexagone (il a toutefois joué au Sunset-Sunside) est
composé de jeunes musiciens et semble vouloir s’inscrire dans un jazz digne de
ce nom. Les compositions sont toutes de Florent Souchet et ne sont pas dépourvues
de qualités. Elles permettent l’improvisation et le dialogue entre la guitare
du compositeur et les saxophonistes. Il n’y a pas de trompette mais on sent
l’influence du Miles Davis de la deuxième moitié des années 60. Florent Souchet
– qui, par ailleurs, a des connaissances sur plusieurs instruments – maîtrise
brillamment la guitare. Celle-ci, sans écraser les partenaires, est judicieusement
mise en valeur tout au long des dix morceaux. On l’apprécie dans
«Jeanne», les soli dans «What About», «Etatique»,
«Dunes»… et finalement sur tous les thèmes! Les partenaires du guitariste le valent bien. Pierre Bernier
n’a pas trente ans et ses prestations tant au ténor qu’au soprano sont
superbes. Il faut particulièrement relever «What About», «Bouncin’
With John», «Chief Dalton», la virtuosité au soprano dans
«Etatique». Les soli de
Ilfat Sadykov sont un peu plus rigides et dans l’ensemble les thèmes sur
lesquels il est convié en soliste swinguent moins. Le batteur, qui évite toute
démonstration superflue, et le bassiste soutiennent parfaitement le quintet. Le
groove de la basse est parfait dans «Boucin’ With John». Du bon
jazz. Prometteur!
Patrick Dalmace © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Spirit of Chicago Orchestra
Singin' in the Train
Singin'
in the Rain, Fit as a Fiddle, Temptation, Dream of You, I've Got a Feelin'
You're Foolin', The Wedding of the Painted Doll, Should I?, Beautiful Girl, You
Were Meant for Me, Good Morning, Singin' in the Rain (arr. 1936), Broadway
Melody, Broadway Rhythm, You Are My Lucky Star, Sing Before Breakfast Alexis
Bourguignon (tp1), Jérôme Etcheberry (solo tp), Hervé Michelet (tp), Pierre
Guicquéro (solo tb), Bruno Durand (tb), Stéphane Guillaume, Nicolas Fargeix
(solo sax, cl), Bertrand Tessier, Stéphane Cros, Dominique Mandin (cl, sax), Raphaël
Gouthière (tu), Mathilde Feber, Virginie Turban, Martin Blondeau (vln), Bastien
Stil (p, perc), Remi Oswald (g, bjo), Raphaël Dever (b), Jean-Bernard Leroy
(dm), Scott Emerson (voc: solos, trios, quartets) Enregistré
les 31 août, 1er et 2 septembre 2015, lieu non précisé Durée: 59' 15'' Klarthe
Records 008 (Harmonia Mundi)
Les choses sont claires
puisqu'on peut lire dans le livret que c'est «un orchestre de danse des Années Folles qui présente dans leur
orchestration d'origine les arrangements publiés d'époque». Le
programme s'attache au parolier Arthur Freed (1894-1973) et au compositeur
Nacio Herb Brown (1896-1964) qui travaillaient pour la MGM. Le livret prend également
soin de nommer l'arrangeur de chaque morceau et le titre du film d'où il est
tiré, avec sa date de réalisation. Et en effet dès la première version de «Singin'
in the Rain», sautillant à souhait, l'orchestre restitue, à la lettre, le
son d'orchestre de 1929. Ces musiques de variétés américaines, on le sait, sont
fortement influencées par le jazz (et donc, ici, les clins d'œil sont par exemple les solos de Jérôme Etcheberry,
bixien, Guicquéro et Bastien Stil dans «I've Got a Feelin' You're Foolin'»;
celui de sax de Stéphane Guillaume dans «Should I?»). L'orchestre
joue bien ces arrangements, dans l'esprit de l'époque, à s'y méprendre (il doit
faire un tabac dans les festivals off) et il est bien enregistré. C'est donc un
disque de variétés, délectable, qui sort du cadre de la revue Jazz Hot,
ou alors c'est qu'Hugues Panassié et Charles Delaunay n'avaient rien compris.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Terry Waldo's Gutbucket Syncopators
The Ohio Theatre Concert
Introduction,
Some of These Days, Anything for You, The Letter, Maple Leaf Rag*, 12th
Street Rag*, How Could Red Riding Hood?, Sweet Georgia Brown*, My Man Ain't
Good for Nothing but Love*°, Am I Blue, I'm a Great Big Baby*°, There'll Be
Some Changes Made*°, To Keep From Twiddling Their Thumbs*°, Black and Blue*°,
St Louis Blues°, Pastime Rag n°1°, The Entertainer, Atty. Gen. William Saxbe
Comments, Ace in the Hole, The Mooche, At the Jazz Band Ball* Terry
Waldo (p, voc), Roy Tate (tp), Jim Snyder (tb), Frank Powers (cl, as, ts), Bill
Moorhead (bjo), Mike Walbridge (tu), Wayne Jones (dm, voc), Atty. Gen. William
Saxbe (voc), Edith Wilson° (voc) Enregistré
le 13 avril 1974, Columbus (Ohio) Durée: 1h 09' 00'' Delmark
251 (www.delmark.com)
C'est la réédition de l'album
Hot House Rag (Delmark 239) avec neuf inédits en plus (*). La vedette est la chanteuse Edith Wilson
(1896-1981) qui, dès septembre 1921, enregistra avec le cornettiste Johnny Dunn
(réédition RST 1522-2). A 15 ans, elle fut la troisième chanteuse de «vaudeville
blues» à graver des disques. Retirée en 1966, elle débute une seconde
carrière en 1972. En 1973-76, elle enregistre d'excellentes faces pour Delmark
(CD 637) avec des vétérans recrutés par le remarquable pianiste Little Brother
Montgomery (Preston Jackson, tb, Ikey Robinson, g-bjo, Truck Parham, b, Franz
Jackson, cl, ss, ts, etc). Elle fait même un superbe show TV en France (1974).
La participation à ce concert donné à Columbus fait partie de son come-back. La
co-vedette aurait dû être Eubie Blake ; tombé malade, c'est Terry Waldo qui le
remplace en piano solos (excellents «Maple Leaf Rag», «Pastime
Rag n°1», «The Entertainer»). L'orchestre réunit par Terry
Waldo n'a pas la saveur de ceux de Little Brother Montgomery. C'est du bon
dixieland comme l'atteste «The Letter» (bonne introduction de
trombone de Jim Snyder, Waldo est bon, bien soutenu par Wayne Jones, et Frank
Powers oscille entre Pee Wee Russell dans le solo et Johnny Dodds en collective
finale). Frank Powers, responsable des arrangements, a de bons moments («Sweet
Georgia Brown»). Le cornettiste est vulgaire sans le panache d'un Wild
Bill Davison mais bon avec le plunger («The Mooche»). Le tuba,
enregistré trop fort, a de bons états de service (Art Hodes, Albert Nicholas,
Lil Hardin, Ted Butterman) et donne une fondation solide et souple («St
Louis Blues»). Mais c'est Edith Wilson qui "brûle les planches"
par sa façon émouvante et sobre d'interpréter rendant l'orchestre meilleur («My
Man Ain't Good For Nothing But Love»). Il est probable que Carol Leigh se
soit inspirée d'Edith Wilson, Doc Cheatham aussi («Black and Blue»).
A 78 ans, elle contrôle moins bien sa voix, mais ça n'a pas d'importance. C'est
une comédienne («I'm a Great Big Baby») et elle a une diction
claire (lignée Ethel Waters). Pas négligeable sans être indispensable.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Slavery in America
Redemption Songs 1914-1972
Titres
et interprètes communiqués sur le livret Enregistré
entre le 11 septembre 1914 et 1972, Congo, Haïti, Trinidad, Guadeloupe,
Jamaïque, Brésil, Cuba, Etats-Unis Durée
: 3h 23' 26'' Frémeaux
& Associés 5467 (Socadisc)
Né en 1960, l'auteur du
livret, Bruno Blum, est le reflet des comportements actuels : des "connaissances" cumulées (les pages 4-5 sont un bon résumé sociologique)
vierges de toute réflexion (l'actuelle société est ainsi faite et on voit les
glorieux résultats : enseignement, économie, social, politique, etc): un
fatras! Vouloir croire à une survivance à travers les siècles de caractéristiques
africaines immuables traduit cette absence de rigueur intellectuelle. Il serait
plus utile (mais le veut-on?) d'analyser pourquoi avec des ascendants communs
les résultats sonores venus à maturité plusieurs siècles plus tard sont si
différents. Ce qui amène au principe d'acculturation (cité une fois, page 4,
sans définition) puis à la notion de «double acculturation» connue
des ethnologues mais ici ignorée (fait de «réinventer»
l'Afrique-mère hors du territoire, plusieurs générations après les premiers
transplantés). Rien ne prouve que cet enregistrement de 1938 à Brazzaville («chant
d'invitation à la danse») «donne une idée...cent ans avant».
C'est du romantisme, pas une approche scientifique. La portion "étiquette jazz"
dans ces 3 CDs est mince: 7 morceaux sur 72 (Louis Armstrong, Duke Ellington,
Red Saunders, Ornette Coleman, John Coltrane, deux Max Roach). «Song of
the Cotton Field» de Percy Granger enregistré en 1926 par Duke Ellington
est une évocation artistique qui ne reflète pas la réalité de la vie des
premiers esclaves 300 ans plus tôt! Pas de doute sur la politisation des artistes
Max Roach et Abbey Lincoln (nom très symbolique puisque c'est Abraham Lincoln
qui a mené la lutte pour l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis) dans «Freedom
Day», mais franchement le «Free» d'Ornette Coleman (ici,
version 1958 avec Paul Bley) a un autre sens (se libérer du carcan harmonique).
Concernant les racines/cousins du jazz, environ 8 titres blues/rock'n roll/R'n
B/Soul (Bo Diddley, Tennessee Ernie Ford, Josh White, Pr Longhair, Sam
Cooke,..) et, on s'en doute, c'est plus copieux pour le spiritual/gospel, 16
titres (Mahalia Jackson, Golden Gate Quartet, Rev. J.M. Gates, Ebony Three avec
Sammy Price et Buster Bailey, Blind Boys of Alabama, les Charioteers, ...). A
noter qu'à notre sens c'est Billy Butterfield plutôt que Joe Wilder le trompette
solo dans «Work Song» par Oscar Brown Jr (1960). Tout cela est de
l'excellente musique. A noter une bonne version de «Bamboula» de Gottschalk par Eugene List (p) très
chopinesque. Un coffret pour les curieux.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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The Fat Babies
Chicago Hot
Snake
Rag, London Cafe Blues, San, Alexander's Ragtime Band, I Surrender Dear,
Dardanella*, Black Snake Blues, Here Comes the Hot Tamale Man, Froggie Moore,
Willow Tree, Weary Blues°, Liza, Please, Susie, Tight Like This, Stomp Off
Let's Go Beau
Sample (b), Andy Schumm (cnt), Dave Bock (tb), John Otto (cl, as*, ts°), Mike
Walbridge (tu), Jake Sanders (bjo), Paul Asaro (p), Alex Hall (dm) Enregistré
les 19 et 20 juin 2012, Chicago Durée: 1h 00' 34'' Delmark
253 (www.delmark.com)
Il s'agit d'un groupe de
jazz traditionnel dirigé par Beau Sample comme il n'en manque pas. Deux membres
dominent, Andy Schumm et Paul Asaro. J'ai souvenir de Paul Asaro en compagnie
de Wendell Brunious et Orange Kellin à Ascona. On a ici confirmation de son
talent, principalement dans «Stomp Off, Let's Go» (avec partie de
cornet à la Armstrong), «Willow Tree» (Alex Hall est plaisant aux
balais, trop court et délicieux passage cornet-piano en duo), «Liza»
(duo piano-drums). Le jeune Andy Schumm est connu comme un cornettiste bixien,
ce qu'il sait être en effet (solo dans le chapeau : «Dardanella»),
sans ignorer Red Nichols («Alexander's Ragtime Band»). Dans ce
créneau, on retiendra ce «San» (également bonne clarinette version
Noone, piano et basse en slap du leader). Sa prestation sweet avec
sourdine dans «Please» est de qualité. Mais on découvre aussi son
côté armstrongien dans «Weary Blues» (bons stop chorus) et «Tight
Like This» (où son solo est dans l'esprit, pas dans la stricte copie). Il
est plaisant de retrouver ici «Here Comes the Hot Tamale Man» bien
connu des fans de Freddie Keppard (bon solo de basse du leader). L'introduction
de trombone dans «Susie» est bien. Globalement tous ces musiciens
jouent de façon experte ce qu'ils ont choisi d'interpréter ici.
Michel Laplace © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Roberta Donnay
Bathtub Gin
Bathtub Gin, Why Don't You Do
Right, If You Want The Rainbow, Wake Up and Live, Just What Me Doctor Ordered,
When I Take My Sugar to Tea, Shake Sugaree, Throw Your Heart, Put The Sun Back
In the Sky, Happy Feet, Bye Bye Blackbird, Kitchen Man, Smile, Horizontal
Mambo, I Gotta Right to Sing the Blues Roberta Donnay (voc, arr), Rich
Armstrong (tp, cnt, fgh, voc), Wayne Wallace (tb, arr), Danny Grewen (tb, voc),
Shelon Brown (cl, ts, bs, voc), Steve Malerbi (hca), John R. Burr (p), Sam
Bevan (b, arr), Michael Barsimento (dm), Deszon Claiborne (dm, voc), Nicolas
Bearde, Annie Stocking, Eddy Bee (voc) Date et lieu d’enregistrement
non précisés Durée: 1h 03' 08'' Motéma Music 166 (www.motema.com)
Roberta Donnay (née en 1966)
signe là un album intéressant. Elle a commencé à 16 ans. A San Francisco, elle
se produit pour Dick Oxtot (sans doute une bonne école puisque Janis Joplin s'y
frotta au blues en 1963-65). Elle fréquente divers genres (premier disque en
1989) pour revenir au "jazz" en 2005. Ce disque est une bonne surprise. Roberta
Donnay a beau afficher son amour pour les vieilles chansons et pour les stars
du passé, elle nous offre une musique qui ne sonne pas datée, soit en big band,
soit avec trio. Elle chante certes d'une façon maniérée qui n'est pas l'essence
expressive de Bessie Smith, Sippie Wallace, Victoria Spivey, Ida Cox ou même
Ethel Waters et Billie Holiday auxquelles elle fait référence. C'est léger, pas
de drame. Les arrangements en big band sont percutants. Rich Armstrong fait du
bon travail de lead trompette (mais, sans doute à cause d'un choix
d'embouchure, sa sonorité n'est pas séduisante). L'orchestre "envoie” dans «Bathtub
Gin» (bon solo de Sheldon Brown, bs),
«Happy Feet» (bon solo de Sheldon Brown). On pense à Peggy
Lee dans «Why Don't You Do Right?», une réussite de l'album, mais
Robeta Donnay ne copie pas (bon maniement du plunger par Rich Armstrong et
Wayne Wallace). L'orchestre et le sax ténor sont bons dans «Wake Up and
Live», «Sugar to Tea» et «Bye Bye Blackbird»
(alternative piano-batterie). Le tempo est bien lent pour «Smile» où
Sam Bevan, Rich Armstrong, Steve Malerbi prennent de bons solos. Touche dixie
dans «Throw Your Heart» (clarinette et plunger du trompette). L'«Horizontal
Mambo» est de la bonne variété. Les titres en trio sont d'un niveau
variable. On oubliera «If You Want the Rainbow» (bon solo de Sam
Bevan) et «Shake Sugaree» (tendance folk). En revanche, le swing
est présent dans «Just What the Doctor Ordered» (duo vocal avec
Nicolas Bearde), «Put the Sun Back in the Sky» (chœur genre Boswell
Sisters), «Kitchen Man» et «I Gotta Right to Sing the Blues»
(excellents contre-chants et solo de trompette bouchée en plus). Le pianiste
John R. Burr est excellent dans tous les titres. Si ce n'est pas du jazz actuel
satisfaisant, ça y ressemble dans le contexte d'une médiocrité générale.
