Khan Jamal
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10 jan. 2022
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23 juillet 1946, Jacksonville, FL - 10 janvier 2022, Philadelphie, PA
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© Jazz Hot 2022
Khan Jamal, Jazz Fort Napoléon, La Seyne-sur-mer, 27 juillet 2000 © Serge Baudot
Figure de la génération des lofts et de la scène jazz alternative de Philadelphie, Khan Jamal y est resté fidèle toute sa vie. Son attachement local, mais surtout l'esthétique post-coltranienne choisie, expliquent un relatif déficit de notoriété comme c'est souvent le cas des artistes du free jazz afro-américain, alors qu'il fut l’un des vibraphonistes et marimbistes essentiels, évoluant dans une esthétique qualifiée d'«avant-garde» bien que culturellement très enracinée dans le blues et la tradition du jazz (il suffit d'écouter sa belle version de «In a Sentimental Mood» de Duke Ellington dans la vidéographie ci-dessous pour s'en persuader), à laquelle s'ajoute une dimension spirituelle et politique, une volonté créative dépassant les modes, comme pour l'ensemble des artistes du jazz depuis plus d'un siècle. Comme beaucoup d'artistes de jazz de sa génération, il a eu à subir la première démolition du jazz par les musiques commerciales et de modes, au moment où il émergeait sur la scène au début des années 1970. Il est décédé, le 10 janvier 2022 au Chestnut Hill Hospital de Philadelphie à l'âge de 75 ans.

Khan Jamal, Jazz Fort Napoléon, La Seyne-sur-mer, 27 juillet 2000 © Serge Baudot
Warren Robert Cheeseboro est né à Jacksonville, FL, à l'été 1946, et a
grandi à Philadelphie, PA. Son père, Henry McCloud, était entrepreneur et sa
mère, Willa Mae Cheeseboro, assure un revenu
complémentaire à la famille comme pianiste de bar. Lorsque ses parents se séparent, il vit avec sa
grand-mère dans une maison face à celle qu’occupe sa mère avec son nouveau mari
et leurs trois enfants.
Son environnement est baigné par le
jazz. «Vous entendiez toujours de la
musique sortir de la maison de quelqu’un. Dans mon quartier, j’écoutais surtout
du jazz», avait-il déclaré dans Philly
Jazz Documentary de Jason Fifield (2009). Il a ainsi l’occasion d’entendre
des musiciens localement, très nombreux au nord de Philadelphie, comme Lee Morgan ou
John Coltrane qui habite à proximité, au n°33 Nord Street, jusqu’en 1958. L’adolescent
assiste aux répétitions et aux jam-sessions qui se tiennent dans la maison de famille du ténor à l’invitation de Mary Alexander dite, «Cousin Mary»: «Beaucoup de musiciens venaient là-bas. J’avais l’habitude de m’asseoir
sur les marches et de les écouter tout le temps. A partir de là, la musique
était dans mon sang. Je suis né musicien.» Quelques années plus tard,
Cousin Mary lui proposera de rejoindre sa John W. Coltrane Cultural Society
pour y donner des master-classes.
Warren commence le vibraphone à la fin de son
adolescence, principalement inspiré par Lionel Hampton. Après le lycée, il est
enrôlé pour la guerre du Vietnam en 1965 et, à son retour, fréquente deux écoles de musique de
Philadelphie: la Granoff School of Music et le Combs College of Music, par
lesquels est passé John Coltrane, et prend des leçons privées avec le
vibraphoniste Bill Lewis; il enregistrera en duo avec lui l’album The River en 1977 chez Philly Jazz.
A
la fin des années 1960, il intègre l’univers de Sun Ra avec le
groupe Cosmic Forces et le Sun Ra Arkestra qui s’est installé à Philly en 1968.
Il rejoint ensuite, avec quelques autres des membres de l’Arkestra, la
formation de Sunny Murray, Untouchable Factor. C’est probablement à cette
époque qu’il adopte le nom musulman de Khan (celui qui dirige) Jamal (beauté), comme Ahmad, à l'image de beaucoup de jeunes
Afro-Américains, qui depuis le début du siècle continuent de rompre avec le
christianisme hérité de la période de l’esclavage.
 
