Err

Bandeau-pdf-web.jpg
Actualités
Rechercher   << Retour

Marciac

1 oct. 2012
Jazz in Marciac, 27 juillet-15 août

Le lecteur se reportera au compte-rendu 2011 pour les détails des sites de concert de ce festival sur lequel semble converger toute l’actualité : têtes d’affiche communes avec Antibes (Bobby McFerrin, Sonny Rollins), Nice (China Moses, Trio Rosenberg, The Bad plus Joshua Redman), Vienne (Melody Gardot, Bireli Lagrène, Keb’ Mo’, Esperanza Spalding, Avishai Cohen, les 4 pianistes), pour ne rien dire d’Ibrahim Maalouf, le trompette le plus demandé du moment et qui fit, l’an dernier ici, un triomphe. Il y a aussi des programmes spécifiques comme ceux de Wynton Marsalis. Il n’est donc pas surprenant que la cérémonie des Victoires du Jazz 2012 (Président-présentateur Jean-Jacques Milteau) ait servi de pré-ouverture pour ce 35e anniversaire, le 26 juillet et d’inauguration du nouveau chapiteau de 5000 places. Une cérémonie à laquelle tous les habitants de Marciac ont été invités (lauréats : Bojan Z et Sandra NKaké ; diffusion prévue les 13 et 20 octobre sur FR3).

Le vrai lancement du festival fut donné le 27 sur la place à 10h 45 par les All Stars du solide Julien Silvand (tp). Adaptations des disques des All Stars de Louis Armstrong (une utile piqûre de rappel). Le jeu de trompette est donc proche du modèle (« West End Blues »), mais ses parties chantées sont très personnelles. Il a mené tambour battant (avec notre fameux François Laudet) un groupe de très bon niveau où brillaient notamment Aurélie Tropez (cl, « Dardanella ») et le remarquable Pierre Guicquéro (tb) dans le rôle de Trummy Young (« Margie », mais aussi son bon solo sur « Sunny Side »). Prestation du maître Laudet dans « Stomping at the Savoy ». Ce n’est pas le même public pour la soirée d’ouverture sous le chapiteau (et la pluie). Melody Gardot, dans une ambiance feutrée (éclairages) propose une silhouette de star du cinéma muet. Sauf que ça n’est pas muet et que dans ce mélange de genres, on remarque au moins deux bons musiciens, l’un sax-clarinette (et showman), l’autre basse et surtout violoncelle. L’enthousiasme du public n’eut d’égal que celui manifesté pour le show suivant autour de Bobby McFerrin qui nous permit d’entendre Bob Mintzer au sax acoustique ou non.

La soirée du 28 fut celle de l’arrivée royale du Président (de la République), bien orchestrée (elle !) jusqu’au premier rang de la scène sous les acclamations de ceux qui peuvent encore se payer une place de spectacle. Le Président a eu droit à de l’austérité (musicale) défendue avec virtuosité par le remarquable Joshua Redman (ts). Un univers de sons qui passait de la musicalité fine (pureté de son du sax : « Love Is the Answer ») au climat free et torride. En fait, le dernier titre, « That’s the Question » (avant le bis) a résumé tout ça dans un crescendo stratégique. Le Président n’est pas revenu après la pause pour déguster un résultat, sans espoir, de l’économie de marché dont le principe est de nous faire consommer ce qui n’est pas indispensable. La charmante Esperanza Spalding est déjà vue ici l’an dernier. Dans un big plus que band, son projet était d’évoquer la « Radio Music Story ». Les glissements de fréquence étaient autrefois vécus comme une nuisance et non un art. Ce flou, voulu, avec quelques conventions de solos (trompette, trombone, sax), n’a toutefois pas permis de juger la valeur de l’orchestre. Il manquait la main d’un arrangeur qui sait tirer bénéfice du nombre. Ces figurants sont encore peu connus ici (Tia Fuller, as, Corey King, tb). On espère retrouver ailleurs, pour la trompette, le petit (par la taille) Igmar Thomas (qui se hisse aux aigus) et Leala Cyr, également chanteuse-choriste.

