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Lew Soloff

8 mars 2015
20 février 1944, Brooklyn, New York, NY – 8 mars 2015, New York, NY
© Jazz Hot n°671, printemps 2015

Lew Soloff © David Sinclair


Dans les premières heures du 8 mars 2015, disparaît un trompettiste respecté des meilleurs représentants des cuivres, Lew Soloff : « Tragic loss for music, irrecoupable loss for trumpet. First Wilmer [Wise], then CT [Clark Terry] and now Lew. Damn! All I can think about is how is Jon Faddis handling this? They had the deepest personal and collegial relationship full of mutual respect, admiration and love. And each set a higher standard for our instrument, but together!...it was otherworldly. Both Lew and Jon have always treated me with so I much love and support for which I AM ALWAYS GRATEFUL! Lew helped so many of us on so many levels there are no words. Always inquisitive, absolutely supportive, thorough musicianship in all styles of music: rock, jazz, classical, Afro-Latin. Musicians of all styles loved him and benefitted from his playing and spirit » (Wynton Marsalis, 8 mars 2015).

Evidemment la versatilité experte est la première chose qui vient à l’esprit de ceux qui le connaissent bien (« I love playing with any musicians who play with a lot of feeling », Down Beat 1987). Mais, il y a aussi le respect envers celui qui savait assumer la lourde charge du premier trompette de section (parfois en remplaçant comme pour Barbara Streisand –cf vidéo, où Lew assure à la place de Chuck Findley). Connu, sinon reconnu des jazzfans qui ne jurent que par le solo, il laisse des disques sous son nom dans la lignée bop et post bop.

Lew a été élevé dans le New Jersey. Sa mère était violoniste. Si son père, danseur, lui enseigne l'ukulele (alors qu’il n’a que 5 ans) et son oncle le piano, c’est la trompette qui est dans la tête du jeune Lew, grâce à un grand-père : « I found out, when I was going to college, that I had complete recollections of trumpet solos I heard when I was five, solos of Louis Armstrong and Roy Eldridge. I heard them at my grandfather’s house. When I was a kid they were the only trumpet players I heard » (Down Beat 1987).

Lorsqu’il a 7 ans, son père qui tient un night-club, y fait jouer le trompette Bobby Medina qui s’exprimait dans le genre dit « latin » (il y en a plusieurs qui portent ce nom), ce qui laisse sur lui une empreinte. Donc, à l’âge de 10 ans, Lew commence l’étude de la trompette avec divers professeurs jusqu’à son entrée à 11 ans et demi dans la classe préparatoire à la Juilliard School d’Edward Treutel, puis il travaille auprès de Sidney Mear à l’Eastman School (1961-65) avant de revenir à la Juilliard School.
Lew Soloff pousse très loin l’étude de la technique classique de la trompette et il sera l’élève de professeurs prestigieux des cuivres comme Carmine Caruso, Roy Stevens, John Ware, Arnold Jacobs, Vincent Cichowicz, Adolph Herseth.

Dès son arrivée à New York, Lew devient musicien professionnel (à 14 ans et demi). Il a d’abord joué dans des shows (à partir de 1958) et les orchestres « latins » de Machito et Tito Puente, une solide école pour l’endurance. Parallèlement à ses études à la Juilliard, il s’intègre à la scène locale, mais compte tenu de sa grande technique et de sa maîtrise des aigus, il est vite catalogué lead trompette (grands orchestres dans les hôtels) et d’abord peu employé en combo, à l’exception d’Elvin Jones au Five Spot : il joue dans le Joe Henderson-Kenny Dorham Big Band (il devra attendre 6 mois avant que Joe Henderson ne lui propose un solo), avec Frank Foster, Phil Woods, Pepper Adams, Philly Joe Jones, Tony Scott, Clark Terry, Maynard Ferguson (1966), Duke Pearson (1967), George Benson (1969) mais aussi Howard Johnson-Dave Bargeron (au Slug’s), Barry Miles (1970) et Robin Kenyatta.



Avec Gil Evans ce sera une longue collaboration à partir de 1966 (avec des interruptions) ; Lew fut recommandé par Howard Johnson, car Gil Evans cherchait un trompettiste qui peut jouer le lead de section et prendre des solos improvisés. De la première répétition pour Gil Evans, Lew ne se souvint que de la présence de Sunny Murray (!) à la batterie et de Johnny Coles à la trompette. On l’entend jouer dans le Thad Jones-Mel Lewis Big Band (1968), pour Dizzy Gillespie (août 1969, album Cornucopia, Solild State 18061) et c’est ensuite la percée médiatique lorsqu’il est engagé au sein du groupe de rock, Blood, Sweat and Tears, où il reste de 1968 à 1973. C’est lui qui crée le solo resté fameux sur « Spinning Wheel » puis, pour les connaisseurs en trompette son tour de force dans « Lucretia’s Reprise » (1970, Columbia KC 30090) : « The amazing thing about the record with Spinning Wheel was that, even though it was compromise with ‘pure’ jazz, it got that much jazz to that many people. » (Down Beat 1987). C’est avec BS&T qu’il joue à Woodstock (1969).

