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LE SIÈCLE D’ELLA FITZGERALD


FIRST LADY OF JAZZ

ELLA FITZGERALD EN SON TEMPS


Ella Fitzgerald [portrait] Newport Jazz Festival 1966 © Raymond Ross Archives/CTSIMAGES
Ella Fitzgerald, Newport Jazz Festival, 1966
© Raymond Ross Archives/CTSIMAGES



 

«Je pense que je m’exprime mieux quand je chante.» Ella Fitzgerald

 

 

Il existe des anecdotes, certaines contradictoires ou mystérieuses, d’autres inutiles ou voyeuristes concernant la biographie d’Ella Fitzgerald, mais elle avait choisi de ne pas y donner prise. Elle était d’une époque et d’un monde, le jazz, où les artistes restaient discrets sur leurs joies ou leurs peines, sur leurs misères parfois dont ils essayaient justement de sortir en partageant leur art avec le public; une forme de modestie saine devant ceux qui ne s’en sortaient pas et à qui il fallait justement ouvrir des espaces de liberté, de beauté et de sens, pour supporter le quotidien; un vieil héritage des pratiques solidaires des champs de coton, entre maltraitances et rites de transes et de danses vaudoues exutoires et salvatrices.

Nous rappelons dans la bibliographie, à la suite de ce texte, les biographies d’Ella Fitzgerald auxquelles il faut se référer –celles de Jim Haskins et Stuart Nicholson sont riches en contenu même si nous n’en partageons pas toujours les analyses–, et qui apportent une multitude de renseignements, de détails, mais aussi beaucoup de visions d’Ella qui en disent parfois plus sur leurs auteurs, sur les Etats-Unis que sur Ella Fitzgerald elle-même, en raison de cette forme de discrétion, de simplicité, d’évidence qui sont chez Ella la contrepartie qu’elle a choisie pour une vie consacrée, corps et âme, à son art, au jazz, aux autres musiciens, à ses publics sans aucune réserve, et parfois, c’est vrai, à sa famille, ses proches, ses recherches personnelles ou à des personnes dans le besoin, son monde privé.

Certains de ses biographes contraints par l’absence de sensationnel, tel qu’il se traduit dans la caricature du jazz (drogue et déchéance), ont fait d’Ella Fitzgerald une voix désincarnée qui dépasse le cadre du jazz (comme s’il était nécessaire de dépasser le jazz pour être célèbre, populaire), une artiste de variété, une star, une artiste qui serait devenue autre que la belle voix, la grande artiste du jazz qu’elle est, une artiste sous tutelle de ses agents successifs, une artiste naturelle sans autre volonté que celle que lui dictaient un talent hors norme et des impératifs de production. Un portrait creux, facile et finalement faux en regard de la puissance de son œuvre et de son expression.

Ce parcours, pour nous en pointillés incertains, à l’exception des rares et parcellaires interviews audiovisuelles d’Ella elle-même, contribue au mystère Ella, un mystère discret, à son image: qui était-elle? Etait-elle cette fille gauche et timide plusieurs fois dépeinte? Cette fille disciplinée dans ses objectifs? Cette fille sage capable de mettre son talent brut au service de tous les projets?, etc.

Tous apports confondus, et d’abord de ce qui ressort de son œuvre, nous l’avons perçue percussive (rue, piano, tap dance, Chick Webb, scat), swingante (avec sa voix et son corps), ultra-sensible (comme un diapason doublé d’un métronome), travailleuse (infatigable), débrouillarde (comme Gavroche, et comme ces enfants qui mûrissent rapidement pour faire face à la dureté de la vie), d’une intelligence intuitive (celle de la rue), sûre de ses choix artistiques comme de son art (dans le Song Book comme sur scène et au contact des plus grands artistes du jazz), à l’écoute de tous mais décidée et douée d’une volonté sans faille, d’une imagination sans limite comme en témoignent les multiples versions de ses interprétations (autant de chefs-d’œuvre), (dé)vouée à son art comme Maria Callas, sans retenue et avec des moyens d’expression hors du commun.

Confirmant l’adage: «On est ce qu’on fait», elle était à l’image de son œuvre, son art parlait pour elle, et ce qu’elle a apporté au jazz et au monde suffit à dire et comprendre qu’elle était une personne exceptionnelle, une personnalité profonde et exigeante.

Ella (Jane) Fitzgerald est née le 25 avril 1917 à Newport News, Virginie (Etats-Unis). Elle est décédée le 15 juin 1996 à 79 ans à Beverly Hills, Californie. Son parcours artistique s’est déroulé sur une soixantaine d’années à partir de 1934.

Elle n’avait pas de pratique du superficiel, conservait son bon sens de la vraie vie, cultivait un profond don d’écoute pour les auteurs-compositeurs et les musiciens qu’elle servait en portant leur musique sans les envahir, sans se trahir, et aussi pour son public avec lequel elle ne cessa jamais de dialoguer, modifiant souvent les paroles pour les broder sur mesure selon l’atmosphère du soir, du moment, de la seconde. Sa perception et la justesse de son ressenti faisaient d’elle une experte du «feeling tone» sans faux-semblants ni travestissements, d’une totale lucidité, rivée au réel, sur le qui-vive. Chanter lui permettait de retrouver sa sérénité, son équilibre, une fois le trac passé.

On ne devient pas Ella Fitzgerald en étant le pantin de qui que ce soit, sans savoir d’où on vient, sans savoir où on veut aller, quels que soient les compromis provisoires parfois contestables que la vie imposent à chacun, particulièrement dans un monde ségrégué par le sexe, la couleur, la religion, les opinions, l’argent, balayé par les pertes d’amis, les mutations sociales, les crises, les émeutes et les guerres, le pouvoir restant aux hommes «bien nés».

L’environnement même de ce siècle du jazz participe à l’épanouissement de l’expression exceptionnelle d’Ella Fitzgerald, et c’est ce à quoi nous nous attachons d’abord, en complément du travail des biographes, pour rappeler à beaucoup qu’Ella Fitzgerald n’est pas la First Lady of Song, mais bien la voix du jazz avec toutes ses composantes, le blues, le swing et l’expressivité, quel que soit le contexte, au même titre et au même degré d’excellence que Louis Armstrong, car ces deux artistes sont deux monuments du jazz et de l’Art.

Yves Sportis

© Jazz Hot n°682, Hiver 2017-2018


Le Siècle d’Ella Fitzgerald First Lady of Jazz, Ella en son temps, bibliographieLe style et l’œuvreDiscographie détailléeIndex avec coffretsIndex disque à disqueElla on DVDElla sur la toile-vidéographieElla in the Movies-filmographieElla on TV

 

De Yonkers à Harlem

Naissance et Renaissance

 

La mère d’Ella, Temperance «Tempie» Henry, qui aime chanter, est tonique et impliquée dans la vie de sa fille. Tempie se sépare de William Fitzgerald, qui l’accompagnait à la guitare en amateur, vers les 3 ans d’Ella, et elle se met en ménage avec Joseph Da Silva, un immigrant portugais; la famille recomposée migre autour de 1920 vers le Nord, comme beaucoup d’autres Afro-Américains, à Yonkers, ville de 100000 habitants à cette époque, à la limite nord de New York City, dans la proximité du Bronx et d’Harlem. C’est un quartier très cosmopolite; la famille vit dans une pièce, mais les deux «parents» trouvent assez de travail pour vivoter. Sa demi-sœur Frances Da Silva naît en 1923, et la famille redéménage dans un quartier de Yonkers, peuplé par une immigration italienne pauvre.

