Jazz Records (les chroniques de l'année en cours)
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Jazz Stage (les comptes rendus clubs, concerts, festivals de l'année en cours)
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JAZZ RECORDS • Chroniques de disques en cours • Ces chroniques de disques sont parues exclusivement sur internet de 2010 (n°651) à aujourd’hui. Elles sont en libre accès.
4 choix possibles: Chroniques en cours (2024), Jazz Records/alphabétique (2010 à 2024 sur internet), Jazz Records/chronologique (2010 à 2024 sur internet), Hot Five de 2019 à 2023.
En cliquant sur le nom du musicien leader dans le programme des chroniques proposées, on accède directement à la chronique. Toutes les autres chroniques sont parues dans les éditions papier de 1935 (n°1) à février 2013 (n°662). |
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NOUVEAU! Jazz Hot est passé en moins de 15 ans d'une revue papier à un centre de documentation multi-médiatique avec du texte, des photos, du son, des vidéos, des liens, des index, des sommaires détaillés pour guider vos curiosités et recherches sur un siècle de jazz dans Jazz Hot, prolongeant notre vocation originale: la promotion du jazz de culture ou jazz hot, comme on disait alors, un art majeur né au XXe siècle. Parmi d'autres rubriques (articles, interviews, discographies, etc.), nous nous attachons à vous en faire découvrir l'actualité discographique disponible pour tous sur un support durable, le disque, l'outil indispensable de sa mémoire, de sa transmission et du libre choix des amateurs de jazz depuis le premier jour.
L'évolution de la réalité artistique du jazz post-covid 19 a confirmé les craintes que nous formions depuis la fin des années 1960, et particulièrement depuis les années 2000, d'une atteinte à la culture en général, la création et la liberté. L'indépendance des artistes et des producteurs du jazz, les échanges internationaux et le respect de la source afro-américaine (musique live aussi bien qu'enregistrée), le respect du disque comme support essentiel à la création, ne sont plus du tout ce qu'ils ont été, en dépit des efforts de quelques résistants, la consommation éphémère dictée par les pouvoirs prenant le pas sur la culture d'essence populaire, sur l'expression libre d’un présent fruit de la richesse d'un échange entre passé et avenir.
C'est pourquoi depuis 2023, dans une production noyée artistiquement et commercialement dans la consommation de masse, et pour le secteur du jazz qui a perdu beaucoup de ses codes essentiels et son indépendance durement acquise au XXe siècle, nous avons recentré notre attention sur les disques qui proposent une musique fidèle à l'esprit et à l'essence du jazz, délaissant beaucoup de produits étiquetés «jazz» mais n'en ayant qu’au mieux la surface, le vernis. Du fait d'une sélection plus exigeante, nos évaluations traditionnelles —distinctions: indispensable, sélection, découverte, curiosité, sans distinction–, perdent leur pertinence. La sélection d'un disque par Jazz Hot est déjà le signe de son appartenance à l'univers du jazz. Il faudra alors lire les chroniques pour leur contenu en matière de musique et d’artistes de jazz.
Nous continuerons à vous préciser si c'est une ouveauté ou une éédition, le reste de l'information sera dans le texte, d’autant que nous apportons déjà les renseignements techniques disponibles les plus complets dans les notices sous le titre (thèmes, formations, références, etc.). Bonne lecture!
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Au programme des chroniques
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Black Art Jazz Collective
Truth to Power
Black Heart, The Fabricator, Truth to Power*°, It's Alright, Coming of Age, Dsus°, Code Switching°, Soliloquy (for Sidney Poitier)°, Lookin' for Leroy, Blues on Stratford Road
Jeremy Pelt (tp), Wayne Escoffery (ts), James Burton III (tb), Josh Evans*, Wallace
Roney, Jr.* (tp), Xavier Davis, Victor Gould° (p), Vicente Archer, Rashaan Carter° (b), Johnathan Blake, Mark Whitfield, Jr.° (dm)
Enregistré les 9 et 10 mai 2023, Paramus, NJ
High Note 7353 (Socadisc)
Le collectif fondé par Jeremy Pelt et Wayne Escoffery a fêté
ses 10 ans en 2023 avec cet enregistrement qui se situe dans la droite lignée
des trois premiers. Tout d’abord, il compte des protagonistes de premier plan: les
membres «historiques» James Burton III, Xavier Davis, Vicente Archer et Johnathan Blake, plus une seconde rythmique qui était celle du précédent disque:
Victor Gould, Rashaan Carter et Mark Whitfield, Jr. Le répertoire demeure
original et de grande qualité, avec de belles compositions écrites par les
membres du groupe toujours enracinées dans la tradition du jazz de culture
qu’elles célèbrent à travers l’hommage à de grandes figures du jazz ou de
l’Afro-Amérique, de même que par l’évocation de faits de société donnant à
cette œuvre une dimension politique.
C’est le cas du morceau-titre, «Truth to Power» (Wayne
Escoffery) où deux guests, Josh
Evans et Wallace Roney, Jr., viennent renforcer la section de soufflants. Il fait
référence à l’assassinat en mai 2020 de George Floyd par un policier de
Minneapolis, MN (cf. notre édito de juillet 2020), et aux manifestations de
colère qu’il provoqua à travers les Etats-Unis alors étouffés (comme le reste
du monde occidental) par les restrictions liberticides de la période covid. Le
morceau s’ouvre avec le trio de trompettes qui semble donner des coups de
poings rageurs, soutenu par les roulements martiaux de Mark Whitfield, Jr. et
l’archet de Rashaan Carter qui habille cette introduction d’un voile sépulcral.
La série de solos qui suit, sur fond d’harmonies colorées par le Fender de
Victor Gould, est d’une remarquable intensité, à commencer par celui de Wayne
Escoffery. La rythmique Gould/Carter/Whitfield est également à l’œuvre sur «Code Switching» (James Burton III), mis sous tension par Mark Whitfield, Jr., et sur la magnifique
ballade que Jeremy Pelt a dédié à Sidney Poitier –acteur célèbre mais aussi
militant, entre autres, des Droits civiques–, «Soliloquy», dont il expose le
thème avec beaucoup de sensibilité. «Lookin' for Leroy» a été
composé par Wayne Escoffery à la mémoire d’un maître trop tôt disparu, Ralph
Perterson, Jr. qui était le batteur de son quartet. Pour l’anecdote, «Leroy» était le surnom affectueux dont Ralph Perterson, Jr. affublait systématiquement les «roadies» en charge de transporter les musiciens et leurs bagages durant les tournées. Le trio Davis/Archer/Blake y
maintient de bout en bout une pulsation sur laquelle les trois
soufflants appuient leur discours: Wayne Escoffery lyrique et fiévreux, Jeremy
Pelt aérien et puissant, James Burton III profond et éloquent. Autres thèmes très réussis, le swinguant «It's Alright» (Jeremy Pelt), avec une intervention teintée de blues par Xavier Davis, et «Blues on Stratford Road»
(Johnathan Blake) qui convoque toute l’énergie du sextet concluant ainsi avec éclat
cet album. On en retient notamment le solo mélodique de Vicente
Archer. Avec Thuth to Power, le Black
Art Jazz Collective démontre la place éminente qu'il occupe dans la
création jazz de ce premier quart de siècle.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Clora Bryant
Plays and Sings: Complete Recordings 1957-1960
Rifftide*, Gipsy in My Soul, Makin' Whoopee, Man With the
Horn, Sweet Georgia Brown, Tea for Two, This Can't Be Love, Little Girl Blue,
S'posin', Angel Eyes°, Blueberry Hill°
Clora Bryant (tp,voc) avec:
• Herbie Harper (tb), Don Fagerquist (tp), Herb Geller (as),
Bill Perkins (ts), Pepper Adams (bar), Claude Williamson (p), Curtis Counce
(b), Mel Lewis (dm)
Enregistré le 21 mars 1957, Los Angeles, CA*
• Norman Faye (tp), Walter Benton (ts), Roger Fleming (p), Ben
Tucker (b), Bruz Freeman (dm)
Enregistré en juin 1957, Los Angeles, CA
• Dick Jacobs Orchestra (personnel non détaillé dans le livret)
Enregistré le 27 juin 1960, Los Angeles, CA°
Durée: 52’ 25’’
Fresh Sound Records 1140 (www.freshsoundrecords.com/Socadisc)
De Lil Hardin-Armstrong (p,voc, 1898-1971) à Mary Lou
Williams (p, 1910-1981) qui faisait la couverture de Jazz Hot dès le n°24 d’avril-mai 1938, de Sister Rosetta Tharpe (g,voc, 1915-1973) à Nina Simone (p,voc 1933-2003), d’Hazel Scott (p,voc,
1920-1981) à Shirley Scott (org, 1934-2002), de Viola Smith (dm, 1912-2020) à Melba
Liston (tb, 1926-1999), en passant par Amina Claudine Myers (p,voc, 1942) que
nous avons récemment interviewée, les musiciennes-instrumentistes ont depuis
l’origine pris toute leur part à cet art collectif qu’est le jazz.
Il en a va ainsi de la trompettiste et chanteuse Clora Bryant dont
Fresh Sound réédite l’intégrale des enregistrements de 1957 à 1960. Une fois de
plus, le livret bien renseigné de Jordi Pujol retrace le parcours de cette
personnalité hors norme, cependant méconnue malgré des collaborations
prestigieuses, qui a déroulé l’essentiel de sa carrière sur la Côte Ouest. D’emblée,
Jordi Pujol établi le lien avec son aînée aux nombreuses similitudes, Valaida
Snow (1904-1956), trompettiste, multi-instrumentiste, chanteuse, danseuse et entertainer hors pair qui remporta un
grand succès notamment en Europe avant-guerre. Quant à Clora Larea Bryant, elle est née le 30
mai 1927 à Denison, petite ville au nord du Texas dont était également
originaire Dwight Eisenhower.
Ses premières années sont marquées par les
épreuves: sa mère décède quand elle n’a que 3 ans et son père, Charles, journalier,
élève sans luxe ses deux fils aînés, Fred et Mel, ainsi que sa benjamine dans
un contexte de ségrégation brutale. Le jazz est bien sûr une des voies pour
surmonter les difficultés: familiarisée avec la musique de Louis Armstrong, Harry
Sweets Edison, Roy Eldridge ou Cat Anderson par les disques de Charles, Clora, membre
de la chorale de son église baptiste, apprend le piano avec Mel et la trompette
avec Fred qui lui abandonne la sienne quand il est incorporé dans l’armée en
1941. L’adolescente s’approprie alors l’instrument sans jamais être découragée
par son père. En 1943, elle choisit d’étudier au Prairie View College de
Houston –université publique créée au lendemain de la Guerre de Sécession pour
la jeunesse afro-américaine– dans le but d’être admise dans son orchestre
féminin, le Prairie View Co-eds, formé pour pallier les départs croissants des hommes
sous les drapeaux. Elle suit le big band dans une tournée à l’été 1944 dont
l’apogée est une soirée à l’Apollo Theater de Harlem.
Devant fuir le Texas pour échapper à une accusation de vol
infondée et raciste, Charles s’établit à Los Angeles en 1945: la Californie,
moins ségréguée et offrant des opportunités d’emploi, est l’un des points
d’arrivée de la Seconde Grande migration (1940-70). Charles est bientôt suivi
par Clora qui s’inscrit en 1946 à l’University of California Los Angeles (UCLA)
et fait ses débuts sur la scène locale. En juillet, elle rejoint pour quelques
temps le fameux International Sweethearts of Rhythm (1937-1949), autre big band
féminin émanant d’une université afro-américaine: The Piney Woods Country Life
School, MS. En 1941, l’orchestre qui a également la particularité d’être intégré
avait pris son indépendance et connu un franc succès en occupant la place
laissée vacante par les hommes (cf. chronique du documentaire Wham-Re-Bop-Boom-Bam). Il a notamment compté dans ses rangs Tiny Davis
(aka Ernestine Carroll, tp, 1907-1994) et Carline Ray (g,b,voc, 1925-2013), la
mère de Catherine Russell (cf. chronique).
