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Patrick Vian

24 fév. 2023
12 avril 1942, Paris - 24 février 2023, Apt (Luberon)
© Jazz Hot 2023

Patrick Vian, Paroles et musique, 1970, image extraite de YouTube



Patrick Vian, Paroles et musique, 1970
image extraite de YouTube





Patrick Vian était le fils de Boris Vian, jeune ingénieur touche à tout devenu trop vite un ancien de Zazotte ­–qui inventait des surnoms pour son petit monde dont Pathapond ou Petit Bison pour son fils, et de Michelle Léglise-Vian. Deux mois après sa naissance, Alain Vian (dm), son oncle, présente Boris à Claude Abadie, une bouffée d’oxygène dans le Paris occupé par les Allemands depuis presque deux ans, et entre deux familles très grandes-bourgeoises malgré le déclassement social de son grand-père paternel Paul. Arrive enfin la Libération de Paris le 19 août 1944: Boris ronge son frein à l’AFNOR depuis deux ans déjà, mais entre le jazz et les nouvelles idées, le futur semble plus léger. La famille va cependant être encore secouée par l’assassinat du grand-père de Patrick, Paul Vian, à la maison familiale des Fauvettes de Ville-d’Avray en novembre 1944: l’enquête opaque sur les circonstances est rapidement clôturée le 17 janvier 1945, et la maison vendue peu après. Boris et Michelle s’attellent à maintenir chez eux un espace de respiration, fait des premières chansons de Boris écrites pour Jack Diéval, conviant entre autres Merleau-Ponty, Camus, Bost, les Frères Prévert, Astruc, Beauvoir et Sartre, lequel sort la revue Les Temps Modernes(1) en octobre 1945; Jazz Hot reparaît aussi, pour son n°1 (nouvelle série) ce mois-là. Habitant Faubourg Poissonnière, à 1 km de Jazz Hot, Michelle commence, la première, à écrire dans la revue de Charles Delaunay et Hugues Panassié dès novembre 1945(2), puis Boris lui emboîte le pas(3) et y écrira jusqu’à son décès.

1947, Patrick commence la trompette avec son père Boris Vian © Collection Fond’Action Boris Vian by courtesy


1947, Patrick commence la trompette avec son père Boris Vian
© Collection Fond’Action Boris Vian by courtesy


Faisant d’abord visiter Paris aux G.I. en raison des talents anglophones de Michelle, l’emploi du temps parental devient chargé en 1947, car même si Boris s’est libéré de l’AFNOR l’année précédente, il devient l’animateur du Tabou où il côtoie les musiciens américains revenus à Paris. En dehors des fêtes, Boris se met à écrire aussi à Combat et aux Temps Modernes. En plus de cette suractivité de ses parents, Patrick perd son statut d’enfant unique avec l’arrivée de Carole le 16 avril 1948, en pleine ébullition existentialo-jazzique forgeant de nouveaux concepts au sein d’une France gaulliste ou communiste, mais unanimement en attente du Plan Marshall pour sortir des rationnements. En 1949, le couple commence à se briser, Michelle débutant sa vie avec Jean-Paul Sartre: Patrick se souviendra du philosophe comme d’une personnalité bienveillante avec lui, et à l’humour débridé. En 1951, Boris part habiter avec Ursula Kübler, dans une chambre située Boulevard de Clichy. 1952, les parents divorcent, Patrick a 10 ans. Son père se marie avec Ursula en 1954 après avoir emménagé depuis un an à la Cité Véron(4), un lieu où Patrick aime jouer avec Minette Prévert et son chien sur la terrasse commune aux appartements des deux familles, derrière les ailes du Moulin Rouge. Dans cette période compliquée de sa préadolescence combinée à l’éclatement familial, Patrick est plus intéressé par l’évasion dans le cinéma que par l’école; après une psychanalyse à 11 ans, car Boris n’accepte pas la résistance de son fils à la discipline de l’apprentissage scolaire, il est envoyé en pension à l’étranger en Suisse et en Angleterre. Les escapades complices à Antibes et St Tropez apaisent cependant les tensions père-fils. Quand son père décède en 1959, Patrick est devenu un adolescent aux aspirations plutôt anarchistes —«Le Déserteur», «La Java des bombes atomiques», ou le décès de Boris en plein épilogue de la triste saga du roman adapté en film renié par Boris J’irai cracher sur vos tombes, ont ancré chez lui des traces de révolte—, une couleur libertaire partagée plus tard avec Gérard Terronès, de deux ans son aîné, un autre ancien de la rédaction de Jazz Hot (début à l’automne 1968), créateur en 1969 du label indépendant Futura pour lequel Patrick enregistre un 33 tours, Sarcelles-Lochères avec son groupe Red Noise, le 28 novembre 1970, au studio Europa Sonor dans le 14e arrondissement de Paris: au départ, il s’agit d’une expérience musicale, avec Jean-Claude Cenci (s,fl,voc), Francis Lemonnier (s), Daniel Geoffroy (b,voc), Serge Catalano (dm), née à la Sorbonne en mai 1968 (cf. vidéographie), dont l’expression est la fusion, entre rock progressif, free jazz électrifié et bruitages, un univers de ressentiments et de désillusions post 1968, de cette génération anti-autoritaire réclamant plus de liberté et de justice sociale.