A 6 ans, Ella entre à l’école et, en 1929, elle va à la Benjamin Franklin High School: bonne élève et déjà caractère affirmé, elle sort victorieuse, à 11 ans,  d’une bagarre avec un garçon à la suite d’un «nigger» qu’elle n’avale pas.

Yonkers, Années 1920-1930

Avec l’arrivée du microphone, des disques et de la radio (diffusion des concerts) dans les années 1920, du cinéma parlant en 1927, des spectacles musicaux et la vogue des Revues des «années folles» de Broadway–Times Square– à Paris (Revue Nègre, 1925) ou Hollywood, Ella n’a d’yeux que pour la scène, et la plus accessible pour elle, c’est Harlem (125e à 143e Rues, 7e et 8e Avenues, Lenox Avenue) dont la « Renaissance » est en fait l’émergence de la population afro-américaine dans l’un des quartiers les plus bourgeois de New York. Affirmation d’existence d’une humanité jusque-là «invisible», d’inspiration universaliste, la Harlem Renaissance est en fait une conquête d’abord immobilière de ce quartier qui accompagne l’ascension sociale afro-américaine au sein de la nation américaine, l’apparition d’une classe bourgeoise dont quelques fortunes qui rendent possible cette conquête.

Cette ascension se double, du fait de l’organisation communautaire américaine sur fond de ségrégation, d’une revendication dans laquelle le terme de «Renaissance» vient rappeler que cette population afro-américaine réactive sa dignité, ses racines, son humanité, son identité qui plongent en particulier dans l’héritage africain. C’est bien cette origine lointaine, rêvée, réinventée, d’une humanité libre et non ségréguée, non esclavagisée, qui est à l’origine de cette idée de «Renaissance» comme en témoignent les différentes pratiques artistiques.

Comme toutes les Renaissances (italienne ou française), la Harlem Renaissance est une nouvelle synthèse à partir d’un héritage, d’un matériau composite, où l’Afrique a sa place, la place de l’identité originelle, mais dans un cadre nouveau, américain, dans un monde nouveau, international, à construire, à inventer, où de nouvelles valeurs se développent, celles de la démocratie, celles de l’universalisme à la française issu du siècle des Lumières et de la Grande Révolution, et particulièrement l’une d’entre elles, l’égalité.

La France des Lumières est une terre de référence autant que de reconnaissance pour les Afro-Américains, et le restera jusqu’à Martin Luther King; pour d’autres raisons que pour les Euro-Américains qui font aussi le voyage de Paris.

La Harlem Renaissance, et le jazz plus largement, trouvent dans ces fondements nouveaux d’un XXe siècle qui débute par une guerre mondiale et la Révolution russe, un cadre de développement particulièrement fertile, d’autant que les Etats-Unis d’Amérique connaissent dans leur ensemble une mutation démographique, sociale, politique et économique d’une ampleur sans pareille. C’est dans ce dynamisme, et dans le leadership nouveau des Etats-Unis sur la scène internationale, par le canal de New York, New Orleans et du cinéma de la Côte Ouest, par l’intervention américaine sur le théâtre des guerres européennes, dans les deux grandes guerres du XXe siècle, que les mouvements artistiques, et ceux nés dans la communauté afro-américaine, trouvent les conditions de leur maturation, de leur diffusion, puis de leur rayonnement. C’est dans une atmosphère tendant à la recherche de la démocratie, malgré tous les affres d’un XXe siècle où la bataille fait rage entre approches démocratiques et totalitaires à l’échelle planétaire, que les mouvements artistiques majeurs du siècle, jazz et cinéma, peuvent prendre une ampleur, une complexité, une sophistication, qui font de ce XXe siècle un des grands moments artistiques de l’humanité.


Harlem, Années 1920-1930

Dans ce maelström économique, se renforcent les lieux de nuits et, du fait de la Prohibition (1919-1933), les speakeasies. Cette économie éclatée, tout aussi parallèle que non dépendante d’un pouvoir centralisé, si peu normalisée, est l’une des autres conditions nécessaires au développement d’une culture populaire originale non académique (cf. Le Jazz et les Gangsters, Ronald L. Morris). La recherche d’indépendance, de liberté, de démocratie de cette culture jazz est une aspiration de fond qui s’accommode mieux des marges. C’est dans ce contexte contrasté, polymorphe, bouillonnant, des Etats-Unis que peuvent naître des Louis Armstrong, Duke Ellington, Billie Holiday, Thelonious Monk, Mahalia Jackson, Ray Charles, Charles Mingus, John Coltrane, ces milliers d’artistes de jazz, blues compris, si généreux en véritables génies et, bien sûr, la grande Ella Fitzgerald.

La jeune Ella met toute son énergie et son envie dans l’apprentissage technique de la musique et du rythme pour devenir danseuse comme son idole Earl «Snakehips»Tucker (1905-1937). Tempie écoute Bessie Smith, Louis Armstrong, Ethel Waters, les tubes d’Hoagy Carmichael, célèbre depuis 1925; comme beaucoup d’adolescents, Ella imite ses modèles, et s’ingénie à imiter Connee Boswell des Boswell Sisters, un groupe en vogue (d’où plus tard, ses imitations réussies de Louis Armstrong, Mahalia Jackson ou Marilyn Monroe).

Pour gagner quelques sous pendant et après la Crise de 1929 (Harlem compte 350000 habitants dont 200000 en totale pauvreté), Ella fait des démonstrations publicitaires de rue pour des salles de sport, mais aussi des représentations improvisées gratuites pour ses camarades dans et hors école. La famille faisant partie de la Bethany African Methodist Episcopal Church, dont la création est ancrée dans la lutte contre l’esclavage, la discrimination et la ségrégation, Ella profite de cette source d’apprentissages (piano) et de prestations en public. Enfin, la crise se combinant à la prohibition, les house rent parties permettent aux Afro-Américains de faire des fêtes «utiles» dans des lieux privés en partageant les frais, la musique, la nourriture et l’alcool. Autant dire que l’effervescence artistique était à la mesure de la lutte pour la survie, et que l’urgence, dont on parle aujourd’hui en art, n’était pas une figure de style mais une réalité très concrète. Cette multiplication des lieux, des scènes et des moments (le quotidien: baptêmes, communions, mariages, décès, loyers, dimanches…) pour se produire ou participer, souvent gratuits et partagés, est une autre raison de cette fulgurance du développement du jazz et de l’éclosion d’artistes nouveaux d’une maturité qui doit l’essentiel à une vie difficile (ségrégation, pauvreté).

1931. Cotton Club, Cab Calloway à l'affiche

En 1932, Ella perd sa mère; elle a 15 ans et des difficultés avec son beau-père. Elle part vivre chez sa tante maternelle, Virginia Williams, en avril 1933, et abandonne les études. Plus aucun adulte n’étant juridiquement responsable d’elle, vivant d’expédients peu légaux comme nombre d’adolescents des rues de la Grande Crise, dont guetteuse dans des bordels où s’organisaient des paris, loteries et jeux clandestins: Harlem lutte pour un minimum d’humanité via les boycotts, pétitions et émeutes de 1934 à 1943. Ella est peut-être mise à l’Orphelinat ségrégué de Riverdale dans le Bronx où elle a de nouveau accès à un piano (élément biographique parfois contesté), puis dans un centre de formation pour filles à Hudson, au nord de New York d’où elle s’échappe pour retourner chanter et danser dans les rues d’Harlem, son point de mire. C’est à Harlem que s’élaborent tous les rêves de réussite de ces adolescents afro-américains, et Ella participe à de nombreux concours, le plus souvent et d’abord comme danseuse, en espérant y trouver la subsistance de son quotidien tout en rêvant à une issue à ses problèmes vitaux.