Michel Laplace © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Eli & The Hot Six
Live. Contemporary Jazz Classic
Honeysuckle
Rose, St James Infirmary, Oh By Jingo, Perdido, Chinatown My Chinatown, Body
and Soul, I Can't Give You Anything But Love, Bei Mir Bist Du Schoen, Just
Squeeze Me, Them There Eyes, Charlie on the MBTA, Tiger Rag* Eli Newberger (tu), Bo Winiker (tp), Herb Gardner (tb), Ted Casher (cl, ts, ss,
voc), Bob Winter (p), Jimmy Mazzy (bjo, voc), Jeff Guthery
(dm), Rebecca Sullivan (voc), Randy
Reinhart* (cnt) Enregistré
les 3 décembre 2013, 5 et 14 janvier 2014, 2-3 avril 2014, Sherborn (Massachusetts) Durée: 1h 07' 15'' Autoproduit
(www.elinewberger.com)
C'est un groupe dixieland
dirigé par le tubiste Eli Newberger. Le premier titre (en public, 2013), «Honeysuckle
Rose», puis «Perdido» donnent une impression défavorable: ça
ne swingue pas et les minauderies de la chanteuse sont fastidieuses. En
revanche, le pianiste, membre du Boston Pops, est bon (il joue en piano solo «Oh
By Jingo”). Jimmy Mazzy (bj, voc) est vedette d'un «St James Infirmary»
très mou, et de «Chinatown, My Chinatown» (avec sympathique solo de
tuba), dans lesquels l'orchestre n'est pas fameux (le soprano est une épreuve).
Ted Casher, chanteur épouvantable, est au mieux de ses possibilités au ténor,
non sans copier Coleman Hawkins («Body and Soul»). L'excellent
Randy Reinhart n'apparait que dans un titre, pas le plus favorable («Tiger
Rag»). Ce disque a un public (américain) qui se satisfait de reconnaître
les morceaux. Le jazzfan tirera plus de profit à (ré)écouter les disques de
Louis Armstrong, Duke Ellington, Ella Fitzgerald et Coleman Hawkins.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Orrin Evans
The Evolution of Oneself
All The Things You Are (prelude), For Miles,
Genesis I, Autumn Leaves, Wildwood Flower*, Sweet Sid, Genesis II, Jewels &
Baby Yaz, Iz Beatdown Time, Spot It You Got It, Genesis III, Feb 13th,
A Secret Place*, Ruby Red, Tsagli’s Lean, Professor Farworthy, All The Things
You Are (Spring Feathers)°, All The Things You Are Orrin Evans (p), Christian McBride (b), Karriem
Riggins (dm), Marvin Sewell* (g), JD Walter° (voc) Enregistré le 17
décembre 2014, New York Durée: 1h 18' 21'' Smoke
Sessions Records 1507 (http://smokesessionsrecords.com)
Ayant pris des cours à deux pianos avec Kenny
Barron (Jazz Hot n°673), Orrin Evans avoue une influence majeure du Philadelphia sound sur son œuvre - Larry Carlton (g) a évoqué le versant soul de ce son, par un hommage aux producteurs Kenny Gamble et Leon Huff, dans Plays the Sound of Philadelphia (335
Records, 2010). Représentant d’un jazz moderne ouvert aux
autres formes d’expression musicale, il s’est inspiré de musiciens comme Eddie
Green et Bobby Watson, à l’instar de Christian Mac Bride également originaire
de la scène de Philadelphie. Après avoir publié sept disques chez Criss Cross,
et conduit deux autres formations, Tarbaby et Captain Black Big Band, Orrin
Evans réunit sur The Evolution of Oneself
un trio à la cohésion
irréprochable, qui ne craint pas d’allier
post-bop, néo-soul et jazz-funk, sans jamais perdre le sens du swing. L’unité sonore de ce patchwork
musical est assurée par la production impeccable de Paul Stache, qui met particulièrement
en valeur les interventions des solistes. Il s’agit curieusement de la
première collaboration enregistrée sur disque entre Christian Mac Bride et le
leader alors qu’ils jouent ensemble depuis longtemps, et le plaisir de l’écoute
réside en partie dans cette complicité évidente, servie par une riche
expérience commune. Au niveau du style, le
pianiste se distingue par l’usage de motifs répétitifs qui confèrent un aspect presque
hypnotique à certains gimmicks, tandis que l’apport de Christian Mac Bride
s’avère essentiel dans la texture sonore et l’architecture des morceaux. Karriem Riggins s’illustre tout
particulièrement par son art des liaisons, qui culmine au travers d’un
magnifique solo de batterie sur «Professor Farworthy». Les interludes hip-hop de
«Genesis», l’hommage soul jazz rendu à Grover Washington Jr, «A
Secret Place» ou l’épisode country folk de «Wildwood Flower» sont
quelques-uns des moments marquants de l’album, des références qui témoignent du
parcours très personnel retracé sur The
Evolution of Oneself. A cet égard, la relecture de
«Jewels and Baby Jaz», de Jafar Baron, constitue certainement le véritable
point d’orgue de l’enregistrement, faisant du néo soul d’Orrin Evans une
composante à part entière du jazz moderne.
Jean-Pierre Alenda © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Anne Wolf
Wolf in the Wood
Ladies in Mercedes, Estamos aï, Overjoyed, Wild
Flower, Caminhos Crueados, On Green Dolphin Street, Mambo influenciado, Theme for
Ernie, Saint Thomas, Growlin’Face, Cantabile Anne Wolf (p, arr), Stefan Bracaval (fl), Chris Joris
(perc), Sal La Rocca (b) Enregistré les 17 et 18 décembre 2015,
Saint-Josse-Ten-Noode (Bruxelles, Belgique) Durée: 1h 13' 36'' Mogno Music j0532 (www.mognomusic.com)
Pari osé pour Anne Wolf qui a choisi de laisser son compagnon (Théo
De Jong, bg) sur la touche pour ce nouveau quartet. Pari osé pour le choix de
thèmes qu’elle n’a pas composés. Pari osé aussi pour avoir préféré enregistrer live. Mais pari justifié par le choix de
ses accompagnateurs: Stefan Bracaval («On Green Dolphin’
Street»), Sal La Rocca («Wild Flower») et Chris Joris («Mambo
Influenciado», «Saint Thomas»). Ne refusons pas ce parfum
d’authenticité avec ses essoufflements et ses accélérations («Estamos
aï»); les tensions/détentes font partie de l’esthétique. Anne Wolf
n’est pas une virtuose au sens strict du terme, mais c’est une personne
sensible, gentille. Son jeu apparait parfois un peu raide, mais enduite elle
vous prend la main, puis le bras et dépose
un baiser pudique sur votre joue. On connait son attachement pour la samba, les chansons brésiliennes
(«Caminhos Cruzados» de Jobim) et la latin-attitude en général («Mambo
influenciado» de Chucho Valdès). Son répertoire passe aussi par la valse
(«Wild Flower»), les belles mélodies: «Overjoyed»,
«Cantabile» de Michel Petrucciani et «Growlin’Face» de
son mentor Charles Loos. Anne Wolf se love avec délectation (nous aussi)
dans «Theme For Ernie» de Fred Lacy. Avec «On Green Dolphin Street»,tous les solistes tournent, très à l’aise.
Sonny Rollins aimerait-il cette version "caravanisante"
de «Saint Thomas»? Stefan Bracaval et Chris Joris se font
trop rare sur nos scènes. Une raison de plus pour aimer cet album joliet qu’on
écoute un mojito à la main, dans un transat à la plage ou au jardin.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Sonny Rollins
The Quintessence: 1957-1962
CD1:
Old Devil Moon, Theme From Tchaikovsky's Symphony Pathetic, Freedom Suite, Body
and Soul, Manhattan, Grand Street, Who Cares?, You Are Too Beautiful, Doxy,
I'll Follow My Secret Heart; CD2: In The Chapel in the Moonlight, How
High the Moon, The Bridge, God Bless the Child, Don't Stop the Carnival, The
Night Has a Thousand Eyes, Jungoso, Doxy Sonny
Rollins (ts) et diverses formations Enregistré
de 1957 à 1962, New York, Lenox, Los Angeles Durée:
1h 11' 48'' + 1h 09' 44'' Frémeaux
& Associés 3064 (Socadisc)
Une
sélection du Sonny Rollins de cette période autour de son retrait provisoire de
la scène, entre l’été 1959 et 1962, est forcément indispensable, pas forcément
pour les raisons communément avancées de l’histoire mythologique du doute qui
envahit l’artiste face à la concurrence, car Sonny Rollins est déjà un
grand. Comme le souligne Alain Gerber, l’auteur de la sélection et des notes de
livret, Sonny Rollins a profité de son retrait pour continuer à approfondir son
art. Le contrebassiste Henry Grimes, présent sur quelques pièces de cette
époque, connaîtra lui-aussi une éclipse autrement plus longue et profonde. Comme
tout créateur, Sonny Rollins en a profité pour s’enrichir intérieurement, pour
réfléchir sur le sens de sa vie, sur l’articulation entre les racines et son
besoin de novation, d’affirmation de sa personnalité en ces temps où tout
semble aller très vite dans le jazz. Cette
interrogation s’impose à lui dans l’âge d’or d’un jazz encore jeune, malgré
quelques disparitions d’importance (de Bessie Smith et Fats Waller à Billie
Holiday et Lester Young en 1959, en passant par Clifford Brown, Art Tatum et
Charlie Parker). Les grands courants sont actifs, et la création bat son plein
–ce n’est rien de le dire. Les enregistrements exceptionnels de toutes les
générations et styles s’accumulent. Les échanges intergénérationnels
s’intensifient (pour Charlie Parker comme pour John Coltrane), malgré une
«nouvelle» critique avide de rupture (qui contribua à une scission
artificielle), de nouveauté obligée (qui participa de la négation des
racines), de phénomènes de mode liés au développement commercial d’une
industrie de la musique à l’échelle internationale (qui déboucha sur la dérive consumériste
dont le jazz souffre aujourd’hui). Sonny Rollins est aussi probablement
concerné par le statut de l’artiste afro-américain aux Etats-Unis, dans cette
période charnière (New York est une fenêtre de reconnaissance pour le jazz aux
Etats-Unis), et bien qu’ayant dix ans de carrière, ne peut pas être insensible
à ce bouillon de culture, pour évoquer l’un des titres («The Night Has a
Thousand Eyes») qui servit de générique sonore, valorisant et indissociable, à
l’émission de Bernard Pivot vingt ans après. Donc,
pour ce deuxième volume de cette collection consacrée à Sonny Rollins, on a de
splendides thèmes d’avant et d’après les promenades solitaires de Sonny
Rollins et de son saxophone sur le pont.
Compte tenu de la beauté de l’expression, il n’était pas très difficile de
trouver matière à cette compilation: on peut s’arrêter avec plaisir sur chacun
des thèmes, mais il faut remarquer une production plus essentielle dans les
années cinquante. Que ce soit dans le registre post-parkérien («Old Devil
Moon») ou dans l’évocation des racines et de la tradition du saxophone
(«Body and Soul» en solo en référence à Coleman Hawkins), ou encore
pour la dimension «recherche et développement» («Freedon Suite»), tout Sonny
Rollins est déjà là, pour toujours, et ce n’est pas pour rien qu’il est un
ténor majeur des années 1950, et qu’il le restera pour les six décennies
suivantes. Une sonorité épaisse et veloutée, une dextérité parkérienne, une
manière unique de traîner sur le temps, de rouler les notes, une inspiration et
un lyrisme certains, confirme l’une des personnalités fortes du jazz des années
cinquante, malgré son jeune âge (moins de 30 ans). Ses rencontres avec Charlie
Parker, Dizzy Gillespie, Max Roach, Art Blakey, Miles Davis, Thelonious Monk, John
Coltrane en témoignent plus que des discours. Le
retour de Sonny Rollins en 1962 n’apporte rien de vraiment nouveau aux qualités
d’un artiste d’exception, si ce n’est une sensibilité plus grande aux
trompettes de la renommée ou aux sirènes de la critique, ce qui rend parfois
moins profonde, moins naturelle et moins libre (malgré l’étiquette d’époque)
son expression. Il n’est que d’écouter les deux «Doxy» proposés ici, peut-être
avec malice par Alain Gerber, pour constater que celui de 1958 avec la rythmique
du Modern Jazz Quartet (John Lewis, Percy Heath, Connie Kay) est à notre sens
plus essentiel, enraciné et novateur, que celui de 1962 qui sacrifie à quelques
clichés du temps, y compris en matière de mise en place, et qui a moins bien
vieilli. On confirmera Alain Gerber dans son intuition, à savoir que Sonny
Rollins était à la recherche du génie de Sonny Rollins, sans savoir qu’il était
déjà là. Et quand Sonny Rollins reste simplement lui-même, naturel, en 1962
(«God Bless the Child») comme en 1958 («Body and Soul»), il est simplement l’un
des plus grands ténors de l’histoire du jazz, un digne descendant du grand
Hawkins et le second père de centaines de saxophonistes de par le monde: un
idéal, un absolu.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Stan Getz
Moments in time
Summer Night, O Grande Amore, Infant Eyes, The Cry of the
Wild Goose, Peace, Con Alma, Prelude to a Kiss, Morning Star Stan Getz (ts), JoAnne
Brackeen (p), Clint Houston (b), Billy Hart (dm) Enregistré du 11 au 16 mai 1976, San Francisco Durée : 1h 15’ Resonance Records 2021 (www.resonancerecords.org)
Stan Getz/João Gilberto
Getz/Gilberto '76
Spoken Intro by Stan Getz, É Preciso Perdoar, Aguas de
Março, Retrato Em Branco E Preto, Samba da Minha Terra, Chega de Saudade, Rosa
Morena, Eu Vim Da Bahia, João Marcelo, Doralice, Morena Boca de Ouro, Um Abraço
No Bonfá, É Preciso Perdoar (Encore) Stan Getz (ts), João Gilberto (g), JoAnne Brackeen (p),
Clint Houston (b), Billy Hart (dm) Enregistré du 11 au 16 mai 1976, San Francisco Resonance Records 2020 (www.resonancerecords.org)
Comme toujours chez Resonance, le livret est exemplaire:
on trouve dans celui de Getz (28 pages) de superbes photos de Tom Copi, des
textes de Feldman, Barkan, Ted Panken, Steve Getz, des interviews de Hart,
Brackeen, et des citations de Branford Marsalis et Joshua Redman. Dans celui de
Getz/Gilberto (32 pages), il compte, en complément, un texte de James Gavin et
Carlos Lyra sur la bossa nova. On y lit, entre autres, que Stan Getz était l’un
des saxophonistes préférés de Coltrane (avec Earl Bostic, Lester Young, Sonny
Stitt et Dexter Gordon). Ces deux albums confirment assurément cette lignée dans
laquelle Getz s’inscrit, si certains en doutaient encore. Moments in Time est un enregistrement, passionnant, émouvant, par
la qualité de la musique qui y est jouée, par son exigence aussi, et parce
qu’il est l’unique trace de ce groupe de Getz,composé de JoAnne Brackeen
(p), Clint Houston (b) et Billy Hart (dm), qui dura d’octobre 1975 à février
1977. L’engagement au Keystone Korner (mai 1976) correspond aussi aux
retrouvailles de Getz et Gilberto, qui enregistrèrent The Best of Both Worlds (Columbia) un an plus tôt (en mai 1975), dont
l’album sortit en septembre 1976. Dans cette sélection, composée de standards, Stan Getz, en
très grande forme, joue avec un son énorme, riche, plein d’âme et une rythmique
du tonnerre. On lit d’ailleurs dans le livret qu’il ne s’était jamais senti
aussi soutenu que par ces sidemen-là. On peut le comprendre. Brackeen, Houston
et Hart donnent tout et sont des accompagnateurs incomparables. «Summer Night» commence très fort et annonce la
couleur avec le groove de Houston (b) et le jeu très musclé de Brackeen (p), dont
on sent à la fois l’influence de McCoy Tyner et une expressivité très personnelle.