Patrick Vian, Paroles et musique, 1970, image extraite de YouTube



Patrick Vian, Paroles et musique, 1970
image extraite de YouTube

Ce débat est un éternel recommencement, comme dans l’entre-deux guerres, où le jazz, le dadaïsme, les zazous ou les surréalistes avaient eux aussi et parmi d’autres alternatifs, essayé de réveiller les consciences anesthésiées par l’ordre fasciste si fascinant pour la majorité conformiste. Il est vrai que depuis la fin de la Seconde Guerre, la mère de Patrick s’est aussi politisée, aux antipodes de sa tradition familiale, au contact de «Jean-Sol Partre» (Manifeste des 121/Guerre d’Algérie, 1960) et de la «Duchesse de Bovouard» (Les Mandarins, 1954) qui soutiennent le mouvement ouvrier-étudiant qui ne veut plus perdre sa vie à la gagner!(5) 1968 est alors la résultante de décennies de frictions entre dominants et dominés, entre privilèges et demandes de justice sociale: de nouveaux martyres sont morts pour la liberté, l’égalité et la justice sociale, Malcolm X, Che Guevara et Martin Luther King Jr., pour ne parler que des plus connus, assassinés en trois ans (février 1965-avril 1968) en raison de la réaction/radicalisation du pouvoir sur le globe, des coups d’Etat militaires au Brésil et en Colombie en 1964, en Argentine en 1966, à celui de la Grèce en 1967, sans compter le Vietnam, le racisme institutionnel, la post colonisation, cette liste n’étant pas exhaustive des points de tension de la période.

Jazz Hot n°227, 1967


Pour faire oublier cette violence, le pouvoir sort la pommade du conformisme bourgeois «pour tous»: le yé-yé et autres musiques commerciales luttent méthodiquement contre le jazz, contre d’autres musiques alternatives, contre la chanson à texte (cf. Juliette Gréco), engagés politiquement contre un pouvoir gaulliste qui maintient les inégalités, ronge les acquis sociaux, fabrique «ses» nouveaux philosophes et dévitalise les droits et libertés en s'appuyant sur la propagande et la pommade de cette «nouvelle culture» de loisirs de masse destinée à normaliser la société.

Dans ce contexte tendu, Patrick ira voir, comme beaucoup, si ailleurs l’herbe est plus verte, en voyageant loin, en Asie du Sud-Est ou dans les paradis artificiels, et il sera même défendu par Gisèle Halimi après une arrestation pour détention de cannabis, raconte-t-il amusé.

En 1968, Patrick est déjà marié avec Emilie Orihuel, et leur fils Cédric a un an; peut-être l’atmosphère «changeons la vie»(5) a-t-elle porté un espoir pendant un temps. Côté nouveautés musicales, les bruits, les percussions, instruments du monde ou objets détournés expérimentent le sonore et fournissent un nouveau matériau à la musique contemporaine, à la fusion du jazz-rock progressif, à la musique de film, un champ d’investigation ouvert au tournant des années 1950-1960 par le free jazz, et dans d'autres dimensions musicales Ennio Morricone au cinéma, Astor Piazzolla (Jazz Hot n°315, 1975) pour le tango: un spectre large de textures allant des ambiances flottantes aux plus violentes, reflétant les temps qui changent, entre réalisme et onirisme.