 

 

Ella Fitzgerald with Chick Webb Orchestra 1937 Courtesy CTSIMAGES
Ella Fitzgerald with Chick Webb Orchestra 1937 Courtesy CTSIMAGES


Harlem, passeport pour le monde

 

1938, Chick Webb et Ella à l'ApolloLe 21 novembre 1934, à 17 ans, elle vient justement pour danser au concours amateur de l’Apollo Theater 1, mais voyant le succès des Edwards Sisters, elle décide plutôt de «chanter comme» Connee Boswell («Judy» et «The Object of My Affection»): elle chante en fait comme Ella, déjà, suffisamment brillante pour gagner le 1er prix de 25 dollars; mais elle est si déguenillée et démunie avec ses trois chansons que l’Apollo ne la laisse pas faire sa semaine de représentations.

En janvier 1935, elle gagne un autre concours, véritables viviers de recrutements professionnels artistiques, à l’Harlem Opera House (125e Ouest-7e Avenue) dont le prix est de 50 dollars et partage la scène une semaine avec le Tiny Bradshaw (1905-1958) Band. Ella rate parfois des opportunités car elle est mineure et ne peut signer aucun contrat.


Chick Webb Orchestra feat. Ella Fitzgerald


C’est à ce moment qu’elle rencontre le batteur Chick Webb (1905-1939) qui dirige l’un des plus fameux orchestres d’Harlem, le plus apprécié pour son drive incomparable qui fait le bonheur des danseurs. Chick Webb doit lui-même la création de son orchestre, à la fin des années vingt, à l’aide de Duke Ellington.

Malgré l’apparence improbable de la jeune fille des rues, Chick Webb discerne sur l’instant son potentiel et lui donne sa chance lors d’un concert à l’Université de Yale; il lui fait travailler sans relâche l’écoute des autres musiciens, le beat, la musique, la patience, la construction d’une solide culture musicale, pour l’intégrer à sa formation au Savoy Ballroom d’Harlem ou lors de ses tournées. Le Savoy Ballroom était dirigé par Charles Buchanan et Moe Gale, qui malgré ses réserves initiales sur Ella, devint son agent et le resta jusqu’en 1955.

1936-37. Ella et Chick Webb à l'ApolloAvec Chick Webb, c’est du concentré de formation, sur le tas et sur scène, dans les studios d’enregistrement très rapidement, comme si le temps était compté, pour une Ella qui apprend très vite, et dont la personnalité s’impose avec naturel et réserve, par le sourire, le fait artistique et une adhésion immédiate du public. La femme de Chick Webb, Martha Loretta Ferguson, «Sallye», aide l’adolescente à sortir de sa chrysalide. Ella est un subtil mélange de fraîcheur et de doute, de réserve et d’énergie, de prise de risques et de prudence, de spontanéité et de profondeur, une évidence artistique sans manifestation de pouvoir, sans caprices de diva.

Quant à savoir si le couple l’a juridiquement adoptée ou a seulement obtenu de l’administration d’exercer une autorité parentale temporaire pour lui faciliter le début de sa vie professionnelle avant sa majorité, la question reste ouverte. Pour autant, sa vie durant, Ella soutiendra des associations pour les enfants et adoptera avec Ray Brown le fils de sa sœur Frances. Pour Ella, la famille, l’entraide communautaire, la fidélité et la solidarité comptent: elle s’y implique, et cette donnée de son caractère n’est pas sans conséquence sur la spécificité de son talent et le déroulement de sa carrière. Elle a toujours su mettre son talent au service du collectif, tirant vers le haut, car c’est une meneuse, par la force extraordinaire de sa personnalité artistique, les projets les plus improbables, le mot n’est pas inadapté pour la réalisation du Song Book, une véritable prouesse artistique et phonographique.

1938. A-Tisket A-Tasket, Chick Webb, Decca 1840 A«A-Tisket, A-Tasket» (Van Alexander Alexander Van Vliet  Feldman, 1915-2015) comptine enfantine populaire dont Ella réécrit les paroles est son énorme premier succès, enregistré par Decca à New York le 2 mai 1938, qui fait d’elle un auteur inscrit à l’ASCAP. La crise économique et les bruits de bottes favorisent en effet les chansons légères dans les charts des radios; les standards de la musique populaire américaine sont le pont entre l’histoire de l’immigration venue d’Europe et la construction du rêve américain porté en particulier par les Afro-Américains, parfois avec la complicité indispensable –qui ne doit rien au hasard et tout à la condition humaine– de la communauté d’origine juive européenne dont la mémoire trempe encore dans les pogroms et l’actualité de l’époque.



1938. Savoy Ballroom, au programme Chick Webb et Ella, Count Basie et Billie HolidayMais on ne peut réduire ses débuts sur scène à cette seule chanson. Ella fait son apprentissage de la scène jazz avec d’autres formations dès 1936 comme celles de Teddy Wilson (1912-1986, pianiste également aux côtés de Billie Holiday), ou du célèbre clarinettiste et chef d’orchestre Benny Goodman (1909-1986) qui propose à cette époque le premier concert mixte au Carnegie Hall, et qui soutient par ailleurs la cause républicaine dans la Guerre d’Espagne. Les artistes les plus réputés, comme Mary Lou Williams, Duke Ellington, Benny Carter, Billie Holiday et beaucoup d’autres, remarquent immédiatement son talent, et Ella intègre à sa manière, très réservée et très admirative des autres, cet environnement d’excellence où se déroulera sa carrière.


Chick Webb and His Orchestra, Ella Fitzgerald, Savoy Ballroom



Ella dirige très vite ses propres petites ou moyennes formations, selon les lieux et les occasions, comme «Ella Fitzgerald and Her Savoy Eight» (1936-1939), émanations réduites de l’orchestre de Chick Webb, dans lesquelles Ella forge son caractère de meneuse d’orchestre, une responsabilité moins facile pour une femme comme on peut s’en douter. Elle se familiarise avec les studios d’enregistrement.

C’est avec l’orchestre de Chick Webb qu’Ella effectue son premier voyage sur la Côte Ouest en 1938, un Ouest encore ségrégationniste, où Ella subit la première épreuve aussi marquée du racisme, préparation aux tournées dans le Sud.


Ella Fitzgerald, New York, 1940


Le décès de Chick Webb, à 29 ans, d’une tuberculose de la moelle épinière, le 16 juin 1939, a un retentissement important dans l’ensemble de la communauté musicale et à New York. Ella chante à cette occasion et fait pleurer une énorme assistance déjà émue. La disparition du batteur propulse Ella à la tête du Big Band. Elle le doit sans doute à sa popularité, son énergie; mais, à 22 ans, cela témoigne que sous la discrète Ella se cache une personnalité qui s’impose avec le soutien du public, déjà perceptible du vivant de Chick Webb. Le batteur n’hésite pas à installer Ella à ses côtés, en tête d’affiche, et le disque mémorial de Chick Webb, publié à sa mort, fait état de la présence d’Ella sur l’enveloppe-papier.

