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Au programme des chroniques
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• A • Ben Adkins • Ambrose Akinmusire • Joey Alexander • Jean-Paul Amouroux • Jean-Paul Amouroux (Plays Boogie Woogie Improvisations) • Arild Andersen • A.Z.III • B • Dmitry Baevsky • John Beasley • Marc Benham • Mourad Benhammou • Jean-Pierre Bertrand/Frank Muschalle • Big Noise • Ellen Birath • BLM Quartet • Bojan Z/Nils Wogram • Stefano Bollani • Claude Bolling Big Band • Itamar Borochov • Pierre Boussaguet • Brass Messengers • Claude Braud/Pierre-Louis Cas/Philippe Chagne/Carl Schlosser • Christian Brenner • Julien Brunetaud • Buddy Bolden Legacy Band • C • Frank Catalano • Caveau de La Huchette • Philippe Chagne/Olivier Defays • Esaie Cid • Classic Jam Quartet • Nat King Cole • George Coleman • The Cookers • Marc Copland • Laurent Coq/Walter Smith III • Laurent Courthaliac • Pierre Christophe • D • Renato D'Aiello • Steve Davis • George DeLancey • Raul de Souza • Bart Defoort • Roberta Donnay • Laura Dubin • Philippe Duchemin • Charl Du Plessis • Hubert Dupont • E • Echoes of Swing • Eli & The Hot Six • Teodora Enache/Theodosii Spassov • Jérôme Etcheberry/Michel Pastre/Louis Mazetier • Duane Eubanks • Bill Evans • Orrin Evans • F • Dominick Farinacci • Claudio Fasoli • The Fat Babies • Jean-Marc Foltz/Stephan Oliva • G • Georges V • Stan Getz • Sebastien Girardot/FélixHunot/Malo Mazurié • Macy Gray • Zule Guerra • Guitar Heroes • H • Rich Halley • Scott Hamilton/Karin Krog • The Harlem Art Ensemble • Heads of State • Eddie Henderson • Fred Hersch • Vincent Herring • Dave Holland/Chris Potter • Houben/Loos/Maurane • Sylvia Howard • I • Iordache • J • JATP • Jazz Cookers Workshop • Jazz de Pique • Jazz Ladies • Sean Jones • Nicole Johänntgen • Sweet Screamin' Jones/Boney Fields • K • Matt Kane • Olivier Ker Ourio • Lee Konitz • L • Stan Laferrière • Fapy Lafertin • François Laudet • Laura L • Olivier Le Goas • Dave Liebman/Richie Beirach • David Linx/BJO • David Linx/Paolo Fresu/Diederick Wissels • Jean-Loup Longnon • Ernán López Nussa • Harold Lopez-Nussa • Joe Lovano • M • Harold Mabern • Henry Mancini • Delfeayo Marsalis • Brad Mehldau • Don Menza • Bob Mintzer • Bill Mobley • Thelonious Monk • Andrea Motis • Moutin Factory Quintet • N • Yves Nahon • Fred Nardin/Jon Boutellier • New Orleans Roots of Soul • O • Oracasse • P • Emile Parisien • Yves Peeters • Madeleine Peyroux • Enrico Pieranunzi/André Ceccarelli/Diego Imbert • Michel Portal • Grégory Privat • R • Race Records • François Raulin/Stephan Oliva • Felice Reggio • Bernd Reiter • Herlin Riley • François Rilhac •
Olivier Robin • George Robert • Elijah Rock • Mighty Mo Rodgers • Sonny Rollins • Renee Rosnes • S • Nicola Sabato/Jacques di Costanzo • Daahoud Salim • Iñaki Salvador • Perico Sambeat • Christian Sands • Albert Sanz • Julie Saury • Andreas Schaerer • John Scofield • Jimmy Scott • Rhoda Scott • Trombone Shorty • Slavery in America • Wadada Leo Smith • Florent Souchet • Emil Spányi/Jean Bardy • Spirit of Chicago Orchestra • Al Strong • Dave Stryker • T • Claude Tchamitchian • Gonzalo Tejada • Jacky Terrasson/Stéphane Belmondo • Henri Texier • The Dime Notes • The New Orleans Jazz Vipers • Samy Thiébault • Romain Thivolle • David Thomaere • Tiberian/Bahlgren/Betsch • Mircea Tiberian/Toma Dimitriu • Claude Tissendier • Rémi Toulon • Sébastien Troendlé • Jean-My Truong • Steve Turre (Spiritman) • Steve Turre (Colors...) • U • Phil Urso • V • Ramón Valle/Orlando Maraca Valle • Ben Van Den Dungen • Vintage Orchestra • Miroslav Vitous • Aurore Voilqué • W • Terry Waldo • Ernie Watts • Randy Weston • Anne Wolf • Warren Wolf • Michael Wollny/Vincent Peirani
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Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2017
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Andrea Motis
Emotional Dance
He's Funny That Way, I
Didn't Tell Them Why, Matilda, Chega de Saudade, If You Give Them More Than You
Can, Never Will I Marry, Emotional Dance, You'd Be so Nice, La Gavina, Baby
Girl, Save the Orangutan, I Remember You, Senor Blues, Louisiana O Els Camps De
Coto
Andrea Motis (voc, tp),
Ignasi Terraza (p), Josep Traver (g), Joan Chamorro (b, ts, fl), Esteve Pi (dm)
+ Joel Frahm (ts), Warren Wolf (vib, marimba), Scott Robinson (bs), Joel Frahm
(ts), Perico Sambeat (ss, as), Cafe da Silva (perc), Gil Goldstein (acc)
Enregistré du 25 au 30
mars 2016, lieu non précisé
Durée: 1h 02' 26''
Impulse! 0602557317947 (Universal)
Andrea Motis
He's Funny That Way
He's Funny That Way, If You
Give Them More Than You Can, I Remember You
Andrea Motis (voc, tp),
Ignasi Terraza (p), Josep Traver (g), Joan Chamorro (b), Esteve Pi (dm) + Joel
Frahm (ts), Warren Wolf (vib), Scott Robinson (bs)
Enregistré du 25 au 30
mars 2016, lieu non précisé
Durée: 13' 27''
Impulse! 0602547485106 (Universal)
Andrea Motis, née en 1995 à Barcelone, a commencé à 7 ans la trompette
puis elle fut révélée dans le très swing Sant Andreu Jazz Band de Joan
Chamorro, au sax alto et surtout à la trompette, ce qui lui a donné très tôt
l'occasion de se frotter à des jazzmen d'expérience comme Pepe Robles, Wycliffe
Gordon, Bobby Gordon, Dick Oatts. C'est toute la différence de l'enseignement
de Chamorro –par rapport aux institutions dites de jazz d'Europe–, il y forme
des swingmen/women sur un partage avec les aînés. D'où la déception relative à
l'écoute de ce premier album d'Andrea Motis, chez Impulse!, dans lequel le
swing n'est pas toujours convié. De plus la chanteuse a, ici, pris le pas sur
la trompettiste, et nous avons déjà plus que beaucoup de jeunes chanteuses à la
voix charmante! On pourra donc se contenter du EP He's Funny That Way,
extrait de l'album Emotional Dance. Ce qui ne signifie pas que ce soit
mauvais. La voix d'Andrea Motis est bien sûr plaisante, mais il est exagéré de
la comparer à celle de Billie Holiday car il n'y a pas la charge émotionnelle
de Lady Day. Par contre, Andrea évoque bien Eddie Jefferson par sa façon de
phraser dans «Baby Girl» (en re-recording elle tient la trompette dans le
background). Notons que l'introduction au sax ténor de Joan Chamorro est un
délice d'expressivité et l'accompagnement d'orgue bien venu. C'est la meilleure
ballade de l'album. A l'inverse, «If You Give Them More Than You Can» composé
par Andrea Motis est soporifique et Perico Sambeat au soprano est d'un «modernisme»
convenu épouvantable (pire encore dans «Matilda»). Andrea Motis sauve le titre
avec son solo de trompette. Elle a aussi signé «Save The Orangutan», du pur
hard bop où tous les solos sont bons (Ignasi Terraza comme toujours, Motis,
Frahm). Trois titres sont chantés en catalan dont «La Gavina» avec le
coltranien Joel Frahm. Parmi les meilleurs titres: «He's Funny That Way»
(excellents solos de Terraza, Traver, Robinson, Motis), «Never Will I Marry»
(solos de Motis, Terraza superbe! Notons que Sambeat est plus supportable à
l'alto), «You'd Be so Nice» (belles prestations de Motis, Robinson qui font
aussi une alternative avec Esteve Pi) et «I Remember You» (bons solos de Wolf
et Motis). Ignasi Terraza qui est le meilleur soliste, est aussi le compositeur
d'«Emotional Dance», une jolie ballade. Andrea Motis, invitée en mai 2017 à la
Conférence de l'International Trumpet Guild, a une bonne sonorité charnue,
parfois au timbre un peu sombre comme un bugle, un phrasé jazz, un jeu sans
surcharges en notes et sans effets dans l'aigu. Si elle veut bien se concentrer
sur le jeu de trompette, nous tenons un beau talent.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz Ladies
1924-1962
Lil
Hardin Armstrong, Mary Lou Williams, Hazel Scott, Dorothy Donegan, Yvonne
Blanc, Barbara Carroll, Marian McPartland, Jutta Hipp, Lorraine Geller, Terry
Pollard, Patti Brown, Pat Moran, Toshiko Akiyoshi, Joyce Collins, Lovie Austin,
Dolly Jones, Blanche Calloway, Mills Cavalcade Orchestra, Valaida Snow, Melba
Liston, Mary Osborne, Clora Bryant, Kathy Stobart, Shirley Scott, Dorothy
Ashby, Vi Redd, Ina Ray Hutton, International Sweethearts of Rhythm, Hip
Chicks, Ivy Benton, Vivien Garry, Beryl Booker.
Enregistré
entre novembre 1924 et le 22 mai 1962, Chicago, New York, Londres, Hackensack,
Paris, Livingston, Los Angeles, Frankfurt, Boston, Camden, Stockholm, Hollywood
Durée:
3h 47' 37''
Frémeaux
& Associés 5663 (Socadisc)
Le livret nous affirme
qu'«à la ségrégation noir/blanc vient
s'ajouter celle homme/femme». C'est vrai, mais la seconde fut en art, la
plus marquée. La misogynie avait court d'égale manière dans les deux
communautés. Le texte peut laisser à penser que les difficultés des femmes
musiciennes ne se sont manifestées que dans les milieux jazz. Faux. On lira la
page 19 de ma préface au DVD-Rom Le Monde de la Trompette et des Cuivres,
où je soulève aussi, contrairement au texte du livret, la vraie question pour les
instrumentistes: existe-t-il une particularité expressive féminine? Cette bonne
compilation écarte les chanteuses qui n'eurent pas à souffrir de cette mise à
l'écart, sans doute parce que les timbres de voix et maniérismes amènent la
touche féminine qui n'existe pas chez l'instrumentiste. Nous nous félicitons de
trouver Dolly Jones, Valaida Snow, Clora Bryant (tp) et Melba Liston (tb).
Engagée par Dizzy Gillespie, cette dernière raconte dans To Be or Not to Bop la condition féminine (p. 402): «une fois
à New York, j'ai entendu des commentaires du genre; 'Bon Dieu, mais pourquoi
a-t-il fait venir de Californie un trombone femelle?'». Après que
l'orchestre ait déchiffré un arrangement de Melba: «Ils ont tous dit: 'C'est bien ce qu'a fait la petite mère, là'.
J'étais devenu la petite mère au lieu de la femelle». Voici les perles de
cette compilation. D'abord une entorse à la règle car Lil Hardin Armstrong
apparait comme chanteuse (Teddy Cole, p) dans «Doin' The Suzie-Q» où brillent
Joe Thomas (tp) et Chu Berry (ts).
Sinon le CD1 est
évidemment consacré aux pianistes. Mary Lou Williams est sous l'influence de
Willie Le Lion Smith dans «Swingin' for Joy». Hazel Scott démontre que femme et
swing vont bien ensemble dans «Embraceable You». Notons le solo de Charles
Mingus et l'alternative entre Hazel et Max Roach dans «The Jeep Is Jumpin'».
Dorothy Donegan donne un bon «Over the Rainbow» (1957) et Terry Pollard une
plaisante version de «Laura» (1955). Une des têtes de turc de Boris Vian était
Yvonne Blanc qui prouve avec ce «Limehouse Blues» qu'il avait tort (bons solos
de René Duchossoir, g et Arthur Motta, dm). Marian McPartland donne une belle
alternative avec Joe Morello dans «Four Brothers» tout comme Lorraine Geller avec
Bruz Freeman dans «Clash by Night». Le «Poinciana» de Lorraine Geller en solo
est bien. Entourée d'Ed Thigpen (dm) et Peter Ind (b), Jutta Hipp est excellente
dans «Horacio». Le travail de Roy Haynes (dm) et Oscar Pettiford (b) sert à
merveille Toshiko Akiyoshi dans «Pee, Bee and Lee». Le grand Frank Butler (dm)
est derrière Joyce Collins dans «Just in Time».
Le CD2 est consacré
aux instrumentistes divers, néanmoins il y a une chanteuse, Blanche Calloway (influence
d'Ethel Waters dans «Mosery») à la tête d'un bon big band (deux titres réédités
en Classics 783). On commence par les combos de Lovie Austin (titres réédités
en Classics 756), «Steppin' on the Blues» (Tommy Ladnier, cnt) et «Frog Tongue
Stomp» (j'avais déjà signalé que c'est Al Wynn et non Kid Ory, tb, et
probablement Jimmy Cobb, cnt). On n'est pas sûr que ce soit Dolly Jones
l'excellente cornettiste dans «That Creole Band» (et ce n'est pas Barney
Bigard, ss-ts). Elvira Rohl (tp) participe aux faces du Mills Cavalcade Orchestra
(solo un peu fragile dans «Rhythm Lullaby») avec un groupe vocal féminin. Deux
trompettistes-chanteuses connues sont là, Valaida Snow et Clora Bryant. Valaida
est bien entourée dans «High Hat, Trumpet and Rhythm» (Freddy Gardner, ts,
réédité en Classics 1158) et elle prend un solo de trompette fragile mais bien
senti dans «My Heart Belongs to Daddy» (réédité en Classics 1122). Des deux
titres de Clora Bryant, «This Can't Be Love» est le meilleur. Elle y prend un
solo solide qui ne la distingue en rien d'un collègue masculin. Dans «Mischevious
Lady» du quintet Dexter Gordon, excellent (réédité en Masters of Jazz 156),
Melba Liston est encore débutante et les progrès sont nets dans «My Reverie»
avec le big band Dizzy Gillespie (cf. supra) où elle vaut largement le niveau
d'un Slide Hampton. «The Throlley Song» par son ensemble de trombones (Bennie
Green, Al Grey, Benny Powell) est de premier ordre. Les deux titres de Mary
Osborne (g) en quintet sans souffleur (Tommy Flanagan, Danny Barker, Tommy
Potter, Jo Jones) sont d'un haut niveau. Kathy Stobart (ts) a un son pulpeux
dans «Gee Baby» (avec Humphrey Littelton) comme Lockjaw Davis dans un décapant «Land
of Dreams» avec l'organiste Shirley Scott, également remarquable en trio dans «All
of You». Comme le piano, la harpe est considérée comme un instrument pour les
femmes [sic]. Dorothy Ashby, harpiste pas très swing, est illustrée dans deux
titres, «Aeolian Groove» (Frank Wess, fl, Eddie Jones!, b, Ed Thigpen!, dm) et «With
Strings Attached» (Terry Pollard, vib). Nous avons connu Vi Redd (as, voc) en
vedette de Count Basie. Elle a un style bien venu, proche de celui d'Eddie
Vinson («If I Should Lose You», «I'd Rather Have a Memory Than a Dream» avec
Herb Ellis, g).
Le CD3 est dévolu aux ensembles féminins. Ina Ray Hutton et les
International Sweethearts of Rhythm laissent des films (disponibles sur YouTube). Le personnel de ces Melodears
de Hutton est imprécis (sax baryton, vibraphone). La même trompettiste
intervient avec classe en solo dans «Wild Party», «24 Hours in Georgia», «Witch
Doctor» de Hutton (Elvira Roth?). Cinq titres pour les Sweethearts c'est
justice. Même punch que tous les swing bands masculins de cette période
1944-45. En solo, l'extravertie et solide Tiny Davis (tp, née en 1909) et
surtout l'expressive Vi Burnside (ts, née en 1915: «Vi Vigor»!). «Striptease»
permet d'apprécier Marjorie et L'Ana Hyams (vib, ts) et surtout Jean Starr (tp,
ex-Sweethearts). Elle est une remarquable boppeuse, remarquée par Dizzy
Gillespie, comme le prouve «7 Riffs with the Right Women» (Vicki Zimmer!, p).
Rose Gottesman (dm) assure derrière Marjorie Hyams, Mary Osborne et Mary Lou
Williams dans «Conversation» (1946). Les trios de Mary Lou Williams et de Beryl
Booker ne méritent pas l'oubli. Gracie Cole, disciple d'Harry James s'illustre
dans l'orchestre de variétés d'Ivy Benson (as). Deux des meilleurs combos
féminins ont été retenus, celui de Vivien Garry (b) qui vaut pour Edna Williams
(tp) et Ginger Smock (vln) (3 titres) et celui de Terry Pollard avec la
boppeuse méconnue Norma Carson (3 titres)! Le livret donne de brèves
biographies de certaines de ces dames qui nous font passer là un bon moment!
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Laura Dubin
Live at the Xerox Rochester International Jazz Festival
Titres communiqués dans
le livret
Laura Dubin (p), Kieran
Hanlon (b), Antonio H. Guerrero (dm)
Enregistré: le 2 juillet
2016, Rochester (New York)
Durée: 1h 55' 46''
Autoproduction (www.lauradubin.com)
Charl Du Plessis Trio
Baroque Swing Vol. 2
Titres communiqués dans
le livret
Charl du Plessis (p),
Werner Spies (b), Hugo Radyn (dm)
Enregistré le 26 juillet
2015, Ernen (Suisse)
Durée: 1h 03' 45''
Claves Recors 50-1609 (www.claves.ch)
Née à Rochester (New
York), Laura Dubin, épouse du batteur Antonio H. Guerrero, n'est pas sans
évoquer Oscar Peterson dans le meilleur des cas («This Could Be the Start of
Something Big», «Something's Cooking», «Ode to O.P.» et «Green Arrow» de sa
composition) et un peu Bill Evans («Waltz for Bill»). Mais elle n'a pas
vraiment de style car elle peut aussi jouer «stride» (en solo: «Handful of Keys»)
et plonger dans le genre modal à la McCoy Tyner («Thunderstorm»). Elle signe pas
mal de thèmes «Invention for Nina» évidemment inspiré par...Bach, le bluesy «Doc
Z»). Laura Dubin s'est fait la spécialité de coupler des standards américains
avec un auteur classique: Le Tombeau de Couperin / «My Favorite Things»
(pauvres Ravel/Rodgers & Hammerstein), «Prelude to a Kiss» / Valse n°1
opus 64 (Ellington/Chopin), en solo et pas mal Reflets dans l'eau /
«Our Love Is Here to Stay» (Debussy/Gershwin). Un gadget «easy listening». Ce
peut être enfin le fait de «jazzer» une pièce classique (Sonate Pathétique
n°8 de Beethoven). Elle a une bonne technique, c'est propre. Le trio est
bien rodé, les musiciens sont soudés. Rien de désagréable, rien
d'enthousiasmant non plus comme la plupart des produits labellisés «jazz»,
aujourd'hui. Deux CD c'est bien long, un seul aurait suffit. Inutile de dire que jouer
les compositeurs baroques en jazz (ou supposé tel) n'est pas nouveau! Ce fut
même une mode autour de 1965. Puis notre Claude Bolling fut un pionnier de ce
qu'on étiquette «cross over», genre qui est revendiqué par le trio sud-africain
Charl du Plessis.