Après la samba «O Grande Amor» (Jobim, Moraes), Getz joue «Infant
Eyes» (Shorter), un des plus beaux titres de cette sélection, une ballade
gorgée d’émotion, avec un long solo poignant de Getz, avant de laisser la place
à la pianiste au jeu tout aussi profond, pendant le dernier tiers du morceau.
Sans doute pour casser un peu le rythme, «Cry of the Wild Goose» sonne
avec ses accents jazz-funk, pleins d’énergie. Les deux titres suivants comptent
aussi parmi les plus beaux: dans «Peace» d’Horace Silver, le
ténor y montre sa maîtrise, son expérience, ses mille talents. Son
interprétation est bouleversante. Le morceau le plus long (12 minutes) est
«Con Alma». On y entend un long solo du ténor qui gagne en
intensité. Puis deux autres ballades, « Prelude To A Kiss» et
«Morning Star», aussi superbes. Si dans cette sélection, Stan Getz est
au sommet de son art, elle rend justice à la pianiste JoAnne Brackeen, mettant
en lumière son immense musicalité, sa technique, son jeu complexe, très franc au
son très personnel. Rappelons qu’elle joua autour de ces années avec Art Blakey
et les Jazz Messengers (1969-1972) et Joe Henderson (1972-1975). A l’inverse, l’excellent
Houston – Roy Haynes (1969-1970), Roy Ayers (1971-1973), Charles
Tolliver (1973-1975)
– souffre un peu de la sélection. Il n’en reste pas moins très présent
et son jeu épatant. Tout comme Hart, magnifique, rompu à toutes les situations. Avec Getz/Gilberto '76, on change d’atmosphère, à l’image de
la pochette de l’album: une peinture de l’artiste portoricaine Olga Albizu (1924-2005), pionnière de
l’expressionnisme abstrait aux Etats-Unis, dont les œuvres ont illustré d’autres disques de Stan Getzdans les
années 1960 (Jazz Samba,
Verve, 1962; Big Band Bossa Nova,
Verve, 1962; Jazz Samba Encore!,
Verve, 1963; Getz/Gilberto, Verve,
1964; Getz/Gilberto Vol. 2,
Verve, 1966). Disons-le tout de suite, le titre est trompeur. Si Getz et
son quartet sont bien présents, c’est avant un tout un album de Gilberto. Sur
ces douze titres, la voix chaude, délicate, sensible du chanteur, son jeu si
naturel et son immense technique à la guitare sont un enchantement. Après une introduction de Getz, qui salue l’excellence de son
camarade mais regrette qu’il ne joue pas davantage, le ténor devient un
accompagnateur impeccable. Il est d’ailleurs frappant de voir combien le
quartet s’efface au profit du Gilberto. Hormis «Retrato Em Branco
E Preto»
et «Doralice» sur lesquels Getz joue un solo, un peu fort
peut-être, comparé à la fragilité du chanteur-guitariste, et «Chega de
Saudade» et «Eu Vim Da Bahia» en quartet, Gilberto joue seul,
passionnément sur «E Preciso Perdoar», «Aguas de Marco»,
«Samba da Minha Terra», «Rosa Morena», «Morena
Boca de Ouro», «Um Abraco No Bonfa», et un instrumental,
«João Marcelo». Tous les titres sont des merveilles, de véritables œuvres
d’art.
Mathieu Perez © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Frank Catalano
Bye Bye Blackbird
Chicago Eddie, Bye, Bye Blackbird, Sugar, All Blues, At Last, Shakin Frank Catalano (ts), David Sanborn (as), Nir Felder, (g), Demos Petropoulos (org),
Jimmy Chamberlin (dm) Durée: 31’ Enregistré en 2015, Chicago Ropeadope LLC 2014 (www.ropeadope.com)
La trilogie du saxophoniste de Chicago Frank Catalano s’achève sur ce Bye Bye, Blackbird qui fait donc suite à
God’s Gonna Cut You Down et à Love Supreme Collective (Jazz Hot n° 674). A l’hommage à Coltrane
succède celui à Miles Davis; inévitable reconnaissance au trompettiste
qui a su donner sa chance à Frank à ses débuts. Hommage aussi à Eddie Harris, à
travers «Chicago Eddie», saxophoniste de Chicago dont la sonorité a
marqué Catalano, ainsi qu’à son mentor Von Freeman avec «Sugar»
thème que celui-ci a joué dans son album At Long last George. Pas plus que Love Supreme Collective
n’était une reprise de l’œuvre de Coltrane, l’intention de Catalano n’est de
faire une cover des deux thèmes rendus célèbres par Miles: «Bye Bye
Blackbird» et «All Blues». Catalano s’est entouré de
partenaires dont le style s’éloigne de celui du trompettiste, reflète leur personnalité
et se fond avec celle du saxophoniste. L’absence de piano rompt évidemment avec
les quartets et quintets de Miles et l’introduction du B3 change la donne, offrant
un caractère particulier à l’ensemble du disque. Pas de bassiste non plus mais
la guitare de Nir Felder est beaucoup trop discrète à notre goût. «Bye
Bye Blackbird» prend un air de jouvence. Si l’introduction est moins
sèche que dans la version de Miles, le thème est plus dynamique. Présent sur ce
thème David Sanborn et son alto dialoguent avec le ténor. L’excellent et
énergique solo de Jimmy Chamberlin – à travers lequel on perçoit l’influence
rock de celui-ci – rompt avec le travail plus délicat de Philly Jo Jones. C’est
aussi ce thème qu’avait choisi Keith Jarrett pour son hommage personnel au
trompettiste. C’est de nouveau le B3 qui lance un «All Blues» bien
plus court que l’original. Le saxophone ténor prend le rôle de la trompette de
Miles mais Frank ne peut pas s’appuyer sur le back ground de Coltrane et
Cannonball comme le faisait Davis. Seul face au thème, Catalano montre ses
aptitudes, son talent, et sa sonorité est mise en valeur. De nouveau, Chamberlin
s’illustre dans un style évidemment à cent lieues de ce que proposait Jimmy
Cobb qui n’offrait pas de solo, Miles devant juger cela inutile pour ce thème.
Frank voit les choses autrement et celui proposé par Chamberlin s’insère bien
dans la version présente. Le saxophoniste aurait pu aussi sur ce thème inviter
Sanborn mais on a du pur Catalano. Pour quelle raison Frank Catalano a-t-il choisi «At last»? Mystère.
Le thème existe sur un disque sur lequel figurent Miles et Chet Baker mais
c’est en réalité Chet qui joue. Originellement le thème est joué très cool mais
débute ici avec un Catalano à cent pour cent, donc débordant de puissance avant
de donner de la souplesse à son jeu et de revenir vers une ambiance (un peu)
plus cool. Exit Sanborn. Frank joue de bout en bout et peut s’appuyer sur un
excellent groove de Chamberlin et un travail discret du B3. «Chicago
Eddie» est un peu répétitif mais la prestation au saxophone est de
qualité et Jimmy autant que Petropoulos et Nir Felder à la guitare sont
valorisés. Revenons sur «Sugar» ou de nouveau Catalano échange avec
Sanborn, par moment dans un véritable dialogue. Le tempo permet d’apprécier le
détail du jeu de Catalano qui montre toute la richesse de son style. Le B3 est
encore à son avantage. Von Freeman peut être satisfait de son influence! «Shakin» est une reprise du thème initial du
disque God’s Gonna Cut You Down. Chamberlin
et Petropoulos étaient déjà présents sur la première mouture. Pas vraiment de
grosses différences avec celle-ci. Le thème dure le même temps, l’introduction
au B3 est identique, précédant l’entrée du saxophone, de la batterie et des
autres partenaires. Catalano laisse la place à Petropoulos qu’on trouvait plus
percutant dans la version initiale et à un solo démoniaque de Chamberlin. Nir
Felder dans son intervention surpasse en qualité le guitariste de la première
version. Il a aussi la possibilité de s’exprimer plus longuement. Le thème
s’achève avec un excellent retour du saxophoniste.
Patrick Dalmace © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Emil Spányi/Jean Bardy
Very Blue
Very Blue, I Love You Porgy, I’ve never Been in
Love Before, Comme Sunday, Nothing Like You, Three Clowns, Walkin’, Sa Majesté
César II, Black Smoke, Anton’s Journey, Autumn Nocturne Emil Spányi (p) Jean Bardy (b) Enregistré les 24 et 25
avril 2014, lieu non précisé Durée: 1h 06' Parallel 002 (Absilone)
Ce disque est musicalement un beau disque. Toutefois,
malgré une solide formation et une remarquable maîtrise de l’instrument, le
Hongrois Spányi lui n’a su (ou voulu) greffer que rarement ses connaissances du
jazz - certes un peu froides - acquises en côtoyant de bons jazzmen. La
composition qui donne le titre à l’album «Very Blue» se charge de
swing et est sans aucun doute la meilleure pièce du disque. Son autre apport,
«Black Smoke», très belle œuvre, ne relève pas du jazz ni
l’interprétation du classique «Autumn Nocturne» du compositeur
russo-américain Josef Myrow.
Son partenaire de duo, Jean Bardy, n’a rien à lui envier au point de vue de la
formation musicale. Il se révèle un accompagnateur particulièrement à
l’écoute du pianiste. Jean Bardy offre lui aussi deux compositions sur
lesquelles il montre sa virtuosité personnelle. Il débute à l'archet «Sa
Majesté César II», puis c’est Spányi qui lui sert l’accompagnement. C’est
beau mais là encore ce n’est pas du jazz, pas plus que «Anton’s Journey».
Le duo a pioché dans les standards à trois reprises ainsi que chez Gershwin.
Pour «I loves You Porgy» on reste un peu sur sa
faim. Le toucher délicat du pianiste sur «Come Sunday» d’Ellington
nous rapproche de la version du duo Mulgrew Miller/NHOP. « Three
clowns » reste joué dans le même esprit classique et il est peu probable
que Wayne Shorter, son auteur en soit ravi. Reste le «Walkin» que
Carpenter avait offert à Miles Davis. Cette fois le duo est vraiment dans le
jazz et si l’interprétation n’a rien à voir avec celle du trompettiste, elle
est excellente tant de la part de Spányi que de Bardy qui montre là
son bagage jazzistique acquis dans les clubs parisiens depuis quelques lustres.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Emile Parisien Quintet
Stufamo
Préambule, Poulp, Le Clown Tueur de la
Fête Foraine I*, Le Clown Tueur de la Fête Foraine II, Le Clown
Tueur de la Fête Foraine III*, Duet for Daniel Humair, Brainmachine,
Umckaloabo, Balladiza I, Balladiza II
Emile Parisien (st, ss), Joachim Kühn
(p), Manu Codjia (g), Simon Tailleu (b), Mario Costa (dm) + Michel Portal* (bs cla), Vincent Peirani* (acc)
Enregistré les 16, 17 et 18 mai 2016,
Pernes-les-Fontaines (83)
Durée: 59' ACT 9837-2 (Harmonia Mundi)
Avec ce nouveau groupe en quintet,
Emile Parisien, nous propose un album (le septième) moins évident
que ses précédents mais qui confirme désormais sa stature de
leader. «Sfumato» signifie nuancé en italien et l’artiste s’en
inspire pour en définir tel un peintre les contours de cette
nouvelle toile. Album plus grave, plus adulte et moins enjoué, il
faut entrer dans les méandres embrumées d’un jazz bien européen,
la suite «Le Clown Tueur de la Fête Foraine I, II , III» donne le
ton où chaque partie, servie avec des invités, met en valeur ses
propos originaux. Mélancolie, fin d’une adolescence rieuse, le
propos paraît plus grave, la plupart des compositions sont signées
par Emile Parisien. Pas de conflit de génération entre Joachim Kühn
(72 ans) et le jeune Emile (34 ans), Joachim est le pianiste du
groupe et non simplement un invité, et chaque musicien apporte sa
solide contribution à une œuvre sérieuse. Maîtrise parfaite du
soprano et du ténor pour une expérimentation plus alambiquée et
ambitieuse réussie, cet album marque sans aucun doute une nouveau
tournant pour cet artiste qui triomphe sur la scène mondiale. Une
nouvelle référence du jazz portée par cet ancien élève de
l’école de Marciac. On pourra préférer l’instrumentiste
facétieux et tout aussi inventif en concert où son tempérament
s’exprime avec sérieux, fougue, humour et folie.
