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Au programme des chroniques
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• A • Louis Armstrong: Intégrale Vol. 14 • Louis Armstrong: Live in Paris • Ben Adkins • Jean-Paul Amouroux/Jean-Pierre Bertrand/Frank Muschalle • B • Dmitry Baevsky • Emmanuel Baily • Kenny Barron • John Beasley • Daniel Bechet & Olivier Franc Quintet • Marc Benham • Airelle Besson • Big Noise • Ellen Birath • Bojan Z/Nils Wogram • Claude Bolling Big Band • Céline Bonacina • Itamar Borochov • Brass Messengers • Claude Braud/Pierre-Louis Cas/Philippe Chagne/Carl Schlosser • Buddy Bolden Legacy Band • Katie Bull • C • Jean-Yves Candela • Eva Cassidy • Joe Castro • Frank Catalano • Philippe Chagne/Olivier Defays • Chris Cody • Nat King Cole • John Coltrane • Sam Coombes • Laurent Coq/Walter Smith III • Laurent Coulondre • Laurent Courthaliac • D • Renato D'Aiello • Guy Davis • Steve Davis • Raul de Souza • Bart Defoort • Lorenzo Di Maio • Roberta Donnay • Hubert Dupont • E • Echoes of Swing • Eli & The Hot Six • Teodora Enache/Theodosii Spassov • Duane Eubanks • Orrin Evans • F • José Fallot • Dominick Farinacci • The Fat Babies • Franck Filosa • Clare Fischer • Dominique Fitte-Duval • Ella Fitzgerald • George Freeman & Chico Freeman • G • Melody Gardot • Erroll Garner • Georges V • Stan Getz • Sebastien Girardot/FélixHunot/Malo Mazurié • Guitar Heroes • H • Rich Halley • Scott Hamilton/Karin Krog • Hard Time Blues • The Harlem Art Ensemble • Heads of State • Eddie Henderson • Houben/Loos/Maurane • Sylvia Howard • I • Iordache: One Life Left • Iordache: Garden Beast • Iordache: Two Hours in June • Chuck Israels • J • Ahmad Jamal • Jazz Cookers Workshop • JCD 5tet • Nicole Johänntgen • Jessica Jones • L • Fapy Lafertin • Olivier Le Goas • David Linx/BJO • David Linx/Paolo Fresu/Diederick Wissels • Jean-Loup Longnon • M • Christian McBride • Les McCann • Kirk MacDonald: Symmetry • Kirk MacDonald: Vista Obscura • Harold Mabern • Perrine Mansuy • Delfeayo Marsalis • Tina May • Brad Mehldau • Don Menza • Jason Miles/Ingrid Jensen • Bob Mintzer • Wes Montgomery • Ed Motta • Moutin Factory Quintet • N • Yves Nahon • Fred Nardin/Jon Boutellier • Guillaume Nouaux • O • Austin O'Brien • Jean-Philippe O'Neill • P • Emile Parisien • Charlie Parker • Yves Peeters • Alain Pierre • Antoine Pierre • Enrico Pieranunzi • Valerio Pontrandolfo • R • François Raulin/Stephan Oliva • Cecil L. Recchia • Herlin Riley • François Ripoche/Alain Jean-Marie • George Robert • Olivier Robin • Sonny Rollins • Jim Rotondi • S • Julie Saury/Carine Bonnefoy/Felipe Cabrera • John Scofield • Jimmy Scott • Rhoda Scott • • Steve Slagle/Bill O'Connell • Slavery in America • Florent Souchet • Emil Spányi/Jean Bardy • Spirit of Chicago Orchestra • Al Strong • T • Lew Tabackin • Jacky Terrasson/Stéphane Belmondo • Ignasi Terraza • Virginie Teychené • Samy Thiébault • Romain Thivolle • David Thomaere • Tiberian/Bahlgren/Betsch • Mircea Tiberian/Toma Dimitriu • Jean-My Truong • Steve Turre • U • Phil Urso • V • Jacques Vidal • Aurore Voilqué • Heinrich Von Kalnein/Michael Abene • W • Terry Waldo • Muddy Waters • Big Daddy Wilson • Anne Wolf • Michael Wollny/Vincent Peirani
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Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2017
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Ellen Birath
& The Shadow Cats
Pull Me In, Feel the Beat, Sunday
Night*, Like a Virgin, A Boy That I Know, Trooper, One Minute Man,
Problem°, Oh Babe, So Low
Ellen Birath (voc), Matthieu Bost
(as, cl, key), Manuel Faivre (tp), Thomas Ohresser (g), Marten Ingle
(b), Thomas Join-Lambert (dm) + Paddy Sherlock* (tb), César Pastre°
(elp)
Enregistré à Ris-Orangis (91) et
Paris, date non communiquée
Durée: 37' 50''
Autoproduit (www.facebook.com/EllenBirath)
Amis lecteurs, nous vous donnons
régulièrement des nouvelles d’Ellen Birath, chanteuse suédoise
de 26 ans, installée à Paris depuis quelques années. Révélée
par le zébulonesque et néanmoins pygmalion Paddy Sherlock (qui n’en
est pas à son coup d’essai: Brisa Roché, Aurore Voilqué…),
Ellen se produit chaque semaine – et depuis quelques saisons déjà
– avec ou en alternance avec le tromboniste irlandais dans les pubs
où ils trouvent un refuge accueillant pour le jazz (depuis octobre dernier, le Long Hop, dans le 5e arrondissement, les dimanche soirs).
Après un premier album coloré et éclectique – sobrement intitulé Ellen Birath Band –, sorti en 2013, Ellen prend davantage de
distance avec le jazz. Et vous savez quoi? On ne lui en veut même
pas! Si la dominante de ce disque est plutôt rythm’n’blues, on
passe par différentes ambiances: country, laquelle évoque le Pulp
Fiction de Tarantino («Pull Me In»), reggae («Sunday Night»),
rock’n’roll («Oh Babe») et aussi jazz («The Boy That I Know»).
Ellen recycle même avec habileté un tube pop de Madonna («Like a
Virgin») – on connaissait déjà sa version très plaisante de
«The Love Cats» de The Cure, issu du précédent opus. En fait,
Ellen Birath et ses Shadow Cats glissent d’un style à l’autre avec
beaucoup de naturel tout affirmant un son très personnel qui doit
autant à la belle guitare de Thomas Ohresser qu’à la prégnance
des cuivres. Enfin, et surtout, le groupe se construit autour de la
personnalité de sa chanteuse dont la voix racée imprime du relief
sur chacun des titres. Excellente dans le registre sur lequel elle a
bâti ce disque, Ellen est également une interprète de jazz
talentueuse: il suffit pour s’en convaincre d’aller l’écouter, un mercredi par mois, au Tennessee (Paris 6e), avec l'indispensable Paddy et César Pastre, dérouler pour notre plus grand plaisir le
répertoire d’Ella & Louis. Au demeurant, si l’idée ne
trottait pas déjà dans la tête de nos trois amis, nous ne saurions
trop les encourager à graver très vite ce même répertoire sur une
galette. En attendant, on peut égayer le quotidien de sa platine
avec Ellen Birath & The Shadow Cats, voire aller applaudir
cette joyeuse formation au désormais cultissime Caveau de La Huchette (où elle est
programmée chaque mois) si on a des fourmis dans les pieds.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Rhoda Scott Lady Quartet
We Free Queens
We Free
Queens, I Wanna Move, Que reste-t-il de nos amours, One by One, Rhoda’s
Delight, Valse à Charlotte, Joke, What I’d Say
Rhoda Scott
(org), Sophie Alour (ts), Lisa Cat-Berro (as), Julie Saury (dm) + Géraldine
Laurent (as), Anne Paceo (dm), Julien Alour (tp)
Enregistré en
2016, Paris
Durée: 43’
Sunset
Records (L’Autre Distribution)
Ce disque inaugure le label lancé par le club de la rue des Lombards, le
Sunset-Sunside, lequel accueille régulièrement d’ailleurs des enregistrements
live, notamment ceux de Gérard Térronès pour Futura-Marge. Le patron des lieux,
Stéphane Portet, ne se contente donc plus de recevoir les musiciens –qui
trouvent chez lui des conditions propices pour graver leurs sessions–, et passe
ainsi à la production avec le Lady Quartet de Rhoda Scott et un titre, We Free Queens, qui est certainement en
clin d’œil au We Free Kings de Roland
Kirk. Sur ce disque se trouve ainsi réuni le gratin du jazz féminin en France,
toutes générations confondues, emmenée par son aînée Rhoda Scott (née en 1938),
française d’adoption depuis 1967. On continue d’admirer Rhoda pour le ballet qu’elle
effectue sur la pédalier: elle reste l’une des rares joueuses d’orgue
Hammond à pouvoir ainsi se passer de contrebasse. Par ailleurs, ces ladies s’entendent à merveille. On sent
le plaisir d’être ensemble, c’est la fête, ça joue et ça swingue. Julie Saury, fille
de Maxim (en souvenir duquel elle vient de sortir un disque-hommage) sait d’où
vient le jazz et tient le fil de la tradition du bout des baguettes. La
batteuse invitée, Anne Paceo, plus connue du public, se situe quant à elle dans
un registre plus contemporain. Les trois saxophonistes renouent avec la bonne vieille habitude de «se
tirer la bourre», pour le meilleur. Il faut les écouter sur «I Wanna
Move»: ça déménage! Sur le soutien incendiaire de l’orgue, un
solo de la ténor Sophie Alour explose. Cette dernière mène d’ailleurs la danse
sur sa composition «Joke», une véritable fête. «Que
reste-t-il de nos amours», la belle chanson de Charles Trenet, est
distillée avec une délicatesse mélancolique, toujours par Sophie Alour, qui colle
parfaitement aux paroles qu’on a l’impression d’entendre susurrer. Et la
reprise à l’orgue n’est pas sans évoquer Erroll Garner avec ce léger décalage
basse main gauche. «La Valse à Charlotte», thème de Rhoda Scott,
est magnifiquement arrangé pour deux saxes et interprétée façon valse
swing-musette. Le frère de Sophie Alour, Julien, est le seul homme de
l’affaire; il intervient discrètement, mais avec à-propos, sur deux
morceaux. Le disque baigne ainsi dans une atmosphère funk-blues et même rythm’n
blues sur le tube de Ray Charles, «What I’d Say», sacrément enlevé,
avec quelques «Oh Oh, Ah Ah» de rigueur pour terminer ce concert,
d’une belle homogénéité.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Delfeayo Marsalis/Uptown Jazz Orchestra
Make America Great Again!
Star
Sprangled Banner, Snowball, Second Line, Back to Africa, Make America Great
Again, Dream On Robben, Symphony in Riffs, Put Your Right Foot Forward, All of
Me, Living Free and Running Wild, Skylark, Java, Fanfare For the Common Man,
Dream on Robben
Delfeayo
Marsalis (tb), Uptown Music Theatre Choir, Uptown Jazz Orchestra : Andrew
Baham, Scott Frock, John Gray, Jamelle Williams (tp), Brice Miller (tp, voc),
Terrance Taplin, Charles Williams, Jeffrey Miller, T.J. Norris, Maurice
Trosclair (tb), Khari Allen Lee (as, ss), Jeronne Ansari (as), Roderick Paulin
(ts, as), Gregory Agid (cl, ts), Scott Johnson (ts, bs), Roger Lewis (bs), Kyle
Roussel, Meghan Swartz (p), David Pulphus (b), Herlin Riley, Peter Varnado
(dm), Joseph Dyson Jr (dm, perc), Alexey Marti (perc) + Dee-1 (rap), Wendell
Pierce (narration), Cynthia Liggins Thomas (voc), John Culbreth (tp), Jeff
Alpert (btb), Branford Marsalis, Victor Goines (ts), Oliver Bonie (bar)
Enregistré les 29 novembre, 29-31 décembre 2015, New
Orleans (Louisiane)
Durée: 1h 02' 48''
Troubadour Jass Records 103016 (www.dmarsalis.com)
Nous n'aborderons pas ici
les connotations politiques de ce disque, ni le fait que Delfeayo Marsalis ne
s'attendait peut-être pas à ce que son titre soit le slogan du 45e président des Etats-Unis... Bref, après l'hymne américain joué par la section
de sax dans un style identique à celui du Quatuor de Saxophones de la Garde
Républicaine, l'album nous présente une façon de jouer hot dès
l'ostinato de sax baryton (Roger Lewis) sur des percussions dans «Snowball»
(le clarinettiste devant être Victor Goines ou Gregory Agid). Bonne
intervention de Roderick Paulin (ts). Cette «Second Line» n'a rien
à voir avec celle de Paul Barbarin et elle nous plonge dans l'univers
ellingtonien, introduit par Gregory Agid (cl) proche de Jimmy Hamilton. Tout
l'orchestre sonne superbement, soutenu par le maître, Herlin Riley. Andrew
Baham (tp) prend un solo très jazz. On retiendra aussi le travail avec plunger
de Terrance Taplin (tb). Introduction mingusienne dans «Back to Africa»,
puis le chœur et le rappeur (supportable grâce au tempo de Joseph Dyson)
précèdent des solos à la J.J. Johnson de Delfeayo, coltranien (pas le son) de
Branford. Orchestration luxuriante (et assez complexe). Narrateur de bla-bla
politique naïf dans «Make America Great Again!» avec joyeuse
réponse du chœur. Bref c'est le solo wyntonien d'Andrew Baham que nous
apprécions. Superbe drumming d'Herlin Riley derrière Khari Allen Lee (as) genre
Wess Anderson. Cynthia Liggins Thomas chante (bien) dans «Dream on Robben»,
genre de composition simple dont Pharoah Sanders était capable. Delfeayo prend
un solo pouvant évoquer Lawrence Brown. A noter qu'il joue un trombone Courtois
AC402TR, comme Taplin et Jeffrey Miller. Justement la section de trombones
intervient au début de «Symphony in Riffs». La section de sax y
sonne bien aussi. Baham pend un solide solo (nous avions apprécié ce
trompettiste à Ascona, festival qui nous permit aussi de découvrir Taplin,
Agid, Kyle Roussel et autres de ces instrumentistes qui n'intéressent pas les
médias jazz en France). Bon solo de Khari Allen Lee, et un peu timide de Meghan
Swartz. «Put Your Right Foot Forward» nous amène dans l'univers des
brass bands funky de New Orleans (Peter Varnado, dm). Brice Miller (parolier)
et le chœur interviennent, puis en solo Roger Lewis (bs), gloire du Dirty Dozen
fortement évoqué ici. L'alternative de trombone sent bon la parade (Charles
Williams, Jeffrey Miller) tout comme les riffs. Agid (cl) plane au-dessus de la
masse sonore. Du jazz orthodoxe par Kyle Roussel en trio dans «All of Me»
(Pulphus, b, Riley, dm) puis le relais est pris par tout l'orchestre qui
swingue un excellent arrangement. Retour du chœur et de l'envahissant rappeur
dans «Living Free and Running Wild» richement orchestré par Phil
Sims. Le solo de Branford fait un peu remplissage. La section de sax amène (et
accompagne) la ballade «Skylark», orchestrée par Delfeayo qui en
est le charmant soliste (beau jeu de balais d'Herlin Riley). Les sax sont
encore à l'honneur dans «Java» où Roderick Paulin est l'excellent
soliste au son épais. Très pompeuse l'introduction de cuivres pour la «Fanfare
for the Common Man», orchestrée par Delfeayo, puis la solennité fait un
peu musique de film. Vient ensuite le solo de Delfeayo, seul moment swing. Le bonus track est la version instrumentale
de «Dream on Robben» (orchestration Kris Berg) avec Khari Allen Lee
(ss), qui a écouté Coltrane, et le drumming superlatif d'Herlin Riley. Bref, il
y a de tout dans ce nouvel album de Delfeayo Marsalis, notamment du bon.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Echoes of Swing
Dancing
Hipsters
Hop, Gavotte I (English Suite n°6), Charleston, Dream Dancing, Diplomata,
Lion's Steps, Ballet of the Dunes, All You Want to Do Is Dance, Sandancer,
Carioca, Premier Bal, Ragtime Dance, Moonlight Serenade, Salir a la luz,
Original Dixieland One-Step, Dancing on the Celling
Colin
Dawson (tp, voc), Chris Hopkins (as), Bernd Lhotzky (p), Oliver Mewes (dm)
Enregistré
les 26-28 mai 2015, Kefermarkt (Autriche)
Durée:
1h 01' 43''
Act
9103-2 (Harmonia Mundi)
Echoes of Swing
Bix. A Tribute to Bix Beiderbecke
CD1:
Ol' Man River (intro), At the Jazz Band Ball, Everything That Was, I'm Coming
Virginia, Thou Swell, In the Dark (tango), At Children's Corner, Happy Feet,
I'll Be a Friend With Pleasure, Nix Like Bix, Singin' the Blues, The Boy from
Davenport, Jazz Me Blues, Ol' Man River
CD2:
At the Jazz Band Ball, I'm Coming Virginia, Singin' the Blues, Jazz Me Blues,
Blue River, Thou Swell, Clarinet Marmalade, Way Down Yonder in New Orleans;
Royal Garden Blues, In a Mist
CD1:
Colin Dawson (cnt, tp), Shannon Barnett (tb, voc), Emile Parisien (ss), Chris
Hopkins (as), Mulo Francel (C mel, g), Bern Lhotzky (p), Henning Gailling (b),
Oliver Mewes (dm), Pete York (dm, perc, voc) ; CD2: Bix Beiderbecke (cnt, p),
Fred Farrar, Ray Lodwig (tp), Bill Rank, Miff Mole, Lloyd Turner (tb), Izzy
Friedman (cl), Don Murray, Jimmy Dorsey (cl, as), Doc Ryker (as), Frank
Trumbauer (s), Adrian Rollini, Min Leibrook (bs), Joe Venuti (vln), Frank
Signorelli, Irving Riskin, Roy Bargy, Paul Mertz (p), Eddie Lang (g), Howdy
Quicksell (bjo), Steve Brown (b), Chauncey Morehouse, Hal McDonald (dm), Lewis
James (voc)
Enregistré
les 1-3 août 2016, Munich (Allemagne) + du 4 février 1927 au 17 avril 1928, New
York
Durée:
1h 01' 09'' + 30' 17''
Act
9826-2 (Harmonia Mundi)
L'hommage à Bix, proposé par Echoes of Swing, se
présente en deux CDs: un premier, enregistré par le groupe allemand et
ses invités, un second qui regroupe des enregistrements originaux de 1928. De ce
dernier nous ne dirons rien, sinon que tout le monde devrait connaître au moins
«I'm Coming Virginia» et «Singin' the Blues» (celui-là
fit impression, dès sa sortie en 1927 sur les deux communautés de musiciens
dits jazz). Le livret de ce projet nous affirme: «Our perceptions of major figures in music from previous epochs tend to
change over the course of time». C'est juste. Bix fut d'abord adulé
et mis au même rang que Louis Armstrong par les premières générations de
musiciens blancs américains, anglais, français (Philippe Brun), etc. Puis, dès
que le premier théoricien (Hugues Panassié) sentit ce qu’était le hot et le swing, Bix et ses confrères furent placés au purgatoire.