La formation a déjà donné
un premier volume en 2013. Cette fois, elle s'en prend à Gershwin (sic), Gluck,
Vivaldi, Haendel et inévitablement à Bach, un compositeur d'exception car même
mal joué il reste plaisant! Ce sont d'ailleurs les œuvres de Bach qui se prêtent
le mieux à cet exercice: la Toccata & Fugue en ré mineur retient
l'attention et les musiciens y démontrent leur compétence. Les Inventions (ici
n°8, 4, 13) ont toujours été travaillées par des jazzmen, notamment la n°4 qui
figure dans un recueil de Bud Brisbois pour la trompette; ça swingue mieux
quand on évite d'improviser dessus. Belle démonstration du batteur dans la n°4,
mais c'est trop long. C'est intéressant quand on connait bien l'œuvre, pour l'avoir
joué soi-même, descellant ainsi les contributions qui paraissent prétentieuses
en comparaison de l'immensité de J.S. Bach. Le trio aborde aussi le Prélude
et Fugue n°3 en do dièse majeur et propose une «New Jazz-Suite» en six
mouvements conçue à partir de diverses compositions de Bach (extraits de Suites,
des Variations Goldberg, de Cantates). L'extrait de la Suite
en ré mineur de Haendel est choix qui fonctionne. La Mélodie d'Orphée
& Eurydice de Gluck est superbe en elle-même et l'improvisation qui en
découle est sans utilité. Dans le «Ballet des Ombres heureuses» tiré de la même œuvre,
le trio swingue bien et le bassiste comme le batteur (aux balais) ont un talent
réel. Ce domaine du «cross over» est très «easy listening». En d'autres termes plus
français c'est de la bonne musique de variétés. On écoute sans déplaisir et on
constate que ces pianistes improvisateurs en cherchant le respect et la
musicalité, sonnent tous de la même façon dépassés qu'ils sont par la qualité
thématique de ces compositeurs d'exception.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sébastien Troendlé
Boogies on the Ball
A
la la, Winter Boogie, Boogaudébut Ragalafin, Woodywood Pecker Boogie, Tendinite
Blues, Boogie On The Ball, Chapel Street Boogie, Grosse Gauche, Charlie's
Boogie, Sorti du Four, Let the Left Hand Roll, African Dream, C'est Si Bémol,
Quelques Flocons
Sébastien
Troendlé (p)
Enregistré
en décembre 2016 et janvier 2017, lieu non précisé
Durée:
1h 00' 42''
Frémeaux
& Associés 8537 (Socadisc)
Nous sommes devant une
avalanche de CDs de boogie woogie! Voici que Sébastien Troendlé (né en 1977)
vient gonfler l'offre. Y-a-t-il une telle demande? Ceux qui achètent ces disques,
souvent au détours d'un concert, consacrent-ils autant d'intérêt à Pinetop
Smith, Cow Cow Davenport, Jimmy Yancey, Pete Johnson, Albert Ammons, Sammy
Price, voir même Fats Domino? Non. Nous sommes dans une niche commerciale.
Sébastien Troendlé sait en tirer profit. Après un Rag'n Boogie (Frémeaux
& Associés 8507), la sortie de sa méthode de Boogie-Woogie (2016, éditions
Henry Lemoine), cet ex-élève de l'Académie de Bâle et ex-enseignant à l'école
de musique de Haguenau, nous propose quatorze de ses compositions boogie. Il
déploie beaucoup d'énergie sans éviter la lourdeur («A la la», «Winter
Boogie», etc). On en vient à regretter la pratique plus nuancée d'un
Jean-Paul Amouroux. De toute façon le "grand public" n'est, aujourd'hui, pas
apte à distinguer un dandy d'un bûcheron. Non pas que ce CD soit totalement
dépourvu d'intérêt d'ailleurs: il y a de bons passages dans «Boogaudébut
Ragalafin» (pour la fin justement qui tire vers le stride), le début
low-down de «Tendinite Blues», la courte introduction perlée à «African
Dream» et «C'est Si Bémol» dans le genre Pr Longhair / James
Booker. Mais trop de boogie tue, sinon le boogie, la santé des chroniqueurs
(tout au moins celle du signataire).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jean-Paul Amouroux
Plays Boogie Woogie Improvisations
Boogie
Woogie Piano Solo, Boogie Woogie Train, Walkin' the Basses, Express Special,
Warming Up The Steinway, Lazy Boogie Woogie, Boogie for Piano &
Harpsichord, Shakin' and Stompin', September 23 Boogie, 88 Special, Barrel
House Shuffle, Riffin' the Boogie, Boogie for Piano & Organ, Bluesin' the
Boogie, Perpetual Boogie Woogie, JP Blues for Véronique, Rollin' the Basses,
Boogie for Piano & Celesta, Boogie All Day Long, Shufflin' and Swingin',
Marcal Boogie Woogie
Jean-Paul
Amouroux (p, org, kb, celesta)
Enregistré
le 23 septembre 1994, Paris
Durée:
1 h03' 46''
Black
& Blue 851 2 (Socadisc)
Le hasard des éditions
Black & Blue? C'est le second CD de Jean-Paul Amouroux en peu de temps. Le
précédent a été chroniqué dans Jazz Hot n°678 de l'hiver 2016-2017
(enregistré en 2015)! Celui-ci a tardé à resortir (1994). A quoi bon une
discographie aussi pléthorique? Quel que soit le talent de Jean-Paul Amouroux,
ne vaut-il pas mieux écouter en priorité les fondateurs du genre tels Albert
Ammons, Pete Johnson, Jimmy Yancey, Big Maceo, Memphis Slim, etc? Nous le
pensons. La réédition de ces maîtres s'impose plus que celle-ci qu'Alain
Balalas estime, dans le texte du livret, être «le meilleur de tous ceux de Jean-Paul Amouroux». Il est en effet
bon parmi les milliers de disques d'un genre aussi réjouissant que monotone,
même lorsque l'interprète sait, comme ici, y diffuser l'indispensable swing.
Une qualité d'Amouroux est la stabilité de son tempo. Il fait au mieux pour
varier les climats d'un titre à l'autre, et dans trois titres il sollicite le
clavecin, le celesta ou l'orgue (pas mal) pour diversifier. Mais le genre est
ce qu'il est. Nous aimons lorsqu'il y a un peu de tripes comme dans «Barrel House
Shuffle», «Bluesin' the Boogie» (nuances) et surtout le beau «JP Blues
for Véronique». Un disque pour les inconditionnels de Jean-Paul Amouroux
et/ou du boogie woogie.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Rémi Toulon
Adagiorinho
Adagiorinho,
Musset, Sambamaya, Elisa, Calle De Las Fiestas, Bagoola, Fuen, Tes Mots,
Jogral, You Don't Know What Love Is
Rémi
Toulon (p, ep), Sébastien Charlier (hca), Jean-Luc Arramy (b), Vincent Frade (dm),
Zé Luis Nascimento (perc)
Enregistré:
les 1er, 2 et 3 novembre 2016, Meudon (78)
Durée:
53' 52''
Alien
Beats Records 17AB (Inouïe Distribution)
Un CD bien dans l'air du
temps. Si Rémi Toulon (né en 1980) a été repéré et lancé par Jean-Pierre
Bertrand et Fabrice Eulry c'est à son professeur, Bernard Maury, qu'il doit son
orientation stylistique evansienne bien servie par sa formation classique («Tes
Mots»). Les percussions sont là pour donner l'inévitable touche latine («Adagiorinho»).
Il joue volontiers piano et Rhodes à la fois («Bagoola»). C'est
plutôt agréable («Calle De Las Fiestas»). Jean-Luc Arramy a une
belle qualité de son. Mais pour nous, qui nous ennuyons sans souffleur,
l'attrait du disque est la présence de Sébastien Charlier (né en 1971),
virtuose de l'harmonica diatonique Hohner dans six titres dont «Sambamaya»,
le dansant «Fuen» et le standard «You Don't Know What Love Is».
Il expose fort bien le thème (un peu long à venir) d'«Elisa» de Serge
Gainsbourg, l'un des trois titres qui ne soient pas de Rémi Toulon.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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The Dime Notes
The Dime Notes
Original
Jelly Roll Blues, Alabamy Bound, Aunt Hagar's Children's Blues, Black Stick
Blues, The Pearls, T'Ain't Clean, Otis Stomp, Si tu vois ma mère, The Camel
Walk, The Crave, I Believe in Miracles, Ole Miss, Turtle Twist, What A Dream
David
Horniblow (cl), Andrew Oliver (p), Dave Kelbie (g), Tom Wheatley (b)
Enregistré:
le 6 juin 2016, Londres
Durée:
55' 48''
Lejazzetal
Records 16 (www.lejazzetal.com)
Voici un disque bien
enregistré et luxueusement présenté. Ces «disciples-exécutants»
(selon l'expression de Dizzy Gillespie) sont bons, mais il est indispensable de
ne se procurer un tel disque qu'après l'écoute intensive de «Black Stick»
par Sidney Bechet avec les Noble Sissle's Swingsters du 10 février 1938 (Jazz
Classics 632), des Red Hot Peppers de Jelly Roll Morton dans «Original
Jelly Roll Blues» (avec Omer Simeon, cl, 16 décembre 1926) et «The
Pearls» (avec Johnny Dodds, cl, 10 juin 1927) et de l'historique trio de
Jelly Roll Morton avec Barney Bigard (cl) et Zutty Singleton (dm) («Turtle
Twist», 17 décembre 1929, Classics 642). Si en effet, David Horniblow
(beau nom pour un souffleur!) se réfère à Sidney Bechet, notamment dans «Si
tu vois ma mère» (le discrètement efficace David Kelbie y est audible),
nous ne trouvons rien de Barney Bigard, Johnny Dodds et surtout Jimmie Noone
dans son jeu contrairement à l'opinion d'Evan Christopher, auteur du texte du
livret. Il y a un peu de Simeon et d'Edmund Hall (growl dans «The Crave»,
autre composition de Morton). Nous n'aimons pas ses notes tenues avec trop de
vibrato («T'Ain't Clean»), criardes («Turtle Twist») ou
chevrotantes («I Believe in Miracles»). Et pourtant Horniblow,
ex-élève en clarinette à la Guildhall School, a confronté sa belle technique à
la fréquentation des vétérans Kenny Ball, Acker Bilk et Chris Barber. Ce
quartet sympathique n'évite pas la caricature («Ole Miss»
sautillant), mais c'est globalement un groupe qui devrait plaire aux animations
off des festivals d'aujourd'hui. Parmi les points forts, il y a le bassiste
londonien Tom Wheatley (qui slappe dans «Alabamy Bound»), le
pianiste américain fixé à Londres, Andrew Oliver (il a étudié à New Orleans
avant l'ouragan Katrina) partout excellent (notamment dans sa composition, «Otis
Stomp») et l'intérêt porté à Jelly Roll Morton scandaleusement négligé de
nos jours.).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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L'Anthologie du Caveau de La Huchette
1965-2017
Titres et personnels
détaillés dans le livret
Enregistré entre le 29
mars 1951 et le 8 mars 2017, Paris
Durée: 3h 48' 48''
Frémeaux &
Associés 5676 (Socadisc)
Cet établissement
historique à plus d'un titre mérite d'être salué! C'est à partir de l'automne
1948 que le lieu est converti par Maurice Goregues au jazz qui se danse. Dany
Doriz en prit la direction en janvier 1970. Tout ceci est rappelé dans le texte
du livret signé Jean-Michel Proust agrémenté de photos symboliques. La présente
illustration sonore est plus que sympathique, tout ne relevant pas de prises
sur le vif dans les lieux comme le magistral «Fireworks» par Roy Eldridge
en duo avec Claude Bolling. Pour des raisons d'accès sans doute, il y a des
absents tels que Al Grey, Cat Anderson, Harry Edison, Art Blakey, Rhoda Scott,
Raymond Fonsèque, Géo Daly ou les New Old Sharks de Fred Gérard (1986) avec
Roger Guérin (j'étais assis à ses pieds,
importuné par les jupons de danseuses déterminées). L’équipe de Jazz Hot y a célébré à plusieurs reprise l’anniversaire de la revue, animations
musicales à la clé (Brisa Roché, Sarah Morrow, Sylvia Howard, etc). Il suffit
de lire la liste des intervenants pour se douter de l'hétérogénéité des genres
bien que tous dansables. A côté d'un jazz on ne peut plus orthodoxe, il y a la
proximité du yéyé (Mac Kac: «cette sacré télé», 1965, qui est le sax ténor?),
de la chanson française («La Belle vie», «Un scotch, un bourbon, une
bière», «La Mer» - instrumental, pas de vocal de Marc Fosset!), de
la valse musette (Marcel Azzola, «Double Scotch») et du rock'n’roll (Mighty
Flea Conners, «Shake Rattle & Roll», 1990, Claude Braud, ts; King Pleasure;
Al Copley) qui, nous l'avons souvent écrit, est du jazz aussi. Les
renseignements discographiques posent de mineurs problèmes. Par exemple, «Caldonia»
du CD1 est par Alton Purnell (et non Turnell) également chanteur (bon solo de
Boss Quéraud, tp), page 18 bugle ne prend qu'un «g», qui est trompette dans le
titre de Jean-Paul Amouroux-Sam Wooyard (1976, François Biensan?), nous sommes
privés du nom des membres du big band Lionel Hampton qui, certes, est la seule
vedette (vib, voc) de ce «In The Mood» comme de celui de Jeff Hoffman, de
l'identité du chanteur dans «Moanin'» (Duffy Jackson bien sûr – à noter les
grands Georges Arvanitas, p, Eddie Jones, b), du guitariste avec Sweet System («Fever»),
le trompette dans «On the Alamo» (Jérôme Etcheberry me semble-t-il). Il n'en
est pas moins vrai qu'il y a beaucoup à glaner. Ainsi dans le CD1, Wani Hinder
(ts) avec Milt Buckner (org) dans le «Boogie Woogie au Caveau de la Huchette»
(1975), Michel Denis (dm) excellent avec Memphis Slim («Shake Rattle and Roll»,
1977), Stéphane Guérault (ts) avec Wild Bill Davis-Kenny Clarke («Indiana»,
1977), Bill Coleman («On Green Dolphin' Street», 1979), Alain Bouchet (tp) et
Patrick Bacqueville (tb) avec Maxim Saury («La Huchette», 1981), Carl Schlosser
(ts) dans l'Octet Dany Doriz (1990) et Yannick Singery (p) avec Jacky
Milliet-Claude Luter (1991). Dans le CD2: Carl Schlosser tonique avec Wild Bill
Davis-Dany Doriz-Sacha Distel, Claude Gousset (tb) avec Zanini, Patrice Galas
(p) avec l'excellente Gilda Solve, le goodmanien Bob Wilber (Doriz, Arvanitas,
Butch Miles, dm, Eddie Jones, b!), Patricia Lebeugle («Fanfreluche»), Finn
Ziegler (vln), un boogie par Claude Bolling (2003), Philippe Duchemin («Good
Vibes», 2004). Le CD3 est strictement XXIe siècle (2012-17) pour se
convaincre de la survivance du genre à l'écart des incongruités festivalières,
avec au gré des plages aux côtés de déjà vétérans (Scott Hamilton, Claude
Tissendier, Boney Fields,...), de précieux irréductibles (Malo Mazurié,
Sébastien Gillot, Ronald Baker, Jérôme Etcheberry, tp/cnt, Drew Davies, Michel
Pastre, ts, César Pastre, Franck Jaccard, p, Philippe Petit, org/p, Sébastien
Girardot, b, Guillaume Nouaux, François Laudet, Didier Dorise, dm, etc). Bien
sûr Dany Doriz est omniprésent, c'est bien naturel et un plaisir au swing
constant. Un coffret qui est bon pour la santé mentale des jazz fans... pour ne
rien dire des pieds des danseurs.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Stan Laferrière Big One
A Big Band Jazz Saga
Dirty
Rag (Ragtime, 1915), L'Oreille est hardie (Ballroom, 1923), To Bix (Collective
Chicago, 1926), Slap That Band (Washingtonians, 1930), Jumpin' Count (Riff,
1935), Swing Swang Swung (Swing Clarinet, 1937), Glenn's Train (Train bounce,
1938), Clarinet Serenade (Moonlight, 1939), Harlem Jungle Jive (Jungle, 1940),
Dizzysphere (Be-bop, 1945), Crazy Moon (Tenor Ballad, 1948), Cuban Scent (Bop
latin, 1949), Deb's Darling (Big band ballad, 1954), Duke's Places (Groovy
shuffle, 1956), Sorry For Lovin' You So (Crooner, 1958), Lalo's Waltz (TV
Movie, 1960), Back to Roots (Soul, 1962), Funny Sixties (Bossa-twist, 1964),
Climber Man (Modern ballad, 1970), Patouchamontoche (Funky, 1980)
Stan
Laferrière (p, g, bj, dir), Benjamin Belloir, Mathieu Haage, Julien Rousseau
(tp, flh), Anthony Caillet (tp, sousa), Nicolas Grymonprez, Cyril Dubilé,
Bertrand Luzignant (tb), Jean Crozat (btb), Pierre Desassis, David Fettmann,
Christophe Allemand, Olivier Bernard, Cyril Dumeaux, Frédéric Couderc (ss, as,
ts, bar, bs, cl, fl), Sébastien Maire (b), Xavier Sauze (dm), Orlando
Poleo (perc), James Copley (voc)
Enregistré
en janvier 2017, lieu non précisé
Durée:
1h10’ 51’’
Frémeaux
& Associés 8545 (Socadisc)
Une part de ces musiciens
a joué dans le Big Band de la Musique de l'Air déjà dirigé par Stan Laferrière.
L'éditeur ne prend même plus soin de donner le prénom des musiciens. Par
ailleurs, nous avons indiqué dans la notice de cette chronique les sous-titres qui
précisent un peu l'objectif du morceau, car il ne s'agit que de compositions
originales de Stan Laferrière. Celui-ci nous livre aussi "son" histoire des big
bands, dans le texte du livret. Heureusement, il est meilleur musicien
qu'historien... On aurait aimé l'identification des solistes pour chaque titre,
nous permettant ainsi de mieux connaître des artistes encore jeunes qui n'ont
pas, pour l'instant, la notoriété des Louis Armstrong, Bix, Jack Teagarden,
Benny Goodman, Dizzy Gillespie, etc. Le «Dirty Rag» est délicieux (presque trop
swinguant pour évoquer 1915) avec un superbe solo de trombone (Nicolas
Grymonprez?). Il est plaisant que l'on pense à Fletcher Henderson, en effet
père du big band jazz avant qu'Ellington ne "se" trouve. On lui dédie un «L'Oreille
est hardie» (belle astuce) qui "danse" bien. Belle qualité de son du trombone
solo, solo de cornet...bixien (Mathieu Haage?) et un remarquable solo de ténor
(Anthony Caillet, solide au sousaphone dans la rythmique). Le «To Bix» est une
évocation parfaite du Gang (petite formation!) de Beiderbecke, avec saxo-basse.