En 1970, il cofonde le collectif Sounds of Liberation avec
Omar Hill (perc) qui rassemble des jeunes musiciens en quête de création artistique portant une expression politique ancrée dans le contexte pesant de l'époque (mort de Coltrane, assassinat de Martin Luther King, Jr., guerre du Vietnam): Monnette Sudler (g), Billy
Mills (b), Dwight James (dm), Rashid Salim (perc), rejoints par Byard
Lancaster (as). Le groupe, sur le modèle du Sun Ra Arkestra, évolue en
une coopérative implantée dans le quartier de Germantown, toujours au nord de
Philadelphie, mais peine à se faire connaître hors des limites de la ville. Sa
musique expérimentale, empreinte de spiritualité, donne
lieu à un LP en mars 1972, The Sounds of Liberation-New Horizons,
édité sur le label du collectif, Dogtown, dans une période où les musiciens
cherchent à reprendre le contrôle de leur production.
La même
année, en octobre, Khan Jamal enregistre, live au
Catacombs Club de Philadelphie, à la tête de son Creative Arts Ensemble, Drum Dance to the Motherland (Dogtown). En 1974, à l’occasion d’un séjour à Paris, il enregistre Give the Vibes Some (Palm) où il joue
aussi des marimbas. Acteur engagé du free jazz de Philadelphie, durablement marqué par l'héritage coltranien, il participe à divers
orchestres où il retrouve régulièrement Monnette Sudler et Byard Lancaster avec
lesquels il accompagne Sunny Murray (dm) sur la série d’albums Wildflowers (1976, Douglas/Casablanca) qui comprend également David
Murray (ts).

Dans les années 1980, parallèlement à ses propres formations et à son travail de compositeur,
Khan Jamal fait partie du Decoding Society de Ronald Shannon Jackson (dm), joue avec
Billy Bang (vln) et Charles Tyler (s). A partir de 1984, à l'occasion de fréquents séjours en Scandinavie, il effectue avec Dark Warrior (SteepleChase) le premier enregistrement d’une belle série de quatre albums pour les labels scandinaves: Three, The Traveller (SteepleChase), Thinking of You (1986, Storyville), pour lesquels il croise la route de Johnny Dyani (b) et de nouveau celle de Charles Tyler, entre autres. Johnny Dyani n'est sans doute pas étranger à la couleur africaine qu'a développée Khan Jamal utilisant le marimba et le balafon à cet effet.
En 1988, il retrouve Sunny Murray et Dave
Burrell, avec également William Parker (b), sur Speak
Easy (Gazell). Il participe aussi au big band collaboratif initié en 1985 par Sunny Murray et Philly Joe Jones (dm), Change of the Century Orchestra, et à l’album éponyme live à Berlin (1987, J.A.S.) avec notamment Romulus Franceschini (lead, arr), Ted Curson (tp), Grachan Moncur III (tb), Odean Pope (ts), Dave Burrell (p), Monnette Sudler et Byard Lancaster. L'orchestre comprend aussi Archie Shepp.
Khan Jamal, Jazz Fort Napoléon, La Seyne-sur-mer, 27 juillet 2000 © Serge Baudot
Il commence à être
sollicité par des musiciens de la jeune génération à la fin des années 1990,
comme Roy Campbell, Jr. (tp) et Matthew Shipp (p) qui tentent ensemble des rencontres avec le
hip hop. Pour le label CIMP, il poursuit son cheminement créatif au balafon (Balafon Dance, 2002), en compagnie de partenaires
de longue date comme Odean Pope (Nothing
Is Wrong, 2003), Grachan Moncur III et Byard Lancaster (Black Awarness, 2005) ou du
violoncelliste Dylan Taylor (Fire &
Water, 2007).

En 2005, il grave, pour le label français Discograph, Return From Exile (cf. chronique dans Jazz Hot Supplément 634) et revient jouer en
Europe l’année suivante avec Sounds of Liberation, qui s’est reformé, et suscite
un nouvel engouement avec la réédition de New
Horizons en 2010 par Porter Records et la sortie en 2019 d’un live inédit de 1973 à l’Université de
Columbia: Unreleased
(Dogtown/Brewerytown).
En 2007, d’ultimes retrouvailles discographiques avec
les deux saxophonistes de Philadelphie, Byard Lancaster et Odean Pope, donnent lieu à un album-hommage à l'inspirateur:
Impressions of Coltrane (SteepleChase).
Khan Jamal laisse deux fils: Khan II et Tahir, rappeur qui
apparaissait sur l’album Cubano Chant
(2000, Jambio). Le Clef Club de Philadelphie, belle institution dirigée par Lovett Hines, lui rendra hommage dans les prochains mois.
Jérôme Partage et Hélène Sportis Photos Serge Baudot images extraites de YouTube avec nos remerciements
*DISCOGRAPHIELeader/Coleader LP 1972. Khan Jamal, Drum to the Motherland, Dogtown (=CD Eremite Records MTE-050)
LP 1974. Khan Jamal, Give the Vibes Some, Palm 10 LP 1977. Khan Jamal/Bill Lewis, The River, Philly Jazz 1002 LP 1982. Khan Jamal, Infinity, Con Brio 001 (=CD Jambrio 1001)
  