1970, le groupe fait un concert au Bourget où les Pink Floyd sont également programmés, mais cette année-là est aussi l’éveil de la France libérale et financière, peu encline aux happenings (la musique de l’instant) de Red Noise; plutôt que trouver une solution pour cohabiter avec, ou contourner le système financier (on disait encore alors «capitaliste» par référence au discours marxiste, la principale alternative), pour contourner la prise en main de l'industrie musicale par les majors, le groupe préfère disparaître en 1972, d’autant que Patrick n’a pas davantage la fibre du leader, pas même d’un groupe de musiciens.

En 1974, Patrick participe à la musique du film Hu-Man (1975, Jérôme Laperrousaz, Terence Stamp/Jeanne Moreau), puis il fera un autre LP, Bruits et temps analogues, avec Georges Granier (kb,perc), Bernard Lavialle (g), Mino Cinelu (perc) et lui-même au synthétiseur (label Egg/Barclay), enregistré au Studio I.P.-Paris 8e, en juin 1976: l’électronique fait désormais partie intégrante de son mode d’expression.

Cette année-là, la famille part dans les collines du Luberon, dans un premier temps dans une ferme louée au confort spartiate, puis déménage près d’Apt. En septembre 1977, Patrick participe comme musicien au Festival de Science-Fiction de Metz où il expérimente le laser musical: c’est une technique qui le fascine, presque de la science-fiction en vrai!

Si la tendance à la procrastination de Patrick contraste avec la suractivité vitale d’un Boris à la vie courte, la transmission d’une curiosité sans borne s’est bien effectuée entre eux: en technologies, Patrick découvre l’informatique en temps réel et ses possibilités en musique, il est ingénieur du son, fait de la photo; en sciences, il s’intéresse à la physique quantique, l’astronomie, la nature: père et fils ont aussi en partage la science-fiction et la mécanique des voitures.

1980, Jean-Paul Sartre décède, un des chapitres de la vie de Patrick se clôt tout en persistant à refaire le monde à sa façon, comme animateur de Radio Bigarreau entre 1981 et 1996, depuis son domicile familial. En 1995, un petit-fils, Jason, arrive; quant à son fils Cédric, il continue la tradition familiale entre technique, musique et bidouille: il est DJ.

En 1998, Patrick se rend pour la première fois sur la tombe de son père au cimetière de Ville-d’Avray (cf. interview de Patrick Vian dans l'Express du 5 octobre 2011), ville native de Boris, pour l’enterrement de sa sœur Carole.

Bien que revenant très rarement sur Paris, en 2013, il assiste avec plaisir avec la famille au complet, de Michelle à Jason, à la première du film L’Ecume des jours réalisé par Michel Gondry et adapté du roman célébrissime de Boris: clin d’œil pour les initiés, Bobby Few tient un petit rôle dans ce film et y chante le thème de Duke Ellington, «Sophisticated Lady», un retour aux sources de Boris: le jazz et en particulier le Duke! En 2017, Patrick préface une bande dessinée adaptant L’Automne à Pékin.

Si Patrick a le droit moral sur l’œuvre de son père, il n’a pas de prédispositions pour l’organisation de la protection des droits d’auteur: Ursula Vian-Kübler, Hot d’Déé et Nicole Bertolt ont assumé cette responsabilité et ont fait vivre l’œuvre de Boris Vian depuis 64 ans, Nicole reprenant désormais le flambeau avec Cédric, le petit-fils de Boris.

Patrick Vian s'est éteint le vendredi 24 février 2023 auprès de son fils, Cédric. Une cérémonie intime et simple a eu lieu avec la famille et les amis le 2 mars à Orange.

