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Au programme des chroniques
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• A • Ben Adkins • Jean-Paul Amouroux • B • John Beasley • Daniel Bechet & Olivier Franc Quintet • Marc Benham • Jean-Pierre Bertrand/Frank Muschalle • Airelle Besson • Big Noise • Ellen Birath • Bojan Z/Nils Wogram • Claude Bolling Big Band • Itamar Borochov • Brass Messengers • Claude Braud/Pierre-Louis Cas/Philippe Chagne/Carl Schlosser • Buddy Bolden Legacy Band • Christian Brenner • C • Eva Cassidy • Joe Castro • Frank Catalano • Philippe Chagne/Olivier Defays • Chris Cody • Nat King Cole • John Coltrane • Sam Coombes • Laurent Coq/Walter Smith III • Laurent Coulondre • Laurent Courthaliac • D • Renato D'Aiello • Guy Davis • Steve Davis • Raul de Souza • Bart Defoort • Lorenzo Di Maio • Roberta Donnay • Hubert Dupont • E • Echoes of Swing • Eli & The Hot Six • Teodora Enache/Theodosii Spassov • Duane Eubanks • Orrin Evans • F • Dominick Farinacci • Claudio Fasoli • The Fat Babies • Franck Filosa • Clare Fischer • Dominique Fitte-Duval • G • Georges V • Stan Getz • Sebastien Girardot/FélixHunot/Malo Mazurié • Guitar Heroes • H • Rich Halley • Scott Hamilton/Karin Krog • Hard Time Blues • The Harlem Art Ensemble • Heads of State • Eddie Henderson • Fred Hersch • Houben/Loos/Maurane • Sylvia Howard • I • Iordache • J • Ahmad Jamal • Jazz Cookers Workshop • JCD 5tet • Jessica Jones • L • Fapy Lafertin • Olivier Le Goas • Dave Liebman/Richie Beirach • David Linx/BJO • David Linx/Paolo Fresu/Diederick Wissels • Jean-Loup Longnon • Joe Lovano • M • Christian McBride • Les McCann • Kirk MacDonald: Symmetry • Kirk MacDonald: Vista Obscura • Harold Mabern • Delfeayo Marsalis • Tina May • Brad Mehldau • Don Menza • Jason Miles/Ingrid Jensen • Bob Mintzer • Wes Montgomery • Ed Motta • Moutin Factory Quintet • N • Yves Nahon • Fred Nardin/Jon Boutellier • Guillaume Nouaux • P • Emile Parisien • Charlie Parker • Yves Peeters • Enrico Pieranunzi • Enrico Pieranunzi/André Ceccarelli/Diego Imbert • Alain Pierre • Antoine Pierre • Michel Portal • R • François Raulin/Stephan Oliva • Cecil L. Recchia • Bernd Reiter • Herlin Riley • François Rilhac • François Ripoche/Alain Jean-Marie •
Olivier Robin • George Robert • Mighty Mo Rodgers • Sonny Rollins • Renee Rosnes • Jim Rotondi • S • Perico Sambeat • Albert Sanz • Julie Saury • John Scofield • Jimmy Scott • Rhoda Scott • Slavery in America • Florent Souchet • Emil Spányi/Jean Bardy • Spirit of Chicago Orchestra • Al Strong • T • Claude Tchamitchian • Jacky Terrasson/Stéphane Belmondo • Virginie Teychené • Henri Texier • Samy Thiébault • Romain Thivolle • David Thomaere • Tiberian/Bahlgren/Betsch • Mircea Tiberian/Toma Dimitriu • Jean-My Truong • Steve Turre • U • Phil Urso • V • Aurore Voilqué • W • Terry Waldo • Muddy Waters • Randy Weston • Big Daddy Wilson • Anne Wolf • Michael Wollny/Vincent Peirani
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Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2017
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Albert Sanz Trio
O que será
Soberana
rosa, O que será, Antes que sea tarde, Outros sonhos, Mil perdões,
Mar e lua, Desperar jamais, Daquilo que eu sei, Aula de matemática,
Sophisticated Lady
Albert Sanz (p), Javier Colina (b), Al Foster
(dm)
Enregistré les 28 et 29 novembre 2011, New York
Durée:
57'
Karonte 7835 (www.albertsanzmusic.com)
Albert Sanz Trio
For Regulars Only
For
Regulars Only, Mil perdões, Medo de amar, You’ll Hear It, Medley
(A Single Petal of a Rose, Le Sucrier de velours, Stop Start)
Albert
Sanz (p), Javier Colina (b), Al Foster (dm)
Enregistré en mai
2012, Madrid (Espagne)
Durée: 54'
Records d’Albert 001
(www.albertsanzmusic.com)
Albert Sanz & Sedajazz Big Band
L'Emigrant
Movilidad
exterior, L’Emigrant, Fuga de cerebros, Bird's Eye, Si de vora meu
un dia, Forêt, Levando anclas, Lisboa adormece, A base de bé, Anu
Raniya, Movilidad exterior
Personnel détaillé dans le
livret
Enregistré les 9, 10 et 11 juillet 2016, Valence
(Espagne)
Durée: 1h 06'
Sedajazz 038 (www.sedajazz.es)
Le
pianiste valencien Albert Sanz a toujours été fasciné par la
batterie. Quand il écoute un concert il veille toujours à être
proche du drummer. On comprend pourquoi une de ses obsessions a été
d’enregistrer avec un grand batteur et il a su convaincre Al
Foster, accompagné par le brillant contrebassiste Javier Colina. Les
deux Espagnols ont ainsi rejoint Al à New York pour finaliser le
projet. Curieusement, alors qu’en club le trio a joué Dexter
Gordon, Ellington, Lee Morgan et des compositions d'Albert, ce
dernier a choisi pour le disque un répertoire brésilien et
principalement des thèmes de Ivan Lins et Chico Buarque. L’ensemble
est marqué par une grande délicatesse («Soberana Rosa», «Outros
sonhos», «Mil perdões»…) à travers laquelle on apprécie
pleinement les qualités de Sanz, qui -on le savait déjà- est,
outre Pyrénées, un des pianistes les plus doués de sa génération.
Sanz et ses partenaires s’éloignent de toute tentation de fusion
jazz-bossa ou jazz-samba et s’inscrivent pleinement dans le jazz.
Le classique «O que sera» de Chico est admirable. On est à deux
doigts de frissonner devant l’interprétation du pianiste. Le
thème, dont le trio sait sortir à bon escient, offre un beau solo
de Colina et Al Foster se coule dans le jeu de Albert. «Antes que
seja tarde», une fois présenté, est également un prétexte à ce
que, s’appuyant sur la section rythmique, le piano voyage dans le
jazz. L’introduction de Colina soutenue par le piano dans «Mar e
lua» est très belle. Sanz égrène ensuite ses notes, toujours avec
la même délicatesse, prenant progressivement le pas sur la
contrebasse. Al Foster laisse s’exprimer totalement ses deux
partenaires mais revient avec dynamisme pour «Desesperar jamais»,
un thème enlevé, swinguant à souhait. «Daquilo que eu sei» est
plus classique mais met bien en évidence les qualités de chacun des
membres du trio.
Le disque s’achève avec deux thèmes échappant
à Lins et Buarque. On reste au Brésil avec «Aula de matemática»
de Jobim puis apparaît Duke Ellington et, à travers «Sophiticated
Lady», se fait jour la personnalité d’Albert Sanz. Al Foster se
régale et nous régale. Combien de fois le batteur américain a-t-il
joué ce thème? On en sent l’imprégnation chez lui. Il l’a
intégré, le dompte, le domine et, avec la contrebasse de Colina,
dresse la table pour son leader. Superbe!
Avec les mêmes
partenaires, Albert enregistre au Cafe Central de Madrid six mois
plus tard. Foster n’est pas vraiment au courant… mais l’idée
est excellente car le résultat est formidable! Un concert en club
est souvent plus intéressant qu’un disque qui avec la profusion
des technologies modernes n’a jamais la chaleur du live. Cet
enregistrement in vivo, avec des moyens certes plus limités
rend bien l’atmosphère du lieu. Le disque est vivant, chaleureux,
les musiciens relax… tout pour offrir une ambiance 100% jazz dans
laquelle on entre immédiatement avec le thème de Dexter Gordon «For
Regulars Only». Si dans le disque précédent, Albert Sanz montre
qu’il est un grand pianiste, il confirme là qu’il est un sacré
jazzman! On entend les musiciens marquer par quelques onomatopées un
plaisir évident. Beau solo de Colina, applaudissements du public.
Foster brille, à la caisse claire en particulier. La bonne idée
aussi est d’offrir -à l’exception de «Mil perdões»- des
thèmes différents de ceux enregistrés quelques mois avant. Ce
dernier titre est tout aussi délicat que dans la version studio. Une
citation du «Manisero» égrenée sur les notes du piano, avec un
super walking de Foster soulève l’enthousiasme du Cafe
Central. Le bruit de fond du club et les verres qui s’entrechoquent
donnent de la vie à l’enregistrement et cela ne perturbe en rien
ni le pianiste ni Javier Colina qui introduisent cette belle mélodie
de Vinicius de Moraes pour laquelle Al s’avère d’une grande
discrétion. Pour l’unique composition de Sanz, «You’ll Hear
It», Foster revient en force. Sa prestation est brillante, soutenue
par Colina. Le pianiste peut s’exprimer pleinement. Le trio swingue
et la seconde partie du thème est menée à un train d’enfer.
Effets de voix sans doute de Foster. Pour le long medley final (16
minutes) on réclame le silence. C’est nécessaire pour «Single
Petal of a Rose» puis «Le Sucrier velours» puisé dans laQueen’s Suite de Duke. Les deux thèmes sont tout en douceur.
Retour au swing avec «Stop-Start» de Lee Morgan. Les doigts de Sanz
s’agitent, Foster est très présent et Colina se montre
imperturbable. Sur le walking de Colina, Sanz et Foster se
déchaînent avec l’aide du public pour la conclusion de ce set.
Applaudissements fournis et on imagine sans problème la standing
ovation finale!
Avec le troisième enregistrement, L'Emigrant, on
retrouve Albert Sanz au sein du Sedajazz Big Band, véritable
institution depuis plus d’un quart de siècle, dont la réputation
dépasse largement le village de Sedavi, la région de Valence, et
s’étend à toute la péninsule. Tous les jeunes jazzmen de la Côte
Est de l’Espagne y ont à un moment ou un autre fait leurs armes,
d’autres, arrivés à un âge plus mûr, continuent de prêter leur
collaboration. Des noms? Eladio Reinon, un des pionniers de sa
direction. L’homme avait convié Bebo Valdés, avant même que
celui-ci ne soit "redécouvert", à enregistrer son Afro Cuban
Jazz Suite n°1 avec le big band. Perico Sambeat (as), Ramón
Cardo (ts)… plus récemment David Pastor (tp), Toni Belenguer (tb),
Latino Blanco (bs) qui le dirige aujourd’hui… et des dizaines
d’autres. Pour cet enregistrement c’est Albert Sanz qui en prend
les rênes et y officie avec pas moins de quatre trompettes, quatre
trombones, cinq saxophones, drum, basse et des invités. C’est
également lui l’auteur de huit des dix thèmes dont le fil
conducteur est assez clair: le voyage, l’émigration qui est
d’actualité, notamment chez les jeunes, en Espagne. Cette idée
directrice inclue le déracinement inhérent au monde que l’on
quitte et qui justifie un certain éclectisme provoqué par deux
titres rompant l’unité du disque. Albert Sanz confirme ici son
goût pour le travail en grande formation, comme il l'indique dans
l'interview à lire dans ce numéro de Jazz Hot. A l’écoute
de L’Emigrant, qui n’est pas sa première tentative à la tête
d’un grand orchestre, on s’aperçoit qu’il y réussit avec la
volonté ellingtonienne (dixit Albert) de penser aux musiciens avec
lesquels il va travailler plutôt que de composer de manière
abstraite. Chacun des ensembles saxos, trompettes et trombones
présente une homogénéité sans qu’aucune des parties ne sorte du
chemin prévu par Albert hormis dans les espaces pour solistes que
celui-ci a conçu et dans lesquels évidemment ceux-ci ont une large
liberté. On apprécie ainsi particulièrement le thème qui donne
son nom au projet «L’Emigrant» avec un solo de ténor de Vicent
Macian, né justement à Sedavi, que nous découvrons dans ce disque.
Par ailleurs, en tant que pianiste, Albert Sanz mène parfaitement la
section rythmique, ne monopolise pas la parole, laissant tous les
soli à ses partenaires. Il montre aussi ses qualités dans certains
passages de «Fuga de Cerebros», dans «Bird’s Eyes» sans doute
le meilleur thème du disque.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Perico Sambeat Big Band
Voces
La voz del viento*,
Viejo Mundo, Jardín de Luz**, La sombra de Ciro, Matilda*, Triptik,
Rosa dels vents**, Memoria de un sueño
Perico Sambeat (as, fl,
vib), Enrique Oliver, Vivente Macián (ts), Ernesto Aurignac (as),
Guím Garciá (as, cl), Joan Chamorro (bs), Voro García, Julían
Sánchez, David Martínez, Andrea Motis, (tp, flh), Carlos Martín,
Toni Belenguer, Victor Correa (tb), Dario García (tb), André
Fernandes (g), Joan Monné (p), Martín Leiton (b), Antonio Sánchez
(perc), , Silvia Pérez Cruz*, Viktorija Pilatovic** (voc)
Enregistré
les 5 et 6 octobre 2014, Barcelone (Espagne)
Durée: 59'
Karonte
7853 (http://pericosambeat.com)
La qualité musicale est le grand point
fort de cet enregistrement de Perico Sambeat. On comprend le temps
consacré à polir le projet, à réunir les musiciens adéquats
parmi lesquels quelques jeunes figures du jazz de la Côte Est (de la
péninsule!) et des vétérans comme Joan Chamorro, Joan Monné... Il
faut ensuite être capable d’écrire des arrangements à la hauteur
du projet et de diriger un big band de vingt musiciens! Dans ces deux
domaines le saxophoniste valencien a déjà montré ses compétences
avec son Flamenco Big Band de 2007 (on retrouve dans Voces,
quelques acteurs de l’époque). Voces (Voix) comporte
quatre titres chantés, deux par la réputée Silvia Pérez et deux
par Viktorija Pilatovic, jeune lituanienne ex-élève de la Berklee
à Valence, chacune se partageant l’espagnol et le valencien. Ce
sont deux belles voix bien adaptées au projet de Sambeat. Une réelle
unité mélodique existe entre les quatre thèmes et les deux voix.
La délicatesse prime avec quelques accentuations latines venues
d’outre atlantique. Evidemment l’orchestre est au service des
deux jeunes femmes et devient plus jazz lorsque les voix lui laissent
la place, avec quelques belles improvisations de Perico dans
«Matilda» et «Jardín de luz»; du guitariste André Fernandes sur
ce dernier morceau; de Joan Monné dans «La Voz del viento»; de
Joan Chamorro dans «Rosa dels vent». Les quatre autres
thèmes, purement instrumentaux, permettent d’apprécier Perico
Sambeat comme chef d’orchestre. Et sur ce plan, en Europe, peu
pourraient lui donner des leçons bien qu’il n’ait pas une
formation académique d’arrangeur ou de compositeur. Tout est
absolument minutieux, géré au millimètre. De toute évidence le
saxophoniste, amoureux des big bands, qui mentionne parmi ses
préférés Ellington mais aussi Wheeler ou Maria Schneider, prend
tout son temps pour élaborer ses travaux grand format. Et c’est
beau. Les unissons de trompettes tout comme ceux de trombones sont
parfaits et les solistes qui tous ont carte blanche ont intégré les
idées de Sambeat et insèrent parfaitement leurs improvisations afin
d’en tirer toute la saveur mais aussi pour donner une unité à
chaque titre. On relève évidemment ceux de Perico sur trois des
quatre instrumentaux («Viejo mundo», «Memoria de un sueño»,«La sombra de Ciro») et là on écoute l’un des meilleurs,
sinon le meilleur saxophoniste alto espagnol. Les belles choses
viennent encore de Fernandes sur les deux premiers de ces thèmes; de
Aurignac et toujours Fernandes («Triptik»); Oliver («Memoria de un
sueño»: beau duo avec Perico et intervention de Sánchez aux
percussions); Monné («Viejo mundo»), Voro García, un trompettiste
qui a beaucoup progressé ces dernières années sur «La Sombra de
Ciro».
