Khan Jamal
|
10 jan. 2022
|
23 juillet 1946, Jacksonville, FL – 10 janvier 2022, Philadelphie, PA
|
© Jazz Hot 2022

Figure de la «loft
generation» et de la scène jazz alternative de Philadelphie, Khan Jamal y est resté fidèle toute sa vie. Un attachement local qui explique en partie son déficit de notoriété, notamment en Europe, alors qu'il fut l’un des principaux
vibraphonistes et joueurs de marimba évoluant dans une esthétique dite «avant-garde», entre free jazz et
fusion, à laquelle s'ajoute une dimension spirituelle et politique. Il est décédé le 10 janvier au Chestnut Hill Hospital de Philadelphie à l'âge de 75 ans.
Warren Robert Cheeseboro est né à Jacksonville, FL et a
grandi à Philadelphie, PA. Son père, Henry McCloud, était entrepreneur et sa
mère, Willa Mae Cheeseboro, assure un revenu
complémentaire à la famille comme pianiste de bar. Lorsque ses parents se séparent, il vit avec sa
grand-mère dans une maison face à celle qu’occupe sa mère avec son nouveau mari
et leurs trois enfants. Son environnement est baigné par le
jazz. «Vous entendiez toujours de la
musique sortir de la maison de quelqu’un. Dans mon quartier, j’écoutais surtout
du jazz» avait-il déclaré dans Philly
Jazz Documentary de Jason Fifield (2009). Il a ainsi l’occasion d’entendre
des musiciens «locaux», très nombreux au nord de Philly, comme Lee Morgan ou
John Coltrane qui habite à proximité, au n°33 Nord Street, jusqu’en 1958. L’adolescent
assiste aux répétitions et aux jam-sessions qui se tiennent dans la maison de famille du ténor à l’invitation de Mary Alexander dite, «Cousin Mary»: «Beaucoup de musiciens venaient là-bas. J’avais l’habitude de m’asseoir
sur les marches et de les écouter tout le temps. A partir de là, la musique
était dans mon sang. Je suis né musicien.» Quelques années plus tard,
Cousin Mary lui proposera de rejoindre sa John W. Coltrane Cultural Society
pour y donner des master-classes.
Warren-Khan commence le vibraphone à la fin de son
adolescence, principalement inspiré par Lionel Hampton. Après le lycée, il est
enrôlé au Vietnam en 1965 et à son retour fréquente deux écoles de musique de
Philadelphie, la Granoff School of Music et le Combs College of Music, par
lesquels est passé John Coltrane, et prend des leçons privées avec le
vibraphoniste Bill Lewis (il enregistrera en duo avec lui l’album The River en 1977 chez Philly Jazz). A
la fin des années 1960, il intègre l’univers afrofuturiste de Sun Ra avec le
groupe Cosmic Forces et le Sun Ra Arkestra qui s’est installé à Philly en 1968.
Il rejoint ensuite, avec quelques autres des membres de l’Arkestra, la
formation de Sunny Murray, Untouchable Factor. C’est probablement à cette
époque qu’il adopte le nom musulman de Khan (celui qui dirige) Jamal (beauté), comme Ahmad, à l'image de beaucoup de jeunes
Afro-Américains, qui depuis le début du siècle continuent de rompre avec le
christianisme hérité de l’esclavagisme.

