Err

Bandeau-pdf-web.jpg
Actualités
Rechercher   << Retour

Cuba

9 mars 2011
Actualité du Jazz à La Havane

PachecoLes possibilités d’écouter du jazz dans la capitale cubaine commencent à se diversifier. Plusieurs musiciens ont  organisé leur peña où chaque semaine ils convient leurs « fans » et leurs amis. C’est le cas notamment des pianistes Alexis Bosch, Bellita, Alejandro Falcón et d’autres encore... L’auditorium du Musée des Beaux Arts est également une salle de concerts de qualité pour lesquels les musiciens font de sérieux efforts de préparation pour des projets originaux et comportant souvent de nombreux invités. Ces lieux du jazz sont largement accessibles pour une somme très modique en monnaie nationale et donc fréquentés par les amateurs cubains, souvent jeunes. Les peñas, l’auditorium restent le creuset où les musiciens retrouvent leurs racines et forgent leur travail en osmose avec  le public cubain. 
L’hôtel Sevilla, soixante années après les prestations de Bebo Valdés, ouvre chaque dimanche son patio à un groupe de jazz. En cette fin d’année c’est le conjunto Gala Mayor qui se trouve programmé. Le patio est plutôt fréquenté par les visiteurs étrangers tout comme les deux solides clubs de jazz du quartier du Vedado, le Jazz Café et La Zorra y El Cuervo. Le problème de ces deux clubs, qui programment les mêmes groupes, reste la part importante de touristes -accès bon marché mais en monnaie convertible donc peu accessible aux locaux-  qui viennent y bavarder,  boire, voire diner -notamment  au Jazz Café- plutôt qu’écouter.
Les « vétérans » à l’exception d’Oscar Valdés, Lázaro Valdés et  du groupe Mezcla ne s’y présentent plus et  l’animation quotidienne est assurée par une jeune génération dynamique. Les rivalités semblent ne pas exister, les leaders deviennent les partenaires des collègues et les musiciens passent d’un groupe à l’autre, s’adaptent aux styles des uns et des autres, s’invitent régulièrement. Il en résulte une musique très vivante. Dans ce contexte, le 22 novembre, nous avons pu écouter à La Zorra y El Cuervo, qui mérite bien son appellation de « Casa del Jazz Cubano », une formation originale, « Aires D’Concierto », deux saxophones (ou clarinettes), basse et drum. On en disait beaucoup de bien. Mais si le groupe sait se vendre il n’est pas agréable à voir ni à écouter ; il ne joue pas réellement du jazz. Le leader Janio Abreu ignore sa section rythmique et efface son partenaire Joel Lafont, pourtant à notre avis meilleur que lui. Ce groupe prend sur le plan scénique et musical le contre-pied de ce que nous avons pu écouter par la suite. 
A l’opposé de cette formation se trouve celle du pianiste Alexis Bosch (2 décembre). Alexis est le grand défenseur du  terme Jazz Cubain et rejette celui de Latin Jazz1. Nous préférons dire qu’il s’agit d’une musique cubaine moderne très fortement pénétrée par le jazz. Et c’est excellent. Outre ses qualités comme pianiste, Bosch qui s’appuie sur une rythmique composée de Hermida (bass), Del Monte Jr (cga) et Keisel Jiménez (dr), a un comportement magnifique, offrant sans cesse de larges espaces à ses partenaires, notamment à l’excellent jazzman Orlando « Cubajazz » Sánchez (ts), auteur de superbes improvisations et de Robertico García (tp) non moins remarquable mais plus dans la cubanité. Bosch sait aussi solliciter les jeunes tel Delvis Ponce (as) ; parfois même très jeune comme il le fait au même endroit le surlendemain avec Yissy Valdés (dr) dans l’émission de radio live A Buena Hora2.
Quelques jours plus tôt, le 23 novembre  c’est un nouveau venu sur la scène jazz du club que nous avons pu écouter, le batteur et compositeur  Eduardo Barroetabeña. Il mène « Oddara », un groupe dynamique avec une bonne ligne de metales : Y. Argudín (tb), T. Isidrón (tp), E. Santacruz (ts) à laquelle il laisse la part belle lui aussi. Beaucoup d’unissons, de nombreux et bons solos cependant le jazz devient un peu mou lorsque les cuivres s’effacent. « Oddara song », un 6/8 afro ; « Orientalismo »,  « Ahora si »…  justifient le prix de composition obtenu par Eduardo lors du dernier concours JoJazz et « Donna Lee » exécuté en danzón a plu.
Nous avions découvert le saxophoniste Michel Herrera, (26 ans) en avril et l’avions trouvé  excellent (et Wynton Marsalis également !). Gagnant par deux fois en 2005 et 2006 du concours JoJazz, il confirme ce 25 novembre. Son groupe  « Joven Jazz » montre beaucoup de solidité  grâce à son leader, à Chappotín (tp) et à un excellent Roger Rizo (keyb.). Le saxophoniste reprend des classiques du jazz  (« Billy Bounce », « Sentimental Mood ») bien africanisés et des thèmes personnels, « El Malecón de Shabi », « Como lo soñe », « Carolina »… Herrera qui s’appuie intelligemment sur  son trio Julio César, R. Mendoza et I. Witnall (bass, dr, cga.) constitue l’exemple même du musicien qui cherche des racines dans le jazz pour alimenter une frondaison afrocubaine. 