Ella préserve le big band, sous le nom de «Ella Fitzgerald and Her Famous Orchestra»,  jusqu’en 1941 (cf. discographie). Elle obtient son premier contrat à Hollywood, en juin 1941, où le big band effectue son dernier enregistrement, même si son existence se prolonge jusqu’à la fin de l’année.

 

 

Ray Brown, Ella Fitzgerald, Dizzy Gillespie, Downbeat Club, NYC, 1947 © William P. Gottlieb/Ira & Leonore Gershwin Fund Collection/Library of Congress
Ray Brown, Ella Fitzgerald, Dizzy Gillespie, Downbeat Club, NYC, 1947
© William P. Gottlieb/Ira & Leonore Gershwin Fund Collection/Library of Congress


Mario, Dizzy, John, Norman, Duke et les autres…

Les lendemains qui chantent

 


Le 30 avril 1939, s’ouvre la Foire internationale de New York, qui se termine le 31 octobre 1940, et la télévision y fait son apparition. Le 1er septembre 1939, la guerre est déclarée sur le Vieux Continent. En 1940, le Cotton Club, club ségrégué, ferme ses portes downtown. Il avait été transporté de Harlem à Broadway en 1936, à la suite des émeutes et devant la pauvreté devenue trop pesante pour le public chic, non sans avoir été la cause préalablement de nombreuses faillites de petits clubs afro-américains d’Harlem ne pouvant soutenir la concurrence. Le centre de gravité de la vie nocturne est descendu progressivement de 1935 à 1940 vers Broadway et la 52e Rue où Billie Holiday se produit parfois (Onyx Club), et Ella va l’écouter avec une profonde admiration et une vraie timidité bien qu’Ella soit depuis 1937 la chanteuse préférée des referendums de lecteurs dans la revue Down Beat. Il n’y a que Gunther Schuller pour douter du talent d’Ella Fitzgerald en ce temps. Grâce à la notoriété d’Ella, l’orchestre de Chick Webb franchit la ligne et se produit également downtown au Paramount Theater sur Broadway, et Ella y connaît un succès délirant.

Dans l’orchestre de Chick Webb, Ella a rencontré le trompettiste cubain Mario Bauzá (1911-1993, cf. Jazz Hot n°496), et tous deux rencontrent en octobre 1941 Dizzy Gillespie (1917-1993), dont on fête également en cette année 2017 le centenaire (cf. Jazz Hot, de nombreux articles et interviews rappellent son parcours). Ella et Dizzy ont en commun la passion et la pratique de la danse depuis leur plus jeune âge. Le bebop de Dizzy inspire le scat d’Ella, comme Mario Bauzá a inspiré la fibre cubaine de Dizzy, même si le principe du scat en lui-même est une pratique ancienne dans l’expression afro-américaine que Louis Armstrong comme Cab Calloway ont introduit et codifié très tôt dans le jazz.

Orpheum Theater, Los Angeles 1941


Après un mariage improbable en 1941 (d’une nuit, «à l’américaine»), annulé en 1942 ou 1943, Ella part à Hollywood pour participer au tournage du film Ride ’Em Cowboy, (réal. Arthur Lubin, avec Budd Abbott et Lou Costello). Elle y rencontre pour la première fois Norman Granz (1918-2001) qui organise depuis 1940 des concerts de jazz. Il loue le jour de fermeture le Trouville Club (Billy’s Berg), à Los Angeles, pour faire ses premiers pas dans l’organisation de concerts non ségrégués, faisant de ce combat social un moteur essentiel de toute son œuvre d’agent artistique. Norman Granz est incorporé en 1941 et sera libéré en 1943 pour raison médicale.

La rencontre entre Ella et Norman Granz est sans doute l’événement majeur de leur vie d’artiste et de producteur, même si elle prend tournure plus tard, en 1947-48. Ella et Norman vont rester liés indissolublement jusqu’à la disparition de la chanteuse, quatre années avant celle du producteur, son agent et le défenseur inlassable de la dignité humaine. Car l’engagement «politique» et humaniste de Norman Granz explique en grande partie la force de son engagement, le concept du JATP, les combats de Norman Granz, la nature même de la carrière d’Ella Fitzgerald, son intelligence entre reconnaissance, dépassement de la ségrégation et création artistique. Norman Granz a contribué, sans aucune sorte de doute, autant à la reconnaissance du jazz sur toutes les grandes scènes du monde qu’à celle du droit à l’égalité des Afro-Américains, par le biais des artistes et des concerts mixtes dans le monde et aux Etats-Unis. Les artistes eux-mêmes ont contribué par leur talent et par leur complicité, avec Norman Granz mais pas seulement, à cette œuvre humaniste de Norman Granz et plus largement du jazz, en tant que modèle de civilisation: the jazz spirit. Martin Luther King n’en a jamais douté et a englobé cette force artistique dans son combat.

Le 7 décembre 1941, le Japon attaque Pearl Harbour et les Etats-Unis entrent en guerre. La fin du big band d’Ella et la mise entre parenthèses des grands orchestres trouvent dans cette réalité historique une explication suffisante.

1943. Affiche promotionnelle, Ella à l’Apollo Theater et au Zanzibar

En 1943, Ella revient à New York, revoit Duke Ellington dont elle est familière depuis la fin des années trente, et chante à Times Square au Zanzibar: Harlem a subi les dommages économiques de la crise, de la fin de la prohibition, des émeutes et maintenant de l’entrée en guerre. Peu de clubs et dancings ont survécu. Dizzy Gillespie travaille quelques temps dans l’orchestre d’Ella. De 1942 à 1944 , la grande grève des enregistrements de l’American Federation of Musicians, sous la houlette de James Caesar Petrillo2, perturbe fortement la production de disques. La revendication est d’obtenir des droits d’auteur sur les enregistrements pour les musiciens face aux maisons de disque qui ont connu un développement économique spectaculaire. La grève sera reconduite en 1948. Pendant la guerre, peut-être en raison de la grève des musiciens, Ella inaugure les rencontres enregistrées avec des quartets vocaux (Four Keys, Ink Spots, Delta Rhythm Boys).

Lors de tournées dans le Sud, Ella, comme l’ensemble des musiciens afro-américains, continuent de subir les traditionnelles vexations liées au racisme, voire la violence la plus directe. Ella participe également dans cette période assez souvent aux spectacles pour l’armée américaine. A New Orleans, Ella croise John Hammond qui organisait, dans le cadre de son devoir militaire, le recrutement pour les spectacles aux armées. Elle se plaint à lui aussi bien du racisme que des conditions d’accueil, toujours ségréguées et sordides, même à New Orleans. John Hammond, libéré à la fin de la guerre, tentera de sortir Ella des griffes de Moe Gale et Decca, en proposant un bien meilleur contrat, mais Decca s’y oppose.

