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Bonne lecture!



Des extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes signalées par une info-bulle.


© Jazz Hot 2016

Sam Coombes Trio
Pace of Change

Perpetual e-motion, Contagion, In the interstice, Mondeville juillet 2013, Interfacing you, Altered asymmetries, Fault lines, Go re-configure, Pace of change, perpetual e-motion (alternate take)
Sam Coombes (as, ss), Yoni Zelnick (b), Julien Charlet (dm)
Enregistré le 5 décembre 2013 et le 7 janvier 2014, Paris
Durée: 58'36''
Pol-e-Math Recordings SCPR01 (Socadisc)


Un saxophone (alto ou soprano) une contrebasse, une batterie, voilà bien la forme de trio la plus audacieuse et la plus exigeante. Si le choix délibéré et le mélange de métriques impaires ne facilitent pas la perception du swing, en revanche, ceux-ci subliment celle du groove, omniprésent. Très dynamique, la section rythmique donne le tournis à l'auditeur et des ailes au soliste. Servie par des virtuoses de leur instrument et, affranchie de tous les codes habituels, cette musique riche, pleine de surprises et de ruptures ne manque ni d'originalité, ni d'énergie. Complexe, elle exige toutefois une écoute très attentive pour être appréciée à sa juste valeur.

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Charlie Parker
Intégrale. Volumes 7 à 11

Intégrale Vol. 7, Just Friends, 1949-1950
Intégrale Vol. 8, Laura, 1950
Intégrale Vol. 9, My Little Suede Shoes, 1950-1951
Intégrale Vol. 10, Back Home Blues, 1951-1952
Intégrale Vol. 11, This Time The Dream’s on Me, 1952
5 coffrets de 3 CDs avec livrets et discographies détaillés par Alain Tercinet
Enregistrés de 1949 à 1952
Durée: environ 18h d’enregistrement
Frémeaux & Associés 1337-1338-1339-1340-1341

La maison Frémeaux, avec le concours d’Alain Tercinet à la plume et à l’érudition, poursuit avec talent et conviction cette intégrale essentielle, et on s’en réjouit, bien qu’elle précise toujours avec modestie les limites de l’exercice. Il est en effet très étonnant de constater que Charlie Parker, mort à 35 ans, a laissé une telle profusion d’enregistrements, qu’ils soient officiels, pirates ou quasiment clandestins. Quelle que soit la qualité sonore, toute note de Charlie Parker, comme on peut le dire de Louis Armstrong, est précieuse. Autre paradoxe d’ailleurs, car si Louis Armstrong les distillaient avec une économie certaine, l’art de Charlie Parker plonge ses racines esthétiques dans la profusion tatumesque, autant dire qu’il remplit l’espace et que les silences sont rares, l’intensité trouvant curieusement son compte dans la profusion de l’un et l’économie de l’autre, le mystère et la diversité du génie.
Dans le septième coffret, on débute par les concerts au Carnegie Hall, placés toujours sous l’égide du blues. Le constat est fait dans ce cadre, dès 1949, qu’il n’y a aucune rupture et révolution, puisque se côtoient les générations fondatrices et nouvelles (de Lester Young à Charlie Parker), sans aucun hiatus, le langage est celui d’un jazz hot où le swing, le blues sont les maîtres mots, même si le grand enfant provocateur, Charlie, affirmait le contraire comme le raconte Alain Tercinet. L’ajout que Lester ne l’avait pas influencé, relaté par Tercinet, étant sans doute l’habituel petit jeu avec la critique de dire le contraire de ce qu’on pense pour alimenter une provocation dont les racines sont particulières au monde afro-américain. Ce type de relation avec les médias, plus attentif au sensationnel qu’à l’essentiel, ne s’arrêtera pas là. Nous, oui. Parlons plutôt de ces quatre premiers thèmes qui ont l’avantage de nous présenter des enregistrements longs où le blues est roi, comme toujours chez Parker, et bien entendu les Lester, Roy Eldridge, Buddy Rich, Flip Phillips, et les jeunes Ray Brown et Hank Jones ne s’en laissent pas conter. C’est splendide!
On passe ensuite à ce qui fera polémique pour les amateurs de jazz tant qu’il y en aura… Le jazz est-il compatible avec les violons? Ce n’est pas une question de système ou de technique, mais de personne. Charlie n’est d’ailleurs pas le premier à l’avoir tenté, et il ne sera pas le dernier. On ne reprendra pas la polémique, et on répondra oui, quand le musicien s’appelle Charlie Parker (ou Ben Webster, ou Wynton Marsalis…), mais il n’est pas donné à tous les musiciens de pouvoir survoler des cordes, magnifiquement arrangées ici, avec beaucoup d’intelligence. C’est parfois aussi une question de moment ou de production. Charlie Parker a cette liberté extraordinaire de ne pas altérer son discours, et de savoir imposer son discours avec un lyrisme serein, pour cette fois, mais aussi avec la maestria du soliste d’exception, qualité qui en impose à tous, musiciens classiques en particulier. C’est sans nul doute un chef-d’œuvre de l’histoire de la musique tout court. Parce que Charlie Parker est sans doute un génie naturel, comme Django, de l’histoire de la musique, et qu’il s’impose à tous les langages. Son «Summertime» est digne de celui de Sidney Bechet qui a en a fait une autre merveille de l’humanité dès 1939 – avec Meade Lux Lewis (p) Teddy Bunn (g) Johnny Williams (b) Sidney Catlett (dm) et en 1947 avec James P. Johnson (p) Danny Barker (g) George Pops Foster (b) Warren Baby Dodds (dm). Années des Dieux donc! Ceux du jazz, en l’occurrence. Mais ce disque avec cordes est dans son ensemble un bonheur absolu, un événement musical. Le problème avec Charlie Parker, c’est que le reste de ce coffret est aussi essentiel, et toujours à cause de lui, même s’il est toujours bien entouré dans les petites formations, de jeunes (Roy Haynes, Art Blakey, Red Rodney…) ou moins jeunes (Bud Powell, Fats Navarro, Al Haig…). Il faut aussi remarquer ses thèmes: «Ornithology», «Cheryl», et malgré l’avalanche de notes, tout est mélodieux, clair, intense, parfait!… et à base de blues qu’il grave sur mille facettes comme un diamantaire. Sur le blues, Charlie Parker semble inépuisable, et il se permet de citer l’introduction de Louis Armstrong de «West and Blues» dans le cours de son chorus, histoire de provoquer sans doute… ou de rappeler à quel monde il appartient pour ceux qui ont des oreilles. Le jeune Red Rodney est un sacré musicien pour suivre le torrent sur «Koko». Le lyrisme à la Lester reprend parfois le dessus, mais les idées de Charlie se bousculent, et sa façon de les exploiter impose un discours plus foisonnant et débridé que celui de son aîné.
Pour la suite, avec Fats Navarro, un autre extra-terrestre, de la trompette, le métronome est définitivement mis de côté. Conserver, comme Tatum, un tel sens de la mélodie, sur un tel tempo, avec un tel débit, relève de la prouesse mais aussi du génie musical. Fats Navarro ne refuse pas le challenge, et il ne faut pas moins que Bud Powell, Curley Russell et Art Blakey pour suivre ce train d’enfer sans lasser. L’un des facteurs qui rend cette musique si spéciale est aussi l’intensité. Les grandes voix du jazz, de Louis à Hawkins, en passant par Duke, Basie, Ella, Billie, Bessie, Mahalia, Lester, Benny Carter, Bud Powell, Dizzy, Monk, Mingus, Coltrane, ont en commun cette sur-intensité qui attire tous les publics, même profanes.
En ce début des années cinquante, Parker alterne donc entre la formation avec Fats Navarro, Bud Powell, Blakey et celle avec Al Haig, Red Rodney et Roy Haynes et, égal à lui-même, il exploite un répertoire assez balisé de ses compositions, celles de Thelonious Monk ou les standards. Du grand art!

Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueLorenzo Di Maio
Black Rainbow

Back Home, Détachement, No Other Way, Black Rainbow, Lonesome Traveler, September Song, Inner Peace, Open D, Santo Spirito
Lorenzo Di Maio (g), Jean-Paul Estiévenart (tp), Nicola Andrioli (p, key), Cédric Raymond (b), Antoine Pierre (dm)

Enregistré en Novembre 2015, Bruxelles

Durée: 55' 47''

Igloo Records 273 (Socadisc)


Né dans une famille de musiciens, Lorenzo Di Maio a choisi la guitare à l’âge de 15 ans. Il a suivi des cours avec presque tous les guitaristes qui font autorité en Belgique: Paolo Loveri, Paolo Radoni, Jacques Pirotton, Peter Hertmans… En 2009, diplômé du Conservatoire de Bruxelles, remarqué par ses pairs, il joue aussi bien du dixieland avec ses oncles(Jo et Santo Scinta) que de la soul avec Laurent Doumont (ts, voc). Initialement influencé par Aaron Parks, John Scofield et Pat Metheny («Open D»), son jeu s’est enrichi au contact des musiciens de sa génération. C’est avec Fabrice Alleman (cl, sax) et le groupe 4in1 de Jean-Paul Estiévenart (tp) qu’il se fit particulièrement remarquer. Black Rainbow est le premier disque à son nom; il y signe toutes les compositions. Elles sont le reflet de ses acquis. Alors qu’on s’imaginait découvrir neuf plages énergiques, le guitariste dévoile une sensibilité pour les harmonies délicates (solo de guitare sèche en coda de «Santo Spirito»)et un feeling tout en couleurs et nuances («Black Rainbow», «Lonesome Traveler»). Les mélodies sont agréables et structurées rigoureusement («September Song»). Les sidemen, attentifs aux riches arrangements, fusionnent dans l’écriture du leader, y puisant leur propre force créative. Ils sont tous majestueuxen solos ! Nicola Andrioli (p/«Detachement» & «September Song») et Jean-Paul Estiévenart (tp/«No Other Way», «Lonesome Traveler») occupent des places de choix. Mention spéciale aussi pour les ponctuations originales d’Antoine Pierre (dm) à la cymbale cloutée («Lonesome Traveler») et les solos dans «September Song» et «Santo Spirito». Outre le fait qu’on découvre un nouveau et séduisant compositeur-arrangeur, le plus remarquable: c’est que nous sommes à l’écoute d’un travail de groupe. Ecoutez, par exemple: l’accompagnement du guitariste (plusieurs guitares) sur le solo de basse de «Black Rainbow»; l’exposé et les questions-réponses trompette/guitare de «Santo Spirito». Ce quintet est la réunion de ce qui se joue le mieux à Bruxelles aujourd’hui. Notez bien leurs noms, vous allez les retrouver un peu partout, individuellement ou en groupe, de New York à Tokyo, de Reykjavik à Cape Town dans les années qui suivent… Parce qu’ils le valent bien!

Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°676, été 2016

Sylvia Howard
Sings Duke Ellington with the Black Label Swingtet and Friends

It Don’t Mean a Thing*, Sophisticated Lady°*, I’m Beginning to See the Light*, Perdido, Rocks in My Bed, Love You Madly°, In a Sentimental Mood, Don’t Get Around Much Anymore, Duke’s Place**, Come Sunday, Just Squeeze Me, Caravan**
Sylvia Howard (voc), Christian Bonnet, Antoine Chaudron (ts), Georges Dersy (tp), Jean-Sylvain Bourgenot (tb), Jacques Carquillat (p), Jean de Parseval (b), André Crudo (dm) + Claude Carrière° (p), Jean-Jacques Taïb* (cl), Didier Vétillard** (ss)
Enregistré en 2014, Ermont (95)
Durée: 52’ 06’’
Black & Blue 797.2 (Socadisc)


Paris possède peu de chanteuses de la trempe de Sylvia Howard. Il est d’autant plus dommage qu’on l’entende si peu en club et qu’elle n’en soit, à ce stade de sa carrière, qu’à son deuxième disque sous son nom (après Now or Never, Black & Blue, 2012), toujours accompagnée par le Black Label Swingtet de Christian Bonnet. Mais les personnages comme Sylvia, aussi talentueux que fantasques, ont des natures mal adaptées à notre époque normative qui a laissé les professionnels de la culture et du showbiz prendre le pas sur les grands producteurs à l’oreille avertie. On sait donc gré à Christian Bonnet d’avoir permis une nouvelle fois à la chanteuse de s’exprimer, qui plus est sur le plus beau des répertoires: la musique de Duke Ellington. Ellingtonien passionné, le ténor signe d’ailleurs les arrangements (sans fioritures) de cet album. La performance de Sylvia Howard est évidemment à la hauteur de nos attentes: son swing, ses belles intonations blues, sa voix légèrement rauque font merveille et l’on attrape des frissons avec «Come Sunday» où elle livre une interprétation aussi sensible que puissante. Le Black Label Swingtet et ses invités soutiennent honorablement Miss Howard, mais pour tout sympathique qu’il est, cet orchestre, essentiellement composé de musiciens non professionnels, ne parvient pas à se hisser au niveau de l’interprète principale. Hormis Jean-Jacques Taïb – qui est excellent à la clarinette –, aucun soliste ne retient vraiment l’attention.
On rêve encore que Sylvia Howard fasse l’objet d’un véritable projet construit autour de sa personnalité et réunissant des musiciens capables d’entrer en dialogue avec elle. Il n’en manque pas, notamment à Paris. Reste à savoir s’il reste des acteurs du jazz suffisamment imaginatifs pour s’emparer de l’idée
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Jérôme Partage
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJim Rotondi
Dark Blue

In Graz, BC, Biru Kirusai, Dark Blue, Highline, Pure Imagination, Monk's Mood, Le Crest, Our Day Will Come, Going to the Sun.
Jim Rotondi (tp, flh), Joe Locke (vib), David Hazeltine (p, elp), David Wrong (b), Carl Allen (dm)

Enregistré le 15 juillet 2015, New York

Durée : 1h 04’ 13’’

Smoke Sessions Records 1602 (www.smokesessionsrecords.com)

Voilà, un excellent disque bop de Jim Rotondi (Jazz Hot n°663). L'atmosphère n'est pas sans faire penser aux séances Blue Note avec Bobby Hutcherson, rôle ici tenu par Joe Locke. C'est le cas dans «Monk's Mood», la meilleure plage de l'album où David Hazeltine swingue bien. Ce pianiste a un bon feeling et sait rester sobre quand il faut, notamment dans «Dark Blue» où le bugle du leader est dans la lignée lyrique de Freddie Hubbard. On notera la courte citation du «Vol du Bourdon» dans le solo de piano de «In Graz» (dédié à la ville autrichienne où enseigne Rotondi). Hazeldine est l'auteur du bon thème, «Highline», la majorité des autres est signée Rotondi. Joe Locke est partout excellent et cette séance avec vibraphone au lieu d'un sax donne une couleur sonore très plaisante. Jim Rotondi a, outre l'inspiration, une excellente maîtrise du bugle et de la trompette avec une belle qualité de timbre (sombre). Il est très proche de Freddie Hubbard («BC» – pseudo blues de 16 mesures –, «Our Day Will Come», etc), c'est dire le niveau. Tout le monde s'exprime en solo, même Carl Allen («Highline») et David Wong («Le Crest»). Le texte du livret est une interview de Jim Rotondi. Bref, les amateurs de Jim Rotondi et... Freddie Hubbard ne seront pas déçus
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Michel Laplace
© Jazz Hot n°676, été 2016

Louis Armstrong
Intégrale Vol. 14. Constellation 48

Titres détaillés dans le livret
Louis Armstrong (tp, voc), Jack Teagarden (tb, voc), Barney Bigard (cl), Dick Cary, Earl Hines (p), Arvell Shaw (b), Sid Catlett (dm), Velma Middleton (voc)

Enregistré entre le 16 octobre 1947 et le 2 mars 1948, New York, Nice, Paris

Durée : 3h 49’ 22’’

Frémeaux & Associés 1364

Le nom de Louis Armstrong est désormais attaché à celui de son «All-Stars». Il s'engage dans le rôle de l'ambassadeur international du jazz le plus indiscutable dans ses ingrédients. On débute par une séance de 4 titres pour RCA, versions différentes de thèmes joués dans le film A Star is Born. Les deux meilleurs sont «Please Stop Playing Those Blues» et surtout «A Song was Born» (le drive foudroyant de Louis à la trompette prouve qu'il n'était pas l'instrumentiste fini que voulaient faire croire les tenants du progressisme). Bien sûr le maître est en train de roder une stratégie de concert et une routine de répertoire illustrée par la retransmission depuis Carnegie Hall (le 15 novembre 1947) où après un indicatif (pour l'heure : la trompette massive de Satchmo dans le blues, «Back O'Town Blues»), il y a les fameuses «spécialités» des membres du groupe («Body and Soul» par Barney Bigard, «Stars Fell of Alabama» par Mr Tea). La présence et puissance de Louis Armstrong balaye tout dans «Rockin' Chair». L'éditeur a choisi de ne pas inclure l'intégralité de ce concert pour ne pas faire trop de doublons (le but est pourtant celui de l'intégrale). Cette réédition documente bien le retour triomphal de Louis Armstrong en France, d'abord au Festival International de Jazz de Nice puis en concert à Paris. Double indispensabilité donc, puisque, outre la splendeur de Louis Armstrong bien entouré, ces documents sonores immortalisent (pour ceux qui s'y intéressent encore) une manifestation nouvelle en jazz, promise (on ne le sait pas encore) à un avenir (qui contribuera à la perte du genre par buts trop lucratifs) : le festival de jazz, célébration sur plusieurs jours. Nous sommes donc de plein pied dans l'histoire. Michel de Bry et Paul Gilson se sont occupés de la Radiodiffusion Française, Paris-Inter, Poste Parisien et autres (BBC, Radio Monte-Carlo, RTB, des radios suisses, scandinaves, tchèques, d'Autriche et Hongrie), ce qui permit de préserver des moments essentiels de l'évènement. Hugues Panassié fut chargé de la programmation et pour lui, Louis Armstrong s'imposait (à juste titre) pour une manifestation de ce genre. En dehors des salons de l'hôtel Negresco pour la finale, Nice a mis à disposition l'Opéra et le Casino. La fin du CD1 aborde le «Gala Constellation 48» (référence à l'avion, fleuron d'Air France, partenaire du festival) donné par le All-Stars redevenu Hot Five, à l'Opéra, le 22 février 1948. Louis Armstrong est étourdissant de puissance dans «Rockin' Chair». Des «spécialités» encore comme ce remarquable «Boogie Woogie on the St. Louis Blues» par Earl Hines et Arvell Shaw très en forme, «Rose Room» par Barney Bigard, modèle de sonorité de clarinette, et Sid Catlett. Le CD2 débute par le désormais incontournable indicatif, mais ici joué en entier, «When It's Sleepy Time Down South» et un problème technique de prise de son (la trompette de Louis est impériale et généreuse!). La qualité de son est inégale d'un titre à l'autre, par exemple le 23, entre «Mahogany Hall Stomp» (Louis repend avec classe son solo historique avec note tenue) et «Royal Garden Blues», mais il est hors de question de chipoter l'histoire, on s'incline! Tout le groupe est en forme, galvanisé par l'ambiance, donc tout est du jazz d'envergure. Le CD3 propose des extraits du concert du 2 mars à Paris retransmis par Paris-Inter (à noter la note loupée de Louis dans «Dear Old Southland», rendant le génie humain). A suivre.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°676, été 2016

Les McCann Trio
Live in Paris. 28 juillet 1961

A Little 3/4 Time for God & Co, Vacushna, I Am Love, Everything Happens to Me, The Truth, Little Girl Blue, They Can't Take That Away from Me, Vacushna (Reprise), How High the Moon, I'll Take Romance, Unidentified, Out of This World, Oh Them Golden Gaters, Red Sails in the Sunset, Someone Stole My Chitlings, Deed I Do, Dorene Don't Cry, Come on and Get That Church
Les McCann (p), Herbie Lewis (b), Ron Jefferson (dm)

Enregistré le 28 juillet 1961, Paris

Durée: 2h 07' 19’’

Frémeaux & Associés 5635 (Socadisc)

Les McCann (né en 1935) qui a débuté au tuba dans une fanfare, est vite devenu à partir de 1958 un pianiste populaire à la tête d'un trio porté par la mode dite «funky» et «soul» en réaction à la précédente dite «cool». On disait aussi «churchy» à l'époque (le dernier titre est explicite : «Come on and Get That Church»). Comme le rappelle le livret, ce trio fut la «révélation» du deuxième festival d'Antibes, en juillet 1961, peu de temps avant cet enregistrement réalisé en club, au Caméléon. L'ambiance en club est bien présente ici, avec la tendance qu'on y trouve d'y faire durer le plaisir : un «How High the Moon» de 11'33» et un «Out of This World» de 10'29» qui comptent parmi les bons moments de ce double CD. Il est difficile de placer Les McCann au même niveau qu'un Bud Powell, vedette du Blue Note, et d'un Memphis Slim, star des Trois Mailletz, mais sa musique s'écoute sans déplaisir. Du «easy listening». McCann peut être low down et répétitif («A Little ¾ Time for God & Co»), et il sait swinguer («Vacushna», «Oh Them Golden Gaters», «Someone Stole My Chitlings»). Il n'est pas sans évoquer Ray Charles («The Truth») ou Erroll Garner, non seulement par des grognements et un certain sentimentalisme ici ou là (longue introduction à «Red Sails in the Sunset»). Les «fabricants de musique» qui l'entourent sont louables : Ron Jefferson est notamment en valeur dans «Unidentified», et Herbie Lewis dans «Out of This World» et «Deed I Do». Le programme, comme souvent, alterne standards et compositions personnelles de Les McCann. Un trio beaucoup plus concerné par le cœur du jazz que la quasi-totalité des groupes actuels de ce type
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Michel Laplace
© Jazz Hot n°676, été 2016