Michel Antonelli © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Hubert Dupont
Golan Al Joulan Vol. 1
Haifa la Nuit - Pt.1, Haifa la Nuit -
Pt.2, Turquoise, Tust –Pt. 2, Morning Promise, Pass Pass
Hubert
Dupont (b), Youssef Hbeisch (riq, bendir, derboukas, perc), Ahmad Al
Khatib (oud), Zied Zouari (vln), Matthieu Donarier (cl)
Enregistré en octobre 2015,
Fontenay-sous-Bois
(94) Durée:
46' Ultrabolic 1004 (Musea)
Hubert
Dupont a toujours su emprunter une voie particulière dans le jazz et
ce dès son premier groupe de jeunesse, Kartet. La genèse de ce
nouveau groupe et album remonte en 2013 quand Ahmad Al Khatib et
Youssef Hbeisch invitent Hubert Dupont pour un concert à l’Institut
du Monde Arabe, qui sera suivi par une tournée en Palestine, puis,
en 2014, par des concerts en France et en Finlande. Les musiciens se
présentent alors sous le nom du Trio Sabil. Dès le premier titre
«Haifa la Nuit-Pt.1», l’horizon musical est révélé par
l’introduction au oud d’Ahmad Al Katib; ce devrait être un
voyage oriental, mais Zied Zouari, jeune tunisien (23 ans), introduit
une certain changement à la tradition, percussions et ligne de basse
maintiennent et illustrent le tempo qui donne une entière liberté
au violoniste. La caravane poursuit son voyage au levant sur la
seconde partie du même titre et ce sera Matthieu Donarier qui
s’illustrera en particulier avant de laisser place aux percussions
de Youssef Hbeisch. «Turquoise» rappelle qu’Hubert Dupont est un
de nos contrebassistes de haut niveau et dans une introduction brève
et claire invite la compagnie à se joindre à la mise en valeur de
sa ligne mélodique développée en un long solo soutenu
essentiellement par la derbouka. Cet album s’inscrit plus dans
l’esprit du jazz que dans sa forme et nous charme par sa pureté et
par l’entente et l’écoute commune de musiciens formés à
différentes écoles. N’oublions surtout pas la flûtiste, Naïssam
Jalal qui s’illustre sur le dernier morceau «Pass, Pass». L’album
a été enregistré durant la manifestation Musiques au Comptoir, à
Fontenay-sous-Bois, devant un public plus qu’attentif. La totalité
des compositions est signée par Hubert Dupont qui a aussi réalisé
le mixage, très équilibré, de l’album, pour son label et
structure de production Ultrabolic, qui défend aussi de nombreux
projets menés par cet artiste.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Itamar Borochov Quartet
Outset
Pain Song, Samsara, Bgida, Boston Love
Affair, Ovadia, Opening, One For Uzi
Itamar Borochov (tp), Hagai Amir (as),
Avri Borochov (b), Aviv Cohen (dm)
Enregistré en mai 2011, Tel Aviv
(Israël) Durée: 58’
RealBird Records
(www.itamarborochov.com)
Itamar Borochov
Boomerang
Tangerines, Shimshon, Eastern Lullaby,
Jones Street, Adon Olam, Jaffa Tune, Avri’s Tune, Ça va Bien,
Wanderer Song, Prayer
Itamar Borochov (tp), Michael King (p),
Avri Borochov (b, oud, voc, sazbush), Jay Sawyer (dm) + Ysraël
Borochov (jumbush, voc) Enregistré du 6 au 12 décembre 2015,
Malakoff (92) Durée: 52' 16'' Laborie Jazz 36 (Socadisc)
Plus de quatre ans séparent ces deux
enregistrements lesquels confirment le talent de ce jeune
trompettiste de 32 ans, originaire d’Israël, qui depuis 2007 vit à
Brooklyn. Cet ancien élève de Junior Mance, Charles Tolliver et
Cecil Bridgewater, a choisi de raconter son histoire qui relie Lower
Manhattan à l’Afrique du Nord, l’Israël moderne (Jaffa, Tel
Aviv) et l’antique Boukhara (mythique route de la soie). Son
inspiration et son style viennent du hard bop mais revisité par de
multiples influences puisées dans une enfance passée à Jaffa
(ville judéo-chrétienne-musulmane) au sein d’une famille de
musiciens où l’on écoutait Edith Piaf comme Weather Reaport. La
musique sacrée juive, fondée sur les gammes arabes, a complété
son initiation. Mais c’est sa confrontation à la scène
new-yorkaise qui lui a amené l’aisance du propos et un
professionnalisme tout américain. Les deux albums se partagent entre
son inspiration traditionnelle – pour les titres «Samsara, Bgida»
sur Outset et «Adon Olam», «Jaffa Tune» sur Boomerang
–, et des titres bien marqués, tirés de sa confrontation urbaine
américaine «Pain Song», «Boston Love Affair», mais aussi
«Eastern Lullaby», «Jones Street», «Prayer» l’ensemble
toujours joué dans une ligne bop moderne. Nul besoin de choisir un
album plutôt que l’autre, tout est bon il n’y a rien à jeter.
Son jeu parfois acrobatique révèle une maîtrise de vieux briscard
et sait jouer avec mille nuances. La clarté du propos lui permet de
n’user d’aucun artifice et sa sonorité très mate se distingue
parmi celle de ses contemporains. On peut relever le talent de ses
accompagnateurs, en particulier du pianiste Michael King. Itamar
avait participé cet été à la nouvelle création du danois Lars
Danielsson, European Sound Trend, y jouant un rôle principal
de soliste. Le trompettiste sera en tournée en France en novembre
2016 avec à ses côtés l’excellent pianiste Shai Maestro.
Décidément la scène jazz israélienne nous livre de nombreux
talents.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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John Beasley
MONK'estra Vol. 1
John Beasley (p, elp, synth), Reggie
Hamilton, Ricky Minor (b), Gary Nova (dm), Joey de Leon (perc), Bob Sheppard,
Danny Janklow Justo Almario, TomLuer, Thomas Peterson, Jeff Driskill (anches),
Wendell Kelly, Ryan Dragon, Eric Miller, Steve Hughes, Paul Young (tb), Bijon
Watson, Jamie Hovorka , Brian Swartz, Gabriel Johnson, Mike Cottone (tp), Alex
Budman (s), Epistrophy, Skippy, Oska T, Monk’s
Procession,’Round Midnight, Ask Me Now, Gallop’s Gallop, Little Rootie Tootie,
Coming on the Hudson Enregistré en 2015, Los Angeles, New
York, Miami, Venice Durée: 55’ Mac Avenue Mac 1113 (www.mackavenue.com)
Encore du Monk! Mais dès les premières notes d’«Epistrophy» on sait
qu’avec son big band est ses arrangements John Beasley a gagné son pari. C’est
qu’il n’est pas le premier venu: à 56 ans il signe une carrière des plus
intenses. Parmi ses collaborations on compte des arrangements et supervisions
de séances d’enregistrement pour Miles Davis, Steely Dan, James Brown, Sergio
Mendes, Freddie Hubbard ou encore Chick Corea… Il travaille aussi pour la
télévision (Star Trek, Disney) et
pour Hollywood, notamment Carmine Coppola pour Le Parrain III… En 2015, il réalise un vieux rêve, diriger un big band consacré à la
musique de Thelonious Monk et signe ainsi son neuvième album personnel. Chaque
titre revisité mérite un traitement spécial et aucun n’a jamais sonné de cette
façon. Dès le premier morceau, l’introduction est fabuleuse et le soliste ici
mis en valeur sera un vibraphone, plutôt rare chez Monk. Pour «Skippy», la
bataille des cuivres ravage l’arrangement pour laisser place à un saxophoniste
alto puis une trompettiste plus qu’inspirés. «Oska T» introduit par un son
électronique et la voix de Monk himself, qui termine sur un «merci beaucoup»,
vole d’éclat sous un tempo de la contrebasse pour laisser place, une nouvelle
fois, à un dialogue trompette – big band époustouflant. Chaque titre est une
pépite à découvrir où les solistes nous émerveillent, il n’est pas précisé qui
prend les solos mais on saluera tous les musiciens pour leur fougue et leur
travail d’ensemble. John Beasley très discret ne manque pas de se mettre juste
en valeur sur le solo de piano de «‘Round Midnight». Charlie Mingus n’aurait
pas renié l’arrangement d’un long «Little Rootie Tootie» ou l’effervescence
fait place à de subtiles mignardises pour mettre en valeur la section des
saxophones. Un dernier double souhait, la suite par un second album et l’écoute
prochaine en concert de cet orchestre lors d’une tournée en France.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Jean-My Truong
Secret World
11 titres: détail sur le livret
Jean-My Truong (dm), Nicolas Calvet (voc), Sylvain Gontard
(tp, flh), Leandro Aconcha (p), Pascal Sarton (b) + Neyveli Radhakrishna (vln),
Dominique Di Piazza (b), Balakumar Paramalingam (Mridangam) + String Quartet
Enregistré à Meudon
(78)
Durée: 54’ 35’’
ODL 171649 (www.jeanmytruong.com)
On connaît les qualités de batteur de Jean-My Truong:
drumming fin, sobre, joli toucher des baguettes, élégance des cymbales,
pulsation exemplaire, à l’écoute et au service du collectif et des
solistes; toutes qualités qui servent ce Secret World qui manifeste une volonté d’abolir les frontières
musicales Occident-Orient. Soit, mais les musiques d’Occident et d’Orient sont
variées et multiples. Ceci posé, les intentions, les inspirations, et le
résultat concret sont des choses aléatoires et pas toujours réalisables ou
réalisées. Jean-My Truong s’est tourné vers les musiques indiennes et bengalis,
avec la complicité de musiciens de ces régions. Le violoniste indien
Radhakrishna, qui joua avec Ravi Shankar, est remarquable sur «Bengali
Friend» et encore plus sur «Indian Journey» avec un
formidable et diaboliquement virtuose solo de basse de Dominique Di Piazza,
qui, on s’en souvient, joua avec John McLaughling; d’ailleurs le meilleur
du disque est dans ces morceaux qui rappellent le fonctionnement du Mahavishnu
Orchestra. Pour le reste on est dans une sorte de fusion années 70-80 avec un
chanteur qui s’appuie sur de longues vocalises à l’unisson avec divers
instrument sur des onomatopées majoritairement en ou. On retrouve la belle
sonorité du trompettiste, qui produit un long et beau solo sur «A New
Soul», très volubile comme dans toutes ses interventions ici. Autant
j’avais apprécié «The Blue Light», un hommage particulièrement
réussi à Miles Davis, autant on l’aura compris, je n’adhère que du bout de
l’oreille à cette musique. Les compositions et les arrangements sont du leader.
Dans l’ensemble le déroulement des morceaux est par trop semblable, et je
trouve que le chanteur emmène trop les morceaux vers une sorte de world music,
qui hélas affecte de plus en plus les musiciens de jazz. Ce qui n’entache pas
la sincérité des musiciens de ce disque.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Fred Nardin/Jon Boutellier Quartet
Watt's
Watt’s, Round Twenty Blues, The Gentleman is a Dope, Hope, Highlanders’s Walk,
East of the Sun, Not so Cold, Yatchan, Stevie the Great, Chinoiserie Fred Nardin, (p), Jon Boutellier (ts),
Patrick Maradan (b), Romain Sarron (dm) + Cécile McLorin Salvant (voc), David
Enhco (tp), Bastien Ballaz (tb)
Enregistré, les 28 et 29 juillet 2013, Meudon Durée: 55’
Gaya Music Productions 023 (Socadisc)
Il se peut que parmi le "grand public" du jazz beaucoup
ne connaissent pas vraiment Fred Nardin et Jon Boutellier. Auquel cas ce disque,
Watt’s, est le bienvenu car loin des "recherches" de certains pour inventer ce qui serait un "nouveau" jazz, un "jazz du XXIe siècle", les deux compères et leurs partenaires jouent
vraiment LE jazz. Celui qui remonte de ses racines, s’alimente des années
50-60, et poursuit sa route sans s’égarer en intégrant l’histoire et le moment présent.
Les membres du quartet se connaissent parfaitement, chacun est attentif à l’autre
et la formation nous régale au long des thèmes,
pour la plupart œuvres de trois membres du groupe: Nardin, Bouteiller et
Maradan. Tout est équilibré, délicat, distillé pour le plaisir des sens.
L’unité du disque n’empêche pas l’éventail d’atmosphères.
On se rend vite compte que Jon Bouteiller est un saxophoniste qui a travaillé à
l’écoute de ses prédécesseurs et possède
une maîtrise parfaite -de l’instrument c’est évident- mais aussi du
jazz. Fred Nardin, qui n’a rien à lui envier, est brillant, avec un plus sur
les tempi lents. Un morceau joué en
quartet est particulièrement beau: «Not so Cold» pour lequel le piano disparaît au profit d’un Fender. Le
batteur Romain Sarron est détenteur d’une connaissance de tous les styles et ça
swing! Patrick Maradan offre deux thèmes rythmiquement différents mais restant
dans l’esprit du disque. Pour les trois morceaux puisés dans le répertoire du
jazz le quartet a fait appel à des invités. Cécile McLorin chante sur «The
Gentleman is a Dope». On peine à croire qu’elle n’est pas la chanteuse permanente
du groupe tant elle s’y intègre aisément. Je ne reviens pas sur ses qualités;
Cécile fait aujourd’hui partie des grande voix du jazz. Elle récidive sur «East
of the Sun». Dans les deux cas se joignent aussi à la formation la trompette de
David Enhco et le trombone de Bastien Ballaz. Tous deux donnent de l’éclat à l’ensemble et la
chanteuse en profite aussi pour apporter de la puissance. Les deux
instrumentistes sont aussi invités sur la «Chinoiserie» de Duke Ellington et
s’en donnent à cœur joie.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Yves Peteers Gumbo
The Big Easy Revisited
My Gumbo’s Free, This Time,
New Orleans by Dawn, Force of Nature. Part 1, Force of Nature. Part 2,
Lighthouse, 24 Hours Later, Masquerade, No Hero, True Love Pie, Street Parade
Yves Peeters (dm), François Vaiana (voc), Bruce
James (p, voc), Nicolas Kummert (ts), Dree Peremans (tb), Nicolas Thys (b, eb)
Enregistré en juin 2015,
Bruxelles (Bruxelles)
Durée: 57’ 54’’
W.E.R.F.Records 136 (www.dewerfrecords.be)
Si vous vous êtes promené dans les rues de New
Orleans, comme l’ont fait Yves Peeters et Pierre Vaiana, vous aimerez cet album
qui goûte le jambalaya. La musique est celle d’aujourd’hui, là-bas: un mélange
de marching bands, de blues et de jazz,
groovy, funky. «This Time», «True Love Pie» et «New Orleans by Dawn» sur lesquels
apparait Bruce James (p, voc) illustrent parfaitement ce feeling du Delta. Son
jeu de piano évoque Dr. John; sa voix: Joe Cocker. Sur les autres plages, on épinglera le soin mis
à l’écriture des lyrics par François Vaiana. Au chant, le fils de Pietro (ss,
avec L’Ame des Poètes) est plus réservé que
l’américain (tessiture); on perçoit l’influence de David Linx («24 Hours
Later»). «No Hero», écrit par Yves Peeters, arrangé par Dree Peremans , est un
authentique gospel qui se clôture par une belle fin chantée en
choral (chorale aussi sur la fin de «Street Parade»). La rythmique (b/eb-dm) est autoritaire, volubile,
hallucinante; vaudou sur «Force of Nature. Part 2». Comment pourraient-ils se
passer du feeling de Nicolas Thys à la basse électrique sur le gospel «No Hero»,
sur «Street Parade», «My Gumbo’s Free» et ailleurs? Les solistes – Nicolas
Kummert (ts, «Force of Nature. Part 1») et Dree Peremans (tb) – impriment
une étiquette plus jazz, plus contemporaine. Ne jetez pas cette carte postale avec
un parfum de Bourbon! Il est permis de danser!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Teodora Enache-Aisha & Theodosii Spassov
Incantations
Romanian Dance No. 4, Dance in Bulgarian Rhythm 2,
Romanian Dance No. 2, Romanian Dance No. 3, Dance in Bulgarian Rhythm 1,
Romanian Dance No. 1, Dances in Bulgarian Rhythm 4 and 5, Romanian Dances No. 5
and 6 Teodoara Enache-Aisha (voc), Theodosii Spassov (kaval),
Miroslav Turiyski (key), Attila Antal (b), Oleksandr Beregovsky (perc)
Enregistré entre juin et septembre 2015, Cluj-Napoca
(Roumanie) Durée: 43’ 07’’
E-Media/Autoproduit (http://teodora.arts.ro)
Pour ceux qui ont vu chanter Teodora Enache en France, en club, ce
disque sera une découverte, une surprise, car le jazz n’y a qu’une place
accessoire –une couleur– loin de ce que nos oreilles l’ont entendu
produire au sein de formations de jazz, et elle a en effet côtoyé
beaucoup de musiciens de jazz: Stanley Jordan, Eric Legnini, Billy
Cobham, Johnny Raducanu… La découverte s’explique par l’absence et
l’ignorance, car depuis ses rares passages en France, l’élégante
chanteuse a fait beaucoup de chemin, aux Etats-Unis, dans sa vie et dans
sa carrière en général, et cela l’a conduit, comme souvent pour les artistes, à une
redécouverte et un approfondissement de ses racines, de ce qui a été à
la base de sa culture, musicale entre autres dimensions. Cet
enregistrement se place dans un cycle de redécouverte des racines, dont c’est le quatrième volet,
précédés par plusieurs autres depuis 2002 (Back to My Roots, Shorashim, Doina…). Teodora est roumaine, et si le jazz a son histoire en Roumanie (Jazz Hot
a eu un correspondant roumain dès 1935), c’est aussi un pays riche de
plusieurs traditions musicales, un carrefour historique entre l’Orient et
l’Occident, où musiques traditionnelles (juive, tzigane,
traditionnelles, orientales…) et musiques savantes, locales ou
d’importation, classique et jazz, s’entremêlent dans un écheveau
inextricable. Parmi les musiciens roumains, eux-mêmes de toutes les
sensibilités, on trouve souvent des virtuoses, des savants, car la musique est
la vie, en Roumanie aussi. Teodora Enache (Jazz
Hot n°587) livre ici un hommage à Béla Bartók (1881-1945), né en
Roumanie au temps de l’Empire austro-hongrois, compositeur qui a
exploité avec autant de conviction que d’assiduité le grand répertoire
des musiques populaires. Teodora a réuni pour cet enregistrement une
formation où l’instrumentation traditionnelle –notamment la magnifique
flûte traditionnelle (kaval) de Theodosii Spassov, coleader de cet
enregistrement– mais aussi la conception des percussions contribuent à
un climat très nettement oriental. Tous les thèmes sont inspirés de Béla Bartók.
