Sue Mingus, Aix-en-Provence, 1995
© Ellen Bertet

Sue Graham est née dans une famille aisée, mélomane de musique classique et opéra, la benjamine d’un grand frère de dix ans son ainé, Richard Alton, activiste-précurseur de l’égalité des femmes, fondateur de NOW en 1966. Après ses études, elle part en 1952 à Paris pour le Herald Tribune, puis à Rome en 1954 pour Clipper, le magazine de Pan Am Airlines. A Rome, elle rencontre son premier mari, Alberto Ungaro, peintre-sculpteur proche de l’écrivain Carlo Levi (Le Christ s’est arrêté à Eboli). Ils ont deux enfants, Susanna et Roberto, et la famille part à New York en 1958.

Quand elle rencontre Charles Mingus au Five Spot début 1964, Sue est devenue actrice dans un film, O.K. End Here de Robert Frank, photographe-réalisateur suisse qui, en tant que cinéaste non conventionnel, a pris Ornette Coleman pour composer la musique. Peu de temps après, Eric Dolphy, un des musiciens de Mingus décède à Berlin. Nous sommes dans l’époque de tous les essais, artistiques, politiques et de vies: le poète-activiste Allen Ginsberg (Jazz n°441, 1987), familier de la mouvance artiste de Greenwich Village, «marie» Sue et Charles en 1966 selon un rite bouddhiste chanté.

Le couple n’emménage dans un même espace qu’à partir de 1972 et se marient administrativement en 1975. Puis Charles Mingus est gravement malade dès 1976, et il décède en 1979. Après avoir dispersé les cendres de son époux dans le Gange, Sue Mingus s’immerge alors dans l’œuvre du compositeur pendant 43 ans, sans relâche, des concerts hommages avec ses musiciens historiques –dont Dannie Richmond (dm), George Adams (ts), Don Pullen (p), Jack Walrath (tp), Jimmy Knepper (tb)…–, à la conception et mise en œuvre au fil du temps d’une véritable structure polymorphe avec trois formations, un programme de transmission aux nouvelles générations et l’édition d’une partie importante de l’œuvre gigantesque: le Mingus Dynasty (5 à 7 musiciens) dès 1979, Simply Mingus (arr. Andrew Homzy, Sy Johnson) paru chez Hal Leonard à partir de 1984, Let My Children Hear Music, Inc. (en référence à l’album de Charles Mingus), la structure d’édition, de concerts, pédagogique et de conservation des archives en 1986, le Mingus Big Band (14 musiciens) en 1988, et elle produit le concert Epitaph avec trente musiciens conduits par Gunther Schuller au Lincoln Center le 3 juin 1989: dix ans seulement ont passé depuis la perte de Charles Mingus et pas un instant n’a été perdu.

Le Mingus Big Band, Aix-en-Provence, juillet 1995 © Ellen Bertet

En 2009 a lieu le 1_^er Charles Mingus Festival & High School Competition à la Manhattan School of Music, et en février 2022, s’est tenue sa 14_^e édition, au New School's College of Performing Arts de New York pour «Mingus 100», car le compositeur  est né le 22 avril 1922. De 2009 au confinement de mars 2020, les Thursday Nights concerts ont été suivis par les Mingus Mondays at Jazz Standard, NYC, dont la programmation alterne les trois formations Mingus. Ce rendez-vous hebdomadaire, régulier depuis 1991, offre un Grammy en 2011 pour l’album Mingus Big Band, Live at Jazz Standard, enregistré les 31 décembre 2008 et 2009 sur le label Sue Mingus Music.

Sue Mingus a reçu en 2022 et fait don de la bourse AB Spellman NEA Jazz Masters Fellowship for Jazz Advocacy 2023, honorant ses contributions au jazz américain. La cérémonie de remise aura lieu lors d'un concert public à Washington, DC, le 1_^er avril 2023, en partenariat avec le Kennedy Center for the Performing Arts.

(Pour l’amour de Mingus, Editions du Layeur, Paris)