Ce disque de Perico Sambeat, à l’heure où
fourmille une importante génération de jeunes musiciens aux talents
variés qui pour certains passent très vite d’une chose à l’autre
au gré de leur zapping, marque la permanence d’une précédente
génération qui en Espagne, principalement du côté de la
Méditerranée, a sorti dans les années quatre-vingt, le jazz d’un
marasme culturel très prononcé.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Christian Brenner
Le Son de l'absence
Cadences, Arborer Sens,
Le Doode, La Chambre rouge, Hypno-tic,
Le Son de l’absence Beslan, Happy Hours, Little Girl Blue*
Christian Brenner (p), Olivier Cahours (g), François Fuchs (b),
Jean-Pierre Rebillard (b)*, Pier Paolo Pozzi
(dm)*
Enregistré en mars et
novembre 2009, Paris et en avril 2009; Rome*
Durée: 44’ 08’’
Amalgammes 0002 (www.christianbrennerjazz.com)
Le Son de l’absence est un album à part dans la discographie de Christian Brenner. L’artiste
privilégie depuis toujours une certaine délicatesse qui l’éloigne des formes de
jazz les plus démonstratives. Fidèle à ses influences, le contexte émotionnel
de cet opus met en exergue le legs de Bill Evans, Fred Hersch ou Kenny Barron à
la sensibilité du pianiste. Installé à Paris depuis 1968, il fonde
l’association «Amalgammes» en 1995, qui défend cet héritage
culturel, produisant notamment ce disque, dont l’intimisme revendiqué ne le
destine pas forcément au grand public. Dès les premiers titres, «Cadences»
et «Arborer Sens» l’aspect dépouillé et purement acoustique du son
introduit à un déroulement très progressif des idées mélodiques, qui
s’enroulent autour d’un axe imaginaire sur lequel les musiciens greffent leur inspiration
du moment, à la manière dont on affinerait le grain d’une photographie sépia. A
l’exception du dernier morceau, Little Girl Blue», l’intégralité des
compositions est déclinée sans batterie, ce qui renforce l’esthétique très
musique de chambre d’un CD très justement sous-titré Trio(s), «La Chambre rouge» représentant certainement
l’item le plus emblématique de cette vision intérieure dénudée. Le point pivot
de l’album est «Le Son de l’absence», sorte d’œuvre-vie dédiée à
son épouse trop tôt disparue. C’est peut-être paradoxalement sur cet hapax
existentiel qu’il est le plus difficile d’entrer dans le flux harmonique
proposé par les musiciens. Après plusieurs écoutes, on comprend que l’aspect
convulsif et inchoatif du titre s’inspire de la période de recomposition qui
suivit la perte de l’être aimé pour Christian Brenner. Le mouvement imperceptible
qui se dégage des échanges entre musiciens met plusieurs minutes à atteindre
son apogée, et pourtant c’est sans doute ici que la soie du phrasé d’Olivier
Cahours se combine le mieux avec la sensibilité des notes choisies par le
pianiste. La combinaison de «Beslan» et de «Happy Hour»
est d’ailleurs un modèle du genre, sorte de préparation à une dernière piste
habitée par la grâce, sous l’influence conjuguée de Jean-Pierre Rebillard et
Pier Paolo Pozzi, deux compagnons de route chers au cœur de Christian Brenner. Un
magnifique album habité par une sincérité et un interplay exemplaires, où les silences eux-mêmes acquièrent un
pouvoir d’éloquence digne des discours les plus inspirés.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Christian Brenner
Les Belles heures
Sogni D’Oro, Les Petites pierres, Nove De Agosto; Le
Voyage; Praia Do Forte; Les Belles heures, Um Passeio A São Pedro De Alcântara,
Lua Vermelha, Terre Happy Christian Brenner (p, elp, key), Stéphane Mercier
(as, fl), Cristian Faig (fl), Cassio Moura (g), Arnou de Melo (b), Mauro
Borghezan (dm) Enregistré en mai 2014 et janvier 2015, Florianópolis
(Brésil) Durée: 52’ 42’’ Jazz Brenner Music 001/2016 (www.christianbrennerjazz.com)Christian
Brenner fait du voyage un principe d’ouverture au monde, ramenant de ses
pérégrinations des couleurs, des senteurs, des saveurs, qu’il intègre à la
trame de ses compositions personnelles. Il découvre le Brésil en 2011, en parallèle de l’organisation des soirées au Café Laurent à Paris (voir son interview dans ce
numéro 679), où il programme des sessions majoritairement acoustiques, qui
correspondent tant à ses goûts personnels qu’au jazz enraciné qu’on associe aux
grandes heures du quartier de Saint-Germain-des-Prés. La
particularité de cet album, Les Belles
heures, est que le saxophoniste et flûtiste belge Stéphane Mercier joue sur
les quatre premiers titres, tandis que l’argentin Cristian Faig joue de la flûte
sur les cinq restants. Avec une tonalité plus acoustique sur la première moitié
du disque, et divers claviers électriques sur les pièces jouées avec le flûtiste,
beaucoup plus teintées d’harmonies sud-américaines, on passe donc du post-bop
emblématique de l’artiste, mâtiné de quelques influences classiques, à une musique
sud-américaine du plus bel aloi, sans jamais perdre les qualités associées au
talent de Christian Brenner, à savoir introspection et sens de l’harmonie, associés
aux velléités contemplatives et esthétiques qui parcourent les neuf pistes de
l’album. «Sogni d’Oro» amorce une tentative d’approche du continent
sud-américain tel qu’on peut le percevoir de Paris, avec une sorte
d’objectivation de l’exotisme destinée à rendre plus authentique la relation
sous-tendue. Sur «Les Petites pierres», on voit affleurer les influences
classiques qui jalonnent le parcours artistique du pianiste, les changements de
tonalité du morceau évoquant par moments
l’art du contrepoint propre à Jean-Sébastien Bach. On remarque au passage que
Christian Brenner conjugue ces influences avec un sens du rythme et de
l’orchestration jazz bien plus convaincant que celui de nombre de ses pairs. A
nouveau présentes dans «Le Voyage» et «Les belles
heures», on reste confondu du brio avec lequel le claviériste les intègre
à la trame de ce qui s’avère être une authentique approche world music de la
culture brésilienne. L’artiste a voulu conférer à l’œuvre enregistrée une unité
qu’auraient pu menacer les deux formations instrumentales distinctes qui
interviennent sur l’album. Il y est parvenu d’une façon remarquable si on
considère le fait qu’il utilise des claviers électriques sur les cinq derniers
titres, au nombre desquels le fameux Fender Rhodes sur lequel s’illustrèrent
des claviéristes comme Terry Trotter. Une autre trademark de Christian Brenner est l’aspect très progressif de
structures reliées entre elles par un entrelacs d’harmonies dont les liaisons
s’établissent aux termes de circonvolutions mélodiques multiples. Le lent
développement des idées qui préside au squelette de la plupart des compositions
fait partie de la magie du jazz telle que Christian Brenner la conçoit. Sans
passage de témoin obligé au moment des solos, les interventions lumineuses de Stéphane Mercier et de Cristian
Faig insufflent à cet album une fraicheur et une richesse telles qu’on peine
tout d’abord à concevoir ce que ces compositions doivent à la guitare de Cassio
Moura. Car il s’agit bien ici d’un jazz conçu par des musiciens qui jouent ensemble
plus qu’ils ne font leurs gammes chacun dans leur coin. Une musique que pourrait
sans doute illustrer la formule de Paul Auster «Le monde est dans ma tête, ma tête est dans le monde».
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Renee Rosnes
Written in the Rocks
The Galapagos suite:
The KT Boundary, Galapagos, So simple a beginning, Lucy From Afar, Written in
the Rocks, Deep in the Blue (Tiktaalik), Cambrian Explosion, From Here to a Star,
Goodbye Mumbai
Renne Rosnes (p),
Steve Nelson (vib), Steve Wilson (fl, ss, as), Peter Washington (b), Bill
Stewart (dm)
Enregistré les 15
et 16 juin 2015, New York Durée: 57' 02''
Smoke Sessions
Records 1601 (www.smokesessionsrecords.com)
Joe Henderson, James Moody, Wayne Shorter, Bobby Hutcherson,
Ron Carter, NHOP, Jay Jay Johnson... La pianiste canadienne Renee Rosnes,
injustement méconnue de ce côté de l'Atlantique, ne manque pas de références,
et l'on comprend qu'elle soit «soutenue» par les pianos Steinway. Son
intérêt pour la recherche scientifique, de la naissance de la vie dans les
océans et de sa lente migration sur la terre ferme,
Au sein d'une formation de rêve, elle livre ici une musique riche d'invention
et d'enthousiasme. Un jazz contemporain, serein et original, gorgé de swing et,
puisqu'il s'agit d'Histoire, promis à
une longue postérité justifie le titre de l'album et de tous les
morceaux. Mais cela ne saurait occulter un sens aigu de la composition et des
arrangements, et un jeu de piano original et particulièrement incisif (qui fait
forcément penser aux fulgurances de McCoy Tyner).
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Mighty Mo Rodgers
Mud 'n Blood
Goin’ South, Haunted by the Blues,
The Ghost of Highway 61, Unmarked Grave, Run Brother Run, Backroad
Blues, Devil Train Boogie, I Got a Call From the Devil, The People
Could Fly, Drivin’ Up, Juke Joint Jumpin’, White Lightnin’ and
High Yella, Love Will Only Make U Sweat, Everybody Needs the Blues,
Thank you Mississippi, Almost Home + Press conference
Mighty Mo Rodgers (elp, voc), Davyd
Johnson (ts), Dizzy Dale Williams, Butch Mudbone (elg), Darryl
Dunmore (harp), Derf Reklaw (bottle), Smiley Lang, Willie B. Sharp
(elb), Clarence Harris, Burleigh Drummond (dm), Margrette Floyd,
Patricia Rodgers (voc)
Enregistré en 2013 et 2014, Los
Angeles (Californie)
Durée: 41' 59''
Dixiefrog 8770 (Harmonia Mundi)
Nous chroniquons tardivement ce disque
paru en 2014, à l’occasion du passage à Paris, au Jazz-Club
Etoile, de Mighty Mo Rodgers (voir notre rubrique «compte rendus»).
Depuis son premier album, Blues Is My Wailin’ Wall (Blue
Thumb, 1999), poursuit une œuvre d’une remarquable cohérence, une
suite de «concept-albums» formant son «Blues Cycle». Avec ce
sixième opus, Mud ‘n Blood, le bluesman-philosophe, livre
un conte à la fois sombre et vivifiant (le disque est sous-titré «A
Mississippi Tale») qui est une remontée aux sources du blues, dans
le Sud profond. Le livret, très soigné, qui permet de lire les
paroles (elles en valent la peine) et ponctué de petits textes, de
plus traduits en français. Le propos liminaire de celui qui se
définit comme un «soldier of the blues» rend sa démarche limpide:
«Ce périple aura été long et parfois pénible pour moi. Une
voyage dans le Sud d’autrefois, effectué en emportant avec moi les
souvenirs d’un oncle qui avait passé douze ans et demi sur unchain gang, d’un père né tout juste vingt ans après
l’abolition de l’esclavage. Pourtant, cette expérience aura eu
sur moi des vertus curatives. Le blues vous aide à traverser
l’obscurité avant de faire la fête, une fois la lumière
retrouvée. J’aime le blues, une histoire américaine et un don
hérité de Dieu que ma communauté a offert au reste du monde.»
Tout est dit.
Le récit se partage entre côté
obscur(«Unmarked Grave», sur les terribles chain gangs –
chaînes de prisonniers condamnés aux travaux forcés – qui ont
perduré jusqu’aux années cinquante, ou «Run Brother Run», sur
les pendaisons sommaires) et côté lumineux («Juke Joint Jumpin’»,
sur les juke joints, ces établissements rudimentaires où les
travailleurs s’amusaient le soir, ou le jubilatoire «Everybody
Needs the Blues»). Mighty Mo effectue ici un travail de mémoire
essentiel, à travers différents petits tableaux retraçant le vécu
de la communauté afro-américaine. Il rappelle ainsi l’histoire
douloureuse du blues et son universalité, car il parle de la
condition humaine. Pour Mighty Mo, le blues est une vérité
essentielle, voire métaphysique, à laquelle il se consacre avec une
grande intégrité.
Toujours profond mais jamais
sentencieux, Mighy Mo Rodgers conclut cet album avec, en bonus
track, une vraie-fausse conférence de presse où il en remet
encore quelques louches avec un humour savoureux, concluant par un
message à sa communauté de naissance, dont il redoute qu’elle ne
finisse par perdre le fil de sa mémoire: «We all are the blues
people, and we got to get back to the blues».
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Dave Liebman/Richie Beirach
Balladscapes
Siciliana, For all We Know, This Is
New, Quest, Master of the Obvious, Zingaro, Sweet Pea, Kurtland,
Moonlight in Vermont, Lazy Afternoon, Welcome/Expression, DL, Day
Dream
Dave Liebman (ss, ts, fl), Richie
Beirach (p)
Enregistré en avril 2015, Zerkal
(Allemagne)
Durée: 1 h 14' 21''
Intuition 3444 2 (Socadisc)
Deux amis qui affichent cinquante ans
de relation musicale et quarante-trois ans de partage en duo. Pour
Dave Liebman, Richie Beirach est l’ancre du groupe, plus encore que
le couple basse-batterie. On peut en juger dans ce disque. Et cet
ancrage permet au saxophoniste, essentiellement au soprano (il
n’apparaît que trois fois au ténor, et pour un cours solo à la
flûte) de laisser libre cours à son lyrisme. Il joue avec ce qu’on
appelle un son droit, c’est à dire sans vibrato, mais avec une
sonorité chaude, moelleuse et cuivrée, qui évoque assez celle de
Steve Lacy; il sait être dans la force ou bien la délicatesse. Ces
deux musiciens possèdent au plus au point le sens du silence,
laissant respirer la phrase, la note; provoquant même le
recueillement sur les tempos très lents. Treize ballades, on
pourrait craindre l’ennui; il n’en est rien tant les morceaux
sont tendus, détaillés délicatement, chauffés dans les
profondeurs des sentiments. Comme par exemple «Welcome/Expression»
de Coltrane, avec Dave Liebman au ténor; c’est une calme
méditation belle comme un soleil qui invente l’aube; un chant
profond dans le grave du ténor, magnifié par le pianiste, qui
possède une main gauche riche harmoniquement, et qui souvent place
de savoureux contrepoints derrière la mélodie du saxophone. A noter
une très personnelle et convaincante interprétation de la
«Sicilienne» de J.S. Bach. C’est dans les ballades qu’on peut
goûter la profondeur expressive des musiciens. Et là on est à la
fête.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Claude Tchamitchian Sextet
Traces
Poussières d'Anatolie, Vergine, La
Route de Damas, Lumières de l’Euphrate, Antika, Les Cieux
d’Erzeroum
Claude Tchamitchian (b), Daniel Erdmann
(ts, ss), François Corneloup (bar, ss), Philippe Deschepper (g),
Christophe Marguet (dm), Géraldine Keller (voc)
Enregistré les 18 et 19 octobre 2015,
Pernes-les-Fontaines (83)
Durée: 55' 36''
Emouvance 1037 (Socadisc)
Comme pas mal
d’autres musiciens de jazz aujourd’hui, Claude Tchamitchian
plonge dans ses propres racines pour confectionner son jazz. On nous
dit que c’est André Jaume, dans les années quatre-vingt, qui lui
fit remarquer que «dans les inflexions de ses mélodies
affleuraient les traces de ses origines arméniennes», d’où
le nom du disque. On voyagera donc dans les «Poussières
l‘Anatolie», les «Lumières de l’Euphrate»,
jusque sur la «Route de Damas» sous «Les Cieux
d’Erzeroum». Il avait déjà travaillé sur les modes
orientaux avec son orchestre Lousadzak. Ici, il a élaboré une suite
consacrée à l’évocation du génocide arménien sous forme de
photographies sonores dont chaque thème est l’évocation d’un
épisode de la vie de personnages imaginaires, mais emblématiques
(voir le texte de Stéphane Olivier sur le livret). Il appartient à
la chanteuse Géraldine Keller de dire les textes parlés (tirés de
Seuils de Krikor Beledian, Editions Parenthèses, 1997),
souvent d’exhortation. Elle chante aussi d’une façon très douce
et mélancolique, se coule dans les ensembles, ou pratique le jodel
d’Europe centrale. Côté jazz, on peut noter un beau travail des
saxes: par exemple, le solo de ténor sur «La Route de
Damas» et surtout la prestation «en colère» de
François Corneloup au baryton, sur une batterie diluvienne, avec des
montées incroyables dans le suraigu; des cris de douleur et de
rage, avec également la prestation formidable du contrebassiste, et
un texte tragique qui parle de l’Euphrate mangeur d’hommes.