C’est ainsi que sont ici
reprises et réarrangées les «Danses roumaines» et «Danses en
rythme bulgare» du pionnier de l’ethnomusicologie. Dans
le livret, la chanteuse exprime son attachement à l’œuvre de Bartók.
Teodora ne jazzifie pas Bartók, elle prolonge simplement sa recherche de
racines, à travers une inspiration majeure, Bartók, en y intégrant une couleur jazz par moment qui fait aussi
partie de sa formation, de ce qu’elle est. Mais la tonalité générale de
l’album, une belle musique, reste orientale, populaire et traditionnelle, proche finalement de ce que
désirait la chanteuse roumaine, une musique mêlant de nombreuses
influences mais faisant d’abord référence aux racines roumaines. Sa voix
cristalline, acrobatique, envoûtante, et son mariage avec la flûte
traditionnelle de Theodosii Spassov,
donne chair à un projet honnête, une sorte d’autoportrait de ce qui a
constitué, produit Teodora Enache. La conviction de la voix de la
chanteuse ne trompe pas. Ce n’est un disque de jazz mais c'est un beau voyage…
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Harold Mabern
Afro Blue
The Chief*, Afro Blue (Gregory Porter)*°, The
Man From Hyde Park (Gregory Porter), Fools Rush In (Norah Jones)*°, Don't
Misunderstand (Norah Jones), I'll Take Romance (Jane Monheit)*, My One and
Only Love (Jane Monheit), Billie's Bounce (Kurt Elling)*, Portrait of Jennie
(Kurt Elling), You Needed Me (Kurt Elling), Such Is Life (Alexis Cole)*°, Do It
Again (Peter Bernstein), Mozzin', Bobby/Benny/Jymie/Lee/Bu
Harold Mabern (p), Jeremy Pelt (tp)*, Eric
Alexander (ts), Steve Turre (tb)°, John Webber (b), Joe Farnsworth (dm) + selon
les thèmes : Gregory Porter, Norah Jones, Jane Monheit, Kurt Elling,
Alexis Cole(voc), Peter Bernstein (g)
Enregistré les 21 et 29 août 2014, New York
Durée : 1h 09' 32''
Smoke Sessions Records-1503 (http://smokesessionsrecords.com)
Harold Mabern, c’est la générosité sur scène
et hors scène; c’est aussi la modestie. Ajouté à ses qualités artistiques de
pianiste d’exception, leader autant qu’accompagnateur, dans la lignée
esthétique de la grande tradition du piano jazz, de la famille esthétique de
McCoy Tyner, cela donne un artiste archétypique du jazz de culture; celui qui
ne se récite pas, mais celui qui se vit, pas seulement dans le contenu musical
proprement dit, mais au quotidien, dans tous les instants. Quand il joue tout
est donc naturellement du jazz, c’est son langage.
On le retrouve ici dans une formation qui
évoque les Jazz Messengers d’Art Blakey (tp, ts, tb, p, b, dm), mais dans une
formule proposant des rencontres, de différents chanteurs, pour 10 des 14
thèmes, plus 1 en ouverture en quintet (« The Chief ») dédié à John
Coltrane, dont c’était un surnom, 2 thèmes en trio en final qui relèvent pour
le premier de l’univers tynérien-coltranien (« Mozzin »), et pour le
dernier de celui plus funky des Messengers auxquels il est dédié («Bobby,
Benny, Jymie, Lee, Bu», soit Bobby Timmons, Benny Golson, Jymie Merritt, Lee
Morgan et Buhaina Art Blakey, «Bu» pour les intimes).
Pour la partie consacrée aux chanteurs/ses,
aux côtés d’un bel orchestre, et d’un pianiste d’une élégance et d’une écoute
exceptionnelle, on retrouve avec plaisir un excellent Gregory Porter, qui
possède tous les arguments pour se mettre au niveau spirituel de cet ensemble,
comme le «versatile» Kurt Elling, à sa manière, d’abord dans le registre d’Eddie
Jefferson puis dans une manière, plus pop, puis plus soul, pour un thème
sortant du champ esthétique de ce disque («You Needed Me»), Kurt Elling, dont
on connaît l’excellent esprit, la grande culture et les qualités de dynamisme,
pour trois thèmes avec un leader qui se met au diapason des
variations esthétiques (Harold colore son jeu et sa formation en fonction des
thèmes).
Côté chanteuse, on apprécie l’intervention de
Jane Monheit, qui possède une réelle profondeur, et profite pleinement, avec
autant de métier que d’esprit, de cette belle rencontre avec des musiciens de
haut niveau, dont elle partage l’esthétique, Harold Mabern en particulier. Alexis
Cole intervient aussi sobrement, sur un beau thème écrit par Harold Mabern. Reste
la rencontre, problématique pour nous dans ce disque, de Norah Jones, personnalité
qui relève d’un autre monde, du show business, et pas à la façon d’un Sinatra
qui pouvait s’intégrer n’importe où, mais à la façon d’une personne dont
l’expression reste artificielle et superficielle, malgré le cadeau que lui fait
Harold Mabern d’un duo piano-voix; et malgré ses commentaires.
En guise de notes de livrets, Harold Mabern
donne une interview à Damon Smith et commente ce disque, d’ailleurs agréablement
pour l’auditeur, les thèmes et les protagonistes, et a un commentaire élogieux
et parfois précis pour chacun d’eux.
Dans ce disque, aussi varié qu’une soirée
d’anniversaire, il faut encore signaler la présence de Steve Turre (4 thèmes),
Jeremy Pelt (6 thèmes), venus compléter, sans se forcer, l’habituel combo
d’Harold Mabern (Eric Alexander, John Webber, Joe Farnsworth), et un autre
invité sur un thème («Do It Again»), l’excellent Peter Bernstein, qui ne s’est
pas non plus fait prier pour faire partie de cette scène new-yorkaise très
active.
Car Harold Mabern, c’est aussi la joie de
jouer, de faire de la musique, et son entrain, son drive sont de ceux qui électrisent
les musiciens de jazz, et ça se ressent pour l’auditeur, les deux dernières
pièces étant, à notre avis, la nougatine la plus appréciable de cette pièce
montée.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Steve Turre
Spiritman
Bu, Lover Man, Funky Thing, Trayvon's Blues,
It's Too Late Now, With a Song in My Heart, ’S Wonderful, Peace, Nangadef,*
Spiritman-All Blues
Steve Turre (tb), Bruce Williams (as, ss),
Xavier Davis (p), Gerald Cannon (b), Willie Jones III (dm), Chembo Corniel
(congas)*
Enregistré le 1er juin 2014, New
York
Durée: 1h 09’ 55”
Smoke Sessions Records 1502 (http://smokesessionsrecords.com)
De toute la série récente des disques de ce
label new-yorkais qui propose des enregistrements toujours très intéressants
d’un jazz de culture, le plus souvent enraciné dans l’héritage du bebop-hard
bop, celui des Messengers, d’Horace Silver, voire coltranien, cet opus de Steve
Turre est parmi les plus intéressants. Steve Turre (Jazz Hot n°604) aime toujours le jazz comme s’il avait 20 ans, et
il conserve dans son jeu très élaboré le feu et l’enthousiasme de son jeune âge.
On retrouve ici en ouverture, comme dans le disque d’Harold Mabern sur le même
label, un hommage à Art Blakey («Bu»), figure essentielle de la biographie de
Steve Ture, aux côtés de Woody Shaw et Roland Kirk. C’est Art Blakey, que lui présenta Woody Shaw, qui emporta
à New York, dans ses valises, lors d’un passage à San Francisco, le jeune
tromboniste en l’intégrant sur le champ à ses Messengers, comme il le raconte
dans les notes de livret, et Steve Turre confie qu’il n’a pas peur de swinguer,
car il sait que c’est le fondement du jazz.
Ici, le tromboniste revient à son jeu virtuose
de trombone, et s’il parle de Curtis Fuller dans le livret, on ne peut
s’empêcher de penser aussi à J. J. Johnson par sa manière sur les ballades
(«It’s Too Late Now»). Bien sûr, les tempos enlevés et les ensembles évoquent
aussi l’univers d’Art Blakey-Horace Silver, et donc Curtis Fuller. Cela dit car
Steve Turre connaît ses racines, mais il est par lui-même un formidable instrumentiste,
original autant par certaines atmosphères, par l’utilisation des conques et
d’effets très expressifs, que par un drive qui le rapproche de son maître
Blakey.
A propos de batteur, il y en a un formidable,
Willie Jones III, qui en dehors d’avoir fait la couverture de Jazz Hot n°669, dirige aussi un label,
et joue ici avec ses qualités de finesse et d’énergie qui le rendent essentiel
pour le jazz aujourd’hui. Le reste de la formation est également excellent, avec
les brillants Bruce Williams, Xavier Davis et Gerald Cannon, et comme le
répertoire, mêlant beaux standards et originaux, a été parfaitement choisi et
construit, cela donne un de ces disques qu’on peut passer sans s’en lasser pour
écouter toute la richesse musicale, des arrangements, des instrumentistes, les
chorus que chacun délivre sans faiblesse.
Le «Lover Man» sur tempo rapide est très beau,
Bruce Williams parkérien comme il se doit; le swing et le blues, parfois funky («Funky Thing»), ont toujours la
part belle tout au long de cet enregistrement; il y a un bel hommage à Horace
Silver («Peace») qui venait de disparaître au moment de l’enregistrement, où
Bruce Williams expose le thème avec le beau contrechant du trombone, avant de
s’adjuger un beau chorus, et le dernier thème, «All Blues» de Miles Davis,
introduit par «Spiritman» de Turre, est une pure merveille, les conques rappellent en effet l’univers de Roland Kirk.
Un beau thème est dédié à Trayvon Martin («Trayvon»), l’adolescent abattu en
2012. Gershwin Bros. (’S Wonderful») sont présents pour un thème, de même que
Rodgers & Hart («With a Song in My Hart») pour un magnifique up-tempo où brille particulièrement
Willie Jones III. «Nangadef» associe un percussionniste, Chembo Corniel, et le résultat n’en est que meilleur, avec de
beaux chorus et une couleur latine en sus.
Tout semble très naturel, très enraciné dans
cette musique, savant sans étalage, et c’est pourquoi on parle d’un jazz de
culture, celui pour lequel on ne se pose pas la question de savoir si ça
swingue, si le blues est présent, si l’expression est au rendez-vous, car ce
jazz à de fertiles racines, et il se
sent et se vit de l’intérieur autant pour les musiciens que pour l’auditeur.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Jean-Loup Longnon
L'Ours
L'Ours,
conte symphonique pour quintette de cuivres et orchestre (1), La Grèce en
Automne (2)
(1)
Concert Arban : Thierry Caens, Jean-Paul Leroy (tp, fgh), Eric Vernier (h),
Yves Favre (tb), Michel Godard (tu) & Orchestre Symphonique Ephémère
direction Dominique Rouits : Philippe Slominski, Patrick Fabert, François
Chassagnite (tp), François Lemonnier, Jean-Louis Pommier, Denis Leloup (tb),
Patrice Petit-Didier (h), Vincent Guyot, Philippe Leloup, Rémy Duplouy (cl),
Sylvie Dambrine, Bernard Labiausse, Daniel Martinez, Georges Alirol, Nicole
Libraire (fl), Christian Moreau, Gérard Gaudillère (ob), Jean-Claude Montac,
Jean-Paul David, Philippe Grech (bsn), strings, Laurence Cabel (hp), Philippe
Legris (tu), Emmanuel Roche (tymp), Bertrand Maillot, Didier Sutton, Franck
Tortiller (perc) ; (2) Sinfonietta Ephémère direction Jean-Loup Longnon :
Jacques Peillon (h), Sylvie Dambrine, Gérard Auger (fl), Rémy Duplouy (cl),
Vincent Friberg (ob), Jean-Pierre Gayet (bsn), Nathalie Prouteau (hp), Yvon
Kerouanton (celesta), strings, Philippe Macé (tymp), Didier Sutton (perc)
Enregistré
(1) décembre 1984, Paris; (2) novembre 1992
Durée: 37' 46''
JLLBB2016
(UVM Distribution)
Il ne s'agit pas là du
Jean-Loup Longnon trompettiste, mais du compositeur. «La Grèce en Automne»
(4' 39'') est une bonus track(extraite de l'album Cyclades). L'évènement est la réédition de L'Ours,
conte symphonique, dédié à Henri Dutilleux (37' 02''). L'Ours (éditions
Robert Martin) est une commande de Thierry Caens. Depuis toujours les jazzmen
sont fascinés par la «musique classique» (Louis Armstrong vouait une admiration
pour Tchaikovsky) : «durant trois
ans, la composition de cette pièce avait représenté pour moi, échappant au
jazz, l'occasion unique de revenir vers l'indispensable musique "classique",
celle ayant imprégné mon enfance et que, d'année en année, je chérissais
davantage» (Jean-Loup Longnon). Il se trouve que j'ai participé comme
troisième trompette à la création de cette œuvre à Dijon le 12 août 1982 au
sein de l'Orchestre Symphonique de l'Académie d'Eté dirigé par Roger Toulet. Il
y avait aussi Charles Loerher (tp1), Claude Bonnet (tp2), Joël Vaïsse (tb1),
Philippe Renault (tb2), Eric Vernier (h), Marc Dullion (cl1), Martine Cappozzo
(fl1). Le Concert Arban, quintette de cuivres, comprenait à cette date Camille
Leroy (h) et Gérard Buquet (tu). Il s'agissait d'une première version et je me
souviens de la fébrilité de Jean-Loup Longnon, anxieux de savoir si tel passage
de violon ou autre est difficile ou non. Ce fut pour nous un étonnement, un
ravissement, mais aussi beaucoup de travail. Jean-Loup Longnon a révisé le
score pour la forme définitive enregistrée ici (1984) au célèbre studio Davout
avec des musiciens bénévoles. Il avait, à juste raison, peur que ce travail
connaisse l'oubli après la création ce qui est le lot des "d'œuvres" modernes commandées pour des
congrès, colloques, conférences et autres manifestations commises "entre
musiciens".