Le solo de cornet bixien est fin. La rythmique opte pour la contrebasse dès «Slap
That Band» qui offre d'excellents solos de ténor, trombone et une belle
écriture pour section de saxes. La rythmique devient basienne pour «Jumpin'
Count» sur un tempo médium parfait pour le swing. On passe ensuite à une
évocation de «Sing Sing Sing» et de Benny Goodman. Excellents solos de
trompette avec plunger, ténor velu, trombone avec plunger dans «Glenn's
Serenade» très Miller (comme l'évocation suivante genre «Moonlight Serenade»).
Les tutti de trompettes avec sourdine sont très fins.
Le Big One démontre dans
ce disque, outre une connaissance des styles, un haut niveau professionnel
(richesse des nuances). Même si le style jungle est très antérieur à 1940, ce «Harlem
Jungle Jive» l'évoque bien (bon solo de trombone!). On se doute à qui «Dizzysphere»
s'adresse. A noter que le solo d'alto est plus dans la lignée Lee Konitz que
Charlie Parker et le solo de trompette sonne comme du bugle (pas employé par
les boppers de 1945). Beau travail du lead trompette en coda. Orlando Poleo
participe évidemment à «Cuban Scent» très Machito et James Copley à «Sorry for
Lovin' You So». «Crazy Moon» est un solo de ténor avec une qualité de son
devenue rare chez les jeunes instrumentistes. Si Stan Laferrière revisite Count
Basie («Deb's Darling») et Duke Ellington («Duke's Places» presque... marsalien
en coda), il choisit aussi l'hommage à Lalo Schifrin («Lalo's Waltz»), Quincy
Jones («Back to Roots», «Funny Sixties») et... Bob Mintzer («Patouchamontoche»).
Peu importe si nous sommes très réservés sur la vision historique, la musique
proposée est de qualité; c'est ce qu'on attend d'un musicien (historien et
musicologue sont aussi des métiers). Un travail presque pédagogique qui devrait
figurer dans les festivals pour nous aider à les supporter. Bravo à Stan
Laferrière et au Big One.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Claude Tissendier
Swingin' Bolling
Jazzomania,
Blue Kiss From Brazil, La Belle et le Blues, Borsalino, Here Comes the Blues,
When the Band Begins to Play Their Music, Dors Bonhomme, Just for Fun,
Louisiana Waltz, Duke on My Mind, Take a Break
Claude
Tissendier (as, cl, arr), Patrick Artero (tp, flh), Philippe Milanta (p),
Pierre Maingourd (b), Vincent Cordelette (dm), Faby Médina (voc)
Enregistré
les 12 et 13 avril 2016, Chérisy (28)
Durée:
51' 56''
Black
& Blue 818.2 (Socadisc)
Ce sont toutes des
compositions de Claude Bolling arrangées pour quintet par Claude Tissendier.
L'idée vint à l'issue du dernier concert de Claude Bolling donné en trio
(Maingourd, Cordelette) le 24 juin 2014 au Petit Journal Saint-Michel à Paris.
Claude Tissendier et Patrick Artero étaient alors venus étoffer le trio et
donner une suite à cette expérience s'imposait. Faby Médina, chanteuse de
l'orchestre Claude Bolling depuis 2001, intervient dans «When the Band Begins
to Play Their Music» (alias «Lazy Girl», paroles de Virginia Vee), «Louisiana
Waltz» (tirée du film Louisiane) et «La Belle et le Blues» composé pour
Brigitte Bardot avec des paroles de Serge Gainsbourg (belle prestation avec le
plunger de Patrick Artero). Claude Tissendier est remarquable à l'alto avec ici
quelques tournures à la Benny Carter («Jazzomania») et là, une sonorité dans la
lignée de Johnny Hodges («Duke on My Mind» qui met en valeur Pierre Maingourd).
Claude Tissendier ne sollicite la clarinette que dans «Borsalino» où Philippe
Milanta surprend par un solo qui du boogie passe au stride puis à Erroll
Garner. Nous n'avions pas remarqué jusqu'ici combien Patrick Artero se
rapproche aujourd'hui de Bill Coleman par le son, le phrasé, les attaques, à la
trompette parfois («Here Comes The Blues»; le basien «Take a Break» où le jeu
de balais de Vincent Cordelette est la vedette) et surtout au bugle dans «Blue
Kiss From Brazil» (bon solo de Maingourd), «Borsalino», «Just For Fun»
(excellent solo de Milanta et belle alternative de Cordelette avec trompette, sax
et piano). En revanche, dans «Dors Bonhomme», à la trompette avec sourdine
harmon, Patrick Artero évoque le Miles Davis de L'Ascenseur pour l'échafaud (dialogue avec Tissendier) et du «Nature Boy» de Blue Moods. Une
réussite collective et un hommage mérité à Claude Bolling.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sean Jones
Live From Jazz at the Bistro
Art's
Variable, Lost then Found, Piscean Dichotomy, Doc's Holiday, The Ungentrified
Blues, Prof, BJ's Tune
Sean
Jones (tp, flh), Brian Hogans (as, ss), Orrin Evans (p), Luques Curtis (b),
Obed Calvaire, Mark Whitfield Jr (dm)
Enregistré
les 3-5 décembre 2015, St Louis (Louisiane)
Durée:
1h 04' 04''
Mark
Avenue 1111 (www.mackavenue.com)
Sean Jones, diplômé de la
Rutgers University, n'est plus un inconnu depuis son passage dans le Jazz at
Lincoln Center Orchestra (six ans) et dans le groupe de Marcus Miller (Jazz in
Marciac, etc). Il dirige un quartet comprenant Orrin Evans, Luques Curtis et
Obed Calvaire depuis onze ans. C'est avec eux, et deux autres qu'il se présente ici en quartet
ou quintet. «Art's Variable» est sensé saluer Art Blakey, sans doute de façon
abstraite car Mark Whitfield Jr n'instaure pas un tempo; il commente en percussionniste.
Le solo de Sean Jones à la trompette révèle une filiation de sonorité avec
Freddie Hubbard. Il utilise le piston mi-course pour des effets et gère bien
une tension crescendo vers l'aigu. La contrebasse ouvre «Lost, Then Found» en
quintet avec Brian Hogans (ss). Cette fois le titulaire Obed Calvaire tient la
batterie, mais le style est le même. Dans ce contexte modal sur tempo médium,
l'improvisation est très libre. Sean Jones a une belle qualité de son au bugle.
Le «Piscean Dichotomy» ne manque pas de dynamisme. Brian Hogans y joue de
l'alto. Sean Jones et le groupe retrouvent là le style du Quintet Miles Davis
de la deuxième moitié des années 1960. Une continuité rythmique sur tempo
médium marque «Doc's Holiday» dans lequel Sean Jones improvise de façon libre
avec des résurgences de Don Cherry et Booker Little. Le solo de piano qui suit,
plus structuré, n'en paraît que plus "traditionnel" tout comme, ensuite,
l'excellent solo de Luques Curtis. Brian Hogans n'intervient que dans le thème
volontairement anfractueux (signé Orrin Evans), ce qui semble étonnant (la
prise de concert serait-elle tronquée?). Bien sûr, «The Ungentrified Blues»,
sur tempo médium, est, pour nous, le meilleur moment du disque. Sean Jones y
fait enfin une musique de tripes, enracinées, avec des effets bien venus
(growl, note tenue, inflexions, notes répétées pour générer la tension, montées
dans l'aigu bien senties). On notera que sa sonorité n'en paraît que plus belle
notamment dans son deuxième solo plus détendu menant à une coda sobre
(influence de Wynton Marsalis). Orrin Evans a compris que dans le blues, il ne
faut pas compliquer le propos. Quant à Luques Curtis et Mark Whitfield Jr, ils
assurent la continuité rythmique fermement. «Prof» qui porte l'influence
d'Ornette Coleman période Atlantic, est une composition de Sean Jones qu'il a
dédié à son professeur William Fielder. C'est un thème de quinze mesures (!)
utilisant les quartes. Après un solo de Brian Hogans (as), Sean Jones déploie
une virtuosité avec plus de pertinence. Mais l'arrivée d'une paisible ballade
en quartet, «BJ's Tune», au thème simple et répétitif, jouée avec élégance au
bugle, fait du bien (la coda est «Amazing Grace» ad libitum). Bilan? Comme à
peu près toute la production actuelle, ce disque ne laissera pas de trace. Rien
d'essentiel comme peuvent l'être encore, «West End Blues» par Louis Armstrong
(1928), «Groovin' High» de Dizzy Gillespie (1945), «Stardust» par Clifford
Brown (1955), «Booker's Waltz» de Booker Little (1961) ou «The Majesty of the
Blues» de Wynton Marsalis (1988). La survie et la mort à la fois, viennent de
l'académisme installé depuis que le jazz est enseigné. Sean Jones est
d'ailleurs impliqué dans l'enseignement à la Duquesne University, l'Oberlin
Conservatory of Music et actuellement au département des cuivres du Berklee
College of Music. Il montre donc à ses élèves comment fonctionnent ses
recettes. Mais Sean Jones, comme la majorité de ses confrères, n'a pas fait
l'effort personnel d'un Wynton Marsalis ou d'un Nicholas Payton d'aller en
profondeur dans l'héritage expressif des plus anciens. Tout récemment encore
c'est Nicholas Payton qui a conseillé à Greg Tardy d'écouter Ben Webster,
est-ce bien sérieux? Attend-t-on d'un artiste d'aujourd'hui et d'un enseignant
qu'il débute la musique par Miles Davis? On écoutera ce disque pour «The
Ungentrified Blues» et «BJ's Tune».
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Iñaki Salvador Trio
Lilurarik Ez
Ihesa, Dembora Es da Luzea, Kontatu Didate, Ezer Gabe,
Diálogos con Miguel, Izarren Inguruan, Improvisación sobre Txoria, Txori,
Variaciones sobre Baga, Biga, Higa
Iñaki Salvador (p), Javier Mayor de la Iglesia (b), Hasier Oleaga (dm)
Enregistré en avril 2010, San Sebastián (Espagne)
Durée: 1h 01’
Vaivén Producciones (www.vaivenproducciones.com)
Un petit rappel pour situer ce disque: Mikel Laboa
(1934), médecin, psychiatre, musicien, figure incontournable de la chanson et
de la culture basques, disparaît en 2008 laissant un immense vide. Le pianiste
Iñaki Salvador, artiste trop peu visible, hors du cercle des jazzmen ou des
amateurs de culture basque, qui a travaillé avec Laboa de nombreuses années,
est invité en 2009 à lui rendre hommage par un concert. Iñaki s’attache à
réaliser des versions des chansons que Laboa avait enregistrées dans les années
60 avec des textes de Brecht. Ce disque Lilurarik
Ez est issu de ce projet et met en évidence les qualités pianistiques de
Salvador. Le traitement des chansons, certaines selon une esthétique
jazzistique, est particulièrement remarquable. Dans cette optique on appréciera
tout particulièrement «Ihesa, Dembora Es Da Luzea» qui débute sur
un tempo lent, berçant l’oreille, avant de pénétrer dans un jazz plein de swing
dont l’intensité va crescendo, parsemée de retours au calme. Iñaki bénéficie ici,
comme dans la plupart des autres thèmes, d’un excellent soutien de ses deux
partenaires, inconnus de l’auteur de ces lignes mais offrant eux aussi de
belles qualités. «Izaren Inguruan» est lancé de la même façon, très
calmement au piano, sans les partenaires, puis les balais et quelques accords
de contrebasse viennent en soutien. Le swing émerge. Le jazzman qu’est Iñaki
Salvador s’illustre encore et magnifiquement dans les deux derniers thèmes, «Improvisación»
et «Variaciones». Les deux thèmes comme les autres demandent de la
patience à l’auditeur pour entrer dans le swing. Cette patience permet à chaque
fois de se délecter de la technique du pianiste.
Les autres plages offrent un esprit différent. «Kontatu Didate»
veut rester au plus près de la manière de travailler de Laboa. Drum et
contrebasse recherchent cette fidélité et le thème ainsi joué s’éloigne du
jazz. On relève dans «Ezer Gabe» la délicatesse du jeu de Salvador.
«Diálogos con Miguel» fait appel à la voix du chanteur basque qui est
insérée dans la prestation du trio. De larges espaces laissent la possibilité à
Iñaki d’improviser. Un disque qui offre une nouvelle opportunité à ceux qui ne
le connaissent toujours pas de découvrir Iñaki Salvador.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ramón Valle / Orlando Maraca Valle
The Art of Two
Johana, Love for Marah, El Guanajo relleno, Alena,
Monologo, Latin for Two, Tú mi Delirio, Mi Guajira con Tumbao, Puentes, Amigos
Ramón Valle (p), Orlando Maraca Valle (fl)
Enregistré le 17 octobre 2015, Amsterdam (Pays-Bas)
Durée: 46'
In + Out Record 77131 (http://ramonvallemusic.com)
Ce disque des deux cousins cubains est un petit joyau
musical. Ramón, pianiste installé aux Pays Bas, nous avait proposé par le passé
d’excellents enregistrements comme Levitandoet brille sur les scènes européennes à la tête de son trio. Orlando «Maraca»
vit à La Havane mais est quasiment parisien et il est peu de recoins de
l’hexagone auxquels il n’a pas rendu visite. Depuis longtemps l’idée de
travailler ensemble était dans l’air et, après une lente préparation, c’est
dans un studio hollandais que la magie est née. Ramón et Maraca créent de la
beauté, c’est tout. Le pianiste, dans l’ensemble moins percussif que d’autres
confrères Cubains, égrène calmement les notes, distille sa maîtrise technique,
sa classe. Aucune note superflue, aucune débauche sonore. Quant à Orlando, son travail
avec le Latin Jazz All Stars ou encore ses récents disques, plutôt festifs,
sont bien connus. Cette apparition en duo lui permet, sinon de rompre avec ces
précédents travaux, à tout le moins de mettre clairement en évidence pour ceux
qui écoutent plutôt la globalité des prestations de ses formations, l’étendue
de ses aptitudes, la maîtrise qu’il a de la flûte, la fluidité de son jeu, ses
détachés superbes. Orlando s’appuie sur le travail de Ramón sans qu’aucun autre
instrument ne vienne distraire l’écoute. Tous deux sont en parfaite osmose.
Le disque comprend quatre compositions de Ramón, trois
de Maraca et est complété par trois thèmes issus des standards cubains. «Johana»
est de l’autorité de Ramón et allie le lyrisme à cette fluidité mentionnée
précédemment. Il n’y a pas de rupture avec le thème suivant «Love for Marah» d’Orlando
pris sur un tempo très lent. Ramón pose un minimum de notes. L’hommage à deux femmes
est une évidence. Le flutiste offre «Alena». L’esprit reste le même. Les deux partenaires
sont extrêmement à l’écoute l’un de l’autre: The Art of Two est bien nommé! Si «Monologo» est écrit par le
pianiste, ce thème est offert largement au flûtiste. On pénètre un peu plus dans
le jazz avec «Latin for Two». Le tempo est plus rapide, le jeu est vif, tant de
la part de Ramón que d’Orlando. Des trois classiquesde la musique cubaine
proposés ici «El Guanajo relleno» est arrangé par Ramón mais perd largement ses
caractéristiques soneras pour
s’inscrire complètement dans l’esprit du disque. «Mi Guajira con Tumbao»,
toujours arrangé par le pianiste est épuré mais conserve un superbe tumbao, ce swing cubain assuré par
le piano sur lequel s’exprime le flutiste. Appréciez-le davantage encore à 3'30''!
Le maestro César Portillo de la Luz, figure emblématique du feeling cubain,
fournit le troisième thème, «Tú mi Delirio». Le piano est discret, la flûte qui
n’a jamais été très utilisée dans le feeling devient le protagoniste principal.
Il faut relever les beaux vibratos. Le disque s’achève sur deux compositions de
Rámon. Il y exprime pleinement son style personnel, plus percussif cette fois,
dans un passage sans flûte de «Puentes», thème chargé de mélancolie. «Amigos»,
très sobre, conclut parfaitement le disque montrant, comme le dit Leonardo
Padura dans le livret, que si l’Art est bon; deux artistes suffisent.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Marc Copland
Better by Far
Day
and Night, Better by Far, Mr Dj, Gone Now, Twister, Room Enough
for Stars, Evidence, Dark Passage, Who Said Swing?
Marc Copland (p), Ralph Alessi (tp), Drew Gress (b), Joey
Baron (dm)
Enregistré
en janvier 2017, New York
Durée:
1h 02' 28''
InnerVoice Jazz Records 103 (www.innervoicejazz.com)
On retrouve l’élégance
naturelle de Marc Copland qui signe seul ou avec ses musiciens (à part
«Evidence» de Thelonious Monk), l’intégralité des titres de cet album. Il
s’agit ici d’affaires courantes tant l’équipe est habitué à jouer ensemble:
la rythmique, Marc Copland compris, accompagne depuis des années John Abercrombie
sur disque et en tournée. Le jeu du pianiste est limpide et le son de chaque instrument
est parfaitement restitué: on apprécie la clarté des cordes de la
contrebasse et le scintillement discret mais omniprésent des cymbales de Joey
Baron. Il s’agit bien sûr d’un pianiste leader mais ici en compagnie d’amis, c’est
un vrai quartet régulier et non pas des invités juste pour la captation de
quelques thèmes vite répétés. L’équilibre des compositions est mis en valeur
par la justesse du propos et bien que le répertoire soit de nature calme, la
haute qualité de chacun des solistes en fait un rubis à offrir. L’univers de
Marc Copland n’est pas vraiment celui du swing mais plus celui de la caresse de
l’ivoire et de l’ébène qui sertissent la note vers le bleu ou le blues du cœur.
Le titre éponyme de l’album, célèbre la tendre noce entre le clavier et la
trompette dans une cérémonie sincère et respectueuse de l’un envers l’autre.
Bien plus triste, mais superbe, «Gone Now» doit évoquer la rupture amoureuse
comme un regret du passé, le jeu au ballet de Joey Baron souligne le trait de
la trompette bouchée sur piano nostalgique, une ballade dans une forêt
automnale ou la contrebasse bruisse sur les feuilles envolées : 9’40’’ à
savourer. Autre thème rempli de «saudade» comme l’on dirait au Brésil, «Room
Enough for Stars» qui toujours sur le fil du funambule semble chavirer vers la
chute du regret mais résiste au souffle du vent, Drew Gress en soliste de haut
vol, suit la droite ligne suspendu dans le ciel. Comme son nom semble
l’indiquer «Dark passage» emprunte une voie tourmentée mais à découvrir comme
un long cheminement vers «Who Said Swing?». L’album présente une grande unité
qui restitue sans aucun doute l’univers musical de Marc Copland, rappelant ainsi
le rôle particulier qu’il joue sur l’échiquier actuel du jazz, qui, comme le
dit l’album, nous emmène «mieux que loin».