«Antika» est une délicate et belle ballade menée par
le ténor sur accompagnement de la contrebasse et tout le groupe, qui
se termine sur une longue plainte écorchée de la chanteuse:
très prenant. A noter un mouvant et captivant solo de contrebasse à
l’archet sur cet étrange et captivant «Antika».
Un bel album.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Enrico Pieranunzi/André Ceccarelli/Diego Imbert
Ménage à trois
Mr. Gollywogg, Première gymnopédie,
Sicilyan Dream, Medley: La Plus Lente Que Lente/La Moins Que Lente,
Hommage à Edith Piaf, Le Crépuscule, Mein Lieber Schumann I,
Medley: Romance/Hommage à Milhaud, Mein Lieber Schumann II, Hommage
à Fauré, Liebestraum pour tous
Enrico pieranunzi (p), André
Ceccarelli (dm) Diego Imbert (b)
Enregistré les 12, 13, 14, 15 novembre
2015, Meudon (92)
Durée: 53' 26''
Bonsaï Music 160901 (Harmonia Mundi)
On connait la propension des musiciens
de jazz, principalement en Europe, a puiser leur inspiration dans la
musique classique ou ailleurs. La résultat relève souvent d'un
collage artificiel, mais on note aussi quelques belles réussites
(Raphaël Imbert, Bach-Coltrane, Outhere Music). C'est
également le cas avec ce lumineux pianiste qu’est Enrico
Pieranunzi. On sait que ce n’est pas le thème qui fait le jazz,
mais son interprétation, et là, le trio est parfaitement
d’expression jazz, et du meilleur, et qui sait d’où il vient.
Pieranunzi s’inspire de thèmes puisés chez les impressionnistes,
d’ailleurs parfaitement adaptés à notre musique: Debussy, Fauré,
Satie. Et le plus grand de tous, Bach, privilégié par les jazzmen,
sûrement pour sa rigueur rythmique et d’autres qualités proche du
jazz. Des romantiques; Schumann, Liszt. Et plus proches de nous,
Poulenc et Milhaud. Le trio fonctionne à merveille avec un
Ceccarelli, discret et efficace, jouant essentiellement sur la caisse
claire et la ride pour assurer la pulsation et la relance dans la
grande tradition. Imbert joue avec une contrebasse chantante, sur
d’admirables lignes mélodiques. Et le leader qui fait preuve d’une
touchante sensibilité, d’une retenue confondante, d’une main
gauche d’une extrême richesse harmonique comme par exemple sur
«Mein Lieber Schumann (Op.6-n°2)» en tempo medium et quelques
accélérations appropriées. Tous les morceaux seraient à citer;
les détails des œuvres d’origine sont donnés sur la pochette.
Attardons-nous tout de même sur «Hommage à Edith Piaf», inspiré
de la «XV° improvisation» de Poulenc, car elle repose sur une
interprétation inouïe des «Feuilles mortes». Une version très
émouvante, impressionniste mâtinée de blues, œuvre splendide du
trio.
Pas d’exploit, du jazz, donc de la
musique, avant toute chose. Et de la beauté!
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Michel Portal
Radar
Esquisse
Part 1, 2, 3*, Bailador°, Dolce°; Interview with Michel Portal
Michel
Portal (bcl*°, ss°), Richie Beirach (p)*, WDR Big Band° (personnel détaillé dans le livret)
Enregistré
le 3 mars 2016, Gütersloh (Allemagne)
Durée:
1h 00’ 08’’
Intuition
71319 (Socadisc)
Michel
Portal en duo, puis en dialogue avec un grand big band allemand, est
l'objet du septième numéro de la collection «European Jazz
Legends» dont il est déjà question dans la précédente chronique. Entendre
Michel Portal à la clarinette basse est un plaisir, d'autant plus en
compagnie d'un pianiste du niveau de Richie Beirach. «Esquisse. Part
1» est une ballade qui oscille entre un lyrisme romantique et
impressionniste, mais tout à fait jazz. Dans «Part 2», Portal est
seul, magnifique, avec l’esprit du blues sous-jacent. Dans «Part
3», le duo est plus partagé, les deux instruments sont plus
inbriqués l’un dans l’autre, le partage, les échanges sont
parfaits. Voici deux grands lyriques dans la beauté des phrases. Sur
les deux morceaux suivant, Portal est entouré par l’imposant WDR
Big Band dirigé par Rich DeRosa sur des arrangements canons de
Florian Ross, avec des ensembles très clairs, qui laissent leur
place aux solistes, et reposent sur une rythmique solide. Sur
«Bailador» de Portal, celui-ci est au soprano, sublime dans un long
solo, à noter les solos du pianiste Hubert Nuss et du trompettiste
Ruud Breuls. Portal revient à la clarinette basse sur «Dolce» de
lui-même, en dialogue avec le tromboniste Mattis Cederberg; et ça
déménage!
Le
disque se termine par une interview de vingt minutes, exercice
caractéristique de cette collection. Il y évoque avec malice ses
débuts dans la région de Bayonne ou les critiques dont il peut
faire l'objet, de la part des amateurs de musique classique d'un
côté, et des amateurs de jazz, de l'autre.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Henri Texier
Dakota Mab
Ô Elvin, Hopi, Mic Mac,
Dakota Mab, Navajo Dream, Comanche, Sueno Canto; Interview with Henri
Texier
Henri Texier (b),
Sébastien Texier (as, cl), François Corneloup (bar), Louis Moutin
(dm)
Enregistré le 22 novembre
2015, Gûtersloh (Allemagne)
Durée: 1h 10' 58''
Intuition 71317 (Socadisc)
Gütersloh est une ville
allemande de Rhénanie du nord (Westphalie) avec laquelle le
collectif «European Jazz Legends» de la revue allemande Jazzthing,
s’est associé, ainsi qu’avec la radio Westdeutscher Rundfunk
Köln pour promouvoir le «jazz européen». Il en résulte une série
d'enregistrements live au théâtre de Gûtersloh avec des figures
historiques: Enrico Pieranunzi (chroniqué dans Jazz Hot n°676), Jasper Van't Hof, Michel Portal, Miroslav
Vitous, Daniel Humair... soit une collection qui compte aujourd'hui
dix titres et dont ce CD d'Henri Texier est le cinquième. Henri Texier est aussi
recherché comme accompagnateur que l’était Pierre Michelot en son
temps. Mais il est avant tout un grand leader et un aventurier du
jazz dont on ne compte plus les réussites. Le voici avec son
magnifique Hope Quartet. Le disque est dédié aux Indiens chers à
Texier, évoqués par les titres: Hopis, Sioux, Dakotas, Navajos,
Comanches. Mais le disque commence par un hommage à Elvin Jones «Ô
Elvin» dans lequel le baryton fait merveille avec un solo où il se
déchaîne, ainsi que le clarinettiste dans la grande tradition de
l’instrument. Il se termine par «Sueño Canto» merveilleuse
prestation du contrebassiste: une intro basse seule sur tempo lent,
il fait sonner les cordes à la façon d’un sitar indien, s’ensuit
un trio clarinette, baryton, contrebasse de toute beauté et d’une
grande émotion.
Les autres morceaux sont
des écrins aux thèmes «Indiens». Dans «Hopi» il y a un beau
travail de contrepoint, un peu comme dans le «Jeru» de Miles, et un
époustouflant solo de contrebasse dans l’aigu, qui sonne aussi
clairement que les cloches du paradis (si, si, il y en a!). Sébastien
Texier est un altiste qui compte, qu’on écoute comment il éclate
sur fond de basse / batterie dans «Mic-Mac». «Dakota Mab» démarre
à l’unisson sur un rythme de danse Sioux, puis un long solo de
l’alto à la défonce, et tous les musiciens s’en donnent à cœur
joie. «Navajo Dream» nous vaut une intro contrebasse seule, riche
d’accords, puis il laisse sonner une note basse et improvise
dessus, on glisse à «Comanche» avec le baryton en délire qui vole
dans l’aigu et plonge dans le grave, growle, et la contrebasse
tricote, un duo basse-batterie, et on passe du calme à la tempête
et aux hurlements de joie du public. Retour au calme avec «Sueño
Canto». Toutes les compositions
sont d’Henri Texier pour une musique bien ancrée dans le blues et
le jazz et qui a été enregistrée neuf jours après les attentats du 13 novembre à Paris.
D’où la ferveur, le partage et la rage de jouer des quatre
musiciens. On sent qu’ils voulaient dire que la vie, notre liberté
seraient les plus fortes. On peut toujours l’espérer.
Le disque se termine par
une interview d’Henri Texier, en anglais, par le journaliste
allemand Götz Bühler et dans laquelle il se raconte avec humour et
évoque également les valeurs communes à 1789 et au jazz.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Claudio Fasoli Double Quartet
Inner Sounds
Prime, Terce, Sext, Nones, Vespers,
Compline, Lauds
Claudio Fasoli (ts, ss), Michael
Gassman (tp, flh), Michele Calgaro (g), Michelangelo Decorato (p),
Andrea Lamacchia (b), Lorenzo Calgaro (b) Gianni Bertoncini (dm,
electronics), Marco Zanoli (dm)
Enregistré les 15 et 16 avril 2016,
Cavalicco (Italie)
Durée: 45' 35''
Abeat Records 158
(www.abeatrecords.com)
Pourquoi un Double Quartet? Pour
enregistrer ces Inner Sounds, Claudio Fasoli avait le choix
entre le Claudio Fasoli Four et Claudio Fasoli Samadhi Quartet. Il a
choisi de réunir les deux quartets pensant qu’il y avait là une
belle façon de s’exprimer avec deux batteries et deux
contrebasses. A l’origine, Fasoli voulait composer des musiques sur
des fragments des sept poèmes de W.H. Auden, Horae Canonicae,
écrits entre 1949 et 1955, mais n’obtenant pas les droits, il
s’est contenté de garder les titres. Chacun se réfère à une
heure de prière dans la journée. Il y a donc ce côté sacré,
méditatif et ses «sons intérieurs» qui s’exalte dans cette
musique interprétée par le Double Quartet. Fasoli retrouve
ici la plupart de ses compagnons de musique, et que ce soit au ténor
ou au soprano, il est sommet de son art, serein et tranquille, en
plein dan son chant. Avec toutes les qualités du compositeur et de
l’arrangeur dans ces Horae Canonicae, le goût pour les
unissons harmonisés subtilement, la beauté des sons et des
mélodies, l’art de la litote, l’expressivité lyrique contenue,
pas de fioritures, rien que du senti. Avec ici un léger emploi
d’effets qui viennent titiller, relever le goût comme les épices
en cuisine. Et aussi l’utilisation de nappes desquelles émergent
les solos comme par exemple dans «Prime», très lent, avec un
emblématique solo de ténor au lyrisme retenu. Dans «Sext», à
nouveau sur tempo lent, une intro avec un gros son du saxophone et se
déploie un arrangement teinté «Bitches Brew», en plus mélodique,
dans lequel les voix s’enchaînent sur un fond trillé de
contrebasse. Le trompettiste possède un jeu très délié,
volontiers volubile, très en osmose avec le ténor comme sur
«Compline». Le dernier morceau «Lauds» se termine par une sorte
de ritournelle soprano-trompette qui donne à saisir le sens du vers
récurrent du poème, le jour se lève, mais «In solitude, for
company»On se trouve en présence d’un réel
travail collectif dans une parfaite unité entre l’écriture de
Fasoli et les solos toujours parfaitement dans l’esprit du morceau.
L’écueil eût été de juxtaposer les deux quartets, ou d’en
faire un octet, c’est au contraire un groupe à géométrie
variable qui sert avec brio les compositions originales de Fasoli.
Une belle réussite, d’une grande
inspiration. Ces Inner Sounds sont vraiment des chants de
l’intérieur, ou quand le jazz se fait prière au dieu musique.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Julie Saury
For Maxim. A Jazz Love Story
Sweet Georgia Brown, Moppin and Boppin,
Avalon, Stars Fell in Alabama, St Louis Blues Part 1 & 2, Cray
Rhtythm, Petite fleur, Together, Indiana, A Kiss to Build a Dream
On/September in the Rain
Julie Saury (dm), Aurélie Tropez (cl), Frédéric Couderc
(ts, fl), Shannon Barnett (tb, voc), Philippe
Milanta (p), Bruno Rousselet (b)
Enregistré du 11 au 14 janvier 2015,
Vannes (56)
Durée: 58' 33''
Black & Blue 819-2 (Socadisc)
Cela fait plus de vingt ans (déjà!)
que Julie Saury «fait le métier», avec une capacité d’adaptation
certaine. On la croise en effet aussi bien sur des projets relevant
d’un jazz que l’on pourrait qualifier de «contemporain» et
s’appuyant sur des compositions originales (tel son trio avec
Carine Bonnefoy et Felipe Cabrera: voir notre chronique dans Jazz
Hot n°675), qu’au sein de formations plus swing – avec une
présence accrue ces dix dernières années –, comme celles de
Rhoda Scott, Sarah Morrow, le Duke Orchestra de Laurent Mignard ou le
trio de Philippe Milanta, partenaire de longue date. De nature
rieuse, Julie s’accommode également très bien des facéties du
Grand Orchestre du Splendid. Une élasticité qui s’explique sans
doute par sa «double culture» musicale: d’un côté le jazz dit
«traditionnel» qu’elle a reçu en héritage, de l’autre, des
goûts d’adolescence qui l’on emmenée vers le funk ou la pop
(avec une adoration pour Prince...). Sa formation, passée par
plusieurs écoles et quelques stages à New York, ayant complété
son bagage de jazzwoman. Avec le temps, son jeu a gagné en rondeur
et son groove en fait une des fines baguettes de la place de Paris. Julie est bien sûr la fille de Maxim
Saury (1928-2012), héraut, avec Claude Luter, du jazz new orleans en
France et admirateur infatigable de Sidney Bechet. Avec bonheur, le
père accompagna les débuts de sa progéniture. Julie construisit
néanmoins son propre chemin. Et c’est avec cette même distance
vis-à-vis du parcours paternel, mêlée d’un amour et d’une
admiration évidentes, que la batteuse a bâtit cet hommage au
clarinettiste. Julie, dans ce For Maxim, reste elle-même,
éclectique, alors qu’on aurait pu s’attendre à un disque dans
l’esthétique «revival». Elle a ainsi fait le choix judicieux
d’adapter le répertoire de son père au filtre de sa propre
sensibilité, en compagnie de ses habituels et talentueux complices,
le toujours impeccable Philippe Milanta en tête. Ainsi, sur un «St.