Entre la fin des années 1940 et le début des années 1950, Clora Bryant est partie
prenante de deux autres formations féminines: The Queens of Swing et The Ginger
Smoke Sextet; période durant laquelle elle élargit sa palette (il lui arrive
d’être à la batterie!) tandis qu’elle s’immerge dans la nouvelle scène bebop
qui se développe dans les clubs de Central Avenue à L.A (cf. Tears Ernie Andrews). Elle se lie d’ailleurs
d’une amitié durable avec Dizzy Gillespie qui sera pour elle un mentor et un
soutien. Ni ses deux mariages, ni la naissance de ses quatre enfants n’entraveront
véritablement sa carrière.
Entre 1950 et 1954, elle est régulièrement invitée
aux jams d’Howard Rumsey (b) au Lighthouse d'Hermosa Beach où elle côtoie
Teddy Edwards, Art Pepper, Jimmy Giuffre, Sonny Criss… De passage à L.A. en
février 1954, Charlie Parker, qui a entendu parler de Clora par Dizzy, vient
faire le bœuf à l’un de ses concerts avec un ténor d’emprunt. Le déclin des clubs
de Central Avenue dès le début des années 1950 –due aux mutations sociales et
économiques de la ville comme à l’émergence d’une autre scène jazz à Hollywood–,
pousse Clora à s’installer à New York avec ses fils (1954-56) avant de revenir
à L.A où elle dirige les jams du lundi au Milomo. Clora participe aussi aux bœufs du mardi au Jazz City, sur
Hollywood Boulevard. Le 21 mars 1957, elle s’y produit avec un all-stars, «The
Swingers», dirigé par Herbie Harper (tb). Un des thèmes joués, «Rifftide» (basé
sur un riff de Coleman Hawkins tiré de «Lady Be Good») est reproduit sur le LP Jazz City Presents (Bethlehem Records)
qui rassemble d’autres performances live.
C’est ce titre de 17’14’’ qui ouvre la présente intégrale, nous replongeant
dans l’ambiance hot du club
californien. Celle dont Dizzy disait quelle avait «le feeling de la trompette»
y déploie une sonorité claire et puissante dans des échanges très enlevés avec ses partenaires, notamment Herb Geller et Pepper Adams, qui ne sont pas en
reste côté swing. Les plages 2 à 9 sont tirées de l’unique album en leader de
Clora Bryant, Gal With a Horn (Mode),
enregistré en juin 1957, où elle est également au chant, une autre dimension de
son expression qu’elle a développée pour trouver plus facilement des contrats. Son
timbre souple et chaleureux est un excellent complément à son jeu de trompette,
notamment sur les ballades comme «Man With the Horn». Le sextet qui
l’accompagne est solide et swingue impeccablement: Walter Benton (ts,
1930-2000) a déjà joué avec Clifford Brown, Max Roach, Kenny Clarke et Quincy
Jones, donne un beau solo velouté sur «Sweet Georgia Brown»; on apprécie sur «Makin'
Whoopee» le walking bass de Ben
Tucker (b, 1930-2013) accompagnateur régulier de Warne Marsh et Art Pepper qui
laissera une abondante discographie; Bruz Freeman (dm, 1921-2006) l’aîné des
frères Von et George, est un maître du tempo, notamment sur le savoureux «Tea
for Two» à la sauce cha-cha-cha.
Les deux derniers thèmes sont
tirés du LP The Billy Williams Revue (1960, Cora). Clora ayant été engagée dans la revue du chanteur (1910-1972),
elle y figure, sous la direction de Dick Jacobs, sur deux titres, dont un
«Blueberry Hill» d’anthologie où elle assure le show en imitant Louis Armstrong
sur un de ses succès marquants. Bien que Clora Bryant ne soit ensuite plus
apparue que sur trois enregistrements en sidewoman au cours des années 1980,
elle a poursuivi sa carrière (voir le
livret) jusqu’à ce que qu’un grave accident cardiaque en 1996 ne lui
interdise de reprendre la trompette. Elle a néanmoins continué à chanter
occasionnellement jusqu’à sa disparition le 25 août 2019.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Rosario Giuliani Quartet
"Logbook": Live at Sounds
Backing Home, Interference, MMKK, London by
Night, West and Dance, Suite et poursuite II, Suite et poursuite III
Rosario Giuliani (as), Pietro Lussu (p),
Dario Deidda (eb), Sasha Mashin (dm)
Enregistré live les 15 et 16 décembre 2023,
Sounds Jazz Club, Bruxelles
Durée: 55’ 39’’
Hypnote Records 035 (www.hypnoterecords.com/L'Autre Distribution)
Vainqueur de l’International Jazz Contest
d’Overijse (Belgique) en 1996, Rosario Giuliani a connu une ascension
fulgurante depuis sa première prestation au Sounds Jazz Club en compagnie du
pianiste Dado Moroni. Très populaire en Belgique il l’est aussi à Rome et un
peu partout en Europe avec quelques concerts Outre-Atlantique et jusqu’en Chine.
Le présent enregistrement live au
Sounds à la fin de l’année dernière témoigne qu’il n’a rien perdu de sa
vivacité de bopper («London by Night») depuis sa découverte de Charlie Parker à
l’âge de 12 ans. Dario Deidda et Pietro Lussu l’accompagnent
depuis plusieurs années; Sasha Mashin est un nouveau venu dans le quartet.
Jouer avec un quartet régulier est ce que Rosario Giuliani préfère parce qu’il
attache beaucoup d’importance à la cohésion du groupe. Sécurité? Gage de
créativité? Cette sécurité lui permet de nous offrir quatre belles ballades
pour lesquelles on apprécie sa justesse dans tous les registres, son sens des
nuances, ses accentuations, son vibrato dans les graves («Backing Home»). Pour
«Interference», le batteur marque les quatre temps alors que le saxophoniste
pose des breaks dans son discours
avant de s’envoler crescendo. «MMKK»
est écrit par Dario Deidda qui introduit et suit d’un solo véloce chargé de
contrastes avant d’ouvrir sur le thème par un joli chorus. Pour cette ballade,
on note encore le beau solo de Pietro Lussu et les relances faites par Sasha
Mashin. «London by Night» est dans la lignée Charlie Parker/Jackie McLean,
rapide et typiquement hard bop. C’est la carte de visite du quartet, chaque musicien
fait étalage de ses qualités: Rosario Giuliani inspiré, créatif; Pietro Lussu
délié, très à l’aise. Dario Deidda séduit par un son qui, les yeux fermés, fait
oublier qu’il use d’une basse électrique: le 4/4 est joyeux. La ballade «West
and Dance» composée en 3/4 par Pietro Lussu lui sied à merveille. «Suite et
poursuite II et III», langoureux, sont joués doublé par le bassiste suivi en tempo
d’enfer par Rosario Giuliani qui monte et descend la gamme avec une grande
aisance dans les aigus. Un meilleur ajustement du mixage met enfin en valeur le
jeu de Pietro Lussu, la puissance de sa main gauche et son inventivité. Sasha
Mashin s’illustre dans les 4/4 de fin.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot 2024
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Trocadéro Jazztet & Sisters feat. Emmanuel Pi Djob
Gravity & Grace
Don’t You Weep, Heavenly Bound, Rise & Shine, Gravity
& Grace, God’s Chillum, You Worry too Much, Get Ready, Steal Away…, The
Lord’s Prayer
Emmanuel Pi Djob
(voc), Esaie Cid (as), Malo Mazurié (tp), Benoît de Flamesnil (tb), Jean-Baptiste
Franc (p), Benoît Torrès (b), Mourad Benhammou (dm), Valérie Lorenz, Manel
Cheniti, Corinne Sahraoui (backvoc)
Enregistré en juin
2023, Draveil (Essonne)
Durée: 44’ 11’’
Ahead 848.2
(www.esaiecid.com/Socadisc)
Avec ce Trocadéro Jazztet (un nom qui rappelle la formation
phare d’Art Farmer et Benny Golson), Esaie Cid retourne à ses premières amours.
Le Barcelonais, arrivé à Montpelier en 2001, avait en effet d’abord investi la
scène gospel locale aux côtés du chanteur Emmanuel Pi Djob (1963, Cameroun). Quelques
mois plus tard, il lançait le groupe Jazzpel (cf. Jazz Hot n°635) en compagnie de Benoît Torres (b), Rachel
Ratsizafy (voc), Cédric Chauveau (p) et Sega Seck (dm). Vingt ans après, sur
la suggestion du contrebassiste, Esaie Cid a composé et arrangé un répertoire
inédit sur des paroles de spirituals traditionnels, s’inscrivant ainsi de nouveau dans cette large filiation mêlant
jazz et musique religieuse remontant à Duke Ellington, Mary Lou Williams en passant par Ray Charles.
Le projet repose en grande partie sur la personnalité vocale
singulière d’Emmanuel Pi Djob, dont le timbre grave et légèrement voilé donne à
cet enregistrement tout son caractère, de même que son interprétation
«habitée», notamment sur le morceau-titre, «Gravity & Grace» (allusion à La Pesanteur et la Grâce de Simone Weil,
philosophe à la dimension mystique) en partie bâti sur les paroles du célèbre
«Nobody Knows the Trouble I've Seen» immortalisé par Louis Armstrong. Le Trocadéro
Jazztet est par ailleurs constitué d’excellents instrumentistes: Malo Mazurié, Benoît de Flamesnil, un habitué
des formations jazz dit classique, tout comme Jean-Baptiste Franc, et Mourad
Benhammou, partenaire régulier d’Esaie Cid. Enfin, la partie vocale est
complétée par un trio de choristes –Liza Edouard, Manel Cheniti, Corinne
Sahraoui– qui occupe dans cet ensemble la place que tenaient les Raelettes chez Ray Charles.
Les thèmes
accrochent bien l’oreille, à commencer par le titre d’ouverture, «Don’t
You Weep» dont les riches arrangements font sonner le sextet comme un big band.
Le drive de Mourad Benhammou instaurant d’emblée le swing, la dynamique est en place.
Des accentuations blues de Jean-Baptiste Franc sur «Heavenly Bound» aux solos fiévreux de Malo Mazurié et Esaie
Cid sur «Steal Away…», la mise en musique des paroles –reprises
intégralement ou partiellement– de ces spirituals chantant les peines, les joies, la souffrance, la foi de la communauté
afro-américaine, est une réussite.
La variété des compositions est un autre des
atouts de cet album: le gospelisant, «Rise & Shine», avec un solo d’Esaie
Cid à la vivacité bop, adossé aux solides soubassements rythmiques de Benoît Torrès; «God’s Chillum» aux
couleurs latines donne longuement la parole à Mourad Benhammou toujours plein de fantaisie et de subtilité dans ses
solos; «You Worry too Much», ballade inspirée non pas d’un spiritual mais d’un poème soufi du XIIIe siècle, est introduite à voix de velours par Emmanuel Pi Djob, en duo avec Manel Cheniti dont on apprécie mieux ici le
grain de voix swinguant, plus en phase avec le chanteur soliste que
l’accompagnement prodigué sur les autres morceaux par le trio vocal au complet dont
l’expression, moins enracinée, ne se situe pas sur le même plan; seul titre instrumental, «Get
Ready» met d’avantage en avant les soufflants nous laissant notamment savourer
l’intervention à la sauce New Orleans de Benoît de Flamesnil, sur un tapis de swing tressé par Jean-Baptiste Franc
qui a toute l’histoire du piano jazz-blues-gospel au bout des doigts.