Le 30, le pianiste Jorge Luis Pacheco, gagnant lui aussi du JoJazz (2007), possède également une formation de percussion classique et enseigne le timpaní symphonique au conservatoire.  Il est membre du groupe de Yasek Manzano depuis plusieurs années mais  l’an passé Jorge Luis a décidé de former son propre  cuarteto comprenant Anier Tamayo (dr), Ed Martinez (cga) et David Faya (élec.bass). Pas de saxophone  ni de  trompette ;  Jorge Luis a tout l’espace pour lui et  ses trois partenaires  lui offrent un accompagnement  de luxe qu’il sait mettre à profit avec un grand respect pour eux. C’est encore une fois un travail qui cherche à s’éloigner du latin jazz pour  rechercher les voies du jazz  avec une personnalité cubaine inaliénable. Pacheco s’est livré à de beaux solos, à d’excellents dialogues avec Faya. La communication drum-conga a fait merveille à de nombreuses reprises. Le quartet possède une grande dynamique et l’on sent chez tous une belle envie de jouer.  Deux thèmes ont particulièrement retenu notre attention « Silencio » et « Negrita Mía ». Les interventions vocales de Pacheco ne semblent pas indispensables à son travail.
 Le 3 décembre c’est autour du trompettiste Yasek Manzano d’occuper la scène de La Zorra y El Cuervo. Yasek3 ,  immense travailleur, cultive des dons exceptionnels. Le résultat est là.  Marsalis avait vu juste lorsque sur les marches de ce même club il l’avait pris sous son aile, il y a déjà treize ans.  L’opiniâtreté ; la recherche dans tous les domaines, y compris classique dans lequel il excelle aussi ;  le souci d’avoir les pieds dans sa terre ; son peu d’intérêt pour la gloire immédiate en ont fait le meilleur jazzman de l’île, celui qui a le plus assimilé les formes et l’histoire du jazz et s’est nourri  aux plus sérieuses sources. Son jeu s’est accéléré montrant une virtuosité non forcée et un registre très large. Il choisit ses partenaires parmi les meilleurs jeunes dont Pacheco, Anier Tamayo, un très bon saxophoniste Liván Morejón  (entendu déjà en d’autres occasions) qui se hisse presque au niveau de Yasek dans des mano a mano assez époustouflants. Le dernier disque  de Manzano est déjà loin même si sa sortie est récente et le répertoire,nouveau avec « Cimarrón », « Babel », « Vespertino », un blues …,  le thème fétiche que chante Yanet Valdés depuis toujours aux côtés de Yasek : « Drume Negrito ». Yanet montre ses importants progrès vocaux et linguistiques sur une belle version de « Stormy Weather »… 
La nuit suivante permet de revoir Rember Duharte -encore un pianiste !- dans le cadre du club donc dans un contexte différent de l’auditorium où nous l’avions vu quelques mois plus tôt4. Globalement le répertoire est proche mais la formation un peu plus légère et sans invités autres que les jeunes débarquant spontanément dans la salle. Il y a bien évidemment plus de simplicité ce qui permet de mieux apprécier  « Nautilus » la formation de Rember. « Nautilus » n’a pas de congas mais des tambours batá  ce qui ancre  davantage son interprétation du jazz dans l’africanité. Les thèmes écrits par Duharte (« Congo », « Dragón », « Samurai », « Momentos »…) mettent en évidence ses qualités de compositeur5. Une nouvelle fois on peut apprécier Morejón (ts) ainsi que Delvis Ponce, aperçu chez Bosch mais  plus dans son élément  ici avec son saxophone baryton.
La plupart de ces jeunes et de leurs groupes commencent à voyager hors de l’île. Bosch était en Norvège, Bellita en Afrique du Sud, Herrera en Europe, Harold López Nussa, Roberto Fonseca parcourent la France… mais tous, contrairement à leurs ainés, reviennent  se frotter au public des peñas et des clubs afin d’y retrouver leurs racines et la sève qui alimentent leur musique. 
Puisque nous avons fréquemment évoqué le concours JoJazz mentionnons les jeunes qui ont été distingués lors de l’édition de novembre 2010 et qui viendront  sans aucun doute animer les clubs havaneros dans les prochains mois: Roisel Alejandro Suárez (tp);  David Rodríguez (sax) ; Alejandro Meroño  (p) ; William Roblejo (vl) ; Pablo Faya (sax) ; Jorge Camilo (p) et les groupes « Ta' Bueno Jazz » et « Roblejo's Trio ».
Patrick Dalmace

1. JoJazz. Concours annuel destiné à récompenser les meilleurs jeunes musiciens de jazz. JoJazz est l’abréviation de Joven  Jazz -Jeune Jazz- et un jeu de mots avec Joyas qui signifie Bijoux.

2. Emission musicale, souvent de jazz, retransmise live depuis la Zorra y El Cuervo sur Radio Taino le samedi à 20h, heure française (www.radiotaino.icrt.cu). Depuis novembre il est possible écouter les émissions antérieures,  à la demande, sur www.radiotaino.icrt.cu/programa.php?id=12
3. Jazz Hot n°632. Chronique précédente Jazz Hot Internet, avril 2010.
5. Depuis trois ans sa composition « Cimarrón » est l’indicatif du concours JoJazz.