Louis Blues», très épuré, qui s’étire sur deux parties, la
batterie s’exprime longuement, tantôt simplement accompagnée des
appeaux incongrus de Frédéric Couderc et des notes détachées de
Milanta, tantôt rejointe par le reste de l’orchestre, dans un flux
et reflux de swing. Le même Couderc reprend son sax sur une
émouvante version de «Petite fleur», pris sur tempo lent (on est
là plus proche de Don Byas que de Bechet!). Preuve – s’il en
fallait – que l’on peut toujours renouveler le plaisir avec les
standards les plus rebattus. A l’inverse, «Basin Street Blues»
est rendu dans son jus néo-orléanais, donnant l’occasion
d’apprécier tout particulièrement les deux soufflantes de
l’orchestre, Aurélie Tropez et Shannon Barnett, qui offrent ici un
savoureux duo. Autre vieux complice, Bruno Rousselet s’avère, dès
le premier titre, un élément déterminent de la section rythmique (qui est évidemment
l’épice de cet enregistrement). Philippe Milanta est magnifique
sur «Together», réjouissante reprise sur laquelle la tromboniste
donne joliment de la voix. Quant à la leader, elle a évidemment
l’occasion de déployer sa large palette et son solide jeu de
cymbales, notablement appréciable sur les morceaux rapides («Crazy Rhythm»).
Maxim peut être fier de sa jolie
souris.
Un mot, pour finir, sur le contexte
très particulier de cette session qui se déroulait immédiatement
après les attentats de janvier 2015. Julie a dédié le disque aux
victimes de Charlie Hebdo. Une belle note bleue et d'espoir, en effet, pour
Cabu qui aimait le jazz de Maxim Saury et le dessina dans Jazz Hot (n°186 de 1963), au Caveau de La Huchette, où Julie vient
d’ailleurs régulièrement prolonger cette jazz love story.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Randy Weston
The African Nubian Suite
CD1:
Nubia,
Tehuti,
The Call,
Ardi,
Sidi
Bilal,
Spirit
of Touba, Shang Dynasty,
Children Song
CD2:Blues
For Tricky Sam (introduction), Blues For Tricky Sam, Cleanhead Blues
(introduction), Cleanhead Blues, Nanapa Panama Blues, Monologue Dr.
Randy Weston, The Woman (introduction), The Woman, The African Family
(introduction), The African Family Part II , Soundiata
(introduction), Soundiata, Love-The Mystery of
Randy Weston (comp, p, rec), Jayne
Cortez (poet), Wayne B. Chandler (rec, Writer), Robert Trowers (tb),
Howard Johnson (tu), Billy Harper (ts) T. K. Blue (fl), Alex Blake
(b), Lewis Nash (dm), Candido (perc), Neil Clarke (afr. perc), Ayanda
Clarke (afr. perc), Tanpani Demda Cissoko (voc), Melba Liston (arr),
Lhoussine Bouhamidi (mus. gnawa), Ayodele Maakheru (nefer), Min
Xiao-Fen (pipa), saliou souso (kora)
Enregistré le 8 avril 2012, New York
Durée: 55' 57'' + 52' 57''
Autoproduit (www.randyweston.info)
On connaît la longue réflexion de
Randy Weston et plus largement de beaucoup d’Afro-Américains sur
leur place sur terre et aux Etats-Unis en particulier. C’est une
recherche qui rassemble toutes les populations qui ont connu dans
leur histoire la déportation, une forme de diaspora, et parfois une
forme d’asservissement, l’esclavage ici. C’est aussi un combat
du quotidien dans une société où l’on vous regarde parfois de
travers sans autre raison que votre couleur de peau, où, pire, on ne
vous voit même pas, où l’on vous nie.
L’interview récente
de Randy Weston dans Jazz Hot n°673 et les plus anciennes
(n°576, n°508) le rappellent, et la recherche de Randy Weston sur
ses racines, un grand thème de la littérature et du cinéma
américain comme du jazz, n’est pas neuve dans le jazz et dans son
histoire en particulier. Duke Ellington, qui inspire si précisément
Randy Weston dans son jeu de piano et son expression artistique en
général, encore ici, avec cette African Nubian Suite qui
évoque les suites (African Suite, New Orleans Suite,
etc.), avait ouvert la voie à ces fresques, sur une Afrique mythique
en particulier.
L’environnement familial de Randy Weston, ses
parents, y sont pour beaucoup qui l’ont bercé de l’histoire
proche et lointaine de ses ancêtres pour percer la chape de plomb de
la société des Etats-Unis qui recouvre, encore aujourd’hui, une
partie de ses citoyens, avec le but évident de stériliser leur
histoire.
Les Etats-Unis, dans leur ensemble, fourmillent de ces
recherches, et cela prend toutes les formes du vivant, aussi bien
dans l’art que dans la vie quotidienne, dans la recherche,
historique en particulier, aussi bien que dans les formes
d’organisation sociales et les pratiques quotidiennes, jusqu’aux
codes vestimentaires, une manière de résister à la normalisation,
même si la contrepartie est de renforcer le communautarisme et les
réflexes identitaires. Martin Luther King reste en effet à ce jour
le seul «politique» d’importance qui ait évité cet écueil par
une vision universaliste, sans doute due à son état religieux (un
paradoxe très américain), mais tous les grands artistes de la
littérature (de Claude McKay à Chester Himes) et du jazz de l’âge
d’or, (Louis Armstrong, Duke Ellington, Benny Carter, Dizzy
Gillespie, Thelonious Monk, Charlie Parker, etc.) possédaient cette
force et cette vision universaliste, née avec la Harlem
Renaissance.
La référence à l’Afrique, élément de
l’imaginaire et de la construction de l’individu, reste donc un
élément fort dans une société communautarisée et ségréguée.
Randy Weston a fait un retour en Afrique, d’autres seulement le
voyage; pour d’autres encore, l’Afrique est seulement une
mythologie. Mais pour tous, l’Afrique est la référence à une
terre d‘élection, plus ou moins symbolique et concrète.
On
trouvera donc tout naturel cet hommage à l’Afrique, mère de
l’humanité, réalisé par Randy Weston, car c’est un thème
récurrent de sa recherche personnelle et musicale, et pour lui un
moyen de trouver des racines uniques à toute l’humanité dans une
conception finalement universelle. Randy Weston a parcouru le monde,
s’est fixé par périodes en Afrique, au Maroc en particulier, a
joué avec des musiciens locaux, et a visiblement fait des
recherches, à sa façon, sur l’histoire de ses ancêtres
africains, un grand thème de sa discographie.
On peut d’ailleurs discuter ses
visions ethno-musicales, les partager ou pas ou en partie, mais elles
sont la base objective d’une conviction sincère, une sorte
d’autoportrait d’un artiste américain et d’une œuvre très
jazz d’une densité et d’une exceptionnelle beauté. Comme cela
est dit dans le livret, avec honnêteté, ce n’est pas un disque de
jazz ou pas tout à fait, rectifions-nous, car le jazz (la grande
musique née aux Etats-Unis du vécu des Afro-Américains) y est
omniprésente par la seule présence de Randy Weston et de certains
musiciens (Billy Harper, T. K. Blue, Alex Blake, Lewis Nash…), par
celle du blues (la matière et la forme), du swing (le phrasé) et le
caractère hot de l’expression (le disque II en
particulier), même la musique africaine peut partager certaines de
ces qualités et si la présence de musiciens africains, de musique
africaine, apporte une puissante couleur africaine à l’ensemble,
même quand Randy Weston et Alex Blake, en duo, réalise cette belle
synthèse très jazz dans l’exécution et si directement africaine
dans l’inspiration et la couleur («Nanapa Panama Blues»);
D’autant que ce n’est pas seulement un disque de musique, mais
aussi un récit mythologique, un voyage, un texte, dans l’esprit
des textes qui accompagnent la musique sacrée de Duke Ellington,
encore lui, avec souvent un caractère poétique (Jayne Cortez), dit
par le bon Wayne B. Chandler.
C’est également une affirmation
politique, un spectacle en live, très américain, une
rencontre avec un public et un exposé de tout ce qui constitue la
particularité du grand Randy Weston. C’est une curiosité pour
comprendre la société américaine et ses recherches, et l’actualité
récente en renouvelle la portée.
Une Afrique mythique et rêvée
permet donc de découvrir, pour ceux qui ne le connaissent pas, un
personnage, formidable pianiste (un des rares disciples de Duke
Ellington), un conteur et un grand artiste américain, et donc
universel comme le sont les artistes de ce calibre, un homme parmi
les plus attachants du jazz, d’une générosité exceptionnelle
dans son art, dont il faut aussi comprendre le cheminement créatif
pour véritablement apprécier l’œuvre.
Le disque a été
autoproduit, c’est une autre raison de le rendre précieux, car
Randy Weston l’a conçu comme un cadeau, un message, avec un livret
en anglais, en espagnol et en français, un choix qui n’est pas
sans signification.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Fred Hersch Trio
Sunday Night at the Vanguard
A Cockeyed Optimist, Serpentine, The
Optimum Thing, Calligram, Palomino, For No One, Everybody's Song But
My Own, The Peacocks, We See, Solo Encore: Valentine
Fred Hersch (p), John Hébert (b), Eric
McPherson (dm)
Enregistré le 27 mars 2016, New York
Durée: 1h 08’
Palmetto Records 2183 (Bertus)
Vous pouvez lire dans le n°679 du
printemps une interview qui vous resitue la personnalité artistique
toute en nuances de cet excellent pianiste, l’un des plus beaux
héritiers, le plus beau selon nous, de la tradition de Bill Evans
qu’il prolonge avec autant de qualités pianistiques
qu’artistiques, dont une poésie qui ne fait aucun doute dans son
inspiration. Il jouit pour cela du respect et de l’admiration de
tous les musiciens de la scène du jazz, et ce disque comme les
précédents, est une belle réussite car cet artiste est toujours
d’une grande sincérité qui confère à toute son œuvre, jusqu’à
ce jour, une forme de perfection, à la différence d’autres,
parfois plus connus, qui, de la même tradition, n’ont ni
l’inventivité, ni la conviction, ni la poésie nécessaire à
cette expression. Le toucher lumineux de Fred Hersch est un régal,
et il est ici brillamment secondé par John Hébert et Eric McPherson
qui collent à la musique avec une belle musicalité. Cet enregistrement au Village Vanguard
trouve un écho explicatif dans l’interview qu’on vous laisse
lire par ailleurs, et prolonge une histoire d’amour entre un
musicien et un club commencé il y a quarante ans, quand Fred Hersch
vint y écouter Dexter Gordon pour son retour aux Etats-Unis.
Cela dit, Fred Hersch est un musicien
ancré dans la musique de haut niveau, en général, plus que dans le
jazz, possédant, cela s’entend une grande culture classique et une
expression, qui pour se situer aujourd’hui sur les scènes du jazz,
et s’en inspirer souvent sur le plan rythmique, n’en est pas
moins une musique d’un autre univers où le blues n’a aucune
place. Cela n’enlève rien à la qualité de cette œuvre et de ce
moment exceptionnel au Village Vanguard, sauf la profondeur d’une
tradition complètement absente, et pour cause, du registre du
pianiste. On peut en faire abstraction facilement, le disque est
passionnant, mais il faut être clair, malgré le trio, et la
structure rythmique de certains des thèmes, ce n’est finalement
pas du jazz, sauf à réduire le jazz à une simple mise en forme ou
une ambiance, fut-elle celle du Vanguard; et qualifier de jazz ce que le jazz n’est pas. Si vous voulez illustrer ce
propos, écouter un disque de Kenny Barron, McCoy Tyner, Eric Reed,
Cyrus Chestnut, Harold Mabern, et quelques autres, après avoir
écouté ce disque.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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François Rilhac
It's Only a Paper Moon
I've Got He World on a String, Somebody
Stole My Gal, Keepin' Out of Mischief Now, Lullaby in Rhythm, I Cover
the Waterfront, Daintiness Rag, Ain't Misbehavin, Sugar, Sweet
Lorraine, La Mère Michel, On the Sunny Side of the Street, Body and
Soul, F Minor Stride, April in My Heart, It's Only a Paper Moon
François Rilhac (p)
Enregistré le 24 juin 1985, Paris
Durée: 1h 10' 14''
Black & Blue 8122 (Socadisc)
François Rilhac est une histoire
tragique du jazz. Le 3 septembre 1992, ce grand garçon et pianiste
de haut niveau de la tradition stride, mettait fin à ses jours. Il
était né en 1960 et interrompait prématurément une carrière
brillamment amorcée, avec déjà une petite discographie (Megalo
Piano Stride, en solo chez Black & Blue, Echoes of
Carolina avec Louis Mazetier en duo) et le respect et
l’admiration de ses pairs, nationalement et au-delà des
frontières. Cette perte d’un rare disciple de Fats Waller et James
P. Johnson, aussi cruelle pour le jazz que pour ses amis et ses
admirateurs, a laissé comme une ombre amère dans le milieu du jazz,
sans doute aussi par toutes les promesses que son encore jeune talent
laissait entrevoir au-delà de la perte de l’ami, de l’artiste.
Aujourd’hui, Black & Blue sort en
disque cet enregistrement, retrouvé par miracle, effectué en 1985 à
la Table d’Harmonie, un club aujourd’hui disparu qui fut créé
par Jean-Pierre Bertrand, où l’on retrouve 15 titres inédits
aussi brillants qu’émouvants de ce jeune pianiste. François
Rilhac y est comme à son habitude très brillant, très fidèle à
cette grande tradition du piano stride, et il y a 15 morceaux de
bravoure (on a un faible pour son «F Minor Stride» véritablement
splendide) comme on rêverait d’en voir en live, car le piano, à
ce niveau, mérite le spectacle, le live, une dimension présente à
l’origine et magnifiquement restituée ici.
Jean-Pierre Vignola (Jazz à Vienne, Le
Méridien), Jean-Pierre Tahmazian (Black & Blue), Jean-Pierre
Bertrand et Louis Mazetier (cf. Jazz Hot n°671), brillants
pianistes sont à l’origine de cette sortie. Il paraît que le
piano n’était pas excellent; on s’en aperçoit à peine devant
la maestria de François Rilhac, et si une œuvre doit lui conférer
l’immortalité, celle-ci peut tout à fait convenir. L’artiste la
mérite. On peut avoir des regrets éternels pour la disparition de
François Rilhac, mais on peut aussi maintenant l’évoquer avec la
trace fulgurante qu’il laisse ici. Du très beau piano!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Bernd Reiter Quintet
Workout
Workout, I Want
to Hold Your Hand, Getting’ and Jettin’, All the Way, Uh Huh, Super Jet
Bernd Reiter
(dm), Eric Alexander (ts), Helmut Kagerer (g), Olivier Hutman (p), Viktor
Nyberg (b)
Enregistré le 27
février 2015, Bâle (Suisse) Durée: 1h 01' 50''
SteepleChase
33123 (www.steeplechase.dk)
Né en 1982, ce batteur
autrichien s’est formé au contact de Billy Cobham, John Riley, Lewis Nash,
Jimmy Cobb et Charles Davis. Sa formation musicale avancée lui a permis de
prendre part à des concerts classiques, expériences qu’il combine depuis
toujours avec sa passion pour le jazz, et ses collaborations avec Harold
Mabern, Kirk Lightsey, Cyrus Chestnut ou Steve Grossman. Dans un registre plus
roots, il a aussi travaillé avec le trompettiste Jim Rotondi, sideman de Ray
Charles et Lionel Hampton. Eric Alexander, dont le brio sur ce live est
absolument renversant, déploie sur l’ensemble des pistes son inspiration hors
pair aux termes d’une dette évidente envers Dexter Gordon. Le guitariste
allemand Helmut Kagerer a un son feutré qui semble tout droit issu des premiers
enregistrements de George Benson, tandis qu'Olivier Hutman maitrise sur le bout
des doigts le vocabulaire et les rythmiques emblématiques du hard bop.