Le 29 a permis de retrouver un artiste de l’époque où l’on se faisait une place au mérite, Sonny Rollins. Prestige qui est le résultat de cette dure réalité qu’ont affronté ceux qui, comme lui ou son rival Coltrane, ont forgé par le long et dur travail un style devenu modèle… plus tard. Le public est venu nombreux rencontrer ce monstre sacré qui s’est lancé à corps perdu (dans tous les sens du terme) dans un « St. Thomas » de plus de 15’. Son neveu Clifton Anderson (tb) est discret et, s’il reste en scène, il ne joue pas toujours comme pour ce « I Can’t Get Started » dans lequel le styliste du ténor s’est reposé sur l’expérience de Bob Cranshaw (b) et sur Peter Bernstein (g) puisque le batteur, de la génération binaire, n’est pas à l’aise dans ce domaine. « Once in a While », « Tenor Madness »,… Sonny Rollins, presque 82 ans, après deux sets (vedette sans partage de la soirée) a accordé un bis… et quelle classe de terminer par un blues !

Le blues justement, a occupé une grande partie de la nuit du 30 au 31. Eric Bibb d’abord, qui, seul, nous a proposé du pur blues. Puis avec ses deux complices du Mali dont Habib Koite (g, voc) ce fut pédagogique, comme pour nous démontrer hors idéologie et pour une oreille « normale », que l’expressivité africaine pour le traitement du son comme du rythme n’a rien de commun avec le blues américain. Même si le mariage est possible. Et ce « Tombouctou » où Koite alterne avec Bibb est démonstratif. Eric Bibb nous a plongés au cœur du blues avec « Going Down the Road Feeling Bad » et quelques autres titres dont le bis. Keith B. Brown (g, voc), seul (hommage à Son House) ou avec Emmanuel Ducloux (b) et Etienne Prieuret (g), nous a donné du bon blues (avec slide guitar). Lorsque le groupe se complète par une batterie (sans finesse) et un clavier, l’univers se déplaçait volontiers vers le rock ou le country. Un « Down the Levee, I’m Singing the Blues » (avec harmonica) ramenait au sujet de la soirée. Sujet dont ne s’est pas écarté l’excellent Keb’ Mo’ (Kevin Moore) (g, hca, voc). Variante urbaine sauf un « Baby Please Come On » (juste avec basse et mandoline), plus folk blues. Le groupe doté d’un batteur moins lourd que le précédent a donné d’excellentes choses notamment Vail Johnson (b), Kevin So (clav., g). Keb’ Mo’ fut la cerise sur le gâteau d’une soirée de haut niveau (« Muddy Water », « The Reflection »,…).