Hard Time Blues 1927-1960
Political and Social Blues Against Racism at the Origin of the Civil Rights Movement

Titres et personnels détaillés dans le livret
Enregistré entre le 17 décembre 1927 et le 5 octobre 1960, New York, Chicago, Oakland, Houston, Aurora, Los Gatos, Los Angeles, Cincinnati, Detroit, Englewoods Cliffs

Durée : 2h 08’ 58’’

Frémeaux & Associés 5480 (Socadisc)

Partir d'un fait social pour une compilation musicale donne des résultats aussi discutables qu'hétérogènes comme Bruno Blum sait le faire pour le même label. Là, à l'inverse, comme le genre musical est clairement circonscrit, le résultat musical est homogène et cohérent. Le fil conducteur n'est qu'un prétexte à la sélection des titres. Les paroles de blues ne sont pas les seules à véhiculer la «contestation» puisque le «country (folk)» a milité aussi, ainsi que la bonne chanson en général (on pense à Boris Vian). Les paroles de blues sont bien plus diverses comme le livre Le Monde du Blues de Paul Oliver (1962, Arthaud) le démontre, abordant tous les sujets (inondations, etc). Le thème choisi n'était pas simple. A l'exception tardive de Lead Belly (qui cite Bunk Johnson dans «Jim Craw Blues», 1944), Josh White, Sonny Terry qui fréquentaient les chanteurs folk engagés (Woody Guthrie) soutenus par une fraction blanche «libérale», puis Big Bill Broonzy («Black, Brown and White») et J.B. Lenoir, «aucun Noir ne se serait avisé de protester» (Paul Oliver). Donc, la sélection faite pour illustrer ces «temps difficiles» n'est pas le commentaire socio-politique auto-censuré (pour le disque), mais l'expression de ses conséquences ressenties (discrimination – Jim Craw –, pays ingrat – Uncle Sam –, chômage, prison, etc.) et de ses espoirs (Roosevelt). Les auteurs du livret, Jean Buzelin et Jacques Demêtre, commencent par citer LeRoi Jones (peu recommandable comme la nécrologie de Jazz Hot l'a démontré): «Le blues...c'est en premier lieu une forme poétique et en second lieu une façon de créer de la musique». Pour le signataire le premier rôle du blues est celui présenté comme second : musical. Et de ce point de vue, ce coffret est un régal. Outre ce que nous avons cité, signalons : «Uncle Sam Says» (guitare de Josh White), «Uncle Sam Came And Get It» (Sammy Price, p!), «The Number of Mine» (pianiste et la basse de Ransom Knowling), «Cell no13 Blues» (Big Maceo, p, Buster Bennett, as), «County Jail Blues» (Tampa Red, g), «I'm Prison Bound» (Lowell Fulson, g/voc), «Penitentiary Blues» (Lightnin' Hopkins, g,voc), «Jim Crow Train» (Sonny Greer, dm), «Back-Water Blues» (Bessie Smith), «Florida Hurricane» (Sunnyland Slim, p, Muddy Waters, g), «Don't Take Away My PWA» (Horace Malcolm, p), «Walfare Store Blues» (Joshua Altheimer, p), «Back to Korea Blues» (Sunnyland Slim, p), «President's Blues» (J.T. Brown, ts, Sammy Price, p!), «The World Is In A Tangle» (Ernest Cotton, ts), «The Big Race» (Memphis Slim, p), les trois titres par Champion Jack Dupree (dont «Warehouse Man Blues» avec un très bon bassiste), plus encore «Crazy World» (Julia Lee, p/voc, Baby Lovette, dm avec Vic Dickenson et Benny Carter en duo de trombone!) et ««Hard Time Blues» (Edmond Hall, cl, J.C. Higginbotham, tb, Hot Lips Page, tp)! Choix arbitraires car tout est bon.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueVirginie Teychené
Encore

Jolie Môme, Elle ou moi, Madame rêve, Eu sei que tu amar, Allée des brouillards, Before the Dawn, Oralice, Both Sides Now, C’était bien, A bout de souffle, But not for Me, Encore, 13 septembre

Virginie Teychené (voc), Stéphane Bernard (p), Gérard Maurin (b, g), Jean-Pierre Arnaud (dm), Olivier Ker Ourio (hca)
Enregistré en décembre 2014, Pompignan (30)
Durée: 53’ 10’’
Jazz Village 570081 (Harmonia Mundi)


Virginie Teychené s’attaque avec bonheur à un répertoire de chansons; gageure comportant toujours le risque de s’engluer dans une interprétation «variété». Mais le pari gagné car ces chansons reprennent vie, deviennent autres par la grâce de la chanteuse et les arrangements du tandem Maurin-Bernard. Virginie chante d'ailleurs à la perfection en brésilien et en anglais.
Voyons d'abord les chansons françaises. Sur «Jolie môme» de Ferré elle démarre seule, et là on peut goûter la pureté, la tendresse de sa voix, la délicatesse du vibrato, la perfection de la diction, et des inflexions dont elle a le secret, et qui amènent tout naturellement la chanson au jazz. «Madame rêve» du regretté Bashung nous emmène effectivement dans un rêve éveillé, et l’harmonica de Ker Ourio fait merveille; il est certainement le plus grand harmoniciste d’aujourd’hui. Dans «Allée des brouillards» de Nougaro et Galliano elle se promène dans cette allée précédent un somptueux solo de Ker Ourio, avant de revenir au tableau. Un formidable «A bout de souffle» écrit par Nougaro sur le «Blue Rondo a la Turk» de Brubeck. Virginie s’en sort avec une apparente facilité, chaque syllabe éclate, avec entre autres un magnifique contrechant main gauche du pianiste et une riche partie de contrebasse. «C’était bien» le petit bal perdu de Bourvil; Virginie nous fait oublier, ou plutôt non, son chant se superpose à la douce nostalgie de la voix de Bourvil dans notre mémoire. Tant de tendresse et de saudade et puis le solo d’harmonica. La chanson est devenue une valse-jazz, un chef d’œuvre. Le «Septembre» de Barbara, toute la douceur de l’automne teinté de regrets s’avance par l’harmonica seule, puis juste la chanteuse et la contrebasse qui s’enrichit d’un contrechant de l’harmonica: on est dans le sublime. Le morceau respire le bonheur malgré l’adieu à l’amour qui s’en va, car on sait qu’il reviendra. En français encore «Elle ou moi» de Gérard Maurin et Marcus Malte, un joli texte avec un beau travail du batteur sur un rythme latino, et un arrangement aux petits oignons. «Encore» qui donne son titre au disque, de Virginie Teychené et Gérard Maurin voit celui-ci à la guitare dans une belle intro sur tempo médium lent avec le piano. Entendre comment Virginie tient la note, chose qui se perd chez les chanteuses aujourd’hui. L’hiver peut bien venir dit la chanson, oui, avec une telle musique on sera au chaud.
Les deux titres en brésilien «Eu sei que tu amar» de Moraes et Jobim avec intro guitare-harmonica est une bossa de la meilleure tradition avec le charme caressant de la voix; «Doralice» d’Almeida et Caymmi est une samba prise vocal batterie, du pur brésilien, un bijou. «Before the Dawn», en anglais, de Bernard et Teychené nous vaut une longue et splendide introduction du piano très Chopin où prévaut la délicatesse et le romantisme du pianiste, puis la chanteuse se mêle au piano: émotion garantie. Le standard des frères Gershwin «But not for Me» repose sur une belle partie basse-batterie sans piano. C’est le seul morceau vraiment scatté; Viriginie passe de l’aigu au grave avec une rapidité et une facilité confondantes, en fait elle chante comme si elle jouait du saxophone, avec une décontraction à la Sinatra.
Du grand jazz.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°676, été 2016

JCD 5tet
In! Out! Side!

9 titres (voir livret)

Adrien Varachaud (ts,ss), Rasul Siddik (tp), Tom McClung (p), Harry Swift (b), Jean-Charles Dejoie (dm)
Enregistré les 2 et 3 décembre 2014, lieu non précisé
Durée: 58’ 02’’
Autoproduit ([email protected])


On a affaire ici avec cinq musiciens de diverses nationalités mais qui tous se produisent souvent en France et ont déjà joué les uns avec les autres, et avec les meilleurs jazzmen qui passent par Paris. Ils se sont réunis pour ce quintet très homogène d’essence hard bop. McClung qui fut marqué par Monk et Ellington a fait une forte impression an 2015 avec son disque Burning Bright. C’est un réel plaisir de le retrouver dans le partage avec ses quatre compagnons. Il faut l’écouter sur «Spirit» en tempo médium, où l’on entend qu’il a assimilé toute l’histoire du piano jazz. Rasul Siddick a joué avec David Murray, Lester Bowie, Christian Brazier et autres pointures. C’est un trompettiste volubile avec des attaques au scalpel; il aime à parcourir toute la tessiture avec un son «écrasé» très pur faisant preuve de beaux développements comme par exemple sur «Silver»; probablement un hommage au célèbre pianiste. D’ailleurs, le quintet sonne très Horace Silver dans les arrangements, pour les expositions et les finals. Adrien Varachaud est très mordant au ténor, assez dans la tradition des ténors ellingtoniens pour le fond. On peut admirer des growls impressionnants dans le grave du ténor sur «To B or not to B». L’Anglais Harry Swift est venu à la contrebasse par Mingus; il est le piler du groupe de Bobby Few. Il met en place le groupe avec un accompagnement discret dans une bonne entente avec le batteur.
Un bon quintet dont la prestation repose sur des thèmes écrits par les musiciens, avec de longs solos, encadrés par des arrangements qui donnent un véritable son de groupe.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°676, été 2016

Dominique Fitte-Duval Quartet
Solisation

You Fly Around My Skin, Quand se dévoile l’abîme où veut mon cœur t’emprisonner, The Most Beautiful Day of Our Life Could Be Now, L’Etrange réunion, Les Mains dans les poches, La Parisienne, Pirate
Dominique Fitte-Duval (ss), Benoît Martin (key), Yoann Godefroy (b), Jean-Baptiste Palies (b)

Enregistré en 2015, Paris

Durée: 1h 15’

BBO JAZZ 0002 (dominiquefitteduval.com)


Le saxophoniste Dominique Fitte-Duval est venu assez tard au jazz, jouant du sax ténor en autodidacte; il étudie sérieusement la musique à 37 ans, en 1996, suit un cursus d’instrument, orchestre et arrangement à L’ARPEJ, tout en jouant dans les clubs. En 1999, il lance une jam session hebdomadaire au club Les 7 Lézards, qui devient un concert à part entière. Deux ans plus tard, il crée le Big Bœuf Orchestra. En avril 2004, il crée l'association BBO JAZZ, reprenant les initiales de son orchestre, en en changeant le sens, lequel devient le Le Bien Bel Orchestra. En 2005, il enregistre Night Harmony en grand orchestre avec vingt-deux musiciens. Et le voici à la tête de son quartet.
Au soprano, il a un son droit, sans vibrato, tirant vers le hautbois; un jeu sobre, sur toute la tessiture, sans effets ni envolées gratuites. Avance par petites phrases qui s’enchaînent dans la poursuite du discours, soutenu par une inspiration solide. Sur des tempos médium-rapides pour la plupart des morceaux. «The Most Beautiful Day…» ou encore «La Parisienne» sont assez emblématiques de ses qualités de saxophoniste et de compositeur-arrangeur, avec de beaux enchevêtrements sax-clavier.

Le pianiste s’exprime avec un jeu élégant et riche harmoniquement. Le contrebassiste possède un gros son avec attaques canon, il assoit le groupe de belle façon, si bien que les trois autres n’ont qu’à se laisser porter. Le batteur, d’un grand classicisme, connaît parfaitement son affaire, discret et efficace, toujours là où il faut.

Certes rien de révolutionnaire. On a affaire avec un jazz parfaitement dans la tradition et bien d’aujourd’hui, en ce sens que les musiciens s’expriment avec les canons de la modernité, sur des arrangements solides qui leur permettent de s’exprimer, d’aller au bout de leur chant en longs solos, dans une mise en place parfaite
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Serge Baudot
© Jazz Hot n°676, été 2016

Airelle Besson / Nelson Veras
Prélude

Ma ion, Pouki Pouki, O grande amor, Neige, Lulea’s Sunset, Full Moon in K., Vertiges, Body and Soul, Birsay, Time to Say Goodbye
Airelle Besson (tp), Nelson Veras (g)

Enregistré en 2014, Arles (13)

Durée: 47’ 47’’

Naïve 624911 (Naïve)



Airelle Besson
Radio One

Radio One, All I Want, The Painter and the Boxer, La Galactée, Around the World, Candy Parties, No Time to Think, People’s Throughs, Titi
Airelle Besson (tp), Isabel Sörling, Benjamin Moussay (p, key), Fabrice Moreau (dm)
Enregistré en 2015, Pernes-les-Fontaines (84)

Durée: 52’ 55’’

Naïve 625911 (Naïve)


Ceux qui ne la connaissent pas encore, pourront découvrir Airelle Besson dans ce Jazz Hot n°676: une musicienne de formation académique mais au parcours éclectique, ce qui l’amène, selon les occasions, à fréquenter avec le même talent le jazz comme des univers musicaux plus personnels.

Alors qu’elle présente un nouveau disque en quartet, Radio One, revenons d’abord sur le précédent opus, Prélude, en duo avec Nelson Veras, lequel avait échappé à nos radars. Comme Airelle Besson l’explique, ce disque est le produit d’une longue collaboration avec le guitariste brésilien et cette complicité s’entend. Le souffle sensible d’Airelle s’accorde joliment aux cordes délicates de son alter ego. Une douce poésie traverse cet album – à l’ambiance de musique de chambre –, dominé par les compositions de la trompettiste (Veras signant «Vertiges»), dont la plus marquante est «Neige», qui se distingue de l’ensemble par sa densité. Le seul standard abordé, «Body and Soul», confirme que le duo sait mettre ses qualités, et notamment sa grande finesse musicale, au service du jazz et de son patrimoine. Le principal reproche qu’on puisse faire à ce disque – valable également pour le suivant – est l’absence de notes de pochette. L’élégance de l’objet n’est pas tout…

Cinquième album en leader d’Airelle Besson, Radio One plante un univers très éloigné de Prélude. La formation est bien entendu différente mais c’est surtout la musique (dont la trompettiste est encore l’auteur) qui change de nature et rompt avec l’idiome du jazz. Le traitement électrique (le Fender Rhodes de Benjamin Moussay) comme les psalmodies d’Isabel Sörling amènent une sophistication quelque peu artificielle. Certains titres ont un caractère méditatif («Around the World»), d’autres sont plus rythmés («Radio One»), mais l’ensemble aboutit à un discours musical impressionniste, parfois déconcertant. Il correspond en tous cas bien aux conceptions défendues par la trompettiste, définissant le jazz d’abord par l’improvisation (et non par le rythme) et le souhaitant ouvert aux influences les plus diverses (plutôt qu’enraciné).

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueCecil L. Recchia
Songs of the Tree

Volga Boatmen, Naked City, Minor Moods, You’re Blase, The Breeze and I, Time on My Hands, Autumn Leaves, Ahmad’s Blues, The Party’s Over, Poinciana
Cecil L. Recchia (voc), Vincent Bourgeyx (p), Manuel Marches (b), David Grebil (dm)

Enregistré en juin 2013, Le Pré-Saint-Gervais (93)

Durée: 41’ 36’’

Black & Blue 804.2 (Socadisc)


Si un album-hommage à Ahmad Jamal est un projet naturel et légitime pour un pianiste, il est plus inattendu et audacieux de la part d’une chanteuse. C’est une sacrée bonne idée au vu du résultat, et c’est surtout se souvenir de ce beau disque chez Cadet, Ahmad Jamal With Voices (1967). Sans l’avoir entendue en live, ce qu’on ne manquera pas de faire le plus tôt, on peut donc déjà mettre au crédit de Cecil L. Recchia l’originalité du choix et la curiosité culturelle.
Elle a de plus posé des paroles sur des thèmes composés par le maestro et reprend également des standards ou traditionnels («Volga Boatmen») qu’Ahmad Jamal a immortalisé à sa façon si particulière.
Le livret, sans notes de pochettes (paroles de quelques morceaux), c’est dommage pour un premier disque, ne nous apprend rien de la jeune femme. Sur la toile, on apprend que la littérature américaine l’a conduite au jazz, confirmant la curiosité dont nous parlions, et qu’elle a étudié au CIM, à Paris, dont elle est originaire, qu’elle a monté son premier quartet en 2007. Deux ans plus tard, elle a participé à une série de concerts qui ont abouti sur le disque collégial Jazz à la récré (EMI). Enfin, Cecil L. Recchia, qui a suivi des master-classes avec Michele Hendricks et Barry Harris, est professeur de jazz vocal, ce qui suppose déjà une maîtrise certaine de cet art.

Dotée d’une jolie diction, d’une voie expressive et nuancée, d’un swing indéniable, elle s’est également parfaitement appropriée la musique d’Ahmad Jamal, comme interprète et comme arrangeuse, partageant la direction artistique du disque avec David Grebil. Il est à noter que le trio qui l’accompagne est dans l’esprit, notamment Vincent Bourgeyx qui a la délicate mission de prendre place au piano pour évoquer un Maître.

On apprécie bien sûr ce «Volga Boatmen» qui rappelle le Ahmad Jamal historique de 1956, y compris dans le tempo et la manière de Bourgeyx, mais le disque dans son ensemble fait référence aux interprétations du grand artiste, avec un respect certain des tempos, de l’esprit des interprétations d’origine. Bien entendu, il n’y a pas lieu de comparer (bien que ce soit nécessaire à la chronique), mais de chercher ce qui est original et bien approprié. L’original, c’est la voix et le projet en lui-même, et le mérite est d’exploiter un si beau répertoire pour lui redonner une vie somme toute très agréable.

Voilà donc un premier album de bon goût et d’une évidente maîtrise. Cecil L. Recchia n’est pas pour l’instant un projet marketing mais une musicienne de jazz. On apprécie!

Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Muddy Waters
The Blues. Vol. 2. King of the Chicago Blues 1951-1961

CD1: Long Distance Call, Too young too Know, Honey Bee, Howlin’ Wolf, Country Boy, She Moves Me, My fault, Still a Food, They Call Me Muddy Waters, All Night Long, Stuff You Gotta Watch, Lonesome Day, Please Have Mercy, Who’s Gonna Be Your Sweet man, Sytanding Around Crying, Gone to Main Street, Iodine in my Coffee, Flood, My Life Is Ruined, Sad Sad day.
CD2: Baby Please Don’t Go, Blow Wind Blow, Mad Love, (I’m Your) Hoochie Coochie Man, I Just Want to Make Love With You, I’m Ready, Smokestack Lightning, Mannish Boy, I Got to Find my Baby, Sugar Sweet, Trouble No More, Forty Days and Forty Nights, All Aboard, Got my Mojo Working, Evil, She’s 19 Years Old, Close to You, Walking Thru the Park, Blues Before Sunrise, Mean Mistreater

CD3: Crawling Kingsnake, Hey Hey, Lonesome Road Blues, Southbound Train, Just a Dream, I Feel so Good, Woman Wanted, I’m Your Doctor, Deep Down in my Heart, Meanest Woman, I Got my Brand on You, Soon Forgotten, Tiger in Your Tank, I Feel so Good, Got my Mojo Working, Rock Me, Blow Wind, Blow, Real Love, LOnesome Room Blues, Messin’ with the Man

Muddy Waters (g, voc), Little Walter (hca, g), Junior Wells (hca), Big Walter Horton (hca), James Cotton (hca), Otis Spann (p), Jimmy Rogers (g), Hubert Sumlim (g), Pat Hare (g), Robert Jr. Lockwood (g), Luther Tucker (g), M.T. Murphy (g), Big Crawford (b), Willie Dixon (b), Andrew Stephen (b), Milton rector (b), Len Chess (dm), Elgin Evans (dm), Willie Nix (dm), Fred Below (dm), Francis Clay (dm), S.P. Leary (dm), George Hunter (dm), Al Duncan (dm), Marcus Johnson (ts),

Dates et lieux d’enregistrement précisés dans le livret

Durée: 1h02’ 07’’ + 57’ 49’’ + 1h 05’ 10’’

Frémeaux & Associés 273 (Socadisc)


Sous la direction de Gérard Herzhaft et Patrick Frémeaux, la maison Frémeaux & Associés poursuit son œuvre encyclopédique en proposant un second volume consacré à Muddy Waters, accompagné d’un livret de vingt-quatre pages. Le premier volume retraçait la période 1941-1950 et la première partie de la carrière de McKinley Morganfield, évoquant la plantation de Stovall, sa rencontre avec Alan Lomax jusqu’à son arrivée à Chicago et sa rencontre avec les frères Chess et leur label «Aristocrat». A cette époque, le format guitare, basse, batterie et harmonica était déjà bien installé. Avec l’électrification de sa guitare, Muddy Waters mettait le Chicago blues en route. En agrégeant le piano à son combo, il constituait la matrice de sa forme d’expression.
C’est en 1951 qu’apparaît Otis Spann (p) dans le paysage sonore de Muddy Waters. Le premier CD de ce nouveau volume expose ainsi le travail de l’ancien fermier avant l’arrivée du pianiste. Les quatre premiers titres présentent le trio organisé autour de la guitare avec Little Walter à l’harmonica et Big Crawford (b). Le blues du Delta que produit alors Muddy prend grandement appui sur la dextérité de l’harmoniciste et intègre enfin le Top Ten des meilleures ventes de blues («Long Distance Call»,«Honey Bee»). Il poursuit dans la voie du succès avec «She Moves Me», un morceau qui n’a pas perdu de sa saveur intrinsèque. Au cours de cette période, la guitare de Waters brûle de plus en plus de distorsion pour évoquer ses passions au rang desquelles celui des femmes («Still a Fool»). C’est le moment où apparaît aussi Junior Wells (hca) qui succède à Little Walter après que celui-ci a lâché le groupe pour une carrière solo.
C’est donc sur le deuxième CD que nous retrouvons Otis Spann qui apporte une nouvelle énergie au groupe. Il permet au maître du blues de Chicago d’élargir son audience. Une autre rencontre accélère le succès du King of Blues, c’est celle avec Willie Dixon. Elle a lieu au club Zanzibar lors d’une répétition dans les toilettes pour ce qui allait devenir un des titre les plus dévastateurs de l’histoire de la musique dans son ensemble(«Hoochie Coochie Man»). Les chansons créées à cette époque ont marqué les musiciens du British Blues, comme les Rolling Stones, Fleetwood Mac, Chiken Shack («Mannish Boy», «I’m Ready») et même au-delà comme les Doors («I Just Want to Make Love to You»). La complicité entre le pianiste et Muddy se développe aussi avec les guitaristes Jimmy Rogers, puis Hubert Sumlim («Trouble no More»). C’est encore le chanteur natif du Mississippi qui va faire éclore un autre harmoniciste en la personne de James Cotton («Close to You»). A cette époque, Muddy Waters effectue sa première tournée en Angleterre avec les conséquences que cela va avoir sur de nombreux musiciens du Royaume Uni. Le troisième CD correspond un peu au chant du cygne de cette période avec des titres qui n’obtiennent pas le succès des morceaux précédents («I’m Your Doctor», «Woman Wanted»). C’est aussi l’ère d’un changement de public avec la passion des étudiants blancs et des vieux fans de jazz qui redécouvrent l’essence du blues. Il ne reste plus qu’à l’amateur de musique en général et de blues en particulier à attendre la livraison d’un troisième volume sur la vie de Muddy.

Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJames Burton / Amos Garrett / Albert Lee / David Wicox
Guitar Heroes

That’s All Right (Mama), Susie Q, Sleep Walk, You’re The One, Comin’ Home Baby, Flip, Flop and Fly, Only the Young, Polk Salad Annie, Bad Apple, Country Boy
James Burton, Albert Lee, Amos Garrett, David Wilcox (g), John Greathouse (key, voc), Will Mac Gregor (b), Jason Harrison Smith (dm)

Enregistré le 12 juillet 2013, Vancouver Island (Canada)

Durée: 1h 02’ 01’’

Dixiefrog 8774 (Harmonia Mundi)


Un petit album hors des sentiers du jazz, mais qui comprend des guitaristes de qualité. James Burton a officié aux côtés de Rickie Nelson, Elvis Presley, Emmylou Harris ou Gram Parsons. Albert Lee a accompagné Eric Clapton et les Everly Brothers, Amos Garrett Bonnie Raitt et Paul Butterfly, enfin David Wilcox a joué avec Maria Muldaur et de nombreux artistes canadiens. L’album, capté live lors du festival de Vancouver Island se concentre donc sur la guitare et les enchevêtrements des quatre musiciens sont du plus bel effet. «You’re the One». Le jeu tout en slide d’Amos Garrett sur «Sleep Walk» est particulièrement délicieux, «Only The Young» d’une pureté incroyable et «Comin’ Home Baby» un moment revigorant qui reprend bien cet esprit des sixties. Les autres morceaux sont plus dans une veine plus country blues, quand ça n’est pas purement country avec une mention particulière pour «Polk Salad Annie» du grand Tony Joe White. Un album d’une grande qualité artistique qui fera le bonheur des fans de la six cordes
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Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueBig Daddy Wilson
Time

Time to Move, Bullfrog, She Loves Me, Mississippi John, Some Say, Time, Dead End Road, Would Ya Look at That Xar, Like a Sunny Day, New Zealand, Miss Dorothy Lee, Mama’s Words, We’re Ready, Daisy
Big Daddy Wilson (voc, fingersnaps), Eric Bibb (bjo, g, b, voc) + personnel détaillé sur la pochette

Date et lieu d’enregistrement non précisés

Durée: 51’34’’

Dixiefrog 8775 (Harmonia Mundi)


Avec Big Daddy Wilson nous nous trouvons en présence d’un ardent défenseur du blues dit rural. Quand, en plus Eric Bibb se joint au projet, le doute n’est plus permis. Time est un album de blues apaisant, entièrement acoustique, rondement mené par Big Daddy et sa voix profonde comme une entaille dans la terre du Deep South. Il est accompagné par les habituels partenaires suédois d’Eric Bibb (Staffan Astner, Olli Haavisto, Petri Hakala, elg), son ami de dix ans. En ce sens, pas de fioritures ni d’excès dans l’expression. Comme on peut l’entendre dans le délicat «Mama’s Words». Une douce ballade qui évoque une mère d’une voix feutrée agréablement soutenue par Ulrika Ponté. «Like a Sunny Day», se positionne dans une veine plus énergétique, avec le soutien de Bibb à la guitare acoustique et Astner sur l’électrique. Les chœurs donnent à la composition une couleur très seventies dans l’esprit gospel qui lui colle si bien. C’est donc en fin de partie, avec New Zealand» et «Miss Dorothy Lee», que les décibels augmentent, toujours par la magie des phrases du guitariste suédois. Big Daddy et son ami Bibb nous offrent ainsi une belle virée dans le pays de «Mississippi John».

Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueGuy Davis
Kokomo Kidd

Kokomo Kidd*, Whish I Hadn’t Stayed Away So Long, Talking Just a Little Bit of Time, She Just Wants to Be Loved, Like Sonny Did, Lay Lady Lay, Little Red Rooster°, Maybe I’ll Go, Blackberry Kisses, Have You Ever Loved Two Woman°°, Cool Drink of Water, Bumblebee Blues, Wear Your Love Like Heaven
Guy Davis (voc, g, bjo, hca, perc, key), Professor Louie (org, p), John Platania (g), Mark Murphy (b, cello), Gary Burke (dm), Chris James (mandolin, g) Davis Helper, Miss Marie Spinosa, Audrey Martells, Zhana Roiya (voc), Charlie Musselwhite (hca)°, Fabrizio Poggi (hca )°°, Ben Jaffe (tuba)*

Enregistré à Hurley (New York)

Durée: 1h 01’ 55’’

Dixiefrog 8779 (Harmonia Mundi)


Guy Davis n’est pas un débutant. A 63 ans, il possède déjà une bonne dizaine d’albums au compteur. Ce bluesman dans l’âme continue de perpétuer la musique de ses glorieux aînés. Il opte pour une veine plus acoustique qu’électrique en usant de banjo, guitare et harmonica mais les instruments électriques ne lui déplaisent pas non plus. Ainsi sur Kokomo Kidd, on entend aussi bien l’orgue Hammond de Professor Louie, que la guitare électrique de Chris James ou John Platania. En parlant de ses partenaires, il est bon de préciser que l’organiste fut membre de The Band qui accompagnât Dylan en son temps. John Platania pour sa part, s’est fait la main aux côtés de Van Morrison pendant une longue période, il est notamment présent sur les albums Astral Weeks et Moondance. Ces deux informations donnent un éclairage précis sur le contenu de cet album. Que ce soit à la guitare ou au banjo, Guy Davis nous plonge au cœur du blues. Ses références portent sur Howlin’ Wolf, Mississippi John Hurt, Willie Dixon ou Sonny Terry. La couleur de l’album est très rurale, même sur des chansons pop-rock comme le très beau «Lay Lady Lay» de Dylan. L’artiste bénéfice de deux guests sur l’album et notamment Charlie Musselwhite («Little Red Rooster»), le grand moment de cet album. Fabrizio Poggi (hca), se fait entendre sur un titre original «Have You Ever Loved Two Women» où il reste bien dans l’esprit des Sonny: Terry et Boy Williamson. «She Just Want to Be Loved» avec orgue et chœurs constitue l’autre moment agréable de l’opus du bluesman de New York. Sa voix évoque Elliott Murphy, qui s’exprime lui aussi avantageusement dans ce registre. Enfin, sa reprise de Donovan, aux accents reggae, termine de nous convaincre de la qualité de son expression artistique («Wear Your Love Like Heaven»). Guy Davis un artiste qui plonge dans ses racines et qui n’a pas peur de rafraîchir son idiome. Pour info, le bluesman sera en concert en France au mois d’août
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Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

Guillaume Nouaux Trio
Here Comes the Band

In a Mist, Five, Buddy Bolden Blues, Here Comes The Band, Zutty's Memories, Bethena, Bush Street Scramble, Russian Rag, Wrap Your Troubles In Dreams, Dark Eyes
Jérôme Gatius (cl), Didier Datcharry (p), Guillaume Nouaux (dm)
Enregistré les 29-30 janvier 2016 (77)
Durée: 40’ 49’’
Enregistré les 29-30 janvier 2016, Soignolles-en-Brie (77)

Autoproduit GN2016 (www.guillaumenouaux.com)

Michel Laplace vous a déjà parlé des réussites discographiques récentes du clarinettiste Jérôme Gatius (Echoes of Spring en duo avec Alain Barrabès, p) et de l'incontournable Guillaume Nouaux en trio (La Section Rythmique avec David Blenkhorn et Sébastien Girardot): la rencontre de ces deux-là pour un nouvel opus, Here Comes The Band ne pouvait être que du même niveau. Avec la complicité pour compléter le «Band» de Didier Datcharry, pianiste (bien connu grâce aux frères Chéron), Gatius et Nouaux nous donnent un voyage musical où la qualité d'interprétation n'a d'égal que l'originalité du répertoire choisi. «In a Mist» débute le CD, avec un piano bixien à souhait, puis l'inattendu et joli vibraphone de Guillaume Nouaux avant d'évoquer Wilson-Hampton-Goodman grâce à la contribution de Jérôme Gatius. Inutile de préciser la «modernité» de Bix qui vaut celle du Bill Evans de «Five» qui suit et où notre clarinettiste n'est pas sans nous évoquer Buddy de Franco. Gatius nous avait déjà servi une composition de Willie The Lion Smith («Echoes of Spring»), en voici une autre, « Here Comes the Band» et Didier Datcharry démontre sa maîtrise du sujet. Remontant dans le temps, nous redécouvrons «Bethena» de Scott Joplin (avec le vibraphone de Guillaume) ; le classic rag ayant beaucoup pris à la musique dite «classique» occidentale, ceci explique le style polissé adopté par nos trois artistes. Et Guillaume Nouaux? Toujours l'égal de Gene Krupa («Dark Eyes») et de Zutty Singleton («Zutty's Memories»). Dans le monde musical d'aujourd'hui, ce CD est d'une fraîche "indispensabilit
é".

Charles Chaussade
© Jazz Hot n°676, été 2016

 

Daniel Bechet & Olivier Franc Quintet
Sidney Bechet, ses plus grands succès

New J.B., Jacqueline, Montmartre Boogie Woogie, Sweet Louisiana/I'll Be Proud of You, Jojo, Buddy Bolden Stomp, Si tu vois ma mère/as-tu le cafard, Madame Bécassine, Wild Cat Blues, On the Sunny Side of the Street, Anitra's Dance, Song of Songs, Dans les rues d'Antibes, Summertime, Drums Fantasy, Petite Fleur, Sidney's Wedding Day, Les Oignons
Daniel Bechet (dm), Olivier Franc (ss), Benoît de Flamesnil (tb), Jean-Baptiste Franc (p), Gilles Chevaucherie (b)
Enregistré à Draveil (91)

Durée: 1h12’ 33’’
Autoproduction
([email protected])


Cette autoproduction est à l'évidence destinée aux ventes d'après concert et, n'en doutons pas, les admirateurs de ces prestations éphémères seront heureux de garder ce souvenir. Il ne faut pas confondre ce CD avec celui du même groupe, portant le même titre, Sidney Bechet, ses plus grands succès, produit en février 2014 par Frémeaux & Associés et où figure sept titres identiques. Le problème est un peu le répertoire déjà bien exploité, et il est douteux que le jazzfan chevronné s'intéresse à une version de plus de «Petite Fleur» ou «Dans les rues d'Antibes», aussi bien enregistrée fusse-t-elle. Certes, l’amateur aura en mémoire la même heureuse instrumentation avec Sidney Bechet et Vic Dickenson (tb) qui sont le fondement du style d'Olivier Franc et Benoît de Flamesnil. On est surpris de trouver ce «New J.B.» (J.B. pour Jean-Baptiste Franc, compositeur de ce bon thème-riff) au nombre des plus grands succès du maître. Mais ce n'est pas le moins intéressant et comme tout le monde y joue (très bien) en soliste c'est une bonne entrée en matière. L'autre réussite est le thème-riff «Drums Fantasy» d'Olivier Franc où toute l'équipe est en valeur en solo, notamment bien sûr Daniel Bechet. On écoutera aussi les moindre succès de Sidney, mais pas moins plaisants : «Jacqueline» (parfait pour la qualité lyrique d'Olivier Franc), «Montmartre Boogie Woogie» (belle sonorité de Benoît de Flamesnil!) et «Sidney's Wedding Day» (bon solo en slap de Chevaucherie). Bonne idée de reprendre en Franc duo, «Song of Songs» (si délicatement enregistré en 1947 par Sidney avec Lloyd Phillips et qu'il avait joué déjà en 1919 pour George V). Il y a des imperfections («Sweet Louisiana/I'll Be Proud of You») ou du presque hors sujet (très sympathique «Jojo» de Daniel Bechet en trio, d'esprit Pr Longhair-James Booker...mais la très créole «Madame Bécassine» de Sidney annonce ce gumbo; l'excellent piano stride à la Donald Lambert, en solo, sur «Anitra's Dance» de Grieg... mais Sidney aimait «le classique»). A l'actif, il règne un enthousiasme galvanisant dans tout le disque
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Charles Chaussade
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJoe Castro
Lush Life: A Musical Journey

Coffret de 6 CDs (titres et personnels détaillés dans le livret)

CD1: Joe Castro’s Jam Sessions/Abstract Candy
CD2: Joe Castro’s Friend/Falcon Blues, Teddy Wilson’s Jam Sessions
CD3: Joe Castro’s Jam Sessions/Just Joe
CD4: Joe Castro/Feeling the Blues, The Quartet Sessions
CD5: Joe Castro Big Band, Reflection
CD6: Teddy Edwards Tentet/Angel City
Enregistré de l’été 1954 à Mai 1966, Beverly Hills/Los Angeles (Californie), Somerville (New Jersey), Hollywood, Los Angeles (Californie)
Durée: 1h 08' 53'' + 1h 18' 20'' + 1h 06' 13'' + 1h 14' 15'' + 58' 25'' + 1h 01' 21''
Sunnyside 1391(www.sunnysiderecords.com)


A l’origine de ce projet discographique, on ne peut plus original, il ne fallait pas moins que le fils de Joe Castro lui-même, James Castro, et la curiosité insatiable de Daniel Richard, ex-disquaire indépendant, puis dépendant, puis ex-grand manitou du département jazz d’Universal Jazz France et depuis donc toujours producteur de disques et de bonnes idées réalisées avec une perfectionnisme qui dénote le grand amateur de jazz qu’il est resté au fond.
L’histoire de Joseph Armand Joe Castro (15 août 1927, Miami, Californie-13 décembre 2009, Las Vegas, Nevada), excellent pianiste, né sur la Côte Ouest, est tout sauf banale, et la restituer, à travers cette collection d’inédits récupérés at home, ainsi que l’iconographie d’origine familiale, rappelle que l’histoire du jazz s’est écrite de mille façons, dont parfois les plus improbables, comme cette rencontre romantique à Hawaï entre un pianiste qui s’y produisait, dont les parents sont d’origine mexicaine, qui vit par et pour le jazz depuis son plus jeune âge, et une riche héritière d’un empire du tabac des Etats-Unis, Doris Duke, qui cherchait sans doute un sens à sa vie, et qui le trouva, au moins dans cette belle histoire. Le déroulement de leur vie ne pouvait être ordinaire, et, pour cette fois encore, la poésie de l’une et de l’autre a été rendu possible par l’aisance qu’apporta à leurs projets artistiques l’empoisonnement de la collectivité. Tout n’est jamais totalement négatif.
Tous ces disques ont été édités à partir d’un matériel enregistré privé, conservé sans doute avec soin, mais aussi patiemment choisi et retravaillé sur le plan technique pour une belle mise en valeur, et il faut donc féliciter James Castro qui a lui même effectué les transferts et les restaurations. La proximité du son de ses sessions at home(il y a aussi des enregistrements studios), et quelle maison! (Falcon Lair, où a été aménagé un véritable espace dédié à la musique et au jazz, a été précédemment la résidence de Rudolph Valentino) est un vrai bonheur, et ça s’entend même sur CD… Et quand ce n’est pas Falcon Lair, c’est Duke’s Farm, dans le New Jersey, et le cadre n’est pas moins exceptionnellement enchanteur. Un rêve américain, celui d’une culture partagée, transposé dans le jazz.
Quand on entend Oscar Pettiford, Leroy Vinnegar, Teddy Wilson, Lucky Thompson, Zoot Sims, Stan Getz, Teddy Edwards, Chico Hamilton, Billy Higgins, Buddy Collette, comme si on était assis à un mètre, c’est exceptionnel! James Castro est particulièrement à féliciter pour cette réussite sonore.
Le concept maison est bien entendu la jam session, et il ne faut pas le regretter car il y a une vie et une énergie sereine qu’on retrouve rarement hors de ce cadre, une véritable joie de jouer. Il y a aussi dans ce matériel deux disques (5 et 6) édités à partir du matériel non édité prévu pour le label Clover Records, également créé par Doris Duke et Joe Castro (il y eut également une maison d’édition musicale, Jodo). Une vie mise véritablement en musique, avec la proximité des amis-invités, les musiciens de jazz d’abord, au premier rang desquels Louis Armstrong et Duke Ellington, avec une prédominance des musiciens de la Côte Ouest (Teddy Edwards, Buddy Collette…).
Joe Castro possède un talent réel de pianiste, dans l’esprit des grands classiques de ce temps quand on écoute attentivement, d’Oscar Peterson à Ray Bryant en passant par Erroll Garner, dans l’esprit de ces années cinquante si fertiles en pianistes exceptionnels, c’est-à-dire avec un swing évident, toujours la référence au blues. Le disque en big band, dans l’esprit Basie, nouveau testament mâtiné de Côte Ouest, arrangé par Joe Castro, définit assez bien son approche du jazz, avec un exceptionnel Leroy Vinnegar. Les musiciens sont splendides (Al Porcino, Conte Candoli, Frank Rosolino, Teddy Edwards…), et Joe Castro y démontre le caractère explosif de son jeu de piano, une belle technique (blocks chords en particulier) au service du jazz et une volonté d’originalité sans esbroufe. Malgré toutes ses qualités, Joe Castro n’a pas une grande discographie, essentiellement chez Atlantic (Mood Jazz et Groovy Funk Soul). Ses disques en leader sont rares, et il a joué tout au long de sa vie, depuis l’âge de 15 ans, accompagnant souvent (June Christy, Anita O’Day), aux côtés de Teddy Edwards (Sunset Eyes, Pacific, Teddy’s Ready, Contemporary), puis plus tard poursuivant une carrière d’accompagnateur à Las Vegas.
Ces six disques sont donc particulièrement bienvenus pour nous rappeler cette belle histoire du jazz que fut celle de Joe Castro, et pour nous donner à écouter ces magnifiques enregistrements inédits, car en dehors de Joe Castro, artiste généreux, lui-même à découvrir pour de nombreux amateurs, il a été à l’origine, dans le cadre d’une histoire très romantique, d’une belle aventure du jazz dont les protagonistes sont essentiels au jazz, et dont chaque note compte.
Pour illustrer l’esprit de ce beau coffret, on passera volontiers le «Sweet Georgia Brown», douzième thème du disque 4 (Teddy Edwards, Joe Castro, Leroy Vinnegar, Billy Higgins) ou le disque 3 pour la présence démesurée d’Oscar Pettiford, mais comme on vous l’a dit, chaque disque mérite qu’on s’y arrête.
Une petite idée en cas de réédition: une iconographie mieux traitée. Il y a sans doute de belles images à chercher chez CTS/Images dont les archives sont riches pour la Côte Ouest. Un petit mystère: ce coffret, intitulé «Lush Life», ne propose pas de version de ce thème, pourtant enregistré par Joe Castro pour Clover (331) en mars 1966, à notre connaissance le dernier enregistrement en leader de Joe Castro.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

John Coltrane
A Love Supreme: The Complete Masters

Part I-Acknowledgement, Part II-Resolution, Part III-Pursuance, Part IV-Psalm (alternate takes et version live: 22 plages au total)

John Coltrane (ts), McCoy Tyner (p), Jimmy Garrison (b), Elvin Jones (dm) + Archie Shepp (ts) et Art Davis (b) sur 6 alternate takes du CD2
CD1 et CD2: enregistré le 9 décembre 1964 (Impulse! A-77 et alternate), Englewood Cliffs (New Jersey); CD3: enregistré le 26 juillet 1965, Antibes-Juan-les-Pins
Durée: 50' 32'' + 1h 03' 33'' + 49' 17''
Impulse! 0602547489470 (Universal)