Aujourd'hui, où l'on n'a plus aucune notion de ce qui est jazz ou non, Bix a repris
une place au rang des incontournables. Les Bix, Trumbauer et Lang ont de toute
façon eut une influence respectable. L'équipe d'Echoes of Swing avait le choix
entre épouser le style rythmique et expressif de ces anciens ou de reprendre
leur répertoire à une manière d'aujourd'hui. Or le répertoire n'est rien, seule
la façon de le jouer importe. Il n'y a donc rien de Bix et Trumbauer dans ces
reprises (augmentées de quelques originaux). Ce n'est pas moins intéressant
pour autant. L'arrangement de Bernd Lhotzky d'un «At the Jazz Band Ball»
à peine reconnaissance, a plus de swing que les équipes de Bix. La sonorité de
Colin Dawson au cornet Schilke dans «Ol' Man River» est chaude avec
un vibrato qui n'évoque en rien Bix, mais c'est aussi beau que court. Colin
Dawon peut évoquer Chet Baker dans le quartet sans piano sur «Thou Swell»
où Shannon Barnett fait penser à Bob Brookmeyer. Mulo Francel utilise un vieil
instrument, le C melody sax, emblème de Trumbauer, pour une expressivité bien
différente : belle sonorité chaude dans l'exposé de «Everything That Was»
qu'il a signé, puis des fantaisies dans le développement qui rappellent James
Carter. Son arrangement d'«In the Dark» n'évoque Bix que dans le
piano en coda. «At Children Corner» composé par Lhotzky fait plus
clairement référence à Debussy et Bix, avec changements de tempo. Très belle
musique par Echoes of Swing sans invités, où chacun a soigné la sonorité
(cornet clair de Colin, alto léger de Chris, piano délicat de Bernd, et variété
rythmique d'Oliver). Le traitement rythmiquement funky d'«Happy Feet» est
réjouissant! Excellents solos de Francel, Barnett, Hopkins, Dawson et des deux
batteurs! Bravo à Mulo Francel pour l'arrangement. Traitement bossa de «I'll
Be a Friend With Pleasure» avec un excellent alto carterien de Chris
Hopkins et une partie chantée bien venue de Pete York. Absence du drame qu'on
perçoit dans le sublime solo de Bix dans la version d'origine (regrettablement
absente de la réédition); d'ailleurs pour mettre à mort toute comparaison, le
présent arrangement ne fait pas appel au cornet! Shannon Barnett joue en duo
avec Henning Gailing (b) sa composition «Nix Like Bix» (d'après «Blue
River») ; du très bon trombone, très mobile avec parfois un caractère
vocal dans la sonorité. Version swing du «Singin' the Blues» revu
par Colin Dawson (tous les solos sont bons). Le «Jazz Me Blues» est
abordé sur un tempo inhabituel. Après l'excellent solo de Barnett, Emile
Parisien s'exprime de façon bien intégrée. Pas une seconde de passéisme et de
la musique de qualité.
Il en va de même de l’albumDancing, qui s'en prend à la danse («Charleston» décortiqué
; «Carioca» virtuose etc). Dans le dansant «Diplomata»
de Pixinguinha, Colin Dawson a une excellente sonorité appropriée, sans et avec
sourdine. Il chante à la Chet Baker notamment dans «Dream Dancing»
(beau son d'alto de Chris Hopkins). Relevons la «Gavotte» de Bach
(Colin Dawson s'en sort bien avec le phrasé classique) et «Ragtime Dance»
de Joplin. «Lion's Steps» évoque parfaitement Willie Smith, et la
prestation de Bernd Lhotzky est délicieuse. Le traitement de l'«Original
Dixieland One-Step» sonne un peu comme du John Kirby. Enfin, il y a de
bonnes compositions personnelles («Ballet of the Dunes» de Chris
Hopkins…). De quoi vous surprendre et vous satisfaire.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Bob Mintzer
All L.A. Band
El Caborojeno, Havin'
Some Fun, Home Basie, Ellis Island, Original People, New Rochelle,
Runferyerlife, Latin Dance, Slo Funk, Tribute
Bob Mintzer (ts, arr),
Wayne Bergeron, James Blackwell, John Thomas, Chad Willis, Michael Stever (tp),
Bob McChesney, Erik Hughes, Julianne Gralle, Craig Gosnell (tb), Bob Sheppard
(as), Adam Schroeder (bar), Russ Ferrante (p), Larry Koonse (g), Edwin
Livingston (b), Peter Erskine (dm), Aaron Serfaty (perc)
Enregistré à Los
Angeles (Californie), date non précisée
Durée: 1h 02' 24''
Fuzzy Music PEPCD022 (www.bobmintzer.com)
La collaboration entre
Bob Mintzer et Peter Erskine ne date pas d'aujourd'hui. L'expérience de Bob
Mintzer dans l'orchestre de Buddy Rich l'a amené à comprendre que le batteur
est le socle du big band. C'est l'œuvre collective plus que les solos qui
comptent ici étant donné la qualité superlative des sections de cuivres! Wayne
Bergeron est l'un des meilleurs lead trompettes du moment. Bob Mintzer fait une
place, et c'est inévitable de nos jours, à l'influence cubaine dans trois
titres : «El Caborojeno» (solo bop standardisé de Michael Stever,
tp, qui a une solide technique), «Ellis Island» (en 6/8 d'où un
phrasé orchestral biscornu incompatible avec le swing; bon travail des sections
de trombones et trompettes, solo d'Adam Schroeder, bar), «Latin Dance»
(solo de Mintzer sur des motifs complexes et répétitifs de trombones et
trompettes, solo Bob McChesney, très technique comme toujours, retour au sax
ténor puis passage Erskine-Serfaty). Touche reggae dans «Original People»
qui vaut pour le travail de la section de trombones au son ample. Notez le
passage en 4/4 ternaire pour que les solos swinguent (écoutez le solo swing de
trompette et juste après les constructions des sections de souffleurs sans swing).
Tout cela est évidemment rythmique ce qui n'est pas synonyme de swing. Fanfare
classique pour trompette (Wayne Bergeron) et section de trombones avant le
thème «New Rochelle» sur un drumming binaire, à l'origine écrit par
Mintzer pour les Yellowjackets. Solo de Russ Ferrante, puis belle écriture
superposée des trois sections de souffleurs et un bon solo de Bob Mintzer dans
la lignée Stanley Turrentine, Hank Mobley. Aussi bien que ce soit, ça tranche
avec le «Runferyerlife», en tempo rapide, typiquement bop. Bon solo
de Bob Mintzer, puis incroyable de virtuosité de Bob McChesnel et enfin de
Peter Erskine. Wayne Bergeron assure une partie pas évidente. Une influence
directe de Count Basie se trouve dans «Havin' Some Fun». Placé
juste après «El Caborojeno», on a l'illustration (involontaire) de
ce qui swingue par rapport à ce qui est bien mais sans swing. Solos de Bob
Mintzer et Adam Schroeder, mais c'est le travail des sections de trompettes
(surtout), de trombones et saxophones qui fait l'intérêt de ce titre, ainsi que
la partie de Peter Erskine aux balais! «Home Basie» se veut le
mariage du big band swing et du R&B. En fait c'est un rythme funky sur
lequel on greffe un travail superlatif de précision des sections de trompettes
(Wayne Bergeron!) et saxophones. Bob Mintzer prend un solo charnu qui se veut
dans la lignée de King Curtis et Junior Walker (ce qui me laisse perplexe). «Tribute»
est dédié aux musiciens sortis de l'école Basie et plus spécialement à Thad
Jones. Il y a d'abord le piano sobre et swing de Russ Ferrante avant l'entrée
parfaitement swing de l'orchestre! Bob Mintzer propose un solo lyrique et
robuste. Amusant passage sur un rythme de marche pour les trompettes, avant le
retour de tout l'orchestre à un swing bien extériorisé (bon drumming de Peter
Erskine) et un solo bop de Michael Stever que n'aurait pas renié Thad Jones
(Erskine pousse bien). «Slo Funk» fut écrit pour le big band Buddy
Rich, c'est l'occasion d'un solo de Bob Sheppard (as), puis du leader. Gros
travail du lead trompette comme pour tous les arrangements destinés à Buddy
Rich. Au total c'est un disque remarquable de la conception plurielle que l'on
a aujourd'hui du big band. Pour les musiciens, sachez que des play-along et les partitions sont
disponibles sur le site internet du leader.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Ben Adkins
Sal-ma-gun-di
Lucky, Fungii Mama, Let's Dance (The Night Away), You and the Night and the Music, When You Smile at Me, That Jambalaya, Five in Time, Chelsea Bridge, Cheryl, When You Smile at Me
Ben Adkins (dm), Alphonso Horne (tp, fgh ), Joshua Bowlus (p, elp), Paul Miller (g), Stan Piper (b) + Michael Emmert (ts), Chris Adkins (elg), Linda Cole (voc )
Enregistré en 2016, New Orleans (Californie)
Durée: 57' 04''
Ben Adkins Music 190394498177 (www.benadkinsmusic.com)
Le titre veut dire pot-pourri
et c'est bien d'un mélange de genres dont il s'agit. L'ambition: «keeping alive the tradition of jazz and
being wrapped in a cellophane of modern sounds». En tout cas, c'est le
premier album sous son nom du batteur Benjamin Adkins, originaire de
Jacksonville, ex-élève en Floride de Danny Gottlieb (2009) et Leon Anderson
(2011). La plupart des titres sont joués en quartet sans trompette. Hélas,
Joshua Bowlus utilise le plus souvent le Rhodes, alors qu'il sait faire sonner
le piano de belle façon comme dans «Cheryl» de Charlie Parker (excellent jeu de
balais du leader) et dans l'une des meilleures plages de l'album, la version
chantée de «When You Smile at Me» avec l'émouvante Linda Cole (inflexions à la Billie Holiday). Paul Miller est
un guitariste pop («When You Smile at Me», trop long; «Five in Time»). Stan
Piper a un son ample de qualité. Le leader a des qualités aux balais («You and
the Night and the Music»). Curieusement, le thème rollinsien «Fungii Mama» de
Blue Mitchell est joué sans trompette. En dehors de Linda Cole, l'intérêt de
cet album c'est qu'il permet d'entendre, dans quatre titres, le jeune
trompettiste Alphonso Horne, natif de Jacksonville, diplômé de la Florida State
University, protégé de Marcus Roberts. Dans «Lucky», thème un peu monkien de
Ben Adkins, Alphonso Horne intervient d'abord en duo avec Stan Piper, puis dans
un solo bop avec la rythmique. On apprécie sa sonorité chantante dans «Let's
Dance (The Night Away)». Les deux meilleurs titres sont «That Jambalaya» sur un
rythme de parade (petits riffs de Horne derrière le Rhodes et la guitare, solo
de trompette avec le plunger et growl: toutefois la forme est supérieure au
contenu) et la ballade «Chelsea Bridge» de Billy Strayhorn (où Horne démontre
sa classe potentielle; bon solo de basse aussi).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Al Strong
Love Strong. Volume 1
Getaway 9, Itsy Bitsy Spider, Lilly's Lullaby, CI's Blues, My Favorite Things, Fond of You, Liquid, Voyage, Was, Blue Monk
Al Strong (tp, fgh), Alan Thompson (ss), James Gates (as), Bluford Thompson (ts), Shaena Ryan Martin (bar), Ryan Hanseler (p, elp), Lovell Bradford (p, org), Charles Robinson, Joel Holloway (org), J.C. Martin (g), Lance Scott (b), Jeremy Clemons (dm, clavinet), Lajhi Hampden (dm), Brevan Hampden (perc) + Ira Wiggins (fl), Lummie Spann Jr (as), Brian Miller (ts), Joey Calderazzo (p), Devonne Harris (elp), Ameen Saleem (b), KidzNotes Mozart Chorus
Enregistré le 17 décembre 2014, les 6 et 7 février 2015, Kernersville (Caroline du Nord)
Durée: 1h 00' 19''
Al Strong Music (www.alstrongmusic.com)
Love Strong est un disque «pour se sentir bien» («a feel good record»), ce qui implique qu'il y en ait (sans
doute moins volontairement avoué) pour se sentir mal (nous ne citons
personne). Albert Strong, élevé à Washington, a rencontré ce
qu'on appelle «jazz» à l'âge de 15 ans. Il est un produit de la Duke
Ellington School for Performing Art. C'est Michael Hackett qui lui a
enseigné l'émission des notes sur une trompette. Un grand-père l'a
initié à Ray Charles, Jimmy Smith, Donald Byrd. Depuis, Al Strong qui
émerge à partir de 1998, a joué avec Aretha Franklin et Branford Marsalis.