L'autre obstacle est que L'Ours s'écoute sans déplaisir,
enfantée à une époque où régnait le terrorisme avant-gardiste des adeptes du
sériel qui condamnaient à l'ombre les tenants d'un degré de mélodie et rythme
comme Jolivet, Tomasi, Dutilleux, etc. Ces résistants ont gagné, les compositeurs
actuels reviennent au sens mélodique et rythmique. L'ombre redevient lumière et
l'œuvre symphonique de Jean-Loup Longnon a légitimement droit à une nouvelle
vie! Voici L'Ours remixé et remasterisé. Bien sûr, le rôle de l'ours est
tenu par le tuba (Michel Godard). C'est lui qui introduit le 1ermouvement, relayé par le quintette de cuivres en fanfare. On notera la belle
phrase mélodique du cor (Eric Vernier) reprise par les trompettes. L'entrée de
l'orchestre avec la partie de harpe évoque Ravel plus que le développement qui
suit (cordes de caractère romantique). Fôret, clairière sont l'argument pour
d'intrigantes parties de hautbois, basson, clarinette. Les cuivres se signalent
dans la troisième partie du 1er mouvement avec même un solo de bugle (Jean-Paul
Leroy, je crois me souvenir) qui l'espace d'un moment swingue. Le tuba ouvre le
2e mouvement. La flûte est sollicitée dans ce nocturne. Percussions
et cuivres ouvrent le 3e mouvement de façon virile et rythmique.
Jean-Loup Longnon a complété l'œuvre par des variations autour de la note mi et
par un mouvement «souvenirs,…, apaisement». La bonus track s'inscrit dans la même esthétique. Longue vie à L'Ours.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Buddy Bolden Legacy Band
Back and Forth The King's Fath
Makin'
Runs, Make Me a Pallet On Your Floor, High Society Rag, Down By The Riverside,
Jelly Roll Blues, My Bucket Got a Hole in It, Buddy's Habits, Careless Love,
Buddy Bolden Stomp, Turkey in The Straw-St James Infirmary, Creole Song-If You
Don't Shake It You Don't Get no Cake, Basin Street Blues, Buddy Bolden Blues,
Get Out of Here*
Fabrizio
Cattaneo (tp), Luca Begonia (tb), Marcello Noia (cl), Stefano Guazzo (ss, cl),
Roberto Colombo (g), Egidio Colombo (bj), Alberto Malnati (b, voc), Robert
Lopez (dm), Elena Ventura (voc)
Enregistré
les 23 janvier* et 12 juillet 2015, Varese (Italie)
Durée
: 1h 03' 25''
Riserva
Sonora 2015/08 (www.riservasonora.com)
Alberto Malnati, musicien
d'obédience "moderne" longtemps imperméable au "jazz traditionnel", qui eut
l'occasion de jouer avec Plas Johnson et Jesse Davis, n'est tombé sous le
charme du feeling néo-orléanais qu'à partir de sa première visite à la Cité du
Croissant (1992). Dans le livret il précise: «I don't know if this record should be defined as Dixieland, or
New Orleans revival or New Orleans today's style, I call it JAZZ». En
fait, la majorité des titres sonnent «dixieland» principalement du
fait du soprano de Stefano Guazzo (préférable à la clarinette qu'il joue
rarement). Le programme est assez recherché et détaillé dans le livret (des
points sont discutables). Comme le
Bechet-Spanier Quartet de 1940, il y a des titres selon cette formule (tp, ss,
g, b) qui ne sont pas les moins intéressants: «Make Me A Pallet on Your
Floor», «Jelly Roll Blues», «My Bucket Got A Hole In It»,
«Creole Song», «Basin Street Blues» et «Buddy
Bolden Blues» dans lesquels Fabrizio Cattaneo confirme ses qualités de
trompettiste issu de la lignée Armstrong. Alberto Malnati est bon bassiste qui
sait manier l'archet («Turkey in the Straw»), mais quel fâcheux
chanteur! Elena Ventura est préférable dans ce bon «Careless Love».
En formation complète (batteur un peu raide), en plus de Cattaneo, on peut
apprécier le talent de Luca Begonia (tb) notamment dans «Makin' Runs»
de Bunk Johnson, «High Society» et «Buddy's Habits».
Belle coda de Fabrizio Cattaneo dans «St James Infirmary».
Sympathique, sans plus.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Dominick Farinacci
Short Stories
Bamboleo,
Senor Blues, Soldier's Things, Doha Blues, Sunshine Of Your Love, Tango,
Somebody That I Used to Know, Afternoon In Puebla, Black Coffee, Parlour Song
Dominick
Farinacci (tp, fgh, arr), Mark Mauldin (tb), Heidi Ruby-Kushious, Brianne
Sharkey (fl), Thomas Reed (bcl), Larry Goldings (p, org, celesta), Gabe
Bolkosky (vln), Leah Ferguson (vla), Sawyer Thomson (cello), Gil Goldstein
(accn, arr), Dean Parks (g), Christian McBride (b), Steve Gadd (dm), Jamey
Haddad (perc), Jacob Collier (voc, instr. électroniques), Mike Massy (voc)
Enregistré
à Cleveland, date d’enregistrement non précisée
Durée
: 55' 04''
Mack
Avenue 1112 (www.mackavenue.com)
Dominick Farinacci (né
en 1983) nous a été présenté par Wynton Marsalis en 2000 en compagnie de
Brandon Lee et Troy Andrews. Ce dernier est le seul à être devenu une star, ce
qui n'implique pas une absence de talent chez les deux autres. Farinacci avait
déjà neufs albums à son actif avant de signer avec le label Mack Avenue dont
voici le premier produit. Il y a trois titres qui, jazzistiquement, dominent: «Bamboleo»,
un blues low down lent comme le titre
ne le laisse pas supposer, où il y a un stop chorus de trompette de grande
classe, le langoureux «Black Coffee» (avec sourdine wa-wa) et le funky
«Sunshine of Your Love», sur fond d'orgue avec d'excellents solos
de Dean Parks (g) et Christian McBride (b), où le leader a quelques inflexions
à la Miles Davis (comme dans «Somebody That I Used to Know», avec
effets électroniques pour évoquer le Miles dernière manière). L'album se veut
par ailleurs très varié, voir mondialiste (très tendance donc). Avec cordes et
accordéon, le bien nommé «Tango» est finalement de la variété... de
luxe, mais quel superbe son de trompette! Dans «Doha Blues», signé
Farinacci, où l'on trouvera un solo de Steve Gadd, Mike Massy donne au début un
climat "arabisant", mais le résultat n'a rien à voir avec Ibrahim
Maalouf (dont le timbre est arabe) grâce à Dominick Farinacci qui s'exprime
avec le lyrisme de Wynton Marsalis. Le seul reproche que l'on puisse faire à ce
trompettiste très qualifié c'est d'être trop proche de Wynton Marsalis (en
dehors des clins d'œil à Miles cités): «Soldier's Things» le
démontre, non seulement le timbre de son est le même, mais aussi les inflexions.
Larry Goldings est excellent dans «Afternoon in Puebla»; sa
composition «Parlour Song» est aussi adorable que courte. Les
cordes quand elles sont là, le sont très discrètement. Bref, dans le contexte
d'aujourd'hui du tout et n'importe quoi, c'est là un très bon disque.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Sam Coombes Trio
Pace of Change
Perpetual e-motion, Contagion, In the
interstice, Mondeville juillet 2013, Interfacing you, Altered
asymmetries, Fault lines, Go re-configure, Pace of change, perpetual
e-motion (alternate take)
Sam Coombes (as, ss), Yoni Zelnick (b),
Julien Charlet (dm)
Enregistré le 5 décembre 2013 et le 7
janvier 2014, Paris
Durée: 58'36''
Pol-e-Math Recordings SCPR01 (Socadisc)
Un saxophone (alto ou soprano) une
contrebasse, une batterie, voilà bien la forme de trio la plus
audacieuse et la plus exigeante. Si le choix délibéré et le
mélange de métriques impaires ne facilitent pas la perception du
swing, en revanche, ceux-ci subliment celle du groove, omniprésent.
Très dynamique, la section rythmique donne le tournis à l'auditeur
et des ailes au soliste. Servie par des virtuoses de leur instrument
et, affranchie de tous les codes habituels, cette musique riche,
pleine de surprises et de ruptures ne manque ni d'originalité, ni
d'énergie. Complexe, elle exige toutefois une écoute très
attentive pour être appréciée à sa juste valeur.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016
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Charlie Parker Intégrale. Volumes 7 à 11
Intégrale Vol. 7, Just Friends, 1949-1950 Intégrale Vol. 8, Laura, 1950 Intégrale Vol. 9, My Little Suede Shoes, 1950-1951 Intégrale Vol. 10, Back Home Blues, 1951-1952 Intégrale Vol. 11, This Time The Dream’s on Me, 1952
5 coffrets de 3 CDs avec livrets et discographies détaillés
par Alain Tercinet Enregistrés de 1949 à 1952 Durée: environ 18h d’enregistrement Frémeaux & Associés 1337-1338-1339-1340-1341
La maison Frémeaux, avec le concours d’Alain Tercinet à la
plume et à l’érudition, poursuit avec talent et conviction cette intégrale
essentielle, et on s’en réjouit, bien qu’elle précise toujours avec modestie
les limites de l’exercice. Il est en effet très étonnant de constater que
Charlie Parker, mort à 35 ans, a laissé une telle profusion d’enregistrements,
qu’ils soient officiels, pirates ou quasiment clandestins. Quelle que soit la
qualité sonore, toute note de Charlie Parker, comme on peut le dire de Louis
Armstrong, est précieuse. Autre paradoxe d’ailleurs, car si Louis Armstrong les
distillaient avec une économie certaine, l’art de Charlie Parker plonge ses
racines esthétiques dans la profusion tatumesque, autant dire qu’il remplit
l’espace et que les silences sont rares, l’intensité trouvant curieusement son
compte dans la profusion de l’un et l’économie de l’autre, le mystère et la
diversité du génie. Dans le septième coffret, on débute par les concerts au
Carnegie Hall, placés toujours sous l’égide du blues. Le constat est fait dans
ce cadre, dès 1949, qu’il n’y a aucune rupture et révolution, puisque se
côtoient les générations fondatrices et nouvelles (de Lester Young à Charlie
Parker), sans aucun hiatus, le langage est celui d’un jazz hot où le swing, le blues sont les maîtres mots, même si le grand
enfant provocateur, Charlie, affirmait le contraire comme le raconte Alain
Tercinet. L’ajout que Lester ne l’avait pas influencé, relaté par Tercinet,
étant sans doute l’habituel petit jeu avec la critique de dire le contraire de
ce qu’on pense pour alimenter une provocation dont les racines sont
particulières au monde afro-américain. Ce type de relation avec les médias,
plus attentif au sensationnel qu’à l’essentiel, ne s’arrêtera pas là. Nous,
oui. Parlons plutôt de ces quatre premiers thèmes qui ont l’avantage de nous
présenter des enregistrements longs où le blues est roi, comme toujours chez
Parker, et bien entendu les Lester, Roy Eldridge, Buddy Rich, Flip Phillips, et
les jeunes Ray Brown et Hank Jones ne s’en laissent pas conter. C’est
splendide! On passe ensuite à ce qui fera polémique pour les amateurs
de jazz tant qu’il y en aura… Le jazz est-il compatible avec les violons? Ce
n’est pas une question de système ou de technique, mais de personne. Charlie
n’est d’ailleurs pas le premier à l’avoir tenté, et il ne sera pas le dernier.
On ne reprendra pas la polémique, et on répondra oui, quand le musicien
s’appelle Charlie Parker (ou Ben Webster, ou Wynton Marsalis…), mais il n’est
pas donné à tous les musiciens de pouvoir survoler des cordes, magnifiquement
arrangées ici, avec beaucoup d’intelligence. C’est parfois aussi une question
de moment ou de production. Charlie Parker a cette liberté extraordinaire de ne pas altérer son
discours, et de savoir imposer son discours avec un lyrisme serein, pour cette
fois, mais aussi avec la maestria du soliste d’exception, qualité qui en impose
à tous, musiciens classiques en particulier. C’est sans nul doute un
chef-d’œuvre de l’histoire de la musique tout court. Parce que Charlie Parker
est sans doute un génie naturel, comme Django, de l’histoire de la musique, et
qu’il s’impose à tous les langages. Son «Summertime» est digne de celui de
Sidney Bechet qui a en a fait une autre merveille de l’humanité dès 1939 – avec Meade Lux Lewis (p) Teddy Bunn (g) Johnny Williams (b) Sidney Catlett (dm) et en 1947 avec James P. Johnson (p) Danny Barker (g) George Pops Foster (b) Warren Baby Dodds (dm).