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Dmitry Baevsky
The Day After
Would You?,
Rollin', Chant, Minor Delay, Hotel Baudin Thes Wise Ones, The Day After, Four
Seven Nine One, Delilah, I’ve Told Evry Little Star
Dmitry Baevsky (as), Jeb Patton (p), David Wong (b), Joe Strasser (dm)
Enregistré
les 23 juillet et 16 août 2016, New York
Durée: 1h 08'
Jazz Family 017 (Socadisc)
On retrouve aux côtés de
Dmitry Baevsky, pour son sixième album en leader, son équipe new-yorkaise habituelle.
Toujours aussi talentueux, le jeune prodige russe mène désormais une carrière
entre le vieux continent et les Etats-Unis. Originaire de Saint-Pétersbourg, il
découvre l’Amérique auprès de Cedar Walton et Jimmy Cobb, présents sur son
premier disque, et depuis mène son bout de chemin. Toujours de bonne facture, ce
nouvel album s’inscrit comme une nouvelle étape au service de la tradition hard
bop revisitée avec grand cœur. Outre cinq de ses compositions, on retrouve une
relecture du thème, très peu repris, «Chant», du pianiste Duke Pearson, immortalisé
par Donald Byrd sur l’album A New Perspective,
paru chez Blue Note ou encore une superbe version de «Delilah», signé par
Victor Young et souvent interprétée par le quartet de Clifford Brown et Max
Roach. Côté hommage aux anciens, il met à l’honneur le tromboniste Tom McIntosh
(90 ans) avec la composition «The Day After», qui donne son nom à l’album, et
conclut avec «I’ve Told Evry Little Star» de Jerome Kern. N’oubliant pas ses
compagnons de scène et de studio, il emprunte la plume de pianiste Jeb Patton
pour enluminer «The Wises Ones». La totalité des titres s’enchaîne avec brio et
élégance. Technique parfaite, maîtrise de l’instrument, cohésion de l’ensemble;
juste un regret: le manque de folie qui en ferait un album plus enflammé.
Toujours parfait en concert, sa musique mérite le détour.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Nicola Sabato & Jacques di Costanzo Quartet
The Music of Ray Brown & Milt Jackson. Live in Capbreton
Now Hear My Meaning, Small Fry, One
Loved, Back to Bologna, The Nearness of You, Think Positive, Sad Blues, Be-Bop,
It Don’t Mean a Thing (If It Ain’t Got That Swing), Captain Bill
Nicola Sabato (b), Jacques di Costanzo (vib), Pablo Campos
(p), Germain Cornet (dm)
Enregistré le 3 février 2017,
Capbreton (40)
Durée: 1h 05'
Autoproduit (Socadisc)
Bien qu’il s’agisse d’un hommage à
deux piliers de l’histoire du jazz, les titres choisis ne reprennent que deux
thèmes signés par Ray Brown («Captain Bill») et Milt Jackson («Think
Positive»); c’est donc le répertoire interprété par ces prestigieux
musiciens qui constitue le matériau de ce
«live» enregistré à Capbreton. Le quartet de Nicola Sabato et Jacques di
Costanzo se plonge complétement dans l’univers de leurs maîtres et modèles, et
comme ils le précisent dans le livret, «ils
sont des fans» et, en tant que tels, restent fidèles à leur idoles. Plus
qu’une restitution, il s’agit pour le quartet de saisir l’esprit musical de
cette époque et d’en donner leur approche mais qui reste dans la tradition. Les
dialogues et solos du vibraphoniste et du pianiste ne détonnent jamais et il
remarquable pour des musiciens (encore jeunes) de vouloir conserver et faire
vibrer ces grands thèmes. Nicola Sabato, en tant que coleader reste discret
bien que ses solos arrivent à point nommé. Durant l’ensemble du disque, une
grande unité et un grand équilibre permettent au groupe de sauter tous les
obstacles que peut présager un tel parcours. Que ce soit des ballades («The
Nearness of You») ou sur des tempos rapides («It Don’t Mean a Thing») le public est conquis
et le fait savoir à l’applaudimètre. Sur le thème
final «Captain Bill» l’introduction à la contrebasse surlignée par les ballets
de Germain Cornet donne une conclusion parfaite à ce concert.
Un jazz au classicisme de
bon aloi que l’on prend plaisir à écouter.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Nicole Johänntgen
Henry
Henry, Oh Yes My Friend, Nola, Slowly,
The Kids From New Orleans, They Missed Love, Take the Stream Train
Nicole Johänntgen (as), Jon Ramm (tb),
Steven Glenn (sousaph), Paul Thibodeaux (dm)
Enregistré le 25 mai 2016, New Orleans
(Louisiane)
Durée: 37' 27''
Autoproduit (www.nicolejohaenntgen.com)
La saxophoniste allemande Nicole
Johänntgen a passé plusieurs mois à New York en 2016 (voir son
interview dans Jazz Hot n°675) afin d’y composer tout en
s’imprégnant de la scène jazz locale. Curieusement, le premier
souvenir de voyage qu’elle a rapporté est un disque enregistré à…
New Orleans (alors qu’elle était sur le sol américain depuis deux
mois). Autre surprise, bien que son univers
habituel se situe entre fusion et musique improvisée, voilà que la
Louisiane a ramené Nicole Johänntgen vers le jazz. Un
jazz marqué par la culture néo-orléanaise (puisqu’elle s’est
entourée de trois musiciens de Crescent City) mais où s’exprime
néanmoins la personnalité de l’altiste qui signe toutes les
compositions de cet album. Il s’avère qu’elle avait depuis
longtemps en tête de rendre hommage au jazz de New Orleans, que son
père (tromboniste) jouait dans son orchestre amateur. On imagine que
son arrivée aux Etats-Unis a été l’élément déclencheur du
projet (malheureusement, le disque ne comporte pas de notes de
pochettes nous éclairant sur les intentions du leader…). Toujours
est-il que Nicole Johänntgen nous livre ici un disque rythmé,
irrigué par le swing néo-orléanais au sein duquel son alto aux
accents free (on entend l’influence de son mentor Dave Liebman) dialogue très
naturellement avec le trombone et le soubassophone (le morceau qui
ouvre le disque et lui donne son nom, «Henry», est particulièrement
réussi). Sur «Oh Yes My Friend» (blues lent dans l’esprit de
«Basin Street Blues»), les interventions de Nicole ont même des
faux-airs de Sidney Bechet! Les jazzmen européens en quête
permanente de multiplier les métissages vont chercher l’inspiration
dans des contrées étrangères au jazz qu’ils considèrent comme
une musique du monde. L’expérience menée par Nicole Johänntgen
(qui ne sera peut-être qu’une parenthèse dans sa carrière)
prouve qu’en puisant aux sources du jazz un musicien peut tout
aussi bien se renouveler et produire un discours original.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Philippe Duchemin
Passerelle
Qu’est-ce qu’on
attend pour être heureux, Luisa, Concerto Brandebourgeois, Hymn,
Cassie, Blame It on My Youth, Brazilian Like, When Johnny Comes
Marching Home, Prelude Op 18, Valse Discrète, Symphonie n°7
Philippe Duchemin (p, arr), Christophe Le Van (b), Philippe Le
Van (dm), Julien Kadirimdjian (vln), Estelle Imbert (vln), Marin
Trouvé (avln, Annie Le Prev (cello)
Enregistré les 1er-2
février et le 4 mai 2016, Draveil (91)
Durée: 51' 08''
Black
& Blue 815-2 (Socadisc)
Philippe Duchemin est l’un des
dignes représentants français du legs d’Oscar Peterson au
patrimoine du jazz. Depuis toujours, il refuse le clivage entre
l’héritage de la musique classique et celui
des musiciens de jazz, réfutant l’esprit de chapelle qui voue les
uns aux conservatoires, les autres aux clubs dédiés. Cette
conviction, le pianiste la met en exergue dans ses concerts, avec une
fascination particulière pour la période baroque et l’art du
contrepoint de Jean-Sébastien Bach («Take Bach»). Pour la première
fois, sur ce disque judicieusement nommé Passerelle, il
fait intervenir un authentique orchestre à cordes,le
quatuor du Maine, pour qui il a écrit spécifiquement. A l’instar
de Jacques Loussier et de John Lewis, sa vocation de directeur musical naît sur les brisées
d’une formation classique, qui irrigue depuis lors sa musique de
riches alluvions. Là où ses enregistrements antérieurs proposaient
quelques explorations classiques épiçant une musique d’ores et
déjà fleurie, il met ici sur un même premier plan ses deux
courants d’influence majeurs, en refusant de les opposer ou de les
aborder tour à tour. Par souci de cohérence, il donne tout de même
un traitement jazz aux thèmes classiques égrenés, ce qui soustrait
les cordes à leur rôle d’accompagnement usuel pour leur donner
une fonction prééminente qui n’a guère d’antécédents en
jazz, en dehors des outrances sucrées de quelques crooners. Au
passage, le choix du «Second Mouvement de la Symphonie n°7» de
Beethoven ajoute une couleur plus romantique à la palette de
Philippe Duchemin, option qui se verra confirmée par une magnifique
relecture du «Prélude op 18» de César Franck, ouvrant le champ
d’expériences jusqu’aux abords de l’époque moderne. S’il
n’est pas aisé d’entrer dans le détail des orchestrations
proposées sur le disque, il est néanmoins clair que le propos
développé n’est nullement censé trancher le débat sur et autour
de la musique classique, telle qu’elle est susceptible ou non de
s’intégrer harmonieusement au vocabulaire musical du jazz
américain. Il n’en demeure pas moins qu’un souci de cohérence,
et donc de crédibilité, anime cette mosaïque de tons et
d’influences, preuve que la sincérité des artistes prime toujours
sur les discours théoriques lorsqu’il s’agit d’émouvoir le
mélomane. C’est peut-être d’ailleurs sur les thèmes de «Luisa»
et de «Valse Discrète», titres de couleur jazz inspirés de
l’écriture de compositeurs classiques, que le parti pris de
Philippe Duchemin trouve ses accents les plus convaincants, l’aspect
ludique propre aux différentes réexpositions des mélodies
s’inscrivant parfaitement dans l’univers de l’artiste. Des
standards jazz comme «Brazilian Like» ou «Blame It on My Youth»
se voient agrémentés de courtes séquences empruntées à la
musique populaire, comme pour désamorcer un esprit de sérieux
susceptible d’empeser le discours, et semant parfois le trouble
chez l’auditeur qui ne s’attend pas à ce qu’un mélisme aussi
prononcé émaille des classiques passés à la postérité. De ce
point de vue, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes dont Passerelle est porteur, «When Johnny Comes Marching Home», avec ses harmonies
irlandaises et son parfum traditionaliste assumé, est sans doute une
des plus belles réussites de l’album, de même que le morceau
d’ouverture «Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux» dont
le classicisme enjoué est de nature à rallier tous les suffrages à
sa cause. Au-delà du caractère irréprochable de la prestation du
quatuor du Maine, la cohésion rythmique des frères Le Van à la
basse et à la batterie force l’admiration (voir notre compte-rendu
du concert au Jazz-Club Etoile du 30 mars dernier, Jazz
Hot n°679),
qui soutient l’ensemble des compositions d’une fougue et d’une
verve du meilleur aloi. Un disque conçu comme un magnum opus, avec
un son et une production des plus remarquables.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Macy Gray
Stripped
Annabelle, Sweet Baby, I Try, Slowly,
She Ain’t Right for You, First Time, Nothing Else Matters,
Redemption Song, The Heart, Lucy Macy Gray (voc), Russel Malone (g),
Wallace Roney (tp), Daryl Johns (b), Ari Hoenig (dm)
Enregistré les 7 et 8 avril 2016, New
York
Durée: 52’
Chesky Records JD
389 (Harmonia Mundi)
Les frères Chesky, fondateurs et
producteur du label Chesky Records, aiment utiliser des lieux à
l’acoustique particulière et ont choisi pour cet album celui du
Hirsch Center à Brooklyn qui sonne une peu comme une église.
L’album a été enregistré en deux jours autour, paraît-il, d’un
seul micro. Retour vers la simplicité pour Macy Gray, véritable
icône du rythm’n'blues, qui a connu une carrière en dent de scie.
Ici elle retourne aux racines du blues servies par un excellent
groupe de jazz. Cet album de la diva marque un réel tournant dans sa
carrière car elle échappe aux paillettes pour se draper de la
pureté d’une Billie Holiday à qui on l’avait comparé au début
de sa carrière. Dès l’introduction à la guitare de Russel
Malone, le ton est donné, il s’agit d’un album de blues, même
Russel sonne comme un bluesman électrique du delta. Le jeune Daryl
Johns fignole un tempo, véritable métronome en quatre temps et Ari
Hoenig, hyper épuré joue essentiellement des balais sur la caisse
claire. Climat installé, «Annabelle»
débute un album digne des grands labels de blues de Chess Records à
Alligator Record. La voix éraillée de Macy Gray s’envole sur fond
de solo de Russel Malone. «Sweet
Baby», tempo marqué par
les balais sur la caisse claire envoie la locomotive sur les rails,
Wallace Roney déboule avec sa trompette bouchée, contre voix et
solo, on ne s’est pas trompé on est tombé dans le blues. Macy
Gray reprend son plus grand succès qui l’a lancée, «I
Try», presque susurrée,
elle confesse ses turpitudes sur les lignes claires de Russel Malone
qui la pousse doucement à élever la voix. Comment ne pas succomber
à «Slowly»
(prononcer «slololy»),
qui, comme le dit son titre, pourrait devenir une danse langoureuse
de séduction de l’autre (bref mais superbe solo de Wallace Roney)?
Séduit, on le reste avec la totalité de l’album où elle reprend
«Nothing Else Matters»,
signé du groupe Metallica et une version très torturée et sublime
de «Redemption Song»
de Bob Marley. Justement un album de rédemption comme pour se laver
du show-biz, et montrait que son talent vient aussi de sa pureté
puisée dans le blues originel. Pureté aussi du son cristallin pour
un «First Time»
à écouter comme un hymne à l’amour. Enfin, «Heart»
nous touche droit au cœur, tandis qu «Lucy»
recherche un homme (comme dans tout bon blues ou souvent c’est
l’homme qui cherche une femme) avec encore de brèves insertions de
Wallace Roney, des cris dans le bayou. On ne peut que rappeler
l’excellence du groupe et cet expérience pourrait donner lieu à
une tournée qui serait exemplaire.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Thelonious Monk
Les Liaisons Dangereuses 1960
CD1: Rhythm-a-Ning*, Crepuscule With
Nellie*, Six in One (solo blues improvisation), Well, You Needn't,
Pannonica (solo), Pannonica (solo), Pannonica (quartet), Ba-Lue
Bolivar Ba-Lues-Are*, Light Blue, By and By (We'll Understand It
Better By and By) CD2: Rhythm-a-Ning*, Crepuscule With
Nellie*, Pannonica, Light Blue, Well, You Needn’t, Light Blue
(making of)
Thelonious Monk (p), Charlie Rouse
(ts), Barney Wilen (ts)*, Sam Jones (b), Art Taylor (dm)
Enregistré le 27 juillet 1959, New
York
Durée: 43' 35'' + 40' 04''
Sam/Saga 5 051083 118477 (Universal)
Le silence des artistes. On sait
Monk un Maître du silence, un de ceux dont le silence est le plus
bruyant, osons le paradoxe car il est utilisé avec virtuosité pour
découper le temps et donner à son discours musical des angles, un
relief, des formes et des hauteurs ou des profondeurs inattendues
autant que sombres et brillantes. Chez les grands musiciens de la
tradition afro-américaine, depuis avant même le jazz, c’est la
gestion du temps, de la respiration humaine qui donne au jazz ce
qu’il est par essence. Louis Armstrong l’a en quelque sorte
codifié, mais l’expression dans le blues et la musique religieuse
afro-américaine possède depuis sa naissance cette faculté spéciale
d’humaniser le temps et le rythme, au point que la respiration de
chaque musicien a permis que chacune de ses notes soit la sienne et
pas celle du voisin. Chez Monk, quel que soit le contexte et quelle
que soit la matière, chaque note est la sienne, en solo ou en
formation, sur ses compositions ou sur les standards, ce qui rend sa
musique identifiable même pour un néophyte.
Cet enregistrement,
réalisé à l’été 1959 au Nola Penthouse Studios, qui devint une
partie de la musique du film Les Liaisons dangereuses de Roger
Vadim (1960), l’autre étant due à Art Blakey et Duke Jordan
(Vadim s’est-il rendu compte de sa chance?), est inédit sur
disque, contrairement à celui de Blakey. Il est ressorti
«miraculeusement», selon le texte du livret (en anglais
uniquement), des archives de Marcel Romano, un activiste de longue
date du jazz (disparu en 2007), un autre ancien de l’équipe de Jazz Hot avec Alain Tercinet qui vient de s’éteindre,
l’auteur d’une partie des notes de livret (p. 6 à 12). A côté
de ces deux acteurs de cette production, on trouve également côté
américain, le bon Brian Priestley (un biographe de Charles Mingus)
et un certain Robin D. G. Kelley, universitaire et auteur de Thelonious Monk: The Life and Times of an American Original (Free Press, 2009), la biographie la plus intime écrite sur
Thelonious Monk, fondée sur les archives familiales en particulier.
La synthèse discographique est due à Daniel Richard et aurait
mérité de détailler les musiciens présents sur chaque thème,
même si ça s’entend. Cela dit, la musique est, comme
toujours avec Thelonious Monk, indispensable, d’autant que les
musiciens sont au sommet de leur expression. Le répertoire, détaillé
par Brian Priestley sur le livret, est dû à Monk, en dehors de «By
and By». On retient le rare «Six in One», un blues en solo de
Monk, un bonheur absolu; le reste de l’enregistrement est
magnifique et, comme il en a coutume, c’est sur un répertoire
complètement possédé, répété et rejoué sans cesse, que Monk
ajoute, enregistrement après enregistrement, une variante, par ci,
par là, sans jamais renoncer à la perfection d’une construction
qui relève autant de la composition que de l’exécution, et du
langage à proprement parler du pianiste qui ne fait qu’enrichir un
monde somme toute très bien défini.
Le silence du milieu. Reste le
côté déplaisant de la production, la loi du silence, de l’omerta
serait plus précis et adapté, celle du milieu du jazz en France,
qui malgré l’impossibilité de ne pas citer, de manière très
incomplète et partiale, Jazz Hot qui reste le fondement de
son information et de sa mémoire, et qui en dehors de se priver de
communiquer pour cette production avec les lecteurs de Jazz Hot,
bien que la mémoire en soit pour bonne partie dans Jazz Hot (toute l’année 1959 du n°142 au n°148, n°147 en particulier de Jazz Hot, pages 11 à 13), ne pense même pas à remercier Jazz Hot dans une liste pourtant sans fin, parfois surréaliste
quand on pense à Monk et à ceux qui sont remerciés. Il y avait
pourtant un ancien de Jazz Hot à l’origine de ces bandes,
un autre à l’écriture: aucune note d’Alain Tercinet (p.12) ne
fait référence à Jazz Hot, alors que son récit trouve
toute sa substance dans Jazz Hot, un comble de manque
d’élégance. Charles Delaunay, le producteur pour Swing du premier
disque de jazz en Europe de Thelonious Monk, en 1954 en solo, à
l’origine du Salon du jazz qui invita Monk pour la première fois
en France, il n’est même pas cité. Les quelques "amis" de Jazz
Hot, présents dans cette production, n’ont pas rompu l’omerta.
