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Bebo Valdés

22 mars 2013
9 octobre 1918, Quivicán (Cuba)-22 mars 2013, Stockholm (Suède)
© Jazz Hot n°663, printemps 2013

Bebo Valdés





Le pianiste, arrangeur et compositeur Ramón Bebo Valdés , l’une des dernières figures de l’âge d’or de la musique cubaine, est décédé à Stockholm le 22 mars 2013. Il avait 94 ans.
Ce n’était pas un jazzman mais un musicien exceptionnel qui, à certaines périodes de sa carrière, a pu, dans la constitution de ses orchestres, s’entourer de réels jazzmen comme le furent Gustavo Más (sax), Luis Escalante, « El Negro » Vivar (tp), Generoso Jiménez (tb),  « Cachaíto », Kike Hernández (b), Candido Camero, Guillermo Barreto ou encore « Tata » Güines (perc, tim).
Né Ramón Emilio Dionisio Valdés Amaro à Quivicán, au sud de La Havane, en 1918, d’un père ouvrier dans une fabrique de cigares et petit-fils d’esclave, Bebo s’est imprégné tout petit des rythmes de son île en arpentant le parc de sa ville natale où venaient jouer les musiciens locaux. Il a commencé à apprendre le piano aidé par la sœur d’un ami. A treize ans, un incroyable concours de circonstances –sa mère joue à une loterie et gagne un piano– lui permet d’étudier l’instrument avec sérieux et l’enfant montre rapidement qu’il possède un immense potentiel avant de poursuivre son apprentissage du piano classique au Conservatoire municipal de La Havane. Dans les années 1930 et 1940, Valdés travaille avec le compositeur Ernesto Lecuona, parfois surnommé le Gershwin cubain. Il entraîne ses cousins, les frères Barreto, dans une petite formation et, en 1937, débute de manière professionnelle dans un groupe réputé, le Happy Happy.
A un très jeune âge, Valdés découvre le jazz américain et se passionne pour Eddy Duchin, pianiste très populaire dans les années 1930-1940, Fats Waller, Art Tatum, Bill Evans. « Ils disent que je suis l’un des précurseurs du bebop à Cuba », confiait Valdés au Miami Herald en 1996. Tout au long de sa vie, Valdés mélangea ses deux passions, le jazz américain et la musique cubaine.
Il entre ensuite chez Wilfredo Curbelo en 1943, puis dans l’orchestre du trompettiste Julio Cueva, deux ans plus tard, pour remplacer René Hernández, parti aux Etats Unis jouer avec Machito et Bauzá.
Au sein de cet orchestre, il révèle ses qualités d’arrangeur et commence à composer. De 1948 à 1957, il est le leader de l’orchestre du Tropicana Club, à l’époque le meilleur de l’île. Le club légendaire de l’ère pré-Castro, aux spectacles exubérants, était fréquenté aussi bien par le Tout-Hollywood que les gansgters et les stars américaines, citons Woody Herman et surtout Nat King Cole avec qui Valdés collabora sur Cole Español, l’album que le chanteur enregistra en espagnol à La Havane en 1958.
Dès les années 1950, Valdés se mêle aux célèbres ‘descargas’ qui se déroulent chaque nuit dans divers lieux publics et privés de la capitale. Lorsque, en 1952, Norman Granz réalise un enregistrement à La Havane avec les meilleurs musiciens capables de jazzifier leur musique, Bebo est de la partie et offre même plusieurs compositions dont « Con Poco Coco ». Le disque sort sous le titre Cubano et est considéré dans l’île comme le premier disque cubain de jazz.
Bebo Valdés crée successivement plusieurs orchestres : Ritmo Batanga, Havana All Stars puis Sabor de Cuba. Cette fin des années 1950 est réellement la période la plus somptueuse de Bebo Valdés, celle où ses partenaires forment l’élite des musiciens cubains. Les rééditions des enregistrements de cette époque existent et méritent d’être écoutés par les amateurs de jazz.
En 1959, le coup d’Etat de Castro met un terme à l’âge d’or du Tropicana et de l’Havana. Un an plus tard, Valdés s’envole avec le chanteur Rolando La Serie pour Mexico puis pour l’Espagne où il est pianiste et arrangeur à la télévision et dans les studios d’enregistrement. Il travaille au Mexique, en Californie, à New York, en Espagne et rejoint les Lecuona Cuban Boys, formation qui parcourt l’Europe. Bebo, tout comme son partenaire, ne reverra jamais Cuba. L’exil est définitif.
Bebo se lasse des voyages. Il se fixe en Suède en 1963 et épouse une Suédoise, Rose Marie Persson. Il disparaît du panorama musical pendant près de trente ans et se contente de jouer du piano dans les hôtels, les bars et sur les ferries. En 1994, son compatriote, le saxophoniste Paquito d’Rivera, installé aux Etats Unis, l’appelle pour lui faire enregistrer en Allemagne Bebo Rides Again. Le pianiste est de retour aux Etats-Unis en 1996 pour une tournée qui débute à Miami. En 1998, le saxophoniste espagnol Eladio Reinon l'invite en Espagne à participer à son disque Aseré. Les liens créés avec Reinon lui permettent, quelques mois plus tard, d'enregistrer avec le grand orchestre de celui-ci, Afro Cuban Jazz Suite N°1, une œuvre de sa composition.
Une nouvelle carrière commence pour Bebo Valdés qui, de nouveau, parcourt la planète avec des musiciens de sa grande époque ou de nouveaux talents.
Dans les dernières années du siècle, il est interviewé par le cinéaste espagnol Fernando Trueba dans Calle 54, son film documentaire sur les musiciens du Latin Jazz ; ce qui lui permet de revoir son fils, le pianiste Chucho Valdés. Les retrouvailles sont poignantes.
A l’initiative de Trueba, Bebo enregistre, en 2003, Lagrimas Negras avec le cantaor El Cigala. L’album connaît un grand succès. Cette collaboration dura plusieurs années.
En 2006, il reprend Afrocuban Jazz Suite, désormais appelée Suite Cubana, et la présente au Lincoln Center, à New York, accompagné de l’orchestre de O’Farrill Jr. La reconnaissance est internationale. Entre 2002 et 2009, Bebo Valdés gagne six Latin Grammy Awards et trois Grammys.
Après 2010, sa santé se dégrade. Il délaisse progressivement ses activités publiques et se retire dans un village du sud de l’Espagne, Benalmádena, où Chucho s’installe avec lui. La maladie d’Alzheimer le touche progressivement. En 2012, Fernando Trueba s’inspire librement de la vie de Valdés pour le film d’animation Chico y Rita, dont il est l’un des réalisateurs, et invite le pianiste à en interpréter la musique. Quelques semaines avant sa disparition, ses autres fils suédois le rapatrient en Suède où il s’éteint. Valdés laisse ses cinq enfants, Chucho, Raúl, Ramón, Miriam et Mayra, de sa première femme, Pilar Valdés, et ses deux autres, Rickart et Raymond, de sa seconde, Rose Marie Persson Valdés.

Mathieu Perez

Photo : Bebo Valdés au Festival de Vitoria 2008 © Jose Horna