Le pianiste, arrangeur et
compositeur Ramón Bebo Valdés , l’une des dernières figures de l’âge
d’or de la musique cubaine, est décédé à Stockholm le 22 mars 2013. Il
avait 94 ans.
Ce n’était pas un jazzman mais un musicien exceptionnel qui, à
certaines périodes de sa carrière, a pu, dans la constitution de ses
orchestres, s’entourer de réels jazzmen comme le furent Gustavo Más
(sax), Luis Escalante, « El Negro » Vivar (tp), Generoso Jiménez (tb),
« Cachaíto », Kike Hernández (b), Candido Camero, Guillermo Barreto ou
encore « Tata » Güines (perc, tim).
Né Ramón Emilio Dionisio Valdés Amaro à Quivicán, au sud de La
Havane, en 1918, d’un père ouvrier dans une fabrique de cigares et
petit-fils d’esclave, Bebo s’est imprégné tout petit des rythmes de son
île en arpentant le parc de sa ville natale où venaient jouer les
musiciens locaux. Il a commencé à apprendre le piano aidé par la sœur
d’un ami. A treize ans, un incroyable concours de circonstances –sa mère
joue à une loterie et gagne un piano– lui permet d’étudier l’instrument
avec sérieux et l’enfant montre rapidement qu’il possède un immense
potentiel avant de poursuivre son apprentissage du piano classique au
Conservatoire municipal de La Havane. Dans les années 1930 et 1940,
Valdés travaille avec le compositeur Ernesto Lecuona, parfois surnommé
le Gershwin cubain. Il entraîne ses cousins, les frères Barreto, dans
une petite formation et, en 1937, débute de manière professionnelle dans
un groupe réputé, le Happy Happy.
A un très jeune âge, Valdés découvre le jazz américain et se
passionne pour Eddy Duchin, pianiste très populaire dans les années
1930-1940, Fats Waller, Art Tatum, Bill Evans. « Ils disent que je suis
l’un des précurseurs du bebop à Cuba », confiait Valdés au Miami Herald
en 1996. Tout au long de sa vie, Valdés mélangea ses deux passions, le
jazz américain et la musique cubaine.
Il entre ensuite chez Wilfredo Curbelo en 1943, puis dans
l’orchestre du trompettiste Julio Cueva, deux ans plus tard, pour
remplacer René Hernández, parti aux Etats Unis jouer avec Machito et
Bauzá.
Au sein de cet orchestre, il révèle ses qualités d’arrangeur et
commence à composer. De 1948 à 1957, il est le leader de l’orchestre du
Tropicana Club, à l’époque le meilleur de l’île. Le club légendaire de
l’ère pré-Castro, aux spectacles exubérants, était fréquenté aussi bien
par le Tout-Hollywood que les gansgters et les stars américaines, citons
Woody Herman et surtout Nat King Cole avec qui Valdés collabora sur
Cole Español, l’album que le chanteur enregistra en espagnol à La Havane
en 1958.
Dès les années 1950, Valdés se mêle aux célèbres ‘descargas’ qui se
déroulent chaque nuit dans divers lieux publics et privés de la
capitale. Lorsque, en 1952, Norman Granz réalise un enregistrement à La
Havane avec les meilleurs musiciens capables de jazzifier leur musique,
Bebo est de la partie et offre même plusieurs compositions dont « Con
Poco Coco ». Le disque sort sous le titre Cubano et est considéré dans
l’île comme le premier disque cubain de jazz. Bebo
Valdés crée successivement plusieurs orchestres : Ritmo Batanga, Havana
All Stars puis Sabor de Cuba. Cette fin des années 1950 est réellement
la période la plus somptueuse de Bebo Valdés, celle où ses partenaires
forment l’élite des musiciens cubains. Les rééditions des
enregistrements de cette époque existent et méritent d’être écoutés par
les amateurs de jazz.
En 1959, le coup d’Etat de Castro met un terme à l’âge d’or du
Tropicana et de l’Havana. Un an plus tard, Valdés s’envole avec le
chanteur Rolando La Serie pour Mexico puis pour l’Espagne où il est
pianiste et arrangeur à la télévision et dans les studios
d’enregistrement. Il travaille au Mexique, en Californie, à New York, en
Espagne et rejoint les Lecuona Cuban Boys, formation qui parcourt
l’Europe. Bebo, tout comme son partenaire, ne reverra jamais Cuba.
L’exil est définitif.
Bebo se lasse des voyages. Il se fixe en Suède en 1963 et épouse une
Suédoise, Rose Marie Persson. Il disparaît du panorama musical pendant
près de trente ans et se contente de jouer du piano dans les hôtels, les
bars et sur les ferries. En 1994, son compatriote, le saxophoniste
Paquito d’Rivera, installé aux Etats Unis, l’appelle pour lui faire
enregistrer en Allemagne Bebo Rides Again. Le pianiste est de retour aux
Etats-Unis en 1996 pour une tournée qui débute à Miami. En 1998, le
saxophoniste espagnol Eladio Reinon l'invite en Espagne à participer à
son disque Aseré. Les liens créés avec Reinon lui permettent, quelques
mois plus tard, d'enregistrer avec le grand orchestre de celui-ci, Afro
Cuban Jazz Suite N°1, une œuvre de sa composition.
Une nouvelle carrière
commence pour Bebo Valdés qui, de nouveau, parcourt la planète avec des
musiciens de sa grande époque ou de nouveaux talents.
Dans les dernières années du siècle, il est interviewé par le
cinéaste espagnol Fernando Trueba dans Calle 54, son film documentaire
sur les musiciens du Latin Jazz ; ce qui lui permet de revoir son fils,
le pianiste Chucho Valdés. Les retrouvailles sont poignantes.
A l’initiative de Trueba, Bebo enregistre, en 2003, Lagrimas Negras
avec le cantaor El Cigala. L’album connaît un grand succès. Cette
collaboration dura plusieurs années.
En 2006, il reprend Afrocuban Jazz Suite, désormais appelée Suite
Cubana, et la présente au Lincoln Center, à New York, accompagné de
l’orchestre de O’Farrill Jr. La reconnaissance est internationale. Entre
2002 et 2009, Bebo Valdés gagne six Latin Grammy Awards et trois
Grammys.
Après 2010, sa santé se dégrade. Il délaisse progressivement ses
activités publiques et se retire dans un village du sud de l’Espagne,
Benalmádena, où Chucho s’installe avec lui. La maladie d’Alzheimer le
touche progressivement. En 2012, Fernando Trueba s’inspire librement de
la vie de Valdés pour le film d’animation Chico y Rita, dont il est l’un
des réalisateurs, et invite le pianiste à en interpréter la musique.
Quelques semaines avant sa disparition, ses autres fils suédois le
rapatrient en Suède où il s’éteint. Valdés laisse ses cinq enfants,
Chucho, Raúl, Ramón, Miriam et Mayra, de sa première femme, Pilar
Valdés, et ses deux autres, Rickart et Raymond, de sa seconde, Rose
Marie Persson Valdés.
Mathieu Perez
Photo : Bebo Valdés au Festival de Vitoria 2008 © Jose Horna
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