Années des Dieux donc! Ceux du jazz, en l’occurrence. Mais ce disque avec cordes
est dans son ensemble un bonheur absolu, un événement musical. Le problème avec
Charlie Parker, c’est que le reste de ce coffret est aussi essentiel, et
toujours à cause de lui, même s’il est toujours bien entouré dans les petites
formations, de jeunes (Roy Haynes, Art Blakey, Red Rodney…) ou moins jeunes
(Bud Powell, Fats Navarro, Al Haig…). Il faut aussi remarquer ses thèmes:
«Ornithology», «Cheryl», et malgré l’avalanche de notes, tout est
mélodieux, clair, intense, parfait!… et
à base de blues qu’il grave sur mille facettes comme un diamantaire. Sur
le blues, Charlie Parker semble inépuisable, et il se permet de citer
l’introduction de Louis Armstrong de «West and Blues» dans le cours de son
chorus, histoire de provoquer sans doute… ou de rappeler à quel monde il
appartient pour ceux qui ont des oreilles. Le jeune Red Rodney est un sacré musicien pour suivre le torrent
sur «Koko». Le lyrisme à la Lester reprend parfois le dessus, mais les idées de
Charlie se bousculent, et sa façon de les exploiter impose un discours plus
foisonnant et débridé que celui de son aîné. Pour la suite, avec Fats Navarro, un autre extra-terrestre,
de la trompette, le métronome est définitivement mis de côté. Conserver, comme
Tatum, un tel sens de la mélodie, sur un tel tempo, avec un tel débit, relève
de la prouesse mais aussi du génie musical. Fats Navarro ne refuse pas le
challenge, et il ne faut pas moins que Bud Powell, Curley Russell et Art Blakey
pour suivre ce train d’enfer sans lasser. L’un des facteurs qui rend cette
musique si spéciale est aussi l’intensité. Les grandes voix du jazz, de Louis à
Hawkins, en passant par Duke, Basie, Ella, Billie, Bessie, Mahalia, Lester,
Benny Carter, Bud Powell, Dizzy, Monk, Mingus, Coltrane, ont en commun cette
sur-intensité qui attire tous les publics, même profanes.
En ce
début des années cinquante, Parker alterne donc entre la formation avec Fats
Navarro, Bud Powell, Blakey et celle avec Al Haig, Red Rodney et Roy Haynes et,
égal à lui-même, il exploite un répertoire assez balisé de ses compositions,
celles de Thelonious Monk ou les standards. Du grand art! Yves Sportis © Jazz Hot n°676, été 2016
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Lorenzo Di Maio Black Rainbow
Back Home, Détachement, No Other Way, Black Rainbow,
Lonesome Traveler, September Song, Inner Peace, Open D, Santo Spirito Lorenzo Di Maio (g), Jean-Paul Estiévenart (tp),
Nicola Andrioli (p, key), Cédric Raymond (b), Antoine Pierre (dm) Enregistré en Novembre 2015, Bruxelles Durée: 55' 47'' Igloo Records 273 (Socadisc)
Né dans une famille de musiciens, Lorenzo Di
Maio a choisi la guitare à l’âge de 15 ans. Il a suivi des cours avec presque
tous les guitaristes qui font autorité en Belgique: Paolo Loveri, Paolo
Radoni, Jacques Pirotton, Peter Hertmans… En 2009, diplômé du Conservatoire de
Bruxelles, remarqué par ses pairs, il joue aussi bien du dixieland avec ses
oncles(Jo et Santo Scinta) que de la soul avec Laurent Doumont (ts, voc).
Initialement influencé par Aaron Parks, John Scofield et Pat Metheny («Open
D»), son jeu s’est enrichi au contact des musiciens de sa génération. C’est avec Fabrice Alleman (cl, sax) et le groupe 4in1 de Jean-Paul Estiévenart (tp)
qu’il se fit particulièrement remarquer. Black
Rainbow est le premier disque à son nom; il y signe toutes les
compositions. Elles sont le reflet de ses acquis. Alors qu’on s’imaginait
découvrir neuf plages énergiques, le guitariste dévoile une sensibilité pour les
harmonies délicates (solo de guitare sèche en coda de «Santo Spirito»)et un
feeling tout en couleurs et nuances («Black Rainbow»,
«Lonesome Traveler»). Les mélodies sont agréables et structurées
rigoureusement («September Song»). Les sidemen, attentifs aux riches
arrangements, fusionnent dans l’écriture
du leader, y puisant leur propre force créative. Ils sont tous majestueuxen
solos ! Nicola Andrioli (p/«Detachement»
& «September Song») et Jean-Paul Estiévenart (tp/«No
Other Way», «Lonesome Traveler») occupent des places de
choix. Mention spéciale aussi pour les ponctuations originales d’Antoine Pierre
(dm) à la cymbale cloutée («Lonesome Traveler») et les solos dans
«September Song» et «Santo Spirito». Outre le fait
qu’on découvre un nouveau et séduisant compositeur-arrangeur, le plus
remarquable: c’est que nous sommes à l’écoute d’un travail de groupe. Ecoutez,
par exemple: l’accompagnement du guitariste (plusieurs guitares) sur le
solo de basse de «Black Rainbow»; l’exposé et les
questions-réponses trompette/guitare de «Santo Spirito». Ce quintet est la réunion de ce qui se joue le
mieux à Bruxelles aujourd’hui. Notez bien leurs noms, vous allez les retrouver
un peu partout, individuellement ou en groupe, de New York à Tokyo, de Reykjavik
à Cape Town dans les années qui suivent… Parce qu’ils le valent bien! Jean-Marie Hacquier © Jazz Hot n°676, été 2016
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Sylvia Howard Sings Duke Ellington with the Black Label Swingtet and Friends
It Don’t Mean a Thing*, Sophisticated Lady°*, I’m Beginning
to See the Light*, Perdido, Rocks in My Bed, Love You Madly°, In a Sentimental
Mood, Don’t Get Around Much Anymore, Duke’s Place**, Come Sunday, Just Squeeze
Me, Caravan** Sylvia Howard (voc), Christian Bonnet, Antoine Chaudron
(ts), Georges Dersy (tp), Jean-Sylvain Bourgenot (tb), Jacques Carquillat (p),
Jean de Parseval (b), André Crudo (dm) + Claude Carrière° (p), Jean-Jacques
Taïb* (cl), Didier Vétillard** (ss) Enregistré en 2014, Ermont (95) Durée: 52’ 06’’ Black & Blue 797.2 (Socadisc)
Paris possède peu de chanteuses de la trempe de Sylvia
Howard. Il est d’autant plus dommage qu’on l’entende si peu en club et qu’elle
n’en soit, à ce stade de sa carrière, qu’à son deuxième disque sous son nom
(après Now or Never, Black & Blue, 2012), toujours accompagnée par le Black
Label Swingtet de Christian Bonnet. Mais les personnages comme Sylvia, aussi
talentueux que fantasques, ont des natures mal adaptées à notre époque
normative qui a laissé les professionnels de la culture et du showbiz prendre
le pas sur les grands producteurs à l’oreille avertie. On sait donc gré à
Christian Bonnet d’avoir permis une nouvelle fois à la chanteuse de s’exprimer,
qui plus est sur le plus beau des répertoires: la musique de Duke Ellington.
Ellingtonien passionné, le ténor signe d’ailleurs les arrangements (sans
fioritures) de cet album. La performance de Sylvia Howard est évidemment à la
hauteur de nos attentes: son swing, ses belles intonations blues, sa voix
légèrement rauque font merveille et l’on attrape des frissons avec «Come
Sunday» où elle livre une interprétation aussi sensible que puissante. Le Black Label Swingtet et ses invités soutiennent
honorablement Miss Howard, mais pour tout sympathique qu’il est, cet orchestre,
essentiellement composé de musiciens non professionnels, ne parvient pas à se
hisser au niveau de l’interprète principale. Hormis Jean-Jacques Taïb – qui est
excellent à la clarinette –, aucun soliste ne retient vraiment l’attention.
On rêve
encore que Sylvia Howard fasse l’objet d’un véritable projet construit autour
de sa personnalité et réunissant des musiciens capables d’entrer en dialogue
avec elle. Il n’en manque pas, notamment à Paris. Reste à savoir s’il reste des
acteurs du jazz suffisamment imaginatifs pour s’emparer de l’idée. Jérôme Partage © Jazz Hot n°676, été 2016
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Jim Rotondi Dark Blue
In Graz, BC, Biru
Kirusai, Dark Blue, Highline, Pure Imagination, Monk's Mood, Le Crest, Our Day
Will Come, Going to the Sun. Jim Rotondi (tp, flh),
Joe Locke (vib), David Hazeltine (p, elp), David Wrong (b), Carl Allen (dm) Enregistré le 15
juillet 2015, New York Durée : 1h 04’ 13’’ Smoke Sessions Records 1602
(www.smokesessionsrecords.com)
Voilà, un excellent
disque bop de Jim Rotondi (Jazz Hot
n°663). L'atmosphère n'est pas sans faire penser aux séances Blue Note avec
Bobby Hutcherson, rôle ici tenu par Joe Locke. C'est le cas dans «Monk's Mood»,
la meilleure plage de l'album où David Hazeltine swingue bien. Ce pianiste a un
bon feeling et sait rester sobre quand il faut, notamment dans «Dark Blue»
où le bugle du leader est dans la lignée lyrique de Freddie Hubbard. On notera
la courte citation du «Vol du Bourdon» dans le solo de piano de «In Graz»
(dédié à la ville autrichienne où enseigne Rotondi). Hazeldine est l'auteur du
bon thème, «Highline», la majorité des autres est signée Rotondi. Joe Locke est
partout excellent et cette séance avec vibraphone au lieu d'un sax donne une
couleur sonore très plaisante. Jim Rotondi a, outre l'inspiration, une
excellente maîtrise du bugle et de la trompette avec une belle qualité de
timbre (sombre). Il est très proche de Freddie Hubbard («BC» – pseudo blues de
16 mesures –, «Our Day Will Come», etc), c'est dire le niveau. Tout le monde
s'exprime en solo, même Carl Allen («Highline») et David Wong («Le Crest»).
Le texte du livret est une interview de Jim Rotondi. Bref, les amateurs de Jim
Rotondi et... Freddie Hubbard ne seront pas déçus. Michel Laplace © Jazz Hot n°676, été 2016
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Louis Armstrong Intégrale Vol. 14. Constellation 48
Titres détaillés dans
le livret Louis Armstrong (tp,
voc), Jack Teagarden (tb, voc), Barney Bigard (cl), Dick Cary, Earl Hines (p),
Arvell Shaw (b), Sid Catlett (dm), Velma Middleton (voc) Enregistré entre le 16
octobre 1947 et le 2 mars 1948, New York, Nice, Paris Durée : 3h 49’ 22’’ Frémeaux &
Associés 1364
Le nom de Louis
Armstrong est désormais attaché à celui de son «All-Stars». Il
s'engage dans le rôle de l'ambassadeur international du jazz le plus
indiscutable dans ses ingrédients. On débute par une séance de 4 titres pour
RCA, versions différentes de thèmes joués dans le film A Star is Born.
Les deux meilleurs sont «Please Stop Playing Those Blues» et surtout «A Song was
Born» (le drive foudroyant de Louis à la trompette prouve qu'il n'était pas
l'instrumentiste fini que voulaient faire croire les tenants du progressisme).
Bien sûr le maître est en train de roder une stratégie de concert et une
routine de répertoire illustrée par la retransmission depuis Carnegie Hall (le
15 novembre 1947) où après un indicatif (pour l'heure : la trompette massive de
Satchmo dans le blues, «Back O'Town Blues»), il y a les fameuses «spécialités»
des membres du groupe («Body and Soul» par Barney Bigard, «Stars Fell of
Alabama» par Mr Tea). La présence et puissance de Louis Armstrong balaye tout
dans «Rockin' Chair». L'éditeur a choisi de ne pas inclure l'intégralité de ce
concert pour ne pas faire trop de doublons (le but est pourtant celui de
l'intégrale). Cette réédition documente bien le retour triomphal de Louis
Armstrong en France, d'abord au Festival International de Jazz de Nice puis en
concert à Paris. Double indispensabilité donc, puisque, outre la splendeur de
Louis Armstrong bien entouré, ces documents sonores immortalisent (pour ceux
qui s'y intéressent encore) une manifestation nouvelle en jazz, promise (on ne
le sait pas encore) à un avenir (qui contribuera à la perte du genre par buts
trop lucratifs) : le festival de jazz, célébration sur plusieurs jours. Nous
sommes donc de plein pied dans l'histoire. Michel de Bry et Paul Gilson se sont
occupés de la Radiodiffusion Française, Paris-Inter, Poste Parisien et autres
(BBC, Radio Monte-Carlo, RTB, des radios suisses, scandinaves, tchèques,
d'Autriche et Hongrie), ce qui permit de préserver des moments essentiels de
l'évènement. Hugues Panassié fut chargé de la programmation et pour lui, Louis
Armstrong s'imposait (à juste titre) pour une manifestation de ce genre. En
dehors des salons de l'hôtel Negresco pour la finale, Nice a mis à disposition
l'Opéra et le Casino. La fin du CD1 aborde le «Gala Constellation 48»
(référence à l'avion, fleuron d'Air France, partenaire du festival) donné par
le All-Stars redevenu Hot Five, à l'Opéra, le 22 février 1948. Louis Armstrong
est étourdissant de puissance dans «Rockin' Chair». Des «spécialités» encore
comme ce remarquable «Boogie Woogie on the St. Louis Blues» par Earl Hines et
Arvell Shaw très en forme, «Rose Room» par Barney Bigard, modèle de sonorité de
clarinette, et Sid Catlett. Le CD2 débute par le désormais incontournable
indicatif, mais ici joué en entier, «When It's Sleepy Time Down South» et un
problème technique de prise de son (la trompette de Louis est impériale et
généreuse!). La qualité de son est inégale d'un titre à l'autre, par exemple le
23, entre «Mahogany Hall Stomp» (Louis repend avec classe son solo historique
avec note tenue) et «Royal Garden Blues», mais il est hors de question de
chipoter l'histoire, on s'incline! Tout le groupe est en forme, galvanisé par
l'ambiance, donc tout est du jazz d'envergure. Le CD3 propose des extraits du
concert du 2 mars à Paris retransmis par Paris-Inter (à noter la note loupée de
Louis dans «Dear Old Southland», rendant le génie humain). A suivre. Michel Laplace © Jazz Hot n°676, été 2016
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Les McCann Trio Live in Paris. 28 juillet 1961
A Little 3/4 Time for
God & Co, Vacushna, I Am Love, Everything Happens to Me, The Truth, Little
Girl Blue, They Can't Take That Away from Me, Vacushna (Reprise), How High the
Moon, I'll Take Romance, Unidentified, Out of This World, Oh Them Golden
Gaters, Red Sails in the Sunset, Someone Stole My Chitlings, Deed I Do, Dorene
Don't Cry, Come on and Get That Church
Les McCann (p), Herbie
Lewis (b), Ron Jefferson (dm) Enregistré le 28
juillet 1961, Paris Durée: 2h 07' 19’’ Frémeaux &
Associés 5635 (Socadisc)
Les McCann (né en 1935)
qui a débuté au tuba dans une fanfare, est vite devenu à partir de 1958 un
pianiste populaire à la tête d'un trio porté par la mode dite «funky» et «soul»
en réaction à la précédente dite «cool». On disait aussi «churchy»
à l'époque (le dernier titre est explicite : «Come on and Get That Church»).