L’un des albums les plus célèbres et vendus du quartet de John Coltrane trouve ici une énième vie et prolongement, qu’on espère intégral, des versions parues sur ce label, avec les alternate takes de l’enregistrement studio, y compris deux versions mono, et par ailleurs la version live enregistrée au Festival d’Antibes/Juan-les-Pins de juillet 1965 (plus longue que la version studio), à l’origine éditée par l’INA en 1987 (l’institut national de l’audiovisuel) en version CD (Esoldun-INA FCD 106) et non pas en 2002 comme le note la partie discographique d’un livret dû à Ashley Kane, le spécialiste actuel de John Coltrane. Abondamment illustré, avec le texte manuscrit du texte accordé par la succession John Coltrane, de belles photos de Jean-Pierre Leloir, dont les archives sont en cours de dispersion malheureusement, de Bob Thiele, de Rudy Van Gelder, et peut-être d’autres… l’ensemble n’étant pas très lisiblement crédité.
C’est un objet original, contenant trois disques dans un format DVD, dépliant.
Notons pour la description que le Festival International d’Antibes/Juan-les-Pins/Le Cap (à l’époque), est rebaptisé improprement «festival mondial» sur le livret, et que ce même jour, le quartet joua également «Impressions» qui figure sur l’édition de l’INA de 1987, bien que la voix d’André Francis, présentateur à demeure à Juan, nous fait penser le contraire.
Pour les amateurs qui possèdent le Love Supreme édité ou réédité comme l’enregistrement de l’INA, ils ont déjà l’essentiel. Les autres ont donc la chance d’avoir une nouvelle édition enrichie de prises supplémentaires et d’un livret correct bien illustré.
Sur le quartet de légende, dans sa composition classique (Tyner, Garrison, Jones), il faut noter que la musique, pour être modale et incantatoire, n’en reste pas moins très accessible, dans ce registre inspiré de la musique religieuse afro-américaine qui est une clé essentielle de la compréhension du quartet, avec cette puissance de la conviction autant que du souffle du quartet. Pas seulement du saxophoniste, car les quatre musiciens sont véritablement inspirés, puissants et lyriques, comme en état de transe. C’est peut-être encore plus sensible à Antibes qu’en studio. Le leader est bien entendu essentiel, mais le quartet est vraiment en symbiose et au meilleur de son expression dans cette période, avec une telle intensité que le public en est parfois saisi autant que surpris, découvrant que le jazz n’est pas que ludique.
Avec le décalage du temps, la force de cet enregistrement reste, mais ce qui étonne le plus est que cette conviction a été possible à une époque, et on la retrouve aussi dans d’autres disques d’un jazz plus «classique», dans le blues, mais que cela paraisse presque impossible aujourd’hui dans les cadres qui sont les nôtres, aussi bien dans nos festivals normalisés et mondialisés que dans nos maisons de disques trop rares et si peu aventureuses d’aujourd’hui.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

François Ripoche / Alain Jean-Marie
The Peacocks

Manhã De Carnaval, Take the 'A' Train, You and the Night and the Music, Jazz Voyage, Body and Soul, Bright Mississippi, Central Park West, Trane's Slow Blues, Infant Eyes, Joy Spring, The Peacocks
François Ripoche (ts), Alain Jean-Marie (p)
Enregistré le 1er juin 2014, Nantes (44)
Durée: 47' 05''

Black & Blue 795 (Socadisc)

François Ripoche et Alain Jean-Marie aiment les beaux standards et le choix fait pour cet enregistrement est un all the best du jazz. Comme dirait Brassens: «il n’y a rien à jeter, sur l’île déserte, etc.». Compte tenu des excellents musiciens et de cette formule assez intimiste, cette conversation propose un beau voyage dans un répertoire d’exception mais aussi dans le jazz, car ces standards font référence à ce que le jazz a de mieux (Brown et Roach, Coltrane, Monk, Getz et Barron, Wayne Shorter, Ellington et Strayhorn, etc.), où les musiciens se sont fait un plaisir, partagé avec les auditeurs sur cet enregistrement. Il n’y a pas d’urgence dans cette musique, plutôt une sorte de sérénité, de plénitude, de dialogue attentif, avec une recherche d’authenticité jusque dans la méthode d’enregistrement (prises cohérentes sans retouche ou montage). De la musique de jazz pour le plaisir, comme le disait un célèbre label.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueChristian McBride Trio
Live at the Village Vanguard

Fried Pies, Band Introduction, Interlude, Sand Dune, The Lady in My Life, Cherokee, Good Morning Heartache, Down By The Riverside, Car Wash

Christian McBride (b), Christian sands (p), Ulysses Owens Jr. (dm)
Enregistré les 12-14 octobre 2014, New York
Durée: 1h 08' 29''
Mack Avenue 1099 (www.mackavenue.com)


Les lieux historiques du jazz, comme le Vanguard, ont cet avantage indéniable d’inspirer les musiciens de jazz, même les plus jeunes, et Christian Sands (22 mai 1989) est aussi jeune que brillant à son piano («Interlude»), et il serait injuste de ne pas en dire autant de beau batteur, Ulysses Owens, Jr. (6 décembre 1982). L’aîné Christian McBride (1972), le leader de cet enregistrement live, bassiste d’un talent hors norme («Good Morning Heartache»), retrouve dans cet environnement stimulant une veine jazz très classique dans un registre contemporain, loin de ses échappées électriques et binaires, qui montrent que le jazz reste ce terrain d’excellence de la musique auquel tiennent, quoi qu’ils disent et quoi qu’ils jouent, les musiciens qui font ou ont fait leur parcours au sein de cette entité culturelle qu’on appelle toujours le jazz parce qu’au fond elle correspond à l’un des mouvements artistiques majeurs du XXe siècle, et poursuit sur sa lancée, malgré les obstacles dressés sur sa route par les marchands de lessive et les fautes de culture dont se rendent parfois coupables, y compris les musiciens.
Rien de cela ici, du grand et du beau jazz, joué avec originalité et pourtant enraciné dans un siècle de musique. Ça swingue, le blues est là, les mélodies sont magnifiées (aucune recherche obligée, des standards, un traditionnel et quelques originaux), le public se fond dans l’atmosphère, tout concourt à une belle heure de musique en live. Cela peut paraître simple et naturel, mais c’est à la fois exigeant, complexe et léger comme la culture. Du jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Tina May
My Kinda Love

My Kinda Love, Lazy Afternoon, S'posin', Where Were You in April, I Wish I Knew, Si tu partais, A Sunday Kind of Love, An Occasional Man, You Came a Long Way From St. Louis, Haunted Heart, Manhattan in the Rain, I'm Through With Love

Tina May (voc), Freddie Gavita (tp, flh), Janusz Carmello (tp), Nicol Thomson (tb), Sammy Mayne (as), Frank Griffith (ts, cl), John Pearce (p, elecp), Ian Laws (g), Dave Green (b), Winston Clifford (dm, voc) + Doffidle String Quartet
Enregistré les 10-11 mai 2014, Londres
Durée: 1h 00' 53''
HepJazz 2101 (www.tinamay.com)

Tina May
Home Is Where the Heart Is

Home Is Where the Heart Is, Don't Forget The Poet Please, A Nameless Gate, The Night Bird, With Every Smile of Yours (O! Le feu dans les yeux), Within the Hush of Night (Within The House of Night), I Took Your Hand in Mine (Fellini's Waltz), Day Dream, Home Is Where The Heart Is (Distance From Departure), This Is New
Tina May (voc), Enrico Pieranunzi (p), Tony Coe (ss)
Enregistré en novembre 2014, Luton (Angleterre)
Durée: 40’ 54”
33 Records 250 (www.tinamay.com)

Sous ses dehors de jolie parisienne à l’œil pétillant – bien qu’elle soit anglaise; sans doute, ses bérets et casquettes –, Tina May possède une vitalité et une curiosité toujours étonnante qui la conduisent à rechercher l’aventure du jazz dans ses rencontres et enregistrements, et cela depuis ses débuts où elle côtoyait déjà avec l’audace de la jeunesse le gotha de la scène britannique, les invités des festivals (Egberto Gismonti) et la scène parisienne avec les Roger Guérin, Kenny Clarke (Slow Club).Elle n’hésite pas ainsi à aborder les sensibilités du jazz les plus variées, les modernes souvent dans son association régulière avec Nikki Iles (p), mais aussi l’ensemble des musiciens qui ont fait le bonheur de la scène anglaise de Ronnie Scott, Stan Tracey à Peter King, Tony Coe, un autre compagnon de sa route, qu’on retrouve ici dans quelques thèmes avec Enrico Pieranunzi.En France, c’est dans un autre contexte, plus mainstream, qu’on la retrouve récemment, notamment au Méridien et au Caveau de La Huchette, où son énergie et son swing font le bonheur des danseurs.Elle a encore eu le privilège d’enregistrer un disque en compagnie du légendaire Ray Bryant, The Ray Bryant SongBook, arrangé par Don Sickler, avec le non moins célèbre Rudy Van Gelder aux manettes.Elle chante également la musique sacrée de Duke Ellington (Académie royale de musique de Londres), le répertoire de Broadway et elle a participé un peu partout en France à de nombreuses expériences musicales avec toutes sortes de formations.La retrouver ici dans deux contextes assez différents, d’un côté les standards et les beaux arrangements (avec une introduction d’Eric Satie sur «Lazy Afternoon») et de l’autre le registre plus dépouillé et improvisé d’Enrico Pieranunzi et Tony Coe, ne surprendra plus. Tina May aime les challenges, les découvertes, le changement; elle aime le jazz et plus largement la musique, en véritable musicienne. Sa solide formation depuis son jeune âge (à Cardiff), sa voix très juste, bien placée, ses qualités de respect des différents univers, aussi bien que son drive sont de solides arguments pour son expression et sa capacité à s’adapter à différents univers. C’est donc une belle musicienne, touche-à-tout du jazz et parfois même au-delà, car l’univers d’Enrico Pieranunzi se situe parfois au-delà, sans aucune faiblesse d’ailleurs, car lui aussi est un excellent musicien. Sa rencontre, très jazz, avec Tina May fait penser à celle du feu et de l’eau, bien entendu. On sent bien d’ailleurs dans leur rencontre que l’eau se réchauffe parfois («Day Dream») au contact de Tina May, mais le feu se fait aussi parfois braise avec sensibilité pour profiter des atmosphères que développent le pianiste et son ami de toujours, Tony Coe.Tina May, française de cœur (elle chante deux chansons en français), mérite d’être connue sous toutes ses facettes, nombreuses et attachantes, et la conjonction de ces deux enregistrements en offre l’occasion.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Enrico Pieranunzi
Tales From The Unexpected

Improtale 1, The Waver, Anne Blomster Sang, Improtale 2, B.Y.O.H., Tales From the Unexpected, Improtale 3, Fellini's Waltz, Improtale 4, The Surprise Answer, Interview with Goetz Buehler

Enrico Pieranunzi (p), Jasper Somsen (b), André Ceccarelli (dm)
Enregistré le 29 août 2015, Gütersloh (Allemagne)
Durée: 1h 16' 26''
Intuition Records 71315 (Socadisc)


Enrico Pieranunzi est un pianiste délicieux qui côtoie parfois le jazz dont il possède, par héritage familial, des racines anciennes, presqu’aussi profondes que ses racines romaines. Pourtant, et cela peut varier selon les enregistrements, il est aujourd’hui souvent dans le registre de la musique improvisée très marquée par ses origines européennes, parfois loin de l’expressivité afro-américaine, très lyrique comme ici («The Waver», «Anne Blomster Sang»…). Ses qualités d’instrumentistes, d’invention, son trio avec d’excellents musiciens au service de ses compositions, font de cet enregistrement un moment de belle musique où la mémoire de ses inspirations de jeunesse fait plus appel à Bill Evans qu’à McCoy Tyner, voire à l’apprentissage du piano classique parfois.
Contrairement à ce que dit le texte du livret, voire Enrico lui-même, il ne semble pas que le swing soit l’une des cordes principales de son expression ici, à l’exception de deux thèmes («Improtale 4», «The Surprise Answer») où le feu tynérien se réveille, mais il est indéniable qu’Enrico Pieranunzi est un vrai lyrique doublé d’un pianiste exceptionnel, un beau conteur d’histoires. Son évocation de Fellini, dans une valse evansienne, est une très belle mélodie qui montre que les arts peuvent parfaitement communiquer sous la forme d’inspirations réciproques, surtout quand un artiste romain se souvient du Romain d’exception qu’était Federico Fellini. Les balais d’André Ceccarelli sont magiques sur ce thème, comme le bassiste, emportés par l’expression plus relevée d’Enrico Pieranunzi sur cette évocation.
Quoi qu’il en soit, nous avons là un excellent opus du pianiste romain, avec un André Ceccarelli brillant et judicieux par les nuances et couleurs qu’il apporte à ce trio, et avec un solide bassiste allemand.
Curiosité et bonne idée, une interview d’Enrico Pieranunzi est en conclusion de cet enregistrement où Enrico revendique avec humour l’italianité de la Corse, Nice et… de Ceccarelli (mais pas de Napoléon), puis Bach – nous sommes en Allemagne…, avant que la conversation s’oriente vers le Cinéma, Fellini, Rome et la Dolce Vita, vue comme une inspiration pour le jazz. Enrico y dit aussi l’importance de raconter des histoires, ce qu’il fait excellemment avec son piano, et il établit à ce sujet une analogie avec le cinéma, une analogie aussi entre l’improvisation dans le jazz et dans la commedia dell’arte. L’Italie reste un pays de grande culture… Ça fait aussi plaisir.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJessica Jones Quartet
Moxie

Moxie, In a Sentimental Mood, Haitian Cotillion, Soft Target, Dear Toy, Clapping Game, Tag on the Train, Manhattattan
Jessica Jones (ts), Tony Jones (ts), StomuTakeishi (b), Kenny Wollensen (dm)
Enregistré le 12 janvier 2014, Brooklyn, New York

Durée: 52’ 16”
New Artists 1062 (www.newartistsrecords.com)


The Jessica Jones Quartet est une belle découverte. Né dans la mouvance de la musique d’avant-garde new-yorkaise, cette formation est dans la droite ligne de la musique des lofts des années 1960-1970. Elle conserve la fraîcheur de la conviction dans une histoire particulière du jazz, mais sans esprit de système, donc avec un vrai pouvoir créatif dénué, dans cet enregistrement, des clichés habituels, y compris ceux qu’on retrouve dans l’avant-garde. Ainsi est conservé dans ce disque, certains des aspects les plus fondateurs du jazz, comme la recherche d’une belle sonorité in the tradition, que ce soit celle de Sonny Rollins ou d’Ornette Coleman, non par mimétisme mais en référence. Tony Jones («Dear Toy») et Jessica Jones possèdent de beau sons et en usent («Tag on the Train»). Il n’y a pas non plus de refus systématique des structures traditionnelles du jazz, la mélodie, le thème et ses improvisations, la recherche de la beauté du son ou de l’idée («Moxie», «In a Sentimental Mood», «Dear Toy»), avec un respect des mélodies, de bons arrangements originaux, même si par ailleurs se font jour des recherches structurés dans l’esprit avant-gardiste qui n’ont justement aucune fadeur car elles ne sont plus gratuites mais enracinées. Le jazz free est aussi une musique de culture, et c’est ce qui le sépare des musiques improvisées, savantes ou actuelles.
Difficile d’en savoir beaucoup sur le plan biographique, si ce n’est que Jessica Jones, la directrice de ce groupe, a rencontré Don Cherry en Californie où elle résidait avant de s’intaller à Brooklyn depuis bientôt 20 ans et qu’elle adore le Wayne Shorter qui jouait chez Art Blakey. La cinquantaine, elle a travaillé avec Joseph Jarman, Cecil Taylor, Steve Coleman, Don Cherry, Peter Apfelbaum et Connie Crothers qui dirige le label New Artists de cet enregistrement.
Tony Jones, la soixantaine, est son époux. Il a côtoyé, entre autres Joseph Jarman, Muhal Richard Abrams, Cecil Taylor et Don Cherry. Excellent arrangeur et compossiteur, il a de son côté produit récemment un enregistrement en trio (Pitch, Rhythm and Consciousness).
Les deux ténors sont très complices, dans la vie au sens large, et la musique en est un résultat, fort bien construite autour de cette osmose entre les deux beaux sons de ténor et des idées partagées ou échangées. Les improvisations, loin de tout esprit bruitiste, propose une belle musique de jazz, qui nous rappelle tout ce que le jazz de l’époque dite «free» a pu et peut encore apporter de beauté authentique, avec ses retours parfois à des racines plus anciennes, loin de toute volonté systématique de surprendre ou de provoquer, de tourner en dérision par simple absence de projet.
Ce bon quartet – le batteur Kenny Wollesen (John Zorn) est aussi très musical, le bassiste Stomu Takeishi (Randy Brecker, Dave Liebman, Henry Threadgill) est original – propose une véritable musique affirmative, construite, originale, qui reprend les caractères essentiels de l’histoire du jazz, swing et blues compris, jusqu’à nos jours, avec une volonté de recherche qui ne se prive pas des racines, sans tomber dans la reprise aussi d’une esthétique unique que ce soit celle du new orleans, mainstream, du bebop ou, ici, du free, empruntant simplement des influences, pour développer la musique de leur époque, au tronc commun du jazz tout entier.
Du jazz, en somme, comme on l’aime, authentique, sincère, direct et à la recherche de la beauté, intérieure et extérieure, et c’est de cette manière que cette esthétique free a le plus de chance de se renouveler, comme les autres esthétiques du jazz.

Cette formation joue surtout dans les lieux et cadres répertoriés avant-garde (du Knitting Factory Festival au Vision Festival). C’est dommage que les grands festivals de jazz aujourd’hui en Europe, en particulier, ne soient plus en capacité, par ignorance ou esprit de chapelle ou mercantilisme-consumérisme, de proposer des programmes qui réunissent toutes les esthétiques du jazz – et seulement du jazz, c’est déjà un gros chantier – pour permettre aux musiciens les rencontres et découvertes mutuelles; pour permettre aux amateurs de comprendre cette histoire fabuleuse, les filiations, la lente maturation et le renouvellement de la culture, loin de la nouveauté médiatisée et éphémère; pour permettre enfin aux festivals de reconstruite un vrai public de jazz, connaisseur et respectueux de toute l’histoire du jazz sans esprit sectaire et sans superficialité consommatrice.
Quoi qu’il advienne, et nous sommes raisonnablement pessimistes sur ce dernier chapitre (Roland Kirk ne pourrait pas exister aujourd’hui autrement que dans un cirque ou dans une émission spécialisée), il reste ce type de bonne formation et ces bons musiciens pour prolonger l’histoire du jazz dans toute son épaisseur. Bravo et merci à eux. Puissent-ils résister longtemps et nous donner d’autres bons enregistrements et concerts en conservant le même esprit qui règne dans ce disque
!

Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Ahmad Jamal
Live in Marciac

Sunday Afternoon, The Shout, Dynamo, The Gypsy, Strollin', Silver, All of You, Blue Moon, Autumn Rain

Ahmad Jamal (p), Reginald Veal (b), Herlin Riley (dm), Manolo Badrena (perc)
Enregistré le 5 août 2014, Marciac
Durée: 1h 12' 51'' + DVD 1h 25' 05''
Jazz Village 570078.79 (Harmonia Mundi)


Pour ceux qui ont manqué ce concert ou qui étaient trop loin de la scène, ou encore qui ont adoré cette soirée, voici restitué en CD et DVD le concert du légendaire Ahmad Jamal à Marciac en 2014. Il y a même un bonus sur le DVD («Morning Mist» qui fait la part belle à Reginald Veal). Entouré de magnifiques musiciens, Ahmad Jamal fait le show, comme il en est capable, car sur scène, il reste spectaculaire par sa manière d’orienter la musique, de diriger ses musiciens, comme par son jeu de piano, et malgré son grand âge.
Pour autant, c’est un homme de scène et de métier, et il sait faire la différence entre une assistance à l’écoute et une assistance à grand spectacle, et selon sa perception, il ne produit pas la même musique, le même spectacle, la même atmosphère. C’est très curieux mais pas si étonnant quand on y réfléchit. Ainsi ce concert donne-t-il à voir si on le compare par exemple avec un concert donné, un an avant, dans un petit théâtre, non loin de là, à Foix, devant une assistance plus jazz par l’intimité, qui donnait à écouter.
Evidemment, la musique d’Ahmad Jamal ne change pas fondamentalement, mais elle est dans ce cadre de Marciac comme plus spectaculaire et moins «naturelle», avec un petit côté «star» qui n’est pas pour lui déplaire. Le show est là très cadré, minuté, alors qu’à Foix, il avait été plus improvisé dans le choix du répertoire, avec des références nombreuses à l’histoire, avec une place plus grande du pianiste qui n’hésita pas à se lancer dans de longues improvisations sur son répertoire historique et fit de nombreux rappel pour cela.
Les amateurs de jazz préfèrent bien entendu la version en petit comité restituant la dimension historique et instrumentale d’Ahmad Jamal. Mais la vocation de Marciac étant de faire découvrir, même une légende aussi connue, à un grand public, ce concert reste parmi ce qui se fait de meilleur dans le genre, et si on veut parler de jazz, et nul doute que pour beaucoup ce fut une étonnante découverte.
L’idée donc d’ajouter un DVD, pour Ahmad Jamal en particulier, est excellente, car la scène mérite le regard autant que l’audition et de fait, le DVD paraît plus intéressant que le disque (c’est frappant pour «Sunday Afternoon») car il donne une meilleure idée de la construction du spectacle, de l’interaction des musiciens, indépendamment de la musique; c’est un vrai spectacle!
On connaît les caractéristiques de l’art du pianiste de Pittsburgh, un héritier original du grand Erroll Garner (un sens orchestral, du spectacle et du brillant, le choix de la petite formation, avec des fidélités, avec percussionniste parfois, avec une pulsation soutenue) mais avec un sens de la découpe du discours très différent (ruptures dans l’expression) convulsif a contrario des torrents du grand Erroll, plus nerveuse et moins lyrique, pour affirmer sa différence, sa marque; ce qui était indispensable alors, même si ce n’est pas la seule raison.
Donc au total, une belle production, d’un musicien à nul autre pareil, et d’une musique aussi spectaculaire qu’originale, choisissant toujours d’apporter sa marque aux thèmes les plus connus comme ici «The Gypsy» sans jamais renier la mélodie. On apprécie l’hommage double d’Ahmad Jamal à Horace Silver, disparu en 2014 («Strollin’»), joué pour cette fois avec le classicisme certain du Ahmad Jamal historique, et qui lui dédie aussi une composition originale «Silver», plus dans la manière actuelle.
Pas indispensable sur le seul plan musical dans l’œuvre d’Ahmad Jamal, il reste de cette soirée des images d’un spectacle musical qui, elles, le sont car elles dévoilent des aspects de la savante alchimie du grand Ahmad Jamal, brillamment entouré comme à son habitude.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