Ce n’est pas dans le même registre que Youn Sun Nah déploie son talent. Sa musique qui convient au traditionnel coréen comme à Léo Ferré (« Avec le temps »), parfois animée (avec Ulf Wakenius, g) a fait la première partie de qualité de la soirée du 31 éloignée des traditions américaines glorifiée en seconde partie. On attendait bien sûr la prestation de la Swing Symphony de Wynton Marsalis sous la direction de Wayne Marshall. Cela fait trois ans que Wynton et le LCJO tournent dans le monde avec cette œuvre. Le plus grand mérite ne leur revient donc pas. Nous le décernons aux musiciens classiques sans lesquels l’œuvre n’existerait pas, qui ont eu deux jours pour se familiariser avec les partitions (exigeantes), à Toulouse (les 29 et 30) et dont les noms (snobisme es’ jazz oblige) ne sont nulle part signalés. Nous corrigeons cette injustice méprisante, au moins pour les cuivres de cet orchestre, le Capitole de Toulouse : René Gilles Rousselot, Heike Gerber, Jean-Paul Alirol (tp), Dominique Dehu, Aymeric Fournes, Paul Roch (tb), Thibault Hocquet, Arnaud Grimeteau (cors), Sylvain Picard (tu). La Swing Symphony nous fait voyager dans les musiques américaines jusqu’à… Wynton Marsalis. Dans le premier mouvement, après un motif type « work song » introductif, Marsalis aborde le ragtime (Chris Crenshaw, tb, Dan Nimmer, p) et le dixieland (l’orchestration symphonique du genre fait penser à Gershwin dont Marsalis ne s’inspire pas, il n’y a juste pas d’autre résultat à attendre du procédé). Le second mouvement passe par l’évocation stylisée du charleston (Ted Nash, as), un premier ellingtonisme (Tony Lustig, bs) et un superbe solo de violon (Daniel Bayle). Ce mouvement sera choisi comme bis. Le troisième mouvement débute par l’ellingtonisme marsalien (Walter Blanding, Victor Goines, ts) et parcourt la samba (percussions), le « big band swing » (Ryan Kisor, Marcus Printup, tp), une débauche de percussions (le Capitole plus Ali Jackson). Le quatrième mouvement commence par un démarquage de « Things to Come » de Gillespie avec un stupéfiant solo de Marsalis (lignée Clifford Brown), puis suivent un mambo, un solo de Carlos Henriquez (b), de Kenny Rampton (tp) et enfin un slow genre musique de film « série noire » avec sax alto lancinant. Le cinquième mouvement n’est pas sans évoquer Leonard Bernstein, puis il y a les contrebasses avec archet, une nouvelle touche ellingtonienne et un bon solo de Nimmer. Enfin l’œuvre se conclut sur la touche marsalienne (à noter l’utilisation brève et écrite, des bugles tant dans la section du Capitole que du LCJO). Wynton Marsalis se place en tant que compositeur, comme dans ses autres pratiques, en synthèse du XXe siècle. Il est peu probable que cette œuvre soit jouée par d’autres que lui, voire même qu’elle lui survive. Ceci ne signifie en rien que cette musique ne soit pas enthousiasmante pour ceux qui comme le signataire ont la double culture « classique » et « jazz ». Etre un aboutissement, c’est déjà énorme face au vide qui s’annonce devant nous. Wynton et le LCJO ont joué un festif et néo-orléanais « Joe Avery’s Piece » (alias « Second Line ») avec un Wayne Marshall qui s’est lâché au piano. Ont suivi « Back to Basics », « The Prodigal Son » (de Crenshaw) et « Insatiable Hunger » (de Sherman Irby).

Le 1er août fut consacré au chant. D’abord Gregory Porter, nouveau venu chez les vedettes qui a du métier (comédies musicales). Belle voix qui n’est pas sans évoquer les stars de la soul (« Be Good »). A noter deux standards avec le seul piano pour accompagnement (« I Fall in Love », « Skylark ») et un très dynamique « Work Song ». Son « God Bless the child » en bis est beau, mais pas poignant. Puis ce fut la « rencontre » de Dianne Reeves et de l’Orchestre National Bordeaux-Aquitaine dirigé par Kwamé Ryan et déjà rodée à Bordeaux (Fête du Vin). A noter des remplaçants dans l’orchestre comme Bruno Bielsa à la première trompette, titulaire… du Bordeaux Big Band. D’où des « pêches » puissantes et dans le style jazz. Il y eut au moins quatre morceaux par le quartet Dianne Reeves seul (dont les bis et une fin « musclée » digne d’Aretha Franklin). Il y eut aussi, la « signature » de la dame (« africanismes »). Et enfin, des morceaux avec la « participation » du grand orchestre (arrangeur ?). Ici, il ne s’agit pas d’une œuvre comme chez Wynton, qui sollicite de façon intégrée l’orchestre, mais plutôt d’un embellissement autour du quartet, comme dans la tradition des séances « avec cordes ». Cela aurait pu être Sarah Vaughan avec Nelson Riddle… et d’ailleurs Dianne Reeves a chanté un « I Remember Sarah » juste avant un superbe « Speak Low » (excellent Reginald Veal !). On pense à Sarah dans « Lullaby of Birdland ». Le « Embraceable You » est aussi une réussite (orchestre, voix et piano rejoints par l’orchestre, trio rythmique rejoint par les cordes, puis voix et trio rejoints par les cordes).

Le 2, soirée cubaine qui outre la vedette Omara Portuondo permit de retrouver au sein de l’Orquesta Buena Vista Social Club le style spécifiquement cubain de trompette de Luis Alemany et Guajirito, fils de Manuel Mirabal (cf mon CD-Rom). Ce dernier assure les solos en digne héritier de son père. Grand moment populaire avec « Quizas Quizas Quizas » par Omara Portuondo. A noter la bonne séquence piano de Rolando Luna avec la seule contrebasse pour complice (jazz, valse) et un bis en duo d’Omara Portuondo accompagné par le piano style « classique » de Roberto Fonseca (« Te Quiero »). La foule des grands jours!