Avec la fin de la guerre, beaucoup de musiciens reviennent sur le marché et sur la scène, et la musique connaît un nouvel essor avec les nouveaux modèles de juke-box plus performants et les émissions musicales de radios qui fleurissent comme les labels indépendants spécialisés dans le jazz, dans la foulée de la fulgurante intuition de Charles Delaunay (Swing, 1937, Paris), des Milt Gabler (Commodore, 1938, New York), Alfred Lion, Max Margulis et Francis Wolff (Blue Note, 1939, New York) d’avant-guerre. Suivent Savoy (Herman Lubinsky, 1942, Newark, NJ), puis après-guerre Mercury (Irving Green, Berle Adams, Ray Greenberg, Arthur Talmadge, 1945, Chicago), Dial (Ross Russell, 1946, Hollywood, CA), Atlantic (Ahmet Ertegün et Herb Abramson, 1947, New York), Clef, Norgran, Verve (Norman Granz, 1947, 1954, 1956, Los Angeles), NewJazz-Prestige (Bob Weinstock, 1949, New York), Contemporary (Lester Koenig, 1951, Los Angeles), Pacific Jazz (Richard Bock et Roy Harte, 1952, Los Angeles), Riverside (Orrin Keepnews et Bill Grauer, 1953, New York), Impulse! (Creed Taylor, 1960, New York)… Une telle explosion d’énergie et d’indépendance, à côté des habituelles grandes compagnies qui développent des départements jazz, explique aussi le tour euphorique que vont prendre dans l’après-guerre la production discographique de jazz (y compris sur le plan de la fabrication: cover art, textes de pochettes…), la créativité des artistes, le développement des scènes du jazz, les clubs aussi bien que les concerts et les festivals dans un second temps, et sur toute la planète, expliquant ainsi un âge d’or du jazz, par la conjonction de beaucoup d’éléments et d’évènements de toute nature que nous avons rapidement évoqués ici.

1947. Detroit, Dizzy Gillespie and His Orchestra plus Ella Fitzgerald

C’est à l’occasion de joyeuses tournées avec l’orchestre de Dizzy Gillespie en 1946, qu’Ella rencontre le contrebassiste Ray Brown (1926-2002). Le 29 septembre 1947, ils font ensemble un concert mémorable au Carnegie Hall. Ella et Ray seront mariés de 1947 à 1952. Ils achètent une maison à St. Albans dans le Queens. Ils adoptent le fils de Frances, baptisé Ray Brown Jr., né le 13 octobre 1949 à New York City: il est confié aux bons soins de Tante Virginia car les concerts et tournées du JATP de Norman Granz, qu’Ella a intégré il y a peu, commencent à prendre de l’ampleur; sa cousine Georgiana Henry est son assistante sur ses tournées, son factotum, cuisine comprise. A l’automne 1948, Ella et Ray partent au Royaume-Uni sur le Queen Mary; Ella conquiert Glasgow puis Londres et découvre de nouveaux publics.

Aux Etats-Unis, les shows TV (NBC et CBS), malgré la ségrégation, invitent de plus en plus souvent des artistes afro-américains dont Ella Fitzgerald. Parmi les plus emblématiques: The Ed Sullivan Show (1948-1971), The Frank Sinatra Show (1950-1967), The Dinah Shore Show (1951-1981), The Bing Crosby Show (1954-1977), The Nat King Cole Show (1954-1957), The Perry Como Show (1954-1974), The Tonight Show (depuis 1954), The Andy Williams Show (1962-1971), The Dean Martin Show (1965-1974)… cf. Ella on TV.

En 1953, Ella part de St. Albans pour aller habiter avec Ray Brown Jr. un quartier classe moyenne à Los Angeles où était installé le JATP. C’est aussi l’année d’un premier voyage au Japon avec le JATP de Norman Granz.

En juillet 1954, il ne fait toujours pas bon être une «colored star» pour monter à bord de la Pan Am Airways qui fait rater à Ella une partie des concerts à Sydney en Australie organisés par le producteur Lee Gordon. Norman Granz ne lâche pas Pan Am, et il gagnera contre la compagnie le procès pour discrimination raciale fait au nom de plusieurs musiciens. Toujours en 1954, naît le Newport Jazz Festival dans le très chic Rhode Island: un choc des cultures, mais aussi la rencontre enfin des deux Amériques, sous l’égide de George Wein et Norman Granz, qui reprend l’idée des festivals mise en œuvre par Charles Delaunay à Paris (1949-1954), par Hugues Panassié à Nice (1948).

En 1955, une arrestation arbitraire collective de tous les présents pour «jeux illicites» dans la loge d’Ella se termine par une libération rapide; Norman Granz continue à rendre juridiquement coup pour coup.

En mars 1955, Ella, aidée par la pression de Marilyn Monroe sur le patron du club, réussit à chanter au Mocambo, nightclub ségrégué d’Hollywood.

 


Voici un lien pour parcourir sur internet une sélection de belles photos d'Ella Fitzgerald et Norman Granz en particulier, mais également d'Ella avec Louis Armstrong, Duke Ellington, Lionel Hampton, Nat King Cole et bien d'autres…

 

L’âge d’or d’Ella Fitzgerald

The Norman Granz Era

 

1953. Jazz at the Philharmonic, Paris

En 1954 et 1955, Ella réussit à quitter successivement son agent «historique» Moe Gale (depuis 1934), la compagnie Decca et Milt Gabler, son manager depuis 1941, pour n’avoir plus qu’un manager, Norman Granz qui vient de créer Norgran, puis Verve Records. Norman Granz, inspiré par la création de labels indépendants, par la remarquable réussite chez Decca des enregistrements en duo avec Ellis Larkins, où Ella et Ellis illuminent la musique de George Gershwin, par ses propres enregistrements d’Art Tatum explorant le Song Book américain, imagine déjà les grandes lignes de sa collaboration avec Ella… et de son projet humaniste. Norman Granz a en tête de documenter cette période prolifique qu’il vit en producteur de disques et de concerts; plus, d’apporter son savoir-faire et sa conviction pour permettre de dynamiser la création dans le jazz, le sortir du carcan de la ségrégation pour l’imposer aux Etats-Unis en le faisant reconnaître par le monde.


1956-64. The Complete Song Books, Verve

La musique populaire américaine s’est constituée en un demi-siècle un patrimoine conséquent avec notamment les Otto Harbach (1873-1963), Jerome Kern (1885-1945), Irving Berlin (1888-1989), Cole Porter (1891-1964), Lorenz Hart (1895-1943), Oscar Hammerstein II (1895-1960), George et Ira Gershwin (1898-1937 et 1896-1983), Hoagy Carmichael (1899-1981), Kurt Weill (1900-1950), Richard Rodgers (1902-1979), Dorothy Fields (1905-1974), Harold Arlen (1905-1986), Johnny Mercer (1909-1976), Sammy Cahn (1913-1993), tous contemporains de cette première moitié du XXe siècle. Ils sont le socle du grand Song Book américain que vont dynamiser, réinventer le couple Norman Granz-Ella Fitzgerald de 1956 à 1989, avec plus ou moins de réussite quant à l’environnement, mais toujours avec le total engagement d’Ella Fitzgerald et des trésors d’imagination de Norman Granz pour tout rendre possible. Norman Granz reconduit partiellement l’expérience avec d’autres artistes dont il est l’agent (Oscar Peterson). Il est l’un de ceux qui a le mieux perçu le caractère exceptionnel de cet âge d’or du jazz et du patrimoine populaire américain qu’il continuera à mettre en valeur de toutes ses forces jusqu’à son label Pablo des années 1970-1980.

1955 est encore l’année du premier enregistrement avec André Previn (Andres Ludwig Priwin, né à Berlin en 1929), pianiste, compositeur et chef d’orchestre classique, à l’américaine, c’est-à-dire qu’il n’hésite pas à faire intervenir des musiciens de jazz aux côtés de musiciens classiques sur des plateaux de concerts, de studios ou de télévision. Il a une activité importante de compositeur de musique de films. Il a pour Ella une sincère admiration musicale, et cette fidélité réciproque va durer jusqu’au décès d’Ella. Ella et André Previn vont enregistrer en 1983 une belle relecture de George Gershwin en trio (cf. discographie).