LP 1984. Khan Jamal Quartet, Dark Warrior, SteepleChase 1196 (=CD 31196)
LP 1984. Khan Jamal/Pierre Dørge/Johnny Dyani, Three, SteepleChase 1201 (=CD 31201)
LP 1985. Khan Jamal Trio, The Traveller, SteepleChase 1217 (=CD 31217)
CD 1986. Khan Jamal, Thinking of You, Storyville 4138
  
CD 1987. Khan Jamal/Sunny Murray/Romulus Franceschini, Change of the Century Orchestra, J.A.S. CD 1988. Khan Jamal, Speak Easy, Gazell 4001
CD 1989. Khan Jamal, Don’t Take No!, Stash 20 CD 1989. Khan Jamal, Cool, Jambrio 1008
  
CD 1997. Khan Jamal, Percussion & Strings, CIMP 143
CD 2000. Khan Jamal, Cubano Chant, Jambrio 1002
CD 2002. Khan Jamal Quintet, Balafon Dance, CIMP 267 CD 2003. Odean Pope & Khan Jamal Quartet, Nothing Is Wrong, CIMP 294
  
CD 2005. Khan Jamal Quintet, Black Awareness, CIMP 322
CD 2005. Khan Jamal, Return From Exile, Isma’s 612458-2
CD 2007. Khan Jamal & Dylan Taylor, Fire and Water, CIMP 364 CD 2007. Khan Jamal, Impressions of Coltrane, SteepleChase 31666
Sideman LP 1972. Byard Lancaster, The Sounds of Liberation-New Horizons, Dogtown (=CD Porter 1508)
LP 1976. Collectif, Wildflowers 1: The New York Loft Jazz Sessions, Douglas 7045
(1 titre avec Sunny Murray & The Untouchable Factor) LP 1976. Collectif, Wildflowers 5: The New York Loft Jazz Sessions, Douglas 7049
(face A: Sunny Murray & The Untouchable Factor)
LP 1977. Monnette Sudler Quintet, Brighter Days for You, SteepleChase 1087 (=CD 31087)
LP 1977. Ted Daniel, Tapestry, Sun 112 (=CD Porter 1503)
LP 1981. Ronald Shannon Jackson & The Decoding Society, Nasty, Moers Music 01086 (=CD Cymbata Music)
LP 1981. Jemeel Moondoc Sextet, Konstanze's Delight, Soul Note 1041 (=CD 121041-2)
LP 1981. Dwight James, Inner Heat, Cadence Jazz 1014 LP 1982. Billy Bang, Outline no. 12, Celluloid 5004 (=CD Charly Records 256)
LP 1985. Joe Bonner, Suite for Chocolate, SteepleChase 1215 (=CD 31215)
LP 1987. Art Webb/Omar Hill, Caribbean Breeze, Gaslight 525 (=CD Jambrio 1004)
CD 2000. Jemeel Moondoc Vtet, Revolt of the Negro Lawn Jockeys, Eremite 28 CD 2001. Roy Campbell, It's Krunch Time, Thirsty Ear 57107-2 CD 2002. Matthew Shipp, Antipop, Thirsty Ear 571120-2 CD 2002. Matthew Shipp, Equilibrium, Thirsty Ear 571127-2 CD 2005. Byard "Thurnderbird" Lancaster, Soul Unity, Isma’s 612896-2
  
* VIDÉOGRAPHIE
Khan Jamal, Cheney University of Pennsylvania, 15 avril 1992, image extraite de YouTube
Chaînes YouTube de Khan Jamal
https://www.youtube.com/channel/UCLRuWG9FeuDn5XGgphg26Jw/playlists
https://www.youtube.com/playlist?app=desktop&list=PLfysgdM2KWxNmoz3cbkFWYlR06DX4c-Rq https://www.youtube.com/playlist?list=PLeNqS_wzIYmboZwd4tuZLQRgmqA7eqq-8
1992. Khan Jamal, Dan
Klyman (p,kb), Kenny Kellum (b), Dwight James (perc), Cheyney University of Pennsylvania, 15 avril
https://www.youtube.com/watch?v=2ecWdu-YnOI
2005. Khan Jamal, Grachan
Moncur III (tb,voc), Byard Lancaster (as), Dylan Taylor (b), Rob Henderson
(dm), album Black Awareness, CIMP,
Spirit Room, Rossie, New York, NY, 10 et 11 janvier 2005
https://www.youtube.com/watch?v=wggZd_sqQ1w
2011. Khan Jamal, Dylan
Taylor (b), Rob Henderson (dm), André Café Acoustique, Chester, PA, 9 septembre
https://www.youtube.com/watch?v=YOElurS1UG0
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