La longue soirée des 3 au 4 s’est déclinée très diversement. Tout d’abord c’est Nicolas Folmer en deux parties. La seconde est finalement la plus convenue, en quartet avec le percussionniste Daniel Humair (dans le genre, la « modernité » de la Suite en Ré bémol de Solal-Guérin avec Humair en 1959 reste non dépassée). La première mit en évidence, outre le talent de trompette de Folmer, celui de compositeur-orchestrateur. En quartet avec l’Orchestre du Conservatoire de Toulouse dirigé par Jean-Pierre Peyrebelle (un quintette à vent et des cordes), il nous a offert d’excellentes musiques : notamment « La Danseuse » (transcription d’une œuvre pour piano, avec un solo de hautbois), ses compositions telles « Le château de Guillaumes » (belle ballade) et « Rêve » qui met en avant le quintette à vent avec un motif de flûte que Folmer reprend à la trompette soutenu par la rythmique et les cordes. Puis l’accent est mis sur le rock. D’abord par Biréli Lagrène (guitare sans caisse, virtuosité) à la tête d’un quartet avec orgue (Jean-Yves Yung). Certains morceaux « déménageaient », d’autres comme une adaptation de Fritz Kreisler sont l’occasion d’un lyrisme décapant. Enfin, le trompette Ibrahim Maalouf, sa trompette 4 pistons à 1/4 de ton et son orchestre renouvelé (avec d’intéressant passages à trois trompettes : Yann Martin et Youenn Le Cam – également trompette à 1/4 de ton, il double à la flûte et au biniou) ont connu un triomphe. Ibrahim a rejoué son impressionnant « Beirut » (cf. Jazz Hot n° 657, p. 28). Il sait occuper la scène et créer des moments de tension. Mariage surprenant des « couleurs de son » arabes et du hard rock.

Le 4, la Béninoise Angélique Kidjo, pleine d’humour et d’énergie, disciple de Miriam Makeba, a envoûté la salle (à noter une « Petite Fleur » en duo avec la basse). Puis, le Quintet Wynton Marsalis (Walter Blanding, Dan Nimmer, Carlos Henriquez, Ali Jackson) s’est présenté avec Lucky Peterson (g, org, voc) pour voyager au cœur des racines : « Sometimes I Feel Like a Motherless Child » (Lucky, voc ; à noter l’utilisation du washboard), « Amazing Grace » (Lucky, voc, org ; solo de Wynton avec le derby), amusant « Goodnight Irene » (trio vocal, Lucky, Wynton et Blanding), « Down By the Riverside » (rôle pour la basse avec archet), « St. James Infirmary » (co-chanté par Wynton et Lucky), « Nobody Knows », « Just a Closer Walk » (Lucky, voc, org). Lucky n’est pas intervenu dans tous les morceaux comme dans « Corrine Corrina » (chanté par Wynton, bon solo avec plunger), « Tennessee Waltz », « Aunt Hagar Blues » (tp avec harmon sans tube). A l’inverse, Wynton n’a pas joué dans « Say Lord » (Lucky, voc, g en slide). Puis, tradition des bis. Il y en eut cinq : « C C Rider » (tp, avec sourdine straight), « The Saints » (bien arrangé), « Look Down » (Wynton seulement chanteur), « Everyday I Have the Blues-C Jam Blues » (pour Lucky, solo de tp avec plunger), « Knozz Moe King » (up tempo, sans Lucky que Wynton aura joué trois fois dans la soirée !).

Soirée du 5 pour les fans de basse électrique. D’abord Kyle Eastwood. On retient un excellent thème-riff « Cafe Calypso » et sa version de « Big Noise From Winnetka » en bis, avec démonstration de respiration circulaire par Quentin Collins (tp).
Gros succès pour Marcus Miller, comme il y a deux ans, avec des extraits de son dernier CD et l’incontournable « Tutu ». Dès « Mr. Clean », Sean Jones (tp) et Alex Han (as) s’imposent. « Redemption » est un bon thème. Louis Cato (dm) est une référence dans son domaine. Marcus Miller nous a aussi joué deux duos de clarinette basse avec Kris Bowers (p).
Le lendemain, avec le trio Avishai Cohen, ce fut un récital d’excellents solos de contrebasse. Cohen a réservé ses chants aux bis. A noter une intéressante adaptation de « Besame Mucho ».