Encore un travail de
re-création rondement mené par Esaie Cid dont les références savantes
nourrissent une musique revigorante.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Lukas Gabric
Moving On
Moving On, Got to Be, Sai Ma, 9:29, Life on Hold, Love Walked In, Dedication,
Riff for Griff, My One and Only Love
Lukas Gabric (ts), John Arman (g), Mátyás Bartha (p), Danny
Ziemann (b), Klemens Marktl (dm)
Date et lieu d’enregistrement non communiqués (prob. 2023)
Durée: 52’ 25’’
La petite communauté jazz qui gravite autour de l'Autriche, au cœur de l'Europe entre Est et Ouest, dont nous connaissons quelques
représentants importants –Harry Sokal (ts), Claus Raible, l'Italienne Anna Lauvergnac ou
encore Joris Dudli et Mathias Rüegg, suisses mais viennois d’adoption–, se
renouvelle à travers une nouvelle génération de musiciens comme le prouve
l’émergence du bon ténor Lukas Gabric, né en 1987 à Villach, à la frontière
slovène. Il a achevé sa formation à la Juilliard School de Boston, MA, puis a
obtenu un doctorat de musicologie à The City University of New York. Parallèlement,
il a remporté plusieurs distinctions et une place de demi-finaliste à la
Thelonious Monk Competition de 2013. Il a déjà une carrière bien remplie –universitaire, enseignant, auteur d’ouvrages pédagogiques– et donc de musicien,
ayant participé à plusieurs tournées internationales et à une dizaine
d’enregistrements. Il a publié un premier disque sous son nom en 2019, Labor of Love, sur le label autrichien
Alessa Records qui publie aujourd’hui son second opus.
Majoritairement constitué des compositions du leader, dont
le morceau-titre, Moving On est une
réussite traversée par une énergie bop à l’image du jeu dynamique et
lyrique de Lukas Gabric dont on apprécie l’attaque mordante et le swing
sur les tempos vifs («Got to Be») et la sonorité suave sur les ballades («My
One and Only Love»). Il est bien entouré: le guitariste John Arman
(1986, Innsbruck, capitale du Tyrol), issu d’une famille musicienne britannique,
a étudié au conservatoire dans son pays de naissance, puis à la Royal Academy
of Music de Londres et a pris des leçons avec Pat Martino, Dave Douglas et Dave
Stryker. Il a travaillé, entre autres, avec Joris Dudli, Harry Sokal, Vincent
Herring, Jeremy Pelt, Jesse Davis. Il a initié deux albums en leader, dont le
premier, Organ Trio (2016,
Sessionwork Records) s’inspire de l’association Wes Montgomery-Jimmy Smith.
John Arman enrichit
l’ensemble harmoniquement et offre au ténor un interlocuteur plein de verve (belles
inflexions blues sur «Life on Hold») qui dialogue aussi volontiers avec le très
swinguant pianiste Mátyás Bartha («Love Walked In»). De la même génération, ce
dernier vient de Szentendre, en Hongrie, où il a débuté ses études musicales
achevées en Autriche. Actif sur la scène viennoise depuis 2015, il a sorti
trois albums avec son groupe Coquette Jazz Band (fondé avec Mátyás Papp, tb) et
deux autres en trio. Seul Américain de ce quintet, le contrebassiste Danny
Ziemann, originaire de l’Etat de New York, vit actuellement à Rochester, NY, où
il enseigne à l’université. Il a séjourné plusieurs mois à Bâle où il a
participé à un orchestre international. Outre ses diverses activités
pédagogiques –il a publié plusieurs écrits théoriques– il a notamment
accompagné Delfeayo Marsalis et Don Menza. On peut apprécier sa sonorité
robuste sur «Dedication» et «My One and Only Love» où il s'exprime en solo. Le batteur Klemens Marktl
(1976, Klagenfurt, sud de l’Autriche) a lui aussi suivi un cursus
institutionnel –d’abord de piano classique–, qu’il a parachevé d’un séjour new-yorkais
durant lequel il a pris des leçons auprès de Jimmy Cobb, Lewis Nash ou encore
Ralph Peterson Jr. Il a vécu aux Pays-Bas et de nouveau à New York, entre 2003 et
2004, avant de rentrer en Autriche où il a œuvré dans différents groupes. Il a édité chez Fresh Sound New Talent trois albums sous son nom, dont le dernier, Live in Austria (2019) en trio avec
David Kikoski. Outre le solo foisonnant qu'il donne sur «Sai Ma», son drive tonique n’est pas le moindre des atouts du quintet, lequel est à son meilleur sur l’excellent
blues «Riff for Griff».
Lukas Gabric et ses partenaires sont une belle découverte.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Super Nova 4
Unicum
Unicum, Cassiopeia, Le Reel du pendu, Lücky, Fonk, Air caniculaire, Quekun!, Supernouvelle, Blues turquoises (pour Coco), Espérer désespérément, Mémoire d’éléphants
Jean Derome (fl,bfl,as,bar), Félix Stüssi (p), Normand Guilbeault (b), Pierre Tanguay (dm)
Enregistré les 3-4 septembre 2023, Montréal (Canada)
Durée : 1h 08’ 25’’
Effendi 171 (www.effendirecords.com)
Après un premier album éponyme en 2018, le quartet Super
Nova 4 publie un nouvel opus, Unicum,
sur le label québécois Effendi, fondé en 1999 par Carole Therrien (voc) et
Alain Bédard (b). Principal porteur du projet, Félix Stüssi, originaire de
Suisse, a mis fin à sa carrière de journaliste pour se tourner vers le piano, et il s’est établi au Québec autour de 2000. Il monte son quintet avec
Alexandre Côté (as), Bruno Lamarche (ts), Clinton Ryder (b), Isaiah Ceccarelli
(dm) et grave deux disques en 2004 et 2006 avant que le tromboniste de Chicago,
Ray Anderson, ne se joigne au groupe (Baiji,
2008, Justin Time; Hieronymus, 2009,
Effendi). Félix Stüssi a ainsi sorti une dizaine de disques sous son nom et
apparaît aux côtés d’Alain Bédard, au sein de son quartet ou de son Jazzlab
Orchestra, sur quatre albums entre 2015 et 2020. Il est ici entouré de
musiciens qui sont partie prenante de la scène jazz montréalaise depuis
plusieurs décennies. Le flûtiste, saxophoniste et multi-instrumentiste Jean
Derome (1955) a enregistré plus de quatre-vingts disques –notamment Ride the Wind de Roscoe Mitchell (2016,
Nessa)–, dont une vingtaine en leader. Son activité s’étend à la danse, au
théâtre et aux musiques de films. Il retrouve ici un partenaire régulier depuis
leur duo Hommage à Mingus (1996, Justin
Time): le contrebassiste Normand Guilbeault (1958) qui a mené, à la tête
de son Ensemble, un autre projet consacré à Charles Mingus, Mingus Erectus (2004, Ambiances
Magnétiques). A la batterie, Pierre Tanguay (1956) a notamment accompagné des
figures du jazz de Montréal comme François Bourassa (p) et Michel Donato (b).
Sur ce disque, dans l'esprit hard bop, ces quatre musiciens d’expérience
donnent à entendre un jazz vivant, aux couleurs variées, sur un répertoire original,
essentiellement de la main de Félix Stüssi et de Jean Derome. Dès «Unicum», morceau-titre
qui ouvre l’album, le quartet capte l’oreille, avec un Félix
Stüssi très dynamique et un Jean Derome inventif, en particulier à la flûte («Cassiopeia»), portés par le drumming délicat de Pierre
Tanguay et le son charnu de Normand Guilbeault. Les compositions sont pour
la plupart jouées sur un tempo soutenu qui se teinte parfois de bossa («Lücky») ou de blues («Fonk»
avec une introduction nerveuse de l’alto et un solo ancré dans le blues de Félix Stüssi). L’alternance de l’alto avec la flûte («Cassiopeia», «Mémoire
d’éléphants»), voire le baryton («Blues turquoises») participe aussi à ce panorama varié. Du bon jazz appuyé sur la tradition…
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Philippe Soirat
On the Spot
On the Spot 1, Angola, Side Car, On the Spot 2, Eclipse,
Pumpkin, On the Spot 3, Moment's Notice, Psaume 22, Mr. Day, On the Spot 4,
Cyclic Episode
Philippe Soirat (dm), David Prez (ts), Vincent Bourgeyx (p),
Yoni Zelnik (b)
Enregistré les 6-7 avril 2023, Villetaneuse
(Seine-Saint-Denis)
Durée: 1h 00’ 13’’
Gaya Music Production 060 (L’Autre Distribution)
Philippe Soirat est de ces musiciens qui suivent avec constance
le fil de leurs idées puisqu’après You
Know I Care et Lines and Spaces (2014 et 2018, Paris Jazz Underground), il
approfondit son exploration de l’esthétique bop des années 1950 à 1970 où il a une nouvelle fois puisé une partie du
répertoire de ce troisième disque en leader. Son choix de thèmes reste très original, avec des thèmes aussi rares que beaux comme «Pumkin» d'Andrew Hill où piano, saxophone et batterie rivalisent d'invention; comme encore le splendide «Eclipse» de Charles Mingus, introduit par un solo d’archet et un bon chorus de Yoni Zelnik, enrichi par le son shorterien de David Prez et les interventions rapsodiques de Vincent Bourgeyx, souligné des touches délicates des cymbales de Philippe Soirat.
Le leader s’est entouré de la
même équipe: David Prez et Vincent Bourgeyx dont nous avons
chroniqué l’album en duo, Two for the Road (2018, Paris Jazz
Underground) ainsi que Yoni Zelnik, un pilier des rythmiques parisiennes depuis son arrivée en 1995 d'Haïfa pour étudier au CIM. On l’a entendu depuis avec Géraldine
Laurent (as), Fred Pasqua (dm), Frédéric Borey (ts), Dmitry Baevsky (as), Avishai Cohen (tp), Yonathan
Avishai (p), le Vintage Orchestra et régulièrement au Café Laurent, souvent aux
côtés de Christian Brenner (p).
C’est sur le morceau-titre que s’ouvre le disque, «On the
Spot», un solo de batterie dont on retrouve des variations, toujours très musicales et foisonnantes, à trois autres reprises au cours de l'album, des solos qui ponctuent avec légèreté les chapitres de cet enregistrement. Le répertoire est joué avec conviction: sur
«Angola» de Wayne Shorter, le lyrisme de David Prez répond au piano, alternativement percussif, perlé ou emphatique selon les thèmes, de Vincent
Bourgeyx; sur les deux thèmes de John Coltrane, «Moment's Notice» et «Mr.
Day», les musiciens maintiennent une tension qui rend grâce à l'époque et au créateur. Sur «Moment's Notice», David Prez, sur un tempo médium qui contraste avec la fièvre originale, après un exposé dans l'esprit spirituel coltranien, en revient à son langage plus shortérien. Vincent Bourgeyx apporte sa touche aérienne, ses variations de tempos, bien encadré par une rythmique basse-batterie musicale qui conclut par un ostinato cette version très particulière. «Mr. Day» subit également un traitement décalé par rapport à l'original, avec un rythme de fond de marche sur caisse claire de Philippe Soirat en soutien du dialogue piano-saxophone, chacun prenant parfois le pas sur l'autre. C'est encore une fois une extrapolation réussie qui respecte autant qu'elle diversifie la matière. On retiendra également la ballade de Gilles Naturel, «Psaume 22», introduite par le son du ténor, mise en valeur par un dialogue ténor-piano, et une belle intervention de Yoni Zelnik, le
tout avec le jeu subtil et pourtant toujours bouillonnant du leader. Enfin, «Cyclic Episode» de Sam Rivers, arrangé par Philippe Soirat, dans la continuité de l'esprit de cet enregistrement, où alternent les chorus inspirés du brillant pianiste, du saxophoniste constant dans son jeu, du bassiste attentif et d'un batteur foisonnant, est le point final d'une belle heure de musique. De
l’excellent ouvrage, comme toujours par Philippe Soirat et ses compagnons, dans l'esprit du jazz le plus exigeant, enregistré au studio Midilive habité par les spirits bienveillants du label Vogue (Charles Delaunay/Léon Cabat) inaugurés en 1978 grâce aux ventes records de Sidney Bechet!