Et en effet on est surpris à l'écoute du premier titre, «Getaway 9»
d'entendre du (hard) bop sur tempo rapide parfaitement assimilé par Al
Strong («strong» en effet), Bluford Thompson et le trio rythmique
(bon solo de Jeremy Clemons)! «Itsy Bitsy Spider» est un solo de
trompette (démarquage de « Au clair de la lune») en dehors de
l'intervention de voix d'enfants au début et à la fin. Al Strong a un son
charnu, robuste et chantant avec un léger vibrato en fin de phrases. Cette
qualité se retrouve dans «Lilly's Lullaby». Al sait utiliser les émissions
de son voilée pour donner de l'émotion aux notes. C'est la guitare bluesy
de J.C. Martin qui introduit un «CI's Blues» deuxième moment de pur
(hard) bop. Al Strong joue avec autant de classe qu'un Roy Hargrove, avec
des attaques à la Lee Morgan! Coda très blues. Il est
impossible aujourd'hui d'éviter la touche latine qui surgit dans
cet intéressant arrangement de «My Favorite Things». Effets électroniques
dans le solo de trompette. Utilisation bien venue de l'orgue (Lovell
Bradford). Climat Jazz Messengers dans «Fond of You». Bluford
Thompson y trouve des accents à la Benny Golson. Bon drumming de Lajhi
Hampden, remarquable lignes de basse de Lance Scott, piano soul
de Ryan Hanseler. Le reste n'est pas de la même veine. Al Strong
diversifie pour ne pas passer pour un ringard (et il a le droit d'aimer ça
aussi). Passe encore pour le funk festif qui prend «Blue Monk» pour otage,
comme l'avait déjà fait le Dirty Dozen Brass Band (auquel on pense), avec
sa guitare à pédale (bon solo hargneux de Bluford Thompson). Les
trois autres titres, avec piano bla-bla (Lovell Bradford) sans swing
dans «Voyage», sont des pièces de «climat» qui permettent malgré tout
d'apprécier la sonorité de bugle et de trompette avec sourdine harmon du
leader. Au total tous ceux qui restent à aimer leur bop hard devraient
s'intéresser à Al Strong et à ce disque.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Houben/Loos/Maurane
HLM
Enfance, Potion magique,
Overloos, Peccadille, Incantation pour les Etoiles, Morceau en forme de
Nougarose, Savapapapa, Les chevilles de Valery
Steve
Houben (fl, as, ss), Charles Loos (p, key), Maurane (g, voc)
Enregistré en novembre 1985, Bruxelles (Belgique)
Durée: 40' 23''
Igloo Records 043 (Socadisc)
Après un
beau premier galop au Québec et avant Starmania,
Maurane est revenue à Bruxelles poser sa voix puissante et son feeling jazz
mâtiné de «Nougarose» en 1985. Dans les mois qui suivent, sa
rencontre avec les musiciens qui gravitent autour des dix ans d’âge des Lundis
d’Hortense n’est pas une surprise. La chanteuse qui est aussi guitariste
(«Savapapapa») et compositrice («Overloos») se fait
instrumentiste par onomatopées
inclusives («Incantation pour les étoiles»). On appréciera son talent d’improvisatrice,
notamment sur «Morceau en forme de Nougarose». C’est surtout la
«manière» de Charles Loos qui est affirmée ici; sa
musicalité, l’approche mélodique de ses composition. Par sa sensibilité et sa
maîtrise, Steve Houben, qui a déjà enregistré «Steve Houben And
Strings» en 1983, s’allie avec évidence aux harmonies de Charles Loos
(«Peccadille»). Sa composition «Enfance» est devenue un
grand classique du jazz belge. Puisqu’aujourd’hui la chanteuse qu’on a dans
l’oreille masque le talent initial de Maurane, cette réédition faite par Igloo
se faisait essentielle. A noter: un supplément par rapport au 33 tours
originel (Igloo 038): le duo Loos-Houben sur «Les Chevilles de
Valéry».
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Big Noise
Live
What’ Cha-Call-‘Em Blues, Down by the Riverside,
Make Me a Pallet On the Floor, Carry Me Back to Old Virginny, Big Chief, Old
Stack O’Lee Blues, Jesus on the Mainline, Oh, Didn’t He Ramble, Cornet Chop
Suey, Savoy Blues, Forty Second Street, Mardi Gras Mambo, My Indian Red, (I’ll
Be Glad When You’re Dead) You Rascal You, Black and Blue
Raphaël D’Agostino (cnt, voc), Johan Dupont (p,
voc), Max Malkomes (b, voc), Laurent Vigneron (dm)
Enregistré
les 10 et 11 janvier 2016, Bruxelles (Belgique)
Durée: 1h 18' 50''
Igloo Records 274 (Socadisc)
Déjà sept ans que ce quartet wallon reprend le
vieux répertoire du Delta, surprenant les festivaliers le plus souvent habitués
aux expériences créatives et autres amalgames ethniques. Ils nous ont fait danser à Brosella, à
Comblain ou Rossignol. Avec ce troisième album, enregistré au Théâtre des
Riches Claires (Bruxelles), c’est une sorte de travelling entre Canal Street et
Jackson Square qu’ils recréent, rappelant à qui voudrait l’oublier que notre
musique est née dans la rue. La démarche de ces jeunes musiciens est
essentiellement festive. A côté d’un cornettiste-chanteur («Black and
Blue») qui privilégie les accents et le vibrato à la Buddy Bolden, on écoute un contrebassiste essentiel («Old
Stack O’Lee Blues») et un batteur qui, avec ses wood-blocks, ses
cow-bells, ses bass-drums, ses roulements, et son tempo inébranlable paie
tribut à Baby Dods, Chick Webb et Gene Krupa («Oh, Didn’t He Ramble»,
«Forty Second Street»). Plus surprenante est la présence dans ce
quartet d’un pianiste protéiforme: Johan Dupont. On peut l’écouter comme concertiste
classique, accompagnateur de chanteurs, sideman bop ou résolument impliqué dans
les expériences contemporaines. Avec Big Noise, vous apprécierez autant sa
délicatesse sur «Black And Blue» que sa vélocité sur «Big
Chief». Big Noise parcourt les origines en chant-chorales («My
Indian Red»), de l’église au bordel, de «Jesus on the
Mainline» jusqu’au très païen «Mardi Gras Mambo». Cette
formation minimale, sans clarinette ni trombone, transpire le swing et la vieille
tradition, mais surtout la joie d’être ensemble, de jouer sans fards, en
amitié, modestie et partage.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Jean-Pierre Bertrand/Frank Muschalle
Piano Brotherhood
Lucky Shuffle, Rhythm Boogie, Blues
O'Clock, Midnight Boogie, If You're Not Mine, Boogie Woogie Blues,
Sixth Avenue Express, Piano Brotherhood, Why Did You Do That to Me, A
Fred's Smile for the Boogie Man, Funny & Uprising, Blues with a
Feeling, Swanee River Boogie, Searing Blues, Ammons Warlock Boogie
Jean-Pierre Bertrand, Frank Muschalle
(p), Dani Gugolz (b, voc), Peter Müller (dm)
Enregistré les 1er et 2 décembre
2014, Dijon (21)
Durée: 47' 51''
Black & Blue 801-2 (Socadisc)
Frank Muschalle
Live in Vannes
Blue Mor-Bihan, Arradon Arrival, More
Sweets Darling, Slotcar Boogie, Mr Freddie Blues, Cooney Vaughn's
Stremblin' Blues, Born's Boogie, Vannes'n Waltz, Nod to Wilson, Sheik
of Araby, If I Didn't Love You Like I Do, Spooky'n Blue, Bass Goin'
Crazy, Hmm? What?, Pastry, Mama You Don't Mean Me no Good, Splashin'
Around with the Kids
Frank Muschalle (p)
Enregistré les 22 et 23 avril 2015,
Vannes (56)
Durée: 1h 03' 18''
Styx Records 1078 (www.styxrecords.com)
Jean-Paul Amouroux
Plays Rock'n Roll Hits in Boogie Woogie
I'm Walking*, Wild Cat, You Never Can
Tell*, Be-Bop-a-Lula, Lucille*, Memphis Tennesse, Dim Dim the
Lights*, School Days, Pony Time*, A Mess of Blues, Rock Around the
Clock*, I Gotta Know, Tutti Frutti*, Dirty Dirty Feeling, Jambalaya*,
No Particular Place to Go, Rock the Bop*, Johnny B Goode, You Talk
Too Much*, C'mon Everybody, I'm Ready*, Rock and Roll Music, I Want
to Walk You Home*, Don't Be Cruel, Ya Ya*, Happy Baby*
Jean-Paul Amouroux (p), Claude Braud
(ts*), François Fournet (g), Enzo Mucci (b), Simon Boyer (dm)
Enregistré les 16 et 17 juin 2015,
Draveil (91)
Durée: 1h 04' 59''
Black & Blue 791-2 (Socadisc)
Malgré tout le savoir-faire de ces
pianistes, le boogie woogie peut générer une certaine lassitude.
Pour la rompre, le duo Bertand-Muschalle, disciple du tandem Pete
Johnson-Albert Ammons («Sixth Avenue Express») sollicite parfois un
bassiste genre Willie Dixon («Why Did You Do That to Me» de Big
Bill Broonzy), d'ailleurs chanteur capable («Blues with a Feeling»)
et un batteur efficace («Blues O'Clock»). On n'est pas loin du
rock'n roll («Midnight Boogie»). Alterner avec du blues low down
(«Piano Brotherhood») est donc bienvenu. Le «If You're not Mine»,
excellent thème de Lafayette Leake compte parmi les bons moments de
ce CD qui à côté de reprises propose aussi des compositions
originales. Celles-ci sont très présentes dans le
dur exercice du solo qu'assume Frank Muschalle sur son Live in
Vannes. Elles sont souvent excellentes («Blue Mor-Bihan»,
«Vannes'n' Waltz», «Hum? What?»). L'album ne comprend donc pas
que du boogie. Muschalle est un excellent pianiste qui joue très
plaisamment des morceaux qui ne méritent pas l'oubli comme «Mr
Freddie's Blues» de Freddie Shayne, «Bass Goin' Crazy» d'Albert
Ammons, «Pastry» de Sonny Thompson-Henry Glover et du Little
Brother Montgomery, «Cooney Vaughn's Tremblin' Blues» et «Mama,
You Don't Mean Me no Good». Un des sommets du CD est «Nod to
Wilson», démarquage du «Blues in C Sharp Minor» de Teddy Wilson :
du piano incontournablement jazz, et de classe! On retiendra aussi,
dans ce disque, plus que plaisant, le bon thème «If I Didn't Love
You Like I Do» de Julius Dixon (1913-2004) qui donna aussi avec la
parolière blanche Beverly Ross, «Dim, Dim The Lights» rendu
célèbre en 1954 par Bill Haley et que l'on trouve dans le troisième
CD, celui signé par Jean-Paul Amoureux en petit combo.
L'idée de ce Plays Rock'n Roll Hits in
Boogie Woogie est donc d'utiliser les succès du rock'n roll pour en
faire du boogie. Ce n'est pas l'exercice le plus difficile, puisque
le boogie est une composante essentielle du rock'n roll des années
1945-64 («Lucille» de Little Richard). Cette fois, l'astuce pour
entretenir l'attention est d'alterner une interprétation avec sax
ténor avec une, sans. Claude Braud a un style «velu» tout à fait
adapté au rock'n roll («Tutti Frutti», «Jambalaya»). François
Fournet est parfait dans cet exercice du guitariste dérivé de
T.Bone Walker, d'avant l'ère de la suramplification des Jimi Hendrix
& co. («I'm Walking» de Fats Domino-Dave Bartholomew, «A Mess
of Blues», «Dirty, Dirty Feeling», «Don't Be Cruel», évidemment
«Johnny B Goode»). Simon Boyer génère un shuffle parfait («Wild
Cat») et aussi un drumming plus rentre dedans («Pony Time») dans
une entente efficace avec Enzo Mucci (bon slappeur : «Be-Bop-a-Lula»,
«Rock Around the Clock», «Happy Baby»). Pas ici de
désarticulation des thèmes, ils sont bien identifiables. Jean-Paul
Amouroux qui est passé de la musique dite classique à Pete Johnson
via une période rock'n roll, rend ici un très plaisant hommage aux
célébrités du genre qui ont marqué son adolescence : Chuck Berry,
Little Richard, Fats Domino, Chubby Checker, mais aussi Jerry Lee
Lewis, Gene Vincent, Bill Haley, Eddie Cochrane, Elvis Presley.
Jean-Paul Amouroux a un style simple et direct parfait pour ce
divertissement qui en réjouira plus d'un .
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Georges V
Joue Brassens
Marinette, Le Parapluie, Pénélope, Brave Margot, Hécatombe, Histoire de Faussaire, Je suis un voyou (intro), Je suis un voyou, Je me suis fait tout petit, L'Orage, Les Copains d'abord, Le Temps ne fait rien à l'affaire, Les Passantes
Pierre Guicquéro (tb), Daniel Huck (as, voc), Jean-Marc Montaut (p, arr), Pierre Verne (b), Marc Verne (dm)
Enregistré les 1er et 2 mai 2015, lieu non précisé
Durée : 58' 22''
Black & Blue 805-2 (Socadisc)
Le principe de prendre une chanson pour tremplin à jazzer est une constante. Solliciter les compositions de Brassens est chez nous assez fréquent surtout depuis «Les Copains d'abord» par les Haricots Rouges. A noter qu'on trouve ici une belle version de «Les Copains d'abord» bien différente, sur tempo lent (excellents solos de Guicquéro et de Pierre Verne). Bref, nous avons là des arrangements bien originaux. Signalons la créolisation de «Le Parapluie», «Je suis un voyou» (mais l'intro est un pastiche amusant du piano concertant). La plupart des exposés du thème sont par Pierre Guicquéro comme dans la funky «Marinette» (Jean-Marc Montaut cite brièvement «Now's the Time» dans son solo). Dans «Brave Margot» (qu'enregistra déjà Sidney Bechet), Daniel Huck prend un accent parkerien (excellent solo technique de trombone, bonne prestation aux balais de Marc Verne). «L'orage» n'est pas sans évoquer «Tea for Two» dans l'introduction de piano, Daniel Huck y chante en scat avec le talent qu'on lui connais (ce n'est pas la seule intervention dans cette spécialité dans ce disque). Dans «Je me suis fait tout petit», Daniel Huck chante les paroles, puis nous donne du scat après le très bon solo de Jean-Marc Montaut. Pierre Guicquéro expose à la Bill Watrous «Histoire de faussaire», titre où nous avons des solos bluesy de piano et d'alto fort bien venus. Bon solo autour du thème de Pierre Verne dans «Le temps ne fait rien à l'affaire», et Daniel Huck y swingue résolument! Le scat dans «Les Passantes» est joyeusement déjanté (bon solo de Marc Verne, introduction qui intrique «Stranger in Paradise»). Bref, de bons moments garantis avec ce CD.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Claude Bolling Big Band
60 ans. From CB to CB with Love
From CB to CB with Love (part 1-2-3),
The Key, Oncle Benny, Nuances, Sax Specialties, Sunday Mornin Shuffle, Lorraine
Blues
Christian Martinez,
Guy Bodet, Michel Delakian, Patrick Artero (tp), Fabien Cyprien, Denis Leloup,
Jean-Christophe Vilain, Philippe Henry (tb), Philippe Portejoie, Claude
Tissendier (as), André Villéger (ts, cl), Carl Schlosser (ts, fl), Claudio de
Queiroz (bs), Philippe Milanta (p), Nicolas Peslier (g), Pierre Maingourd (b),
Vincent Cordelette (dm), Faby Médina (voc)
Enregistré les
10-12-17-26-28 novembre et 3-20 décembre 2015
Durée: 50' 09''
Frémeaux &
Associés 8523 (Socadisc)
Saluons d’abord un livret avec les informations utiles
(nom des solistes)! Toutes les compositions sont signées Claude Bolling, mais
c'est sans lui que ses musiciens œuvrent en son nom. Entrés dans cet orchestre
entre 1974 et 2013, tous font honneur au fondateur de l'orchestre, par ailleurs
bien enregistré dans le studio de Vincent Cordelette. Un bon big band c'est un
excellent batteur pour l'assise et un premier trompette précis comme colonne
vertébrale. Pas de soucis ici avec Cordelette et Christian Martinez dont la
mise en place, la maîtrise du registre aigu et du vocabulaire (shakes)
s'épanouissent dès le premier titre bien venu, «From CB (Claude Bolling)
to CB (Count Basie) with Love» (composé en 1987) qui présente le
successeur de Claude au piano, Philippe Milanta, un choix tellement pertinent
(un régal de virtuosité et swing). Pour beaucoup, le big band est un défilé de
solistes. En fait, c'est avant tout un choix de compositions aptes à être
swinguées dans des orchestrations qui sont autant de surprises, palettes
sonores, alliages et qui sont l'intérêt premier. Viennent ensuite la mise à
disposition d'espaces d'expression pour des solistes adaptés à l'esthétique de
l'orchestre qui constituent un plus et non une fin. Et là, pas de déception.