 

Hélène Sportis

Photo Collection Fond’Action Boris Vian by courtesy

Images extraites de YouTube

Avec nos remerciements


1. Revue Les Temps Modernes: «…Au sommaire du premier numéro: Sartre, Richard Whright, Maurice Merleau-Ponty, Francis Ponge, Raymond Aron, Jacques-Laurent Bost et Jean Roy. Suivront Beckett, Moravia, Carlo Levi, James Agee, Vian, Queneau, Genet, Leduc, Sarraute…», Gallimard.
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Revue-Les-Temps-Modernes#

2. Jazz Hot n°2 (nouvelle série), novembre 1945, l’Orchestre de l’Armée de l’Air, Michèle (avec cette orthographe) Vian.

3. Jazz Hot n°5 (nouvelle série), mars 1946, La Radio, France-Soir organise un référendum, Boris Vian.

4. Jazz Hot est situé 14 rue Chaptal, à 500 mètres.

5. Un des célèbres slogans de mai 1968.

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VIDÉOGRAPHIE-DISCOGRAPHIE

1970. Red Noise, Sarcelles-Lochères, Futura
1970. Red Noise, Sarcelles-Lochères, Futura



1969. Patrick Vian, 45 tours La Veuve du Hibou/Ophélia, Marie-Blanche Vergne with Red Noise, Columbia
https://www.youtube.com/watch?v=zz0vXZP00H4
https://www.youtube.com/watch?v=qjMKJkWLMuA


1970. Patrick Vian (g,voc,lead), paroles et musique, groupe Red Noise, Jean-Claude Cenci (s,fl,voc), Daniel Geoffroy (b,voc), John Livengood (org), Austin Blue (perc), Philip Barry (dm,g,voc), Gérard Terronès (producteur), album Sarcelles-Lochères, label Futura, studio Europa Sonor, Paris 14e, 28 novembre
Les titres de l’album: «Cosmic», «Toilet Ditty», «Caka Slow / Vertebrate Twist», «Obsession Sexuelle N°1», «Galactic Sewer-Song», «Obsession Sexuelle N°2», «Red Noise Live au Café des Sports», «Existential-Import of the Screw-Driver Eternity Twist», «20 Mirror Mozarts Composing on Tea Bag and 1/2 Cup Bra», «Red Noise en Direct du Buffet de la Gare 2ème Partie», «A la Mémoire du Rockeur Inconnu», «Petit Précis d'Instruction Civique», «Sarcelles c'est l'Avenir»
https://www.youtube.com/watch?v=OwXAkw6nJRk
https://www.youtube.com/watch?v=k8sDC23ZzBo
https://www.youtube.com/watch?v=XH_WLKvJ4is


1972. Patrick Vian, Dominique Lentin (dm,perc,voc), Jean-Pierre Lentin (b), Daniel Hoffmann (g,kb), «Dagon, Suite pour orgue», compilation 30 Ans d'agitation musicale en France (30 Years of Musical Insurrection In France)
https://www.youtube.com/watch?v=j5Cbk_eNAlY

1975. Patrick Vian, musique du film Hu-Man de Jérôme Laperrousaz
https://www.youtube.com/watch?v=XX5Yp5XS2uQ

1976. Patrick Vian (comp,synth), album Bruits et temps analogues, Georges Granier (kb,perc), Bernard Lavialle (g), Mino Cinelu (perc), label Egg, Studio I.P., Paris 8e, juin
Les titres de l’album: «Sphère», «Grosse Nacht Musik», «Oreknock», «Old Vienna», «R & B Degenerit!», «Barong Rouge», «Tunnel 4», «Red Noise», «Bad Blue», «Tricentennial Drag»
https://www.youtube.com/watch?v=pivwaCXUGys
https://www.youtube.com/watch?v=pEMKbgJuEC4
https://www.youtube.com/watch?v=HY5Sab5cgOE
https://www.youtube.com/watch?v=PaD2SgYGedQ


1976. Patrick Vian, Bruits et temps analogues, Egg1976. Patrick Vian, Bruits et temps analogues, Egg1976. Patrick Vian, Bruits et temps analogues, Egg1976. Patrick Vian, Bruits et temps analogues, Egg


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