Yves Sportis © Jazz Hot 2024
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Cédric Chauveau Trio
When the Mosquitoes Buzz
New Orleans Rendez-Vous, When Mosquitoes Buzz, Behind the
Words, Run Run Run, Little Suzanne, Tyner’s Tune, Louison, Mischallenge, Hank
and Tommy, Ernestine’s Promenade, My Old Neighbor Kevin, Number One Fan Blues
Cédric Chauveau (p), Nicola Sabato (b), Mourad Benhammou
(dm)
Enregistré les 9 et 10 juillet 2023, Malakoff
(Hauts-de-Seine)
Durée: 1h 07’ 37’’
Autoproduit (http://cedric-chauveau.com)
Après It's Only a Paper Moon (Black &
Blue, 2016), c’est le deuxième album de Cédric Chauveau à la tête de son trio
complice avec Nicola Sabato et Mourad Benhammou. Le pianiste y propose un
répertoire entièrement de sa main –arrangements compris–, avec quelques
références directes aux «maîtres». C’est le cas du swinguant «Hank and Tommy»,
en hommage à Hank Jones et Tommy Flanagan, dont la rondeur contraste avec «Tyner’s
Tune», un thème où le pianiste arbore un jeu véloce et anguleux pour
évoquer le grand McCoy Tyner, dynamisé par le drive nerveux de Mourad Benhammou, auteur d'un long et décoiffant solo. D’une remarquable
versatilité, Cédric Chauveau se fait également monkien sur «My Old Neighbor Kevin», en
piano solo, ou encore garnérien pour introduire le thème-titre du disque, «When
Mosquitoes Buzz» (beau jeu d'archet de Nicola Sabato en arrière-plan), avant
que le morceau n’évolue vers des rythmes latins. On reste dans cet esprit avec
«Mischallenge», une bossa dont le thème est exposé avec finesse et musicalité
par le contrebassiste. Le trio fait également escale à Crescent City
avec le festif «New Orleans Rendez-Vous», conservant en permanence ses
fondamentaux swing, que ce soit sur les tempos vifs comme «Run Run Run»
(relevé par les balais subtils de Mourad Benhammou) ou les ballades, telle
«Ernestine’s Promenade» (nouvelle démonstration à l'archet de Nicola
Sabato). Un album où les trois intervenants, en pleine maturité, s'expriment avec une grande maîtrise.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Wes Montgomery/Wynton Kelly Trio
Maximum Swing: The Unissued 1965 Half Note Recordings
24 sept. 1965: Laura, Cariba, Blues (PC)
5 nov. 1965: Impressions, Mi Cosa, No Blues (RC)
12 nov. 1965: Birks’ Works, Four on Six, The Theme (LR)
19 nov. 1965: All the Things You Are, I Remember You, No Blues (HW)
Fin 1965: Cherokee, The Song Is You, Four on Six, Star Eyes, Oh, You Crazy Moon (LR)
Wes Montgomery (g), Wynton Kelly (p), Jimmy Cobb (dm) et selon les titres: Paul Chambers (b), Ron Carter (b), Larry Ridley (b), Herman Wright (b)
Enregistré les 24 septembre, 12, 19 novembre et fin 1965, Half Note, New York, NY,
Durée: 50’ 06” + 1h 14’ 12”
Resonance Records 2067 (https://resonancerecords.org)
On connaît la qualité du travail de ce label attaché à
sortir de l’oubli les trésors enfouis du jazz, et ils sont nombreux et pas
seulement d’ordre sonore, car les sons de cette musique ne sont que la petite
partie apparente de l’iceberg qu’est la culture afro-américaine au pays du
dollar, avec ses dimensions humaines et philosophiques qui ont pu permettre de
développer pendant un siècle une alternative culturelle, entre autres, dont le
jazz de culture, le jazz hot, est en
quelques sorte la crème, la sublimation.
Ce travail est donc non seulement de qualité mais aussi
essentiel pour essayer de préserver ces trésors d’art et d’humanité dans un
moment qui lamine la mémoire du monde et pas seulement celle du jazz. On
peut dire, même si les auteurs ou les amateurs n’en ont peut-être pas
conscience ou s’en défendent, que ce travail est révolutionnaire au sens où il
se dresse contre cette normalisation planétaire, celle des Etats-Unis en
particulier. Cette résistance est, en fait, toute l’histoire du
jazz depuis un siècle et de l’Afro-Amérique depuis des siècles.
Pour parvenir à cette excellence, les producteurs ne
lésinent pas sur les moyens. D’abord, il s’agit de Wes Montgomery qui était et
reste «le premier guitariste du jazz», du jazz de culture, comme le qualifiait Jazz Hot en ce début d’année 1965 où il
effectuait sa première et dernière tournée européenne (Jazz Hot n°207 et n°209).
Il est célèbre pour sa technique avec le pouce qui donne ce son si chaud, et
pour avoir réunit le blues, la virtuosité à un niveau de perfection impensable
avant ou après lui, ce qui lui vaut le surnom de «The Boss» toujours
d’actualité.
Cette période est aussi au cœur du meilleur de son œuvre,
commencée dans les années 1950 et écourtée en 1968 –la même année que Martin
Luther King, Jr.– à seulement 45 ans.
Wes Montgomery est au sommet de son art, dans lequel il rassemble les
influences du blues et du swing éternels, celles aussi des musiciens essentiels
du moment, John Coltrane le premier. Wes Montgomery, comme tous les artistes de
jazz de culture s’approprie le tout avec un génie, une originalité, un drive et
une expression qui ne doivent rien au souci d’épater, comme nombre de ses
confrères, mais tout à l’immense socle culturel qui traverse son corps, son
esprit et son âme. Vous trouverez un rappel biographique et une copieuse
discographie dans Jazz Hot n°551,
car elle comprend une multitude de chefs-d’œuvre de 1957 à 1968 qui font du «gars
d’Indianapolis» une légende universelle.
Ici Zel Feldman et ses amis ont exhumé des enregistrements
inédits en club, le Half Note, de la fin d’année 1965, et c’est un luxe incroyable
de pouvoir écouter en 2024 deux heures de Wes Montgomery en live (versions longues) d’autant que le
trio de Wynton Kelly,
l’un des plus brillants trios de l’histoire, avec alternativement Paul Chambers, Ron Carter, Larry Ridley et Herman Wright à la basse, contribue à faire de ces enregistrements un des
points culminants de cette expression aussi intense qu’émouvante.
Comme toujours, le livret (52 pages) est un bon travail
réunissant une introduction du producteur, une présentation de l’ingénieur du
son, Matthew Lutthans, une évocation du lieu et des circonstances, des
témoignages directs d’artistes qui ont côtoyé Wes Montgomery (Ron Carter,
Herbie Hancock) et de ceux qui l’ont admiré plus tard (Bill Frisell, Mike
Stern). On aurait pu penser à des artistes qui sont davantage ses héritiers
comme Mark Whitfield. Marcus Miller évoque également Wynton Kelly, son cousin.
Il y a encore de belles photos, venues de France
(Jean-Pierre Leloir, Christian Rose) et d’autres, plus nombreuses, prises en
partie au Half Note, apportées par Cynthia Sesso/CTS Images qui fait depuis des
années un travail précieux de préservation de la mémoire du jazz en image (et
pas seulement) qui est finalement de même nature que celui de Zev Feldman.
Les renseignements du livret sont précis et, last but not least, on trouve ces sessions
aussi bien en CD qu’en vinyles éditées par ce même label. Les enregistrements ont été restaurés avec
attention même si demeurent, rarement, quelques sifflements ou souffles, peu
gênants, liés aux bandes magnétiques.
Reste à savoir pourquoi cette production n’est pas promue
dans Jazz Hot, la revue qui défend
depuis si longtemps le jazz de culture (90 ans en 2025), d’abord pour en informer
les lecteurs amateurs de jazz, alors qu’elle est promue ailleurs sans
discernement; c’est sans doute la limite de l’esprit révolutionnaire made in USA, limité aux coteries. Il
faudrait peut-être attendre que la production soit afro-américaine et surtout
libre de tout esprit de milieu, mais ça, c’est une autre histoire...
Yves Sportis
© Jazz Hot 2024
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Joris Dudli
Boundaries Expanded
Boundaries Expanded, Lee’s Dream°, Art fahr ma?°, I'm Old
Fashioned*, Prince Vince°, Summertime**, Well Done, Have You Met Miss Jones?*°,
Moon River*, I Didn’t Know What Time It Was*, Darn That Dream*
Joris Dudli (dm,voc*), Wallace Roney, Jr. (tp), Eric
Alexander (ts), Gregor Storf (ts,dm), Vincent Herring (as), Peter Bernstein
(g), Mike LeDonne, Dave Kikoski° (p), Peter Washington, Essiet Essiet° (b), Joe
Farnsworth (dm), Carol Alston (voc)**
Enregistré entre le 25 janvier et le 4 octobre 2023,
Paramus, NJ, Williamsburg, NY, New York, NY, Vienne (Autriche)
Durée: 56’ 04’’
Jive Music 2114-2 (www.jivemusic.at)
Joris Dudli, dont l’ancrage est à Vienne, Autriche, a passé sa vie
en tournée, d’une rive à l’autre de l’Atlantique, à jouer avec des maîtres du jazz de culture tels
Art Farmer, Curtis Fuller, Johnny Griffin, Harold Mabern, Sonny Fortune, Benny Golson –qui
figurait sur son album A Rewarding
Journey, 2008, Alessa– et les étoiles du jazz d’aujourd’hui: Vincent
Herring, Eric Alexander, Dave Kikoski, Essiet Essiet tous présents sur ce
sixième disque en leader ou coleader du batteur suisse, aux côtés de Peter
Bernstein, Mike LeDonne, Peter Washington et même un autre as des baguettes,
Joe Farnsworth, qui font de cette réunion un all-stars comme on en voit
rarement. Joris Dudli y est parfaitement à sa place, échangeant avec ses pairs sur ce terrain du jazz hot qu'il a labouré durant ses années new-yorkaises.
L’album a été enregistré sur deux sessions, l’une autour de
Mike LeDonne et Peter Washington, l’autre autour de Dave Kikoski et Essiet
Essiet. Sur cinq titres, Joris Dudli laisse la batterie à Joe Farnsworth ou à
son ancien élève, le jeune ténor autrichien –également batteur et pianiste!–
Gregor Storf (1997), pour passer au chant, une nouvelle aventure suggérée par la chanteuse Anna Lauvergnac à l’issue d’un concert en 2019 où le batteur
avait donné de la voix. Mettant à profit les confinements du covid,
Joris Dudli a pris des cours, notamment avec Lori Williams, pour
parfaire sa technique. Sa voix a été rajoutée en re-recording, comme celle de la
chanteuse originaire de Washington, DC, et résidente viennoise de longue date, Carole Alston (1957), invitée sur «Summertime». Le re-recording, autant pour Carole que pour Joris, rappelle que le jazz est une musique live qui n’est jamais aussi naturelle que
lorsque l’interaction humaine se déroule en direct.