Dans la partie 2 de ce «From CB to CB with Love», Patrick Artero
joue splendidement (quel son ample à la Armstrong dans le solo sans sourdine!).
On retrouve Patrick Artero, impérial, à la fin de «Lorraine Blues»,
version ici précédée par un duo devenu célèbre, André Villéger-Philippe
Milanta. A noter une inexactitude dans le livret, ce thème low-down a été enregistré avant 1961 (Philips), le 28 mai 1956 par
Claude mettant en vedette Fred Gérard (tp), Claude Gousset, Benny Vasseur et
Bernard Zacharias (tb) (Jazz Club 6004). Dans ce CD, Damien Verherve (tb)
s'inscrit dans la même lignée. Puisque nous sommes dans le trombone,
«Oncle Benny» évidemment dédié par Claude à Benny Vasseur est ici
admirablement joué par Denis Leloup avec la sûreté technique qu'on lui connait.
On notera dans ce morceau l'alliage sonore trombone et flûte (Carl Schlosser),
ainsi que trompettes et flûte dans «Route d'Azur» (1961, pour le
film Les Mains d'Orlac) où l'on remarque aussi les solos de Pierre
Maingourd et de Michel Delakian (avec sourdine harmon), ainsi que le jeu aux
balais de Cordelette. Trombone encore, Jean-Christophe Vilain dans un «Sunday
Morning Shuffle», bien shuffleen effet. Du côté des saxophones: belle version de «Nuances» bien
sûr ellingtoniennes (Claude Tissendier, alto chantant) et «Sax
Specialties» dédié à Tissendier qui valorise le moelleux de la section de
sax, après une vive secousse de trompettes. Merci à Vincent Cordelette, nouveau
chef d’orchestre, et à tous ces admirables musiciens.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Claude Braud/Pierre-Louis Cas/Philippe Chagne/Carl Schlosser
Tenor Battle
Stolen
Sweets, My Delight, My Full House, After Supper, Shiny Stockings, Moten Swing,
Cristo Redentor, Robbin's Nest, In a Mellow Tone
Claude
Braud, Pierre-Louis Cas (ts), Philippe Chagne (ts), Carl Schlosser (ts,
fl), Franck Jaccard (p), Laurent Vanhée (b), Stéphane Roger (dm)
Enregistré
: le 19 avril 2014, Paris
Durée: 1h 14' 17''
Ahead
828-2 (Socadisc)
Philippe Chagne/Olivier Defays
Men in Bop
Naomi's
Back!, Emile Saint-Saëns, You and the Night and the Music, Mon suricate au chutney
(portrait of P. Chagne), I Remember Frank Wess, Mérou's Bounce, Sweet Swing,
Caravan, Walkin' Easy, Calcutta Cuite Olivier
Defays (as, ts), Philippe Chagne (ts), Philippe Petit (org), Yves Nahon (dm)
Enregistré
les 19, 20 et 21 octobre 2015, Droue-sur-Drouette (28)
Durée: 53' 30''
Ahead
829-2 (Socadisc)
Ce qui réunit ces disques
du même label, c'est la
présence de Philippe Chagne, qui, comme c'est rappelé, a une vaste expérience
en big bands (Claude Bolling, Ray Charles, Gérard Badini, Michel Pastre,
François Laudet, le Splendid). Et aussi l'idée de ne réunir que des sax sur un
soutien rythmique. Ils sont un total de quatre et non des moindres dans Tenor
Battle, sur des arrangements bien conçus d'un répertoire varié (Ellington,
Illinois Jacquet mais aussi Roland Kirk et Duke Pearson). Le livret donne les
indications de solistes qui permettent de se mettre dans l'oreille le son et
style de chacun. Tous ces arrangements sont de premier ordre! «Stolen
Sweets» swingue bien sur tempo médium, mené par Chagne à l'alto (pas
mentionné dans le livret), les solos de ténor opposent amicalement Chagne et
Carl Schlosser (approche la moins sage). Sur tempo plus vif, «My Delight»
fait intervenir successivement Schlosser, Claude Braud (léger growl),
Pierre-Louis Cas (son épais) et Chagne. Un riff de section ou des breaks de
batterie séparent les interventions individuelles. Dans les ensembles comme en
solo Schlosser opte pour la flûte dans le très dansant «My Full House»
ce qui contraste bien avec le solo hargneux de Pilou Cas. Franck Jaccard y va
aussi d'un solide solo. Jaccard amène avec délicatesse le «After Supper»
sur tempo très lent. Ce thème de Neal Hefti nous conduit dans l'univers basien.
Solo «méchant» de Pilou (à noter la parfaite ligne de basse de
Laurent Vanhée), ensuite Claude Braud n'est pas moins véhément. L'entrée de
solo de Schlosser a la vérilité d'une trompette, puis son phrasé a le même
genre d'exhubérence qu'un James Cater. En comparaison la sonorité de Philippe
Chagne est plus légère mais pas moins expressive. On reste un moment dans
l'univers basien avec «Shiny Stockings» (belles relances de
Stéphane Roger) et «Moten Swing» (version funky et bon chase
Schlosser-Chagne). Soulignons au passage que c'est du live (au Méridien), pas de triche. Très bel arrangement de «Cristo
Redentor» avec l'alto lancinant et lyrique de Philippe Chagne. Le piano soul de Franck Jaccard est le seul
soliste, de classe. L'arrangement de «Robbin's Nest» avec une
partie de flûte et un piano économe n'est pas moins enthousiasmant (remarquable
solo de flûte de Schlosser, suivit des ténors pulpeux de Cas, Chagne et Braud).
Le programme se termine par une bonne version de «In a Mellow Tone».
Les amateurs de sax qui swingue seront aux anges!
Dans le second CD, il y a
plus de compositions personnelles (ou bons démarquages comme «Naomi's Back!»,
kentonien) que d'adaptations de standards. Olivier Defays revendique d'être
bop. L'alliage sax-orgue-drums fut pour Blue Note puis en France chez Black
& Blue lors des années 1970, un gisement de couleurs bluesy. C'est
l'esthétique défendue ici avec talent. Philippe Petit est non seulement un
organiste qui connait les racines du genre, mais aussi un compositeur de thèmes
de qualité : «Emile Saint-Saëns», «Walkin' Easy».
Philippe Chagne a signé une jolie ballade pensive, «I Remember Frank Wess»,
où la qualité des sonorités de ces deux sax est bien en valeur (et indispensable
sur tempo très lent!). Son «Sweet Swing» est aussi un thème
plaisant joué paisiblement par l'alto et ténor entourés des «couleurs
Blue Note» de Philippe Petit. On appréciera le style parkero-cannonballien
d'Olivier Defays dans son «Mérou's Bounce» (breaks d'Yves Nahon).
Dans les standards, on relève un bon stop chorus par les sax dans «You
and the Night and the Music». Yves Nahon, par ailleurs aussi discret
qu'adapté, est mis en valeur (sans excès) dans «Caravan» et «Calcutta
Cutie». Qu'Olivier Defays se rassure, ce style n'a pas pris, ici, une
ride, et, porté à ce degré de qualité, sans sacrifier le swing, c'est une
démonstration qu'on peut être «créatif» sans rien renier des fondements
essentiels du genre. Un album inespéré par les temps confus qui courent.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Yves Nahon Quartet
Jour après jour
This
Way, Contemplation, Get Out of Town, Westwood Walk, Jungle Juice, Azure, Lime
Light, What The World Needs Now Is Love, Lean Years, Just Squeeze Me
Yves
Nahon (dm), Hiroshi Murayama (p), Serge Merlaud (g), Pierre Maingourd (b)
Enregistré les 11 et 12 décembre 2013, lieu non communiqué
Durée:
56' 19''
Black
& Blue 793-2 (Socadisc)
Professionnel depuis 1987, Yves Nahon a joué pour Ted
Curson, Peter King, Pierre Michelot et Sylvain Boeuf notamment. Il annonce son
«ambition de trouver un son ensemble». En effet le groupe a un son
magnifique et la couleur est donnée par Serge Merlaud, guitariste de formation
classique qui à l'évidence a parfaitement assimilé l'approche des meilleurs
guitaristes bop. Sa sonorité attire l'oreille notamment dans
«Contemplation» de McCoy Tyner. Dans «This Way»,
composé par Serge Merlaud et joué avec swing, le piano du Japonais Hiroshi
Murayama (né en 1970), de formation classique, est d'une belle musicalité. Dans
le beau thème de Cole Porter, «Get Out of Town», c'est au tour du
leader de se mettre en valeur (jeu de balais, solo), mais Pierre Maingourd
n'est pas en reste car ses lignes de basse derrière les solos de guitare et
piano sont parfaites. Dans «Westwood Walk», la prestation aux
balais d'Yves Nahon comme l'entrée de solo de Murayama sont impressionnants.
Superbe solo de Pierre Maingourd dans «Azure» d'Ellington. Le
«Lime Light» de Mulligan est délivré avec un swing réjouissant
(belle alternative piano-guitare). Même qualité de swing dans «Just
Squeeze Me», notamment le solo de piano soutenu par la qualité de son de
la contrebasse et le drumming inventif du leader. Maingourd prend là aussi un
excellent solo. J'ai souligné des qualités individuelles. C'est la somme de
celles-ci qui donne un beau son de groupe. Ceux qui aiment la guitare dans la
lignée Kenny Burrell, Wes Montgomery, etc. sauront apprécier ce disque.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Marc Benham
Fats Food. Autour de Fats Waller
Viper's Drag, Black and Blue, Boxing Day, Carolina Shout, I've Got a
Feeling I'm Falling, Ain't Misbehavin, Madreza, The Trolley Song, My Fate Is in
Your Hands, La Petite plage, The Sheik of Araby, Les Barricades mystérieuses,
Tes zygomatiques, Ain't Misbehavin (alt. take)
Marc Benham (p)
Enregistré le 3
novembre 2015, Malakoff (92)
Durée: 48' 13''
Frémeaux &
Associés 8527 (Socadisc)
Marc Benham est un pianiste «rare».
Tous ceux qui ont assisté à ses concerts
ou écouté Herbst, son précédent album
solo en conviennent. Une technique accomplie, un toucher précis (qui l'autorise
à jouer sur les redoutables pianos
Fazioli), un sens aigu de la mise en place et une culture phénoménale de
l'histoire du piano jazz (Thelonious Monk compris) ne sont que quelques-unes de
ses qualités. Au répertoire de Fats Waller annoncé par le titre, (mais aussi de
James P. Johnson), il ajoute quelques-unes de ses compositions personnelles et
même un extrait d'un thème de François Couperindont il donne une interprétation
«stride» tout à fait dans le ton malgré son anachronisme... mais
Marc Benham a aussi le sens des surprises inattendues et le culte du mystère
(ainsi le logo du pingouin en loden qui figurait déjà sur Herbst, lui-aussi très réussi). Chapeau (melon...)
l'artiste!
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Laurent Courthaliac
All My Life
He Loves and She Loves, Strike up the Band, All My
Life, Everyone Says I Love You, Looking at You, But not for Me, You Brought a
New Kind of Love to Me, I’ve Got a Crush on You, Just You, Just Me, Embreacable
You
Laurent Courthaliac (p, arr), Fabien Mary (tp),
Bastien Ballaz (tb), Dimitri Baevsky (as), David Sauzay (ts), Xavier Richardeau
(bar), Clovis Nicolas (b), Pete Van Nostrand (dm)
Enregistré
en avril 2015, Meudon (92)
Durée:
44' 04''
Jazz and People 816004 (Harmonia Mundi)
La musique qui sert de
base au dernier album de Laurent Courthaliac est tirée des films de Woody Allen Manhattan (1979) et Tout le monde dit I love you (1996),
seule comédie musicale à l’actif du cinéaste new-yorkais. Le pianiste célèbre
ici davantage l’amour du jazz de l’illustre réalisateur que son esthétique
cinématographique, même si des accents de sincérité absolue émaillent cette
déclaration enflammée à la ville berceau du bebop. Dès le premier titre, «He
Loves and She Loves», le pianiste annonce la couleur avec une relecture
de Gershwin dans la plus pure tradition swing. L’orchestration façon big band
de Jon Boutellier (Amazing Keystone Big Band) est le sésame qui permet d’entrer
de plain-pied dans un univers qui ressuscite une époque chérie de la plupart
des amateurs de jazz. «Strike Up the Band» permet à Laurent Courthaliac
de déployer toute sa science des arrangements, et le tempo vif, les accents
roboratifs produits par les cuivres, achèvent de convaincre l’auditeur qu’il a
ici affaire à une musique de grande qualité. «Everyone Says I Love You»
ramène le temps d’une piste cette saveur particulière aux grandes comédies
musicales américaines, et «Looking at You» est peut-être le morceau
sur lequel le talent du leader s’avère le plus évident, son toucher atteignant ici
un niveau de délicatesse et de sensibilité inouïs, avec des silences aussi
éloquents que les notes de musique les plus inspirées. «I’ve Got a Crush
on You» suscite à son tour l’adhésion du mélomane, avec ses contrastes
profonds et les couleurs sépias apportées par Bastien Ballaz. Un hommage appuyé
doit bien sûr être rendu au mixage et à la masterisation hors pairs de Julien
Bassères, qui s’avèrent essentiels pour restituer toute la cohésion de l’octet
en studio. Le disque se termine sur «Embraceable You», un mid-tempo
très séduisant qui met en évidence le talent de Xavier Richardeau. Grâce soit
rendue, sur ce disque, à la section de cuivres, dont les interventions
confèrent un caractère inoubliable aux compositions de George Gershwin. Un bien bel album, déployant une approche
toute de transparence et de pureté, et prouvant que la musique la plus
enracinée n’est pas incompatible avec l’approche d’une certaine modernité.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Jacky Terrasson/Stéphane Belmondo
Mother
First
Song, Hand in Hand, Lover Man, La Chanson d'Hélène, In Your Own Sweet Way, Pic
Saint-Loup, Mother, Fun Eyes, Les Valseuses, Souvenirs, You Don't Know What
Love Is, Pompignan, You Are The Sunshine of My Life, Que Reste-t-il de nos
amours?