1956. Jazz at the Hollywood Bowl


1956 est une année exceptionnelle pour Ella: Norman Granz organise un immense concert «At the Hollywood Bowl» avec 110 musiciens devant 22000 spectateurs (cf. discographie, Jazz at the Hollywood Bowl). Ella et Norman étendent leurs projets à des rencontres au cœur de la tradition du jazz pour Ella Sings the Duke Ellington Song Book (1956-57) enregistré avec l’Orchestra de Duke; pour une première rencontre enregistrée avec Count Basie and His Orchestra; avec Louis Armstrong (Ella and Louis, 1956), prolongeant une rencontre déjà entamée depuis 1946, mais ici sur des thématiques car le nouveau format des 33t LP (Long Play) qui s’impose dans les années 1950 permet de véritables œuvres discographiques, comme Porgy and Bess de George Gershwin par Louis et Ella (1957), et favorise cette construction pour les disques de jazz en général et pour le projet des Song Books. Concerts enregistrés ou enregistrements de studio, avec Louis, Duke, Basie et grands orchestres à cordes (Buddy Bregman) établissent Ella Fitzgerald comme une diva dont le rayonnement est désormais universel sans qu’elle ait renoncé à une once d’authenticité. C’est encore en cette année qu’Ella et Oscar Peterson réalisent leur premier enregistrement ensemble.

1956. JATP at Hollywood Bowl, Ella & Duke and others

Norman Granz a le mérite d’offrir aux artistes de Jazz at the Philharmonic (JATP), Ella la première, les meilleures conditions du développement de leur expression (conditions de voyages, d’hébergement, grandes scènes, comme d’enregistrement, de répétition), presque sans limite si on veut bien considérer la situation générale de l’Afro-Amérique dans ces années d’après-guerre, pour en faire des vedettes internationales incontournables y compris dans leur propre pays. Dans cette brèche, se sont rués  nombre de labels, d’organisateurs de spectacles indépendants qui desserrent l’étau de la ségrégation. En offrant aux artistes de la nouvelle génération, afro-américains et pas seulement, une exposition de qualité auprès d’un public international, les artistes comme Ella, les producteurs indépendants comme Norman, installent les conditions du renouvellement du jazz grâce également à l’indépendance de son économie. Dans cet âge d’or, malgré le climat tendu de la société américaine des années 1950 (lutte pour les droits civils, maccarthysme, guerres froides ou réelles, racisme), il n’est question pour le jazz que de création, toujours originale, dans un climat collectif d’émulation d’une rare vigueur.

Car la lutte pour les droits civiques s’intensifie grâce à la structuration du mouvement par Martin Luther King (1929-1968) et ses compagnons de lutte, avec la déségrégation des bus suite aux boycotts des lignes (Rosa Parks, Montgomery, Alabama, 1955), avec l’envoi de 1000 soldats fédéraux dépêchés pour faire respecter la déségrégation scolaire décidée par la Cour Suprême en 1954, et sécuriser l’entrée de neuf étudiants afro-américains à la Central High School de Little Rocks, Arkansas qui compte 2000 étudiants. Il y a d’autres épisodes épiques (Washington, 1963) et tragiques (Memphis, 1968) de cette (longue) Marche vers l’égalité, toujours pas terminée en 2017.

La lutte se mène aussi dans les clubs «sélects» ségrégués des grandes villes où, entre autres, Ella, Count Basie, Louis Armstrong, Ray Charles, Duke Ellington, Billie Holiday et bien d’autres artistes afro-américains forcent l’entrée en raison de leur talent et de leur notoriété, maintenant internationale grâce à Norman Granz. La communauté artistique et intellectuelle mondiale appuie cette ouverture, autant sur les scènes musicales que pour le cinéma et l’ensemble des arts et des lettres. Car les artistes de jazz sont reconnus sur toute la planète, et fêtés notamment en Europe et à Paris qui reçoit aussi les intellectuels et artistes afro-américains au Congrès de la Sorbonne en septembre 1956; les digues racistes commencent à se fissurer aux Etats-Unis, et la Maison Blanche honore dès cette période ses artistes de jazz, promus au rang «d’ambassadeurs».


A partir de 1957, Norman Granz maintient les concerts-tournées du JATP, commencées en 1944, exclusivement en dehors des Etats-Unis en raison des actes racistes parfois dangereux pour les artistes car la mixité du JATP est devenue une obsession pour les activistes racistes et les tournées sont parfois mouvementées. Cette même année, Norman Granz regroupe ses labels chez Verve; Duke Ellington, Billy Strayhorn et l’Orchestra enregistrent «A Portrait of Ella Fitzgerald», hommage sans équivoque, sous la forme d’une suite en quatre mouvements dédiée à celle dont le Duke dit sobrement: «Ella Fitzgerald est hors catégorie.»


1958. Leeds  1958. Zurich  1959. Los Angeles   1959-61. Ella Fitzgerald au Basin Street, New York


Les concerts, les tournées planétaires, les documentaires, les shows TV et publicitaires s’enchaînent à un rythme effréné, parfois enregistrés, toujours avec cette qualité artistique extrême d’une Ella en état de grâce, investie corps et âme dans son œuvre (Live at Mister Kelly’s, 1958). Cette année-là, Ella est hospitalisée pour la première fois. La discographie témoigne de nombreux enregistrements en live de tournées européennes et aux Etats-Unis, publiés chez Verve pour la plupart car Norman Granz veille, ou publiés seulement de nos jours pour certaines dates (Amsterdam, Berlin, Paris…) par ceux qui ont déjoué sa surveillance.


1960. Bruxelles  1963. London  1964. Bristol


1960. The JATP Tour, Ella Fitzgerald sur l'affiche


Norman Granz est aussi fatigué de se battre dans une Amérique malsaine, paranoïaque, malade du racisme, de la guerre froide et de la chasse aux sorcières (Charlie Chaplin est rentré en Europe dès septembre 1952). Norman s’installe à Genève en 1959 et vend Verve à la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) en 1960, ou tout au moins une partie de l’activité de son catalogue car il continue à produire les enregistrements d’Ella.  Ella fait une tournée au printemps 1959 avec le pianiste Ray Bryant (1931-2011).



1961. Israël


Ella qui possède déjà une maison à Los Angeles, achète en 1960 une petite maison à Copenhague au Danemark qu’elle revendra en 1963. Pendant cette période, quelque peu incertaine, elle est peut-être mariée à un Scandinave, et sera sans doute bailleur de fonds peu de temps avec Norman Granz et un partenaire suédois du Jazzhus Montmartre de Copenhague, autre terre d’accueil des musiciens américains qui arrivent de Paris. Le mystère et les rumeurs continuent leur chemin.

Le 28 août 1963, Martin Luther King conduit la Marche pour les droits civiques à Washington («pour les emplois et la liberté») où il prononce son célèbre discours «I Have a Dream» devant le Lincoln Memorial. En 1965, Malcolm X est assassiné.

Norman Granz organise, Ella voyage et travaille beaucoup, produisant de nombreux chefs-d’œuvre (Ella in Berlin: Mack the Knife, 1960, Ella in Hollywood, 1961, Rhythm is My Business, 1963), alternant avec la poursuite des Song Books ou d’autres albums en compagnie de grands orchestres à cordes, de moindre qualité artistique, avec Nelson Riddle, mais l’installant durablement dans les médias comme «First Lady» of jazz ou of song selon le moment ou le lieu.