Les parties instrumentales sont à la hauteur
des précédentes productions de Joris Dudli et reflètent le niveau exceptionnel de sa dream team. L'album débute
avec le morceau-titre, «Boundaries Expanded», un thème écrit par Joris pour un
hommage à Beethoven, qui s’ouvre et se conclut avec les premières mesures de
«La Sonate au clair de lune», interprétés par Mike LeDonne,
avec Peter Washington à l’archet. Le jazz reprend vite ses droits sur une
explosion de swing donnée par Vincent Herring et Gregor Storf. Les trois autres compositions apportées par
Joris sont tout aussi réussies: «Well Done», dans la veine des Jazz Messengers,
nous offre d’enthousiasmantes interventions: Mike LeDonne et Vincent Herring
sont d’une formidable intensité, de même que le jeune et talentueux Wallace
Roney, Jr. (fils de Wallace Roney et Geri Allen, il a de qui tenir!) s’avère une
sacrée découverte. Tandis que dans une esthétique plus funky, «Art, fahr ma?» et
«Prince Vince» offrent un bel espace d'expression à Peter Bernstein et Dave Kikoski, au
Fender sur le second. Signalons également «Lee’s Dream» de Gregor Storf,
toujours dans la filiation d’Art Blakey. C’est sur les standards que Joris Dudli pose son
timbre frêle, tout en sensibilité dans l'esprit Chet Baker, et qui contraste avec celui de
Carole Alston, plus «classique». L’excellence
des protagonistes, à l'instar d'Eric Alexander, superbe sur «Have
You Met Miss Jones?», et bien sûr de Joris Dudli au drive toujours impeccable, comme on a pu aussi le vérifier lors de son dernier passage parisien, en novembre 2023, en trio avec Dave Kikoski et Essiet Essiet, sont parmi les meilleurs arguments de ce bon enregistrement. Peter Washington est toujours impérial et Mike LeDonne, Vincent Herring complètent ce niveau d'excellence.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Betty Bryant
Lotta Livin'
Between the Devil and the Deep Blue Sea, Put a Lid on It,
Baby Baby All the Time, Blues to Get Started, Chicken Wings, Stormy Monday, Katydid*,
The Very Thought of You**, A Lot of Livin' to Do°
Betty Bryant (p,voc), Robert Kyle (ts,fl,hca), Kleber Jorge
(g), Richard Simon (b), Kenny Elliott (dm) + Tony Guerrero (tp)*°, Hussain
Jiffry (eb)**, Yu Big Poppa Ooka (g)*, Kevin Winard (perc)**
Enregistré à Jiffry Studios, date non précisée (prob. 2022)
Durée: 44’ 48’’
Bry-Mar Music (www.bettybryant.com)
La pianiste et chanteuse Betty Bryant est née le 7 novembre
1929 à Kansas City, MO, une des grandes villes du jazz où elle a fait ses
débuts sous la férule de Jay McShann. En 1955, elle s’installe à Los Angeles,
CA et trouve un premier engagement au Ye Little Club de Beverly Hills. Elle
développe ainsi sa carrière sur la West Coast, se produisant en particulier
dans les clubs en bordure de plage, entre Santa Monica et Laguna Beach. Elle
effectue également des tournées internationales, du Japon au Moyen-Orient, en
passant par le Brésil et le Panama. Devenue une figure locale, elle est l'artiste-maison d'un restaurant réputé d’Hollywood, le Street, en 2009, tandis
que son anniversaire devient un véritable événement, fêté chaque année au
Catalina Jazz Club sur Sunset Boulevard. Elle a aussi obtenu la reconnaissance
de sa ville natale dont elle a reçu symboliquement les clés en 1987 à
l’occasion d’un «Betty Bryant Day». Par ailleurs, Betty Bryant a sorti
plusieurs albums, ce Lotta Livin' étant le quatorzième.
Elle y est accompagnée de ses partenaires depuis dix ans,
tous musiciens chevronnés. Le contrebassiste Richard Simon vient lui aussi du
Kansas City. A 30 ans, il abandonne son poste de professeur d’anglais pour
embrasser la scène jazz de Los Angeles aux côtés de Red Callender, Buddy
Collette et Teddy Edwards. On le retrouve plus tard avec Pete Fountain, Richie
Cole ou encore Houston Person, tout en conservant une activité soutenue de
pédagogue, tournée vers la musique. Originaire de Chicago, IL, le batteur Kenny
Elliot a commencé à jouer professionnellement à l’âge de 12 ans. Il touche à
divers styles musicaux pour gagner sa vie et il est un temps le batteur maison
du label Brunswick qui dans les années 1960-70 produisait à Chicago de
nombreuses sessions rhythm & blues. Il déménage à Los Angeles en 1977 où il
multiplie les engagements jazz et pop avec entre autres Henry Butler, Benny
Maupin, Natalie Cole et Aretha Franklin. Le saxophoniste et flûtiste,
également producteur de l’album, Robert Kyke compte lui aussi une riche
carrière de sideman entre jazz, rhythm & blues, musiques brésilienne et
afro-cubaine, en particulier auprès de Linda Hopkins (1924-2017). Ce quartet très complice qui accueille quelques
invités selon les morceaux (dont le bassiste Hussain
Jiffry à la tête du studio où a été enregistré le disque), swingue à merveille que ce soit sur les standards
(«Between the Devil and the Deep Blue Sea») ou les compositions originales de
Betty Bryant –l’album en compte quatre– dont «Put a Lid on It» où l’excellence
de la rythmique est bien mise en valeur, tout comme la sonorité veloutée de
Robert Kyle au ténor. De même, à 94 ans, Betty Bryant conserve un timbre plein
de charme, malgré les fragilités de l’âge, et en use sobrement, sans
maniérisme. Il en va pareillement de son jeu de piano, tout en élégance et en
légèreté mais qui imprime le swing à chaque note. La touche blues,
caractéristique de Kansas City, est particulièrement présente sur une chanson remplie
d’humour écrite par Betty Bryant, «Chicken Wings», où elle est en duo
voix/harmonica avec Robert Kyle. On vous laisse découvrir cette malicieuse
jeune fille qui envoie ses good vibes jusqu’à l’ultime morceau du disque, «A Lot of Livin' to Do», avec une gaité authentique d'un autre temps.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Olivier Lalauze / Way Out Trio
Way Out Trio
Rolling Down the Slope, Noches de la encina negra, La
Cicatrice, Melting in Your Head, Blues Bridge Blues & Beyond
Olivier Lalauze (b), Antoine Lucchini (ts,ss), Léo Achard
(dm)
Enregistré en août 2023, Bédoin (Vaucluse)
Durée: 26’ 26’’
Autoproduit (https://wayouttrio.com)
Olivier Lalauze, Antoine Lucchini, Léo Achard sont tous
trois basés dans le Sud-Est et sont passés par le Conservatoire
d’Aix-en-Provence où Jean-François Bonnel (1959, cl,s) enseigne
depuis plus de trente-cinq ans. Ils ont la trentaine et ce Way Out Trio est leur premier album avec cette formation sans
instrument harmonique qui a trouvé son inspiration chez Sonny Rollins et
Ornette Coleman. Le contrebassiste Olivier Lalauze, porteur du projet, que nous avions découvert en 2016, à la tête de son sextet, lors du Festival de Big Bands de Pertuis, est
l’auteur de quatre des cinq compositions de ce disque plutôt bref, «Rolling
Down the Slope» étant signée de Léo Achard. Il a déjà eu l’occasion d’accompagner
des personnalités bien installées dans le paysage jazz tels Kirk Lightsey,
Fapy Lafertin, Mourad Benhammou, Ronald Baker, Daniel Huck ou Cécile
McLorin-Salvant. Comme beaucoup de musiciens de sa génération, il navigue
volontiers entre divers genres musicaux allant du swing (Eric Luter, The
Shoeshiners Band dont il est l’arrangeur…) au flamenco. Issu d’une famille musicienne,
le saxophoniste Antoine Lucchini a suivi un cursus classique avant d’opter pour
la guitare rock à l’adolescence, laquelle l’amènera jusqu’au jazz via George
Benson et Marcus Miller. Il se produit dans divers groupes de jazz (et d’autres
musiques) de Provence, tout comme le batteur Léo Achard qui est également professeur dans les conservatoires
d’Avignon et de Brignoles.
Entre
post-bop et free, la musique du Way Out Trio est portée par un beau
travail instrumental de la part de chacun de ses membres se faisant entendre
comme un soliste à part entière, bien que l’absence de piano donne souvent plus
de relief au dialogue entre le saxophone et la batterie, la contrebasse restant
en arrière plan, fondamentale dans la construction rythmique du trio, mais plus
discrète que ses partenaires. C’est le cas du swinguant «Rolling Down the
Slope», où les roulements de baguettes et jeux de cymbales à la fois groovy et subtiles
de Léo Achard répondent au ténor nerveux et mordant d’Antoine Lucchini. Le méditatif
«Noches de la encina negra» laisse davantage d’espace aux résonances joliment
boisées d’Olivier Lalauze qui, de plus, ouvre le morceau sur un solo. Les
changements de tempo sur «Melting in Your Head» nous valent quelques belles
acrobaties rythmiques de la part de Léo Achard, tandis qu’Antoine Lucchini se
donne par moment une sonorité voilée, notamment sur «Blues, Bridge, Blues &
Beyond», un autre titre bien chaloupé qui conclut l’album, avec une longue et
très musicale intervention d’Olivier Lalauze. En somme, du bon jazz, emmené par des
interprètes solides.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Lucien Dobat
Back to My Roots
Yona, Bossa Bokolo, Saara, Doubi Dobat, On the Road, Ballad
for La Velle, Bossa Lulu,
Rio de Janeiro
Lucien Dobat (dm), Ronald Baker (tp), Philippe Chagne (ts),
Philippe Petit (p),
François Masse (b)
Enregistré en le 3 mars 2023, Paris
Durée: 43’ 31’’
Ahead 846.2 (Socadisc)
Lucien Dobat est né à Paris, dans le XVIIIe arrondissement, le 28 septembre 1943, d’un père batteur et clarinettiste,
également prénommé Lucien, qui a notamment accompagné Joséphine Baker avant de
se consacrer à la musique des Antilles. «Lucien Jr.» commence à jouer dans les
clubs de son quartier dès 15-16 ans et notamment dans la cave de Jazz Hot, rue Chaptal, où son oncle
Albert, batteur et guitariste amateur, l’emmène faire le bœuf. Encouragé par
son géniteur, il se lance à 20 ans dans une carrière de musicien professionnel, se
produisant conjointement avec des groupes de jazz et de rock & roll, de
même que dans les bals. Cette polyvalence lui ouvre les portes de la variété, et
il devient à la fin des années 1960 le batteur de Nino Ferrer puis d’autres
artistes du showbiz; ce qui lui permet de gagner sa vie à une époque où
l’audience du jazz recule sous l’effet de la société de consommation. C’est le
cas aussi de René Urtreger que Lucien Dobat rencontre au Blue Note où il passe
ses soirées libres à jammer. Il y fait aussi la connaissance de Kenny Clarke qui lui donne des leçons pendant un an. Lucien Dobat est de plus musicien de
studio, ce qui l’amène à croiser la route de Manu Dibango et participer à la création de son célèbre «Soul Makossa» en 1972. Membre à plusieurs
reprises de la rythmique maison de La Grande Parade du Jazz de Nice, orchestrée par Simone Ginibre et
George Wein de 1974 à 1993, il a ainsi l'occasion de partager la scène avec ses têtes d’affiche: Clark Terry, T-Bone
Walker, Junior Mance, Art Farmer, Al Grey, Harry Sweets Edison ou encore Eddie
Lockjaw Davis. Dans les années 1990, il joue régulièrement au Bilboquet où Rhoda Scott l’entend en 1995 et l’engage. Ce duo complice
dure dix-huit ans et donne lieu à plusieurs enregistrements
auxquels se joignent La Velle ou Patrick Saussois, entre autres. En 1996, avec
ses partenaires habituels du Bilboquet, dont il partage les racines antillaises,
Marc Thomas, Bibi Louison, et Jacky Samson, il monte le Black Jack Quartet (cf. Jazz Hot n°549-1998). Aujourd’hui,
on peut l’entendre à l’occasion des concerts organisés par l’association Eaubonne
Jazz, près de chez lui, dans le Val d’Oise.
Personnalité discrète qui n'empêche pas son jeu au groove solide,
Lucien Dobat a donc attendu l’année de ses 80 ans pour enregistrer un premier
album sous son nom, Back to My Roots.