Jacky Terrasson (p), Stéphane
Belmondo (flh, tp)
Enregistré
en septembre 2015 et avril 2016, Pompignan (82)
Durée: 48' 12''
Impulse!
0602557049466 (Universal)
Ce disque est le
résultat de la quasi fusion artistique entre Stéphane Belmondo et Jacky
Terrasson. Ils se connaissent depuis longtemps. Ils ont joué ensemble pour Dee
Dee Bridgewater dans les années 1990. A partir de 2010, ils se sont retrouvés pour
jouer en duo. Une trentaine de morceaux a été enregistrée, mais à l'écoute du
résultat, ils ont choisi de ne garder que les tempos lents pour donner un
climat particulier à l'album. J'avais une appréhension avant d'écouter ce
disque, car Jacky Terrasson comme la plupart des pianistes bavards de notre
époque, n'est pas ma tasse de thé. J'aurai dû me souvenir que j'avais déjà
chroniqué positivement le duo Tom Harrell-Jacky Terrasson de 1991 (JAR 64007).
Et dès la première écoute j'ai été touché par la qualité musicale de cette
sélection.
«First Song» de Charlie Haden, hors tempo et lent, ouvre le programme:
le bugle de Stéphane Belmondo est bien enregistré et ses émissions de son,
volontairement voilées, génèrent une belle émotion que l'accompagnement de
Terrasson respecte. A tempo, plus médium, «Hand in Hand» est magnifiquement
joué par Stéphane Belmondo à la trompette avec une sourdine harmon. Jacky
Terrasson a une solide main gauche qui donne l'assise au duo et il joue avec
sobriété et une grande musicalité! Belle quiétude dans l'introduction à ce qui
devient «Lover Man» avec l'arrivée de Stéphane Belmondo au bugle. Ce n'est pas
qu'un accompagnement mais l'intrication parfaite de deux voix, avec une
complicité en écho (reprise de la phrase de bugle ou court commentaire par la
main droite de Jacky Terrasson). Le son de bugle est généreux. Ici et là
quelques effets à la Miles Davis. On sait que Stéphane aime «La Chanson
d'Hélène» de Philippe Sarde qu'il joue avec son trio. Voici une version au
bugle avec piano qui traduit quiétude et mélancolie. Phrasé bop à la trompette
avec sourdine harmon dans «In Your Own Sweet Way» de Dave Brubeck (ici c'est le
Terrasson qui me lasse vite, mais son solo est court). Le début du très court «Pic
Saint-Loup» (0'40'') fait penser au Miles Davis de L'Ascenseur pour l'échafaud.
Jacky Terrasson est le compositeur du très mélancolique «Mother», dédié à sa
mère (décédée). Stéphane Belmondo, au bugle, donne du poids, de l'affect à
chaque note. Il sollicite là un vibrato de bon aloi. Beaux effets de crescendo,
et discrets appels-réponses entre les deux musiciens. Comme pour rompre avec
cette intensité dramatique, le morceau suivant «Fun Keys» est plus enjoué,
plein de dynamisme. Terrasson y est ...funky. Belle coda vive et tranchante.
Puis surprise, «Les Valseuses» de Grappelli est du jazz qui balance comme
l'aimait le violoniste. Stéphane Belmondo y joue avec le plunger. Terrasson y
est...parfait. Retour à la tendresse avec «Souvenirs» de Stéphane Belmondo au
bugle. Dans les quatre titres suivants Stéphane Belmondo joue de la trompette,
notamment cette version recueillie de «Que reste-t-il de nos amours?». Bref, un
CD intimiste qui est une belle étape artistique de Stéphane Belmondo et de
Jacky Terrasson.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Iordache
One Life Left
Triangle, One Life Left,
Peace, Suriname, Pyramid, I Guess, It’s Love, Stranger on a Train
Iordache (ts, bar, as,
fl), Lucian Nagy (ts, ss), Petre Ionutescu (tp), Toni Kühn (key),
Dan Alex Mitrofan (g), Utu Pascu (b), Tavi Scurtu (dm)
Enregistré les 23 août
et 4 septembre 2011, Timisoara (Roumanie)
Durée: 1h 05'
Fiver House Records 160706-2 (www.fiverhouse.com)
Iordache, est un des
grands animateurs de la scène jazz roumaine, en tant que musicien,
leader et producteur; il multiple ainsi les activités indispensables
pour pouvoir vivre de sa musique en indépendant. Avec «One
Life Left», il nous propose un voyage sur les rives de la
fusion où il utilise toute la palette de ses saxophones, épaulé
par un second soufflant aux anches, Lucian Nagy. La combinaison
fonctionne et le guitariste Dan Alex Mitrofan joue le troisième
larron, ultra présent sur toutes les compositions. Un jazz
électrique semble-t-il plus inspiré de la scène anglaise des
années 70 que de la fusion dévastatrice d’Outre-Atlantique.
L’enregistrement a été réalisé en live, en prise directe et le
feeling sans effet de studio se reflète très bien sur «Suriname»
où les claviers de Toni Kühn se marient aux multiples anches et à
la trompette de Petre Ionetescu. Un mélange funky et jazz qui incite
à la danse. Chaque musicien a sa place et la polyvalence des
soufflants leur permet d’assurer de belles parties de flûte et de
baryton. L’utilisation de claviers bizarres (synthétiseur Vermona)
colore étrangement le son de «I Guess It’s Love»; et de même
sur «Stranger on the Train» le groupe invente une sonorité très
étonnante.
Une bonne surprise que ce
musicien qui ne tourne jamais en France.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Iordache
Garden Beast
Garden Beast, Captain Rabbit, Summer
Rain, Spider’s Diner, My Dog Zorro, Pond Relections, Magnolia,
Earthworm
Iordache (ts, bar, as, fl), Garden
Beast (as, voc, arr), Sebastian Burneci (tp), Florian Radu (tb),Toni
Kühn (key, g), Dan Alex Mitrofan (g), Utu Pascu (b), Tavi Scurtu
(dm, perc) + Sanem Kalfa (voc)
Enregistré en 2013, Iasi (Roumanie)
Durée: 45'
Fiver House Records 004
(www.fiverhouse.com)
Iordache réunit ici une partie de
l'équipe de One Life Left pour un répertoire qui commence
comme celui d’un groupe de rythm'n'blues avec le titre éponyme de
l’album, et toujours un super son étonnant et détonant du
pianiste. Une musique alerte, joviale, pleine d’humour, soutenue
par une section de cuivres parfaitement en place. Un jazz grand
public de qualité qui ravira aussi les puristes aux idées plus
larges. L’album se poursuit par un «Captain Rabbit» qui gambade
dans la prairie sur la rythmique cadencée du guitariste avec une
exubérance de cuivres sautillants. «Summer Rain» arrangé à la
façon d’un Lalo Schiffrin de série télévisée continue dans
l’allégresse pour introduire un étrange repas de l’araignée
«Spider Diner». Distorsions de claviers, guitare brésilienne et
cuivres habaneros nous embarquent sur les traces de «My Dog
Zorro» qui permet au guitariste de prouver de nouveau ses capacités
à swinguer et rigoler à la fois. La voix de Sanem Kalfa voltige sur
«Magnolia» orchestré à la façon d’un Frank Zappa dont
l’orchestre semble avoir adopté l’humour et la dérision sans
oublier la justesse d’interprétation. L'ultime titre prend un
début rock’n roll: les musiciens se veulent grand orchestre et
accélèrent le tempo pour un final débridé où éclate une joyeuse
cacophonie salutaire. Bref, un album qui ne manque pas
d’originalité et d’un certain entertainment.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Iordache/Alex Harding
Two Hours in June
Spider’s Diner, Triangle, Space Loneliness,
Dissipaten, Fiare Vechi Luām
Iordache (as, ts), Alex Harding (bar), Stefan Burneci (tp), Florian
Radu (tb), Toma Dimitriu (key), Michael Acker (b), Tavi Scurtu (dm), Ghassan
Bouz (perc)
Enregistré le
11 juin 2015, Bucarest (Roumanie)
Durée: 39'
Fiver House Records 015 (www.fiverhouse.com)
Deux heures. C’est
le temps qu’il a fallu pour enregistrer cet album dans un studio de Bucarest.
Iordache avait déjà écouté Alex Harding avec l’orchestre Blutopia du pianiste
roumain Lucian Ban. Puis au sein du Tuba Project (Lucian Ban, Sam Newsome,
Bruce Williams Derek Philips et le légendaire Bob Stewart) et au sein de
Defunkt. Lors d’un passage par hasard au club Green Hours, il le rencontre et les deux
saxophonistes décident aussi sec d’enregistrer dès la fin de la tournée de l’Américain.
Iordache réunit sa bande habituelle au studio Star One et en deux heures
l’affaire est bouclée. Le répertoire choisi sera quatre titres de ses
compositions et un thème de Sun Ra «Space Loneliness», son compositeur favori.
Album d’urgence qui sonne comme un live de club, sans concession laissant la
part belle aux solistes et dès le premier titre Alex Harding nous emporte sur
son baryton. Idem sur «Space Loneliness», où l’ami américain commence
l’offensive avec un long solo entrecoupé de celui du pianiste, la section de
cuivre suit le mouvement. Avec «Dissipaten» et «Fiare Vechi Luām» chaque
musicien a droit à sa courte intervention, les deux sur un tempo ralenti et l’invité refait preuve de belles
interventions. Un disque témoignage d’une rencontre non préparée et qui se
solde par un moment fort agréable.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Tiberian/Dahlgren/Betsch
Both Sides of the River
The Crossing, So Simple, Both Sides of
the River, Passcaglia, Stretto, Tuscarora, Never Been to Alabama
Mircea Tiberian (p), Chris Dahlgren
(b), John Betsch (dm)
Enregistré le 21 janvier 2011,
Bucarest (Roumanie)
Durée: 56’
Autoproduit (mircea_tiberian@yahoo.com)
Mircea Tiberian mène une carrière
internationale, il a notamment joué avec Larry Coryell, Thomas
Stanko, Jean-Jacques Avenel, Daniel Erdmann et ses compatriotes:
Johnny Răducanu, Anca Parghel, Dan Mîndrilă… Il est également
le coordinateur du département jazz de l’Université Nationale de
Bucarest et a signé une vingtaine d’albums. Chris Dahlgren,
originaire de Cincinnati, a étudié la composition avec Monte Young,
Anthony Braxton… et la contrebasse avec Barry Green, François
Rabbath et Dave Holland. Durant les années 80, il est le bassiste
maison du Blue Wisp Jazz Club de Cincinnati et joue avec Herb Ellis,
Red Rodney, Charles Tolliver et Joe Lovano, puis s’installe à New
York en 1993 où il dirige et enregistre avec ses groupes et joue aux
côtés d’Anthony Braxton (2001/2009). Depuis 2006 il réside à
Berlin et se produit avec de nombreux musiciens notamment d’Europe
centrale. Quant à John Bestch, installé à Paris on connaît sa
carrière et ses multiples collaborations, dont la plus longue avec
Steve Lacy. L’univers des trois compères semble défini mais sur
cet album dédié en grande partie à l’improvisation et gravé en
un jour, l’intensité et l’urgence donne lieu à d’agréables
surprises.
Après un premier titre «The
Crossing», issu d’une improvisation collective sur les sentiers
d’un Cecil Taylor, le trio nous suggère un chemin tranquille,
rempli de sagesse avec «So Simple» signé par Mircea Tiberian.
Jean-Sébastien Bach est l’inspirateur de «Passacaglia» qui
déroule un paysage nostalgique où le trio développe un sens de
l’écoute et de l’échange permanent. Mircea Tiberian en exprime
toutes les nuances en une sensibilité à fleur de peau qui séduit
l’auditoire. «Stretto» et «Tuscarora» signés par Chris
Dahlgren enfoncent le clou d’une musique libertaire qui se veut la
plus ouverte possible. «Never Been to Alabama», dont l’introduction
pourrait être jouée lors d’une messe de gospel, nous va droit au
cœur, des larmes sur chaque touche pour libérer les ailes de l’ange
gardien qui veille sur notre musique. Les tintements des cymbales et
les balais soulignent le doux dialogue du piano et des cordes de la
contrebasse comme un moment paisible après la bataille des
improvisations précédentes. Un groupe à découvrir en concert.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Mircea Tiberian/Toma Dimitriu
The Pale Dot
Dragonfly Blues, Time Capsule,Lydian
Glow, Habanera, The Pale Dot, Like a Thief in the Night, Restless
Needle, Sangha, Slow Motion (Masina Vie)
Mircea Tiberian, Toma Dimitriu (p)
Enregistré en Roumanie, date non précisée
Durée: 43'
Fiver House Records 013
(www.fiverhouse.com)
Toma Dimitriu est un jeune pianiste
roumain (23 ans) diplômé du Conservatoire George Enescu de Bucarest
et du Conservatoire de Gröningen au Pays-Bas. Inconnu en France il a
joué avec le trompettiste Nicolas Simion, le batteur Gene Jackson ou
le trompettiste Eamon Dilworth. Sur ce dialogue, que l’on aurait pu
imaginer de maître à élève, leur évidente complicité est une
heureuse surprise. La majorité des compositions sont signés par
l’aîné, Mircea Tiberian, dont la diversité et la qualité ne
peuvent que séduire. Tour à tour soliste et accompagnateur, à
l’écoute l’un de l’autre, le duo nous livre un album plus
qu’intéressant qui s’écoute d’une traite et sans état d’âme;
une musique sincère qui va droit aux oreilles et au cœur. Le titre
éponyme de l’album «The Pale Dot», de courte durée (1' 52''),
résume bien cet album ouvert aux esprits. Ancré dans un jazz
novateur, cet album se distingue de la majorité d’une production
roumaine qui reste dans un domaine trop académique. Mircea Tiberian,
personnage d’une forte personnalité et qui ne mâche pas ses mots
entend défendre un jazz contemporain pas assez reconnu d’après
lui dans les instances officielles et certains festivals nationaux,
ni dans les éditions discographiques.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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David Linx/Brussels Jazz Orchestra
Brel
Quand on n’a
que l’amour, La Chanson des vieux amants, Vesoul-Amsterdam, Ces gens-là, Mathilde,
Ne me quitte pas, Le Plat pays, Bruxelles, Isabelle, La Valse à mille temps
David Linx
(voc), Brussels Jazz Orchestra (dir. Frank Vaganée), personnel détaillé dans le
livret
Enregistré du
24 au 26 juin 2015, Gand (Belgique)
Durée:
1h 07’
Jazz Village 570125
(Harmonia Mundi)
A la
différence de Charles Trenet ou Georges Brassens, les chansons de Jacques Brel ont
rarement intéressé les jazzmen. David Linx, après avoir chanté Nougaro, s’y
colle. Il faut bien sûr oublier les interprétations de Brel, et se focaliser
sur ce que Linx fait de ce répertoire avec sa façon si particulière de chanter.
Il est épaulé par un Brussels Jazz Orchestra en grande forme, sur des
arrangements remarquables de différents auteurs (voir livret). Linx a donc là
un appuis solide et peut interpréter les chansons de Brel avec son art de
moduler la mélodie, en traînant sur les syllabes, surtout à la fin des vers,
étirant la note et partant certaines fois dans des volutes volubiles qui
tordent la mélodie, ou encore s’envolant sur des scats légers. Chaque morceau
offre un long solo à l’un des musiciens de l’orchestre, et ça swingue bien!
