Hermeto Pascoal, Vienne, 8 juillet 2018 © Pascal Kober
Hermeto PASCOAL
O Bruxo
«Il faut refuser d’aller en studio pour enregistrer des bêtises; quand des musiciens justifient leurs concessions en prétextant qu’il faut bien manger et payer son loyer, je réponds qu’on doit chercher à survivre autrement! La musique est une religion.»
(Hermeto Pascoal, Jazz Hot n°396, 1982)
Hermeto Pascoal, Vienne, 9 juillet 1986 © Pascal Kober
Compositeur, arrangeur, producteur, messenger, multi-instrumentiste (dont flûte, piano, accordéon, saxophone, guitare, percussions, voix…, instruments d’opportunité comme les animaux, l’eau, les objets, des contenants … ou des instruments inventés ou immergés), Hermeto Pascoal Oliveira da Costa, artiste plus tard surnommé «O Bruxo» (Le Sorcier, Le Magicien) ou «The Mad Genius» (le Génie fou), est né albinos le 22 juin 1936 à Lagoa da Canoa, ville d’Arapiraca, dans le Nordeste du Brésil au sein d’une famille paysanne. Dès sa petite enfance, ne pouvant cultiver la terre en raison du soleil incompatible avec son état de santé, il reporte son attention sur les bruits de la nature ou de la campagne (cloches, charettes, outils…), et s’exerce sur l’accordéon paternel; Hermeto et son frère aîné, José Neto (acc,p,comp), se prennent de passion pour Luiz Gonzaga (acc, www.youtube.com/channel/UCIKUCw__6NFu-bjc8-kez4g). Puis il se met à la flûte (faite par lui) à 7 ans, et commence à jouer avec son père et José dans les fêtes de familles, de villages et les festivals de forró (musique du Nordeste), pratiquant aussi le tambourin. A 14 ans, il va travailler à Rádio Tamandaré à Recife (Etat du Pernambouc), puis avec Sivuca (acc, 1930-2006) à Rádio Jornal do Commercio où son frère José est déjà connu: leur trio se forme sous les noms d’O Mundo Pegando Fogo ou O Mundo em Chamas (Le monde s’enflamme). En 1954, il se marie avec la femme de sa vie, Ilza da Silva; ils auront six enfants. S’étant installé à Rio en 1958 puis à São Paulo en 1961 où il reste jusqu’en 1976, Hermeto se met au piano, ce qui lui ouvre grandes les portes des clubs, des hôtels, en plus de ses contrats à la radios, et bientôt à la télévision. Après avoir ajouté le saxophone à son arc instrumental, Hermeto participe à de nombreux groupes dont Som Quatro, Sambrasa Trio, Trio puis Quarteto Novo, Brazilian Octopus, la plupart avec Airto Moreira. Invité à enregistrer aux USA par Antonio Carlos Jobim, Airto Moreira et Flora Purim en 1970, il y rencontre Urbie Green (tb), enchaîne les disques en sideman, notamment pour Duke Pearson (It Could Only Happen With You, Blue Note) avec Frank Foster (ts), pour Miles Davis (notamment Live Evil, Columbia) avec Steve Grossman (ss), Keith Jarrett, Herbie Hancock (p), Chick Corea (org), Ron Carter (b), Jack DeJohnette (dm) et Airto Moreira (perc), et pour le trompettiste Donald Byrd (Electric Byrd, Blue Note) à New York en 1970. Les années 1960-1970 voient en effet la rencontre des musiciens de jazz et de musiciens d'origine brésilienne, installés en particulier sur la Côte Ouest.
Hermeto Pascoal, Grenoble, 18 mars 1989 © Pascal Kober
Désormais réputé à l’international, il fait le tour des clubs et festivals dont Montreux 1979 ou Antibes 1986 (cf. vidéographie), ayant des publics réguliers, en particulier au Brésil, en Argentine et en Allemagne.