John Scofield
Past Present

Slinky, Chap Dance, Hangover, Museum, Season Creep, Get Pround, Enjoy the Future!, Mr. Puffy, Past Present

John Scofield (g), Joe Lovano (ts), Larry Grenadier (b), Bill Stewart (dm)
Enregistré les 16 et 17 mars 2015, Stamford (Connecticut)

Durée: 52' 18''

Impulse! 0602547485106 (Universal)


Voici donc John Scofield de retour après un passage aux côtés des rockers de Gov’t Mule pour un album endiablé (Sco-Mule), comme il sait si bien le faire. Depuis Überjam, Sco s’est fait une spécialité de délivrer des disques décoiffants loin des reposants (Quiet ou I Can See You House from Here). Pour Past Present, l’ancien guitariste de Miles opte pour un format qu’il adore: le quartet avec basse, batterie et saxophone. Une formule qu’il a souvent éprouvée au cours de sa carrière s’adjoignant les services de Dave Liebeman, Kenny Garrett et Joe Lovano. Nous retrouvons ce dernier une nouvelle fois en compagnie, ici, de Larry Grenadier et Bill Stewart. Après de multiples expériences, John Scofield revient aux fondements d’un format qu’il maîtrise parfaitement. Chercher une pièce originale dans ce bel ensemble n’est pas chosé aisée. «Get Pround» possède un léger côté Beatles que le guitariste crée avec force avant de laisser Lovano glisser une dimension plus «getzienne» dans le propos («Get Pround»). Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette couleur se retrouve aussi sur «Enjoy the Futur». «Past Present» est l’occasion pour Scofield de se défouler un peu plus en bénéficiant de l’excellent travail de Bill Stewart sur les fûts. Une impression de vouloir terminer l’album sur une vision du présent. Pour le passé, «Chap Dance» démarre fort façon bebop, puis le thème se complexifie avec les interventions de Lovano et se transforme en feu d’artifice. Du bel ouvrage.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

Wes Montgomery
The Quintessence

CD1: Finger Pickin’, Far Wes’, Old Folks, Hymn for Carl, Falling in Love with Love, Jingles, Yesterdays, ‘Round Midnight, Airegin, Four on Six, West Coast Blues, In Your Own Sweet Way, D-Natural Blues, Work Song; CD2: West Coast Blues, Yours Is My Heart Alone, Movin’ Alone, Body and Soul, Tune-Up, While We’re Young, Twisted Blues, Cotton Tail, Repetition, Delilah, Full House, Blue’N’ Boogie

Wes Montgomery (g), Nat Adderley (tp), Joe Gordon (tp), Harold Land (ts), Johnny Griffin (ts), Julian Cannonball Adderley (as), James Clay (fl), Buddy Montgomery (p), Tommy Flanagan (p), Bobby Timmons (p), Victor Felman (p), Hank Jones (p), Winton Kelly (p), Melvin Rhyne (org), Joe Bradley (p), Monk Montgomery (b), Percy Heath (b), Ray Brown (b), Sam Jones (b), Paul Chambers (b), Paul Parker (dm), Tony Hazley (dm), Albert Heath (dm), Louis Hayes (dm, vib), Philly Joe Jones (dm), Jimmy Cobb (dm), Milt Jackson (vib), Lex Humphries (dm), Ray Barretto (cga), Sam Jones (cello)
Dates et lieux d’enregistrement: 30 décembre 1957, Indianapolis, 18 avril 1958 & 1
er octobre 1959, Los Angeles, 5-6 octobre 1959, 26-27 janvier 1960, New York, 18 mai, 5 juin, 11 octobre 1060, Los Angeles, 4 août, 19 décembre 1961, 25 juin 1962, New York
Durée: 1h 15' 49'' + 1h 11' 04''

Frémeaux Associés 3062 (Socadisc)


Les morceaux ici réédités ont fait les heures de gloire du guitariste d’Indianapolis à ses débuts. The Quintessence regroupe des pièces enregistrées entre 1957 à 1962, soit la période Riverside. Sur ce double CD, tout débute dans la ville natale de Wes avec ses frères pour un «Finger Pickin’» savoureux. Dès le début, le guitariste charme par son phrasé. Il n’y a rien de plus normal quand on connaît la qualité d’un gars qui passait ses soirées à travailler son instrument en jouant avec le pouce pour ne pas déranger ses voisins. Ce travail porte ses fruits dès «Far Wes» extrait de l’album Montgomery Land, qui plonge l’auditeur dans une ambiance feutrée à souhaits. C’est lorsqu’il signe avec Riverside que le guitariste montre tout son savoir faire. Sur cette compilation, on l’entend en trio avec Melvin Rhyne (org) et Paul Parker (dm). Il y a bien sûr «Jingles», une composition du guitariste qui orne magistralement ce premier opus, mais aussi et surtout «Round Midnight» tout en délicatesse. Les notes de la six cordes sont comme des étoiles qui se détachent de la voûte céleste tandis que les accords de l’orgue le transporte sur la voie lactée pour un beau moment de jazz. Ensuite les classiques s’enchaînent («Four on Six», «West Coast Blues», «D Natural Blues») et avec eux les partenaires: Tommy Flanagan, Percy et Albert Heath. La première galette se termine avec «Work Song» écrit par Nat Adderley, un morceau majeur de cette deuxième moitié du XXe siècle. La guitare de Wes répondant à l’appel de la trompette de Nat sur les incantations de Louis Hayes (dm) tandis que Bobby Timmons apporte les clés du dialogue, un excellent moment.
Le second disque débute avec un morceau gravé en compagnie de Harold Land, alors leader qui donne à son album le titre de la compo de Wes. Avant de revenir aux autres productions du guitariste d’Indianapolis pour Riverside, le concepteur de la compilation offre un détour sur les rives de Julian Cannonball Adderley, le frère de Nat, accompagné des Poll Winners, dont Ray Brown à la contrebasse. Puis c’est Moving Alone et la flûte de James Clay qui titille les envies de choruses de Wes («Movin’ Alone»). Ce morceau marque une pause dans l’œuvre du guitariste qui passe la surmultipliée avec So Much Guitar où Wes retrouve Ron Carter et bénéfice de la présence d’Hank Jones (p) pour offrir un magistrale blues («Twisted Blues») et un déboulé hyper speed pour l’époque, ainsi qu’une reprise du maître Ellington («Cotton Tail»). Après un nouvel album de rencontre en la personne de Milt Jackson, alias Bag pour un «Delilah» décoiffant, le coffret se termine en présentant Wes Montgomery live at Tsubo (Full House) en compagnie de Wynton Kelly, Johnny Griffin, Paul Chambers et Jimmy Cobb. A ce stade de sa carrière, Wes Montgomery est un modèle pour tous les guitaristes. Il a joué avec les meilleurs pianistes du moment et bénéficié d’une rythmique de qualité. Dans ce coffret, il manque les oeuvres avec cordes qui feront leur apparition dès Fusion. Peut-être une deuxième étape de Frémeaux qui pourra poursuivre l’œuvre de mémoire du grand Wes à travers des enregistrements jugés plus commerciaux à l’époque, mais qui conservent une saveur indicible dans le chaos musical que nous offrent certains musiciens du XXIe siècle. Affaire à suivre?
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueAlain Pierre Tree-Ho!
Aaron & Allen

Aaron & Allen, Seul compte l’instant présent, Piazza Armerinia, Present Times, Lost Roadnook, Le Vin noir, L’Etang des iris, Coming Times, Joyful Breath

Alain Pierre (g), Félix Zurstrassen (b), Antoine Pierre (dm)
Enregistré en juillet 2014, avril et juillet 2015, Belgique
Durée: 49' 23''
Spinach Pie Records 101 (www.spinachpierecords.com)


On retrouve ici Alain Pierre, entouré de son fils Antoine et de Félix, le fils de Pirly Zurstrassen (p). L'occasion de réécouter le guitariste, avec toute la sensibilité qui le caractérise. Formé au Conservatoire de Liège en guitare classique et en musique de chambre, il a toujours cherché à séduire par le velouté du son. Le choix qu’il fait des différentes guitares et cordes (acoustiques, électriques, douze cordes, cordes nylon…) est significatif. On pourrait rattacher ses choix mélodiques à ceux de Philip Catherine; la filiation avec Ralph Towner est plus perceptible («Seul compte l’instant présent», «L’Etang des iris»). Le picking naturel aux doigts et le soin prit à coller les voix (rerecording) témoignent d’un compositeur qui aime les belles harmonies («Lost Roadbook»). Derrière le soliste on aurait préféré entendre une contrebasse, ce qui n’enlève rien à la musicalité de Félix Zurstrassen: un musicien qui s’affirme de mieux en mieux au fil de ses collaborations («Seul compte l’instant présent»). Le choc des générations, en contraste, est particulièrement marqué lors du solo d’Antoine sur «Piaza Amerina». Ecouter «Tree-Ho!» puis revoir Alain Pierre en concert c’est approcher la zénitude – sa zénitude («Lost Roadbook»)!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueAntoine Pierre
Urbex

Coffin for a Sequoia, Litany for an Orange Tree, Who Planted This Tree°, Les Douze Marionettes, Urbex*°, Matropolitan Adventure, Walking On a Vibrant Soil, Wandering #1, Metropolitan Adventure (reprise), Moon’s Melancholia, Ode to My Moon*

Antoine Pierre (dm), Jean-Paul Estiévenart (tp), Toine Thys (ts,ss), Steven Delannoye (ts, bcl), Bert Cools (g), Bram De Looze (p), Félix Zurstrassen (eb), Frédéric Malempré (perc) + Lorenzo Di Maio* (g), David Thomaere° (key)
Enregistré les 12, 13, 14 septembre 2015, Belgique

Durée: 1h 12' 45''

Igloo Records 268 (Socadisc)


Antoine a la chance d’être bien né d’un papa musicien (Alain Pierre). Un avantage dont il a su tirer parti. Béni des dieux, Antoine Pierre a écouté, appris et compris. A 17 ans, il s’est fait remarquer au festival de Comblain-la-Tour avec Igor Gehenot (p) et le Metropolitan Jazz Quartet; à Dinant avec le même Gehenot et le LG Jazz Collectif; au Gaume Jazz derrière Enrico Pieranunzi (p). A 19 ans, alors qu’il étudie encore au Conservatoire de Bruxelles, Philip Catherine l’engage en tournées et en studio pour son Côté Jardin. La mouvance bouillonnante des nuits bruxelloises lui laisse un petit manque; il décide alors de passer un an à New York, à la New School For Jazz And Contemporary Music. Au contact de cette autre scène, fort de ses enseignements multiples (Antonio Sanchez), il revient en Europe avec en tête «son» projet musical. Sabam Award 2015, il voit dans les vestiges industriels de la Wallonie et le futur fictionnel des bétons new-yorkais (cf. La Guerre des Mondes): l’homme décadent, impuissant; mais aussi la renaissance de la nature au milieu du béton. C’est Urbex, contraction de Urban Exploration!
Le jeune prodige de la batterie a maintenant 23 printemps; il écrit ses visions en musique entouré de ceux qui, comme lui, ont vu la lumière au travers des ruines. Résolument contemporaine, la musique de l’octet poursuit les chantiers débroussaillés avant lui par Charles Mingus («Walking on a Vibrant Soil») ou le Thad Jones-Mel Lewis Orchestra. Le drive d’Antoine Pierre est sûr, autoritaire (influence de Peter Erskine sur «Metropolitan Adventure»). Les œuvres, solidement charpentées et bétonnées sont enjolivées par les solistes pré-trentenaires («Who Planted This Tree?»). On retrouve le désormais incontournable Estiévenart à la trompette (espagnolisant sur «Litany for an Orange Tree»), mais on apprécie aussi les déboulés de Steven Delannoye (ts) sur «Urbex». Bram De Looze (p) étonne par l’assurance qui lui vient («Coffin for a Sequoia»); Bert Cools (g), qu’on voit plus souvent en Flandre, impose l’ouverture trans-régionale qui manque trop souvent au royaume de la discorde («Litany for an Orange Tree»). Les invités ne sont pas en reste (présence et créativité de Lorenzo Di Maio sur «Ode to My Moon»). Les œuvres sont écrites comme des suites, des travelings en images sonores. Dans cet esprit, «Les Douze Marionnettes» illustre une déambulation au travers de friches industrielles où s’infiltre la pluie. Poète romantique avec «Moon’s Melancholia» et «Ode to My Moon», Antoine Pierre captive par la densité et la maturité de son œuvre. Une première déjà si grande qu’elle appelle des lendemains.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueEva Cassidy
Nightbird

Blue Skies, Ain't Doin' too Bad, Ain't no Sunshine, Fields of Gold, Baby I Love You, Honeysucckle Rose, Route 66, Bridge Over Troubled Water, Chain of Fools, Fever, Autumn Leaves, Fine and Mellow, Cheek to Cheek, It Don't Mean a Thing, Late in the Evening, Next Time You See Me, Waly Waly, Take Me to the River, Nightbird, People Get Ready, The Letter, Son of a Preacher Man, Stormy Monday, Tall Trees in Georgia, Something's Got a Hold Me, Time After Time, Over the Rainbow, You're Welcome to the Club, Caravan, You've Changed, What a Wonderful World, Oh, Had I a Golden Thread

Eva Cassidy (voc, g), Chris Biondo (elb), Keith Grimes (g), Lenny The Ringer Williams, (p), Hilton Felton (org), Raice McLeod (dm)
Enregistré le 3 janvier 1996, Washington
Durée : 1 h 08' 27'' + 1h 11' 42'' + DVD 55'
Blix Street Records G2-10209 (Universal)


Disparue en 1996, à l'âge de 33 ans, quelques mois après cet enregistrement, la chanteuse Eva Cassidy n'aura hélas connu qu'une gloire posthume (plus de 10 millions d'albums vendus depuis sa disparition, et la reconnaissance de quelques fans célèbres tels Eric Clapton ou Paul Mc Cartney).
Sa carrière n'en étant alors qu'à ses débuts, elle n'avait pas encore définitivement opté pour un genre particulier, et s'exprimait avec la même aisance dans différents modes, du country au blues en passant par le jazz ou le rock and roll, grâce à des qualités vocales exceptionnelles et un swing sans faille. Il ne lui manquait plus guère que la pratique du «scat» dont ses qualités de guitariste lui donnaient sûrement les capacités.
A l'heure où de nouvelles chanteuses au joli minois apparaissent chaque semaine comme autant de «rosés des prés» insipides, les trente-deux morceaux enregistrés pour la plupart en «live» de ce double CD (et les 12 versions contenues dans le DVD qui les accompagnent), démontrent l'ampleur du talent gâché d'Eva Cassidy (et accessoirement, la nécessité du dépistage généralisé du mélanome). Un album bouleversant.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Franck Filosa
My Soul, My Sol

My Soul My Sol, When You Are with Us, Lover Come Back to Me, Sud, Origin Drum Solo, Lady Sings the Blues, SMS, Song for Anne, Jeudi 12, The Man I Love

Carine Bonnefoy (p), Mathias Allamane (b), Franck Filosa (dm), Sofie Sorman (voc)
Enregistré les 18 et 19 octobre 2015, Issy-les-Moulineaux (92)
Durée: 47' 01''
Great Winds 3179 (Musea)


Dix ans après son premier disque, Franck Filosa continue sa route et développe sa musique, toujours avec l’excellente pianiste Carine Bonnefoy pour ancrer son âme dans le sol: belle idée en ces temps d’incertitudes diverses. Dès le premier morceau, justement «My Soul, My Sol», délicieux jeu de mot, sur un rythme assez bossa dans lequel la pianiste se montre très à l’aise et à son avantage sur ce type de rythme. Suivi sur un tempo lent par «When You Are with Us» avec une intro très nostalgique du contrebassiste ponctuée par des accords de piano; piano qui s’échappe dans un solo très inspiré en osmose avec le batteur très mélodique.
En invitée la jeune chanteuse suédoise Sofie Sörman qui vient d’un pays où dit-elle «Chanter est un moyen d’expression essentiel». Elle en fait ici une belle démonstration: «Lover Come Back to Me» prit sur tempo rapide avec une belle intervention du batteur qui suit là encore l’articulation de la mélodie sur les toms; Sofie chante avec une telle énergie que son Lover ne peut que lui revenir. Elle se frotte au blues avec une solide personnalité sur «Lady Sings The Blues», qui nous vaut un solo de piano très senti et un trio parfait. Après une prenante entrée du piano Sofie s’empare de «The Man I Love» en chantant les mots avec un lyrisme ad hoc, soutenue à merveille par la pianiste.
On a plaisir à retrouver les belles attaques à la fois nettes et ouatées de Mathias Allamane sur sa contrebasse, à le goûter particulièrement sur «Song for Anne» où le piano se fait rêveur, ou encore en un accrochant duo avec la batteur sur «Jeudi 12». Le batteur travaille à merveille le son de ses toms, intervenant assez peu aux cymbales, ce qui donne beaucoup de chaleur au trio; à apprécier sur son solo absolu sous le tire «Origin»: un signe!
Art du trio qui repose sur de belles compositions et d’efficaces arrangements de la plume du leader pour la plupart des morceaux, ainsi que sur une intrication des trois voies très réussies, avec, et c’est notable, une construction globale du disque; c’est à dire que les morceaux, bien que différents, restent dans la même atmosphère, y compris avec la chanteuse.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueChris Cody
Not My Lover

This Thing, Scatter, Pop It, Into the Gloaming, For Satie, Seven Below, Not My Lover, Clem’s Key, I love Paris, La Javanaise

Chris Cody (p), Karl Laskowski (ts), Brandan Clarke (b), James Waples (dm)
Enregistré les 24, 26 avril et 11, 12 juin 2015, Australie
Durée: 1h 05'
Wave Music 1 500 1 (www.chriscody.com)


Originaire de Melbourne, le pianiste Chris Cody (Jazz Hot n°613) a appartenu à la scène jazz parisienne pendant plus de vingt ans où on l'a entendu aux côtés de Rick Margitza, Rhoda Scott, Stefano di Battista, Glenn Ferris, Marcel Azzola et beaucoup d'autres. Il est récemment retourné vivre en Australie où il a enregistré cet album, le neuvième sous son nom, et qui est un hommage à Paris et à la France. Outre «I Love Paris» et «La Javanaise», les thèmes sont de sa plume.
Un jeu de piano enthousiasmant, lumineux, qui respire, avec des attaques tranchantes, une main gauche en appui avec des accords très personnels, sur une main droite qui chante. Assez à la façon de Paul Bley. Un sax ténor au jeu sobre, élégant, délicat, inspiré. Un batteur coloriste qui sait s’entremêler dans le discours en s’appuyant sur la contrebasse. Celle-ci joue souvent des motifs répétés comme sur «Scatter» sur un emballant solo de piano. Belle intro piano solo sur «Pop It», piano rejoint par la contrebasse qui place une note sur chaque accord main gauche, effet garanti. Puis les cymbales viennent enrichir le chant. Et pour finir le ténor s’ajoute à l’œuvre en marche. «Into The Gloaming» est un modèle d’échange rubato à 4 voix. Quant à «For Satie» en piano solo, qui se présente comme une relecture de la Gnossienne N°3, n’est pas loin non plus des Gymnopédies, c’est une merveille de Satie revisité par le blues et les Balkans. Un petit chef d’œuvre. Il est vrai qu’il y a de l’impressionnisme dans la musique de Cody. Pour «Not My Lover» Cody nous dit que le morceau est basé sur un thème de Michael Jackson, une splendide façon de s’approprier le rock avec un sax bien dans la danse. En fait pas grand chose à voir avec le rock; on est dans du pur jazz d’aujourd’hui. Et c’est l’expression qui fait tout. «Clem’s Key» est un joli sourire à sa fille née à Paris. L’hommage à Paris prend toute sa saveur avec le célèbre thème de Cole Porter «I Love Paris», en trio, où le pianiste fait merveille avec un sacré contrechant de la basse sur le thème de base, un collier de perles à notre Capitale. Et le plus beau pour la fin, c’est le morceau qui clôt le disque, «La Javanaise» de Gainsbourg, en trio, prise sur un tempo très lent comme suspendu, le pianiste et un contrebassiste très inspirés nous jouent «a waltz for lovers to fall in love at first sight».
Un beau et solide quartet, et surtout un pianiste remarquable, comme un poisson dans l’eau en trio basse-batterie.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°676, été 2016

Jason Miles / Ingrid Jensen
Kind of New

Interlude, The Faction of Cool, Super City, Shirley, Film noir Interlude, Ferrari, Seeing Through the Rain, Close the Action, Kats Eye, Street Vibe, Twilight Interlude, Sanctuary

Jason Miles (key), Ingrid Jensen (tp), Jay Rodriguez (ss, ts, bs, bcl) Jeff Coffin (ss, ts, bs), Nir Felder (g), James Genus, Jerry Brooks, Amanda Ruzza, Adam Dorn (b), Gene Lake, Mike Clark, Jon Wilson (dm)
Enregistré en septembre 2014, New York
Durée: 53' 09''