Emergent ainsi la voix de l’orchestre et un solo de ténor (Kurt Van Erck) sur
«Quand on n’a que l’amour»; un solo d’alto (Frank Vaganée)
sur «Bruxelles», bien servi par Linx; un solo de trombone
(Marc Godfroid) sur «La Chanson des vieux amants» où là, Linx ne
dégage pas du tout l’émotion que demande le thème; c’était l’un des
chefs-d’œuvre d’interprétation de Brel, insurpassable bien sûr. En revanche,
Linx réussit une gageure sur «Ne me quitte pas», rendu avec retenue
et tendresse dans sa première partie démarrée sur tempo lent, en compagnie du
pianiste, puis en forte avec tout
l’orchestre. Autre belle réussite «Vesoul-Amsterdam»: Linx en
trio avec basse et batterie, puis après le solo de trompette (Nico
Shepers), reprend en anglais sur fond d’orchestre: chauffe,
Marcel! «Isabelle» est interprété complètement en anglais, ce
qui n’apporte rien mais plaira au monde anglo-saxon! Le disque se termine
sur «La Valse à mille temps» démarrée, comme il se doit, en valse
ralentie, sur une rythmique des anches, qui va s’accélérant et crescendo avec
tout l’orchestre sur un splendide arrangement de Lode Mertens; là, Linx
articule presque à la Brel. Somme toute un disque réussi et très plaisant, qui
donne l’occasion d’entendre l’excellent BJO au sommet.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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David Linx/Paolo Fresu/Diederick Wissels
The Whistleblowers
As One,
December, This Dwelling Place, The Whistleblowers, Traiblazers, Paris,
Contradiction Takes Its Place Part 1 & 2, O grande kilapy, Le tue mani,
Dredge up, Shake up Your Trust, Confusion
David
Linx (voc), Paolo Fresu (tp, flh, electronics), Diederick Wissels (p, synth),
Christophe Wallemme, Helge Andreas Norbakken (b) + Quartetto Alborada (strings)
Enregistré en 2015, lieu non communiqué
Durée: 55'
Bonsaï Music 151101 (Harmonia Mundi)
Voici revenu, quinze ans après, le groupe Heartland qui
avait tant séduit tout un public. David Linx se retrouve avec son trio
habituel, plus quelques invités. Ce disque devait entrer en promotion avec des
concerts, juste au moment des attentats du 13 novembre 2015, et tout fut
ajourné. Ironie du sort, The Whistleblowers, ce sont les lanceurs
d’alerte!
La voix de David Linx a pris du grave et de l’ampleur.
Dans ce disque, il chante – on pourrait dire normalement –, c’est à dire sans
moduler, comme à son habitude, et son chant y gagne énormément en force et en
profondeur; on s’en aperçoit dès «As One». Dans l’ensemble
les morceaux sont pris sur tempo lent. Il y a de belles réussites comme
«December» sur tempo rapide avec des accents rythmiques parfois à
la Gregory Porter de Liquid Spirit. Une autre belle réussite
«Contradiction Takes its Place» en deux parties, la première
voix/piano rubato; la deuxième sur rythme soutenu batteur/ basse et
contrechant du piano. La trompette bouchée rêveuse en écho, puis en broderie,
c’est parfait. «Le tue mani» chanté en italien est d’un charme
absolu avec encore un beau partage voix-trompette, ouverte cette fois, et des
ponctuations des cordes. «Dredge Up» sort aussi du lot avec un
caractère funky, avec cette fois une vraie et belle mélodie. C’est le meilleur
morceau du disque, avec un groupe qui colle à fond à la voix, et des envolées
de Fresu en temps dédoublé. Dommage que tout le disque ne soit pas de ce
tonneau. «Confusion» est une sorte de samba avec un splendide
unisson voix-trompette-piano-basse. Les paroles sont de David Linx, sauf «Le tue
mani» de Machel Montano. Les musiques sont essentiellement de Diederick
Wissels.
Il est évident que les inconditionnels de David Linx se
régaleront. Le groupe est parfait, les arrangements collent bien aux chansons,
la plupart des solos sont de haut niveau, mais c’est peut-être plus un disque
de chansons que de jazz…
Serge Baudot
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Don Menza Quintet
First Flight. Complete Recordings
Don Menza
(ts, ss, fl), Frank Rosolino (tb), Alan Broadbent (p, synth), Tom Azarello (b),
Nick Ceroli (dm), Paulinho, Claudio Slon (perc) + Frank Strazzeri (p), Mayo Tiana
(btb)
CD1: Bones Blues, Mz. Liz,
April’s Fool, Magnolia Rose, Intrigue, Spanish boots, Groove Blues, Samba de
Rollins, Collage, Ballad of the Matador; CD2 : Bones Blues, Mz. Liz, Intrigue, Magnolia
Rose, Spanish Boots, Groove Blues
Enregistré en juillet 1976, Hollywood, Los Angeles (Californie)
Durée: 1h 12' + 51'
Fresh Sound Records 891 (Socadisc)
A quarante
ans de distance, cette réédition (plus trois inédits et six prises alternatives)
de First Flight du saxophoniste Donald
Menza sera certainement une découverte pour de nombreux amateurs. Et quel
plaisir d’écouter ou réécouter un jazz dynamique, swinguant, débordant
d’enthousiasme, interprété par un musicien et un quintet qui ne s’occupent que
de jazz et ne cherchent jamais à épater la galerie, à inventer une quelconque
variante du jazz … C’était évidemment le milieu des années soixante-dix, une
époque à laquelle le mot jazz avait un sens encore assez précis. Sans être vraiment
west coast, le son, fluide, témoigne de la présence de Menza en Californie
(«a cultural shock for me»).
Peut-être aussi que son court passage antérieur chez Kenton a joué un rôle. La
présence dans ce disque de Frank Rosolino, lui aussi bien ancré à Los Angeles,
n’est pas non plus anodine; le tromboniste ayant été longtemps son
partenaire dans l’Ouest. L’enregistrement offre un véritable festival de dialogues entre Don et Frank,
s’appuyant sur une rythmique plus que solide. En ce sens l’inédit «Bones Blues» (par lequel s’ouvrent
les deux CDs) est révélateur. Un puissant swing de Nick Ceroli lance et appuie
en permanence le ténor qui passe la parole au tromboniste. S’en suit une
alternance questions-réponses entre les deux instrumentistes.
«April’s
Fool», avec les percussionnistes brésiliens en soutien (clave de samba
sur la campana), débute par un long show de Don Menza avant le dialogue
ténor/trombone. Restons avec les plages pour
lesquelles interviennent encore les deux "Latinos",
«Spanish Boots» et
«Samba de Rollins». Le
premier (inédit) débute avec un remarquable duo Menza-Rosolino. Ce dernier a
ensuite la part belle, avec de longues interventions, et les percussions,
discrètes, sont plus à l’honneur en fin de thème avant le retour du ténor. Si le son du Pacifique est sensible chez Menza, il ne faut pas minimiser l’influence
de ses maîtres, les saxophonistes boppers et autres tels que Hawkins, Lester
Young, Stitt ou Sonny Rollins à qui il rend hommage dans sa «Samba de Rollins» – qui
n’a de samba que l’apport des percussions sur un court passage. C’est le
Rollins de la jeunesse de Menza qui est à l’ordre du jour. Le saxophone,
puissant et très agressif est à l’unisson avec le trombone et le tempo
endiablé. On relève la participation d’un trombone basse (Mayo Tiana). Un
invité spécial, Frank Strazzeri (p), interprète tout en douceur sa propre
composition «Ballad of the Matador». Menza y joue de la flûte. Exit Rosolino. L’autre
ballade, «Magnolia Rose», débute par un très beau solo de ténor
avant l’entrée cool du trombone. «Intrigue» (inédit) déborde de
swing tout comme «Groove Blues» dont le titre est justifié. Menza y
fait preuve de virtuosité, joue vite et lance des appels à Rosolino alors que
la section rythmique est de toute évidence à la hauteur des attentes du saxophoniste.
«Mz Liz» met en valeur le travail du pianiste Alan Broadbent, son
compositeur. L’esprit de cette composition est différent du reste du disque et
les deux cuivres se coulent dans cet esprit.
S’il convient d’apprécier l’inclusion de trois inédits
dans cette réédition, on aurait préféré les voir renvoyés sur le second disque
qui rassemble des prises alternatives de six des thèmes du premier. Ces prises
sont toutes plus développées que celles retenues mais globalement n’en
diffèrent pas sur le plan de l’interprétation. Mais y ajouter les trois inédits
aurait permis de conserver sur le premier volume la structure exacte du LP
original. Un musicien ne choisit pas au hasard les compositions offertes au
public (du moins les grands jazzmen d’hier!). Il a une idée, un concept
en tête. Si Don Menza ne met pas l’excellent «Bones Blues» sur le
LP, c’est sans aucun doute parce qu’à cet instant il n’est pas dans la logique
de son projet. Et si «Collage» est le morceau qui introduit
celui-ci, c’est bien parce qu’il constitue, par son dynamisme, l’engagement
personnel du saxophoniste, de son partenaire Rosolino et de tout le groupe, la
rampe de lancement du disque. Comme une introduction, «Collage» contient
en germe (germe un peu avancé même) ce que le quintet va dire par la suite. On
peut donc suggérer au jazzophile d’écouter les thèmes dans l’ordre du LP
original (9, 2, 7, 10, 8, 4, 3) et d’apprécier les autres à la suite.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Moutin Factory Quintet
Deep
Love Stream, Hope Street, Fat's Medley, Exploded View, A Soothing
Thrill, Hell's Kitchen, Shift, Bliss, In the Name of Love
François Moutin
(b), Louis Moutin (dm), Jean-Michel Pilc (p), Manu Codjia (g), Christophe
Monniot (as, sopranino sax), Thierry Péala, Axelle du Rouret (voc)
Date et lieu
d'enregistrement non précisés
Durée 1h 03' 53''
Jazz Family 009 (Harmonia
Mundi)
Mis à part un medley de thèmes de Fats Waller (que
d'ailleurs les frères jumeaux jouent en duo), toutes les compositions sortent
de «l'usine/cuisine du diable» familiale. Complexes et d'une élégance un
peu brutale, elles donnent des ailes aux cinq musiciens dont l'osmose est
totale. L'ajout de backgrounds vocaux sur le premier titre seulement n'ajoute
pas grand-chose à la force assez redoutable de cette musique jouée de bout en
bout avec un enthousiasme énergique. D'ailleurs, les trois ballades que contient
le CD n'échappent pas non plus à un traitement plutôt vigoureux. Amateurs
exclusifs de «music for lovers»,
passez votre chemin... Dans la musique des Moutin, pas de place pour les
chuchotements.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Laurent Coq/Walter Smith IIIl
The Lafayette Suite
Comte de Broglie, Baron Johan De Kalb, Pasajes de San
Juan, Charleston, South Carolina, June 19, 1777, Major Benjamin Huger, General
George Washington, The Battle of Brandywine, Valley Forge, Comte de Rochambeau,
Yorktown
Laurent Coq (p), Walter Smith III (ts), Joe Sanders (b),
Damion Reid (dm)
Enregistré
les 1er et 2 septembre 2014, Paramus (New Jersey)
Durée: 49' 39''
Jazz & People 815003 (Harmonia Mundi)
Laurent
Coq est un homme qui place au premier plan de ses valeurs artistiques une
certaine intégrité jugée indispensable pour nourrir les meilleures ambitions
musicales. Ses prises de position, incisives et plutôt tranchées, sont connues
des amateurs de jazz pour tenter de traduire dans les faits le développement d’une
démarche toute personnelle. Il nous propose ici un concept-album structuré
autour des pérégrinations de Lafayette, ce qui lui permet d’interroger de
manière inquiète les rapports qu’entretient la culture américaine avec le jazz
européen. Bénéficiant du programme FAJE (French
American Jazz Exchange) et publiées chez le tout jeune label participatif Jazz & People, les
compositions qui émaillent cet album, conçues en partenariat avec le
saxophoniste américain Walter Smith III, sont autant de jalons qui retracent le
parcours de l’illustre personnage français. Dix thèmes correspondants à des lieux, des personnages et des événements
importants des huit années d’engagements de Lafayette. Au fil des titres, on voyage
avec les musiciens tout au long de compositions empreintes de complexité, qui se
tiennent à distance du jazz mainstream. Il faut dire que l’album, de ce point
de vue, prend le risque de se détourner d’une démarche plus grand public, au
risque de restreindre sensiblement son audience. Il s’agit en somme d’un pari,
prouver que l’art authentique se nourrit autant d’individualisme que
d’universalité. La musique, en elle-même, est organisée autour d’une
segmentation, sous forme de breaks inattendus et d’expérimentations inédites,
qui s’aventurent hors des chemins balisés («The Battle of
Brandywine»). Elle brille aussi par son art des structures, des liaisons,
les compositions étant agencées de telle sorte qu’elles s’enchainent sans temps
mort. En acceptant ce parti pris, il devient possible d’apprécier le côté
organique de la collaboration entre Laurent Coq et Walter Smith, les notes
charnues du saxophoniste qui viennent serpenter autour des structures imaginées
par le pianiste, les mélodies entêtantes serties sur des trames rythmiques
denses, le caractère irréprochable des fondations offertes par Joe Sanders et
l’élève de Billy Higgins, Damion Reid. Percevoir les rapports existant entre le
personnage de La Fayette et l’œuvre enregistrée n’est pas vraiment
indispensable, en dépit des aperçus supplétifs offerts par la lecture des notes
de pochette, mais il faut tout de même, pour l’apprécier, faire l’effort
d’entrer dans le projet de l’artiste, ce qui suppose finalement un
investissement conforme aux convictions personnelles de Laurent Coq, qui voit
dans l’apprentissage de la musique un accomplissement comparable à celui qui
permet une existence digne de ce nom.
Un album à l’intérêt artistique
incontestable, qui devrait faire la joie des amateurs éclairés.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Eddie Henderson
Collective Portrait
Sunburst,
Dreams , Morning Song, You Know I Care, Beyond Forever, Collective Portrait,
First Light, Together, Ginger Bread Boy, Spring, Zoltan
Eddie
Henderson (tp), Gary Bartz (as), George Cables (p), Doug Weiss (b), Carl Allen
(dm)
Enregistré le 12 mai 2014, New York
Durée: 1h 08' 25''
Smoke Sessions Records 1501 (www.smokesessionsrecords.com)
Un all stars exceptionnel entoure l’excellent Eddie
Henderson qu’on a pris l’habitude de voir sur la scène de nos festivals d’été,
le plus souvent en sideman (Billy Harper) ou en coleader de all stars (Cookers,
Leaders). Eddie Henderson, excellent technicien de la trompette, fait
en effet partie de cette belle génération de jazzmen, une vraie famille, réunie
en partie ici, qui a permis, sans que les amateurs en aient une claire
conscience, que le jazz poursuive son évolution, son histoire, sans céder au
tout jazz rock ou pop et à toutes les complaisances que nous promettaient les
années 1965-1985 (promesses tenues d’ailleurs car ça continue). Au demeurant, ces musiciens ont aussi participé parfois
(Bartz, Henderson et Cables) à cette époque fusion sans perdre les repères
essentiels du jazz (Eddie Henderson avec Herbie Hancock), en utilisant même les
nouveaux sons de l’époque pour personnaliser leur expression (George Cables,
pianiste exceptionnel), et on les retrouve aujourd’hui toujours avec plaisir
sur les scènes ou en disque. Eddie Henderson, une personnalité originale dans
le jazz, puisqu’il a mené de front une carrière musicale de haut niveau et une
carrière de médecin, n’a jamais cessé de côtoyer les grands musiciens du jazz
(Art Blakey, Elvin Jones, Dexter Gordon, Roy Haynes…).
