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Brosella (Belgique)

2 oct. 2012
Brosella Folk & Jazz, 14-15 juillet

Brosella
Fin de l’angoisse : il n’a pas plu sans arrêt ! Quoiqu’il advienne, les citoyens belges et leurs résidents ont l’habitude d’apprivoiser l’ondée avec force cabans, parapluies et bottines. Pluie du matin n’effraye pas le pèlerin ! Comme chaque année, dix mille personnes (selon les organisateurs – un peu moins selon la police) avaient rejoint le parc d’Osseghem, près de l’Atomium, pour écouter le dimanche 15 : les sept groupes d’un programme de jazz aux choix résolument hardis. Depuis trente-six ans, Henri Vandenberghe et son équipe réussissent leur pari : organiser un festival entièrement gratuit, avec l’aide des adhérents de l’association et de quelques maigres subventions citadines et régionales.
Dès 15 heures, sur le grand podium, David Linx (voc), Maria João (voc) et le BJO étaient venus présenter leur dernière création « A Different Porgy and Another Bess ».
« Summertime », «  I’ve Got Plenty of Nothing », « My Man’s Gone Now », « It Ain’t Necessarily So » « Bess, You’re My Woman », « Oh, Doctor Jesus » et d’autres lyrics moins connus de l’opéra de Gershwin ont été réarrangés notamment par Dieter Limbourg (as) et Pierre Devret (tp), redonnant à ces incontournables une richesse plus contemporaine. Le duo João-Linx est une parfaite réussite. La Portugaise est plus cristalline, plus classique que le Belge qui, cette fois, modère les altérations et les grands écarts qui sont sa marque de fabrique. Au fil des thèmes, Maria s’enhardit dans les graves et David explore les octaves. L’improbable duo séduit. Les orchestrations du Brussels Jazz Orchestra accompagnent sans discontinuer les chanteurs ; c’est un opéra de bout en bout ; on est loin des riffs de ponctuation ; l’écriture réinventée surprend par ses audaces alors que le swing reste omniprésent. George et Ira Gershwinn sont dépoussiérés ; les arrangeurs, l’orchestre et les chanteurs ont redonné un lustre qu’on n’aurait osé imaginer au XXIe siècle.
Après ce pur bonheur, on aurait pu croire que la messe était dite. C’était sans compter avec le « Lighthouse Trio » dont les membres se sont ressoudés après deux ans d’errances. Les Britanniques Tim Garland (ts) et Gwilym Simcock (p) forment avec l’Israélien Asaf Sirkis (perc) une union plus que parfaite. L’inspiration voyage. Ibérique, celtique, aregntine ou proche-orientale, elle reste rivée au jazz par la polyrythmie du percussionniste qui use de balais rigides et de ses doigts sur un hang drum dont il tire des sonorités proches des steel drums caraïbes. Il n’y a pas plus de caisse claire que de contrebasse dans ce trio et ces absences ne sont nullement ressenties. La musique est dense et joyeuse. « Wind of Abroad », un hommage à Kenny Wheeler : « Libra », puis une finale avec « Barber Blues » pour saluer Samuel Barber. Simcock et Garland étonnent et font œuvre didactique entre les morceaux, expliquant une démarche à laquelle on souscrit bien volontiers.
Sur le grand podium, en soirée, nous devions découvrir le quintet du trompettiste Ambrose Akinmusire. Le jeune américain, bardé d’awards, nous a présenté un groupe où virtuosité et longs solos dominent quelques brèves orchestrations. Il est brillant et ses sidemen : corrects. La musique apparaît pourtant démonstrative, scholastique et sans émotion. C’est peut-être de l’Open Air Music, mais surtout pas une musique de plein air. Allez, bon… un cornet de frites à la mayonnaise pour digérer tout ça et nous passons à la suite !
Les sets au Théâtre de Verdure étaient entrecoupés, sur un podium annexe, par trois prestations. La première, dévolue au projet « Voices » de Nicolas Kummert (ts, voc), nous remit dans l’oreille la manière originale du ténor belge d’entrecouper ses doigtés d’onomatopées vocales, puis celle de déclamer en vers son aversion pour les héritiers de Prévert qui lui refusèrent la reprise des poèmes de leur grand-père (par un étrange concours de circonstances, FR5 avait diffusé la veille un reportage sur le père des Feuilles Mortes). Le quintet comptait dans ses rangs les excellents Nic Thys (b) et Lionel Beuvens (dm), mais aussi : Hervé Samb (g) qui donne au groupe une couleur caraïbo-africaine et le jeune pianiste flamand Bram De Looze qui cherche à s’affirmer dans la cour fédérale.
Le duo Barry Altschul (dm)-Jon Irabagon (ts, ss, sopranino) nous laissa de marbre par ses structures à l’épate et ses improvisations libérées post et pseudo-free. La grande classe du batteur et sa volonté de dialogue ne pouvent combler les effets faciles du saxophoniste.
Le dernier set, sur la petite scène, avait été confié en carte blanche au bassiste Hendrik Vanattenhoven. Pari risqué pour ce jeune musicien, mais pari gagné par l’invitation faite à deux Belges, un Italien et un Russe. On ne fut pas surpris par le jeu fin et sensible de Nicola Andrioli (p-It) (« Shiny Shoes in a Dark City ») qu’on a souvent écouté en duo avec Philip Catherine (g). Je ne connaissais pas Alex Sipiagin (tp). Le Russe a vraiment tiré le quintet vers le haut par un jeu de trompette affirmé mais classique, authentiquement be bop, dans la ligne que son compatriote, Valéry Ponomarev, développait chez les Jazz Messengers.
On retrouva le musicien russe en apothéose du festival, s’ajoutant au European Jazz Trumpets Summit monté par Pierre Devret (tp) à l’image de feu le Trumpet Machine de George Gruntz. Pour cet onztet étonnant et peu courant, le Suisse était entouré d’une section rythmique où brillait le Cubain Isel Rasùa (perc) et une brochette de six trompettistes : lui-même au bugle et à la trompette ; les Français Claude Egéa (tp) et Denis Leloup (btp) et les Belges Serge Plume (tp, flh), Carlo Nardozza (tp, flh) et Bert Joris (tp, flh). « Welcome », « Padove » de Denis Leloup, « Valse à Calluire »… La plupart des plats, les garnitures et l’assaisonnement sont du Chef : « Hirondelle », « For Kenny » et « Lyle-Pat » par amour pour Mays et Metheny. Les solos sont généralement inspirés (Serge Plume sur « Lyle-Pat », Carlo Nardozza sur « For Kenny »). L’harmonisation est parfaite ; elle surprend mais, elle n’évite pas toujours quelques lourdeurs. Le concert et le festival se termineront aux alentours de minuit par une suite sophistiquée en trois mouvements avec Alex Sipiagin (tp) en invité sur le dernier des trois.
Est-ce grâce à la gratuité que Brosella ose un programme de découvertes ou est-ce grâce à ses découvertes que Brosella reste si cher (à nos cœurs) ? La suite en 2013 : les 13 et 14 juillet.
Jean-Marie Hacquier