En 1970, il cofonde le collectif Sounds of Liberation avec
Omar Hill (perc) qui rassemble de jeunes musiciens en quête de création artistique radicale portant une expression politique marquée par le contexte pesant de l'époque (mort de Coltrane, assassinat de Martin Luther King, guerre du Vietnam): Monnette Sudler (g), Billy
Mills (b), Dwight James (dm), Rashid Salim (perc), rejoints par Byard
Lancaster (as). Le groupe, sur le modèle du Sun Ra Arkestra, évolue en
une coopérative implantée dans le quartier de Germantown, toujours au nord de
Philly, mais peine à se faire connaître hors des limites de la ville. Sa
musique expérimentale, empreinte de spiritualité, donne
lieu à un unique LP en 1972, New Horizons,
édité sur le label du collectif, Dogtown, dans une période où les musiciens
cherchent à reprendre le contrôle de leur production sur les majors. La même
année, Khan Jamal enregistre, live au
Catacombs Club de Philadelphie, à la tête de son Creative Arts Ensemble, Drum Dance to the Motherland (Dogtown). Deux
ans plus tard, à l’occasion d’un séjour à Paris, il enregistre Give the Vibes Some (Palm) où il joue
aussi des marimbas. Acteur engagé de cette mouvance jazz d'avant-garde de Philadelphie
dont l’esprit est proche de celui de l’AACM de Chicago, il participe à divers
orchestres où il retrouve régulièrement Monnette Sudler et Byard Lancaster avec
lequel il accompagne Sunny Murray (dm) sur la série d’albums Wildflowers (1976, Douglas/Casablanca) qui comprend également David
Murray (ts). Il participe aussi au big band collaboratif initié en 1982 par
Sunny Murray et Philly Joe Jones (dm), Change of the Century Orchestra, et à l’album
éponyme live à Berlin (1987, J.A.S.)
avec notamment Romulus Franceschini (lead), Ted Curson (tp), Grachan Moncur III
(tb), Odean Pope (ts), Dave Burrell (p), Monnette Sudler et Byard Lancaster. L'orchestre comprendra aussi Archie Shepp.

Dans les années 1980, parallèlement à ses propres formations et à son travail de compositeur,
Khan Jamal fait partie du Decoding Society de Ronald Shannon Jackson (dm), joue avec
Billy Bang (vln) et Charles Tyler (s). En 1984, il effectue avec Dark Warrior (SteepleChase) le premier enregistrement d’une série
pour des labels scandinaves comme Thinking of You (1986, Storyville), tandis qu’en 1988 il retrouve Sunny Murray et Dave
Burrell, avec également William Parker (b), sur Speak
Easy (Gazell). Fidèle à la scène de Philadelphie, il commence à être
sollicité par des musiciens de la jeune génération à la fin des années 1990,
comme Roy Campbell Jr. (tp) et Matthew Shipp (p) qui tente avec lui des rencontres avec le
hip hop. Pour le label CIMP, il poursuit son cheminement créatif au balafon (Balafon Dance, 2002), en compagnie de partenaires
de longue date comme Odean Pope (Nothing
Is Wrong, 2003), Grachan Moncur III et Byard Lancaster (Black Awarness, 2005) ou du
violoncelliste Dylan Taylor (Fire &
Water, 2007). En 2005, il grave, pour le label français Discograph, Return From Exile (cf. chronique dans Jazz Hot Supplément 634) et revient jouer en
Europe l’année suivante avec Sounds of Liberation qui s’est reformé et suscite
un nouvel engouement avec la réédition de New
Horizons en 2010 par Porter Records et la sortie en 2019 d’un live inédit de 1973 à l’Université de
Columbia: Unreleased
(Dogtown/Brewerytown). En 2008, d’ultimes retrouvailles discographiques avec
les deux sax de Philly, Byard Lancaster et Odean Pope, donnent lieu à un album-hommage,
Impressions of Coltrane (SteepleChase).
Khan Jamal laisse deux fils: Khan II et Tahir, rappeur qui
apparaissait sur l’album Cubano Chant
(2000, Jambio). Le Clef Club de Philadelphie, belle institution dirigée par Lovett Hines, lui rendra hommage dans les prochains mois.
Jérôme Partage
VIDÉOGRAPHIE
Chaîne YouTube de Khan Jamal
https://www.youtube.com/channel/UCLRuWG9FeuDn5XGgphg26Jw/playlists
1992. Khan Jamal, Dan
Klyman (p,kb), Kenny Kellum (b), Dwight James (perc), Cheyney University of Pennsylvania, 15 avril
https://www.youtube.com/watch?v=2ecWdu-YnOI
2005. Khan Jamal, Grachan
Moncur III (tb,voc), Byard Lancaster (as), Dylan Taylor (b), Rob Henderson
(dm), album Black Awareness, CIMP,
Spirit Room, Rossie, New York, NY, 10 et 11 janvier 2005
https://www.youtube.com/watch?v=wggZd_sqQ1w
2011. Khan Jamal, Dylan
Taylor (b), Rob Henderson (dm), André Café Acoustique, Chester, PA
https://www.youtube.com/watch?v=YOElurS1UG0
*
|
|
|