En 1981, Thomaz Farkas tourne le documentaire Hermeto Campeāo (cf. vidéographie), dans la maison d’Hermeto de Bangu à Rio(1) où il s’établit de 1976 à 2003, date à laquelle il part habiter Curitiba (Etat du Paraná, au sud de Rio) avec sa seconde épouse, la chanteuse Aline Morena (www.alinemorena.com.br); il enregistre avec elle deux albums dans la première décennie du nouveau millénaire avant leur séparation en 2016. Bangu et Curitiba sont deux des ports d’attache brésiliens pour Raul de Souza, son ami d’une vie auquel il rend hommage dans Jazz Hot en 2021 (cf. infra).
En 2019, Hermeto reçoit un Latin Grammy pour son disque Hermeto Pascoal e Sua Visão Original do Forró. En 2022, l’autodidacte surdoué est nommé Docteur Honoris Causa de l’Universidade Federal da Paraíba. En 2024, il dédie à son épouse disparue en 2000, son dernier album, de nouveau récompensé d’un Latin Grammy, Pra Você Ilza, un choix de titres parmi quelques deux cents morceaux/chansons écrits pour elle depuis son décès.
«C’est surtout l’ensemble qui compte, je ne suis pas plus important qu’eux.
Chacun a droit à un solo. Avant chaque répétition, je leur demande de ne pas se coucher trop tard afin qu’ils soient en forme, un peu comme pour la veille d’un match de football. La première chose que je leur dis est la suivante: "je n’ai pas d’argent, il vous faudra trouver un autre moyen pour survivre. Ils sont donc bien conscients de cela dès le début."»
(Hermeto Pascoal, Jazz Hot n°359, 1979)
Hermeto Pascoal e Grupo, Rimini, Italie, 2013 © Umberto Germinale-Phocus
Son «Grupo», évolutif dans la composition des membres au fil des années, appelé aussi «L’Ecole Jabour» du nom du quartier de Bangu où il résidait, a été une pépinière de talents, Hermeto composant pour eux, donnant tout ce qu’il était, tout ce qu’il savait, de la musique et de la vie, accordant à ses disciples autant d’attention que de liberté, en vrai messenger…
«…Je vais enregistrer dans cet album une musique française dédiée à la France, une musique ancienne, bien connue et populaire que je puisse jouer avec plein de nuances et d’harmonies… Peut-être "C’est si bon"… Quand je joue "Round Midnight", je ressens énormément de plaisir.»
(Hermeto Pascoal, Jazz Hot n°517, 1995)
L’amour inconditionnel d’Hermeto pour la musique, sa raison de vivre, lui fait traverser l’Atlantique encore une fois, et le 7 août 2025, il fait sans doute l'un de ses derniers concerts à Jazz in Marciac avec ses compagnons de longue date et son fils: Andre Marques (p,fl,perc), Jota P. (s,fl), Itibere Zwarg (b,perc), Ajurina Zwarg (dm,perc), Fabio Pascoal (perc). Egberto Gismonti (g,p), programmé le 6 août, n’aura pas pu revoir son ami tant il est épuisé; sur scène, il est en fauteuil roulant avec un apport d’oxygène, le reste du temps, il garde la chambre. Comme Molière, Hermeto est de ces artistes qui reste sur scène jusqu’à ses dernières forces, parcourant la terre, et ayant aimé particulièrement la France, notamment pour son public capable d’apprécier et de s’immerger dans des concerts de plusieurs heures, comme dans des rites initiatiques passeurs d’énergie!
Hermeto Pascoal, Rimini, Italie, 2013 © Umberto Germinale-Phocus
Hermeto Pascoal est décédé dans un hôpital de Rio, entouré de sa famille et de ses musiciens le 13 septembre 2025. Nul doute que sa barbe blanche de Merlin l’Enchanteur sera le meilleur passeport pour le paradis brésilien peuplé d’esprits intimement liés à la musique.