Whaling City Sound 073 (www.whalingcitysound.com)


Mis à part le dernier thème signé Wayne Shorter, toutes les compositions ont été écrites par le pianiste et la très virtuose trompettiste, disciple enthousiaste de Miles Davis. De forme harmonique assez basique elles se caractérisent pour la plupart par un enchaînement de «motifs d'ambiance» (on n'ose dire de riffs) flirtant souvent avec des suraigus très maîtrisés ou des sonorités voilées de trompette bouchée. La section rythmique soutient l'ensemble façon jazz rock/funky pour beaux quartiers.
Aucune bavure, aucune faute de goût, travail de studio remarquable. Cela évoque l'esthétique de la première époque électrique de Miles Davis (dont Jason Miles, en tant qu'expert en programmation informatique et autres «bidouillages de son», a été le collaborateur). La copie est certes très réussie, mais l'original demeure insurpassable.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Clare Fischer
Out of the Blue

Love's Walk, Tema do Boneco de Palha, When You Wish Upon a Star/Someday My Prince Will Come, Starbright, Two for the Road, Cascade of the Seven Waterfalls, Out of the Blue, Millbrae Walk, Amor en paz, Squatty Roo, Nuages, Novelho, 49 (Larry Ford), Carnaval/A felicidade/Samba de Orfeu

Clare Fischer (key, arr.), Brent Fischer (perc, b), Peter Erskine, Mike Shapiro (dm), Denise Donatelli, John Proulx (voc)
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Durée: 1h 11' 20''
Clavo Records 201509
(www.clarefisher.com)


Plus qu'à sa qualité de jazzman, le pianiste Clare Fisher, décédé en 2012, doit sa notoriété et sans doute sa fortune, à ses talents d'arrangeur pour la pop et la variété (The Jackson Five, Prince, Céline Dion, etc.). Cité par Herbie Hancock comme étant l'une de ses principales influences, le créateur de «Pensativa», est souvent comparé au pianiste Bill Evans qui a immortalisé ce thème. Il s'en défendait pourtant, se réclamant plutôt de l'arrangeur Gil Evans (son syndrome «Evans Brothers» disait-il). Attentif, parmi les premiers aux musiques latines, la bossa nova en particulier, et adepte, parmi les premiers encore, des claviers électriques, il eut aussi une carrière de pur jazzman. Auteur d'arrangements pour Donald Byrd, Dizzy Gillespie ou Branford Marsalis, il avait aussi joué avec Gary Peacock, Joe Pass et Cal Tjader.
Dans ce disque, Brent Fisher, contrebassiste et arrangeur, publie quelques enregistrements privés inédits et miraculeusement retrouvés, dont une bonne moitié de compositions personnelles de son père (avec la présence de Cal Tjader, sur un titre). Avec beaucoup de respect et de tact, il y ajoute parfois, et sans rien dénaturer, une partie apocryphe de vocaux, de contrebasse et de batterie. Un vrai miracle de studio. Voici une occasion inespérée de profiter du réel talent de pianiste, aujourd'hui injustement oublié, de Clare Fisher.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueLaurent Coulondre Trio
Schizophrenia

Prelude to Schizophrenia, Schizophrenia, Palma's Waltz, Sunny Road Trip, Spring Bloom, Parallel Spaces, Bouncing Peanuts, Fun Keys

Laurent Coulondre (p, org), Rémi Bouyssiere (elb, b), Martin Wangermée (dm)
Enregistré en décembre 2014, Vannes
Durée: 44' 48''
Sound Surveyor 1509 (L'
Autre distribution)


A moins de 30 ans Laurent Coulondre a remporté plusieurs prix, joué à Marciac et à Vienne, assuré des premières parties prestigieuses (Jacky Terrasson, etc.) et, déjà, publié trois albums.
Aussi à l'aise au piano qu'à l'orgue, il mène un trio où Rémi Bouyssière passe brillamment de la basse électrique à la contrebasse et où le batteur Martin Wangermee se montre particulièrement efficace sur les rythmiques les plus complexes. Compositions dynamiques et subtiles, traits d'orgue Hammond (ou de synthé de la marque suédoise Nord?) fulgurants. Beau toucher de piano, tantôt lyrique, tantôt tranchant comme un coup de cymbale. Swing convaincant, superbe technique, belles idées que la fougue de la jeunesse (et aussi une belle expérience et une sacrée culture jazzistique) transcendent. Tout est là pour assurer un beau succès à ce CD qu'on peut écouter en boucle sans lassitude et, qui donne, de plus, fortement envie d'écouter les précédents.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Ed Motta
Perpetual Gateways

Captain's Refusal, Hypocondriac's Fun, Good Intentions, Reader's choice, Héritage déjà vu, Forgotten Nickname, The Owner, A Town in Flames, I Remember Julie, Overlown Overweight

Ed Motta (p, voc), Hubert Laws (fl), Cecil McBee Jr, Charles Owens, Ricky Woodyard, (s), Curtis Taylor (tp) Patrice Rushen, Greg Phillinganes (key), Tony Dumas (b), Marvin «Smitty Smith» (dm)
Enregistré en septembre 2015, Pasadena
Durée: 49' 32''
MustHaveJazz/Membran (Harmonia Mundi)


Pianiste et chanteur, Ed Motta, surnommé le «Barry White» brésilien, n'a pas fini de nous surprendre. Eminent amateur de jazz, et grand collectionneur de disques (on parle de plus de 300 000...), c'est un véritable «melting pot musical» à lui tout seul. Il a déjà tâté avec brio de tous les styles: funk, disco, bossa nova, reggae, rock. Et voilà qu'il se met au jazz pop/rock le plus élégant...
Dès le premier titre, on pense à Steely Dan, au deuxième à Stevie Wonder, au troisième à Raul Midon...et ainsi de suite. Tous gens de bonne compagnie.
Le disque étant sous titré «Soul Gate/Jazz Gate», on l'attendait un peu à ce dernier tournant. Mais c'est gagné! Car la partie instrumentale, grâce aux nombreux et généreux solos des sidemen, s'inscrit parfaitement dans la tradition de notre musique préférée. Energie, inventivité, swing, exigence de qualité et références tutélaires bienvenues (à Dizzy Gillespie, Art Blakey ou Horace Silver, quelques courts instants décisifs...), tout y est. Ed Motta a du succès, il plait aux «jeunes». Et c'est tant mieux. On ne va quand même pas lui en faire le reproche, car il a tout l'air d'être une personne très respectable.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Kirk MacDonald
Symmetry

Symmetry, Eleven, Common Ground, Mackrel's Groove, Shadows, Brazil Like, Labyrinth, Greenwich Time, Contemplation, Bop Zone

Kirk MacDonald (ts), Tom Harrell (tp, flh), Brian Dickinson (p), Neil Swainson (b), Dennis Mackrel (dm)
Enregistré les 8-9 juin 2013, Toronto, Canada
Durée: 1h 16’

Addo Records 018 (www.addorecords.com)

Voici donc un second opus qui date de l’année précédent l'enregistrement de Vista Obscura. On peut dire qu’il choisit bien ses invités, puisqu’il est ici entouré de Tom Harrell et Denis Mackrel, toujours avec le soutien de haute volée de Neil Swainson et, pour ce disque, de son ami de longue date Brian Dickinson, absent du suivant puisque l’invité était Harold Mabern.
Autre qualité de Kirk, en connaisseur du jazz, il respecte la différence d’univers de ses invités, et il plie sa musique, y compris ses compositions, à l’univers de chacun d’entre eux. L’album avec Harold Mabern était coltranien, celui-ci est shorterien, cela pour situer rapidement l’atmosphère qui prévaut dans cet enregistrement. Cela permet aussi d’apprécier les qualités de ces différents enregistrements, savoir que la mélodie et l’expression sont plus importantes dans l’enregistrement avec Mabern, que l’harmonie et la construction d’ensemble le sont davantage dans celui avec Harrell.
De ce fait, ce disque de 2013 est conçu comme un tout. A l’exception du dernier thème, «Bop Zone», plus accentué «à l’ancienne», on a une sorte de suite tissant une œuvre entièrement composée par Kirk MacDonald, élégante et nuancée comme l’impose la présence de Tom Harrell, où les harmonies savantes créent une véritable bulle de beauté dans laquelle on s’immerge, musiciens comme auditeurs. Pour les amateurs de ces atmosphères, c’est un très bel enregistrement, dans la lointaine lignée de Booker Little, qui était plus dramatique, du Wayne Shorter d’après Art Blakey.
Tom Harrell est comme un poisson dans l’eau dans ce cadre, donnant la pleine mesure de ce son si limpide; Dennis Mackrel est remarquable dans sa manière de colorer cette musique sans jamais imposer une pulsation rythmique pourtant présente; Neil Swainson, est, comme le dit lui-même le leader dans les notes de livret, l’un des meilleurs bassistes qui soient, sans faiblesse. Les deux amis Brian et Kirk sont parfaitement à leur aise dans cet univers où Kirk est à l’écoute, moins brillant que dans l’album avec Mabern, mais tout aussi musical. Ses compositions le disent aussi. Ces hommes aiment le jazz et la musique, et ça s’entend! Il n’y a aucune démonstration, juste la musique, le plaisir et l’exigence. On vous le confirme, Kirk MacDonald, au centre de ces projets made in Canada, est un musicien à découvrir de ce côté de l’Atlantique.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Kirk MacDonald
Vista Obscura

Lonnie's Lamment, Vista Obscura, There But For the Grace of..., Calendula, You See But You Don't Hear, Naima, The Mill Dam, Walkaround, Mira Nights

Kirk MacDonald (ts), Pat LaBarbera (ts) 5, 6, 7, Harold Mabern (p), Neil Swainson (b), André White (dm)
Enregistré les 27-28 juillet 2014, Toronto
Durée: 1h 16' 33''
Addo Records 025 (www.addorecords.com)


Le nom de ce saxophoniste canadien ne dira pas grand-chose à beaucoup d’amateurs de jazz européens, bien qu’il ait côtoyé Dave Young, Kenny Wheeler, Eddie Henderson, Harold Mabern, Walter Bishop Jr., Pat LaBarbera, John Taylor, Ron McClure, Mike Stern, Jim McNeely, Vince Mendoza, John Clayton, Chris Potter, James Moody, Rosemary Clooney, et d’autres encore. C’est dommage, car voici un magnifique ténor, doué d’une sonorité exceptionnelle et d’une virtuosité instrumentale peu commune, dans un registre hard bop-coltranien, autrement dit le mainstream d’aujourd’hui. Son répertoire, dans ce bel enregistrement fait d’ailleurs explicitement référence à John Coltrane («Lonnie's Lament», «Naima»), sans faiblesse aucune par rapport à l’original, car l’explosif Harold Mabern, qu’on ne présente plus, est à la hauteur du modèle Tynérien et que la section rythmique est des meilleures. Kirk est aussi un bon compositeur («Walkaround»), le reste du répertoire sur cet enregistrement est d’ailleurs magnifique.
Il est brillamment soutenu par le très beau son de contrebasse de Neil Swainson, le benjamin de cette réunion (1955, Canada), le plus connu parmi ces Canadiens de qualité, doué d’un swing réjouissant, qui côtoya dès son jeune âge Sonny Stitt, Herb Ellis, Barney Kessel, Tommy Flanagan, James Moody, Jay McShann, Lee Konitz, George Coleman, Woody Shaw (deux enregistrements), Slide Hampton, Joe Farrell et beaucoup de musiciens de jazz de haut niveau.
Enfin la pulsation nerveuse et très musicale d’André White, autre trésor encore plus caché du Canada, batteur mais aussi pianiste et enseignant, vraiment excellent, donne à cette formation une allure de all star de haut niveau.
En invité, le «frère» de Kirk, Pat LaBarbera (1944, Canada), lui aussi ténor de haut niveau, et à écouter les trois thèmes où joue Pat, en particulier «Naima», il y a plus qu’une complicité entre ces deux ténors canadiens, de la connivence fraternelle. Pat a joué avec Buddy Rich, Louie Bellson et a tourné avec Elvin Jones en 1975, en europe en particulier. Il a également fait partie de l’orchestre de Carlos Santana, grand amateur de Coltrane, et on comprend son choix de Pat LaBarbera.
Les sexagénaires (Neil, André et Kirk), septuagénaires (Pat), octogénaire (Mabern) produisent une musique d’une intensité, d’une puissance, d’une inventivité qui font plaisir à écouter.
Leur discographie en leader reste modeste, et n’embarrasse pas les bacs des disquaires, Ils ont peu tourné en Europe et s’ils ont une bonne notoriété au Canada, nous aurions mérité d’en savoir plus sur leur musique, sur eux. Les scènes du monde s’honoreraient de ces dignes représentants d’un jazz de qualité plutôt que ce que nous voyons souvent. Il faut croire aussi que le jazz n’est pas aussi international qu’il pourrait l’être, et que le Canada ou le Pôle Nord en matière de jazz, c’est un peu pareil pour nos directeurs artistiques européens. C’est peut-être ce que voulait dire Kirk avec son titre énigmatique Vista Obscura
Ce bel enregistrement dirigé par Kirk MacDonald, lui aussi enseignant depuis trente ans, et ces beaux musiciens qui l’accompagnent, méritent un indispensable. Nous serions heureux qu’une tournée européenne nous permette de découvrir bientôt en live cette splendide énergie.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueEmmanuel Baily
Night Stork

Aria, East Coast West Coast, Les Feuilles Mortes, Night Stork, Goma, Sahel Al Mumtanah, Bossa de l’Hiver, Letter From Home, Bron-Yr-Aur

Emmanuel Baily (g), Lambert Colson (cornet à bouquin), Jean-François Foliez (cl), Xavier Rogé (dm), Khaled Aljaramani (oud, voc)
Enregistré en mars 2015, Bruxelles

Durée: 41' 06''

Igloo Records 265 (Socadisc)


En totale adéquation avec les objectifs des Jeunesses Musicales du Luxembourg Belge, de Jean-Pierre Bissot et du Gaume Jazz Festival le projet d’Emmanuel Baily prône la mixité. Nous aurions pu nous passer de chroniquer cet album dans une revue spécialisée «jazz». Toutefois le projet d’Emmanuel est tellement original par les couleurs qu’il développe qu’il nous apparait intéressant d’attirer votre attention. Dès l’écoute d’ «Aria», l’étonnante association de la clarinette et du cornet à bouquin interpelle pour l’évidence harmonique. Avec «East Coast West Coast», qu’il aurait pu intituler «Nord-Sud», on sent déjà l’appel des grandes dunes sahariennes (l’oud). Le chant de Khaled Aljaramani sur «Sahel Al Mumtanah nous impose l’humilité; le solo d’oud est joliment porté par l’accompagnement du guitariste ouvrant sur les entrelacs des souffleurs. Un peu plus au Sud, sur l’équateur, il nous invite à onduler du popotin congolien, comme un message d’espoir parmi les viols et le génocide («Goma»). Le poétique «Night Stork» s’inspire des battements d’ailes d’une cigogne … noire, d’après l’auteur; majestueuse, quoi qu’il en soit (re-recording de guitares)! L’originalité des «Feuilles mortes» réside d’abord dans une longue intro à la gratte à laquelle succède l’union des vents. Xavier Rogé (dm) poursuit par des rythmes mats qui ouvrent sur un solo bien inspiré du clarinettiste. Avec «Bossa de l’Hiver» et le druming hypnotique et binaire de Rogé, Emmanuel Baily se sent pousser des ailes. Le délicieux «Letter From Home» vient nous rappeler d’où il les tient! Pour conclure sur un country sound, Emmanuel Baily fait un tribute à Jimmy Page («Bron-Yr-Aur»). Ce sera l’ultime témoignage (pour cette fois) d’un guitariste doué, d’un musicien ouvert et d’un arrangeur d’une grande sensibilité. Non, mais! On n’a pas d’œillères, nous, Monsieur!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueValerio Pontrandolfo & Harold Mabern Trio
Are You Sirius?

Twenty, You, Touched, Tongue Out, Recado Bossa Nova, Make Believe, Are You Sirius?, Rakin' & Scrapin, Tune Up

Valerio Pontrandolfo (ts), Harold Mabern (p), John Webber (b), Joe Farnsworth (dm)
Enregistré le 11 septembre 2014, Vignola (Italie)
Durée: 40' 22''
In Jazz We Trust 001 (www.valeriopontrandolfo.it)


Ce n’est pas sur le livret (à quoi servent-ils aujourd’hui) que vous apprendrez quoi que ce soit sur Valerio Pontrandolfo. Ce natif (24 avril 1975) de Potenza (Basilicata), dans le sud de l’Italie, installé depuis 20 ans à Bologne, a étudié le saxophone avec Piero Odorici puis a suivi l’enseignement si recherché de Barry Harris, et pris des cours avec Steve Grossman et George Coleman. Il a côtoyé sur scène (festivals européens, clubs) beaucoup de beaux musiciens de jazz comme Steve Grossman, Alvin Queen, Andrea Pozza, et bien sûr beaucoup de la scène italienne du jazz. Le parcours est donc jalonné de références solides, et d’une certaine manière on l’entend dans cet enregistrement très jazz, c’est-à-dire pétri dans le blues, le swing et l’expression hot. Comme le remarque l’auteur des quelques mots d’introduction du livret, le ténor Eric Alexander, habituel compagnon du trio très new-yorkais qui accompagne la découverte de ce disque, Valerio puise aux meilleures sources, celles de Sonny Rollins souvent ou de ses maîtres successifs. Nul doute qu’il aime le jazz, et qu’il s’est fait un énorme plaisir à jouer avec une section ryhtmique de rêve ou l’evergreen Harold Mabern est soutenu par la paire complice et puissante de John Webber et Joe Farnsworth. Beaucoup de standards, les bonnes compositions sont recommandées quand il s’agit d’un disque de présentation, et les quatre originaux sont très «classiques», dans le même esprit. Valerio est d’ailleurs très concentré sur son sujet, il ne se laisse pas aller (les thèmes tournent autour de 4 minutes dans un disque de 40 minutes), et on peut le comprendre, un maître du jazz l’accompagne. Un introduction donc sympathique qui s’écoute avec plaisir d’un musicien qui n’a pas la prétention d’inventer le jazz, même s’il a l’audace d’être le leader d’un trio qui habite à l’étage supérieur.
A suivre..
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Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Erroll Garner
The Quintessence

Just You, Just Me, The Petite Waltz Bounce, Honeysuckle Rose, The Way You Look Tonight, It's the Talk of the Town, Caravan, Cheek to Cheek, Look Ma-All Hands!, (There's) No Greater Love, Lullaby of Birdland, I've Got My Love to Keep Me Warm, Groovy Day, A Cottage For Sale, That Old Feeling, Misty, Afternoon of an Elf, I'll Remember April, Autumn Leaves (Les Feuilles Mortes) , Mambo Carmel, The Man I Love, Time on My Hands, Passing Through, The Way Back Blues, Soliloquy, You'd Be So Nice to Come Home to, French Doll, The French Touch, Mack The Knife

Erroll Garner (p) et selon les thèmes: Oscar Moore (g), Nelson Boud (b), Teddy Stewart (dm), John Simmons (b), Shadow Wilson (dm), Wyatt Ruther (b), Eugene Fats Heard (dm), Eddie Calhoun (b), Denzil Best (dm), Al Hall (b), Specs Powell (dm), Kelly Martin (dm)
Enregistré de 1948 à 1962, New York, Carmel, Los Angeles
Durée : 1h 12' 24'' + 1h 11' 55''
Frémeaux et Associés 3063 (Socadisc)


Dans The Quintessence, la collection des compilations de grande consommation (on l’espère pour la maison Frémeaux, c’est mérité), voici le deuxième volume consacré à Erroll Garner qu’on retrouve ici en solo, trio, quartet. Un bon texte d’Alain Gerber raconte toute l’incompréhension du cas Garner qu’on peut résumer par un génie «naturel» et modeste. Par «naturel», il faut entendre «culturel», car toute la force de Louis Armstrong, Fats Waller ou Erroll Garner était bien de donner naturellement à entendre l’essence d’un jazz inspiré par des siècles de culture.
Alain Tercinet s’occupe de la sélection retenue et de son commentaire, et remarque (en les citant) que la plupart des pianistes ont adoré Erroll Garner. Il rappelle que son talent fut apprécié par Boris Vian et Charles Delaunay en France. Il faut aussi se souvenir que, parfois, son plaisir de plaire au public le privait de celui de plaire à une critique faussement «intellectuelle». La variété du répertoire, l’absence de barrière (technique, de tonalité, d’a priori stylistique et autres) ont fait d’Erroll Garner un pianiste universellement apprécié, d’abord des producteurs (il n’avait pas besoin de plusieurs prises) et pas seulement des amateurs de jazz. Beaucoup ont fredonné ses interprétations sans avoir de notions très précises de ce qu’était le jazz, ce qui le rapproche à nouveau de Louis Armstrong.
Erroll Garner se place bien entendu dans un ensemble culturel identifié, notamment par son lieu de naissance, Pittsburgh, Pennsylvanie, une ville bénie pour le piano jazz (de Mary Lou Williams à Ahmad Jamal), dans un moment où l’art du piano atteint des sommets d’expression et de virtuosité, mais la préexistence de Fats Waller, Earl Hines, Teddy Wilson, Art Tatum, Nat King Cole et quelques autres, qui l’ont tous inspiré, ne l’empêche pas de développer son style à nul autre pareil: un style orchestral avec ses introductions légendaires, ses développements sur tempos doublés («The Man I Love»), un délié et une attaque puissante du clavier et de chacune des notes, avec ses redoublements, un jeu en blocks chords légendaire, avec ce petit décalage-retard qui détermine un jeu d’une souplesse extraordinaire et qui est sa marque de fabrique, une musicalité rhapsodiante, une gamme de nuances sans limite du lento-pianissimo au forte-allegro et un swing qui, comme celui de Basie, pourrait servir d’exemple parfait d’une des composantes essentielles du jazz. Le piano de Garner, c’est le jazz en cinémascope. Pianiste de culture, son oreille était capable de tout saisir (y compris chez ses contemporains de Bud Powell à Oscar Peterson) et d’en faire du Erroll Garner. Le génie du jazz est aussi là. De fait, Erroll Garner a influencé, même à leur insu, tous les pianistes de jazz (comme le remarque Jimmy Rowles dans une des citations du livret) et au-delà.
Bon, les amateurs auront déjà dans l’oreille beaucoup de ces chansons qu’il a fait siennes ou qu’il a composées («Misty», «Mambo Carmel»), mais pour les plus jeunes ou les moins spécialisés, cet enregistrement sera une ouverture sur un monde merveilleurx, si l’auditeur est capable, lui aussi, d’écouter ce musicien extraordinaire sans les a priori sonores du jour.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Melody Gardot
The Currency of Man

