
C’est avec beaucoup de
tristesse que nous apprenons le décès du guitariste Mickey Baker à son
domicile de Montastruc prés de Toulouse où il s’était retiré depuis de
nombreuses années. C’est lors d’un interview le 3 juillet 1998 que
j’avais pu mesurer les qualités humaines de cet artiste cultivant une
humilité constante malgré une carrière riche et passionnante. Né en 1925
à Louisville (Kentucky), il est élevé par son oncle et s’improvise
disc-jockey dans le club de ce dernier. A douze ans il commence un
périple qui va l’amener de Saint Louis à Chicago pour finalement se
fixer à New-York en pleine adolescence où il est un habitué de l’Apollo
Theater. Il y voit tout le gratin de la scène afro-américaine à
commencer par la sublime chanteuse Lil Green, mais c’est l’orchestre de
Count Basie qui le fascine et plus particulièrement Hot Lips Page (tp)
et son chanteur Jimmy Rushing. Dans le rythm and blues il est également
admiratif des concerts de Dud Bascomb (tp) et décide ainsi de devenir
trompettiste. Malheureusement il ne possède que 14 dollars en poche et
ne peut se payer qu’une guitare Harmony d’occasion avec une sérieuse
entaille dans la caisse, ce qui altère la sonorité de l’instrument.
C’est tout d’abord à l’écoute des programmes jazz et blues de la radio
qu’il travaille son instrument avant de prendre des cours avec le
célèbre Rector Bailey. En 1947 il est enfin prêt et se lance dans le
bebop auprès du pianiste Jimmy Neely et a pour principale influence les
guitaristes Oscar Moore et son frère Johnny, Floyd Smith et surtout
Charlie Christian qu’il vénère. Trois ans plus tard il découvre la
Californie et le blues sophistiqué de Pee Wee Crayton fortement
influencé par T-Bone Walker qui font un véritable tabac. Il décide alors
de s’orienter vers le blues en s’installant provisoirement à Oakland et
de jouer en club le week-end à Richmond. De retour à New York, à
Harlem, il a l’intention de monter un groupe de rhythm and blues et
rencontre le pianiste Champion Jack Dupree et le guitariste Lonnie
Johnson. Mais l’atmosphère au sein de la grande pomme n’est pas au
blues, ni du côté de la communauté noire qui y voit comme un retour en
arrière, ni pour la société blanche. Il se produit alors auprès du
pianiste chanteur Bill Valentine, vague imitateur de Charles Brown sur
la 125e rue et sera invité à enregistrer pour Decca avec cette
formation. Ce sera le point de départ d’une carrière de sideman
puisqu’il prêtera ses talents de guitariste à Varetta Dillard (voc) pour
Savoy, Hal Paige (voc) pour Atlantic, Little Ester (voc). Il sort son
premier succès sous son nom avec « Guitar Mambo » avant de continuer une
carrière de sideman recherché. Ainsi il est derrière une pléiade
d’artistes de rock and roll dont Ann Cole (voc) première créatrice du
célèbre « Got My Mojo Workin’ » immortalisé par Muddy Waters, Ruth
Brown, Earl Bostic… Mickey tient également la guitare sur la version
originale de « Fever » (Little Willie John).