Dans ce Collective Portrait,
il évoque justement cette époque des années 1970, avec deux compositions
personnelles («Sunburst», «Dreams»), et deux de George Cables («Morning Song»,
«Beyond Forever»), puis il rappelle trois trompettistes admirés, Freddie
Hubbard («First Light»), Miles Davis («Ginger Bread Boy») et Woody Shaw
(«Zoltan»), qui l’ont, à n’en pas douter, inspiré, Miles Davis en particulier pour
la sonorité et les atmosphères, les deux autres pour les développements plus
virtuoses. C’est bien à un voyage dans le temps sous forme de portraits
successifs que nous propose Eddie Henderson, c’est aussi une belle rencontre
entre des musiciens toujours inventifs, originaux, un excellent moment de jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Bojan Z/Nils Wogram
Housewarming
Good Wine, N°9, Parents, Storks, TNT,
Broke, Think Thrice, Hooked, Off to the Train Station, Old Song for a
New Day
Bojan Z (p, elp), Nils Wogram (tb)
Durée: 59'
Enregistré à Lubrza (Pologne), date
non précisée
Nwog Records 016(www.nwog-records.com)
Le premier thème
«Good Wine» signé par Bojan Z, révèle sa connaissance pour la
bonne vigne, le trombone s’exprime comme une voix, comme un
chanteur accompagné de son pianiste, sobriété et clarté, une
invitation au plaisir de l’esprit et du corps. La totalité des
compositions sont des originaux signés par les deux musiciens. Il
est évident que la réussite d’un tel projet résulte de la
complicité et de la compréhension mutuelle des duellistes.
Spécialiste du Fender Rhodes, Bojan Z, nous en offre toutes les
subtilités sans jamais tomber dans la démonstration clinquante.
«TNT» porte bien son nom et nous dépote allégrement suivi d’un
«Broke» où la brillance scintille avec l’intensité du trombone.
Dix compositions qui nous amènent dans un monde enchanté mais qui
nécessite une certaine ouverture d’esprit et d’oreille, car le
dialogue ne laisse pas de place à la facilité. En conclusion un
«Old Song for a New Day» qui marie le passé et le futur dans une
harmonie des cœurs.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Samy Thiébault
Rebirth
Abidjan, Raqsat Fès,
Chant du Très Loin, Canciòn, Laideronnette, Impératrice des
Pagodes, Enlightements Suite (Part. 1: From Sky, Part. 2: In Between,
Part. 3: From Earth), Nafassam, Laideronnette, Impératrice des
Pagodes (alt), Nesfé Jahân
Samy Thiébault (st, ss,
fl, al.fl), Jean-Philippe Scali (as, bs), Manu Domergue (mellophone),
Adrien Chicot (p, elp), Sylvain Romano (b), Philippe Soirat (dm),
Meta (perc), + Avishai Cohen (tp)
Enregistré les 8, 9 et 10
février 2016, Paris
Durée: 58'
Gaya Music Gaya 030
(Socadisc)
Avec cet album, le
septième, Samy Thiébault, très présent sur la scène actuelle et
très visible dans sa communication nationale, détient tous les
éléments pour affirmer son identité. Pour ce nouveau répertoire
il a opté pour des titres assez courts épaulés, par des musiciens
régulièrement à son service et incontournables de la scène
française et un guest de luxe, le trompettiste Avishai Cohen. Deux
premiers titres inspirés de l’Afrique (bien que le premier sonne
aussi brésilien) au soprano pour introduire une atmosphère légère
et donner le tempo suivi «D’un chant très loin» invitant la
trompette d’Avishai dans un agréable mariage coloré par le Fender
Rhodes d’Adrian Chicot. Sa suite «Enlightments», en trois parties
offre l’occasion à chacun de ses acolytes de s’exprimer
brièvement et sa flûte vient souligner une certaine mélancolie. On
trouve sur «Nesfé Jahân», dédié à son fils, une évocation
très coltranienne installant le climat nécessaire à une longue
balade laissant la part belle à son invité enthousiaste. «Rebirthest fait de mélodies qui me décrivent, musicalement et
personnellement» explique le leader. Aucun clinquant ni
redondance dans cet album, Samy Thiébault pour une renaissance,
malgré son jeune âge, signe un album de bonne qualité, peut être
un manque de folie mais ce sera pour plus tard.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Olivier Robin
Jungle Box
The Next One, Eizy,
Exoget, Jungle Box, Nickel Chrome, I Remember Max, Kalame, Bis
Répétitae, Before Yoy’ve Gone
Olivier Robin (dm), Julien
Alour (tp), David Prez (ts), Vincent Bourgeyx (p), Damien Varaillon
(b)
Durée: 53'
Enregistré le 12 mars
2014, Paris
Fresh Sound Records/Swing
Alley 026 (Socadisc)
Olivier Robin, sans
fioriture, lance immédiatement la machine qui nous rappelle les
«Jazz Messengers». De plain-pied dans le propos, les thèmes suivis
de courts solos de chacun donnent l’esprit du groupe. Ambiance hard
bop qui se développera tout au long de l’album sur des
compositions signées par le batteur, épaulés par des jeunes "cats", Julien Alour et Damien Varaillon, et de solides routiers,
Vincent Bourgeyx et David Prez. Le pianiste a notamment accompagné
Al Grey, Jane Ira Bloom, Ravi Coltrane, Steve Grossman… a enseigné
au Koyé Conservatory de Kobé (Japon). Dans cette tradition qui
intègre la jeune garde au savoir faire de plus anciens, tel Art
Blakey, Olivier Robin nous invite à découvrir son univers qui
s’inscrit dans la tradition d’un jazz moderne. On connaissait son
quintet avec Sébastien Jarrousse qui a travers leurs concerts et
deux albums avait reçu multitudes de prix, ici il poursuit de façon
encore plus personnelle son parcours. Sa qualité n’est plus a
démontrer car à travers ses collaborations (Kenny Wheeler, Georges
Arvanitas, Steve Coleman, André Villéger, Alain Jean-Marie, Olivier
Hutman, Stéphane Belmondo…) il a prouvé sa capacité à soutenir
les musiciens les plus exigeants. Un album en rien révolutionnaire
mais très agréable à écouter, qui aurait pu paraître chez
l’ancien Blue Note.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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François Raulin/Stephan Oliva
Correspondances
Cher Martial, Lettre à
Emma Bovary, Telegrammes, A Randy Weston, Hermeto En-Tête,
Lettre à Jean-Jacques
Avenel, Tango Indigo, Conversations sur Dutilleux, Sometimes I Feel
Like a Motherlesschild, Nancarrow Furioso, Jimmy, In a Mist
François
Raulin, Stephan Oliva (p)
Durée: 58''
Enregistré les 16, 17 et
18 mars 2016, Pernes-les-Fontaines (83)
Abalone Productions 026
(L’Autre Distribution)
«Cher Martial» une
dédicace au maître qui permet aux pianistes ce premier dialogue
autour de trois titres de Martial Solal («Accalmie», «Unisson»,
«Séquence Tenante») donnant le la d’un album d’hommage et de
complicité. Francois Raulin signe la majorité des titres (deux sont
de Stephan Oliva): on remarquera que les pianistes ont choisi
d’enluminer des aînés forts différents mais qui leur sont tous
très chers. Un monde de pianistes aux idées larges qui reflètent
la richesse et la variété des formes du jazz. Dialogues, échanges,
lettres, correspondances autant de mots et d’idées pour aller à
la rencontre de Ligetti et Paul Motian avec «Télégramme», de
Randy Weston, Hermeto Pascoal, Jean-Jacques Avenel ou Dutilleux avec
des titres éponymes. Entre compositeurs contemporains «Tango
Indigo» de Stephan Oliva pour Stravinsky et Ellington,
«Nancarow Furioso» de Raulin, pour le moins connu Conlon
Nancorow, ou encore «Jimmy» dédié à Paul Bley, les citations
vont bon train et permettent de se confronter à des pianistes qui
s’inscrivent de façon particulière dans l’histoire. De même,
ils ne veulent pas oublier le légendaire trompettiste Bix Bederbecke
a qui Raulin dédicace «In a Mist » et le chant avec le
traditionnel «Sometimes I Feel Like a Motherlesschild» gravé pour
Linda Sharrock et Jeanne Lee. Les parties écrites versifient avec
l’improvisation et le jeu intense paraphrase les délicates notes
bleues. «Lettre à Emma Bovary» signé par François Raulin semble
échappé au contexte à moins que Flaubert auteur d’une longue
correspondance (5 tomes, La Pléiade) n’est glissé dans l’oreille
de François qu’il avait oublié de signer un mot d’amour à
Emma, voici chose faite mais en musique.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Bart Defoort Quintet
Inner Waves
Aftermath Late Night Drive, Light Red
to Dark Blue, No More Church, Bright Side, The Yearning Song, Make
That Move, Too Late to Tell You, Inner Waves, Still
Bart Defoort (ts), Hans Van
Oost (g), Ewout Pierreux (p), Christophe Devisscher (b), Toni
Vitacolonna (dm)
Enregistré les 2 et 3
novembre 2015, Osnabrück (Allemagne)
Durée: 1h, 04',41''
W.E.R.F. Records 137
(www.dewerfrecords.be)
Ce
nouvel album de Bart Defoort est l’accomplissement d’un parcours
exemplaire entrepris depuis près de trente ans. On y retrouve
Christophe Devisscher, compagnon de longue date du saxophoniste
gantois («The Yearning Song», «Bright Side», «Inner Waves»).
Toni Vitacolonna, élève de Bruno Castellucci (dm), est, comme Bart,
titulaire d’un pupitre au sein du Brussels Jazz Orchestra. Il est
devenu, à l’image de son maître un modèle de rigueur rythmique
(«Too Late to Tell You»). Le malinois Ewout Pierreux («Late Night
Drive», «Make That Move», «Inner Waves», «Still») restait
relativement méconnu au sud du Royaume jusqu’à ce qu’il
accompagne puis épouse la chanteuse Sud-Africaine Tutu Puoane; il a
trouvé sa place auprès de nombreux solistes flamands; le gospel
«No More Church» lui colle aux doigts. J’avais perdu de vue Hans
Van Oost (g). Il m’avait beaucoup impressionné dans les années 80
par son vibrato chaleureux et une tonalité proche de Tal Farlow;
c’est plaisir de le retrouver en si bonne compagnie («Light Red to
Dark Blue», «Bright Side», «Still»).
La complicité des musiciens
au sein du quintet témoigne d’un grand respect mutuel: personne ne
tire la couverture à soi. La mise en place est impeccable, les
thèmes sont exposés en harmonies-synchrones sax/guitare («The
Yearning Song»). Bart Defoort s’est déjà essayé aux formules
trios ou quartet. Ici, en quintet, il ne renie pas l’admiration
qu’il a pour Dexter Gordon et ses fils spirituels («Light Red to
Dark Blue», «Bright Side»). La ballade «Inner Waves» est exposée
ténor et piano et continuée par le contrebassiste qui signe un beau
solo. Au milieu de tous ces créatifs hors sol, cette musique remet
les pendules à l'heure! «Too Late to Tell You»? Pas d’accord, je
rétorque avec force: never too late! Cet album est le
couronnement d’une carrière exceptionnelle. La présence de Bart
Defoort au centre de l’histoire belge du jazz est un peu comme
celle d’Eden Hazard chez les Diables Rouge!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Jimmy Scott
I Go Back Home
Motherless Child, The
Nearness, of You, Love Letters, Easy Living, Someone to Watch Over
Me, How Deep is the Ocean, If I Ever Lost You, For Once in My Life, I
Remember You, Everybody Is Somebody’s Fool, Folks Who Live on the
Hill, Poor Butterfly Jimmy Scott (voc), Till
Brönner (tp), Arturo Sandoval (flh), Bob Mintzer, James Moody (ts),
Grégoire Maret (hca), John Pisano (g), Oscar Castro Neves (g, voc),
Joey de Francesco (org), Kenny Baron, Mark Joggerst (p), Martin
Gjakonovski, Michael Valerio (b), Hans Dekker, Peter Erskine (dm),
Joe Pesci , Renée Olstead, Dee Dee Bridgewater, Monica Mancini (voc)
+ HBR Studio Symphony Orchestra avec Ralf Kemper (arr, producteur et
sans doute chef d’orchestre)
Enregistré en 2009, Los
Angeles
Durée: 1h
Eden River Records CD-01(www.eden-river-records.com)
En 2009, ce vieux jeune
homme de Jimmy Scott a 84 ans quand il enregistre ce disque qui sera
en fait un hommage de son vivant à sa carrière. A 13 ans, il est
atteint du syndrome de Kallmann qui arrête sa croissance et la mue
de sa voix laquelle restera celle d'un adolescent. Voix étrange et
unique qui dès son arrivée à New York, à l’âge de 20 ans, le
singularise dans le monde du jazz. Sa carrière professionnelle
démarre en 1940, quand il intègre l’orchestre de Lionel Hampton.
Son parcours, en raison de son physique et parfois de sa voix connaît
bien des bas et il se retire de la scène durant deux décennies
(70/80) pour faire un come back au début des années 90.
Cet album est enregistré
après une pause discographique de douze ans et sans aucun doute ce
retour est dû à la volonté de Ralf Kemper qui lui prépare un
écrin pour des séances de première classe. Tout est au
rendez-vous, grand orchestre de cordes, sidemen de renom: De
Francesco, Peter Erskine, Kenny Barron… et des invités triés sur
le volet, que ce soit les vocalistes (Joe Pesci , Renée Olstead ,
Dee Dee Bridgewater, Monica Mancini) ou des solistes invités sur un
ou deux titres (Grégoire Maret, Arturo Sandoval, Bob Mintzer, James
Moody). D'emblée, le traditionnel «Motherless Child» nous rappelle
les orchestrations de Ray Charles, bien que la voix soit totalement
différente. Chaque titre porte sa dose d’émotion et les ballades
nombreuses sont mises au service de cette étrange personnalité. On
pourrait tout citer, tant la nostalgie nous presse le cœur. On
s’arrêtera à une version bossa nova de «Easy Living» (souvent
raté par les Américains) qui l’associe au guitariste brésilien,
Oscar Castro Neves qui en plus chante, moment rare, le tout sur un
fond d’orgue et d’harmonica: une vraie réussite même pour les
puristes du genre. Ou encore «If I Ever Lost You» avec un son de
trompette susurrée de Till Brönner dans un esprit proche de celui
de Chet Baker. Dee Dee Bridgewater, soutenue par Bob Mintzer, donne
la réplique puis chante à l’unisson avec Jimmy sur «For Once in
My Life». Arturo Sandoval accélère le tempo pour «I Remember
You», sous titré «Tribute to Jimmy Scott» où Monica Mancini
vient poser délicatement sa voix. Avec un court «Everybody Is
Somebody’s Fool », façon comédie musicale, il invite, pour
un petit tour, le souffle de James Moody et l’album se conclut par
un «Poor Butterfly» qui lui colle si bien à sa peau. Ce titre,
murmuré entre le chant et le récit autobiographique, résume un peu
la fragilité de sa vie qui malgré ses vicissitudes aura duré 89
ans. Grégoire Maret tire le rideau sur une magnifique ambiance où
le son de son harmonica continue d’accompagner vers un long voyage
ce petit monsieur qui a marqué de son empreinte le jazz vocal. Tout
au long de l’album Kenny Baron, tel un enlumineur, apporte les
touches de sa palette harmonique.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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David Thomaere Trio
Crossing Lines
Aftermath vs. Freedom,
Dancing With Miro, Braddict, Lions Mouth, Barcelona, Default, Mr.