Il y est entouré de partenaires familiers qui le sont d’ailleurs aussi aux
lecteurs de Jazz Hot –cf. les
nombreux interviews, compte-rendus et chroniques sur Philippe Chagne, Ronald
Baker et Philippe Petit– à l’exception sans doute du contrebassiste François
Masse, partie prenante du collectif Eaubonne Jazz, qu'on a notamment entendu en compagnie de Nico Wayne Toussaint, Alexandre Cavalière ou Jean Bonal. Le disque est exclusivement
constitué d’originaux de Lucien Dobat, certains co-écrits avec Philippe Petit
(auteur de tous les arrangements) et François Masse. L’album s’ouvre sur un
titre swinguant dans l’esprit d’Art Blakey and the Jazz Messengers, «Yona»,
porté par le drive du leader. Le beau jeu bop de Ronald Baker et Philippe
Chagne évoque ici Lee Morgan et Wayne Shorter. «Ballad for La Velle», en
hommage à la chanteuse et pianiste disparue en 2016, est introduite avec
élégance par Philippe Petit, de même qu'on apprécie le solo très
musical de François Masse, comme sur «Doubi Dobat», autre bon morceau post-bop. Avec «Saara», Lucien Dobat aborde un registre plus funk où le quintet
est à son aise. Les quatre titres restant évoquent directement l’Amérique
latine et les Caraïbes comme le bien chaloupé «Bossa Bokolo» qui allie énergie et légèreté.
Maître rythmicien, Lucien Dobat fait reposer son leadership sur une vision
orchestrale d’ensemble, sans chercher à se mettre en avant, conformément à son
tempérament. Un retour aux racines réussi, celles du bop vivifié par les influences ancestrales de cet acteur de talent et fidèle de la scène parisienne.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Nikos Chatzitsakos
Tiny Big Band 2
All or Nothing at All, Get Out of Town*, Fly Little Bird
Fly, Where or When°, I Didn't Know What
Time It Was*, You Know I Care, The Windmills of Your Mind°, Fotografia
Nikos Chatzitsakos (lead,b), Joey Curreri (tp,flh), Robert
Mac Vega-Dowda (cnt), Armando Vergara (tb), Salim Charvet (as), Art Baden (ts),
Gabriel Nekrutman (bar), Wilfie Williams (p), Samuël Bolduc (dm), Alexandria
DeWalt*, Eleni Ermina Sofou° (voc)
Enregistré le 13 juin et le 5 juillet 2023, New York,
NY
Durée: 45’ 06’’
Autoproduit (www.nikoschatzitsakos.com)
Avec l'enthousiasme de la jeunesse, le
contrebassiste Nikos Chatzitsakos a créé son Tiny Big Band en 2018, au sortir
de la Berklee College of Music. Né à Athènes en 1994, il a d’abord étudié à
l’Ecole de musique Ilion et à l’Université d'Athènes avant de rejoindre le célèbre institut de Boston, MA en 2016. Là, il
a notamment eu pour professeurs Joe Lovano, John Patitucci et le regretté Ralph
Peterson Jr. qui le prend dans son big band, GenNext (Listen Up!, Onyx, 2018). C’est donc fort
de cette expérience que Nikos Chatzitsakos a monté son propre orchestre et
publié un premier opus autoproduit en 2022, Tiny
Big Band. Il s’agit d’une formation ample de neuf musiciens avec une à deux
chanteuses selon les contextes, tous dans la vingtaine à en croire la pochette du disque. La moitié des titres sont des standards à commencer par celui qui ouvre le disque, «All or Nothing
at All» (A. Altam-J. Lawrence), un des tubes de Frank Sinatra, immortalisé pour le jazz par Billie Holiday en 1956-57 dans
l’album du même nom. Le swing est bien présent et le solo
de Robert Mac Vega-Dowda (cnt) est plein de sensibilité. La chanteuse Alexandria
DeWalt qui intervient sur «Get Out of Town» (Cole Porter) et «I Didn't Know
What Time It Was» (Rodgers & Hart) nous rappelle le lolitisme jazzy de la
Suédoise Lisa Ekdahl, très en vogue dans les années 1990-2000. Heureusement,
l’orchestre balance bien –bons solos d’Art Baden (ts) et Gabriel Nekrutman
(bar): on ne passe pas donc un mauvais moment. Avec davantage de suavité dans
le timbre, Eleni Ermina Sofou enrobe mieux le célébrissime «Where or When»
(Rodgers & Hart). On la retrouve ensuite sur le très couru «The Windmills
of Your Mind» de Michel Legrand dont l’approche est renouvelée par quelques
envolées free (encore Art Baden et Gabriel Nekrutman à la manœuvre!). Si le
disque se conclut sur une touche latine avec «Fotografia» d’Antonio Carlos
Jobim, on retiendra surtout deux beaux thèmes issus des grandes années Blue
Note: «Fly Little Bird Fly» de Donald Byrd, sur lequel l’orchestre manifeste un
degré supérieur d’intensité, et «You Know I Care» (Duke Pearson), tiré de
l’album Inner Urge de Joe Henderson,
superbement introduit par Wilfie Williams (p) et qui donne au leader l’occasion
de mettre en valeur sa sonorité charnue. Auteur de l’ensemble des arrangements, Nikos
Chatzitsakos revisite ainsi avec une tonicité bienvenue un large répertoire
jazz. A suivre.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Vanisha Gould and Chris McCarthy
Life's a Gig
Cool, Aisha, What a Little Moonlight Can Do, Fall in Love
With Me in Fall*, No Moon at All, Jolene*, Monk’s Dream, No More, Between the
Devil and the Deep Blue Sea
Vanisha Gould (voc), Chris McCarthy (p) + Kayla Williams
(avln)*
Enregistré le 21 avril 2022, New York, NY
Durée: 37’ 31’’
Fresh Sound New Talent 669 (www.freshsoundrecords.com/Socadisc)
Originaire de Simi Valley, dans la périphérie de Los
Angeles, CA, la chanteuse Vanisha Gould est active sur la scène jazz
new-yorkaise depuis 2015. Elle est la sœur du déjà renommé pianiste Victor
Gould, notamment remarqué dans le sillage de Bobby Watson, un frère qui a
participé à son apprentissage jazz, lui ayant, entre autres, fait découvrir le
mythique album Ella and Louis (1956,
Verve), apprend-on dans le livret. On a pu entendre Vanisha au Dizzy’s Club, au
Smalls, où elle anime actuellement une jam, et durant le blackout mondial de la période covid à l’occasion de concerts en streaming, en particulier chez
Emmet Cohen qui a ouvert,, suivi par Rossano Sportiello, une oasis de
liberté au milieu du no-man land. Elle est aussi apparue sur quelques
enregistrements dont New York Moment(2019, Twee-Jazz Records) de JC Hopkins (tp), In Her Words (2021, autoproduit) de Lucy Yeghiazaryan (voc) et Day Dream (2021, Fresh Sound New Talent)
d’Eden Bareket (bar). Ce dernier album comptait également le pianiste Chris
McCarthy. Venu de Seattle, WA, formé au New England Conservatory à Boston, MA,
où il a appartenu aux groupes de Jerry Bergonzi (ts) et de Jason Palmer (tp). Chris McCarthy est installée à New York depuis 2016. Il a publié trois albums en
leader: Sonder (2017, Red Piano
Records), Still Time to Quit (2019,
Ropeadope) et Priorities (2022, Fresh Sound New Talent).
Sur un répertoire constitué principalement de compositions
du jazz, Vanisha Gould et Chris McCarthy forment un excellent duo que le swing
ne quitte jamais pour autant qu’ils restent sur le territoire du jazz; un seul
titre y fait exception: «Jolene» de la chanteuse folk Dolly Parton avec les
accents irlandais du violon Kayla Williams, présent plus discrètement sur la
ballade écrite par Vanisha Gould, «Fall in Love With Me in Fall». C’est sur le
reste de l’album que le duo offre ce qu’il a de meilleur. Dès «Cool», bonne
reprise jazzée tirée du West Side Storyde Leonard Bernstein, Vanisha Gould impose sa présence caractérisée par un
timbre blues et soul qui rappelle celui de Nina Simone (cf. sa version de «Four Women» sur YouTube). L’accompagnement très aéré de Chris McCarthy,
dans l’esprit de Hank Jones, donne à sa partenaire la respiration nécessaire. Vanisha
Gould a d’ailleurs tendance à prendre mid
tempo, approfondissant ainsi davantage son expression, les titres immortalisés
par ses modèles, Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Carmen
McRae ou Sarah Vaugan comme «What a Little Moonlight Can Do», «No Moon at All», «Between
the Devil and the Deep Blue Sea», «No More». A noter également, l’adaptation
réussie, avec ajout de paroles, de deux titres instrumentaux composés par les
maîtres-pianistes Thelonious Monk («Monk’s Dream») et McCoy Tyner («Ballad for
Aisha», ici nommé «Aisha») sur lesquels Chris McCarthy, toujours ici économe dans
ses effets, fait swinguer chaque note, avec une nuance plus percussive quand il
évoque Thelonious.
On espère vivement que Vanisha Gould et Chris McCarthy
traverseront prochainement l’Atlantique pour apporter un vent de renouveau dans
la programmation des clubs, festivals et saisons jazz en Europe, quelque peu figées dans l’entre-soi nationaliste de ces
derniers temps.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Julien Ndiaye / Jultrane Sextet Duplex
Création
Le Petit Parapente Alpin, Tristesse, Moment's Notice, Love,
A Sleepin' Pyramid, For Steve, Mr. Day, Africa, Duplex, Les Alpes, Le Petit
Parapente Alpin (alt. take)
Julien Ndiaye (ss, ts), Cyril Galamini (tb), Renaud Gensane
(tp), Philippe Brassoud (b), Frédéric D’Œlsnitz (p), Laurent Sarrien (dm, vib) +
Monika Kabasele (voc), Jean-Christophe Di Constanzo (as), Yoann Serra (dm)
Enregistré le 8 août 2022 et 20 février 2023, Cagnes-sur-Mer
(Alpes-Maritimes)
Durée: 1h 12’ 31”
Jazz Family (https://jultrane.com/Socadisc)
Julien Ndiaye, à la base de cette formation regroupant
plusieurs générations, est bien un homme du XXIe siècle, s’éparpillant dans de
multiples curiosités, dont beaucoup auraient paru bien loin des amateurs ou
musiciens de jazz du XXe siècle (les parapentes, les trains, le vélo, les
Alpes…). Pour équilibrer cet éparpillement générationnel qui n’est sans doute
pas exhaustif, il a d’abord appris le métier de chaudronnier et la musique, en
bon élève sans aucun doute, sa technique nous le dit, et cultivé ses racines,
le Sénégal, où il est allé vivre trois années pour y apprendre le wolof et
beaucoup d’autres savoirs. Il est né, il y a 35 ans, dans une vraie famille,
pas n’importe laquelle, puisqu’il étudie le saxophone depuis l’âge de 7 ans, et
que sa grand-mère a été capable de lui faire écouter John Coltrane à 14 ans,
qui reste son inspiration principale vingt ans après. Il a ainsi cultivé une
mémoire qui lui permet d’inviter sur ce premier disque son prof’ au
Conservatoire de Cannes en 2006, Jean-Christophe Di Constanzo, mais aussi un
répertoire et un jeu très marqués par son illustre aîné, John Coltrane.