Pendant cette période, Lew Soloff joue aussi au Radio City Music-Hall et il participe au Symposium de la trompette à Denver en 1971; il y joue deux compositions de Chuck Mangione, dont une avec l'American Brass Quintet. Sa réputation d’un savoir-faire multicarte (pop, jazz, classique) est installée. Dès 1973, Lew Soloff retrouve Gil Evans (Montreux et Antibes en 1974) et, lorsqu’il ne joue pas pour lui, il travaille comme musicien de studio à New York : d’où une discographie pléthorique. Il participa, par exemple, au premier album de Manhattan Transfer. Il joue pour Eric Gale, Don Sebesky, Sonny Stitt, Stanley Turrentine, Grant Green (1978), avec le Glassboro State Jazz Band (Paris, 1976), All-Star Trumpet Spectacular (avril 1977, LP avec Danny Stiles, Hannibal Peterson, Harold Lieberman, Howard McGhee, Marky Markowitz, Progressive Records 7015), le French Toast de Peter Gordon, Earle Warren's ‘Basie Band’, Jersey City State Jazz Band, Manhattan Jazz Quintet de George Young (avec Dave Matthews, p, Eddie Gomez, b, Steve Gadd, dm –groupe très demandé au Japon).

avec Wendell Brunious, 2008 © Lisiane Laplace

A la suite du succès remporté avec ce quintet, on propose à Lew Soloff d’enregistrer en leader : Hanalei Bay d’abord (1983, avec l’aide de Gil Evans, ProJazz CD 601) puis Yesterdays (1986, avec Mike Stern, Charnett Moffett, Elvin Jones, ProJazz CD 638). Il signera six autres albums sous son nom (1987, But Beautiful ; 1989, My Romance ; 1991, avec Ray Anderson, tb, Little Wing ; 1999, With a Song in My Heart, avec son épouse ; 2000, Rainbow Mountain ; 2003, Air on a G String), avant la reprise, en soliste, en mai 2008, de Sketches of Spain avec l’Harmonie Ensemble New York dirigé par Steve Richman (un Français, Dominique Derasse, comme 1er tp) pour le label Sheffield Lab.
Il est intéressant de remarquer la fascination que cette œuvre de Gil Evans exerce aujourd’hui encore, soumise à des instrumentistes comme Lew Soloff ou Nicholas Payton, dont le niveau technique dépasse le modèle, Miles Davis, qui lui, par contre, a trouvé un son et un phrasé à part.

Entre temps, Lew Soloff, reconnu par ses pairs est invité aux conférences de l’International Trumpet Guild (1979, avec le Quartet Tom Ferguson ; 1990, à College Park). Il apporte son talent à Gunther Schuller, George Russell (1980), Eddy Mitchell (1982), Carla Bley (1989-2003 : 6 albums), George Gruntz, Louie Bellson (Montreux, 1983), Mingus Super Band, Helen Merrill (1987, avec Gil Evans, et Shunzo Ono, tp ; 1995, Brownie: Homage to Clifford Brown avec Roy Hagrove, Tom Harrell, tp, magnifique « Largo », Verve), Frank Sinatra (1984), Marianne Faithfull, Paul Simon (1986), Ornette Coleman, Dizzy Gillespie à nouveau, Miles Davis-Quincy Jones (8 juillet 1991, Live At Montreux), Magic City Jazz Orchestra, Pocket Brass Band de Ray Anderson (1994), Mike Gibbs, Jimmy Heath (1992), au Lincoln Center Jazz Orchestra (lead tp, six ans : Marciac 1993 avec Marcus Printup et Nicholas Payton, etc.), Trumpet Summit (Vienne-F, juillet 2000, avec Jon Faddis, Randy Brecker, Terell Stafford, Terence Blanchard, Roy Hargrove), Carnegie Hall Jazz Orchestra dirigé par Jon Faddis (titulaire pendant toute l’existence de cette formation), Bohuslän Big Band (2002 : le Porgy & Bess revu par Gil Evans), Bob Mintzer. Il enregistre copieusement, avec Hilton Ruiz (1986, 1988), Teresa Brewer (1991, Memories of Louis : ‘Blueberry Hill’, Red Baron), Charlie Musselwhite (1991), Lincoln Center Jazz Orchestra (1994, They Came to Swing ; 2005, A Love Supreme), Trumpet Legacy (1998, Nicholas Payton, Tom Harrell, Eddie Henderson), Bob Belden (2001), Teo Macero (2001, Impressions of Miles).