Le 7, le Tamir Hendelman (p) trio nous a offert quelques moments de swing notamment dans « Soft Winds » avec alternative contrebasse (style Oscar Pettiford) et batterie (bon jeu de balais) et un low down « Do Nothin’ Till You Hear From Me ».
La seconde partie, très attendue et diversement appréciée, fut Harry Connick Jr. et son mini big band. N’ayant pas fait de balance, la sonorisation fut défectueuse au moins pendant les trois premiers titres où le leader manquait de justesse (pas de retour ?). Kevin Bryant (lead tp) a pris un solide solo dans « Baby Won’t You Please Come Home », puis dans « Smile ». Plaisant « It Had to Be You » (Jerry Weldon, ts). Puis, Lucien Barbarin (tb, voc, cga) fut invité à rejoindre Harry (« Basin Street Blues », « Didn’t He Ramble » dans un arrangement original, « St. James Infirmary » avec le leader à l’orgue). Harry Connick a joué de la trompette (style Leroy Jones) l’espace d’un titre. Mark Braud (tp) fut mis en valeur dans « Bourbon Street Parade » (avec Barbarin), juste avant les trois bis : « Do You Know What It Means » (duo Harry Connick-Lucien Barbarin), « Mardi Gras in New Orleans » et « Second Line (Joe Avery’s Piece) » (le leader à la grosse caisse).

Chansons toujours, le 8, pour débuter la soirée, avec Stacey Kent (voc, g) et son mari Jim Tomlinson (ts, g) qui s’exprime dans le style Getz (standards comme « They Can’t Take Away From Me » et « Smile », beaucoup de bossa surtout signées Jobim et des chansons en français). Puis Stefano DiBattista dans le Quartet Manu Katché (Eric Legnini, p, Richard Bona, g) nous a livré de bons moments (« Song for Her », à l’alto).

Le 9, Eddie Palmieri a été desservi par la sonorisation. Ce qui n’a pas permis d’apprécier le remarquable lead de Brian Lynch (suraigus) d’une section qui comprenait Mike Rodriguez (tp2) et Conrad Herwig (tb1). La solide alternative entre Lynch et Rodriguez dans « Cachito Pa’huele » d’Arsenio Rodriguez était hélas peu audible.

Le 10, le programme Mostly Monk a tenu ses promesses. Le piano s’est décliné à un, deux ou quatre pianistes (sur deux Steinway). L’esprit monkien a attendu les bis avec profusion de dissonances (« Nutty »). Le plus jeune, Gerald Clayton, élève de Kenny Barron, n’a pas de personnalité (joli « Con Alma » de Gillespie). Son « Love for Sale » avec Eric Reed fut plein de swing. Parmi les bons moments : « Monk’s Dream » et « Joy Spring » par Kenny Barron et Mulgrew Miller, « My Old Flame/Just a Gigolo » par Miller, « Blue Monk » par les quatre et surtout « Thelonious » en solo par Eric Reed qui, finalement, a la plus forte personnalité de style (gospelisant et musclé avec passage en stride). Eric Reed a joué au Basie avec le Barcelona Jazz Orchestra l’espace de « Wind Machine » de Nestico. Puis Kurt Elling, voix de baryton sur une grande étendue, a mené l’orchestre. Le « I Can’t Give You… » arrangé sur tempo lent par Benny Carter a donné lieu à un bon solo de Jaume Pena (tp). Dans « April in Paris », on remarque un passage à 3 bugles et une trompette solo avec sourdine harmon (Ivo Ollé). Très bons solos d’Alberto Perez (tp) dans « You Should Know This » et de Matthew Simon (tp) dans « Africa/Resolution » de John Coltrane (arrangement Bob Mintzer). A court de répertoire, en bis, Elling a joué du saxophone avec sa voix, seul et ad libitum, puis en duo avec le pianiste pour « She’s Funny That Way » très remanié.