Il n’est pas le seul, mais pour cette fois, on sent chez
Julien que l’inspiration est profonde et sincère, et va au-delà de la performance
technique (il joue très bien le répertoire coltranien), atteignant une réelle
profondeur bien que son vécu n’ait pas grand-chose de commun avec le maître
revendiqué. Sur cet opus, les compositions ont souvent la teinte de ce post-bop coltranien (ça existait aussi chez les suiveurs immédiats, on l’entend
parfaitement chez Wayne Shorter à l’époque des Jazz Messengers d’Art Blakey en
1961). Mais Julien et ses copains n’en oublient pas pour autant
leurs autres passions, hors jazz, comme en témoignent les différents titres et
les commentaires qui en sont faits dans les notes du livret. La conjonction de
tous ces éléments est une alchimie réussie que nous serions bien en peine
d’expliquer, la recette complexe relève de la biographie autant que d'un travail sans doute très intense. Les arrangements sont dans le même ton, la musique est
solide, bien mise en place et que ce soit sur le répertoire coltranien
(«Moment’s Notice», «Mr. Day») ou sur les originaux («For Steve», dédié à Steve
Grossman), tout est d’excellente facture. Les membres du sextet –Cyril Galamini, Renaud Gensane, Philippe Brassoud, Frédéric
D’Œlsnitz, Laurent Sarrien– et leurs invités se montrent tendus vers le même
objectif que le leader. Ils ont aussi fort bien écouté la musique des
anciens, et si personne n’a derrière lui ce lourd passé qui animait la tension
de la musique de John Coltrane et de ses contemporains afro-américains, l’esprit et la forme sont respectés, et traversent les compositions actuelles pour une heure de bonne musique de jazz. Le miracle du jazz est sans doute là, dans sa capacité
à être repris universellement malgré des biotopes variés, et comme cette fois avec sincérité et originalité.
On attend la suite.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2024
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Julien Routtier Quartet
Katabasis
We Can Hope, Lovely Smile, Katabasis, Square Made of
Triangles, What Future?, Modernition,Conspicuous By Our Absence, Buddy, Unsure
Julien Routtier (p), Abdelbari Fannush (ts), Ethan Denis
(b), Guillaume Jaboulay (dm)
Enregistré les 15 et 16 juin 2023, Vaires-sur-Marne
(Seine-et-Marne)
Durée: 48’ 12’’
Trucker Prod (https://julienrouttier.com)
Puisant principalement son inspiration dans l'univers post-bop, le pianiste Julien Routtier a signé
l’ensemble des compositions et des arrangements de ce premier album prometteur.
Né en 1999 à Marne-la-Vallée, il a été formé au Centre des Musiques Didier
Lockwood de Dammarie-les-Lys par lequel sont également passés ses partenaires: le ténor Abdelbari
Fannush (1995), après une période d’apprentissage autodidacte, a intégré le Conservatoire du
IXe arrondissement de Paris, une des pépinières du jazz à Paris; le bassiste
Ethan Denis (2003), né dans une famille musicienne, s’est d’abord initié à la
batterie avant d’opter pour la contrebasse classique puis jazz qu’il étudie au
Conservatoire de Nantes; le batteur Guillaume Jaboulay (2000) est lui aussi un
enfant de musiciens et a débuté par le chant à la Maîtrise des Hauts-de-Seine
pour se tourner ensuite vers les percussions classiques au conservatoire, puis
vers la batterie jazz. Ces parcours académiques très balisés ont bien entendu donné
à ces quatre jeunes musiciens le bagage technique et culturel attendu pour aborder la scène professionnelle. Fort heureusement, ils ont aussi développé des qualités propres, un feeling et une énergie qui apportent à leur musique une
fraîcheur séduisante, d’autant que ce répertoire original possède une palette
mélodique variée. La ballade «Lovely Smile» compte ainsi parmi les titres les
plus réussis. On y apprécie la sonorité suave d’Abdelbari Fannush, comme les notes
profondes et boisées d’Ethan Denis, tandis que Julien Routtier est en solo sur
le bref et évanescent «What Future?». Le contraste n’en est que plus marqué
avec les thèmes à la vitalité bop qui font le sel de cet album, tels «Modernition» et «Buddy», auxquels le jeu véloce et swinguant de Julien Routtier apporte une légèreté qui s'appuie sur le jeu précis et musical de
Guillaume Jaboulay. Le morceau-titre «Katabasis» confirme ce dynamisme vivifiant qui fait de cet album une découverte.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Mulgrew Miller
Solo in Barcelona
Tour de force, I Love You, O Grande Amor, It Never Entered
My Mind, Milestones, Excursions in Blue, Misty, Woody 'n You, Just Squeeze Me
Mulgrew Miller (p solo)
Enregistré le 2 février 2004, Barcelone
Durée: 1h 09’ 23”
The Jordi Suñol Archives 2/Storyville 1018537 (www.storyvillerecords.com/www.uvmdistribution.com)
L’excellent Benny Green, qui a la double qualité d’être
lui-même un pianiste de premier ordre et d’avoir côtoyé Mulgrew Miller jusqu’à
dialoguer au piano avec lui dans quelques fabuleux concerts, est l’auteur du
texte du livret de cet album sorti des archives sonores de l’agent-tourneur
Jordi Suñol, de Barcelone, auquel on doit parmi les plus beaux concerts de jazz
en Europe, de piano jazz en particulier, des trente-quarante dernières années.
Ces tournées, où Jordi Suñol a réuni parmi les artistes essentiels du jazz de culture de son époque, restent d’ailleurs parmi les souvenirs émerveillés
des amateurs de jazz des quatre coins de l’Europe. Pour ne citer que les
pianistes, on a pu y écouter dans des conditions optimales –outre Mulgrew
Miller et Benny Green– Kenny Barron, Eric Reed, Randy Weston et d’autres
musiciens de cette envergure, en formation ou en soliste, et parfois en
duo de piano (Mulgrew Miller et Kenny Barron) ou en quartet de
pianos (avec selon les concerts Kenny Barron, Benny Green, Eric Reed, comme au
festival de Pescara en 2012, cf. Jazz Hot n°661).
Inutile de rappeler que le solo sur un instrument, qui a
donné tant d’exemples extraordinaires dans le jazz depuis plus d’un siècle, est
une expression sans filet qui révèle la dimension artistique et la liberté de
l’artiste. Concernant Mulgrew Miller, né en 1955 et disparu en 2013, et comme
le remarque Benny Green, nous avons affaire à l’un des pianistes de la tradition
du jazz qui fait partie des plus grands au même titre qu’Earl Hines, Art Tatum,
Bud Powell, Erroll Garner, Oscar Peterson, George Cables ou Kenny Barron… pour ne citer
qu’eux, car le jazz en a d’autres. Il est de ceux qui réunissent une plénitude
de l’expression, sans limite, qu’elle soit technique ou artistique. Benny Green
se remémore également la relative rareté des enregistrements en solo et des
occasions, parfois after hours, où il
a pu constater en connaisseur ce talent hors norme en soliste, et il regrette,
comme nous, que cette dimension de l’artiste trop vite disparu ne soit pas suffisamment
disponible aujourd’hui dans les enregistrements.
En éditant ces archives de Jordi Suñol de 2004, le bon label
Storyville, comble une petite partie de ce vide qu’a laissé Mulgrew Miller, car
il était l’un de ceux, avec Benny Green, Eric Reed, à prendre sans faiblesse la
suite de cette tradition exceptionnelle des pianistes de jazz, du «beau piano»
comme on dit car ils sont des concertistes tout aussi brillants et virtuoses
que leurs pairs de la musique classique, plus profondément artistes en raison
de leur dimension culturelle et créative totalement intégrée et sans
complaisance, dont Kenny Barron est aujourd’hui le patriarche.
Alors, quand ressort de l’oubli un tel trésor de Mulgrew
Miller, il faut juste remercier les producteurs et le saisir en pensant
simplement au bonheur d’une heure de musique en compagnie d’un artiste parmi
les plus importants du jazz de sa génération. Ce concert en live et en solo, réunissant standards (Cole Porter, Carlos Jobim, Richard Rodgers), compositions du jazz
(Dizzy Gillespie, Erroll Garner, John Lewis, Duke Ellington) et un mémorable
original, «Excursions in Blue», donne une idée précise de ce que le génie du
piano jazz a de meilleur quand il n’oublie pas la dimension essentielle du blues, le swing,
la culture et la mémoire. Le piano solo est un moment magique du jazz quand l’artiste apporte la profondeur de sa culture, expose sa liberté sans
concession, et Mulgrew Miller n’y manque jamais.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2024
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The Viper Club
Tain't no Use
Lawd You Made the Night too Long, Onyx Club Spree, Ballin'
the Jack, Tain't no Use, I'm Putting all My Eggs in one Basket, I Hope Gabriel
Likes My Music, Smoke Rings, Baby Brown, Undecided, My Blue Heaven, Swanee
River, I'm Crazy 'bout My Baby, Viper's Moan,'S Wonderful, My Walking Stick,
Wabash Blues, After You've Gone
Tcha Limberger (vln, voc), Jérôme Etcheberry (tp), Dave
Kelbie (g), Sébastien Girardot (b)
Enregistré du 20 au 22 juin 2023, Meudon (Hauts-de-Seine)
Durée: 1h 01’ 26’’
Le jazz est comme un voyage au centre de la terre (cf. Jules Verne): il y a de grosses veines, les courants familiers du grand public, mais aussi tout une myriade de filons qui se ramifient et ne demandent qu'à être explorés, redécouverts et encore mieux approfondis. L’association entre
Stuff Smith (1909-1967) et Jonah Jones (1909-2000), de 1936 à
1940, au sein des Onyx Club Boys dirigés par le premier, compte parmi ces trésors repérés par Jazz Hot dans son n°30 de février-mars 1939 mais déjà oublié. Violoniste se démarquant du lyrisme aérien de
Stéphane Grappelli ou d’Eddie South, Stuff Smith
était également un showman hors pair et un chanteur inspiré par Louis Armstrong, une influence commune avec Jonah Jones dont le jeu de
trompette est marqué par Satchmo, au point qu’il fut surnommé
«King Louis II». Les qualités exceptionnelles de ces deux solistes n’ont pas échappé à Jazz Hot ni à Charles Delaunay qui consacra deux beaux portraits au
trompettiste (n°48, 1950), qui fit aussi la couverture du n°85 de 1954, et au violoniste (n°94, 1954).
Quatre-vingts ans plus tard, pour leur rendre hommage, a été constitué The Viper Club (dont le nom est inspiré du succès de Stuff Smith de 1936, «You'se a Viper»), un quartet autour de la personnalité rayonnante de Tcha Limberger avec le concours de Jérôme
Etcheberry, Dave Kelbie et Sébastien Girardot: «viper», dans l’argot du
Harlem des années 1930, désignant un consommateur de marijuana.
L’intérêt
du disque est que ce tribute ne se contente pas d’être une reprise du répertoire de
Stuff Smith and the Onyx Club Boys dans l’esprit, mais
d’une véritable interprétation dominée par la personnalité débordante
–et rare dans notre XXIe siècle étriqué– de Tcha Limberger qui au
violon rappelle l’évidente connivence d'esprit et de cœur entre les racines tsiganes et afro-américaines, qui se marient dans la respiration du swing et l'esprit du blues, d'autant que sa sonorité rugueuse comme son attaque énergique rappellent celles de Stuff Smith. Une autre dimension de leur proximité est sans doute liée au tempérament «foncièrement
bohème» de Stuff Smith, comme le notait Charles Delaunay. Au chant, Tcha reste «nature» comme ses confrères devanciers afro-américains, par son engagement et sa façon de pousser sa
voix sans maniérisme («Lawd You Made the Night too Long»). Sur une matière qui emprunte parfois à la tradition néo-orléanaise (la rythmique et le trompettiste sont rodés à cette couleur néo-orléanaise autant qu'à la tradition de Django), «Tain't no Use» est magnifiée par les
contre-chants tsiganes de Tcha Limberger, surprenant de profondeur expressive, de spontanéité et d'inventivité. La musique atteint ainsi par moment une intensité inattendue pour un enregistrement actuel, hors du temps normalisé de 2023. Un bon exemple de réactivation créative de la mémoire qui repose sur la liberté du grand artiste qu'est Tcha Limberger!