Triste…
Il est des silences qui disent que,
malgré un passé d’une incroyable richesse, la mémoire du jazz en
France n’a pas d’avenir car instrumentalisée sous des couches
d’intérêts de milieu, personnels. Elle est déjà cassée,
triturée, manipulée, réécrite pour les servir mais pas pour
servir le jazz et sa mémoire.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Christian Sands
Reach
Armando's Song, Song of the Rainbow
People, Pointing West*, Freefall*, ¡Óyeme!, Bud's Tune, Reaching
for the Sun, Use Me**, Gangstalude**°, Somewhere out There***
Christian Sands (p), Marcus Strickland
(ts, bcl)*, Gilad Heklselman (g)**, Yasushi Nakamura (b), Marcus
Baylor (dm), Christian Rivera (perc) + Christian McBride (b)°
Enregistré à New York, date non
précisée
Durée: 1h 05' 39''
Mack Avenue 1117 (www.mackavenue.com)
Christian Sands est un jeune pianiste
de haut niveau, il n’y a aucun doute. Il possède également toutes
les qualités pour être un excellent pianiste de jazz: blues, swing
et expression font partie de son bagage, c’est perceptible dès les
premières notes. Dans ce disque, qui laisse quelque peu sur sa faim
quand on perçoit autant de potentialités, il manque les qualités
de jugement artistique, la conscience de l’appartenance culturelle
au monde du jazz, pour le répertoire, le choix des musiciens et
l’état d’esprit général du disque, du moins si on veut faire
un disque de jazz. Il y a donc le meilleur et le moins bon, et son
producteur, Christian McBride, a sans doute une responsabilité dans
ces choix. On peut penser que c’est sans importance et que le
prochain disque sera meilleur. On peut aussi craindre que le schéma
se reproduise. Cela dit, le pianiste est exceptionnel et donne dans
ce disque d’excellents moments de jazz, souvent noyé dans une
rythmique rock, dans des atmosphères pop avec les échappées du
guitariste qui appartient à un autre univers. Dans l’ancien temps,
on parlait de «salade russe» pour ces mélanges inappropriés qui
dénote de la faute de goût. Les Russes n’ont donc pas
l’exclusivité.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ben Van Den Dungen Quartet
2 Sessions
Mating Call, Hackensack, I'm a Bit
Disapointed in Your Attitude So Far, The Legend Returns, Stay on It,
Two Sessions 1, Situation on Easy Street, Prisoner of Love 2, The Sun
God of the Masai, Prisoner of Love 1
Ben Van Den Dungen (ts, ss), Miguel
Rodriguez (p), Marius Beets (b), Gijs Dijkhuizen (dm)
Enregistré en décembre 2016 et
janvier 2017, Zeist (Pays-Bas)
Durée: 47’ 49”
JWA Records 022017 (www.jwajazz.nl)
Voici un bon disque de jazz par une
formation néerlandaise peu connue en France mais qui ne manque pas
de qualités. C’est du jazz à n’en pas douter, avec un
répertoire d’originaux principalement, même s’il y a trois
compositions dues à Tadd Dameron, Thelonious Monk et Horace Silver.
Le leader a étudié sérieusement la musique dans les années 1980
au Conservatoire de La Haye et a aussi eu un long parcours dans la
musique latine où il a participé à plus d’une dizaine
d’enregistrements. Il a notamment côtoyé dans ce registre Paquito
Rivera et Michel Camilo, parmi beaucoup d’autres. Dans le jazz, il
a accompagné Cindy Blackman, Mal Waldron, Art Taylor, Woody Shaw,
Jimmy Knepper, Kirk Lightsey, Lester Bowie, Brian Lynch, Ralph
Peterson, Jim McNeely, et même si c’est à l’occasion de
tournées en Hollande, ce sont de bonnes références. Cet
enregistrement donne à entendre au ténor et au soprano un bon
saxophoniste, volubile (belle version en duo au ténor avec le
contrebassiste de «Prisoner of Love»), capable de développer de
belles atmosphères, au soprano en particulier, et bien entouré
d’excellents musiciens, l’élégant pianiste Miguel Rodriguez,
très brillant, et une bonne rythmique qui propulse la formation.
C’est un registre post bop, dans l’esprit des derniers Jazz
Messengers, très agréable à écouter, avec une énergie, un drive
qui méritent le détour: une musique qui swingue et, qui sans rien
réinventer du jazz, est tout à fait originale dans ses créations,
et dans l’esprit du jazz, sachant non seulement élaborer un beau
répertoire mais aussi lui donner vie.
Ce quartet en est
à son troisième album après Ciao
City et A
Night in the Club pour ce même
label JWA Records et, associé à Jarmo
Hoogendijk, en quintet, Ben
Van Den Dungen a déjà enregistré, Heart of the Matter, Speak Up et Run for Your Wife pour Timeless et Double Dutch pour EMI. Une excellente formation à découvrir, et pourquoi pas sur
nos scènes.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Elijah Rock
Gershwin for My Soul
S'Wonderful, Fascinating Rhythm, I
Can't Get Started, How Long Has This Been Going On?, Long Ago and Far
Away, Our Love Is Here to Stay, Shall We Dance, Gershwin for My Soul,
Tchaikovsky (and Other Russians), Love Walked In, I Got Plenty O'
Nuttin', Isn't It a Pity? Elijah Rock (voc), Kevin Toney (p,
arr), Jack Lesure (g), John B. Williams (b), Greg Paul (dm)
Enregistré à Los Angeles (Californie), date non
précisée
Durée: 50' 20''
Autoproduction (www.elijahrock.com)
Qualifié d’enregistrement «pop»
dans le répertoire informatique du disque par le producteur qui
n’est autre que l’auteur, on ne démentira pas. C’est une
preuve de lucidité. C’est une relecture propre, avec le support
d’une formation jazz par l’instrumentation, du répertoire
archiconnu des frères Gershwin. Il n’y a pas manière à
s’extasier, ni sur les versions, ni sur la voix, pas plus que
matière à dénigrer un travail professionnel bien fait mais sans
âme. C’est donc une sorte de disque de présentation comme il s’en
fait beaucoup, utile pour connaître, mais qui a peu à voir avec le
jazz, même si la forme et le répertoire peuvent faire illusion à
première lecture du livret.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Matt Kane & The Kansas City Generations Sextet
Acknowledgement
In Case You Missed It, Timeline, The
Burning Sand, ASR', And the Beauty of It All, Wheel Within a Wheel,
Midwestern Nights Dream, Jewel, Question and Answer Mate Kane (dm), Michael Schults (as),
Steve Lambert (ts), Hermon Mehari (tp), Andrew Oulette (p), Ben
Leifer (b)
Enregistré en août 2014, Kansas City
(Missouri)
Durée: 1h 04' 16''
Bounce-Step Records
(www.mattkanemusic.com)
Quand la nouvelle garde de Kansas City
rend hommage à ses mentors en reprenant quelques-unes de leurs
compositions, cela donne un disque tout à fait épatant. Sont ici à
l'honneur le saxophoniste ténor Ahmad Aladeen (disparu en 2010 et
qui fut compagnon de route de Billie Holiday, Ella Fitzgerald et Duke
Ellington), le guitariste Pat Metheny (adepte d'Ornette Coleman) et
le saxophoniste alto Bobby Watson (cheville ouvrière des Jazz
Messengers d'Art Blakey à la fin des années 70). Les arrangements (non crédités) sont
d'une grande qualité, respectant les thèmes originaux tout en leur
donnant un petit coup de neuf. Dans leurs interventions en solo, ces
tout jeunes musiciens (trentenaires, au plus) font preuve d'une
remarquable maîtrise de leur instrument et d'un sens de
l'improvisation et de l'échange dignes de vieux briscards. Musique
nourrie de la culture des traditions (mais sans nostalgie).
Résolument optimiste, brillante et ouverte vers l'avenir. Une
réussite.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Trombone Shorty
Parking Lot Symphony
Laveau
Dirge n°1, It Ain't no Use*, Parking Lot Symphony, Dirty Water, Here Come the
Girls, Tripped Out Slim, Familiar, No Good Time, Where It at?, Fanfare, Like a
Dog, Laveau Dirge Finale
Troy
Trombone Shorty Andrews (voc, tp, tb, tu), Dan Oestreicher, B.K. Jackson (ts,
bs), Pete Murano (g), Leo Nocentelli (g*), Tony Hall, Mike Bass-Bailey (b),
Joey Peebles (dm)
Date et lieu d’enregistrement non communiqués
Durée:
42' 47''
Blue
Note 0602557431148 (Universal)
Troy
Andrews alias Trombone Shorty (né en 1986) a déjà fait sous son nom, pour
Verve, les albums Backatown (2010), For True (2011), Say That to Say This
(2013). Il a attendu avril 2017 pour la sortie de ce nouvel opus, cette
fois chez Blue Note. La légende (publicitaire) dit que Troy Andrews a conçu cet
album seul chez lui (tp, tb, tu, key, org, Fender Rhodes, g, b, dm), puis
mit le projet de côté pendant un an. Nous avons là le résultat. Plusieurs
choses ne vont pas. Tout d'abord nous recevons un pré-disque à «usage
promotionnel» (or Jazz Hot ne s’occupe pas de promotion mais de publier des
chroniques qui respectent ses lecteurs!) sans aucune information: personnel,
date et lieu d'enregistrement ne sont pas indiqués. Depuis le travail de
pionnier de Charles Delaunay, la tradition (un gros mot aujourd'hui) est de
lister ces renseignements. J'ai donc cherché sur internet ce qui nous était dû,
par respect de notre travail (c'en est un). Bien sûr, «le monde a changé»!
Belle excuse pour justifier des troubles comportementaux qui sont la règle dans
le milieu de la pop et du business en général. Et bien évidemment ce produit à
but lucratif ne relève pas du monde du jazz, mais bien de la soul rythmiquement
binaire («Dirty Water»: bon solo de trompette) avec parfois des effets de
cordes («Parking Lot Symphony»). L'accent est mis sur le bon chanteur «soul»
que sait aussi être Trombone Shorty: «It Ain't No Use» des Meters (chœur
grandiloquent derrière l'excellent solo de trombone!), «Here Come The Girls»
d'Allen Toussaint (solo de trombone musclé). Va-t-on comprendre que ce n'est
pas parce que c'est rythmé que ça swingue (sinon les marches napoléoniennes et
les mazurkas sont du jazz)! Que ce soit jubilatoire, festif et que ça donne
envie de bouger, pas de doute, comme l'instrumental bien venu, «Tripped Out
Slim» où je pense que Troy Andrews joue en re-recording le tuba, trombone (bon
solo) et la trompette et crée une ambiance Dirty Dozen Brass Band. Le malheur,
c'est que la plage suivante, «Familiar», est de la "soupe" avec du chant "rappeux" et parfaitement anti-jazz. Drumming martelé, bien lourd dans «No Good
Time» qu'on nous annonce bluesy mais qui n'en a aucun élément expressif. Je
pense que les amateurs de Prince peuvent s'enthousiasmer, mais les jazzfans
devraient soutenir le travail trop négligé en comparaison, des Wendell
Brunious, Leroy Jones, Nicholas Payton, Leon Brown, Kevin Louis. Bien sûr, tous
les solos de Troy sont bons, surtout à la trompette qu'il sollicite hélas moins
que le trombone sur lequel il est pertinent mais sans finesse. Le motif
répétitif de «Where It At?» a tout pour agiter les jeunes filles dans des
salles surbondées. Les riffs de Troy sont bons, bien mis en place et sa musique
propose essentiellement ça («Fanfare», trop long et lassant). Le meilleur et le
plus dans la tradition néo-orléanaise est «Laveau Dirge n°1» dans lequel Troy
Andrews prêche bien à la trompette (s'inscrivant dans le meilleur créneau de
Wynton Marsalis). C'est du gâchis de talent par l'argent. Nous avons connu
Trombone Shorty portant bien son nom en 1994 lors d'une parade à New Orleans.
Puis, bien plus tard à Ascona en tant que remarquable trompettiste jazz (2007).
Et entre temps, en 2000 et en vidéo, il y a ce "contest" sur «Mahogany Hall
Stomp» entre lui (14 ans), Brandon Lee et Dominick Farinacci (tous deux 17 ans)
avec le Lincoln Center Jazz Orchestra, et il est scandaleux que l'on néglige
dans les milieux jazz les deux autres au profit de la pop star qu'est devenu
Trombone Shorty (cf. la chronique du Short Stories de Dominick Farinacci, Jazz
Hot n°677).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz at the Phiharmonic
Live in Paris. 1958-1960
Titres
détaillés dans le livret Roy
Eldridge, Joe Gordon, Dizzy Gillespie (tp), J.J. Johnson (tb), Sonny Stitt (as,
ts), Benny Carter (as), Leo Wright (as, fl), Don Byas, Coleman Hawkins, Richie
Kamuca, Stan Getz (ts), Lou Levy, Lalo Schifrin, Russ Freeman, Jan Johansson,
Vic Feldman (p), Herb Ellis (g), Max Bennett, Art Davis, Monty Budwig, Daniel
Jordan, Ray Brown, Sam Jones (b), Gus Johnson, Jo Jones, Shelly Manne, William
Schlöpffe, Louis Hayes, Chuck Lampkin (dm) Enregistré entre 30 avril 1958 et le 25 novembre 1960,
Paris Durée: 3h 40'
Frémeaux & Associés 5632 (Socadisc)
Ne revenons pas sur le concept JATP de Norman Granz qui
met en "compétition" des vedettes, souvent en mélangeant les tenants
du jazz mainstream et du bop. Pour l'anecdote, le 25 novembre 1960, Charles
Delaunay et Hugues Panassié étaient tous deux dans la salle. Tous ces titres
viennent de prestations données à l'Olympia. Parfois ces tournées proposaient
aussi des groupes réguliers comme, ici, ceux de Shelly Manne, de Stan Getz et
de Dizzy Gillespie en 1960. Le CD1 débute par «Idaho» dans la vraie tradition JATP
avec des vétérans en forme, Coleman Hawkins et un Roy Eldridge toujours prêt
aux exhibitions (1958). Suit la «Ballad Medley», principe cher au JATP où
chaque soliste y va de sa démonstration expressive. Elle est gigantesque avec
Coleman Hawkins dans «Indian Summer»! (les lignes de basse de Max Bennett sont
bien, la sobriété de Lou Levy et de Gus Johnson aux balais sont à louer). Sonny Stitt aborde «Autumn in New
York» en copiant trop Charlie Parker. Roy Eldridge suit pour un «The Man I
Love» gorgé d'émotion. Cette mouture aborde ensuite «The Walker», co-signé
Eldridge-Hawkins. C'est Hawkins qui ouvre le feu. Roy Eldridge qui suit,
est fatigué, mais il assure avec brio. Sonny Stitt est cette fois au ténor et
il ne manque pas d'inspiration. On enchaîne par la collection de vedettes du 25
novembre 1960 qui se lance dans «Take the A Train». Jo Jones y surclasse son
prédécesseur, Gus Johnson. Eldridge est le premier soliste. Du punch et des
aigus, c'est ce qu'on attend de lui. Suivent Hawkins (le patron), Benny Carter
(aérien), Don Byas, Jo Jones (Lalo Schifrin se contente d'un accompagnement
sobre). Deuxième «Ballad Medley» (sans Hawkins?). D'abord l'alto très chantant
de Benny Carter dans «The Nearness of You». La classe! Eldridge donne, avec la
sourdine harmon sans tube, une version sombre de «My Funny Valentine» qui ne
doit rien à Miles Davis et Chet Baker. Don Byas reprend le «I Remember
Clifford» de Golson qu'il jouait souvent à cette époque, avec cette sonorité
ample et chaude qui a tant influencé Guy Lafitte. Benny Carter revient pour
«Laura» et Roy Eldridge avec «Easy Living». Toute la troupe termine le plus
indispensable des trois CD par un long «Indiana» (17' 30'') qui offre un solo
anthologique de Jo Jones! Le CD2 propose deux groupes réguliers, celui de Shelly
Manne le 23 février 1960 (cinq titres) puis celui de Stan Getz le 21 novembre
1960 (six titres). Parmi les bonnes choses: les solos de Joe Gordon (tp avec
sourdine), Richie Kamuca (ts proche de Zoot Sims) avec l'excellent Shelly Manne
dans «Yesterdays», «Step Lightly» de Benny Golson. On comparera utilement cette
belle version d'«I Remember Clifford» par Stan Getz avec celle de Don Byas,
notamment pour le choix du tempo et l'emploi du vibrato. Le CD3 nous ramène pour trois morceaux au concert de
1958, mais cette fois avec Dizzy Gillespie et Stan Getz comme souffleurs (même
rythmique, cf. Supra). «Just You, Just Me» est exposé par Dizzy presqu'à la
façon Roy Eldridge, après l'intervention de Getz, il monte d'un cran le swingue
sur une rythmique qui carbure (son ample de Ray Brown). Alternative entre Gus
Johnson et Dizzy puis Getz à l'avantage du trompettiste plus dynamique.
L'équipe donne un «Bernie's Tune» tonique. Puis, on retourne au 25 novembre
1960 pour un «Blue'n Boogie» bien sûr ultra-vif de 11' 44'', tremplin pour J.J.