Le 11 août, dernière soirée sous chapiteau, pour le grand public et force de constater qu’il était là ! La première partie permit d’apprécier le Trio Rosenberg, d’abord seul dans sept morceaux (« For Sephora », « Double Jeu », « Strange Eyes », etc.). Toujours d’un niveau superlatif avec un Stochelo, virtuose et inspiré. Le trio a ensuite servi avec talent la vedette de la chanson française, Sanseverino, sorte de croisement, toutes proportions gardées, entre Brassens et Coluche. Triomphe. Première série de bis, seul, puis un dernier avec le Trio Rosenberg.

Nous avons pu ensuite assister aux trois dernières soirées du festival données à L’Astrada. Le 12, ce furent les débuts en France de Dena DeRose (p, voc). Elle est dans la lignée de Shirley Horn bien soutenue par Reggie Johnson (b) et Mario Gonzi (dm). Pas si intimiste que ça, surtout avec l’appoint de Guim Garcia (as, genre Phil Woods), transfuge du Barcelona Jazz Orchestra (des chansons de Piaf – en anglais, de Lennon, mais aussi « Lover », « On Green Dolphin’ Street », « Blue in Green » de Miles Davis, « No More » d’Al Cohn, « Speak Low »). Du talent bien servi par l’acoustique de cette salle.

Le 13, première partie assurée par Dominique Fillon, pianiste virtuose et compositeur doté de réelles qualités de mélodiste. Après un extrait de son premier CD, en trio, son groupe avec la contribution de Sylvain Gontard (tp, flh) qui manie le traitement électronique des sons avec mesure, trouve une personnalité expressive. Soulignons deux extraits de leur CD Americas : « Sur la terre étrangère » (sorte de transmission familiale chez les Fillon) et « Do Your Thing ». Sonorité de groupe pas moins originale avec en deuxième partie A Three Bass Hit, projet autour de Pierre Boussaguet avec deux bassistes complices, Darryl Hall et Jesper Lundgaard, assistés de Jacob Fisher (g) et Donald Edwards (dm). Swing avec « Something for the Bass Boss » de Boussaguet. On retient aussi deux hommages à Oscar Pettiford, un « Lover » et « Bluesette » (pour Fisher). Chaque bassiste a joué un solo : « Django » (Hall), « Smoke Gets in Your Eyes » (Boussaguet), chanson danoise (Lundgaard). Cette belle soirée s’est terminée de façon funky (« You Look Good to Me »).

Dernier concert à l’Astrada, le 14, consacré aux cuivres, dans le prolongement d’un travail donné l’an dernier par LTP3 (Jazz Hot n° 657, p. 28), d’abord seul (« diligence », « rose orange », « urgence pistons », etc.). Puis l’Harmonie de Muret dirigée par Patrick Pages nous a montré son excellent niveau dans « Medley Perez Prado » et « Medley Carlos Santana » (Thuillier et Pommier, humblement, joints aux travaux de section des tubas et trombones). Le milieu des harmonies populaires, tradition européenne (qui s’intégra au patrimoine américain), survit grâce aux amateurs. Entre les professionnels (symphoniques, cf. supra) et ces amateurs, il y a une différence de statut, mais pas de technique instrumentale de base (européenne). Il fallut par contre à ces amateurs plus de discipline (travail de l’instrument, présence aux répétitions) pour mener à bien, comme ils l’ont fait, la création de Jazz, Impaires & Danses en trois mouvements de Jean-Louis Pommier avec LTP3. Comme pour Marsalis et Folmer (supra), il s’agit d’une œuvre par effet de sommation culturelle. Ici, œuvre = « jazz » + « classique » ce qui forcément pose un problème de compétence de jugement aux critiques « jazz exclusif ». Alors qu’il y eut des antécédents mal jugés (Gershwin, Third Stream…) par critères d’évaluation non valables, il semble bien que cette approche trouve une raison d’être plus mature au XXIe siècle, peut-être parce que le « jazz » est moins jazz. En tout cas ici, « jazz » est l’apport improvisé de Jean-Louis Pommier (tb) et François Thuillier (tu) qui poussent les gros cuivres à un haut niveau de technique (européenne). L’apport « classique », outre les techniques instrumentales, est le travail de composition. En dehors du gimmic des bouteilles et d’un effet de surprise scénique du troisième mouvement, c’est une œuvre très intéressante, sûrement amenée à être rejouée. Il y a là un gros travail rythmique, aidé par Christophe Lavergne (dm) et la direction précise de Patrick Pages (métriques impaires). Bref une très belle soirée musicale !