It Gonna Come, Preacherman, Morning Sun, Same to You, Don’t Misunderstand, Don’t Talk, If Ever I Recall Your Face, Bad News, She Don’t Know, Once I Was Loved + Palmas da Rua, No Man’s Prize, March for Mingus, After the Rain, Burying My Trouble (sur la version The Artist’s Cut)

Melody Gardot (voc, p, g), Gary Grant (tp), Irwin Hall (as), Dan Higgins (ts, bs), Andy Martin (tb), Pete Kuzma, Larry Goldings (org), Mitchell Long, Dean Parks, Jesse Harris, Reese Richardson (g), Chuck Staab, Vinnie Colaiuta (dm), Pete Korpela (perc), Heather Donavon, Clydene Jackson, Julia Waters, Maxine Waters (bck voc)

Durée: 48' 52''

Enregistré à Los Angeles, date non communiquée

Decca 4724682 (Universal)


Quatrième pépite pour la native de Philadelphie et une nouvelle fois la finesse et la profondeur de sa musique sont au rendez-vous. Melody Gardot joue un jazz qui puise aux sources du blues et de la soul en y apportant ses couleurs faites d’esthétique, de fashion week et de joaillerie. Sur la galette cela se traduit par des compositions toujours aussi fortes en émotion, une instrumentation sophistiquée avec des cuivres et des cordes à volonté et un line-up de haute qualité. En plus d’Irwin Hall (as), Mitchell Long (g) et Chuck Staab (dm), ses musiciens habituels, Larry Goldings (org), Dean Parks (g) et Vinnie Colaiuta (dm) apportent leur expérience et leurs connaissances à la formation constituée pour l’occasion. La jeune femme, pour qui la musique a été une thérapie, conduit son navire vers les destinations qui lui correspondent tout à fait. L’album est à la fois hot, tendre et spicy avec un clin d’œil au free qui mérite d’être souligné. Currency of Man (version longue) ouvre avec «Don’t Misunderstand», comme si l’artiste voulait nous extraire des champs de coton du Delta profond pour nous amener sur la route d’une certaine libération, avec l’orgue en soutien d’une voix gorgée de sensualité. La Gardot dit des choses fortes sur une musique suave («Don’t Talk») ou plus funky («It Gonna Come»). Aux détours de l’album, on retrouve le Philly Sound qui constitue la base principale de la production de Larry Klein, qui avait produit My One and Only Thrill, ainsi que Herbie Hancock et Joni Mitchell. «Preacherman» est le morceau déclencheur de cette direction. Lors de la tournée 2013 pour son album The Absence, Miss Gardot jouait déjà cette pièce, dédiée à Emmett Till, jeune Afro-Américain assassiné en 1955. Un désir de parler d’une période qui est malheureusement toujours d’actualité outre-Atlantique. Le son est à présent plus rond, un choix esthétique qui se combine fort bien avec les autres morceaux franchement soul («Same to You») et cette référence à sa ville natale. Sur «She Don’t Know», Melody Gardot joue avec les mots. En fait, sur ses chansons elle parle de la vie qu’elle perçoit à travers sa propre existence. En cela elle est jazz et le témoigne par certaines orchestrations et certaines interventions de son fidèle Irwin Hall. Ce dernier devenant par instants un Roland Kirk du présent avec ses deux saxos en bouche («Bad News»). Enfin, comment ne pas évoquer «March for Mingus», un extrait d’à peine une minute, pour rendre hommage au grand contrebassiste, mais qui sur scène se transforme en plus de dix minutes d’intenses échanges jazziques. Un choix défendu par la chanteuse, malgré les réticences de la maison de disques.

Au final, on stage, le public peut être pas forcément féru de la note bleue, découvre une musique qui peut lui paraître lointaine grâce à l’excellent travail de la guitariste signée par Gibson. Pour les fans, il y a encore «Burying My Trouble», et cette sensation que Melody vous parle en direct pour vous dire l’essence de son existence. Ce dialogue ne peut vous laisser insensible. C’est la magie de Melody. Rendez-vous pour un nouvel opus qui semble-t-il pourrait avoir la couleur du Brasil d’Astrud, Antonio et Stan?

Michel Maestracci
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueThe Katie Bull Group Project
All Hot Bodies Radiate

The Crazy Poet Song, Venus on the A Train, Koko's Can Do Blues, Ghost Sonata, The Drive to Woodstock, If I Loved You/ What if?, Torch Song to the Sub, Love Poem for Apollo, I Guess This Isn't Kansas Anymore, Some Perfume Home, Ding Dong the Witch Is Dead, Rapture for the David, The Sea Is Full of Song
Katie Bull (voc) Jeff Lederer (ss, ts), Landon Knoblock (p), Joe Fonda (b), George Schuller (dm)
Enregistré en avril 2013, Paramus (New Jersey)
Durée: 1h 04’ 54’’
Corn Hill Indie (www.katiebull.com)


Katie Bull, poétesse d'avant-garde, compositrice et arrangeuse, est fortement impliquée dans la défense de la nature et est très préoccupée par les changements climatiques. Dans ce CD sous-titré «Love-Nature-The Nature of Love», elle psalmodie (plus qu'elle ne les chante) ses textes sur fond d'une musique de jazz tout aussi intransigeante, car, l'engagement musical est total, et plus proche des véhémences du free jazz que des candeurs du «flower power».
Si la section rythmique ne mérite que des éloges, Jeff Lederer, le saxophoniste, magnifique musicien, fortement influencé par Ayler, sideman occasionnel de Buster Williams ou de Gunther Schuller et conseiller pédagogique du Jazz at Lincoln Center est, quant à lui, digne d'encore plus de compliments. Ce disque étant avant tout un manifeste militant et ne conviendra pas vraiment à une écoute familiale apaisée de fin de week-end.... Mais il rappelle à bon escient, s'il en est encore temps, que le jazz a aussi une dimension politique
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Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueEric Séva
Nomade sonore

Graffiti Celtique, Guizeh, Rue aux fromages, Nomade sonore, Monsieur Toulouse, Popa, Kamar, Matin rouge, Sur le pont de Gazagou, Cheeky Monkey
Eric Seva (ss, bs), Daniel Zimmerman (tb), Bruno Shorp (b)
Enregistré à Maison Alfort, date non communiquée
Durée: 59' 33'
Gaya Music Production ESGCD001 (Socadisc)


Le saxophoniste Eric Seva a le sens des titres qui font mouche pour décrire sa démarche. Après Folklores imaginaires (en 2005 avec Didier Malherbe au doudouk) et Espaces croisés (en 2009, avec Lionel Suarez au bandonéon), voici Nomade sonore, son dernier album. Ayant grandi dans un milieu très concerné par le bal musette, il eut le privilège d'être initié au jazz dès l'enfance par un grand expert en la matière, son voisin Jean, l'immense (et si tendre) dessinateur Cabu. Oui, celui là-même qui nous manque tant. Enfin, après de solides études musicales, Eric Seva eut, la chance d'être choisi comme élève par Dave Liebman. Alors, question métissages, il en connait un rayon. D'autant que ponctuée de rencontres miraculeuses, sa carrière l'a conduit à enregistrer avec l'ONJ, Khalil Chahine, Didier Lockwood, Sanseverino, Maxime Leforestier, Dick Annegarn ou... Céline Dion (pour faire court).
Difficile de décrire sa musique tant elle déborde d'influences diverses mêlant, parfois au sein d'un même morceau, un folklore désuet revitalisé par les «notes bleues», au jazz le plus swinguant. Ecriture précise, larges plages d'improvisations, climats et rythmiques combinant moments de tension et de plénitude dans un tourbillon frénétique rempli de rebondissements, ne cessent de surprendre. Les très beaux sons de soprano et de sax baryton s'accordent à merveille avec la variété des timbres du trombone (la prise de son est remarquable), tandis que la basse et la batterie tiennent avec légèreté et une grande complicité leur rôle indispensable de gardien du cap. C'est tout simplement captivant!
Ce disque est dédié aux douze victimes de l’attentat de Charlie Hebdo. On comprend pourquoi
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Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Julie Saury / Carine Bonnefoy / Felipe Cabrera
The Hiding Place

Harufe, Laissez-moi, Through the Clouds, Desde Abrit, Samuel, The Hiding Place, Horns and Horses, Vertigo, Un p'tit moi, Stars Fell on Alabam

Julie Saury (dm), Carine Bonnefoy (p), Felipe Cabrera (b)

Enregistré les 3, 4 et 5 octobre 2013, Videlle (91)

Durée: 1h 00' 42''

Gaya Music Production 021 (Socadisc)


Quel est donc ce lieu évoqué par le titre de l'album? Si c'est celui de l'origine géographique des membres de ce trio "mixte" (deux filles et un garçon) venant d'horizons si différents, il faudra se plonger dans un atlas et se livrer à de sacrés calculs... Car si Julie Saury est parisienne et Felipe Cabrera cubain (ou parisien?), Carine Bonnefoy a des origines polynésiennes, mais a grandi en Provence... Quel casse-tête! Peu importe, ils se sont trouvés et bien trouvés. Chacun a apporté ses compositions, et le choix du seul standard (dédié à Maxim... dont le nom de famille n'est pas un vrai secret et qui est joué avec beaucoup de tendresse), n'a pas dû faire débat tant l'entente de ce trio semble totale. Thèmes d'une grande qualité, mises en place découpées au scalpel (en trio on ne peut guère parler «d'arrangements»), écoute de tous les instants, respect de la parole de l'autre, changements de climats soudains et inattendus, interactions éclairs, ostinatos furtifs, choix harmoniques audacieux et surprises rythmiques diaboliquement maîtrisées. Bref, tout ce qu'il est normal d'attendre d'un trio de "vieux briscards", rompus par des années de tournées est là. Evident.

Ce CD est un prodige d'invention de grâce et d'authenticité. Enregistré dans le confort d'un studio on dirait presque un live. Une vraie réussite!

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Jean-Yves Candela
Lucie

Baiao loco, Quel chic, Blue Samba, Il pleut bergère, Astor, Lucie, Aria pour Michèle, Anatelius, Petite valse, Suite pour piano et quatuor à cordes, Like a child
Jean-Yves Candela (p), François Arnaud, Bertrand Cervera (vln),Vincent Aucante (avln), Thierry Amadi (cello), Marc Bertaux (b), Realcino Lima Filho dit Nenê (dm)
Enregistré en mai 2006, Paris
Durée: 51’ 58’’
JMS 111-2 (Sphinx Distribution)


La guimauve n’étant pas son fort, c’est toujours avec un peu d’appréhension que le chroniqueur reçoit un disque de jazz «avec cordes». Mais à l’écoute de celui-ci, les craintes sont vite dissipées. Malgré un penchant certain pour le côté fluide et nostalgique des harmonies de la musique brésilienne, le pianiste, Jean-Yves Candela y signe des compositions énergiques et des arrangements dénués de mièvrerie. Le trio piano, contrebasse, batterie emporte l’enthousiasme par le dynamisme, la précision, et la richesse harmonique de cette musique élégante et lyrique. Thèmes de toute beauté, improvisations pertinentes et mises en place redoutables de finesse ne souffrent aucunement de la présence des cordes, celles-ci n’étant pas, comme si souvent, placées en renfort ou en fond de scène. Mais, postées à point, et parties prenantes du discours, elles participent pleinement à sa réussite.
Signe des temps, malgré les références de son auteur (Les Etoiles, Elisabeth Kontomanou, Babik Reinhardt, Christian Escoudé, Sylvain Luc, Richard Galliano, André Ceccarelli, JM Jafet, les frères Belmondo…), remarqué par André Francis dès 1989, son disque sort presque dix ans après avoir été enregistré… Dur dur de faire carrière quand on vit en province…

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueCéline Bonacina Crystal Quartet
Crystal Rain

Smiles for Serious People, Cyclone, Child's Mood, Crystal Rain, Shanty Trails in the Sky, Crossing Flow, Two Sides, On the Road, Vantan
Céline Bonacina (bs, ss), Gwilym Simcock (p), Chris Jennings (b), Asaf Sirkis (dm) 
Enregistré du 25 au 27 août 2015, Meudon (92)
Durée: 55’ 07’’
Cristal Records 245 (Harmonia Mundi)

Céline Bonacina, saxophoniste baryton et soprano de 40 ans, originaire de Belfort, s’est formée dans les conservatoires, cursus dont elle est sortie diplômée et qui lui a permis d’enseigner pendant sept ans sur l’île de la Réunion. De retour dans la métropole en 2005, elle crée son propre trio jazz et autoproduit un premier album, Vue d’en haut. Suivent deux disques en trio parus chez ACT, Way of Life (2010, avec la participation de Nguyên Lê) et Open Heart (2012, avec en invités Mino Cinelu, perc, et Pascal Schumacher, vib). Trois opus marqués par la volonté d’intégrer au jazz des influences world music.

Avec Crystal Rain elle nous présente son nouveau quartet acoustique, formation qui conserve une teinte world, et qui porte une musique essentiellement écrite par son leader. Les accents boisés du baryton de Céline Bonacina sont mis au service de compositions aériennes, comportant des préoccupations esthétiques et une tonalité qu’on pourrait qualifier de contemplatives et spirituelles (référence au cristal qui dans la mouvance New Age est le prisme permettant une certaine ouverture au monde). Si les notes chaleureuses du baryton prédominent, Céline Bonacina utilise aussi le soprano au travers de contrastes plus appuyés sur des plages atmosphériques mettant en valeur le jeu inspiré des cymbales d’Asaf Syrkis. L’imaginaire est fortement sollicité à l’écoute de cette musique dont l’onirisme ne se dément pas, mais l’apparentement au jazz s’exprime ici principalement par les arrangements et l’interplay présent entre les instrumentistes. 

Ce Crystal Quartet utilise des mesures composées, et bien qu’un véritable sens du collectif anime l’album, la pulsation rythmique ne permet que sporadiquement la mise en valeur des contributions propres à un musicien en particulier. Du coup, l’univers des joutes instrumentales est à peu près absent du vocabulaire usité sur ces pistes, remplacé par l’ambition d’élaborer un discours musical inédit, basé sur les émotions. On ressent d’ailleurs clairement la présence d’autres courants musicaux que le jazz parmi les influences de la saxophoniste (d’où une quasi absence de swing), et surtout un véritable sens de l’ornementation qui ne relève jamais de l’enluminure gratuite, de plus assorti de breaks bienvenus, qui émaille les titres les plus audacieux de ce Crystal Rain.

Le CD se clôt joliment sur «Vantan», une ballade mémorable du contrebassiste, et paradoxalement c’est peut-être sur ce titre (en dehors, bien sûr, de «Crystal Rain») qu’on ressent le plus l’âme d’enfant sous l’égide de laquelle Céline Bonacina a voulu placer son œuvre.

Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Jean-Philippe O'Neill Quartet
Willie'O

Emile Saint Saëns, Willie’O, The Stalker, You Make Me Feel so Crazy, Latina, Billy Hart, Brook, Studio 16, Be Bop à Lulu

Jean-Philippe O’Neill (dm), Ronald Baker (tp, voc), Philippe Petit (p), Peter Giron (dm)

Enregistré du 1er au 4 février 2014, Paris

Durée: 48’ 39’’

Black & Blue 798.2 (Socadisc)

 

A tous ceux qui n’entendent la créativité en jazz qu’en le dénaturant de son essence, Jean-Philippe O’Neill oppose un démenti incontestable. Soit Willie’O, un album uniquement constitué d’originaux, dans une tonalité globalement bop. Ceux qui fréquentent les clubs parisiens, en particulier le Caveau de La Huchette, on pu repérer ce joyeux gaillard aux côtés de Ronald Baker. Une enfance au Mexique, une adolescence à Paris et une dizaine d’années à New York (il est diplômé de la Rutgers University) ont par ailleurs donné au batteur des horizons larges et une solide maîtrise du swing. Et c’est justement de cette rencontre avec l’ami Ronald – nous explique-t-il dans la (trop) courte notice du CD – qui a jeté les bases de ce quartet (ce qui ne nous étonne guère, tant ce projet paraît cousin des albums de l’excellent Ronald Baker Quintet), lequel est fort bien complété par l’une des Rolls parisiennes de la contrebasse, Peter Giron, et le groovissime Philipe Petit.

Outre la qualité des interprètes, celle des compositions – signées par les trois sidemen – et des arrangements sont à souligner. Les ambiances sont variées, allant de l’évocation de la musique d’Horace Silver (excellent «Emile Saint Saëns» de Petit) à un détour par Cuba («Latina» de Baker), tandis que l’on compte quelques jolies ballades portées par la sensibilité aiguë du trompettiste, en particulier sur les deux meilleurs titres de cet opus: «Billy Hart» (un hommage bienvenu sur un disque de batteur!) et «Brook», tous deux écrits par Peter Giron.

Willie’O est ainsi une œuvre collégiale dans laquelle le leader ne se met pas en avant: à peine nous gratifie-t-il d’un solo en ouverture de «Latina» (où le duo avec Philippe Petit, tout aussi percussif, fonctionne à merveille). Un excès de modestie peut-être. Mais on ne va pas se plaindre que la belle cohésion du groupe ni des couleurs subtiles que Jean-Philippe O’Neill distille du bout des baguettes.

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueAustin O'Brien Big 5 Band
My Time Is Now

My Time Is Now, Ride On, Ballade for Kele, What Do You See?, Dirty Old Town, Happy, Main Street, She Moves Through the Fair, D’iazz Song, That’s True, Now and Then, My Dear Friend, And I Ask You Why, Love for Two
Austin O’Brien (voc), Michel Pastre (ts), Christian Brun (elg), Philippe Petit (org), François Laudet (dm)
Enregistré en 2014, Meudon (92)
Durée: 56’ 39’’
Autoproduit (www.austinobrienmusic.com)


Les habitués du Caveau de La Huchette ont forcément déjà croisé sa haute silhouette au bar, dans le public et évidemment sur scène. Car cela fait dix ans que cet Irlandais à la forte personnalité fréquente le club de Dany Doriz. Entertainer se réclamant de la tradition des Harry Connick Jr, Frank Sinatra et Tony Bennett, Austin O’Brien propose un album qu’il présente avant tout comme un compagnonnage amical et musical avec Michel Pastre, François Laudet, Christian Brun et Philippe Petit, ce dernier étant l’auteur des arrangements. La qualité du groupe qui entoure le chanteur n’est effectivement pas le moindre des atouts de ce projet (le son hawkinsien de Pastre est tout simplement magnifique) comprenant à une large majorité des originaux, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent pour un disque de swing. Ces compositions sont toutes signées ou cosignées par le leader avec Petit, Brun, Michel ou César Pastre (on doit notamment au jeune fils du ténor  – par ailleurs, excellent pianiste – une jolie ballade: «D’iazz Song») et elles sont de bonne facture (avec une mention spéciale pour «That’s True», concoctée par O’Brien et Petit). Côté reprise, on retiendra une surprenante version du tube R’n’B de Pharrell Williams,
«Happy», – si bien jazzifié qu’on le prendrait pour un standard –, alors qu’avec le traditionnel irlandais, «Dirty Old Town», l’opération paraît artificielle. Résultat des courses: un disque fort sympathique porté par un interprète qui mérite de l’attention.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Kenny Barron Trio
Book of Intuition

Magic Dance, Bud Like, Cook's Bay , In the Slow Lane, Shuffle Boil, Light Blue, Lunacy, Dreams, Prayer, Nightfall
Kenny Barron (p), Kiyoshi Kitagawa (b), Johnathan Blake (dm)
Enregistré les 4 et 5 juin 2015, New York
Durée: 1h
Impulse! 477 0129 (Universal)