Comme le rappelle le livret, ce trio fut la «révélation» du deuxième festival
d'Antibes, en juillet 1961, peu de temps avant cet enregistrement réalisé en
club, au Caméléon. L'ambiance en club est bien présente ici, avec la tendance
qu'on y trouve d'y faire durer le plaisir : un «How High the Moon» de 11'33» et
un «Out of This World» de 10'29» qui comptent parmi les bons moments de ce
double CD. Il est difficile de placer Les McCann au même niveau qu'un Bud
Powell, vedette du Blue Note, et d'un Memphis Slim, star des Trois Mailletz,
mais sa musique s'écoute sans déplaisir. Du «easy listening». McCann peut être low down et répétitif («A Little ¾ Time
for God & Co»), et il sait swinguer («Vacushna», «Oh Them Golden Gaters», «Someone
Stole My Chitlings»). Il n'est pas sans évoquer Ray Charles («The Truth») ou
Erroll Garner, non seulement par des grognements et un certain sentimentalisme
ici ou là (longue introduction à «Red Sails in the Sunset»). Les «fabricants de
musique» qui l'entourent sont louables : Ron Jefferson est notamment en valeur
dans «Unidentified», et Herbie Lewis dans «Out of This World» et «Deed I Do».
Le programme, comme souvent, alterne standards et compositions personnelles de
Les McCann. Un trio beaucoup plus concerné par le cœur du jazz que la quasi-totalité
des groupes actuels de ce type. Michel Laplace © Jazz Hot n°676, été 2016
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Hard Time Blues 1927-1960 Political and Social Blues Against Racism at the Origin of the Civil Rights Movement
Titres et personnels détaillés
dans le livret Enregistré entre le 17
décembre 1927 et le 5 octobre 1960, New York, Chicago, Oakland, Houston,
Aurora, Los Gatos, Los Angeles, Cincinnati, Detroit, Englewoods Cliffs Durée : 2h 08’ 58’’ Frémeaux &
Associés 5480 (Socadisc)
Partir d'un fait social
pour une compilation musicale donne des résultats aussi discutables
qu'hétérogènes comme Bruno Blum sait le faire pour le même label. Là, à
l'inverse, comme le genre musical est clairement circonscrit, le résultat
musical est homogène et cohérent. Le fil conducteur n'est qu'un prétexte à la
sélection des titres. Les paroles de blues ne sont pas les seules à véhiculer
la «contestation» puisque le «country (folk)» a milité aussi, ainsi
que la bonne chanson en général (on pense à Boris Vian). Les paroles de blues
sont bien plus diverses comme le livre Le Monde du Blues de Paul Oliver
(1962, Arthaud) le démontre, abordant tous les sujets (inondations, etc). Le
thème choisi n'était pas simple. A l'exception tardive de Lead Belly (qui cite
Bunk Johnson dans «Jim Craw Blues», 1944), Josh White, Sonny Terry qui
fréquentaient les chanteurs folk engagés (Woody Guthrie) soutenus par une
fraction blanche «libérale», puis Big Bill Broonzy («Black, Brown and White»)
et J.B. Lenoir, «aucun Noir ne se serait avisé de protester» (Paul Oliver).
Donc, la sélection faite pour illustrer ces «temps difficiles» n'est pas le commentaire
socio-politique auto-censuré (pour le disque), mais l'expression de ses
conséquences ressenties (discrimination – Jim Craw –, pays ingrat – Uncle Sam –,
chômage, prison, etc.) et de ses espoirs (Roosevelt). Les auteurs du livret,
Jean Buzelin et Jacques Demêtre, commencent par citer LeRoi Jones (peu
recommandable comme la nécrologie de Jazz Hot l'a démontré): «Le blues...c'est en premier lieu une forme
poétique et en second lieu une façon de créer de la musique». Pour le
signataire le premier rôle du blues est celui présenté comme second : musical.
Et de ce point de vue, ce coffret est un régal. Outre ce que nous avons cité,
signalons : «Uncle Sam Says» (guitare de Josh White), «Uncle Sam Came And Get
It» (Sammy Price, p!), «The Number of Mine» (pianiste et la basse de Ransom
Knowling), «Cell no13 Blues» (Big Maceo, p, Buster Bennett, as), «County Jail
Blues» (Tampa Red, g), «I'm Prison Bound» (Lowell Fulson, g/voc), «Penitentiary
Blues» (Lightnin' Hopkins, g,voc), «Jim Crow Train» (Sonny Greer, dm), «Back-Water
Blues» (Bessie Smith), «Florida Hurricane» (Sunnyland Slim, p, Muddy Waters,
g), «Don't Take Away My PWA» (Horace Malcolm, p), «Walfare Store Blues» (Joshua
Altheimer, p), «Back to Korea Blues» (Sunnyland Slim, p), «President's Blues»
(J.T. Brown, ts, Sammy Price, p!), «The World Is In A Tangle» (Ernest Cotton,
ts), «The Big Race» (Memphis Slim, p), les trois titres par Champion Jack
Dupree (dont «Warehouse Man Blues» avec un très bon bassiste), plus encore «Crazy
World» (Julia Lee, p/voc, Baby Lovette, dm avec Vic Dickenson et Benny Carter
en duo de trombone!) et ««Hard Time Blues» (Edmond Hall, cl, J.C. Higginbotham,
tb, Hot Lips Page, tp)! Choix arbitraires car tout est bon. Michel Laplace © Jazz Hot n°676, été 2016
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Virginie Teychené Encore
Jolie
Môme, Elle ou moi, Madame rêve, Eu sei que tu amar, Allée des
brouillards, Before the Dawn, Oralice, Both Sides Now, C’était
bien, A bout de souffle, But not for Me, Encore, 13 septembre Virginie
Teychené (voc), Stéphane Bernard (p), Gérard Maurin (b, g),
Jean-Pierre Arnaud (dm), Olivier Ker Ourio (hca) Enregistré
en décembre 2014, Pompignan (30) Durée:
53’ 10’’ Jazz
Village 570081 (Harmonia Mundi)
Virginie
Teychené s’attaque avec bonheur à un répertoire de chansons;
gageure comportant toujours le risque de s’engluer dans une
interprétation «variété». Mais le pari gagné car ces chansons
reprennent vie, deviennent autres par la grâce de la chanteuse et
les arrangements du tandem Maurin-Bernard. Virginie chante d'ailleurs
à la perfection en brésilien et en anglais. Voyons
d'abord les chansons françaises. Sur «Jolie môme» de Ferré elle
démarre seule, et là on peut goûter la pureté, la tendresse de sa
voix, la délicatesse du vibrato, la perfection de la diction, et des
inflexions dont elle a le secret, et qui amènent tout naturellement
la chanson au jazz. «Madame rêve» du regretté Bashung nous emmène
effectivement dans un rêve éveillé, et l’harmonica de Ker Ourio
fait merveille; il est certainement le plus grand harmoniciste
d’aujourd’hui. Dans «Allée des brouillards» de Nougaro et
Galliano elle se promène dans cette allée précédent un somptueux
solo de Ker Ourio, avant de revenir au tableau. Un formidable «A
bout de souffle» écrit par Nougaro sur le «Blue Rondo a la Turk»
de Brubeck. Virginie s’en sort avec une apparente facilité, chaque
syllabe éclate, avec entre autres un magnifique contrechant main
gauche du pianiste et une riche partie de contrebasse. «C’était
bien» le petit bal perdu de Bourvil; Virginie nous fait oublier, ou
plutôt non, son chant se superpose à la douce nostalgie de la voix
de Bourvil dans notre mémoire. Tant de tendresse et de saudade
et puis le solo d’harmonica. La chanson est devenue une valse-jazz,
un chef d’œuvre. Le «Septembre» de Barbara, toute la douceur de
l’automne teinté de regrets s’avance par l’harmonica seule,
puis juste la chanteuse et la contrebasse qui s’enrichit d’un
contrechant de l’harmonica: on est dans le sublime. Le morceau
respire le bonheur malgré l’adieu à l’amour qui s’en va, car
on sait qu’il reviendra. En français encore «Elle ou moi» de
Gérard Maurin et Marcus Malte, un joli texte avec un beau travail du
batteur sur un rythme latino, et un arrangement aux petits oignons.
«Encore» qui donne son titre au disque, de Virginie Teychené et
Gérard Maurin voit celui-ci à la guitare dans une belle intro sur
tempo médium lent avec le piano. Entendre comment Virginie tient la
note, chose qui se perd chez les chanteuses aujourd’hui. L’hiver
peut bien venir dit la chanson, oui, avec une telle musique on sera
au chaud. Les
deux titres en brésilien «Eu sei que tu amar» de Moraes et Jobim
avec intro guitare-harmonica est une bossa de la meilleure tradition
avec le charme caressant de la voix; «Doralice» d’Almeida et
Caymmi est une samba prise vocal batterie, du pur brésilien, un
bijou. «Before the Dawn», en anglais, de Bernard et Teychené nous
vaut une longue et splendide introduction du piano très Chopin où
prévaut la délicatesse et le romantisme du pianiste, puis la
chanteuse se mêle au piano: émotion garantie. Le standard des
frères Gershwin «But not for Me» repose sur une belle partie
basse-batterie sans piano. C’est le seul morceau vraiment scatté;
Viriginie passe de l’aigu au grave avec une rapidité et une
facilité confondantes, en fait elle chante comme si elle jouait du
saxophone, avec une décontraction à la Sinatra. Du
grand jazz.Serge Baudot © Jazz Hot n°676, été 2016
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JCD 5tet In! Out! Side!
9
titres (voir livret) Adrien
Varachaud (ts,ss), Rasul Siddik (tp), Tom McClung (p), Harry Swift
(b), Jean-Charles Dejoie (dm) Enregistré
les 2 et 3 décembre 2014, lieu non précisé Durée: 58’ 02’’ Autoproduit (jcdejoie@aol.com)
On
a affaire ici avec cinq musiciens de diverses nationalités mais qui
tous se produisent souvent en France et ont déjà joué les uns avec
les autres, et avec les meilleurs jazzmen qui passent par Paris. Ils
se sont réunis pour ce quintet très homogène d’essence hard bop.
McClung qui fut marqué par Monk et Ellington a fait une forte
impression an 2015 avec son disque Burning
Bright. C’est un réel
plaisir de le retrouver dans le partage avec ses quatre compagnons.
Il faut l’écouter sur «Spirit» en tempo médium, où l’on
entend qu’il a assimilé toute l’histoire du piano jazz. Rasul
Siddick a joué avec David Murray, Lester Bowie, Christian Brazier et
autres pointures. C’est un trompettiste volubile avec des attaques
au scalpel; il aime à parcourir toute la tessiture avec un son
«écrasé» très pur faisant preuve de beaux développements comme
par exemple sur «Silver»; probablement un hommage au célèbre
pianiste. D’ailleurs, le quintet sonne très Horace Silver dans les
arrangements, pour les expositions et les finals. Adrien Varachaud
est très mordant au ténor, assez dans la tradition des ténors
ellingtoniens pour le fond. On peut admirer des growls
impressionnants dans le grave du ténor sur «To B or not to B».
L’Anglais Harry Swift est venu à la contrebasse par Mingus; il est
le piler du groupe de Bobby Few. Il met en place le groupe avec un
accompagnement discret dans une bonne entente avec le batteur. Un
bon quintet dont la prestation repose sur des thèmes écrits par les
musiciens, avec de longs solos, encadrés par des arrangements qui
donnent un véritable son de groupe.Serge Baudot © Jazz Hot n°676, été 2016
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Dominique Fitte-Duval Quartet Solisation
You Fly
Around My Skin, Quand se dévoile l’abîme où veut mon cœur t’emprisonner, The
Most Beautiful Day of Our Life Could Be Now, L’Etrange réunion, Les Mains dans
les poches, La Parisienne, Pirate Dominique
Fitte-Duval (ss), Benoît Martin (key), Yoann Godefroy (b), Jean-Baptiste Palies
(b) Enregistré en
2015, Paris Durée:
1h 15’ BBO JAZZ 0002
(dominiquefitteduval.com)
Le
saxophoniste Dominique Fitte-Duval est venu assez tard au jazz, jouant du sax
ténor en autodidacte; il étudie sérieusement la musique à 37 ans, en
1996, suit un cursus d’instrument, orchestre et arrangement à L’ARPEJ, tout en
jouant dans les clubs. En 1999, il lance
une jam session hebdomadaire au club Les 7 Lézards, qui devient un concert à
part entière. Deux ans plus tard, il crée le Big Bœuf Orchestra. En avril 2004,
il crée l'association BBO JAZZ, reprenant les initiales de son orchestre, en en
changeant le sens, lequel devient le Le
Bien Bel Orchestra. En 2005, il enregistre Night Harmony en grand orchestre avec vingt-deux musiciens. Et le
voici à la tête de son quartet.
Au soprano,
il a un son droit, sans vibrato, tirant vers le hautbois; un jeu sobre,
sur toute la tessiture, sans effets ni envolées gratuites. Avance par petites
phrases qui s’enchaînent dans la poursuite du discours, soutenu par une
inspiration solide. Sur des tempos médium-rapides pour la plupart des morceaux.
«The Most Beautiful Day…» ou encore «La Parisienne» sont
assez emblématiques de ses qualités de saxophoniste et de
compositeur-arrangeur, avec de beaux enchevêtrements sax-clavier. Le pianiste
s’exprime avec un jeu élégant et riche harmoniquement. Le contrebassiste
possède un gros son avec attaques canon, il assoit le groupe de belle façon, si
bien que les trois autres n’ont qu’à se laisser porter. Le batteur, d’un grand
classicisme, connaît parfaitement son affaire, discret et efficace, toujours là
où il faut. Certes rien
de révolutionnaire. On a affaire avec un jazz parfaitement dans la tradition et
bien d’aujourd’hui, en ce sens que les musiciens s’expriment avec les canons de
la modernité, sur des arrangements solides qui leur permettent de s’exprimer,
d’aller au bout de leur chant en longs solos, dans une mise en place parfaite. Serge Baudot © Jazz Hot n°676, été 2016
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Airelle Besson / Nelson Veras Prélude
Ma ion, Pouki Pouki, O grande amor, Neige, Lulea’s Sunset,
Full Moon in K., Vertiges, Body and Soul, Birsay, Time to Say Goodbye Airelle Besson (tp), Nelson Veras (g) Enregistré en 2014, Arles (13) Durée: 47’ 47’’ Naïve 624911 (Naïve)
Airelle Besson Radio One
Radio One, All I Want, The Painter and the Boxer, La
Galactée, Around the World, Candy Parties, No Time to Think, People’s Throughs,
Titi Airelle Besson (tp), Isabel Sörling, Benjamin Moussay (p,
key), Fabrice Moreau (dm) Enregistré en 2015, Pernes-les-Fontaines (84) Durée: 52’ 55’’ Naïve 625911 (Naïve)
Ceux qui ne la connaissent pas encore, pourront découvrir
Airelle Besson dans ce Jazz Hot n°676:
une musicienne de formation académique mais au parcours éclectique, ce qui
l’amène, selon les occasions, à fréquenter avec le même talent le jazz comme
des univers musicaux plus personnels. | | |