Johnson, Getz, Sam Jones et Gillespie, avant de terminer par la suite
Gillespiana par le quintet Dizzy Gillespie déjà réédité (LaserLight 36132) et
que nous avions chroniqué. Un
document estimable.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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New Orleans Roots of Soul
1941-1962
Titres
communiqués dans le livret
Champion
Jack Dupree, Rev. Utah Smith, Pr Longhair, Lonnie Johnson, Roy Brown, Dave
Bartholomew, Lloyd Price, Shirley & Lee, Frankie Lee Sims, Little Sonny
Jones, Sugar Boy, Paul Gayten, Guitar Slim, Lil' Millett, Louis Armstrong,
Mahalia Jackson, Fats Domino, Slim Harpo, Smiley Lewis, Clarence Frogman Henry,
Clifton Chenier, Larry Williams, Art Neville, Oscar Wills, Allen Toussaint,
Eddie Bo, Snooks Eaglin, Dr John, Earl King, Irma Thomas, Lee Dorsey, Chris
Kenner, Junco Partner, Reggie Hall, Benny Spellman, Alvin Robinson, Danny
White, Willie Tee, Johnny Adams
Enregistré
entre le 28 janvier 1941 et fin 1962, Chicago, New Orleans, Cincinnati, Los
Angeles, Dallas, Crowley
Durée:
3h 08' 24''
Frémeaux
& Associés 5633 (Socadisc)
Ne revenons pas sur Bruno Blum auteur du texte de
livret, nous avons déjà dit en d'autres occasions ce que nous pensions. Son
travail présente des inexactitudes. Ceux qui ne connaissent pas le rhythm'n blues
louisianais se renseigneront au mieux avec des ouvrages comme: Rhythm'n
Blues in New Orleans de John Broven (1988, Pelican Publishing Co), I
Hear You Knockin'. The Sound of New Orleans Rhythm'n Blues de Jeff Hannusch
(1985, Swallow Publicatons Inc), Up From The Cradle of Jazz. New Orleans
Music Since World War II de Jason Berry, Jonathan Foose et Tad Jones (1986,
University of Georgia Press). Ce coffret leur permettra d'illustrer des noms
restés chez nous peu connus comme Roy Brown, Guitar Slim, Frogman Henry, Earl
King, Snooks Eaglin, etc., aux côtés d'incontournables comme Louis Armstrong
(1955, «Mack the Knife»; 1961, «I'm Just a Lucky So and So»), Mahalia Jackson
(1956, «Just a Little While to Stay Here»), Lonnie Johnson (1949, «Blues Stay
Away From Me»; 1951, «Me and My Crazy Self»), Champion Jack Dupree (1941,
«Junker's Blues»), Clifton Chenier (1956, «Baby Please»; 1957, «My Soul»), Fats
Domino (1955, «Blue Monday») et Pr Longhair (1949, «Hey Little Girl»; 1950,
«Her Mind is Gone») sur lesquels il ne devrait pas être nécessaire de revenir.
De la fin des années 1940 au début des années 1960, c'était l'époque de
multiples petits labels (Specialty, Ace, Imperial, etc) et, derrière les
chanteurs, pour ceux enregistrés à New Orleans, une esthétique commune venant
du drumming spécifique des lieux (Earl Palmer, Leo Morris alias Idris Muhammad,
Charles Hungry Williams, Ed Blackwell, Cornelius Coleman, Bob French, Smokey
Johnson) et d'immuables requins de studio (Dave Bartholomew, Teddy Riley, Melvin
Lastie, tp, Joe Harris, as, Herb Hardesty, Clarence Hall, Lee Allen, David
Lastie, Plas Johnson, James Rivers, Robert Palmer, Nat Perilliat, Fred Kemp,
ts, Red Tyler, Clarence Ford, bs, Salvador Doucette, Lawrence Cotton, James
Booker, Allen Toussaint, Huey Smith, p, Harold Battiste, p-ts, Ernest McLean,
Justin Adams, Ervin Charles, Rene Hall, Roy Montrell, Edgar Blanchard, g, Frank
Fields, Lloyd Lambert, Chuck Badie, Richard Payne, b). Nous les retrouvons tous
ici, et ils méritent d'être nommés car plus que les chanteurs (au talent
inégal) ils font l'intérêt de ce coffret. Autre caractéristique: un phrasé
«lazy» (paresseux) sur des tempos jamais trop lents ou trop rapides. Néanmoins,
il suffit d'écouter pour se rendre compte qu'on passe du blues/swing à la chansonnette
des années 1960 (la «soul» et le «yéyé», c'est la même chose: CD3). L'un des
meilleurs chanteurs-guitaristes est ici Snooks Eaglin (1960, «That Certain
Door», «Nobody Knows», «C.C. Rider»). Parmi les bons moments néo-orléanais: la
guitare d'Earl King (1960, «Come On») et de Roy Montrell (1961, Eddie Bo, «Baby
I'm Wise»), les solos de Lee Allen (ts) (1954, Paul Gayten, «Down Boy»; 1957,
Art Neville, «The Dummy»; 1960, Mac Rebennack, «Sahara»-instrumental), de David
Lastie (ts) (1954, Sugar Boy Crawford, «What's Wrong»; 1961/2, Johnny Adams,
contre-chants, «A Losing Battle»), Dave Bartholomew (tp: 1954, Little Sonny
Jones, «Tend to Your Business Blues»), Herbert Hardesty (ts: 1952, Lloyd
Price, «Lawdy Miss Clawdy»), Melvin Lastie (cnt) et Red Tyler (bs) (1959, Allen
Toussaint: «Chico», instrumental), Plas Johnson (ts: 1957, «Slow Down»). Pour
les non louisianais, signalons les contre-chants de Wilbur Harden (tp: 1950
Roy Brown, «Hard Luck Blues») et Red Prysock (ts: 1951, Lonnie Johnson, «Me
and My Crazy Self»). Un bon résumé de musiques pas aussi homogènes qu'on
l'affirme, plaisantes et représentatives d'une époque.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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The New Orleans Jazz Vipers
Going! Going! Gone
One
O'Clock Jump, Going! Going! Gone, Please Don't Talk About Me, I Hope You're
Comin' Back to New Orleans*, Sugar, All That Meat & no Potatoes, I Can't
Believe You're in Love With Me, Keeping Out Mischief Now, Sugar Blues, Hummin'
to Myself, Someday Sweetheart, Darktown Strutters' Ball, Way Down Yonder in New
Orleans
Kevin
Louis (tp, cnt, voc), Craig Klein (tb, voc), Joe Braun (as, voc), Oliver Bonie
(bs), Molly Reeves (g, voc), Joshua Gouzy (b), Irma Thomas (voc)*
Enregistré à New Orleans, date non précisée
Durée: 54' 44''
Autoproduit (www.neworleansjazzvipers.com)
C'est le groupe qui a fait sensation au JazzAscona de
2016 (Earl Bonie, ts-cl, ex-Dukes of Dixieland remplaçait Joe Braun). En fait,
il s'agit d'un orchestre régulier (d'où la cohésion) fondé par Joe Braun dans
les rues du French Quarter. Depuis 2001, les Jazz Vipers se produisent au
Spotted Cat Music Club (avec l'interruption due à Katrina, le groupe étant à
San Francisco et Austin). Beaucoup de bons musiciens sont passés dans ce groupe
: Jack Fine, Charlie Fardella, Wendell Brunious, Steve Yokum, Matt Perrine. Le
style de l'orchestre n'est pas le jazz traditionnel genre George Lewis. C'est
un combo «jump» qui touche au répertoire de Count Basie, Fats Waller, etc. Le
swing est généré par une incroyable rythmique, très impressionnante en direct. Si
depuis ce disque récent, le son du groupe a changé, c'est dû à la présence de
Joe Braun qui a un style typé, genre Earl Bostic (et d'une moindre façon Capt
John Handy: «Someday Sweetheart» où sont bien mis en valeur Craig Klein avec
plunger et Oliver Bonie). Craig Klein, valeur sûre des Jazz Vipers, est en
vedette dans «Sugar» et «Sugar Blues» (bons solos aussi d'Oliver Bonie et
surtout de Kevin Louis). Egalement bon chanteur, Kevin Louis est en valeur dans
«Please Don't Talk» et «Darktown Strutters' Ball» (bon solo de Joshua Gouzy).
Molly Reeves, efficace guitariste rythmique digne de Danny Barker, est aussi
une chanteuse délicieuse dans «All The Meat & No Potatoes» et «Keeping Out
of Mischief Now». La fameuse
Irma Thomas apporte son concours à «I Hope You're Comin' Back to New Orleans». Bref,
ce disque, belle exception aux dérives de notre époque, est indispensable aux
amateurs de musique qui swingue...et aux danseurs!
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ambrose Akinmusire
A Rift in Decorum. Live at the Village Vanguard
CD1: Maurice & Michael (Sorry I
Didn't Say Hello), Response, Moment in Between the Rest (To Curve An
Ache), Brooklyn (ODB), A Song to Exhale (Diver Song), Purple
(Intermezzo), Trumpet Sketch (Milky Pete) CD2: Taymoor's World, First Page
(Shabnam's Poem), H.A.M.S. (In the Spirit of Honesty), Ambrose
Akinmusire, Piano Sketch (Sam Intro), Piano Sketch (Beyond
Enclosure), Condor (Harish Intro), Condor, Withered, Umteyo
Ambrose Akinmusire (tp), Sam Harris
(p), Harish Raghavan (b), Justin Brown (dm)
Enregistré en janvier 2017, New York
Durée: 1h 40' 40''
Blue Note 0602557649703 (Universal)
Pour son quatrième album à la tête
de son quartet, quasi identique depuis plusieurs années, (le dixième
en leader et coleader), Ambrose Akinmusire, emprunte la voie des
géants. A la suite de John Coltrane ou de Sonny Rollins qui l’ont
précédé au Village Vanguard pour graver un album live, il marquera
avec A Rift in Decorum: Live at the Village Vanguard la vaste
discographie enregistrée dans ce temple du jazz au Greenwich Village
de New York. Il signe la totalité des compositions qui excellent
dans cet écrin. Tel un équilibriste, il nous délivre un message
sur le fil du rasoir. Nulle esbroufe, mais une authenticité qui dès
le premier titre «Maurice & Michael (Sorry I Didn't Say Hello)»,
nous plonge dans son univers introspectif. Le public attentif suit
cette soirée ou chaque musicien est parfaitement à sa place. Depuis
sa victoire, en 2007 à la Thelonious Monk International Jazz
Competition, il s’est affirmé comme l’un des jeunes
trompettistes à suivre et prouve depuis son originalité. Sa musique
est suffisamment riche pour nourrir ce long enregistrement sans faire
appel aux standards; de même, tout en restant fidèle à l'héritage
du swing et du bebop, elle exprime son originalité, avec un grand
lyrisme. Ambrose décortique à souhait des thèmes maintes fois
travaillés pour en extraire l’essence même et utilise au mieux
une rythmique complètement dévouée à sa grâce. Nul besoin de
décrire chaque titre, il suffit de s’y plonger pour mieux les
savourer. A noter «Trumpet Sketch (Milky Pete)» voyage de 14
minutes dont la longue introduction en solo, dans la lignée d’un
Don Cherry, transgresse les rives de la musique improvisée suivi par
un Sam Harris (p) plus qu’inspiré, piano enluminé par un Justin
Brown (dm) toujours aussi inventif, qui s’engouffre dans un
dialogue trompette/batterie décapant. Un album comme une longue
narration qui ne cesse de chevaucher une mer déchaînée qui ne
connaît dans sa première partie que peu d’accalmies apaisantes.
Le second CD, plus serein, s’ouvre sur «Taymoor's World», comme
un éclairci après la bataille qui bien vite nous amène à partager
une table du fameux club, où l’on regrette de n’avoir pu être
dans le public pour participer à la claque. Dans une transe
incantatoire le groupe nous amène aux portes d’un véritable jazz
où le respect des aînés est évoqué, revu et transposé dans une
Amérique actuelle. Agé de 35 ans, Ambrose Akinmusire, sera un des
trompettistes incontournables de ce début de siècle, si l'industrie
du showbiz ne lui met pas le grappin dessus. Il est, pour le moment,
d'une irréprochable intégrité.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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John Scofield
Country for Old Men
Mr Fool,
I’m So Lonesome I Could Cry, Bartender Blues, Wildwood Flower, Wayfaring
Stranger, Mama Tried, Jolene, Faded Love, Just a Girl I Use to Know, Red River
Valley, You’re Still the One, I’m an Old Cowhand.
John
Scofield (g), Larry Goldings (p, org, key), Steve Swallow (b), Bill Stewart (dm)
Date et lieu d'enregistrement non communiqués
Durée: 1h 05' 37''
Impulse! 0602557088106
(Universal)
Avec plus de trente albums à son actif, John Scofield se doit d’avoir de nouvelles
idées pour propager le son feutré de sa guitare Ibanez à ses admirateurs. En
optant pour le style country, le guitariste de Dayton (Ohio) choisit un parti pris subtil. Lui qui sait si
bien mêler les sons planants aux sonorités groovy et funky aurait peut-être dû choisir un autre
répertoire. Mais «Sco» possède sa griffe, reconnaissable et dès qu’il touche
son instrument («Wildwoof Flower»). Pour asseoir son propos, il est accompagné
de partenaires fidèles: Steve Swallow,
Larry Goldings et Bill Stewart. Si les chants traditionnels sont au menu («Wayfaring Stranger»), John
Scofield intègre des reprises d’artistes
comme James Taylor («Bartender’s Blues») ou Dolly Parton («Jolene») pour donner
un aspect plus moderne à des thèmes issus de la tradition. La guitare de Mister
Sco se fait toujours aussi virevoltante et lorsque Larry Goldings passe au
piano cela donne un ensemble d’une qualité supérieure. Les échanges entre les
artistes renvoient très bien à l’idiome jazz et on se délecte à écouter les
dialogues entre guitare, orgue et basse («Faded Love»). La sonorité particulière
de la six-cordes se laisse encore
apprécier sur «Red River Valley», un traditionnel, transfigurait par les trois
artistes qui conserve sa saveur d’antan. «You’re Still the One» permet au
guitariste de poursuivre sa quête de sonorités secrètes sur des thèmes
classiques. L’album se termine avec «I’m a Old Cowhand» de Johnny Mercer, un
joli clin d’œil qui renvoie au titre de cet album, où l’ancien n’est pas forcément d’actualité.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Dave Stryker
Messin' With Mister T
La Place Streeet, Pieces of
Dreams, Don’t Mess With Mister T, In a Sentimental Mood, Impressions,
Gibraltar, Salt Song, Sugar, Side Steppin’, Let It Go
Dave Stryker (g), Jared Gold (org), McClenty Hunter (dm),
Mayra Casales (perc) + Houston Person, Mike Lee, Don Braden, Jimmy Heath, Chris
Potter, Bob Mintzer, Eric Alexander, Javon Jackson, Steve Slagle, Tivon
Pennicott (s)
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Durée: 1h 10' 27''
Strikezone 8812 (www.davestryker.com)
Dave Stryker
Eight Track II
Harvest for the World, What’s Going On, Trouble Man,
Midnight Cowboy, When Doves Cry, Send One Your Love, I Can’t Get Next to You,
Time of the Season, Signed-Sealed-I’m Delivered I’m Yours, One Hundred Ways,
Sunshine of Your Love
Dave Stryker (g), Steve Nelson (vib), Jared Gold (org),
McClenty Hunter (dm)
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Durée: 1h 05' 50''
Strikezone 8814 (www.davestryker.com)
The Stryker/Slagle Band Expanded
Routes
City of Angels, Nothin’
Wrong with It, Self-Portrait in Three Colors, Routes, Ft. Greene Scene, Great
Plains, Extensity, Gardena, Lickety Split Lounge
Dave Stryker (g), Steve Slagle (as), John Clark (frh), Billy
Drewes (ts, bcl), Clark Gayton (tb, tu), Bill O’Connell (p, ep), Gerald Cannon
(b), McClenty Hunter (dm)
Enregistré les 14 et 15 décembre 2015, Paramus (New
Jersey)
Durée: 59' 17''
Strikezone 8813 (www.davestryker.com)
Voici livrées les dernières
productions de Dave Stryker, le guitariste d’Omaha (Nebraska). Trois nouvelles
galettes et trois thématiques bien distinctes pour mettre en avant son phrasé
feutré. Messin’ With Mister T célèbre, comme le sous-titre le
laisse entendre, les années du guitariste aux côtés de Stanley Turrentine. Le
matériau choisi pour mettre en avant les pièces et compositions favorites de
son ex-leader renvoie au temps béni où le jazz avait encore facilement droit de
citer dans les médias. Plus fort encore, il bénéficie pour l’occasion de la
présence de quelques-uns des meilleurs saxophonistes de la galaxie jazz:
Houston Person, Jimmy Heath, Eric Alexander, Bob Mintzer, Chris Potter et Steve
Slagle, le fidèle partenaire du guitariste. L’album s’ouvre avec «La Place Street»
de Stanley Turrentine avec Houston personne au saxophone. Le tempo est bien chaud avec les
interventions de Jared Gold (org) et les
coups de boutoir de McClenty Hunter sur les peaux. «Let It Go» avec Tivon
Pennicott (s) met en lumière les jolis
déboulés de la guitare de Stryker et la voix mélodieuse de l’instrument du
partenaire de Kenny Burrell en 2008. L’éternel «Sugar» se fait plus mielleux
avec Javon Jackson dans le rôle de Mister T. le tout bien emmené par un jeu
soyeux de l’organiste. Après le sucré, Eric Alexander fait entendre sa sonorité
si spécifique sur une pièce plus salée («Salt Song»), tandis que le guitariste
fait apprécier sa technique pour délivrer des notes d’une pure beauté. En fin connaisseur de Turrentine, le leader
présente «Impressions», de John
Coltrane. Un morceau gravé pour la première fois par son mentor sur Sugar avec Chris Potter aux anches. Bien
sûr, «Don’t Mess with Mister T.» de Marvin Gaye est présent sur l’une des
plages du CD pour retrouver les bienfaits de ce que délivrait le saxophoniste de Pittsburgh en son temps.
Pour Eight Track II Stryker puise dans un répertoire plus ouvert pour
mettre en lumière les artistes vedettes de la Motown comme Marvin Gaye, Stevie
Wonder ou les Temptations, mais aussi des rockers comme le Cream d’Eric Clapton
ou les Isley Brothers. La présence du vibraphone de Steve Nelson aux côtés de
Jared Gold (org) et McClenty Hunter (dm) constitue le fil conducteur de cet album. Cette expression
du guitariste renvoie aux sessions et autres concerts aux côtés de Brother Jack Mc Duff. Certains moments de Eight Tracks nous plongent dans l’’atmosphère si particulière de la
fin des années soixante avec les oeuvres de Grant Green et tout
particulièrement «Trouble Man». Une résurrection qui fait plaisir à attendre,
preuve que Stryker connaît bien ce langage et sait adapter, comme ses
prédécesseurs, Wes, George, Kenny et Pat, les morceaux pop dans un langage jazz
gorgé de blues. Petit clin d’œil au british blues avec une adaptation
hautement énergique du «Sunshine of Your
Love» de Cream et le savoureux «Time of the Season» du groupe The Zombies. Enfin, le Prince de Minneapolis fait aussi
partie de la revue avec l’emballante adaptation de «When Dove Cries» où l’orgue
de Jared convole en juste noces avec les notes feutrées de Stryker.