Profitant des libertés offertes par un enregistrement en public, le quintet en
profite pour allonger à plaisir la plupart des titres, les six morceaux présents
ici durant tous plus de huit minutes. Ce disque se veut un hommage à Hank
Mobley et Grant Green, deux références dont on respecte ici l’esprit plus que
la lettre. L’album d’Hank Mobley, Workout,
se voit octroyer une place éminente jusque dans le titre éponyme du CD, tandis
que trois autres morceaux «I Want to Hold Your Hand», «All the Way» et «Super
Jet» procèdent des choix opérés par le band pour mettre en valeur son énergie
collective. La basse de Viktor Nyberg apporte la vigueur et la chaleur d’une pulsation
rythmique sans défaut, et on sent toute la cohésion acquise au fil des
concerts, en ces épisodes conclusifs spécifiquement finalisés en vue d’un
enregistrement live (les deux soirées au Bird’s Eye de Bale, en février 2015). Il
faut dire que le partenariat avec Eric Alexander date de 2012, tandis que la
collaboration du leader avec Kagerer remonte à 2013. Dès le premier titre, «Workout»,
où le leader se mesure à l’un de ses héros, Philly Joe Jones, on sent que
le groupe assume des velléités virtuoses sans ambiguïtés, qui placent le
quintet dans une dimension expressionniste tout à fait légitime. Après ce tour
de force, la reprise des Beatles «I Want to Hold Your Hand», méconnaissable, doit
plus à Grant Green qu’aux Fab Four, et «Super Jet» est le jalon qui relie le
combo à l’histoire du bebop, conservant toutefois, assez curieusement, une
distance prudente avec la figure tutélaire de John Coltrane. Mais c’est certainement
sur «All The Way» que le groupe affiche le plus clairement sa volonté de résilience,
un titre qui met en évidence la dette de la comédie musicale hollywoodienne
envers la musique afro-américaine. Un des tout meilleurs enregistrements live
parus ces dernières années. CD.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Joe Lovano Quartet
Classic! Live at Newport
Big Ben, Bird's Eye View, Don't Ever
Leave Me, I'm All For You, Kids Are Pretty People, Six and Four
Joe
Lovano (ts), Hank jones (p), George Mraz (b), Lewis Nash (dm)
Enregistré le 14 août 2005, Newport (Rhode Island)
Durée: 57' 47''
Blue Note 0602547950383 (Universal)
Une nouveauté de 12 ans, quand elle
réunit un aussi beau quartet, est toujours la bienvenue. Enregistré
en live à l’été 2005 dans le cadre du Festival de
Newport, elle évoque d’abord le regretté Hank Jones (à qui le
disque est dédié par Joe Lovano), un pianiste toujours à son aise
et parfait au sein d’une section rythmique de rêve avec l’élégant
et savant George Mraz et un Lewis Nash qui apporte son jeu très fin
bien qu’il remplisse tout l’espace. Le leader du soir, Joe Lovano, ne s’y
est pas trompé et on comprend son insistance à vouloir publier cet
enregistrement. C’est du jazz dans sa forme la plus aboutie, d’où
peut-être ce titre de Classic!. Joe Lovano rappelle dans
les notes de livret qu’il a commencé à jouer avec un Hank Jones
octogénaire, et le qualifie pourtant de génie du jazz moderne de
tous les temps, car Hank Jones ne vieillit jamais, il reste «frais
comme une marguerite» selon les mots de Joe Lovano.
Effectivement,
il est difficile de ne pas ressentir chez lui cette éternité de la
forme, ce sens de la perfection, une certaine épure, car il possède
une sobriété d’expression qui contraste avec une imagination
débordante dans l’accompagnement, les introductions, les
chorus chez le pianiste dans sa longue carrière de 70 ans; un
musicien toujours à l’aise dans tous les contextes, avec toujours
ce qu’il faut d’accents blues, de swing.
Sa personnalité musicale, même dans
ce rôle d’accompagnateur est telle, que c’est lui qui fixe la
forme, d’autant que Joe Lovano, en jazzman de la tradition, possède
cette qualité d’écoute, et ce respect sans doute, pour se couler
dans le monde du pianiste, tout en restant lui-même. Un disque de jazz sans faille dont la
qualité ne surprendra pas les amateurs connaissant déjà ces
musiciens, mais a-t-on besoin d’être surpris pour apprécier de la
belle musique de jazz? Une petite remarque: le magnifique «I’m
All for You», écrit par Joe Lovano selon le livret, ressemble
furieusement à «Body and Soul», et cela n’enlève rien à la
beauté de l’interprétation du grand saxophoniste,
particulièrement inspiré, dans une complicité extatique avec la
section rythmique, un Hank Jones exceptionnel qui délivre un chorus
ciselé avec petite citation debussyenne, et un George Mraz qui est
au diapason de cette perfection. Ce thème mérite la publication et
l’indispensable à lui seul, même s’il n’y a rien à jeter, et
surtout pas le très swing and blues «Kids Are Pretty People» (Thad
Jones) et l’intense «Six and Four» (Oliver Nelson), d’autres
grands moments de ce disque.
Ce n’est pas le public
enthousiaste de ce Live at Newport qui dira le
contraire.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Ellen Birath
& The Shadow Cats
Pull Me In, Feel the Beat, Sunday
Night*, Like a Virgin, A Boy That I Know, Trooper, One Minute Man,
Problem°, Oh Babe, So Low
Ellen Birath (voc), Matthieu Bost
(as, cl, key), Manuel Faivre (tp), Thomas Ohresser (g), Marten Ingle
(b), Thomas Join-Lambert (dm) + Paddy Sherlock* (tb), César Pastre°
(elp)
Enregistré à Ris-Orangis (91) et
Paris, date non communiquée
Durée: 37' 50''
Autoproduit (www.facebook.com/EllenBirath)
Amis lecteurs, nous vous donnons
régulièrement des nouvelles d’Ellen Birath, chanteuse suédoise
de 26 ans, installée à Paris depuis quelques années. Révélée
par le zébulonesque et néanmoins pygmalion Paddy Sherlock (qui n’en
est pas à son coup d’essai: Brisa Roché, Aurore Voilqué…),
Ellen se produit chaque semaine – et depuis quelques saisons déjà
– avec ou en alternance avec le tromboniste irlandais dans les pubs
où ils trouvent un refuge accueillant pour le jazz (depuis octobre dernier, le Long Hop, dans le 5e arrondissement, les dimanche soirs).
Après un premier album coloré et éclectique – sobrement intitulé Ellen Birath Band –, sorti en 2013, Ellen prend davantage de
distance avec le jazz. Et vous savez quoi? On ne lui en veut même
pas! Si la dominante de ce disque est plutôt rythm’n’blues, on
passe par différentes ambiances: country, laquelle évoque le Pulp
Fiction de Tarantino («Pull Me In»), reggae («Sunday Night»),
rock’n’roll («Oh Babe») et aussi jazz («The Boy That I Know»).
Ellen recycle même avec habileté un tube pop de Madonna («Like a
Virgin») – on connaissait déjà sa version très plaisante de
«The Love Cats» de The Cure, issu du précédent opus. En fait,
Ellen Birath et ses Shadow Cats glissent d’un style à l’autre avec
beaucoup de naturel tout affirmant un son très personnel qui doit
autant à la belle guitare de Thomas Ohresser qu’à la prégnance
des cuivres. Enfin, et surtout, le groupe se construit autour de la
personnalité de sa chanteuse dont la voix racée imprime du relief
sur chacun des titres. Excellente dans le registre sur lequel elle a
bâti ce disque, Ellen est également une interprète de jazz
talentueuse: il suffit pour s’en convaincre d’aller l’écouter, un mercredi par mois, au Tennessee (Paris 6e), avec l'indispensable Paddy et César Pastre, dérouler pour notre plus grand plaisir le
répertoire d’Ella & Louis. Au demeurant, si l’idée ne
trottait pas déjà dans la tête de nos trois amis, nous ne saurions
trop les encourager à graver très vite ce même répertoire sur une
galette. En attendant, on peut égayer le quotidien de sa platine
avec Ellen Birath & The Shadow Cats, voire aller applaudir
cette joyeuse formation au désormais cultissime Caveau de La Huchette (où elle est
programmée chaque mois) si on a des fourmis dans les pieds.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Rhoda Scott Lady Quartet
We Free Queens
We Free
Queens, I Wanna Move, Que reste-t-il de nos amours, One by One, Rhoda’s
Delight, Valse à Charlotte, Joke, What I’d Say
Rhoda Scott
(org), Sophie Alour (ts), Lisa Cat-Berro (as), Julie Saury (dm) + Géraldine
Laurent (as), Anne Paceo (dm), Julien Alour (tp)
Enregistré en
2016, Paris
Durée: 43’
Sunset
Records (L’Autre Distribution)
Ce disque inaugure le label lancé par le club de la rue des Lombards, le
Sunset-Sunside, lequel accueille régulièrement d’ailleurs des enregistrements
live, notamment ceux de Gérard Térronès pour Futura-Marge. Le patron des lieux,
Stéphane Portet, ne se contente donc plus de recevoir les musiciens –qui
trouvent chez lui des conditions propices pour graver leurs sessions–, et passe
ainsi à la production avec le Lady Quartet de Rhoda Scott et un titre, We Free Queens, qui est certainement en
clin d’œil au We Free Kings de Roland
Kirk. Sur ce disque se trouve ainsi réuni le gratin du jazz féminin en France,
toutes générations confondues, emmenée par son aînée Rhoda Scott (née en 1938),
française d’adoption depuis 1967. On continue d’admirer Rhoda pour le ballet qu’elle
effectue sur la pédalier: elle reste l’une des rares joueuses d’orgue
Hammond à pouvoir ainsi se passer de contrebasse. Par ailleurs, ces ladies s’entendent à merveille. On sent
le plaisir d’être ensemble, c’est la fête, ça joue et ça swingue. Julie Saury, fille
de Maxim (en souvenir duquel elle vient de sortir un disque-hommage) sait d’où
vient le jazz et tient le fil de la tradition du bout des baguettes. La
batteuse invitée, Anne Paceo, plus connue du public, se situe quant à elle dans
un registre plus contemporain. Les trois saxophonistes renouent avec la bonne vieille habitude de «se
tirer la bourre», pour le meilleur. Il faut les écouter sur «I Wanna
Move»: ça déménage! Sur le soutien incendiaire de l’orgue, un
solo de la ténor Sophie Alour explose. Cette dernière mène d’ailleurs la danse
sur sa composition «Joke», une véritable fête. «Que
reste-t-il de nos amours», la belle chanson de Charles Trenet, est
distillée avec une délicatesse mélancolique, toujours par Sophie Alour, qui colle
parfaitement aux paroles qu’on a l’impression d’entendre susurrer. Et la
reprise à l’orgue n’est pas sans évoquer Erroll Garner avec ce léger décalage
basse main gauche. «La Valse à Charlotte», thème de Rhoda Scott,
est magnifiquement arrangé pour deux saxes et interprétée façon valse
swing-musette. Le frère de Sophie Alour, Julien, est le seul homme de
l’affaire; il intervient discrètement, mais avec à-propos, sur deux
morceaux. Le disque baigne ainsi dans une atmosphère funk-blues et même rythm’n
blues sur le tube de Ray Charles, «What I’d Say», sacrément enlevé,
avec quelques «Oh Oh, Ah Ah» de rigueur pour terminer ce concert,
d’une belle homogénéité.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Delfeayo Marsalis/Uptown Jazz Orchestra
Make America Great Again!
Star
Sprangled Banner, Snowball, Second Line, Back to Africa, Make America Great
Again, Dream On Robben, Symphony in Riffs, Put Your Right Foot Forward, All of
Me, Living Free and Running Wild, Skylark, Java, Fanfare For the Common Man,
Dream on Robben
Delfeayo
Marsalis (tb), Uptown Music Theatre Choir, Uptown Jazz Orchestra : Andrew
Baham, Scott Frock, John Gray, Jamelle Williams (tp), Brice Miller (tp, voc),
Terrance Taplin, Charles Williams, Jeffrey Miller, T.J. Norris, Maurice
Trosclair (tb), Khari Allen Lee (as, ss), Jeronne Ansari (as), Roderick Paulin
(ts, as), Gregory Agid (cl, ts), Scott Johnson (ts, bs), Roger Lewis (bs), Kyle
Roussel, Meghan Swartz (p), David Pulphus (b), Herlin Riley, Peter Varnado
(dm), Joseph Dyson Jr (dm, perc), Alexey Marti (perc) + Dee-1 (rap), Wendell
Pierce (narration), Cynthia Liggins Thomas (voc), John Culbreth (tp), Jeff
Alpert (btb), Branford Marsalis, Victor Goines (ts), Oliver Bonie (bar)
Enregistré les 29 novembre, 29-31 décembre 2015, New
Orleans (Louisiane)
Durée: 1h 02' 48''
Troubadour Jass Records 103016 (www.dmarsalis.com)
Nous n'aborderons pas ici
les connotations politiques de ce disque, ni le fait que Delfeayo Marsalis ne
s'attendait peut-être pas à ce que son titre soit le slogan du 45eprésident des Etats-Unis... Bref, après l'hymne américain joué par la section
de sax dans un style identique à celui du Quatuor de Saxophones de la Garde
Républicaine, l'album nous présente une façon de jouer hot dès
l'ostinato de sax baryton (Roger Lewis) sur des percussions dans «Snowball»
(le clarinettiste devant être Victor Goines ou Gregory Agid). Bonne
intervention de Roderick Paulin (ts). Cette «Second Line» n'a rien
à voir avec celle de Paul Barbarin et elle nous plonge dans l'univers
ellingtonien, introduit par Gregory Agid (cl) proche de Jimmy Hamilton. Tout
l'orchestre sonne superbement, soutenu par le maître, Herlin Riley. Andrew
Baham (tp) prend un solo très jazz. On retiendra aussi le travail avec plunger
de Terrance Taplin (tb). Introduction mingusienne dans «Back to Africa»,
puis le chœur et le rappeur (supportable grâce au tempo de Joseph Dyson)
précèdent des solos à la J.J. Johnson de Delfeayo, coltranien (pas le son) de
Branford. Orchestration luxuriante (et assez complexe). Narrateur de bla-bla
politique naïf dans «Make America Great Again!» avec joyeuse
réponse du chœur. Bref c'est le solo wyntonien d'Andrew Baham que nous
apprécions. Superbe drumming d'Herlin Riley derrière Khari Allen Lee (as) genre
Wess Anderson. Cynthia Liggins Thomas chante (bien) dans «Dream on Robben»,
genre de composition simple dont Pharoah Sanders était capable. Delfeayo prend
un solo pouvant évoquer Lawrence Brown. A noter qu'il joue un trombone Courtois
AC402TR, comme Taplin et Jeffrey Miller. Justement la section de trombones
intervient au début de «Symphony in Riffs». La section de sax y
sonne bien aussi. Baham pend un solide solo (nous avions apprécié ce
trompettiste à Ascona, festival qui nous permit aussi de découvrir Taplin,
Agid, Kyle Roussel et autres de ces instrumentistes qui n'intéressent pas les
médias jazz en France). Bon solo de Khari Allen Lee, et un peu timide de Meghan
Swartz. «Put Your Right Foot Forward» nous amène dans l'univers des
brass bands funky de New Orleans (Peter Varnado, dm). Brice Miller (parolier)
et le chœur interviennent, puis en solo Roger Lewis (bs), gloire du Dirty Dozen
fortement évoqué ici. L'alternative de trombone sent bon la parade (Charles
Williams, Jeffrey Miller) tout comme les riffs. Agid (cl) plane au-dessus de la
masse sonore. Du jazz orthodoxe par Kyle Roussel en trio dans «All of Me»
(Pulphus, b, Riley, dm) puis le relais est pris par tout l'orchestre qui
swingue un excellent arrangement. Retour du chœur et de l'envahissant rappeur
dans «Living Free and Running Wild» richement orchestré par Phil
Sims. Le solo de Branford fait un peu remplissage. La section de sax amène (et
accompagne) la ballade «Skylark», orchestrée par Delfeayo qui en
est le charmant soliste (beau jeu de balais d'Herlin Riley). Les sax sont
encore à l'honneur dans «Java» où Roderick Paulin est l'excellent
soliste au son épais. Très pompeuse l'introduction de cuivres pour la «Fanfare
for the Common Man», orchestrée par Delfeayo, puis la solennité fait un
peu musique de film. Vient ensuite le solo de Delfeayo, seul moment swing. Le bonus track est la version instrumentale
de «Dream on Robben» (orchestration Kris Berg) avec Khari Allen Lee
(ss), qui a écouté Coltrane, et le drumming superlatif d'Herlin Riley. Bref, il
y a de tout dans ce nouvel album de Delfeayo Marsalis, notamment du bon.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Echoes of Swing
Dancing
Hipsters
Hop, Gavotte I (English Suite n°6), Charleston, Dream Dancing, Diplomata,
Lion's Steps, Ballet of the Dunes, All You Want to Do Is Dance, Sandancer,
Carioca, Premier Bal, Ragtime Dance, Moonlight Serenade, Salir a la luz,
Original Dixieland One-Step, Dancing on the Celling
Colin
Dawson (tp, voc), Chris Hopkins (as), Bernd Lhotzky (p), Oliver Mewes (dm)
Enregistré
les 26-28 mai 2015, Kefermarkt (Autriche)
Durée:
1h 01' 43''
Act
9103-2 (Harmonia Mundi)
Echoes of Swing
A tribute to Bix Beiderbecke
CD1:
Ol' Man River (intro), At the Jazz Band Ball, Everything That Was, I'm Coming
Virginia, Thou Swell, In the Dark (tango), At Children's Corner, Happy Feet,
I'll Be a Friend With Pleasure, Nix Like Bix, Singin' the Blues, The Boy from
Davenport, Jazz Me Blues, Ol' Man River
CD2:
At the Jazz Band Ball, I'm Coming Virginia, Singin' the Blues, Jazz Me Blues,
Blue River, Thou Swell, Clarinet Marmalade, Way Down Yonder in New Orleans;
Royal Garden Blues, In a Mist
CD1:
Colin Dawson (cnt, tp), Shannon Barnett (tb, voc), Emile Parisien (ss), Chris
Hopkins (as), Mulo Francel (C mel, g), Bern Lhotzky (p), Henning Gailling (b),
Oliver Mewes (dm), Pete York (dm, perc, voc) ; CD2: Bix Beiderbecke (cnt, p),
Fred Farrar, Ray Lodwig (tp), Bill Rank, Miff Mole, Lloyd Turner (tb), Izzy
Friedman (cl), Don Murray, Jimmy Dorsey (cl, as), Doc Ryker (as), Frank
Trumbauer (s), Adrian Rollini, Min Leibrook (bs), Joe Venuti (vln), Frank
Signorelli, Irving Riskin, Roy Bargy, Paul Mertz (p), Eddie Lang (g), Howdy
Quicksell (bjo), Steve Brown (b), Chauncey Morehouse, Hal McDonald (dm), Lewis
James (voc)
Enregistré
les 1-3 août 2016, Munich (Allemagne) + du 4 février 1927 au 17 avril 1928, New
York
Durée:
1h 01' 09'' + 30' 17''
Act
9826-2 (Harmonia Mundi)
L'hommage à Bix, proposé par Echoes of Swing, se
présente en deux CDs: un premier, enregistré par le groupe allemand et
ses invités, un second qui regroupe des enregistrements originaux de 1928. De ce
dernier nous ne dirons rien, sinon que tout le monde devrait connaître au moins
«I'm Coming Virginia» et «Singin' the Blues» (celui-là
fit impression, dès sa sortie en 1927 sur les deux communautés de musiciens
dits jazz). Le livret de ce projet nous affirme: «Our perceptions of major figures in music from previous epochs tend to
change over the course of time». C'est juste. Bix fut d'abord adulé
et mis au même rang que Louis Armstrong par les premières générations de
musiciens blancs américains, anglais, français (Philippe Brun), etc. Puis, dès
que le premier théoricien (Hugues Panassié) sentit ce qu’était le hot et le swing, Bix et ses confrères furent placés au purgatoire.