Le festival s’est terminé, le 15, avec la pluie (annulation du programme au Lac), Salsafon (qui a aussi clôturé Tempo Latino à Vic-Fezensac – bons solos d’Olivier Dullion, tp) et le New Orleans Swing Sextet de Tommy Sancton (cl) qui après une interruption de concert a repris, galvanisé par la ténacité du public : « When You’re Smiling » (Jérôme Etcheberry, tp, avec la sourdine harmon sans tube évoque un peu Alvin Alcorn), « I’ve Found a New Baby » (swing d’Etcheberry, solo superlatif de Guillaume Nouaux, dm, et jeu collectif d’enfer !) et enfin « Shine » (l’excellente équipe est complétée par Patrick Sherlock, tb solide comme Fred Lonzo, David Blenkhorn, g, et Mathias Allamane, b) !

Par ailleurs, nous avions pu entendre Dmitry Baevsky (parkerisme orthodoxe soutenu par Alain Jean-Marie, Gilles Naturel et Philippe Soirat), la chanteuse Eden Holan de Tel Aviv (avec Philippe Soirat, dm : « Is You Is », « You’re Be So Nice », « Bye Bye Blackbird »), les Red Hot Reedwarmers (répertoire Jimmie Noone, Willie Smith, Fletcher Henderson, avec Martin Seck, p, et, choses devenues rares, des duos de clarinette du leader Stéphane Gillot et de sa vedette Aurélie Tropez : « Harlem Joys », « I See You in My Dreams », etc.), le coltranien Samy Thiebault (même sur les thèmes d’Ornette) avec le Quartet d’Alexandre Freiman (Geraud Portal, b – excellent), le rare disciple de Bud Freeman, Michel Bescont (Calamity Washboard Five : « Love Nest » avec verse en rubato), Airelle Besson dans la musique « abstraite » d’Eric Daniel (g), un davisien Alain Brunet dont la pluie a perturbé la prestation du 5 (après son bon solo avec l’harmon sans tube dans « Sensual Feeling »), le drumming new orleans de Michel Sénamaud (dans « Ting a Ling » avec l’orchestre du même nom), la désarticulation de vieux standards par Post K (duo piano-clarinette : « Struttin’ with SBQ », « Ain’t Misbehavin’», etc.), Julien Alour (tp, flh) (compositions personnelles : « Influence », « 2e Rencontre »,…), le talent de Pierre Hurty (dm, 17 ans) au sein de l’atelier Karl Jannuska (« Jazz over the blues », « Aka »), la superbe Tricia Evy (« This Can’t Be Love », « Siboney », « I Can’t Give You… »), le remarquable Fabien Mary (tp) avec Jean-Michel Proust Quintet (thèmes peu connus d’Hank Mobley, Dexter Gordon, Chet Baker, Sonny Stitt), l’excellent Cyril Dubilé (tb) dans le Paul Chéron-Nadia Cambours Swingtet (« Pee Wee’s Blues », « Stormy Weather »), le styliste jazz Gilles Berthenet (tp) dans un Spirit of Swing très Gramercy Five (« All My Mife », « These Foolish Things », des succès d’Artie Shaw : « Frenesi », etc.) où figurait l’étonnant disciple de Gene Krupa, Sylvain Glevarec également sur scène les mêmes jours avec le goodmanien Swingtime de Claude Tissendier (impressionnant solos dans « Stomping at the Savoy », « Avalon », « Airmail Special »), Nico Wayne Toussaint qui inonde de blues la place un dimanche soir (mais off du off), le métier d’Alain Chaudron (dm : « Caravan » avec Black Label), le phrasé et le timbre de Virginie Teychené (ce « September in the Rain » !) et le Mississippi Jazz Band (de 25 ans d’âge). Il y eut bien d’autres choses encore !

Trois semaines de musiques non-stop, de qualité, avec une excellente fréquentation (malgré la crise), voilà le record de Jazz in Marciac !

Michel Laplace