Avec Routes, le guitariste partage le leadership avec Steve Slagle dans
un format plus évolué pour certaines compositions. Au duo, augmenté de McClenty Hunter, le batteur habituel de
Stryker, et Gerald Cannon (b) s’agrègent Jackson Clark (frh), Billy Drewes (ts,
bcl) Clark Gayton (tb) et Bill O’Connell (p). Ainsi sur «Nothin’ Wrong with It»
c’est un septet qui s’exprime pour exposer la facette de compositeur du
guitariste et son compère saxophoniste. Dans une ambiance plus pesante, la
formation développe les idées du duo avec de beaux entrelacs entre la guitare
et les soufflants. Des instants de
suspension sont offerts par la guitare du leader qui met en lumière le
background de la flûte de son partenaire, et les interventions de Clark Gayton
au tuba («Great Plains») pour une pièce de grande qualité. «Self-Portrait in
Three Colors», de Charlie Mingus situe
totalement l’état d’esprit haut de gamme dans lequel évolue ce Routes.Entre swing et conception plus contemporaine, la formation assume sa
tâche de transmettre la tradition avec succès («Extensity»). Sur «Lickety Split Lounge», le guitariste
reprend la main pour asséner ses notes acérées. Ces trois albums permettent
pour ceux qui ne le connaissent pas encore de découvrir un guitariste référent
de la scène jazz actuelle, qui a fait ses classes auprès des plus grands, et
transmet son expérience en apportant sa touche personnelle pour que l’idiome
poursuive son développement dans l’univers de la musique.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°680, été 2017
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BLM Quartet
Me'n You
Me'n
You, A Kiss to Build a Dream On, Between the Devil and the Deep Blue Sea, East
of the Sun, There Will Never Be Another You, Rockville, Blockrock, Tenderly,
Wrap Your Troubles in Dreams, New Concerto for Cootie, 9:20 Special,
Ooh-Ah-Dee-Dee, Stolen Swing
Dominique Burucoa (tp, flh, voc), Atnaud Labastie (org),
Emmanuel de Montalembert (g), Antoine Gastinel (dm)
Enregistré les 25 et 26 février 2016, Ustaritz (64)
Durée: 58' 26''
Jazz aux Remparts 64025 (www.jazzauxremparts.com)
Dominique Burucoa est bien connu, notamment comme
directeur du festival, Jazz aux Remparts, dont la disparition fit le désespoir
des jazzfans avertis. Il est tout à fait qualifié pour affirmer dans le texte
d'accompagnement: «le swing comme vertu cardinale du jazz »! Et c'est le choix
esthétique de ce quartet ainsi que le démontre d'emblée, «Me'n You» du
tromboniste Eli Robinson qui ouvre le programme (solos bien menés d'orgue,
trompette avec plunger et guitare). Bel hommage au maître Louis Armstrong (sans
caricature!) dans une version simple et efficace de «A Kiss to Build a Dream On
» bien chanté et joué avec autorité par Dominique Burucoa. Antoine Gastinel amène un swinguant «Between
the Devil and the Deep Blue Sea». C'est le premier disque d'Arnaud
Labastie à l'orgue et il en joue avec une maîtrise et swing enthousiasmants.
Dans «Stolen Swing», il évoque Milt Buckner auquel il rend un hommage explicite
dans «Ooh-Ah-Dee-Dee». Les improvisations d'Emmanuel de Montalembert ont la
sobriété d'un Billy Butler, c'est si rare aujourd'hui («Rockville», thème-riff
de Johnny Hodges). Il amène bien «East of the Sun» exposé avec feeling par
Dominique Burucoa au bugle. Guitare et orgue sont parfaits derrière la
trompette avec sourdine dans «There Will Never Be Another You». Les tempos sont
parfaits pour le swing («Blockrock» de Cootie Williams, «Wrap Your Troubles in
Dreams», «9:20 Special»). Bref, un moment plaisant dans un contexte
désespérant.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz de Pique
Le Retour
Father
Steps In, Moten Swing, Chocolate, Rhapsody in Courbevoie, Sweet Georgia Brown,
Flying Home, Blue Spleen, Feet in the Fuel, One O'Clock Jump, Stompin' at the
Savoy, 9:20 Special, Undecided, Boot It!, Blop-Blop, J'irai cracher sur vos
trompes
Jacques Hannequand, Daniel Thorel, Laurent Verdeaux,
Christian Camous, Jean-Louis Hannequand, Gilles Millerot (tp), Georges Batut
(tb, vib), François Février, Guy Figlionlos, Alain Cuttat, Didier Baniel (tb),
Gilbert Rousselin, Roger Petit (as), Michel Méresse (as, ts), François Jouvin
(ts, cl), Michel Bourgeois, André Villéger (ts), Jean Picard (bs, cl), Jean
Rotman (p), Gérard Rakowski (g), Jean-Pierre Simondin (b), Claude-Alain du
Parquet (dm), invité : Benny Waters (ts, as, cl)
Enregistré entre fin décembre 1972 et le 4 mai 1985,
Courbevoie (92), Paris
Durée:
1h 03' 49''
Fenesoa
06 (jean.rotman@wanadoo.fr)
A une époque où rares sont les jazz fans qui se
préoccupent encore de Bennie Moten, Erskine Hawkins, Jimmie Lunceford ou même
de Fletcher Henderson, voici un disque du Jazz de Pique, un big band amateur
dirigé par le pianiste et futur médecin homéopathe Jean Rotman, également
responsable de la majorité des arrangements. Ce disque vaut surtout pour les
titres 10 à 14 dont la vedette est Benny Waters, surtout au ténor (excellent
dans «Stompin' at the Savoy»), mais aussi à l'alto (« 9:20 Special»,
arrangement d'Earle Warren, avec de bonnes parties d'ensembles bien jouées) et
à la clarinette («Undecided», Waters y est en grande forme; bon solo de
Rotman). Le dernier titre, montre qu'après dix ans ces musiciens ont plus de
métier: il y a des nuances, la section de trombones mise en vedette sonne bien,
bon solo de trombone (la trompette wa-wa est de Laurent Verdeaux). En effet les
9 premiers titres qui sont la réédition du Moten Swing, Pragmaphone LP 8,
trahissent un niveau de débutants, surtout dans les ensembles et sur tempos
vifs (certains de ces musiciens joueront ensuite dans le big band Roger Guérin,
comme Jean Picard). Le livret nous indique que «certains savaient improviser,
d'autres pas», ce qui est la règle en big band et ne gêne pas, mais aussi que
«Certains jouaient d'oreille, d'autres étaient d'excellents lecteurs», ce qui
ne garantit pas le meilleur résultat en grande formation. Deux morceaux, en tempo
lent, sortent du lot d'un point de vue collectif: «Rhapsody in Courbevoie» et
«Blue Spleen» (beau thème, bon solo de trombone). Ici et là, il y a de bons
solos de trompette, de vibraphone et deux solos d'un jeune André Villéger déjà
plus que prometteur («Flyin' Home», «Feet in the Fuel»). Un disque sympathique
qui illustre l'attachement à la tradition swing d'une partie des musiciens
français en cette première moitié des années 1970.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Oracasse
La Barque du rêve
Whoopin'
Blues, Tremé Song, La Grève barré moin, Indiana...Lee, La Rue Zabyme, Old
Rugged Cross, Close Your Eyes, Do What Ory Say, Linger Awhile, Parfum des îles,
La Barque du rêve, It Ain't My Fault
Guy
Bodet (tp, cnt, flh), Emmanuel Pelletier (ss, ts, fl, voc), Thierry Bouyer
(bjo, g, tp, voc), Xavier Aubret (tu, b, voc), Gabor Turi (dm, perc, voc)
Enregistré les 6 et 7 septembre 2016, Chabournay (86)
Durée: 59' 15''
Autoproduction (aubret@oleo-production.com)
Voici un groupe dit de «jazz traditionnel» qui ne peut
que donner de la joie dans les animations notamment festivalières. Le meilleur
soliste est Guy Bodet, dit Mimile, trompettiste titulaire dans l'orchestre
Claude Bolling. Un bon exemple de sa maîtrise instrumental se trouve dans
«Indiana» avec sa déclinaison bop dans la coda. Dans «Whoopin' Blues» Guy Bodet
mène avec décontraction et offre un solo bien mené. Il est également à son
avantage dans «Do What Ory Say» et surtout «Linger Awhile». «Tremé Song» de
John Boutté et «It Ain't My Fault» sentent bon le New Orleans d'aujourd'hui
(nous préférons Emmanuel Pelletier au ténor, comme dans «Close Your Eyes»). Il
y a d'autres thèmes connus de la Cité du Croissant mélangés à des morceaux
exotiques moins enthousiasmants pour les jazzfans (mais «Parfum des îles» avec
bugle et flûte est bien plaisant: écoutez le solo de Guy Bodet!). Un spiritual
rendu célèbre par le clarinettiste George Lewis est ici joué en trio (ss, bj,
b) de façon sensible. Une "galette" qu'on s'arrachera au détours d'une prestation!
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Wadada Leo Smith
America's National Parks
CD1:
America’s National Parks USA 1718, Eileen Jackson Southern 1920-2002: A
Literary Park, Yellowstone: The First National Park and the Spirit of
America–The Mountains, Super-Volcano Caldera and Its Ecosystem 1872
CD2:
The Mississippi Rivers Dark and Deep Dreams Flow the River–A National Memorial
Park c. 5000 BC, Sequoia/Kings Canyon National Parks: The Giant Forest, Great
Canyon, Cliffs Peaks, Waterfalls ans Cave Systems 1890, Yosemites: The
Glaciers, the Falls, the Wells and the Valley of Goodwill 1890
Wadada
Leo Smith (tp), Anthony Davis (p), Ashley Walters (cello), John Lindbergh (b),
Pheeroan Ak Laff (dm)
Enregistré le 5 mai 2016, New Haven (Connecticut)
Durée:
1h 38’ 05’’
Cuneiform
Records 430/431 (www.cuneiformrecords.com)
Wadada Leo Smith et son Golden Quintet nous invitent à
une traversée des grands parcs américains dans une célébration de la nature
encore conservée et à protéger. Les six longs mouvements parfaitement exécutés
nécessitent une attention particulière car Wadada inscrit sa musique dans la
lignée de la musique afro-américaine libertaire. Un mariage précis entre
écriture et improvisation. Wadada a terminé de composer ce répertoire et l’a
enregistré avant de célébrer ses 75 ans (décembre 2016). Les vingt-huit pages
du répertoire de America’s National Parks ont été conçu pour son ensemble le
Golden Quintet, une fraiche extension du quartet qu’il a dirigé durant 16 ans.
L’idée lui est venue pour deux raisons, de par son propre intérêt pour la
nature depuis des années, en particulier pour le Park de Yellowstone et de la
série documentaire, The National Parks: America ‘s Best Idea, d’une durée de
douze heures signée par le réalisateur Ken Burn. Les dialogues particuliers
trompette et violoncelle donnent une coloration surprenantes et déconcertantes.
Anthony Davis, John Lindbergh et Pheeroan Ak Laff apportent leur
complémentarité à ce vaste projet ambitieux qui s’inscrit dans une riche mais
difficile écoute. L’auditeur doit se plonger dans ce nouveau monde où l’homme
n’a pas encore tout détruit. La disparition des scènes européennes (à part
quelques exceptions) de vétérans comme Wadada Leo Smith nous a presque fait
oublier la richesse et la diversité de ce type de musique.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Mourad Benhammou Jazzworkers Quintet
Vol. 3. March of the Siamese Children
Nommo1,
March of the Siamese Children, Indian Song, Till all Ends, Zielona Herbata
"Green Tea", Home Is Africa, No Land’s Man, 7th Ave Bill,
Zanzibar, Autum Melodie, Ballad Medley (Haupe, Nirvana, Malice Toward None),
Cellar Groove, Nommo 2, Dave’s Chant*
Mourad
Benhammou (dm), David Sauzay (ts, fl) Fabien Mary (tp), Pierre Christophe (p),
Fabien Marcoz (b), Tom McClung (p)*, Matyas Szandal (b)*
Enregistré
le 1er octobre et le 15 novembre 2015, Le Pré-Saint-Gervais (93)
Durée:
1h 01’
Black
& Blue 813.2 (Socadisc)
Mourad Benhammou dirige ses Jazz Workers depuis une
douzaine d’année et la cohésion du groupe s’entend immédiatement. Le livret
nous rappelle le parcours du batteur «En vrai passionné de l’histoire du jazz
et de la batterie musicien, érudit et collectionneur il réside à New-York en
2004 où il mène une série d’entretien avec des batteurs légendaires de la scène
bop. Il y rencontre Louis Hayes, Grassella Oliphant et surtout Walter Perkins,
qui deviendra son mentor». C'est à son retour en France, qu'il décide de former
son propre groupe dont voici le troisième opus. Dès l’introduction, le ton est
donné par le premier titre «Nommo1» qui, en quarante-huit secondes, annonce la
couleur, entre respect de la tradition et arrangements modernisés. En fin
connaisseur, il choisit le répertoire (à part «Zielona Herbata "Green
Tea"» et «Zanzibar» signés de sa main et «Autum Melodie» de Fabien Mary)
dans des compositions assez rarement interprétées aujourd’hui en public et peu
enregistrées. Le titre éponyme de l’album est tiré de la comédie musicale Le
Roi est moi, grand succès de Broadway adapté à l’écran avec Yul Brunner en roi
du Siam et Deborah Kerr en maîtresse d’école. Son traitement plus qu’original
décape les oreilles et David Sauzay, ici à la flûte, se révèle un maître tel le
génie de la lampe. Toutes les arrangements et les interventions des solistes
sont soignés et à propos et font de cet album un plaisir continue. Certains
titres évoquent des contrées lointaines entre l’Afrique et l’Orient, Mourad
Benhammou en tant que compositeur nous invite dans son voyage sur les terres
découvertes par Art Blakey mais en proposant sa propre piste. Il ne pouvait
oublier son maître et sa version de «No Land’s Man» de Walter Perkins nous
conduit tout naturellement dans la nuit new-yorkaise. L’intro au piano du
«Medley» sur «Haupe» de Duke Ellington, extrait de la bande du film Anatomie
d’un Meutre, atteste du talent de Pierre Christophe comme de celui des autres
musiciens. On s'étonne dès lors du mépris des programmateurs pour ce type de
jazz... «Dave’s Chant», enregistré lors d’une autre séance avec le regretté Tom
McClung et Matyas Szandal, prouve de nouveau que le drive de Mourad Benhammou
sait se mettre à merveille au service d’autres musiciens.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Bill Mobley
Hittin' Home
The Very
Thought of You, Walkin', Hittin' Home, My Romance, Jewel, Milestones, Lil' Red,
Apex, Peace, Scene on Seine, Waltzin' Westlard
Bill
Mobley (tp), Steve Neslon (vib), Russell Malone (g), Kenny Barron, Heather Bennet (p), Essiet
Okon Essiet, Phil Palombi (b), Clint Mobley (perc),
Kevin Norton (marimba)
Enregistré durant l’été 2016, New York et New Jersey
Durée: 57' 10''
Space
Time Records 1642 (Socadisc)
Pour célébrer en 2016, l’année de ses 20 ans d’existence,
le label Space Time Record a sorti un nouvel enregistrement du trompettiste
Bill Mobley, pilier du label avec le pianiste Donald Brown. A 63 ans, Bill
Mobley a tout prouvé et, sans être devenu une star du jazz, il en est l’un des
plus honnêtes artisans. Pas d’artifice de studio, les enregistrements ont été
faits en une ou deux prises et le tout en direct. On remarquera l’absence de
batteur, choix original qui confère à l’ensemble de l’album une sonorité et un
espace particuliers. A part «Scene on Seine» où Clint Mobley joue des
percussions et «Apex» dans lequel Bill dialogue avec le marimba de Kevin
Norton, la rythmique repose sur le tempo du contrebassiste. Seul «Hittin’Home»
est signé par Bill Mobley, la majorité des compositions sont signées de Miles
Davis, Bobby Watson, des pianistes; Mulgrew Miller, Horace Silver, Harold
Mabern sans oublier des standards de Ray Noble, Rogers & Hart et même un
titre du producteur Xavier Felgeyrolles. L’album est donc plus une suite de
dialogues en duo, soutenus par la basse, que celui d’un groupe. La cohésion du
répertoire et la richesse des échanges épurés en font un album au plus grand
charme, sobre et élégant à écouter tranquille au coin du feu où dans sa
cuisine, seul ou en bonne compagnie. Si tous les thèmes sont magnifiquement
interprétés, un sommet est atteint avec «Peace» où le dialogue devient un
échange à trois avec Bill, Russel Malone et Essiet Okon Essiet qui surélèvent
l’acuité du propos. Au fil du temps, ce petit label français a su prouver sa
ligne remarquable et la grande qualité artistique de ses productions. Bon anniversaire.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Dave Holland / Chris Potter
Aziza
Aziza
Dance, Summer 15, Walkin’ the Walk, Aquila, Blue Surf, Fibding the Light,
Friends, Sleepless Night
Dave
Holland (b), Chris Potter (ts, ss), Lionel Loueke (g), Eric Harland (dm)
Enregistré les 7 et 8 octobre 2015, New-York
Durée:
1h 09'
Dare2
Records 009 (www.daveholland.com)
Dave Holland retrouve ici des musiciens ayant déjà
gravité autour de lui, à l'exception de Lionel Loueke. Ce quartet est ainsi une sorte de «all stars»
où les signatures des compositions sont réparties à part égale. Agé de 70 ans,
Dave Holland, toujours fringant, dirige ses propres formations depuis plus de
quarante-cinq ans et il y a vu défiler du beau monde, de Sam Rivers à Steve
Coleman, en passant par Chris Potter qui a gagné ses galons pour apparaître en
coleader du quartet. Si tous les titres, aux thèmes, rythmes, et sons fort
variés, valent le détour, on retiendra «Summer 15» (Chris Potter) où
l’introduction au sax soprano va à l’encontre de la guitare (africaine puis
jazz) de Lionel Loueke; le tout magnifiquement drivé par la caisse claire
d’Eric Harland; tandis que le ténor revient, tel un calypso de Rollins et Dave
Holland marque le tempo en faisant danser ses cordes. Complètement dans
l’actualité d’un jazz sans cesse en renouveau, même si le groupe flirte avec la
fusion, il nous délivre une musique sereine, imaginative où la grande valeur de
chaque soliste en fait un des groupes actuels quasi permanents des plus
construits. Preuve à l’appui par la qualité de leurs concerts donnés lors de
leur tournée européenne d’octobre 2016.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Grégory Privat Trio
Family Tree
Le
Bonheur, Riddim, Family Tree, Zig Zagriven, Le Parfum, Sizé, Filao, Ladja,
Seducing The Sun, Happy Invasion, La Maga, Galactica
Grégory
Privat (p), Linley Marthe (b), Tito Bertholo (dm)
Enregistré du 24 au 26 janvier 2016, Pompignan (82)
Durée:
1h 12' 46''
ACT
9834-2 (Harmonia Mundi)
Pour son quatrième album, le premier en trio, Grégory
Privat a décidé de replonger dans ses racines, la Martinique, mais aussi la
Guadeloupe et l’héritage de la musique créole. Digne fils de son père (José
Privat pianiste du groupe Malavoi), il s’est forgé, depuis une dizaine
d’années, une solide réputation auprès de Jacques Schwarz-Bart, Stéphane
Belmondo, Guillaume Perret ou Sonny Troupé (son partenaire habituel). Cet Arbre généalogique (en français) réunit ainsi toutes les branches qui ont pu
se greffer à la musique d’origine pour produire de nouveaux fruits aux goûts et
parfums savoureux. Grégory Privat puise
son inspiration dans la mémoire des rythmes traditionnels afro-caribéens, bèlè,
gwoka qui mariés aux quadrilles et à la musette ont engendré un jazz créole. La
biguine, suivra, marquant la musique moderne pop, jazz et zouk. Douze
compositions personnelles s’enchaînent dans un déroulement naturel, le piano
occupe pleinement l’espace et chaque titre révèle son intérêt. A ses côtés,
Linley Marthe, lui aussi créole mais de l’Océan Indien (Ile Maurice) a délaissé
sa basse électrique, si bien utilisée chez Joe Zawinul, pour se saisir d’une
contrebasse plus à sa place dans ce subtil répertoire. Le trio se complète de la batterie de Laurent-Emmanuel
(dit «Tilo») Bertholo (lui aussi martiniquais) qu’il a côtoyé au sein du projet
Jazz Bèlè Philosophy du trompettiste Franck Nicolas. L’art du trio jazz (piano,
contrebasse, batterie), si difficile à renouveler, est ici complètement
maîtrisé mais ses références en sont élargies.