Lew Soloff a créé une œuvre pour trompette et cordes d’Ornette Colman, avec le Kronos Quartet. A divers moments de sa carrière, Lew Soloff a été employé par Benny Carter, Stanley Clarke, Paquito D’Rivera, Mercer Ellington, Lionel Hampton, Bob James, Herbie Mann, Tania Maria, Carmen McRae, Jaco Pastorius, Mongo Santamaria, Little Jimmy Scott, Wayne Shorter, Tony Bennett, Elvis Costello, Aretha Franklin, Lou Reed, Phillip Glass, John Mayall, Dr. John, Jason Marsalis (Marciac 2009 avec Nicholas Payton, tp2, Wendell Brunious, tp3, Red Holloway, ts –dernière rencontre du signataire avec Lew Soloff).

A partir de 2004, il est membre régulier du Manhattan Brass Quintet (avec Wayne du Maine, tp, R.J. Kelley ou Ann Ellsworth, cor/h, Mike Seltzer, tb, Dave Taylor, btb : créations ‘Wynton Marsalis Blues’, ‘Paquito D’Rivera Danzon’ ; CD David Dzubay: Music for Brass, Bridge 9230).

Lew Soloff © David Sinclair


Ces dernières années, Lew Soloff dirige un Afro Cuban Ensemble, un Quartet (Jean-Michel Pilc, p, François Moutin, b, Billy Hart, dm), poursuit sa collaboration avec le Manhattan Jazz Orchestra de David Matthews, assume des jams avec Jimmy Owens (2012, Clark Terry Tribute à St. Peter's Church, Manhattan ; 2014, Bjorn Ingelstam, tp). En tant que requin de studio, on peut entendre Lew Soloff dans la bande son de nombreux films : The Big Lebowski, Lethal Weapon 3, Brighton Beach Memoirs, Carlito’s Way, The Color of Money, Coming to America, The Mambo Kings, Meet Joe Black, National Lampoon’s Vacation, Tender Mercies, Maid in Manhattan.

Bien sûr, Lew Soloff a enseigné : à la Manhattan School (1984-2004), New York University, New School (Parsons), Juilliard : « Lew Soloff was my jazz trumpet teacher at the Manhattan School of Music and the primary reason I moved to New York to study music at 18. His understanding of the music business and trumpet was the definition… He insisted our lessons be a cappella, without metronome, and without inhibition… After school, I'm proud to say our paths crossed many times on stage. His playing was real » (Seneca Black, 8 mars 2015).

Lew Soloff a joué les trompettes Schilke, Monette, Sonaré de chez Blessing (fin de carrière), les embouchures Bach 3C, Giardinelli, Stork, Schilke et Monette B4S. Lew Soloff a épousé une harpiste, Emily Mitchell (qui a joué pour Gil Evans) dont il a eu deux filles. Il a été enterré dans l’intimité dès le 9 mars 2015. Lew Soloff laissera le souvenir d’un professionnel de haut vol, à l’aise dans tous les genres musicaux, pionnier de la vogue dite « jazz rock », complice de Gil Evans, chef de file d’une certaine avant-garde (il ouvre la voie à Dave Douglas), solide premier trompette avec un bon registre aigu, rare utilisateur de la trompette piccolo dans les milieux dits « jazz » et soliste habile avec la sourdine plunger aussi bien que dans les climats davisiens où il a excellé.

Michel Laplace
Photos David Sinclair et Lisiane Laplace

Source : Le Monde de la Trompette et des Cuivres (classique, variétés, jazz) de Michel Laplace (DVD-Rom).


LOU SOLOFF & JAZZ HOT :


Vidéos

Blood, Sweat & Tears - Spinning Wheel (album version)
https://www.youtube.com/watch?v=TPkVEi3Woy0

Gil Evans, Barcelona 1976
https://www.youtube.com/watch?v=CtvZVhcaMLM

Barbara Streisand (voc), (avec, non mentionné, Lew Soloff (tp1), Jerry Hey, Gary Grant, Warren Luening (tp), Bruce Fowler, Charlie Loper, Alan Kaplan, Phil Teele (tb), Gary Foster (ss), John JR Robinson (dm)

https://www.youtube.com/watch?v=gZ7ZmiIRa4k

Ray Anderson Pocket Brass Band, 2010
https://www.youtube.com/watch?v=5WhRMFsVT5o

Lew Soloff, Roy Hargrove, Tom Harrell (tp), Kenny Barron (p), 1995, Largo" (aka "Goin' Home") composed by Antonín Dvořák

https://www.youtube.com/watch?v=KlLC8BQyuvU

A Lew Soloff piccolo trumpet solo.

https://www.facebook.com/video.php?v=1161945764262

Lew Soloff – Solea (Sketches of Spain), 2010

https://www.youtube.com/watch?v=c4el2jVscBs

"Porgy & Bess" - Bohuslän Big Band & Lew Soloff, 2002
https://www.youtube.com/watch?v=BCbgCXDgxGA