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Roberto Magris & The JM Horns
High Quote
High Quote, Together in Love*, Black Coffee*, Hong Kong
Nightline/The Island of Nowhere, Steps in the Dark, The Endless Groove, Naked
Tina Serenade, The Changing Scene
Roberto Magris (p, arr), Matt Otto (ts), Jim Mair (as),
Jason Goudeau (tb), Josh Williams (tp), Aryana Nemati (bar), Elisa Pruett (b),
Brian Steever (dm), Pablo Sanhueza (perc), Monique Danielle (voc)*
Enregistré le 3 novembre 2012, Lenexa, KS
Durée: 1h 00’ 55”
JMood Records 009 (www.jmoodrecords.com)
Suite des pérégrinations du globe-trotter Roberto Magris au
pays du jazz, avec cette sortie d’un enregistrement d’il y a déjà une dizaine
d’années, où le pianiste, comme à sa bonne habitude, se fond dans la culture
locale comme s’il puisait dans ses propres racines. Il est d’ailleurs l’auteur
des compositions, à l’exception d’un standard («Black Coffee») et du dernier
thème, «The Changing Scene» d’Hank Mobley. Ses arrangements pour ce nonet
augmenté sur deux titres d’une voix, sont on ne peut plus dans la
tradition hard bop. On reconnaît son beau jeu de piano, parfois proche du McCoy
Tyner des années 1970-1975, au cœur d'une cohésion de belle tenue évoquant les Jazz Messengers, sans que jamais il n’y ait de faute de goût ou
d’égocentrisme.
L’unité de l’enregistrement, l’originalité des compositions («Hong
Kong Nightline»/«The Island of Nowhere») ne viennent jamais en discordance avec
une expression sereine, mélodique, ouverte dans la tradition. Les solistes ont une liberté totale
dans leurs chorus au sein du cadre bien organisé d’une musique cohérente ancrée dans le blues et la musique modale de ces années hard
bop. Les climats varient, comme avec l’aérien «Steps in the
Dark», les plus enlevés «The Endless Groove», «Naked Tina Serenade», bien mis
en valeur par une rythmique où Pablo Sanhueza apporte une touche afro-cubaine
bienvenue. Les chorus des saxophonistes, trompettistes sont sobres, inventifs
et totalement inscrits dans l’esprit de l’ensemble. Roberto Magris n’attire jamais la lumière à
son profit exclusif, participant au son du collectif et prenant à son tour le
chorus qui s’impose. L’enregistrement se ferme sur un thème d’Hank Mobley où le
côté blues est certainement plus accentué grâce à l’atmosphère intense de
ces années du jazz. Une belle heure de jazz hard bop in the tradition autour du natif de Trieste,
toujours sur son label de prédilection, de Kansas City, le bien nommé JMood.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2024
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André Villéger / Alain Jean-Marie
Time to Dream
You've Changed, Païolino, Happy Reunion, Aquarius Mood, Darn
That Dream, Monsieur Henri, Self Portrait of the Bean, Search of Peace*, Ghost
of a Chance, The Peacoks, Cyrille, Angel Face, Blues du Cameleon, It Never
Entered My Mind
André Villéger (ts, ss*), Alain Jean-Marie (p)
Enregistré les 21 et 22 février 2023, Meudon
(Hauts-de-Seine)
Durée: 1h 19’ 36’’
Ce duo qu'on doit au baby boom (ils sont tous deux nés en
1945) font aujourd'hui partie des aînés de la scène du jazz parisienne avec
Martial Solal, René Urtreger et quelques autres. Ayant effectué leurs débuts à une époque foisonnante de liberté de création où la plupart des grands maîtres du jazz étaient encore en activité, ils ont eu l’occasion de les côtoyer, de les accompagner et de forger leur personnalité dans ce creuset exceptionnel, à Paris en particulier. On ne retrace pas ici leurs parcours (on se
reportera pour cela notamment aux n°578 et 681) qui leur vaut
aujourd’hui le respect et l'admiration mérités de leurs cadets et des amateurs de jazz en général.
Après avoir suscité en 2015 un beau duo André
Villéger/Philippe Milanta sur For Duke and Paul et en 2016 Strictly Strayhorn en trio avec Thomas Bramerie, Michel
Stochitch renouvelle la formule avec Alain Jean-Marie pour un petit bijou
jazzique, un album de ballades –des compositions du jazz et trois originaux
d’André Villéger– où les deux protagonistes prennent le temps d’un dialogue qui traduit un art accompli. Le répertoire a été visiblement choisi pour le plaisir d'explorer de beaux thèmes parmi une variété d'auteurs (Duke Ellington, McCoy Tyner, Hank Jones…)
et embrasse un large spectre de l’histoire du jazz. Signalons d’ailleurs un thème de Raymond Fol (1928-1979) –qui fut également un ancien de Jazz Hot– «Aquarius Mood», peu joué, qu’André
Villéger avait déjà repris sur un disque du même nom (2002, Jazz aux Remparts,
avec Patrick Artero) en hommage au pianiste auprès duquel il a grandi.
A la diversité des compositeurs répond celle des atmosphères qui se succèdent de façon équilibrée. Majoritairement
au ténor, André Villéger développe les thèmes de sa sonorité voilée et
caressante (magnifique version de «The Peacocks» de Jimmy Rowles) tandis
qu’au soprano sa sensibilité semble davantage à fleur de peau («Search
of Peace» de McCoy Tyner). Quant à Alain Jean-Marie, il dit beaucoup en peu de
notes avec une poésie swing particulièrement admirable sur Duke Ellington
(«Happy Reunion»), une épure d’architecte qui pose la délicate structure sur laquelle André Villégier appuie ses volutes… Deux maestros en liberté.
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French Blues All Stars
New Flesh
New
Flesh, Kiddeo, Hush Your Mouth, Go Lonnie Go, Going to a Party, Wrong as I
Could Be, The Bottle of Chablis Is
Empty, Bad Bad Whiskey, I'll Be Waiting, Strolling With Nicole, Going Crazy, Lollipop
Mama, Feel Like Going Home
Youssef
Remadna (hca,g,voc), Stan Noubard-Pacha (g), Anthony Stelmaszack (g,hca,b,voc), Thibaut Chopin (b,hca,voc), Benoît Ribière (p,org,voc), Simon Shuffle
Boyer (dm)
Enregistré
les 13 et 14 février 2023, Tilly (Yvelines)
Durée:
43’ 22’’
Ahead
842.2 (Socadisc)
Julien Brunetaud
Bluesiana
Nola Boogie, Nobody Knows You When You’re Down and Out*°+,
Music Is My Business°, Fournil Boogie, It Hurts Me Too*+, My Gal
Stands Out, Tipitina, Rag That Life, Firebug Blues*, Cycle of Love°, Worried
Life Blues+, Otis in the Dark
Julien Brunetaud (p,voc), Kevin Doublé (hca)*, Igor Pichon
(g)°, Patrick Ferné (b)+
Enregistré les 28 et 29 mars 2023, Marseille
(Bouches-du-Rhône)
Durée: 38’ 41’’
Brojar Music (InOuïe Distribution)
Ces
deux albums illustrent deux versants de la scène blues française: une approche
électrique, celle du French Blues All Stars, dans la tradition du Chicago blues
de Muddy Waters et Howlin’ Wolf, et une autre acoustique, celle de Julien
Brunetaud, issue d’une filiation boogie et piano blues venue de
New Orleans (Fats Domino, James Booker, Dr. John…). Deux traditions étroitement liées puisque Julien Brunetaud fut un des membres fondateurs
du French Blues All Stars (Live in Paris, 2011, Ahead).
Créé
il y a une dizaine d’années, celui-ci rassemble quelques-uns des piliers du
blues hexagonal. Il est principalement porté par l’harmoniciste, guitariste et
chanteur Youssef Remadna. Né en 1962, cet autodidacte a accompagné Champion
Jack Dupree lors d’une tournée française en 1989 et eut l’occasion dix ans plus
tard de se produire sur la scène de Chicago. On le retrouve aujourd’hui
régulièrement en duo avec Mike Greene (g, voc) ou à la tête de sa propre formation,
montée dans les années 2000 avec le contrebassiste Thibaut Chopin. Ce dernier est
passé par les formations de Benoit Blue Boy (voc,hca), Julien
Brunetaud et son JB Boogie, Simon Shuffle Boyer ou encore Nico Duportal (g,voc).
Autre accompagnateur d’expérience, le guitariste Anthony Stelmaszack a rencontré quelques grands du blues comme Jimmy Johnson, Deitra Farr (voc) et
même B.B.
King. Il joue à présent aux côtés d’Alabama Mike (voc) mais aussi sous
ses propres couleurs. Le pianiste et organiste Benoît Ribière, né en 1977, est
le seul membre du French Blues All Stars à avoir rejoint l’aventure en cours de
route, ayant remplacé Julien Brunetaud. Marqué dans son enfance par les
concerts qu’organisaient ses parents au sein du Hot Club de Limoges, il doit sa
vocation d’organiste à Wild Bill Davis, et a été sideman pour Jean-Jacques Milteau, Lucky
Peterson, Maceo Parker, Eddie Clearwater, Daniel Huck, Dany Doriz, Carl
Schlosser… Originaire lui aussi de Limoges, Simon Shuffle Boyer (né en 1970), fils du
saxophoniste Pierre Boyer (1942-1997), est un familier des
compte-rendus de concerts de Jazz Hot:
on l’a notamment entendu avec Pat Giraud, Daniel Huck, Eric Luter,
Patrick Saussois, Jeff Zima, Marc Laferrière…Il a par ailleurs enregistré en leader Let There Be Blues (2006, autoproduit, cf chronique dans Jazz Hot n°647)
avec une bonne partie des futurs sociétaires du all stars, dont Stan Noubard
Pacha que nous avons déjà présenté récemment (cf. chronique Nirek
Mokar).
Si le live de 2011 était constitué de standards, l’enregistrement
studio de 2023 effectué par le French Blues All Stars comporte pour l’essentiel
des compositions de ses membres. C'est un disque au dynamisme rafraîchissant
porté par la personnalité énergique de Youssef Remadna, tant au chant qu’à
l’harmonica, notamment sur son «New Flesh». Les musiciens de ce all stars sont
de solides gaillards qui savent jouer le blues (belle énergie orgue-guitare-batterie sur «Go Lonnie Go» de Stan Noubard-Pacha), appuyé sur une rythmique adhoc («Kiddeo» de Brook Benton et Clyde Otis) assurée pour l’essentiel par Stan Noubard-Pacha, Thibaut Chopin, Benoît Ribière et
Simon Boyer. Une musique interprétée avec simplicité et conviction, dans
l’esprit dans Anciens du blues, et dont on ne doute pas qu’elle prend
toute sa saveur sur scène. Toujours pour les amateurs de blues et de swing, avec un bien
nommé Bluesiana, Julien Brunetaud opère un retour attendu, après Feels Like Home, à ses fondamentaux blues et boogie. Sur cet album constitué à parité
d’originaux et de reprises où il est en solo, piano et voix, sur une bonne
moitié des titres, Julien Brunetaud s’est adjoint trois invités de sa génération. A l’harmonica, Kevin Doublé (également chanteur et guitariste) offre
de bons contrechants notamment sur «It Hurts Me Too» (Tampa Red), tandis que le
picking bien ancré dans le blues du guitariste Igor Pichon vient en soutien sur
«Music Is My Business» (Rooselvet Sykes). Enfin, on découvre sur «Worried Life
Blues» (Big Maceo), un beau blues gospelisant, et le son profond du contrebassiste
de la scène marseillaise Patrick Ferné. Quant à Julien Brunetaud, il confirme
sa position de passeur de la tradition du piano blues de New Orleans, en
particulier sur le «Tipitina» de Professeur Longhair, la déclinant en boogie et ragtime sur ses deux originaux, «Fournil Boogie»
et «Rag That Life». Un voyage réussi à travers les différents feelings qui ont fait la renommée de l'embouchure du Mississippi.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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