Un groupe à découvrir en concert. Mon titre préféré, «La
Maga», le plus court mais tout en finesse comme une caresse du vent sucré des
Caraïbes.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Arild Andersen
The Rose Window
Rose
Window, Science, The Day, Outhouse, Hyperborean, Dreamhorse, Interview with
Arild Andersen
Arild
Andersen (b), Helge Lien (p), Gard Nilssen (dm)
Enregistré le 15 avril 2016, Gütersloh (Allemagne)
Durée: 59'
Intuition 71316
(Socadisc)
Le contrebassiste norvégien, Arild Andersen, âgé de 71
ans, est surtout connu pour ces enregistrements chez ECM, certains avec son
groupe ou en sideman de Kenny Wheeler, Paul Motian, Bill Frisell, John Taylor,
Alphonse Mouzon, Ralph Towner, Nana Vasconcelos, Marcin Wasilewski, Markus
Stokhausen et avec son compatriote Jan Garbarek (69 à 73). Adepte de
l’organisation tonale de Georges Russel, il joue avec cet arrangeur et chef
d’orchestre durant dix ans (1960 à 1970). Il dirige ensuite plusieurs formations
avec Jon Christensen, puis le groupe Masqualero dans lequel se distingue le
trompettiste Nils-Petter Molvaer. Il collabore aussi avec des jazzmen en
tournée et il sera le bassiste de Stan Getz, Sonny Rollins, Sam Rivers, Paul
Bley, Sheila Jordan et Joe Farrell. Véritable monument et amant de la
«grand-mère», Arild Andersen offre lors de son concert un magnifique hommage à
cet instrument. Dans un recueillement spirituel, l’auditoire du Théâtre de
Gütersloh écoute et rêve en compagnie de ce trio très dépouillé ou l’essence
même de la musique s’exprime. Le trio tel un joyau en six titres revisitent le
répertoire de ce seigneur du nord qui caresse ses cordes et en tire les plus
charmants des sons. Les passages joués à l’archet sont émouvants et si
l’ambiance par moment est trop romantique on se laisse emporter par des elfes
enchanteurs. Après une introduction ravissante, la longue composition
«Hyperborean», atteste de la maestria du contrebassiste, puis, rejoint par les
membres de son trio, discrets mais efficaces, elle nous nous emporte aux pays
des merveilles. «Dreamhorse», tout autant réussi conclu un album où les 45
minutes de musique nous prouvent encore que ce n’est pas la durée du plaisir
mais son intensité qui compte.
Dans l'entretien qui clôt le disque, mené par Götz
Bülher, Arild Andersen évoque son parcours et l’orientation de sa musique.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Pierre Boussaguet Septet
Le Semeur
South
West, Souvenir imaginé, Le Semeur, Teemoo, Gurrah, Red Ground, Charme, Tinto
Time, Talma, La Fête au village, Body and Soul, Le Chat et le pivert
Pierre
Boussaguet (b), Luigi Grasso (as, ts), Stéphane Guillaume (ss, ts, fl), André
Villéger (ts, cl), Nicolas Dary (ts), Vincent Bourgeyx (p), François Laizeau
(dm)
Enregistré:
24 au 28 février 2014, Bayonne (64)
Durée:
1h 06' 50''
Jazz
aux Remparts 64023 (www.jazzauxremparts.com)
Pierre Boussaguet précise honnêtement son problème avec
le fait de «rendre hommage»: ça «oblige seulement à se référer au passé». Pour
lui, «seul compte le présent». Comme il ne veut pas «ressusciter», il a opté
pour «conter une histoire d'aujourd'hui». Donc n'espérez pas toujours
"entendre" Guy Lafitte dans ce CD qui lui est consacré, par ailleurs
superbement conçu avec un livret qui informe (ce qui devrait être toujours le
cas) et une précision des solistes pour chaque morceau. La première composition
de Pierre Boussaguet est dédiée à notre chère région, «South West». Belles
parties pour section de saxes. Le ténor de Nicolas Dary évoque plus Rollins que
Lafitte mais ce n'est pas incongru puisque notre regretté Guy est entré dans le
"moderne" par Rollins. Beaux alliages sonores quasi
"classiques" (avec flûte) sur un excellent jeu de balais dans
«Souvenir imaginé» pour évoquer Carlos Gardel qui fascinait Guy (Bourgeyx est
parfait pour le tango). Dans son solo, Pierre Boussaguet nous rappelle l'excellence
de sa sonorité. On retrouve cette grande musicalité et cet amour du son chez
Boussaguet et les saxes dans l'exposé de «Le Semeur». L'échange entre Guillaume
et Grasso, plein de flamme, est pour nous un peu long. Pureté des saxophones
digne du quatuor Marcel Mule en introduction et background de «Teemoo» qui
évoque vraiment Guy Lafitte. La composition est de lui et Nicolas Dary a la
sonorité pulpeuse et la dimension expressive qui rendent justice à notre star
du sax ténor (beau travail de Bourgeyx). Pour le coup, c'est un véritable
hommage. Pour nous, c'est un des meilleurs titres de l'album. Le point faible
pour nous, c'est le son de sax soprano en solo, très "moderne
convenu" («Red Ground» plus coltranien qu'africain à nos oreilles). Il est
d'un meilleur effet quand il chante dans les parties d'ensemble
(«Charme»: beau solo de Bourgeyx). Dans une approche qui doit
swinguer, Pierre Boussaguet orchestre très bien pour une section de saxes que
ce soit pour une composition personnelle («Gurrah») ou pour un thème de Guy
Lafitte («Tinto Time»). La section de saxes met bien en valeur le beau thème de
Boussaguet, «Talma» qu'il a enregistré avec Guy Lafitte (1993) puis joué au
festival Bis de Marciac avec Wynton Marsalis (j'y étais). Dans la présente
version, Vincent Bourgeyx joue avec classe (on regrette le soprano au lieu d'un
ténor). La «Valse au Village» de Vincent Rose et Larry Stock fut un succès de
Léo Marjane en 1939 avant la reprise vingt ans plus tard par Dizzy Gillespie
sous le titre d'«Umbrella Man». Le présent arrangement est très plaisant
opposant le genre boîte à musique à une machine à swing avec l'intrication
réussie de Dary (ts), Villéger (cl), Grasso (as) et Guillaume (fl). Nous avons
souvent entendu Guy Laftte jouer «Body and Soul», il convenait donc de
reprendre ce cheval de bataille pour sax ténor depuis l'ère Hawkins. L'exposé
écrit en section de saxes est superbe tout comme le jeu de Bourgeyx et le solo
de Villéger (sur de belles tenues de saxes). Le disque se termine par une prise
en concert de «Le Chat et le pivert», médium swing, que Boussaguet a dédié à
Guy Lafitte et Gérard Badini, dans lequel nos quatre souffleurs jouent bien sûr
du sax ténor. Une belle réussite musicale.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Esaie Cid
Maybe Next Year
Way Out West, Music Forever, Double Spoon, Nothing Ever
Changes My Love for You, How Long Has This Been Going On, Sweethearts on
Parade, Farewell, Pea Eye, Jessica's Day, Maybe Next Year
Esaie Cid (as), Gilles Rea (g), Samuel Hubert (b), Mourad
Benhammou (dm)
Enregistré le 9 juin 2016, Draveil (91)
Durée: 58' 33''
Fresh Sound/Swing Alley 030 (www.freshsoundrecords.com)
La manière et la sonorité d’Esaie Cid sont à rapprocher de
celles de Paul Desmond, avec parfois plus de couleur blues et swing («Way Out
West»), parmi une riche galerie d’influences, car Esaie Cid a ses lettres
jazziques, et elles ne s’arrêtent pas à la Côte Ouest, première influence. On pense
aussi bien à Jimmy Giuffre par la trace de la clarinette dans le débit qu’à Art
Pepper, son inspiration de cœur, par l’esprit sinueux du récit, la poésie et
parfois la sonorité. On peut ajouter à cette galerie Lee Konitz, les ancêtres
Benny Carter, Willie Smith, avec moins de chair car l’esthétique de la Côte
Ouest est moins expressive, plus intimiste, que celle de la Côte Est, et, à
l’évidence, Esaie Cid penche vers l’Ouest…
Quoi qu’il en soit, Esaie Cid est de ces talents originaux
qui naissent aujourd’hui parce qu’ils ne craignent pas de réactiver les racines
musicales du jazz, aussi bien celles du blues que du swing que du grand
répertoire et de cette grande fécondation qui des années 1920 à aujourd’hui
apporta à la musique une myriade de talents, des milliers de manières
différentes et pourtant jazz, notamment sur le saxophone alto où excelle Esaie
Cid. Cette histoire musicale est en effet si dense, si intense,
si rapide et en même temps si diverse et encore mystérieuse qu’elle offre à la
descendance contemporaine une infinité de pistes pour que chacun puisse développer,
en respectant les mânes, un discours original. Pour qui veut, bien entendu,
enrichir une terre déjà si extraordinairement fertile.
Esaie Cid, le Barcelonais (1973, cf. Jazz Hot n°674), est de ceux-là. Modeste, savant, élégant et
délicat, à la ville comme à la scène, il est le modèle parfait de ces musiciens
de jazz qui, pour n’être pas nés dans la patrie du jazz, n’en apportent pas
moins leur pierre, toujours précieuse, à l’édifice et à la permanence de cet
art.
Esaie Cid est ici bien entouré de l’excellent Gilles Rea
(g), un autre artisan de «la beauté du son» et de la mélodie, mais aussi un
pédagogue de haut niveau, de Samuel Hubert (b), qui s’affirme depuis sa
rencontre avec Cédric Chauveau, et de Mourad Benhammou (dm), qu’on ne présente
plus (Jazz Hot n°621) tant il est
déjà devenu un pilier de l’histoire du jazz qui s’écrit aujourd’hui en France.
Esaie Cid, c’est la poésie sur son instrument, la recherche
d’une beauté délicate, un brodeur de mélodies, un développeur d’atmosphères,
sans ostentation et avec le sens des nuances. Le répertoire, détaillé dans le
texte de livret, est un bon mélange de standards du jazz (Sonny Rollins,
Freddie Redd, Clark Terry, Quincy Jones), de standards du songbook (Gershwin, Newman-Lombardo, Segal-Fisher) avec deux
originaux et un thème de Duane Tatro, «Maybe Next Year», pour l’épilogue, un
compositeur emblématique de la West Coast, qui œuvra aussi pour le cinéma, et
qui confirme la tonalité générale d’un excellent enregistrement qui s’écoute
avec autant de plaisir qu’il suscite de curiosité.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jérôme Etcheberry / Michel Pastre / Louis Mazetier
7:33 to Bayonne
7:33
to Bayonne, Don't Be Afraid Baby, Esquire Bounce, You Can't Loose A Broken
Heart, Time On My Hands, Victory Stride, Foolin' Myself, Squatty Roo, She's
Funny That Way, Between the Devil and the Deep Blue Sea, I've Got The World On
A String, Ballad Medley, If Dreams Come True, La Ligne Claire
Jérôme
Etcheberry (tp), Michel Pastre (ts), Louis Mazetier (dm)
Enregistré
les 28 au 30 octobre 2015, lieu non précisé
Durée:
1h 03' 54''
Jazz
aux Remparts 64024 (www.jazzauxremparts.com)
Dans le contexte économique
actuel, le trio est une bonne solution qui connait sa formule inévitable (p, b,
dm) et des variantes plus intéressantes (tp, g, b ; cl, bjo, b ; cl, p, dm)
dont celle-ci n'est pas la plus courante! Trois compositions originales («7:33
to Bayonne» d'Etcheberry, «Don't Be Afraid Baby» de Pastre et «La Ligne Claire»
pour piano solo de Mazetier) et des standards. Les arrangements sont efficaces,
la liberté solistique à son comble et le swing à l'honneur. La dimension
expressive de Michel Pastre, très websterien dans «Don' Be Afraid Baby», est
prenante. Pastre retrouve la hargne de Coleman Hawkins dans «Esquire Bounce» où
Jérôme Etcheberry se trouve être, avec la sourdine, le partenaire idéal. Après
une délicieuse introduction de piano sollicitant discrètement le souvenir du
Lion, «You Can't Loose A Broken» est interprété avec beaucoup d'émotions par
Michel Pastre suivi d'un discours plus fantaisiste mais non moins séduisant de
la trompette avec sourdine puis par le toucher élégant de Mazetier (solide main
gauche). Ces trois artistes sont des maîtres pour jouer les ballades car ils
ont beaucoup travaillé la qualité expressive de la sonorité. Ainsi «Time On My
Hands» est exposé et développé par Jérôme Etcheberry avec retenue, des
émissions un peu voilées et un vibrato bien dosé, puis c'est le même langage
avec Michel Pastre juste un soupçon plus véhément (belle cadence de coda!). Nos
deux souffleurs ont en commun, outre le sens du phrasé jazz, la maîtrise d'un
vibrato qui amène un plus à la sonorité, évitant contrairement à d'autre de
tomber dans la caricature («I've Got The World On A String»). Ils peuvent donc
se payer le luxe d'une «Ballad Medley» comme au temps du JATP. Jérôme
Etcheberry, avec la sourdine harmon avec tube, y aborde «September Song» avec
la dimension d'un Doc Cheatham (en dehors des passages wa-wa). De son côté,
Michel Pastre illustre une fois encore son inspiration pour les cadences de fin
(«Cocktail for Two»). Quelle partie de piano élégante et dansante dans «Foolin'
Myself». Louis Mazetier est non seulement un soliste toujours inspiré, qualifié
en stride du meilleur aloi, mais un accompagnateur ultra pertinent. Les tempos
sont juste ceux qu'il faut. Il est curieux que dans son solo Louis Mazetier
presse un peu dans «Victory Stride». Il est artificiel de chercher dans toutes
ces bonnes choses celles qui seraient les plus réussies. Ce disque est dans
l'actualité ce qui ressemble le plus à un indispensable du jazz parce que ces
artistes appartiennent à la dernière génération de ceux qui savent ce que
c'est.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Laura L
Gainsbourg etc...
Ces petits
rien, Je suis venu te dire que je m’en vais, Under Arrest, La Javanaise, Chez
le Yé-Yé, New York USA, Sorry Angel, Comment te dire adieu, Les Amours
perdues, L’Anamour, Requiem pour un twister
Laura Littardi
(voc), Côn Minh Pham (kb), Simon Teboul (b), Clément Febvre (dm) + Sylvain
Gontard (tp)
Enregistré à
Argenteuil (95), date non précisée
Durée:
57' 21''
VLF
Productions (UVM Distribution)
Ces quatre
musiciens, qui jouent du Gainsbourg depuis plusieurs années, ont choisi des
chansons qui, a priori, ne se prêtent pas toutes à une interprétation jazz. Et
pourtant, le groupe, en osmose totale, se les est appropriées de belle manière. Les
interprètes ont ainsi basé les arrangements sur la mélodie, sachant se partager
parfaitement entre l’écriture et les impros, se posant sur le swing, ajoutant
parfois un petit grain de folie, et sachant donner à chaque chanson son
approche, son atmosphère, son univers, en faisant pratiquement de chacune un
petit chef-d’œuvre; «La Javanaise» étant la moins réussie, malgré
un beau solo de piano qui ne rend pas le charme de l’initial. Laura Littardi
chante les mots de sa voix chaude et expressive, sans effets parasites, se
reposant sur la mélodie qui se suffit à elle-même, et sur les trois musiciens
qui l’entourent et l’enroulent dans une atmosphère idyllique. A noter les
lignes de basse. Le trompettiste Sylvain Gontard intervient à la trompette
bouchée sur «New York USA», sur tempo lentavec un joli
déploiement de la mélodie; solo de contrebasse doublé à l’unisson de la
voix, clin d’œil, à Slam Stewart. Tout cela est bien bon.
Ce disque d’un
jazz mainstream assumé est d’un grand stimulant. Et si vous aimez Gainsbourg
vous l’y retrouverez en habit de gala.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°680, été 2017
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A.Z.III
Swingue Aznavour
Il faut
savoir, Le Temps, Hier encore, Paris au mois de mai, Comme ils disent, Au creux
de mon épaule, Tu t’laisses aller, Les Plaisirs démodés, On ne sait jamais,
Désormais
Aldo Frank
(p), Tony Bonfils (b), Didier Guazzo (dm)
Enregistré en
2016, lieu non précisé
Durée:
48' 43''
VLF
Production (UVM Distribution)
Didier Guazzo
a été le batteur de l'émission de télévision «Fa Si La Chanter» et a accompagné une foule de chanteurs, de
Trenet à Aznavour (justement), en passant par Dee Dee Bridgewater. Aldo Frank a
été le pianiste de Nicole Croisille, pour laquelle il composa «Quand nous
n’aurons que la tendresse», a joué au Bilboquet dans les années 60, a été
chanteur (il est même passé à L’Olympia). Tony Bonfils a fait partie du groupe
Pyranas, il est musicien au Lido de Paris depuis 2009et il est le
fondateur-gérant de VLF Productions. Ces trois musiciens qui viennent de la
chanson et du jazz se sont réunis après avoir accompagné le spectacle de
Charles Aznavour. Donc rien que de plus normal pour eux que de jazzer les
chansons du grand Charles, avec son aval et sa satisfaction du résultat.
Le
contrebassiste produit un gros son, laisse sonner la note, avec des attaques
feutrées et pourtant nettes, très limpide à la pompe. Le batteur est très en
place, efficace, solide. Le pianiste connaît son piano jazz. J’aime sa façon de
faire évoluer la mélodie en block chords.
«Paris au mois de mai» est pris par le pianiste avec un ostinato qui
soutien la mélodie, résultat très prenant. Comme avec Ker Ourio (voir notre
chronique), c’est «Comme ils disent» la reprise la plus réussie
avec les deux mains du pianiste en contrepoint pour exposer la mélodie. Tandis
que le trio parvient au sommet de l’art en ne format plus qu’un seul
instrument. «Tu t’laisses aller», sur tempo lent, repose sur une
splendide harmonisation avec un parfum de blues et des trémolos à la Erroll
Garner.
Oui, Charles
Aznavour peut être heureux du résultat: ses chansons trouvent une autre
vie avec ce trio, tout en en respectant l’esprit.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Olivier Ker Ourio
French Songs
Et maintenant,
Dans mon île, La Bicyclette, Toulouse, Le Métèque, L’Eau à la bouche, Isabelle,
Comme ils disent, 17 ans, Champs-Elysées, Les Divorcés
Olivier Ker
Ourio (hca), Sylvain Luc (g), Laurent Vernerey (b), Lukmil Prerez (dm)
Enregistré du
7 au 8 septembre 2016, Perpignan (66)
Durée: 51' 52'' | |