Infinity, Alive, Rebirth, Night Wish
David Thomaere (p, key),
Felix Zurstrassen (b, elb), Antoine Pierre (dm) + Steven Delannoye
(ts), Jean-Paul Estievenart (tp)
Enregistré en janvier 2015,
Bruxelles
Durée: 58' 10''
W.E.R.F. Records 134
(www.dewerfrecords.be)
Premier album pour David
Thomaere (né en 1988): après un parcours initiatique dès 6 ans,
académique et classique à 9, jazzique à 17 (Koninklijk
Conservatorium Brussel) avec entre autres profs Diederik Wissels (p),
de master-classes en stages il étudie à Leipzig avec Richie Beirach
et termine en 2012 sous la conduite de Nathalie Loriers (p). Dès le
printemps 2013, il reçoit le Toots Thielemans Award. Pour son
premier enregistrement fortement teinté ECM («Night Wish»), le
jeune anversois s’est entouré de jazzmen de sa promotion: Antoine
Pierre et Félix Zurstrassen. Les mélodies aux couleurs chaudes
concourent au climat général de l’opus. Le jeu est souvent
retenu, économisé au service du mood («Lions Mouth»).
Faut-il en déduire que le compositeur-pianiste se limite aux
ballades sirupeuses? Que nenni! Il le prouve dès le deuxième titre
avec un arrangement qui ouvre sur des envolées libres et chorales
des souffleurs avec backings aux keyboards («Dancing With Miro»).
Avec «Mr. Infinity», le deuxième titre en quintet, on sent un
petit quelque-chose des Messengers; l’écriture et la mise en place
sont intéressantes (contrastes conjugués piano et basse). L’osmose
entre David et Félix Zurstrassen est un grand plus pour l’album.
La jolie mélodie «Braddict» aurait pu s’exposer à l’archet et
le morceau entier se développer en duo piano/contrebasse en évitant
les interventions superflues du batteur. «Barcelona», plus appuyé,
lui convient mieux. Sur «Default», en revanche, on aurait aimé
qu’Antoine Pierre se fasse plus créatif; cette chanson du groupe
Atoms For Peace reste rtyhmiquement trop pop (3/4) alors qu’elle
est colorée et se déploie sur un beau solo du pianiste. «Alive»
en pur solo fait la démonstration du grand talent de David avec une
juxtaposition main droite/main gauche en deux lignes qui se mêlent
et se complètent. Du grand art! Juste en tempo mais trop ou pas
assez discret (c’est selon), Antoine Pierre apparait mal intégré!
Toutefois, Félix Zurstrassen est épatant à la contrebasse comme à
la basse électrique («Braddict», «Barcelona»). David Thomaere
fera sans doute beaucoup parler de lui à l’avenir. Sa sensibilité
à la Chopin va au-delà du marquage ECM.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Renato D'Aiello
Satori. The Angel
The Angel*,
Giovanna’s Requiem°, Sea Goddess, Alfie**, I Wish***, The Dreamer,
Alfie
Renato d’Aiello (ts, voc°), Bruno Montrone (p), Nicola
Muresu (b), Gaspar Bertoncelj (dm) + Solstice Strings Quartet: Jamie
Campbell, Violeta Barrena (vln), Meghan Cassidy (avln), Greg Riddell
(cello) +
Michael Demarco (voc)*, Deelee Dubé (voc)**, Jeff Otto
(voc)***
Enregistré en août 2014, Luton (Royaume-Uni) et en
octobre 2014, Paris
Durée: 42'
33 Jazz Records 251
(www.33jazz.com)
Ce Satorioffre une musique qui n'appartient pas vraiment à la sphère du
jazz; mais comme aujourd’hui on confond universalisme de l'art et
culture de masse et que les frontières d'une expression passionnent
moins que celle des Etats, ne doutons pas que beaucoup classeront ce
disque dans la catégorie «jazz»... Car si les musiciens sont ici
de qualité, leur jeu est académique et leurs soli peu imaginatifs.
Le produit n'en est pas moins agréable à l’oreille. Sur «The
Angel», on assiste à un bel échange entre le saxophone et la
contrebasse sur lequel se superpose une partie vocale par Michael
Demarco. Solo de piano, de ténor, puis de contrebasse. «Giovanna’s
Requiem» est introduit par le quartet à cordes et Renato en
personne enchaîne une intervention au chant, en italien, et poursuit
au saxophone. Le trio piano/drum/bass est le moment le plus proche du
jazz. Renato joue cool en fin de thème. «Sea Goddess» est délicat,
classique, comme le montrent le solo de contrebasse et le travail du
pianiste. Quelques courtes mesures semblent annoncer le swing mais,
fausse alerte, D’Aiello ramène tout le monde dans le droit chemin.
«Alfie» est proposé en deux versions. L’une est instrumentale et
l’autre chantée. La première débute avec les cordes et une belle
introduction de musique dite classique. Renato y propose une ballade
sympathique. La seconde est identique, la voix de Deelee Dubé
remplaçant le saxophone qui se permet de prendre un relais avant de
rendre la parole à la chanteuse. «I Wish» fait l’impasse sur
l’introduction des cordes, remplacées par la contrebasse, et ça a
de l’allure. Jeff Otto, auteur du texte, chante en portugais. Le
trio swingue lorsqu’il a la parole et c’est le meilleur moment du
disque. «The Dreamer» porte bien son nom. Le trio anime la deuxième
moitié du thème et offre un bel accompagnement au saxophoniste. On
apprécie encore une fois le travail de Nicola Muresu à la
contrebasse.
Si l'on apprécie Renato
d’Aiello, il ne parvient pas à convaincre avec ce projet, qu'il a
certes dû porter avec ambition. On attend donc de le réécouter
dans le registre du jazz, où il sait s'exprimer avec talent.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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George Robert
Plays Michel Legrand
The Watch What Happens (The Umbrellas of Cherbourg), How Do You
Keep the Music Playing (Best Friends), What Are You Doing the Rest of Your Life
(Happy Ending), The Summer Knows (Summer of 42), Once Upon a Summertime, You
Must Believe in Spring (The Young Girls of Rochefort), The Windmills of Your
Mind (The Thomas Crown Affair), I Will Wait for You (The Umbrellas of Cherbourg),
The Way He Makes Me Feel (Yentl), Brian's Song (Brian's Song), Papa, Can You
Hear Me (Yentl)
George Robert (as), Torben Oxbol (arr, performer)
Enregistré le 26 juillet 2014, Vancouver (Canada)
Durée: 55' 09''
Claves 50-1607 (www.claves.ch)
Voici un enregistrement très spécial: c’est l’un des
derniers, sinon le dernier de George Robert, l’excellent saxophoniste alto qui
a malheureusement disparu le 14 mars 2016, prématurément, à l’âge de 55 ans
(cf. Jazz Hot n° 615, n°630 et n°675
pour la nécrologie). George Robert a enregistré avec le gotha du jazz, et en
particulier Kenny Barron à plusieurs reprises, en duo: de beaux albums. Si
George Robert a bien sûr écouté le résultat de cette musique qui combine
plusieurs rêves, il n’est pas certain qu’il l’ait vu édité; il nous avait parlé
de ce projet quelques semaines avant son décès, et cela confère également à cet
album un caractère très spécial.
Pour un émule et ami de Phil Woods, pour un admirateur de
Benny Carter et Charlie Parker, pour un grand saxophoniste alto, quoi de plus
naturel de rêver d’enregistrer un album avec des arrangements symphoniques? Le
projet devient particulier quand il se combine avec l’amour des belles mélodies
de Michel Legrand dont la plupart de celles qui sont reprises ici ont illustré,
enrichi des films, au point d’en devenir parfois plus célèbres et immortelles que
les films eux-mêmes.
George Robert partage cette passion pour Michel Legrand avec
un grand arrangeur, Torben Oxbol, un Danois, musicien classique de formation,
installé plus tard au Canada, et qui a la particularité d’avoir travaillé avec
des musiciens de jazz: Freddie Hubbard, Frank Rosolino, Carl Fontana, Wynton
Marsalis… Le résultat est digne de tous les éloges, chacun des musiciens
restant totalement lui-même, le seul enjeu étant au fond la mise en valeur à un
degré supérieur de la beauté des mélodies. Les arrangements symphoniques de
Torben Oxbol sont somptueux, d’une ampleur et d’une sérénité extraordinaire,
Michel Legrand en est lui-même abasourdi dans les notes de livret; et sur
ces arrangements, George Robert, avec la tranquillité d’un Benny Carter, d’un
Charlie Parker ou d’un Phil Woods, trois de ses inspirations majeures, se
promène, nous entraîne dans son rêve, dans son univers avec un son d’une clarté
absolue, une épure jazzique, la musique. Inutile de dire pour qui a approché George
Robert, un gentleman en tous points, que dans ce cadre et avec ce souvenir de
l’artiste qu’il fut, la musique est très émouvante. On ne parlera pas de
testament, car lorsqu’il a fait ce disque, George Robert avait d’autres
nombreux projets, et cette musique éclaire. L’une des délicatesses de l’édition
est de ne faire aucune référence au décès mais d’avoir laissé paraître le
disque comme George Robert l’avait conçu avec son ami et coauteur Torben Oxbol,
qui a eu lui, l’autre délicatesse de laisser la paternité et la couverture de
ce disque à son ami, George Robert. Un autre gentleman.
Une telle rencontre, pleine du bel esprit de ces deux
personnages aussi sensibles, est rare. Ça s’entend et ça s’écoute.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Jazz Cookers Workshop
Loose Togetherness
Fable of Faubus, Jump Monk, Pussy Cat Dues, Remember
Rockefeller at Attika, Duke Ellington's Sound of Love, Orange Was the Color of
Her Dress Then Blue Silk, Self Portrait in Three Colors, Flowers For a Lady*,
Wee, Gunslinging Bird*
Matchito Caldara (dm), Fred Burgazzi (tb), Maxime Jaslier
(as), Pierre Carvalho (ts), Laurent Dumont* (tb), Clément Prioul (p), Arthur
Henn (b), Maria Popkiewicz (voc)
Enregistrés les 26-27 novembre 2015, Mantes-la-Jolie
Durée: 1h 08' 53''
Autoproduit JCW 078 (www.jazzcookersworkshop.com)
Un véritable plaisir que ce disque, autant pour la musique
que pour ses partis pris. Ils sont nombreux, et d’abord celui de rendre hommage
à la grande, la magnifique musique de Charlie Mingus à une époque ou pour des
raisons de droits d’auteur le plus souvent ou d’égo mal placé, trop de
musiciens, dans le jazz aussi, se pensent investis de la nécessité d’écrire de
la musique sans en avoir le talent, alors que le jazz a tant produit de matière
splendide, à toutes les époques, et parfois encore aujourd’hui. Alors voilà un
album consacré à la musique de Charlie Mingus qui rappelle la richesse, la
beauté, la puissance de cette écriture extraordinaire, pétrie de blues. L’installation
en France de Ricky Ford y est pour beaucoup si on en juge par la présence de Fred
Burgazzi (Ze Big Band), et par les remerciements.
Un autre parti pris est ce respect de la musique, jouée dans
l’esprit d’origine, avec les qualités de chacun, et avec âme, naturel, ce qui
donne tout de suite la sensation de vie. Si on y ajoute le parti pris de garder les notions de blues
et d’expressivité dans l’esprit du compositeur, on comprend déjà que cette
musique doit être vivifiante en live,
et, performance, elle reste en relief dans cet enregistrement réalisé à
Mantes-la-Jolie. Si on comprend que les moyens sont limités par le côté
spartiate bien que précis de la pochette, les remerciements à Charles Mingus,
Ricky Ford, Bobby Few et toute la fratrie des musiciens américains de Paris,
parmi tout un ensemble de musiciens, dénote aussi du dernier parti pris, celui
de la solidarité. C’est d’ailleurs grâce à une souscription que cet album a été
édité.
Quand on pense à cette musique foisonnante de Charles Mingus,
on ne peut que féliciter ces musiciens, Matchito Caldara, le leader du groupe, en
premier, mais aussi Fred Burgazzi (bons chorus), l’excellent Clément Prioul au
piano, un contrebassiste, Arthur Henn, à la hauteur de l’enjeu, un bon Laurent
Dumont au sax baryton sur deux thèmes, et plus largement tout le groupe, de
restituer l’esprit et la dimension collective, indispensable à l’univers de
Charles Mingus, avec respect, avec la dimension blues, mais aussi avec une énergie
et un drive qui font plaisir, avec une liberté aussi organisée qu’inattendue de
nos jours («Gunslinging Bird»). Une mention spéciale pour le beau thème de Sy
Johnson, «Wee» et pour le thème de George Adams «Flowers for a Lady». Une très belle
découverte qu’on souhaite retrouver souvent sur les scènes festivalières. Le
Jazz Cookers Workshop, c’est autre chose!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Scott Hamilton/Karin Krog
The Best Things in Life
The Best Things in Life Are Free, I Must Have That Man, Will
You Still Be Mine, How Am I to Know, Don't Get Scared, Ain't Nobody's Business,
We Will Be Together Again, Sometimes I'm Happy, What a Little Moonlight Can Do,
Shake It, But Don't Break It!
Scott Hamilton (ts), Karin Krog (voc), Jan Lundgren (p),
Hans Backenroth (b), Kristian Leth (dm)
Enregistré les 1, 2 et 5 juillet 2015, Copenhague
Durée: 51' 54''
Stunt Records 15192 (Una Volta Music)
Enregistré au Danemark, cette coproduction des deux leaders
est un bel enregistrement avec le toujours magnifique Scott Hamilton (Jazz Hot n°635), dont la sonorité est un
archétype du ténor en jazz – un disciple de Lester Young – réunissant
originalité, puissance et suavité dans une forme de classicisme toujours
renouvelé par une inventivité et un swing permanents, cela pour le plus grand
plaisir des amateurs de jazz dont nous sommes. A ses côtés, une légende, aujourd’hui, du jazz vocal
norvégien, Karin Krog, née en 1937 à Oslo, qui s’est fait une spécialité de
rencontres de haut niveau dans le jazz (et parfois hors jazz) avec notamment
Dexter Gordon, Kenny Drew, NHØP, Steve Kuhn, Don Ellis, Archie Shepp, Red
Mitchell, John Surman, Paul Bley, Jan Garbarek… D’une lignée très ancienne de
chanteurs-musiciens, elle a au cours de son riche parcours abordé tous les
registres du jazz, des standards à la musique improvisée, avec un bonheur
certain. Elle a naturellement côtoyé les musiciens scandinaves, et on
retrouve ici une belle rythmique avec l’excellent Jan Lundgren au piano
(directeur artistique par ailleurs du festival de jazz d’Ystad), toujours aussi
adaptable à tous les contextes – ici mainstream – un vrai talent de grand
accompagnateur (Jazz Hot n°666).
Le contrebassiste Hans Backenroth est né lui à Karlstad, en
Suède en 1966, et a accompagné les nombreux grands musiciens de jazz qui
parcourent la Scandinavie depuis ses 20 ans. A son palmarès: Harry Sweets Edison,
Clark Terry, Warren Vaché, Harry Allen, Ernie Watts, Kenny Barron, Benny Green,
Horace Parlan, Roger Kellaway, Doug Raney, Svend Asmussen, Toots Thielemans, Ed
Thigpen, Butch Miles… Il fait partie de la belle tradition de contrebassistes
de jazz qui sont une des richesses de la scandinavie et plus largement
européenne. Kristian Leth, né à Copenhague en 1980, le benjamin, est un
batteur très musical, sans doute parce qu’il est également chanteur. Il
accompagne régulièrement les formations de Scott Hamilton lors des tournées en
Scandinavie et celles de Jan Lundgren. On constate d’ailleurs que la Scandinavie est bien
représentée dans ses composantes et que les liens entre musiciens de jazz y
sont étroits.
Le répertoire est constitué de standards, avec ce qu’il faut
de blues et de chaleur (hot) dans
l’expression pour faire un excellent album de jazz, in the tradition | |