Aujourd'hui, où l'on n'a plus aucune notion de ce qui est jazz ou non, Bix a repris
une place au rang des incontournables. Les Bix, Trumbauer et Lang ont de toute
façon eut une influence respectable. L'équipe d'Echoes of Swing avait le choix
entre épouser le style rythmique et expressif de ces anciens ou de reprendre
leur répertoire à une manière d'aujourd'hui. Or le répertoire n'est rien, seule
la façon de le jouer importe. Il n'y a donc rien de Bix et Trumbauer dans ces
reprises (augmentées de quelques originaux). Ce n'est pas moins intéressant
pour autant. L'arrangement de Bernd Lhotzky d'un «At the Jazz Band Ball»
à peine reconnaissance, a plus de swing que les équipes de Bix. La sonorité de
Colin Dawson au cornet Schilke dans «Ol' Man River» est chaude avec
un vibrato qui n'évoque en rien Bix, mais c'est aussi beau que court. Colin
Dawon peut évoquer Chet Baker dans le quartet sans piano sur «Thou Swell»
où Shannon Barnett fait penser à Bob Brookmeyer. Mulo Francel utilise un vieil
instrument, le C melody sax, emblème de Trumbauer, pour une expressivité bien
différente : belle sonorité chaude dans l'exposé de «Everything That Was»
qu'il a signé, puis des fantaisies dans le développement qui rappellent James
Carter. Son arrangement d'«In the Dark» n'évoque Bix que dans le
piano en coda. «At Children Corner» composé par Lhotzky fait plus
clairement référence à Debussy et Bix, avec changements de tempo. Très belle
musique par Echoes of Swing sans invités, où chacun a soigné la sonorité
(cornet clair de Colin, alto léger de Chris, piano délicat de Bernd, et variété
rythmique d'Oliver). Le traitement rythmiquement funky d'«Happy Feet» est
réjouissant! Excellents solos de Francel, Barnett, Hopkins, Dawson et des deux
batteurs! Bravo à Mulo Francel pour l'arrangement. Traitement bossa de «I'll
Be a Friend With Pleasure» avec un excellent alto carterien de Chris
Hopkins et une partie chantée bien venue de Pete York. Absence du drame qu'on
perçoit dans le sublime solo de Bix dans la version d'origine (regrettablement
absente de la réédition); d'ailleurs pour mettre à mort toute comparaison, le
présent arrangement ne fait pas appel au cornet! Shannon Barnett joue en duo
avec Henning Gailing (b) sa composition «Nix Like Bix» (d'après «Blue
River») ; du très bon trombone, très mobile avec parfois un caractère
vocal dans la sonorité. Version swing du «Singin' the Blues» revu
par Colin Dawson (tous les solos sont bons). Le «Jazz Me Blues» est
abordé sur un tempo inhabituel. Après l'excellent solo de Barnett, Emile
Parisien s'exprime de façon bien intégrée. Pas une seconde de passéisme et de
la musique de qualité.
Il en va de même de l’albumDancing, qui s'en prend à la danse («Charleston» décortiqué
; «Carioca» virtuose etc). Dans le dansant «Diplomata»
de Pixinguinha, Colin Dawson a une excellente sonorité appropriée, sans et avec
sourdine. Il chante à la Chet Baker notamment dans «Dream Dancing»
(beau son d'alto de Chris Hopkins). Relevons la «Gavotte» de Bach
(Colin Dawson s'en sort bien avec le phrasé classique) et «Ragtime Dance»
de Joplin. «Lion's Steps» évoque parfaitement Willie Smith, et la
prestation de Bernd Lhotzky est délicieuse. Le traitement de l'«Original
Dixieland One-Step» sonne un peu comme du John Kirby. Enfin, il y a de
bonnes compositions personnelles («Ballet of the Dunes» de Chris
Hopkins…). De quoi vous surprendre et vous satisfaire.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Bob Mintzer
All L.A. Band
El Caborojeno, Havin'
Some Fun, Home Basie, Ellis Island, Original People, New Rochelle,
Runferyerlife, Latin Dance, Slo Funk, Tribute
Bob Mintzer (ts, arr),
Wayne Bergeron, James Blackwell, John Thomas, Chad Willis, Michael Stever (tp),
Bob McChesney, Erik Hughes, Julianne Gralle, Craig Gosnell (tb), Bob Sheppard
(as), Adam Schroeder (bar), Russ Ferrante (p), Larry Koonse (g), Edwin
Livingston (b), Peter Erskine (dm), Aaron Serfaty (perc)
Enregistré à Los
Angeles (Californie), date non précisée
Durée: 1h 02' 24''
Fuzzy Music PEPCD022 (www.bobmintzer.com)
La collaboration entre
Bob Mintzer et Peter Erskine ne date pas d'aujourd'hui. L'expérience de Bob
Mintzer dans l'orchestre de Buddy Rich l'a amené à comprendre que le batteur
est le socle du big band. C'est l'œuvre collective plus que les solos qui
comptent ici étant donné la qualité superlative des sections de cuivres! Wayne
Bergeron est l'un des meilleurs lead trompettes du moment. Bob Mintzer fait une
place, et c'est inévitable de nos jours, à l'influence cubaine dans trois
titres : «El Caborojeno» (solo bop standardisé de Michael Stever,
tp, qui a une solide technique), «Ellis Island» (en 6/8 d'où un
phrasé orchestral biscornu incompatible avec le swing; bon travail des sections
de trombones et trompettes, solo d'Adam Schroeder, bar), «Latin Dance»
(solo de Mintzer sur des motifs complexes et répétitifs de trombones et
trompettes, solo Bob McChesney, très technique comme toujours, retour au sax
ténor puis passage Erskine-Serfaty). Touche reggae dans «Original People»
qui vaut pour le travail de la section de trombones au son ample. Notez le
passage en 4/4 ternaire pour que les solos swinguent (écoutez le solo swing de
trompette et juste après les constructions des sections de souffleurs sans swing).
Tout cela est évidemment rythmique ce qui n'est pas synonyme de swing. Fanfare
classique pour trompette (Wayne Bergeron) et section de trombones avant le
thème «New Rochelle» sur un drumming binaire, à l'origine écrit par
Mintzer pour les Yellowjackets. Solo de Russ Ferrante, puis belle écriture
superposée des trois sections de souffleurs et un bon solo de Bob Mintzer dans
la lignée Stanley Turrentine, Hank Mobley. Aussi bien que ce soit, ça tranche
avec le «Runferyerlife», en tempo rapide, typiquement bop. Bon solo
de Bob Mintzer, puis incroyable de virtuosité de Bob McChesnel et enfin de
Peter Erskine. Wayne Bergeron assure une partie pas évidente. Une influence
directe de Count Basie se trouve dans «Havin' Some Fun». Placé
juste après «El Caborojeno», on a l'illustration (involontaire) de
ce qui swingue par rapport à ce qui est bien mais sans swing. Solos de Bob
Mintzer et Adam Schroeder, mais c'est le travail des sections de trompettes
(surtout), de trombones et saxophones qui fait l'intérêt de ce titre, ainsi que
la partie de Peter Erskine aux balais! «Home Basie» se veut le
mariage du big band swing et du R&B. En fait c'est un rythme funky sur
lequel on greffe un travail superlatif de précision des sections de trompettes
(Wayne Bergeron!) et saxophones. Bob Mintzer prend un solo charnu qui se veut
dans la lignée de King Curtis et Junior Walker (ce qui me laisse perplexe). «Tribute»
est dédié aux musiciens sortis de l'école Basie et plus spécialement à Thad
Jones. Il y a d'abord le piano sobre et swing de Russ Ferrante avant l'entrée
parfaitement swing de l'orchestre! Bob Mintzer propose un solo lyrique et
robuste. Amusant passage sur un rythme de marche pour les trompettes, avant le
retour de tout l'orchestre à un swing bien extériorisé (bon drumming de Peter
Erskine) et un solo bop de Michael Stever que n'aurait pas renié Thad Jones
(Erskine pousse bien). «Slo Funk» fut écrit pour le big band Buddy
Rich, c'est l'occasion d'un solo de Bob Sheppard (as), puis du leader. Gros
travail du lead trompette comme pour tous les arrangements destinés à Buddy
Rich. Au total c'est un disque remarquable de la conception plurielle que l'on
a aujourd'hui du big band. Pour les musiciens, sachez que des play-along et les partitions sont
disponibles sur le site internet du leader.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Ben Adkins
Sal-ma-gun-di
Lucky, Fungii Mama, Let's Dance (The Night Away), You and the Night and the Music, When You Smile at Me, That Jambalaya, Five in Time, Chelsea Bridge, Cheryl, When You Smile at Me
Ben Adkins (dm), Alphonso Horne (tp, fgh ), Joshua Bowlus (p, elp), Paul Miller (g), Stan Piper (b) + Michael Emmert (ts), Chris Adkins (elg), Linda Cole (voc )
Enregistré en 2016, New Orleans (Californie)
Durée: 57' 04''
Ben Adkins Music 190394498177 (www.benadkinsmusic.com)
Le titre veut dire pot-pourri
et c'est bien d'un mélange de genres dont il s'agit. L'ambition: «keeping alive the tradition of jazz and
being wrapped in a cellophane of modern sounds». En tout cas, c'est le
premier album sous son nom du batteur Benjamin Adkins, originaire de
Jacksonville, ex-élève en Floride de Danny Gottlieb (2009) et Leon Anderson
(2011). La plupart des titres sont joués en quartet sans trompette. Hélas,
Joshua Bowlus utilise le plus souvent le Rhodes, alors qu'il sait faire sonner
le piano de belle façon comme dans «Cheryl» de Charlie Parker (excellent jeu de
balais du leader) et dans l'une des meilleures plages de l'album, la version
chantée de «When You Smile at Me» avec l'émouvante Linda Cole (inflexions à la Billie Holiday). Paul Miller est
un guitariste pop («When You Smile at Me», trop long; «Five in Time»). Stan
Piper a un son ample de qualité. Le leader a des qualités aux balais («You and
the Night and the Music»). Curieusement, le thème rollinsien «Fungii Mama» de
Blue Mitchell est joué sans trompette. En dehors de Linda Cole, l'intérêt de
cet album c'est qu'il permet d'entendre, dans quatre titres, le jeune
trompettiste Alphonso Horne, natif de Jacksonville, diplômé de la Florida State
University, protégé de Marcus Roberts. Dans «Lucky», thème un peu monkien de
Ben Adkins, Alphonso Horne intervient d'abord en duo avec Stan Piper, puis dans
un solo bop avec la rythmique. On apprécie sa sonorité chantante dans «Let's
Dance (The Night Away)». Les deux meilleurs titres sont «That Jambalaya» sur un
rythme de parade (petits riffs de Horne derrière le Rhodes et la guitare, solo
de trompette avec le plunger et growl: toutefois la forme est supérieure au
contenu) et la ballade «Chelsea Bridge» de Billy Strayhorn (où Horne démontre
sa classe potentielle; bon solo de basse aussi).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Al Strong
Love Strong. Volume 1
Getaway 9, Itsy Bitsy Spider, Lilly's Lullaby, CI's Blues, My Favorite Things, Fond of You, Liquid, Voyage, Was, Blue Monk
Al Strong (tp, fgh), Alan Thompson (ss), James Gates (as), Bluford Thompson (ts), Shaena Ryan Martin (bar), Ryan Hanseler (p, elp), Lovell Bradford (p, org), Charles Robinson, Joel Holloway (org), J.C. Martin (g), Lance Scott (b), Jeremy Clemons (dm, clavinet), Lajhi Hampden (dm), Brevan Hampden (perc) + Ira Wiggins (fl), Lummie Spann Jr (as), Brian Miller (ts), Joey Calderazzo (p), Devonne Harris (elp), Ameen Saleem (b), KidzNotes Mozart Chorus
Enregistré le 17 décembre 2014, les 6 et 7 février 2015, Kernersville (Caroline du Nord)
Durée: 1h 00' 19''
Al Strong Music (www.alstrongmusic.com)
Love Strong est un disque «pour se sentir bien» («a feel good record»), ce qui implique qu'il y en ait (sans
doute moins volontairement avoué) pour se sentir mal (nous ne citons
personne). Albert Strong, élevé à Washington, a rencontré ce
qu'on appelle «jazz» à l'âge de 15 ans. Il est un produit de la Duke
Ellington School for Performing Art. C'est Michael Hackett qui lui a
enseigné l'émission des notes sur une trompette. Un grand-père l'a
initié à Ray Charles, Jimmy Smith, Donald Byrd. Depuis, Al Strong qui
émerge à partir de 1998, a joué avec Aretha Franklin et Branford Marsalis.