Au début des années 1950, en pleine période rock and roll, il forme
le duo Mickey & Sylvia (Vanderpool) et continue d’enregistrer avec
Ray Charles, Amos Milburn, Sticks McGhee, Clyde McPhatter, Sam Taylor
(ts), Champion Jack Dupree (p), Larry Dale, Panama Francis (dm), Floyd
Dixon (p, voc), Joe Turner (voc), Lavern Baker (voc), Nappy Brown (voc). A
cette époque, il est le guitariste maison du label Groove et s’oriente
peu à peu vers le rock and roll avec ses « Houserockers » dont il sort
quelques instrumentaux en 1955 sur le label Rainbow dont les fameux «
Shake Walkin’ », « Rock with a Sock » ou bien « Shake It Up ». Sur ce
même label en compagnie de Sylvia qu’il sort l’énorme hit « Love Is
Strange » en 1956 et fait partie à de nombreuses reprises du fameux «
Alan freed rock and roll show » jusqu’en 1958. Il enregistre également
avec le pianiste Sammy Price l’album Rock With Sammy Price & His
Orchestra avant de composer avec son ami Bo Diddley le fameux « Dearest »
repris un peu plus tard par Buddy Holly. En 1956, c’est Louis Jordan
qui le réclame pour sa session « rock and roll » arrangée par Quincy
Jones dont il s’échappe pour jouer sur les faces Okeh de la chanteuse
Big Maybelle. Les saxophonistes de rhythm and blues Big John Greer,
Buddy Lucas, Big Al Sears, Red Prysock, Sam the Man Taylor ne jurent que
par lui. Ainsi, il lancera la carrière du jeune King Curtis (ts) mais
aussi se retrouvera dans le Rockabilly de Joe Clay sur le label Vik en
1956. Cette même année, il grave « Little Demon » pour Screamin’ Jay
Hawkins avant de s’affirmer avec les guitaristes Tiny Grimes et Roy
Gaines.
Ainsi le who is who des années 1950 du rhythm and blues, blues,
jazz, rock and roll, gospel, doo woop voit planer l’ombre de la guitare
de Mickey Baker. Après le succès de son duo avec Sylvia, il retourne au
jazz avec le pianiste Herman Foster (Lou Donaldson) et la chanteuse
Kitty Noble et collabore avec le sulfureux duo Ike et Tina Turner avec
qui il grave « It’s Gonna Work out Fine » en 1961. C’est à cette période
qu’il quitte définitivement les Etats-Unis pour la France où il
retrouve son ami Memphis Slim, et sera l’arrangeur de tout un tas
d’artistes de la période yé-yé qu’on retrouve dans l’émission Salut les
copains. Daniel Filipacchi lui demande de mettre au point une méthode de
guitare à l’image de celles qu’il a réalisées aux Etats Unis. Cette
période ne sera pas spécialement un bon souvenir pour le musicien
exigeant qu’il était tant la médiocrité ambiante du show biz lui pèsera.
Il jouera toutefois en quartet en 1962 derrière Coleman Hawkins (ts),
Chris Connor (as), Kenny Drew (p), Georges Arvanitas (p), Jimmy Woode
(cb), Kenny Clarke (dm) avant d’enregistrer avec Memphis Slim (Polydor),
Champion Jack Dupree (Decca) et la superbe séance « the trickk » sur
Vogue en 1968. Il se produit à Montreux en 1973 en solo et avec Memphis
Slim avant de se retrouver sur une séance mémorable du label lack and
Blue avec les Aces (les frères Myers et le batteur Fred Below ainsi que
le guitariste Jimmy Rogers) pour du Chicago blues de haute tenue. Il
s’exprimera par la suite dans divers domaines de la country à la chanson
réaliste en passant par le jazz et surtout l’écriture de thèmes et
suites divers. On le reverra sur scène lors de l’anniversaire dela revue
« Soul Bag » en compagnie de Junior Wells, Carl Wheathersby, Billy
Branch au cique d’hiver à Paris et en 1998 sur la scène de jazz à
Montauban en première partie de Joe Louis Walker. Dans les années 2000,
il est invité à Los Angeles pour recevoir le "Pionner Awards" de la
Musique Noire Américaine, en compagnie de John Lee Hooker, Isaac Hayes
et d’autres, et se produira à cette occasion entouré de l’orchestre de
Big Maceo.
Sa discographie est un véritable trésor de la musique populaire afro-américaine qui ravira tous les amateurs de musique hot.
David Bouzaclou
PS : Merci à Philippe LeJeune de m’avoir mis en relation avec Mickey
Baker et de m’avoir permis de rencontrer un véritable gentleman du
blues.
David Bouzaclou
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