1962. Ella Fitzgerald et Oscar Peterson à l'affiche du JATP Tour de 1962, Ella & Oscar à Hambourg


1970. Ella & Basie

En 1963, la rencontre de Count Basie et de son big band est le temps fort. Ella et Count ont tout pour s’entendre, et notamment un attachement au blues, à la danse et au swing. Ils se connaissent depuis les débuts d’Ella, et s’ils ont déjà enregistré ensemble à l’occasion d’un live, c’est la première session organisée. De cette rencontre, va naître une complicité qui ne s’éteint qu’avec la disparition du Count en 1984, après la production des enregistrements (Ella & Basie, 1963, Jazz at Santa Monica, 1972, A Classy Pair, 1979, A Perfect Match, 1979). Dans un autre registre que Duke Ellington, l’intelligente Ella entraîne le Count Basie Orchestra dans un monde déjà familier avec son drive de chanteuse de blues.

1966. Ella Fitzgerald & Duke Ellington, Los Angeles

Ella découvre Juan-les-Pins en 1964, et y revient en 1966 avec l’Orchestra de Duke Ellington, en passant par la Suède, pour des enregistrements historiques où tout est en harmonie: la musicalité de la diva se combinant avec la richesse des arrangements de l’Orchestra du Duke. Ella et Duke, c’est encore une longue complicité, dès les débuts de la chanteuse, et c’est une admiration réciproque de deux artistes investis dans une grande œuvre qui n’est pas sans similarité par leur conception au long cours et leur cohérence.



1967. Ella & Duke, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts

Dans ses nombreuses tournées, Ella est souvent accompagnée de petites formations, un trio voire un quartet avec guitare, parfois de all stars avec Roy Eldridge, Eddie Lockjaw Davis, Jo Jones, Harry Sweets Edison, Hank Jones, Oscar Peterson, Benny Carter, Mickey Roker, Louie Bellson, Clark Terry. Lou Levy, Paul Smith, Tommy Flanagan, Keter Betts, Gus Johnson, Freddie Waits, Bobby Durham, sont parmi les accompagnateurs réguliers d’Ella. Il faut se reporter à la discographie pour constater la richesse de ses formations, et comprendre l’excellence d’un jazz sans aucune complaisance.



1968. HongrieJoe Pass, le virtuose et sensible guitariste, est l’une des histoires particulières d’Ella, une de ses rencontres les plus régulières de ses albums chez Pablo de la dernière partie de sa carrière, autant dans des all stars qu’en duo (Take Love Easy, 1973, Fitzgerald & Pass… Again, 1976, Speak Love, 1983, Easy Living, 1986). Ella a très tôt apprécié la guitare et Barney Kessel évoque avec gourmandise les petits moments informels où, au cours des tournées du JATP, Ella chantait avec son simple accompagnement acoustique ou parfois le contre-chant de Lester Young et de Roy Eldridge. Même dans les Songs Books figurent parfois un morceau où la voix d’Ella se contente des harmonies d’un guitariste ou d’un pianiste. L’épure de l’accompagnement de la seule guitare souligne la richesse harmonique et le pouvoir rythmique de la voix d’Ella, la puissance de son imagination et de son expression.

Oscar Peterson ne la quitte jamais vraiment depuis le début des années cinquante, et les enregistrements de légende avec Louis Armstrong, puis en 1957 à l’Opera House de Chicago et à Los Angeles. On le retrouve encore avec Ella pour les enregistrements chez Pablo des années 1970, dont Ella and Oscar de 1975, avec Ray Brown également, car Ray Brown continue d’être un fidèle des rendez-vous de la chanteuse jusqu’à son dernier enregistrement, All That Jazz, chez Pablo en 1989.

1969. Festival International de Jazz de Montreux


Les trente dernières années de la vie d’Ella se sont faites à un rythme moins intense, malgré encore de nombreuses tournées, car en 1965, Ella a été de nouveau obligée d’arrêter de travailler pour la seconde fois depuis 1957. En 1967, MGM ne renouvelle pas le contrat d’Ella qui vagabonde, toujours sous le regard bienveillant et attentif de Norman Granz, entre plusieurs labels jusqu’en 1972.
Le 4 avril 1968, Martin Luther King a été assassiné, et cette même année, alors que les mouvements étudiants et contre la guerre au Vietnam se déchaînent aux Etats-Unis et en Europe, Norman Granz décide de reprendre le collier, vend sa collection de peintures pour financer la reprise de ses activités de producteur de concerts et de disques.

En 1971, Ella, très affectée par la mort de Louis Armstrong, est opérée de son œil droit; à l’été 1972, ce sera de son œil gauche. Juste avant, le 2 juin 1972, elle a participé au prestigieux concert organisé par Norman Granz pour son «retour  au jazz», au Santa Monica Civic Auditorium en Californie où se retrouvent les affidés du JATP et dont l’enregistrement est directement lié à la création du nouveau label de Norman Granz, Pablo (en hommage à Pablo Picasso). Sur ce label, Norman Granz recommence à enregistrer Ella en live, à Montreux souvent, et en studio.

1976. Ella Fitzgerald, avec le trio de Tommy Flanagan, Roy Eldridge et Joe Pass

Tout au long des années soixante-dix et quatre-vingt, Ella continue tournées et enregistrements pour Pablo, et parachève son œuvre enregistrée  tout en continuant d’apporter à un public international sa présence familière aux côtés des fidèles Tommy Flanagan, Joe Pass, Count Basie, Eddie Lockjaw Davis, Roy Eldridge, Ray Brown, André Previn, Oscar Peterson, Clark Terry…

En 1981, Ella est invitée par le Président Reagan à chanter à la Maison Blanche. C’est cette même année qu’Ella consacre son dernier Song Book à Antonio Carlos Jobim (Ella Abraca Jobim), car la musique du compositeur brésilien est l’une de ses passions déjà honorée à plusieurs reprises (cf. discographie). Entourée d’un all stars américano-brésilien (Clark Terry, Zoot Sims, Joe Pass, Oscar Castro-Neves…), où est présent Toots Thielemans; Ella se fait plaisir.
En 1982, elle enregistre un dernier album en compagnie de Nelson Riddle, chez Pablo (The Best Is Yet to Come), peut-être un clin d’œil plein d’humour à cette partie de son œuvre qui n’est pas la plus jazz mais témoigne d’une fidélité à toute épreuve à l’arrangeur célèbre qui a contribué à lui ouvrir tant de grandes scènes internationales et américaines.
En 1983, c’est la délicieuse rencontre autour de George Gershwin, déjà évoquée, enregistrée avec André Previn, en présence de Niels-Henning Ørsted Pedersen (Ella Fitzgerald and André Previn Do Gershwin). Le grand chef est amoureux de l’art d’Ella devant laquelle il est parfois balbutiant comme dans cette interview télévisée qu’il réalise lui-même que vous pouvez retrouver sur le net (cf. Ella sur la toile).

Le 6 octobre 1989, entourée de nombreux artistes américains, Ella a fêté le centenaire du Moulin-Rouge au profit des œuvres humanitaires de Danielle Mitterrand; en mars 1990, elle chante au Royal Albert Hall et au Grosvenor House Hotel à Londres.
Ella a été hospitalisée plusieurs fois depuis 1985, et elle se produit pour la dernière fois au Carnegie Hall en 1991.