Et en effet on est surpris à l'écoute du premier titre, «Getaway 9»
d'entendre du (hard) bop sur tempo rapide parfaitement assimilé par Al
Strong («strong» en effet), Bluford Thompson et le trio rythmique
(bon solo de Jeremy Clemons)! «Itsy Bitsy Spider» est un solo de
trompette (démarquage de « Au clair de la lune») en dehors de
l'intervention de voix d'enfants au début et à la fin. Al Strong a un son
charnu, robuste et chantant avec un léger vibrato en fin de phrases. Cette
qualité se retrouve dans «Lilly's Lullaby». Al sait utiliser les émissions
de son voilée pour donner de l'émotion aux notes. C'est la guitare bluesy
de J.C. Martin qui introduit un «CI's Blues» deuxième moment de pur
(hard) bop. Al Strong joue avec autant de classe qu'un Roy Hargrove, avec
des attaques à la Lee Morgan! Coda très blues. Il est
impossible aujourd'hui d'éviter la touche latine qui surgit dans
cet intéressant arrangement de «My Favorite Things». Effets électroniques
dans le solo de trompette. Utilisation bien venue de l'orgue (Lovell
Bradford). Climat Jazz Messengers dans «Fond of You». Bluford
Thompson y trouve des accents à la Benny Golson. Bon drumming de Lajhi
Hampden, remarquable lignes de basse de Lance Scott, piano soul
de Ryan Hanseler. Le reste n'est pas de la même veine. Al Strong
diversifie pour ne pas passer pour un ringard (et il a le droit d'aimer ça
aussi). Passe encore pour le funk festif qui prend «Blue Monk» pour otage,
comme l'avait déjà fait le Dirty Dozen Brass Band (auquel on pense), avec
sa guitare à pédale (bon solo hargneux de Bluford Thompson). Les
trois autres titres, avec piano bla-bla (Lovell Bradford) sans swing
dans «Voyage», sont des pièces de «climat» qui permettent malgré tout
d'apprécier la sonorité de bugle et de trompette avec sourdine harmon du
leader. Au total tous ceux qui restent à aimer leur bop hard devraient
s'intéresser à Al Strong et à ce disque.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Houben/Loos/Maurane
HLM
Enfance, Potion magique,
Overloos, Peccadille, Incantation pour les Etoiles, Morceau en forme de
Nougarose, Savapapapa, Les chevilles de Valery
Steve
Houben (fl, as, ss), Charles Loos (p, key), Maurane (g, voc)
Enregistré en novembre 1985, Bruxelles (Belgique)
Durée: 40' 23''
Igloo Records 043 (Socadisc)
Après un
beau premier galop au Québec et avant Starmania,
Maurane est revenue à Bruxelles poser sa voix puissante et son feeling jazz
mâtiné de «Nougarose» en 1985. Dans les mois qui suivent, sa
rencontre avec les musiciens qui gravitent autour des dix ans d’âge des Lundis
d’Hortense n’est pas une surprise. La chanteuse qui est aussi guitariste
(«Savapapapa») et compositrice («Overloos») se fait
instrumentiste par onomatopées
inclusives («Incantation pour les étoiles»). On appréciera son talent d’improvisatrice,
notamment sur «Morceau en forme de Nougarose». C’est surtout la
«manière» de Charles Loos qui est affirmée ici; sa
musicalité, l’approche mélodique de ses composition. Par sa sensibilité et sa
maîtrise, Steve Houben, qui a déjà enregistré «Steve Houben And
Strings» en 1983, s’allie avec évidence aux harmonies de Charles Loos
(«Peccadille»). Sa composition «Enfance» est devenue un
grand classique du jazz belge. Puisqu’aujourd’hui la chanteuse qu’on a dans
l’oreille masque le talent initial de Maurane, cette réédition faite par Igloo
se faisait essentielle. A noter: un supplément par rapport au 33 tours
originel (Igloo 038): le duo Loos-Houben sur «Les Chevilles de
Valéry».
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Big Noise
Live
What’ Cha-Call-‘Em Blues, Down by the Riverside,
Make Me a Pallet On the Floor, Carry Me Back to Old Virginny, Big Chief, Old
Stack O’Lee Blues, Jesus on the Mainline, Oh, Didn’t He Ramble, Cornet Chop
Suey, Savoy Blues, Forty Second Street, Mardi Gras Mambo, My Indian Red, (I’ll
Be Glad When You’re Dead) You Rascal You, Black and Blue
Raphaël D’Agostino (cnt, voc), Johan Dupont (p,
voc), Max Malkomes (b, voc), Laurent Vigneron (dm)
Enregistré
les 10 et 11 janvier 2016, Bruxelles (Belgique)
Durée: 1h 18' 50''
Igloo Records 274 (Socadisc)
Déjà sept ans que ce quartet wallon reprend le
vieux répertoire du Delta, surprenant les festivaliers le plus souvent habitués
aux expériences créatives et autres amalgames ethniques. Ils nous ont fait danser à Brosella, à
Comblain ou Rossignol. Avec ce troisième album, enregistré au Théâtre des
Riches Claires (Bruxelles), c’est une sorte de travelling entre Canal Street et
Jackson Square qu’ils recréent, rappelant à qui voudrait l’oublier que notre
musique est née dans la rue. La démarche de ces jeunes musiciens est
essentiellement festive. A côté d’un cornettiste-chanteur («Black and
Blue») qui privilégie les accents et le vibrato à la Buddy Bolden, on écoute un contrebassiste essentiel («Old
Stack O’Lee Blues») et un batteur qui, avec ses wood-blocks, ses
cow-bells, ses bass-drums, ses roulements, et son tempo inébranlable paie
tribut à Baby Dods, Chick Webb et Gene Krupa («Oh, Didn’t He Ramble»,
«Forty Second Street»). Plus surprenante est la présence dans ce
quartet d’un pianiste protéiforme: Johan Dupont. On peut l’écouter comme concertiste
classique, accompagnateur de chanteurs, sideman bop ou résolument impliqué dans
les expériences contemporaines. Avec Big Noise, vous apprécierez autant sa
délicatesse sur «Black And Blue» que sa vélocité sur «Big
Chief». Big Noise parcourt les origines en chant-chorales («My
Indian Red»), de l’église au bordel, de «Jesus on the
Mainline» jusqu’au très païen «Mardi Gras Mambo». Cette
formation minimale, sans clarinette ni trombone, transpire le swing et la vieille
tradition, mais surtout la joie d’être ensemble, de jouer sans fards, en
amitié, modestie et partage.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Jean-Pierre Bertrand/Frank Muschalle
Piano Brotherhood
Lucky Shuffle, Rhythm Boogie, Blues
O'Clock, Midnight Boogie, If You're Not Mine, Boogie Woogie Blues,
Sixth Avenue Express, Piano Brotherhood, Why Did You Do That to Me, A
Fred's Smile for the Boogie Man, Funny & Uprising, Blues with a
Feeling, Swanee River Boogie, Searing Blues, Ammons Warlock Boogie
Jean-Pierre Bertrand, Frank Muschalle
(p), Dani Gugolz (b, voc), Peter Müller (dm)
Enregistré les 1er et 2 décembre
2014, Dijon (21)
Durée: 47' 51''
Black & Blue 801-2 (Socadisc)
Frank Muschalle
Live in Vannes
Blue Mor-Bihan, Arradon Arrival, More
Sweets Darling, Slotcar Boogie, Mr Freddie Blues, Cooney Vaughn's
Stremblin' Blues, Born's Boogie, Vannes'n Waltz, Nod to Wilson, Sheik
of Araby, If I Didn't Love You Like I Do, Spooky'n Blue, Bass Goin'
Crazy, Hmm? What?, Pastry, Mama You Don't Mean Me no Good, Splashin'
Around with the Kids
Frank Muschalle (p)
Enregistré les 22 et 23 avril 2015,
Vannes (56)
Durée: 1h 03' 18''
Styx Records 1078 (www.styxrecords.com)
Jean-Paul Amouroux
Plays Rock'n Roll Hits in Boogie Woogie
I'm Walking*, Wild Cat, You Never Can
Tell*, Be-Bop-a-Lula, Lucille*, Memphis Tennesse, Dim Dim the
Lights*, School Days, Pony Time*, A Mess of Blues, Rock Around the
Clock*, I Gotta Know, Tutti Frutti*, Dirty Dirty Feeling, Jambalaya*,
No Particular Place to Go, Rock the Bop*, Johnny B Goode, You Talk
Too Much*, C'mon Everybody, I'm Ready*, Rock and Roll Music, I Want
to Walk You Home*, Don't Be Cruel, Ya Ya*, Happy Baby*
Jean-Paul Amouroux (p), Claude Braud
(ts*), François Fournet (g), Enzo Mucci (b), Simon Boyer (dm)
Enregistré les 16 et 17 juin 2015,
Draveil (91)
Durée: 1h 04' 59''
Black & Blue 791-2 (Socadisc)
Malgré tout le savoir-faire de ces
pianistes, le boogie woogie peut générer une certaine lassitude.
Pour la rompre, le duo Bertand-Muschalle, disciple du tandem Pete
Johnson-Albert Ammons («Sixth Avenue Express») sollicite parfois un
bassiste genre Willie Dixon («Why Did You Do That to Me» de Big
Bill Broonzy), d'ailleurs chanteur capable («Blues with a Feeling»)
et un batteur efficace («Blues O'Clock»). On n'est pas loin du
rock'n roll («Midnight Boogie»). Alterner avec du blues low down
(«Piano Brotherhood») est donc bien venu. Le «If You're not Mine»,
excellent thème de Lafayette Leake compte parmi les bons moments de
ce CD qui à côté de reprises propose aussi des compositions
originales. Celles-ci sont très présentes dans le
dur exercice du solo qu'assume Frank Muschalle sur son Live in
Vannes. Elles sont souvent excellentes («Blue Mor-Bihan»,
«Vannes'n' Waltz», «Hum? What?»). L'album ne comprend donc pas
que du boogie. Muschalle est un excellent pianiste qui joue très
plaisamment des morceaux qui ne méritent pas l'oubli comme «Mr
Freddie's Blues» de Freddie Shayne, «Bass Goin' Crazy» d'Albert
Ammons, «Pastry» de Sonny Thompson-Henry Glover et du Little
Brother Montgomery, «Cooney Vaughn's Tremblin' Blues» et «Mama,
You Don't Mean Me no Good». Un des sommets du CD est «Nod to
Wilson», démarquage du «Blues in C Sharp Minor» de Teddy Wilson :
du piano incontournablement jazz, et de classe! On retiendra aussi,
dans ce disque, plus que plaisant, le bon thème «If I Didn't Love
You Like I Do» de Julius Dixon (1913-2004) qui donna aussi avec la
parolière blanche Beverly Ross, «Dim, Dim The Lights» rendu
célèbre en 1954 par Bill Haley et que l'on trouve dans le troisième
CD, celui signé par Jean-Paul Amoureux en petit combo.
L'idée de ce Plays Rock'n Roll Hits in
Boogie Woogie est donc d'utiliser les succès du rock'n roll pour en
faire du boogie. Ce n'est pas l'exercice le plus difficile, puisque
le boogie est une composante essentielle du rock'n roll des années
1945-64 («Lucille» de Little Richard). Cette fois, l'astuce pour
entretenir l'attention est d'alterner une interprétation avec sax
ténor avec une, sans. Claude Braud a un style «velu» tout à fait
adapté au rock'n roll («Tutti Frutti», «Jambalaya»). François
Fournet est parfait dans cet exercice du guitariste dérivé de
T.Bone Walker, d'avant l'ère de la suramplification des Jimi Hendrix
& co. («I'm Walking» de Fats Domino-Dave Bartholomew, «A Mess
of Blues», «Dirty, Dirty Feeling», «Don't Be Cruel», évidemment
«Johnny B Goode»). Simon Boyer génère un shuffle parfait («Wild
Cat») et aussi un drumming plus rentre dedans («Pony Time») dans
une entente efficace avec Enzo Mucci (bon slappeur : «Be-Bop-a-Lula»,
«Rock Around the Clock», «Happy Baby»). Pas ici de
désarticulation des thèmes, ils sont bien identifiables. Jean-Paul
Amouroux qui est passé de la musique dite classique à Pete Johnson
via une période rock'n roll, rend ici un très plaisant hommage aux
célébrités du genre qui ont marqué son adolescence : Chuck Berry,
Little Richard, Fats Domino, Chubby Checker, mais aussi Jerry Lee
Lewis, Gene Vincent, Bill Haley, Eddie Cochrane, Elvis Presley.
Jean-Paul Amouroux a un style simple et direct parfait pour ce
divertissement qui en réjouira plus d'un .
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Georges V
Joue Brassens
Marinette, Le Parapluie, Pénélope, Brave Margot, Hécatombe, Histoire de Faussaire, Je suis un voyou (intro), Je suis un voyou, Je me suis fait tout petit, L'Orage, Les Copains d'abord, Le Temps ne fait rien à l'affaire, Les Passantes
Pierre Guicquéro (tb), Daniel Huck (as, voc), Jean-Marc Montaut (p, arr), Pierre Verne (b), Marc Verne (dm)
Enregistré les 1er et 2 mai 2015, lieu non précisé
Durée : 58' 22''
Black & Blue 805-2 (Socadisc)
Le principe de prendre une chanson pour tremplin à jazzer est une constante. Solliciter les compositions de Brassens est chez nous assez fréquent surtout depuis «Les Copains d'abord» par les Haricots Rouges. A noter qu'on trouve ici une belle version de «Les Copains d'abord» bien différente, sur tempo lent (excellents solos de Guicquéro et de Pierre Verne). Bref, nous avons là des arrangements bien originaux. Signalons la créolisation de «Le Parapluie», «Je suis un voyou» (mais l'intro est un pastiche amusant du piano concertant). La plupart des exposés du thème sont par Pierre Guicquéro comme dans la funky «Marinette» (Jean-Marc Montaut cite brièvement «Now's the Time» dans son solo). Dans «Brave Margot» (qu'enregistra déjà Sidney Bechet), Daniel Huck prend un accent parkerien (excellent solo technique de trombone, bonne prestation aux balais de Marc Verne). «L'orage» n'est pas sans évoquer «Tea for Two» dans l'introduction de piano, Daniel Huck y chante en scat avec le talent qu'on lui connais (ce n'est pas la seule intervention dans cette spécialité dans ce disque). Dans «Je me suis fait tout petit», Daniel Huck chante les paroles, puis nous donne du scat après le très bon solo de Jean-Marc Montaut. Pierre Guicquéro expose à la Bill Watrous «Histoire de faussaire», titre où nous avons des solos bluesy de piano et d'alto fort bien venus. Bon solo autour du thème de Pierre Verne dans «Le temps ne fait rien à l'affaire», et Daniel Huck y swingue résolument! Le scat dans «Les Passantes» est joyeusement déjanté (bon solo de Marc Verne, introduction qui intrique «Stranger in Paradise»). Bref, de bons moments garantis avec ce CD.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Claude Bolling Big Band
60 ans. From CB to CB with Love
From CB to CB with Love (part 1-2-3),
The Key, Oncle Benny, Nuances, Sax Specialties, Sunday Mornin Shuffle, Lorraine
Blues
Christian Martinez,
Guy Bodet, Michel Delakian, Patrick Artero (tp), Fabien Cyprien, Denis Leloup,
Jean-Christophe Vilain, Philippe Henry (tb), Philippe Portejoie, Claude
Tissendier (as), André Villéger (ts, cl), Carl Schlosser (ts, fl), Claudio de
Queiroz (bs), Philippe Milanta (p), Nicolas Peslier (g), Pierre Maingourd (b),
Vincent Cordelette (dm), Faby Médina (voc)
Enregistré les
10-12-17-26-28 novembre et 3-20 décembre 2015
Durée: 50' 09''
Frémeaux &
Associés 8523 (Socadisc)
Saluons d’abord un livret avec les informations utiles
(nom des solistes)! Toutes les compositions sont signées Claude Bolling, mais
c'est sans lui que ses musiciens œuvrent en son nom. Entrés dans cet orchestre
entre 1974 et 2013, tous font honneur au fondateur de l'orchestre, par ailleurs
bien enregistré dans le studio de Vincent Cordelette. Un bon big band c'est un
excellent batteur pour l'assise et un premier trompette précis comme colonne
vertébrale. Pas de soucis ici avec Cordelette et Christian Martinez dont la
mise en place, la maîtrise du registre aigu et du vocabulaire (shakes)
s'épanouissent dès le premier titre bien venu, «From CB (Claude Bolling)
to CB (Count Basie) with Love» (composé en 1987) qui présente le
successeur de Claude au piano, Philippe Milanta, un choix tellement pertinent
(un régal de virtuosité et swing). Pour beaucoup, le big band est un défilé de
solistes. En fait, c'est avant tout un choix de compositions aptes à être
swinguées dans des orchestrations qui sont autant de surprises, palettes
sonores, alliages et qui sont l'intérêt premier. Viennent ensuite la mise à
disposition d'espaces d'expression pour des solistes adaptés à l'esthétique de
l'orchestre qui constituent un plus et non une fin. Et là, pas de déception.
