Née en 1920 (la même année que Boris), élevée strictement par
des parents anciens enseignants très attachés aux convenances, Michelle Léglise
est scolarisée au Lycée Lamartine (Paris (11e), en face de l’appartement familial
du 98, rue du Faubourg Poissonnière. En juillet 1940, la famille Léglise fuit
Paris et se retrouve à Capbreton. C’est dans cette petite ville des Landes que
Michelle fait la connaissance des frères Vian, également réfugiés là-bas.
Ensemble, avec «Le Major», alias Jacques Loustalot – immortalisé par Boris Vian
dans plusieurs écrits –, ils écument les surprises-parties de l’endroit. Alain,
le frère cadet de Boris, plait beaucoup à Michelle mais à la rentrée de
septembre, c’est Boris qu’elle retrouve à Paris, dans le quartier des
Champs-Elysées. Boris poursuit ses études d’ingénieur à l’Ecole Centrale des
Arts et Manufactures, repliée à Angoulême. La jeune femme est de toutes les
surprises-parties organisées par les Vian à Ville-d’Avray. Les deux jeunes gens
se marient le 3 juillet 1941 à Saint-Vincent de Paul à Paris. Leur premier
enfant, Patrick, naît le 12 avril 1942.
Dans Paris occupé, la
petite famille Vian habite dans l’appartement des beaux-parents, rue du
Faubourg-Poissonnière, et rejoint Ville d’Avray presque tous les week-ends. Boris
gagne –trop mal à son goût– sa vie en tant qu’ingénieur à l’Afnor. Michelle
fait des piges plus ou moins rémunérées dans les publications les plus
diverses. Passionnés tous deux de jazz, de langue anglaise et de culture
américaine, ils parcourent les bouquinistes à la recherche de romans américains
en éditions originales et assistent à de nombreux concerts. A la Libération,
ils se muent en véritables «tour operators» pour GI’s et musiciens américains
avides de découvrir Paris. C’est Michelle qui procure à Boris Vian ses
premières piges, en 1945, pour un bulletin sobrement intitulé Les Amis des Arts. C’est également elle
qui dactylographie ses premiers écrits, Trouble
dans les Andains, Vercoquin et le
Plancton et bien sûr L’Ecume
des jours. C’est aussi sous leurs deux noms qu’ils publient au printemps
1948 leurs premières traductions pour la «Série Noire» de Gallimard: La Dame du lac et Le Grand Sommeil de Chandler. Boris lui doit un solide
apprentissage de l’anglais, grâce au roman d’Agatha Christie ABC Murder (le lecteur ne dispose
d’aucun dictionnaire mais doit déduire le sens d’un mot en croisant les
différentes occurrences).
Michelle a d’autres
aspirations que d’être femme au foyer. Elle assiste aux concerts de jazz, se
montre aux vernissages, débat avec l’équipe des Temps Modernes, pose pour l’affichiste Brénot, prête sa longue
chevelure pour une publicité L’Oréal, publie des critiques de films, est de
toutes les aventures germanopratines. Le couple Vian invite à plusieurs
reprises Sartre, Beauvoir, Camus, Merleau-Ponty, Pontalis, Astruc, Queneau… à
des dîners chez eux.
Le 16 avril 1948 naît Carole,
second enfant du couple qui se délite progressivement. Michelle devient l’année
suivante la maîtresse de Jean-Paul Sartre, dont elle reste une proche amie et
collaboratrice jusqu’à la mort de ce dernier en 1980.
En dépit de difficultés
conjugales croissantes, Michelle et Boris continuent de se voir et de s’écrire,
en partie parce qu’ils ont deux enfants et aussi parce qu’ils sont résolument
complices dans le travail. Ils s’échangent des informations sur la vie
parisienne lorsque l’un ou l’autre est réfugié à Saint-Tropez, se corrigent
mutuellement leurs textes et traductions,
se dispensent des conseils professionnels…
Lorsque Boris Vian quitte
le domicile de la rue du Faubourg Poissonnière, il emmène avec lui des disques
de jazz et ses livres de Queneau et d’Aymé, mais lui laisse presque tous ses
manuscrits. Le divorce est prononcé en septembre 1952. Boris vit désormais avec
la danseuse Ursula Kübler qu’il épouse en 1954. Michelle poursuit ses
publications, notamment dans Les Temps
Modernes, dactylographie les textes de Sartre et se politise dans l’ombre
du philosophe.
Dans les années 1960 et 1970,
elle est de tous les combats aux côtés de Sartre et de Simone de Beauvoir: elle
descend dans la rue et enchaîne les meetings pour défendre les prisonniers politiques,
les mal logés et les défavorisés, elle soutient le peuple irlandais, les
travailleurs émigrants espagnols, les ouvriers de Renault, les juifs d’URSS… Les
caméras de télévision les filment en train de vendre aux ouvriers Renault de Billancourt La Cause du peuple, journal de la gauche prolétarienne dont Sartre
venait de prendre la direction de publication en mai 1970. Michelle compte également parmi les 343 signataires du
Manifeste pour l’avortement, rédigé par Simone de Beauvoir et publié dans Le Nouvel Observateur le 5 avril 1971
(Ursula Vian-Kübler compte également parmi les signataires).
En 1993, elle vend à la
BNF le manuscrit de L’Ecume des jours,
dont l’achat est financé par la vente des décors d’Apostrophe de Bernard Pivot. Aujourd’hui encore, la plupart des
manuscrits de la première période de la vie de Boris Vian sont conservés à la
BNF car ils avaient été gardés par Michelle.
Ces dernières années,
nous avons été amenés à solliciter sa fabuleuse mémoire pour éclairer certains
détails qui nous échappaient dans la rédaction des notes de l’édition Vian de
la Pléiade. C’est ainsi qu’elle nous récita in extenso le poème Les Djinns de Victor Hugo lorsque nous
l’interrogions sur le sens «du gin Funèbre Fils (du Tréport)», réécriture
ludique par Vian des «Djinns funèbres / Fils du trépas» dans son premier roman
publié, Vercoquin et le plancton.
Michelle était présente lors de la soirée de lancement des Œuvres romanesques de Vian dans la collection de La Pléiade, en octobre 2010; en partant,
elle nous avait avoué qu’elle y avait passé un moment agréable, mais que
c’était tout de même moins drôle qu’une soirée avec Duke Ellington…