En 1993, Ella est amputée des deux jambes et devient aveugle sous l’effet du diabète. Elle s’éteint paisiblement, entourée de son fils et de sa petite fille, à son domicile de Beverly Hills, le 15 juin 1996 à 79 ans. Elle repose au cimetière d’Inglewood Park de Los Angeles.
Le mystère d’Ella Fiztgerald reste entier, car le seul vrai mystère, c’est la perfection de son art! C’est ce que nous vous proposons de découvrir dans les pages qui suivent…

*

1. Selon Stuart Nicholson. Jim Haskins, lui, place ce récit de la première scène «vocale» d’Ella à l’Harlem Opera House (209, 125e Rue West), théâtre construit par Oscar Hammerstein à la fin du XIXe siècle, avant un autre concours parmi beaucoup à l'Apollo. C'est lors d’un de ses concours d’amateur, qu’Ella dominait régulièrement, que Benny Carter la remarqua: «Il y avait cette jeune fille d'environ 15 ou 16 ans avec un talent étonnant. Ce qu’elle avait, c’était un goût très sûr, cela sautait aux yeux. Elle était également honnête, avec un style bien à elle. Peut-être y avait-il quelques légères traces de Connee Boswell, mais elle ne copiait personne. Je savais qu’elle était exceptionnelle et les années m’ont prouvé que j'avais raison.» L’oreille de Benny Carter est en effet l'une des plus expertes (cf. David Hinckley, «Ella, the Object of their affection», New York Daily News, 12 février 1990). Benny Carter recommanda très rapidement Ella à plusieurs orchestres dont celui de Fletcher Henderson (il fut soutenu par John Hammond), et tenta lui-même de l'engager à la fin de la période du Chick Webb Orchestra. Benny Carter joua et arrangea pour Ella Fitzgerald plus tard (cf. discographie).

2. James Caesar Petrillo (1892-1984) a été président de l’American Federation of Musicians, un syndicat de musiciens professionnels aux Etats-Unis et au Canada de 1940 à 1958. Né à Chicago, Illinois, trompettiste, il s’est dirigé vers la défense syndicale des musiciens en 1919. Il déclencha la grève des enregistrements de 1942 à 1944, puis en 1948, pour obtenir que les musiciens puissent toucher des droits d’auteur sur les enregistrements. Son opposition à la fusion des syndicats de musiciens euro-américains et afro-américains serait la source de son éviction en 1958.


Site: www.ellafitzgerald.com


JAZZ HOT et ELLA FITZGERALD

Jazz Hot n°132Jazz Hot n°197Jazz Hot n°229

JAZZ HOT N° 73 (janvier 1953)

JAZZ HOT N° 132 (mai 1958)

JAZZ HOT N° 197 (avril 1964)

JAZZ HOT N° 229 (mars 1967)

JAZZ HOT N° 402 (juillet-août 1983)

JAZZ HOT N° 403 (septembre 1983)

JAZZ HOT N° 502 (juillet-août 1993)

JAZZ HOT Spécial 95 (décembre 1994)

JAZZ HOT N° 533 (septembre 1996) 

JAZZ HOT N° 682 (hiver 2017-2018) en libre accès


Dans les Jazz Hot n°363-64 (été 1979) et n°366 (octobre 1979), se trouve une longue et intéressante interview de Norman Granz réalisée par Laurent Goddet, une rencontre très tendue qui décrit assez bien la lassitude de Norman Granz face aux Etats-Unis, face à la critique de jazz, plus générationnelle et de mode que de culture, avec de part et d’autre beaucoup de préjugés, et plus chez Laurent Goddet que chez Norman Granz, mais surtout un manque de maturité certain chez Laurent Goddet qui, enferré dans ses perceptions esthétiques qui diffèrent de celles de Norman Granz pour des raisons de génération, de progressisme obligé, ne perçoit à aucun moment qu’il a en face de lui un des grands acteurs du jazz et plus largement de la lutte pour l’égalité entre Américains de toutes les origines. Méprise totale, car, par ailleurs, Laurent Goddet s’élève contre la condition faite aux Afro-Américains. Ce débat renvoie également à l’actualité entre visions universalistes des premières générations et visions communautaires nées après 1968. Ce que dit Norman Granz de la critique de jazz peut sembler parfois très raide, voire provocateur, mais au fond Norman explique encore bien le malentendu autour de beaucoup d’artistes, même les plus connus, dont la critique a souvent fait des caricatures par mode, goût du sensationnel, par apparence, par jeunisme ou par esprit de système, à s’attacher au superficiel plutôt qu’à l’œuvre et à la culture. Ces remarques sont particulièrement fondées pour le cas d’Ella Fitzgerald, d’Erroll Garner et de nombreux autres artistes moins connus mésestimés pour raison de génération, de mode ou «d’air du temps».
Norman Granz, amateur d’art comme Charles Delaunay ou Alfred Lion, n’a jamais conçu le jazz comme une course inéluctable vers le progrès dans un déroulement historique linéaire, mais comme le cadre d’une expression artistique, d’une valeur éternelle et universelle. Il a conscience d’avoir vécu et participé à un âge d’or de cette expression, de s’être durement battu pour les artistes et contre les préjugés racistes, et face à ces questions très infantiles parfois (sur le fait qu’un grand artiste puisse trop produire), il ramène les prétentions de Laurent Goddet sur les nouvelles générations de musiciens à de plus justes proportions, même parfois avec injustice, par esprit de provocation (à propos de Charles Mingus). Norman Granz en 1979 a tellement fait qu’on peut concevoir son agacement de certaines questions ou affirmations. Cela dit, la transcription par Laurent Goddet de ce débat plutôt hot, permet aujourd’hui d’apprécier la nature d’un différend qui n’a d’ailleurs pas beaucoup évolué pour ce qui est de la critique même s’il est beaucoup plus hypocrite aujourd’hui.


A LIRE

Alain Lacombe
• Alain Lacombe
   Ella Fitzgerald
   Editions du Limon, Montpellier, France, 1988, 206p

   https://www.editionsparentheses.com/ella-fitzgerald


Jim Haskins
• Jim Haskins
   Ella Fitzgerald, Une vie à travers le jazz
   Filipacchi, Paris, France, 1992, 243p



Stuart Nicholson
• Stuart Nicholson
   Ella Fitzgerald, A Biography of the First Lady of Jazz
   Da Capo Press, New York, NY, Etats-Unis, 1995, 334p
  http://www.dacapopress.com/book/ella-fitzgerald/9780306806421


Leslie Gourse
• Leslie Gourse
   The Ella Fitzgerald Companion, Seven Decades of Commentary
   Schirmer Books/Simon & Schuster Macmillan, New York, NY, 1998, 217p



Katherine E. Krohn
• Katherine E. Krohn
Ella Fitzgerald: First Lady of Song
Série A Lerner Biography (Prix Carter G. Woodson Book Award), Lerner Publications
Minneapolis, Minnesota, Etats-Unis, 2001, 109p


Tanya Lee Stone


• Tanya Lee Stone
   Ella Fitzgerald,
   Série Up Close, Viking/Penguin Books Ltd, Londres, Royaume Uni, 2008, 203p

   https://www.penguinrandomhouse.com/books/299218/ella-fitzgerald-by-tanya-lee-stone/9781440639111

 

Ted Harshorn, Norman Granz
• Tad Hershorn
   Norman Granz, The Man Who Used Jazz for Justice
   University of California Press, Berkeley, CA, USA, 2011, 472p
   www.ucpress.edu