Dans la partie 2 de ce «From CB to CB with Love», Patrick Artero
joue splendidement (quel son ample à la Armstrong dans le solo sans sourdine!).
On retrouve Patrick Artero, impérial, à la fin de «Lorraine Blues»,
version ici précédée par un duo devenu célèbre, André Villéger-Philippe
Milanta. A noter une inexactitude dans le livret, ce thème low-down a été enregistré avant 1961 (Philips), le 28 mai 1956 par
Claude mettant en vedette Fred Gérard (tp), Claude Gousset, Benny Vasseur et
Bernard Zacharias (tb) (Jazz Club 6004). Dans ce CD, Damien Verherve (tb)
s'inscrit dans la même lignée. Puisque nous sommes dans le trombone,
«Oncle Benny» évidemment dédié par Claude à Benny Vasseur est ici
admirablement joué par Denis Leloup avec la sûreté technique qu'on lui connait.
On notera dans ce morceau l'alliage sonore trombone et flûte (Carl Schlosser),
ainsi que trompettes et flûte dans «Route d'Azur» (1961, pour le
film Les Mains d'Orlac) où l'on remarque aussi les solos de Pierre
Maingourd et de Michel Delakian (avec sourdine harmon), ainsi que le jeu aux
balais de Cordelette. Trombone encore, Jean-Christophe Vilain dans un «Sunday
Morning Shuffle», bien shuffleen effet. Du côté des saxophones: belle version de «Nuances» bien
sûr ellingtoniennes (Claude Tissendier, alto chantant) et «Sax
Specialties» dédié à Tissendier qui valorise le moelleux de la section de
sax, après une vive secousse de trompettes. Merci à Vincent Cordelette, nouveau
chef d’orchestre, et à tous ces admirables musiciens.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Claude Braud/Pierre-Louis Cas/Philippe Chagne/Carl Schlosser
Tenor Battle
Stolen
Sweets, My Delight, My Full House, After Supper, Shiny Stockings, Moten Swing,
Cristo Redentor, Robbin's Nest, In a Mellow Tone
Claude
Braud, Pierre-Louis Cas (ts), Philippe Chagne (ts), Carl Schlosser (ts,
fl), Franck Jaccard (p), Laurent Vanhée (b), Stéphane Roger (dm)
Enregistré
: le 19 avril 2014, Paris
Durée: 1h 14' 17''
Ahead
828-2 (Socadisc)
Philippe Chagne/Olivier Defays
Men in Bop
Naomi's
Back!, Emile Saint-Saëns, You and the Night and the Music, Mon suricate au chutney
(portrait of P. Chagne), I Remember Frank Wess, Mérou's Bounce, Sweet Swing,
Caravan, Walkin' Easy, Calcutta Cuite Olivier
Defays (as, ts), Philippe Chagne (ts), Philippe Petit (org), Yves Nahon (dm)
Enregistré
les 19, 20 et 21 octobre 2015, Droue-sur-Drouette (28)
Durée: 53' 30''
Ahead
829-2 (Socadisc)
Ce qui réunit ces disques
du même label, c'est la
présence de Philippe Chagne, qui, comme c'est rappelé, a une vaste expérience
en big bands (Claude Bolling, Ray Charles, Gérard Badini, Michel Pastre,
François Laudet, le Splendid). Et aussi l'idée de ne réunir que des sax sur un
soutien rythmique. Ils sont un total de quatre et non des moindres dans Tenor
Battle, sur des arrangements bien conçus d'un répertoire varié (Ellington,
Illinois Jacquet mais aussi Roland Kirk et Duke Pearson). Le livret donne les
indications de solistes qui permettent de se mettre dans l'oreille le son et
style de chacun. Tous ces arrangements sont de premier ordre! «Stolen
Sweets» swingue bien sur tempo médium, mené par Chagne à l'alto (pas
mentionné dans le livret), les solos de ténor opposent amicalement Chagne et
Carl Schlosser (approche la moins sage). Sur tempo plus vif, «My Delight»
fait intervenir successivement Schlosser, Claude Braud (léger growl),
Pierre-Louis Cas (son épais) et Chagne. Un riff de section ou des breaks de
batterie séparent les interventions individuelles. Dans les ensembles comme en
solo Schlosser opte pour la flûte dans le très dansant «My Full House»
ce qui contraste bien avec le solo hargneux de Pilou Cas. Franck Jaccard y va
aussi d'un solide solo. Jaccard amène avec délicatesse le «After Supper»
sur tempo très lent. Ce thème de Neal Hefti nous conduit dans l'univers basien.
Solo «méchant» de Pilou (à noter la parfaite ligne de basse de
Laurent Vanhée), ensuite Claude Braud n'est pas moins véhément. L'entrée de
solo de Schlosser a la vérilité d'une trompette, puis son phrasé a le même
genre d'exhubérence qu'un James Cater. En comparaison la sonorité de Philippe
Chagne est plus légère mais pas moins expressive. On reste un moment dans
l'univers basien avec «Shiny Stockings» (belles relances de
Stéphane Roger) et «Moten Swing» (version funky et bon chase
Schlosser-Chagne). Soulignons au passage que c'est du live (au Méridien), pas de triche. Très bel arrangement de «Cristo
Redentor» avec l'alto lancinant et lyrique de Philippe Chagne. Le piano soul de Franck Jaccard est le seul
soliste, de classe. L'arrangement de «Robbin's Nest» avec une
partie de flûte et un piano économe n'est pas moins enthousiasmant (remarquable
solo de flûte de Schlosser, suivit des ténors pulpeux de Cas, Chagne et Braud).
Le programme se termine par une bonne version de «In a Mellow Tone».
Les amateurs de sax qui swingue seront aux anges!
Dans le second CD, il y a
plus de compositions personnelles (ou bons démarquages comme «Naomi's Back!»,
kentonien) que d'adaptations de standards. Olivier Defays revendique d'être
bop. L'alliage sax-orgue-drums fut pour Blue Note puis en France chez Black
& Blue lors des années 1970, un gisement de couleurs bluesy. C'est
l'esthétique défendue ici avec talent. Philippe Petit est non seulement un
organiste qui connait les racines du genre, mais aussi un compositeur de thèmes
de qualité : «Emile Saint-Saëns», «Walkin' Easy».
Philippe Chagne a signé une jolie ballade pensive, «I Remember Frank Wess»,
où la qualité des sonorités de ces deux sax est bien en valeur (et indispensable
sur tempo très lent!). Son «Sweet Swing» est aussi un thème
plaisant joué paisiblement par l'alto et ténor entourés des «couleurs
Blue Note» de Philippe Petit. On appréciera le style parkero-cannonballien
d'Olivier Defays dans son «Mérou's Bounce» (breaks d'Yves Nahon).
Dans les standards, on relève un bon stop chorus par les sax dans «You
and the Night and the Music». Yves Nahon, par ailleurs aussi discret
qu'adapté, est mis en valeur (sans excès) dans «Caravan» et «Calcutta
Cutie». Qu'Olivier Defays se rassure, ce style n'a pas pris, ici, une
ride, et, porté à ce degré de qualité, sans sacrifier le swing, c'est une
démonstration qu'on peut être «créatif» sans rien renier des fondements
essentiels du genre. Un album inespéré par les temps confus qui courent.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Yves Nahon Quartet
Jour après jour
This
Way, Contemplation, Get Out of Town, Westwood Walk, Jungle Juice, Azure, Lime
Light, What The World Needs Now Is Love, Lean Years, Just Squeeze Me
Yves
Nahon (dm), Hiroshi Murayama (p), Serge Merlaud (g), Pierre Maingourd (b)
Enregistré les 11 et 12 décembre 2013, lieu non communiqué
Durée:
56' 19''
Black
& Blue 793-2 (Socadisc)
Professionnel depuis 1987, Yves Nahon a joué pour Ted
Curson, Peter King, Pierre Michelot et Sylvain Boeuf notamment. Il annonce son
«ambition de trouver un son ensemble». En effet le groupe a un son
magnifique et la couleur est donnée par Serge Merlaud, guitariste de formation
classique qui à l'évidence a parfaitement assimilé l'approche des meilleurs
guitaristes bop. Sa sonorité attire l'oreille notamment dans
«Contemplation» de McCoy Tyner. Dans «This Way»,
composé par Serge Merlaud et joué avec swing, le piano du Japonais Hiroshi
Murayama (né en 1970), de formation classique, est d'une belle musicalité. Dans
le beau thème de Cole Porter, «Get Out of Town», c'est au tour du
leader de se mettre en valeur (jeu de balais, solo), mais Pierre Maingourd
n'est pas en reste car ses lignes de basse derrière les solos de guitare et
piano sont parfaites. Dans «Westwood Walk», la prestation aux
balais d'Yves Nahon comme l'entrée de solo de Murayama sont impressionnants.
Superbe solo de Pierre Maingourd dans «Azure» d'Ellington. Le
«Lime Light» de Mulligan est délivré avec un swing réjouissant
(belle alternative piano-guitare). Même qualité de swing dans «Just
Squeeze Me», notamment le solo de piano soutenu par la qualité de son de
la contrebasse et le drumming inventif du leader. Maingourd prend là aussi un
excellent solo. J'ai souligné des qualités individuelles. C'est la somme de
celles-ci qui donne un beau son de groupe. Ceux qui aiment la guitare dans la
lignée Kenny Burrell, Wes Montgomery, etc. sauront apprécier ce disque.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Marc Benham
Fats Food. Autour de Fats Waller
Viper's Drag, Black and Blue, Boxing Day, Carolina Shout, I've Got a
Feeling I'm Falling, Ain't Misbehavin, Madreza, The Trolley Song, My Fate Is in
Your Hands, La Petite plage, The Sheik of Araby, Les Barricades mystérieuses,
Tes zygomatiques, Ain't Misbehavin (alt. take)
Marc Benham (p)
Enregistré le 3
novembre 2015, Malakoff (92)
Durée: 48' 13''
Frémeaux &
Associés 8527 (Socadisc)
Marc Benham est un pianiste «rare».
Tous ceux qui ont assisté à ses concerts
ou écouté Herbst, son précédent album
solo en conviennent. Une technique accomplie, un toucher précis (qui l'autorise
à jouer sur les redoutables pianos
Fazioli), un sens aigu de la mise en place et une culture phénoménale de
l'histoire du piano jazz (Thelonious Monk compris) ne sont que quelques-unes de
ses qualités. Au répertoire de Fats Waller annoncé par le titre, (mais aussi de
James P. Johnson), il ajoute quelques-unes de ses compositions personnelles et
même un extrait d'un thème de François Couperindont il donne une interprétation
«stride» tout à fait dans le ton malgré son anachronisme... mais
Marc Benham a aussi le sens des surprises inattendues et le culte du mystère
(ainsi le logo du pingouin en loden qui figurait déjà sur Herbst, lui-aussi très réussi). Chapeau (melon...)
l'artiste!
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Laurent Courthaliac
All My Life
He Loves and She Loves, Strike up the Band, All My
Life, Everyone Says I Love You, Looking at You, But not for Me, You Brought a
New Kind of Love to Me, I’ve Got a Crush on You, Just You, Just Me, Embreacable
You
Laurent Courthaliac (p, arr), Fabien Mary (tp),
Bastien Ballaz (tb), Dimitri Baevsky (as), David Sauzay (ts), Xavier Richardeau
(bar), Clovis Nicolas (b), Pete Van Nostrand (dm)
Enregistré
en avril 2015, Meudon (92)
Durée:
44' 04''
Jazz and People 816004 (Harmonia Mundi)
La musique qui sert de
base au dernier album de Laurent Courthaliac est tirée des films de Woody Allen Manhattan (1979) et Tout le monde dit I love you (1996),
seule comédie musicale à l’actif du cinéaste new-yorkais. Le pianiste célèbre
ici davantage l’amour du jazz de l’illustre réalisateur que son esthétique
cinématographique, même si des accents de sincérité absolue émaillent cette
déclaration enflammée à la ville berceau du bebop. Dès le premier titre, «He
Loves and She Loves», le pianiste annonce la couleur avec une relecture
de Gershwin dans la plus pure tradition swing. L’orchestration façon big band
de Jon Boutellier (Amazing Keystone Big Band) est le sésame qui permet d’entrer
de plain-pied dans un univers qui ressuscite une époque chérie de la plupart
des amateurs de jazz. «Strike Up the Band» permet à Laurent Courthaliac
de déployer toute sa science des arrangements, et le tempo vif, les accents
roboratifs produits par les cuivres, achèvent de convaincre l’auditeur qu’il a
ici affaire à une musique de grande qualité. «Everyone Says I Love You»
ramène le temps d’une piste cette saveur particulière aux grandes comédies
musicales américaines, et «Looking at You» est peut-être le morceau
sur lequel le talent du leader s’avère le plus évident, son toucher atteignant ici
un niveau de délicatesse et de sensibilité inouïs, avec des silences aussi
éloquents que les notes de musique les plus inspirées. «I’ve Got a Crush
on You» suscite à son tour l’adhésion du mélomane, avec ses contrastes
profonds et les couleurs sépias apportées par Bastien Ballaz. Un hommage appuyé
doit bien sûr être rendu au mixage et à la masterisation hors pairs de Julien
Bassères, qui s’avèrent essentiels pour restituer toute la cohésion de l’octet
en studio. Le disque se termine sur «Embraceable You», un mid-tempo
très séduisant qui met en évidence le talent de Xavier Richardeau. Grâce soit
rendue, sur ce disque, à la section de cuivres, dont les interventions
confèrent un caractère inoubliable aux compositions de George Gershwin. Un bien bel album, déployant une approche
toute de transparence et de pureté, et prouvant que la musique la plus
enracinée n’est pas incompatible avec l’approche d’une certaine modernité.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Jacky Terrasson/Stéphane Belmondo
Mother
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