L’équipe de Jazz Hot partage la peine de ses enfants Jorge, Fábio (perc), Flávia, Fátima, Fabiula et Flávio, de ses nombreux petits-enfants, de ses musiciens, d’Aline Morena, et celle de leurs proches.
Hélène Sportis
Photos Umberto Germinale-Phocus et Pascal Kober
Image extraite de YouTube
Avec nos remerciements
1. Bangu-Rio: cf. Jazz Hot-Tears 2021 Raul de Souza, infra
HERMETO PASCOAL & JAZZ HOT

• n°359, mars 1979: Brazil: Hermeto Pascoal, interview par Gilbert Medam, photo(s) • n°363-364, juillet-août 1979: Brazil: Hermeto Pascoal, Egberto Gismonti, Gilberto Gil, Batalia Bob Junior, Tania Maria, Toninho Ramos par Philippe Lesage • n°365, septembre 1979: photo(s) • n°396, septembre-octobre 1982: Hermeto Pascoal, biographie, interview par Philippe Bourdin et Sergio Rosadas, photo(s) • n°408, mars 1984, Brésil: Hermeto Pascoal; Nene's Band/Realcinho Filho Neto par Antoine Laguerre • n°420, avril 1985: compte rendu concert • n°432, juillet-août 1986: 20 têtes d'affiches en festivals d'été: Clarence Gatemouth Brown, Buddy Guy, Junior Wells, Caetano Veloso, Gilberto Gil, Gary Burton, Hermeto Pascoal, Astor Piazzolla, Miles Davis, Gil Evans, Lionel Hampton, Herbie Hancock, Illinois Jacquet, Keith Jarrett, Hank Jones, Joachim Kühn, Didier Lockwood, Tania Maria, Jay McShann, Charlie Haden/Billy Higgins, Buddy Rich, Jimmy Giuffre, Lee Konitz, Richie Cole, Wayne Shorter, George Jinda/Chieli Minucci, McCoy Tyner All Stars • n°437, janvier 1987: Hermeto Pascoal au Cirque d'Hiver • n°450, mars 1988: Hermeto Pascoal à Cavaillon • n°467, octobre 1989: compte rendu concert • n°498, mars 1993, chronique CD Hermeto Pascoal, The Free Music of Hermeto Pascoal, Verve 824 621-2 • n°506, déc. 1993-jan. 1994, chroniques CDs Hermeto Pascoal, Festa dos Deuses, Philips 510 407-2 et Hermeto Solo, Som Dagente 288 • n°517, février 1995: couverture: Hermeto Pascoal, magazine: Jazz et musique brésilienne par Franck Darriet et Damien Hazard, 1ère partie - Un siècle en musique (Bibliographie) - Lexique, photos des instruments - L’invitation au voyage: lieux de musique à Rio et Salvador - Tião Neto, Le jazz et la samba - Hermeto Pascoal, Bruxo dos sons (discographie) • n°624, octobre 2005: Hermeto Pascoal à Marseille • n°628, avril 2006: 41e Berlin Jazz Fest: Charlie Haden-Carla Bley’s Liberation Music Orch., Maria Schneider Orchestra, Joe Zawinul Big Band/WDR Big Band, Enrico Rava, Amina Claudia Myers, Hermeto Pascoal/Han Bennink • n°665, automne 2013: Hermeto Pascoal au Ronnie Scott’s-Londres • n°677, automne 2016: Hermeto Pascoal/Vinicius Dorin/Andrés Marques au 40e Getxo Jazz-Espagne • n°684, été 2018: chronique CD Hermeto Pascoal & Grupo, No muno do sons, SeloSesc 0094/17 • Jazz Hot 2021: Tears Raul de Souza: hommage d’Hermeto Pascoal; l’histoire de la musique brésilienne au fil de Jazz Hot

Hermeto Pascoal, Vienne, 8 juillet 2018 © Pascal Kober
*
DISCOGRAPHIE
*
|