Kenny Barron en trio, c’est un classique du jazz, l’un des meilleurs de l’histoire. Il a aussi enregistré en solo (At Maybeck), en duo (Together avec Tommy Flanagan, Red Barron avec Red Mitchell, Two As One avec Buster Williams, People Time avec Stan Getz,Night and the City avec Charlie Haden), en quartet (la série des Sphereavec Charlie Rouse, Buster Williams et Ben Riley), voire en plus grande formation, toujours de magnifiques disques, parce que Kenny Barron est l’un des piliers du jazz d’aujourd’hui, un musicien qui a magnifié l’histoire du jazz depuis sa jeunesse, aux côtés de Dizzy Gillespie dès 19 ans pour un parcours d’excellence sans le moindre égarement.
En trio, comme dans tous les formats, c’est un géant, et la connivence entre musiciens comme la large place laissée à l’expression de chacun de ce format réduit, ont fait de cet échange à trois celui qu’il utilise le plus en tournée. On se souvient, mieux, on se les repasse fréquemment, de ses trios avec Buster Williams et Ben Riley (Green Chimneys, IMO Live), avec Ron Carter et Michael Moore (1+1+1), avec Cecil McBee et Al Foster (Landscape), avec Ray Drummond et Ben Riley, un trio au long cours avec lequel il a souvent tourné, l’une des plus belles réunions de l’histoire (Lemuria), avec Rufus Reid et Victor Lewis (The Moment), avec Charlie Haden et Roy Haynes (Wanton Spirit)… On pourrait s’étendre, mais il vaut mieux retourner à son interview du n°575 de Jazz Hot, avec la discographie détaillée qui vous donnera des idées et des envies de disques de Kenny Barron.
L’essence du jazz y est dans toutes ses dimensions: la qualité de l’expression (plénitude, nuances, récit), le blues, un swing jamais contraint, l’originalité absolue et un sens rare de la mise en place, une sorte de perfection harmonique et rythmique qui ne se départit jamais d’un langage naturel, accessible. En homme de la mémoire du jazz, il n’oublie jamais ceux qu’il admire (Thelonious Monk, représenté dans ce disque par deux thèmes) ou qu’il a côtoyés: un beau thème très nostalgique («Nightfall») est dédié à Charlie Haden, et bien entendu Kiyoshi y a une partie réservée.
Kenny Barron a, derrière sa science infinie du jazz et du clavier, l’ouverture et l’humilité de servir le jazz, la musique avec naturel, de mettre à la disposition de toutes les oreilles, même les plus profanes, la beauté de cette musique avec son talent d’artiste accompli. Comme les plus grands du jazz, Kenny Barron rend le jazz accessible à tous, et toujours avec une modestie, une allure anti-star qui incarne l’esprit du jazz dans ce qu’il a de meilleur. L’idéal artistique.
Dans ce disque, avec des partenaires triés sur le volet et qu’il élève au sommet de l’expression, Kiyoshi Kitagawa (1958, Osaka) et Johnathan Blake (1976, Philadelphie), il délivre encore une œuvre parfaite. Il suffirait d’écouter le seul «Lunacy» pour s’en persuader, mais chaque thème est une merveille, et le disque est d’une certaine manière encore plus abouti que la prestation en concert à Paris (cf. nos comptes rendus), car chaque thème profite d’une forme d’économie et de rigueur (de temps et d’espace) qui confère plus d’intensité, comme dans «Prayer» où Kiyoshi Kitagawa nous gratifie d’un très beau jeu à l’archet et Johnathan Blake de ses nappes aux cymbales comme des voiles jetés sur les notes perlées d’un Kenny Barron extatique.
On devrait encore s’arrêter sur ce «Bud-Like», sur chacun des thèmes, sur la construction du disque qui alterne thèmes aériens et intense, tempos médiums et tempos rapides, originaux et classiques, avec l’art consommé de Kenny Barron de savoir faire respirer la musique et l’auditeur, pour la beauté de l’une et l’attention de l’autre. Kenny Barron est un sommet de l’art du trio aujourd’hui, tant mieux pour le jazz et pour nous!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Ella Fitzgerald
Live in Paris. 1957-1962

64 titres
Ella Fitzgerald (voc) avec:
8 mai 1957: Don Abney (p), Herb Ellis (g), Stuff Smith (vln), Ray Brown (b), Jo Jones (dm)
30 avril 1958: Lou Levy (p), Max Bennett (b), Gus Johnson (dm)
23 février 1960: Paul Smith (p), Jim Hall (b), Wilfred Middlebrooks (b), Gus Johnson (dm)
28 février 1961 et 11 avril 1961: Lou Levy (p), Herb Ellis (g), Wilfred Middlebrooks (b), Gus Johnson (dm)
16 mars 1962: Paul Smith (p), Wilfred Middlebrooks (b), Stan Levey (dm)
Enregistré à Paris
Durée: 1h 16’ 03” + 1h 14’ 21” + 1h 17’ 39”

Frémeaux & Associés 5476 (Socadisc)


Dans le cadre de la collection «Live in Paris: la collection des grands concerts parisiens», dirigée par Michel Brillié –qui rédige le texte du livret– et Gilles Pétard, le directeur de feu la bonne collection Classics (intégrales chronologiques du jazz, par musicien), voici le volume consacré à Ella Fitzgerald, après Miles Davis, Quincy Jones, Ray Charles, Count Basie, et d’autres sont à venir sans doute, sous le parrainage bienveillant du label de Patrick Frémeaux, qui continue son œuvre. Puisse-t-on trouver la solution pour le conserver au jazz dans la glace, mais actif, pour le siècle entier.
En particulier, parce que ce coffret de trois disques est un événement majeur du jazz et de l’art –puisqu’on parle d’Ella Fitzgerald– même si personne d’autre que Jazz Hot ne le dit. On espère quand même, après cette chronique, que les lignes bougeront… Les enregistrements sont indiqués comme étant dus à l’équipe d’Europe 1 et crédités comme produits par Norman Granz, Frank Ténot et Daniel Filipacchi. A ce propos, si l’essentiel des titres du volume consacré à Count Basie était déjà paru à un titre près (chez Magic-Awe et Laserlight, cf. discographie), cette mention d’une coproduction pour Ella est mystérieuse car deux des trois sont morts et ne nous le diront pas, et que ce volume semble intégralement inédit pour tous les discographes, ce qui en fait un diamant pour tous les amateurs de jazz et de chant et de la First Lady, et ils sont nombreux.
En effet, la consultation des discographies d’Ella, alors qu’elle mentionne beaucoup des concerts européens enregistrés lors de ces tournées de 1957 à 1962 (Berlin, Rome…), produits par Verve, et donc enregistrés avec l’aval de Norman Granz à l’époque, ne mentionne aucun des enregistrements d’Ella à Paris inclus dans ces trois disques. Il est d’ailleurs douteux autant pour Ella que pour le Count que l’enregistrement des concerts de 1957 soit dû aux techniciens d’Europe 1. A cette époque, Europe 1, dont l’émetteur est au-delà de la frontière française, en Sarre qui a choisi l’Allemagne (en raison du monopole des ondes en France), vient à peine de commencer à émettre depuis 1955, et non sans difficultés car le message est brouillé (cf. Dictionnaire de la Radio, Pug), étant à l’époque une radio-pirate (sans accord formel d’émission et attribution d’une longueur d’onde). La sulfureuse Europe 1, en 1960-1962, bien qu’émettant alors, est encore au centre d’un conflit juridique interne sur le nom même de son propriétaire qui provoquera un conflit entre la France et la Principauté de Monaco (Histoire de la Radio en France de René Duval, Alain Moreau). Une «guerre» que la France gagnera (pour une fois) mais qui n’est pas plus à son honneur que celle d’Algérie.
Frank Ténot, dans son histoire Radios Privées-Radios Pirates (Denoël), qui reprend souvent les informations telles quelles de René Duval, élude cette fois l’épisode de 1960-62, et signale en forme d’épitaphe que le fondateur d’Europe 1, Charles Michelson, un industriel juif, mourut ruiné en 1970. Notre imagination et quelques informations indiquent qu’il fut doublement spolié de sa création (qui tire des racines lointaines en 1936), d’abord en 1940 par Laval, en personne, puis en 1962, lors de ces épisodes juridico-rocambolesques qui ont bercé la naissance d’Europe 1, qui mêlèrent en dehors de Michelson, Sylvain Floirat, industriel au passé sulfureux, les Etats français et allemands, la Principauté de Monaco, le monde de la finance de cette époque, l’Assemblée nationale française, et brassèrent quelques milliards au total. C’est une vieille histoire, aujourd’hui oubliée, qui dépasse l’imagination, et nous en rappelle d'autres, plus actuelles.
Pour revenir donc à notre disque, qui nous a permis de replonger dans une histoire à la Dumas-père, mais qui se termine, selon notre imagination, moins bien pour le bon que pour le truand, on peut imaginer que les actifs Ténot et/ou Filipacchi, amateurs de jazz et activistes de la radio, pionniers du show business et à l'orée d'un empire des médias (Pour ceux qui aiment le jazz, et Salut les copains sur Europe 1), aient enregistré, avec leur Nagra III (apparition déterminante en 1958 d’un petit enregistreur à bande de haute qualité entièrement transistorisé) ces concerts d’Ella Fitzgerald, en se passant du consentement de Norman Granz qui veillait jalousement sur sa perle rare et sur tous ses enregistrements. Le livret rappelle justement l’attention extrême que Norman Granz portait à Ella Fitzgerald. Cela expliquerait, on peut aussi l’imaginer, que Norman Granz n'ait pas publié lui-même cet enregistrement, et qu’on ait attendu la disparition de Norman Granz et plus de 50 ans de délai pour voir apparaître ces enregistrements précieux.
L’auteur d’un livret sympathique mais insuffisant vu la réalité exceptionnelle de cet enregistrement – qui a pu aussi circuler entre collectionneurs, n’en doutons pas, dans des éditions pirates non connus des discographes – raconte d’ailleurs, en trouvant succulente l’anecdote, que l’un des jeux du 28 février 1961 consista à berner Norman Granz qui réclamait pour Ella, sous peine d’annulation – Ella à qui on avait réservé pour toute loge un coin des coulisses et un paravent – une loge équivalente à celle d’Edith Piaf, la sauveuse de l’Olympia, alors en difficulté sur le plan économique. On trouva l’astuce d’un faux panneau Edith Piaf sur une porte de placard. L'histoire fait «sourire jaune».
On imagine (encore) que les relations d’alors avec Norman Granz n’étaient pas à la coproduction d’un enregistrement d’Ella, comme l’indique le livret plus de 50 ans après. Et si tel avait été le cas, on suppose que ces enregistrements auraient fini dans les archives de Verve, comme ceux des autres pays d’Europe, et seraient disponibles depuis cinquante ans.
Mais bon, tout ça n’est que de l’imagination, et le résultat est là…
On découvre avec bonheur, la grande, la splendide, la surnaturelle Ella Fitzgerald, au sommet de son art, pour plus de trois heures trente minutes de musique inédite, au moins pour la plupart des amateurs. Merci à ceux qui ont dévoilé ces merveilles du jazz.
La First Lady, non pas du jazz, mais of Song, au singulier, mérite ce titre. Elle reprend non seulement quelques blues, avec autant de grâce que de gouaille, Ellington, Monk, Strayhorn, Ray Charles, etc., mais encore le grand livre de la chanson populaire américaine (Irving Berlin, George Gershwin, Cole Porter, Johnny Mercer, Rodgers & Hart…) que justement Norman Granz l’a incité à explorer dans le courant des années cinquante. Elle est en ce début des années soixante et restera jusqu’à son décès en 1996, une icône du jazz, un absolu du chant, l’équivalent de Maria Callas dans l’art lyrique classique.
Il ne sert à rien d’isoler un thème dans cet ensemble d’un niveau exceptionnel. Il suffit simplement de se rendre compte qu’un inédit d’Ella Fitzgerald, trouvé dans la poussière du temps, doit être un événement artistique majeur de la planète, comme le serait la découverte d'inédits de Maria Callas, ou la découverte d’un tableau de Van Gogh dans un grenier.
Ce serait alors un événement médiatique, un best-seller… Avec notre imagination, on peut le souhaiter à la maison Frémeaux, elle le mérite pour ce travail exceptionnel autour de la mémoire du jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Steve Slagle & Bill O'Connell
The Power of Two

Good News, One Life, Peri's Scope, I'll Wait and Pray, A New Day, KD JR. (In Memory of Kenny Drew, Jr.), The Power of Two, The Duke, Circle Into Your Grace, Whistling Spirits
Steve Slagle (as, fl), Bill O’Connell (p)
Enregistré le 12 septembre 2014, Paramus (New Jersey)
Durée: 53’ 23”
Panorama Records 005 (
www.steveslagle.com)

Cet album a vu le jour à partir de l’idée d’un hommage de Steve Slagle à son ami Kenny Drew, Jr., pianiste de grand talent, prématurément décédé, à 56 ans, en 2014. Steve et Kenny ont partagé plusieurs aventures musicales ensemble, dont celle du Mingus Big Band, et Kenny avait participé à des enregistrements de Steve (Reincarnation, 1994, chez SteepleChase). C’est l’occasion également pour Steve de retrouver un autre vieux compagnon de route, Bill O’Connell, et de permettre aux amateurs d’écouter cette musique de la nuance, de la profondeur, intime mais également puissante et émouvante comme l’évoque le titre.
Dans le jazz, la musique en duo laisse beaucoup de place à l’expression de chacun et permet un dynamisme et une grande spontanéité par le dialogue et bien sûr par la légèreté de la formule. Sur un répertoire majoritairement de Steve Slagle, avec deux compositions de Bill, un standard du jazz et deux compositions de Miles Davis et Dave Brubeck, Steve et Bill se répondent avec complicité, vérité, et c’est tout l’intérêt de la rencontre.Du beau jazz, où l’émotion est omniprésente, joué par deux excellents musiciens.
Steve Slagle alterne la flûte et l’alto – cela enrichit la palette du duo d’autant que Steve Slagle y excelle –, et donne la pleine mesure de ses qualités expressives qu’on apprécie depuis tant d’années (belle sonorité). Bill O’Connell est à l’écoute, soutient ou intervient avec un sens mélodique confirmé, un toucher très fin dans la grande tradition du beau piano jazz si riche et élaborée. Un plaisir de disque de jazz (avec tous les accents swing et blues) pour nous rappeler le regretté Kenny Drew, Jr., qui partageait avec ces deux musiciens le sens de la musicalité. Des musiciens au service de la musique et du jazz: excellent!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Lew Tabackin
Soundscapes

Afternoon in Paris, Garden at Life Time, B Where It’s At, Minoru, Yesterdays*, Day Dream, Sunset and the Mockingbird, Three Little Words
Lew Tabackin (ts, fl), Boris Kozlov (b), Mark Taylor (dm)

Enregistré les 20 mars* et 20 avril 2015, New York

Durée : 1h’

Autoproduit (www.lewtabackin.com)


S’il enregistre peu, joue à Paris une fois par an, à peu près jamais en régions ni dans les festivals de jazz, Lew Tabackin est pourtant bien présent. Il revient avec un excellent album, autoproduit et enregistré dans les conditions du live au Drum Shop de Steve Maxwell (le 20/04/15), à New York, avec le photographe/ingénieur du son Jimmy Katz à la coproduction (un titre, «Yesterdays» ayant été enregistré un mois plus tôt à son domicile).
Pour ce trio sans pianiste, le format qu’il préfère, le ténor s’est entouré de ses fidèles compagnons de route, Boris Kozlov et Mark Taylor, présents aussi sur Tanuki's Night Out (2002) et Live in Paris (2008). Il joue depuis une dizaine d’années avec le bassiste et plus de trente ans avec le batteur. C’est donc ici l’album d’un vrai groupe de jazz, avec une complicité musicale très solide.

Les standards choisis par Tabackin et ses compositions personnelles ont une histoire et racontent une histoire:
«Afternoon in Paris» est un titre de John Lewis avec qui il jouait régulièrement, et enregistra l’album Duo en 1981. C’est aussi une composition qu’il interprète souvent, en tournée, et c’est l’hommage à Paris après les deux attentats, ville avec laquelle il a noué de fortes attaches, et dont il ne manque jamais de saluer en concert l’importance historique dans l’histoire du jazz. Pour sa «trilogie» japonaise, «Garden at Life Time» évoque la fois où le patron du club de jazz Garden Cafe Lifetime, à Shizuoka, avait demandé au musicien d’accompagner à la flûte le spectacle «Hagoromo», une des plus célèbres pièces de théâtre Nô ; «B Where It’s At» est un hommage au club de jazz B Flat, à Tokyo, où il joue depuis des années;«Minoru» salue la mémoire de Minoru Ishimari, réparateur de saxophones qui «sauva la vie» du musicien à de nombreuses reprises lors de ses tournées au Japon.
Cette sélection de titres et ce va-et-vient entre le ténor et la flûte ressemblent bien à un des puissants sets de Tabackin qu’on peut entendre en club. Comme il nous le racontait dans son interview (dans ce numéro 675), son approche des deux instruments change du tout au tout. Et c’est bien deux voix qu’on entend, deux personnalités distinctes: un ténor qui rugit, au gros son qui envahit la salle, nourri de Coleman Hawkins, Ben Webster, Sonny Rollins, Zoot Sims (son «grand frère»), avec ses improvisations intenses, brûlantes, et un flûtiste, au son très personnel, qui apporte d’autres textures, d’autres couleurs, dans un mélange de jazz et de tradition orientale, japonisante, classique. Si le jeu du musicien est élégant, intègre et sans concession, il a d’autant plus de charisme et de présence qu’il joue en totale confiance, soutenu par deux excellents musiciens, très swing, toujours mis en valeur par le leader.
Si les interprétations au ténor suffisent à elles seules à faire de cet album une réussite, celles jouées à la flûte poussent le niveau d’un cran supérieur: «Garden at Life Time» est plein de cette tension dramatique qu’on peut imaginer sur la scène d’une pièce Nô, et son superbe «dérangement» de «Sunset and the Mockingbird», s’il est, dit-il, sa façon de taquiner les puristes de Duke Ellington en incorporant autant de Charlie Parker que possible, il est surtout l’affirmation profonde d’un musicien complet, inspirant, bouleversant et la preuve que le jazz est un art bien vivant.
Mathieu Perez
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Chuck Israels Jazz Orchestra
Joyfull Noise: The Music of Horace Silver

Sister Sadie, Moonrays, Creepin’ in, Doodlin’, Cool Eyes, Opus de Funk, Strollin’, Cookin’ at the Continental, Peace, Home Cookin’, Room 608
Chuck Israels (b, dir), Charlie Porter (tp), John Moak (tb), Robert Crowell (as, bar, fl), John Nastos (as), David Evans (ts), Dan Gaynor (p), Christopher Brown (dm)
Enregistré les 1-2 septembre 2014, Portland (Oregon)
Durée: 1h 09’ 37”
Qoulsatch Music 7827724472 (www.soulpatchmusicproductions.com)


Pour ceux qui se souviennent du beau parcours de Chuck Israels depuis les années cinquante entre Eric Dolphy, George Russell, Cecil Taylor et Bill Evans durant les années soixante avec qui il enregistra beaucoup de disques remarquables, cet hommage à Horace Silver pourrait paraître curieux. Pourtant, à y regarder de plus près, il n’étonne pas. Chuck Israels avait parlé de jazz dans une interview accordée à Jazz Hot (n°654), en 2010, et raconté comment il était né dans une époque extraordinaire, peuplée de musiciens d’une intensité remarquable, et il raconte dans le texte de livret comment lui et ses copains, dans cette époque, se précipitaient pour acheter les premiers le dernier disque d’Horace Silver, toujours entouré de la génération dorée de hard boppers, Art Blakey, Curley Russell, Lou Donaldson, Clifford Brown, etc.
Sa discographie, surtout en sideman, a aussi montré qu’il a enregistré avec Coleman Hawkins, Stan Getz, Barry Harris, Herb Ellis, et il a joué avec tant de musiciens de jazz extraordinaires… Il raconte sa première rencontre avec Horace Silver, comme auditeur d’un enregistrement de studio à la fin des années cinquante, et sa profonde admiration pour le grand compositeur, dont il reprend ici un florilège, et pour l’homme, une nature ouverte, joyeuse et généreuse, d’où le titre de cet album, Joyful Noise. Et on ne peut qu’acquiescer, car si un musicien a autant donné à la fois par son rôle de transmission au sein de ses splendides orchestres, et par son talent de magnifique compositeur et arrangeur, c’est bien le grand Horace Silver (cf. Jazz Hot n°528, 1996, avec une discographie) disparu en 2014. Sa musique très personnelle, swingante («Room 608»), joyeuse («Doodlin’», «Sister Sadie») et parfois si émouvante («Peace»), a tellement été reprise que cet hommage à l’un des très grands compositeurs du jazz est évident pour tout amateur de jazz, et Chuck Israels en reste un, au-delà de sa grande carrière.
Le bassiste natif de New York, installé à Portland dans l’Oregon, a fait appel à des musiciens de la scène locale, soit qu’ils y soient nés comme Robert Crowell (McMinnville, à côté de Portland), John Nastos, Christopher Brown, Dan Gaynor (Portland) ou installés comme John Moak (Oklahoma), Charlie Porter (New York), David Evans (Alabama). Les arrangements sont très respectueux de l’original (Gaynor respecte lui-même le jeu de piano de Silver dans son phrasé), et le disque est excellent avec ce qu’il faut de dynamique pour cette musique, et des instrumentistes de qualité. John Moak est un beau trombone qui donne ici d’excellents chorus; Charlie Porter, qui a suivi les enseignements de la Juilliard (jazz et musique classique) est un trompette percutant, et chacun des saxophonistes apporte sa couleur. Mais cette musique, conçue comme une sauce de grand chef étoilé, vaut par la couleur des arrangements.
Chuck Israels remarque un des attributs essentiels du jazz dans les années cinquante, l’intensité des musiciens d’alors. Il est certain que c’est aujourd’hui difficile de la retrouver dans une revisite, mais on passe plus d’une heure de plaisir à l’écoute de ces belles musiques fort bien réinterprétées, avec exigence, et nul doute que Chuck Israels s’est fait et nous a fait un grand plaisir avec cette relecture de grande qualité.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

George Freeman & Chico Freeman
All in the Family

Dark Blue, Interlude V-2, Latina Bonita, Interlude V-6, My Scenery, Interlude V-9, Five Days in May, Vonski, Interlude, Inner Orchestrations, Percussion Song Two, Chico, Interlude V-5, What's in Between, Essence of Silence, Interlude V-4, A Distinction Without a Difference, Interlude V-10, Angel Eyes, Percussion Song One, Marko*, Chico & George Introductions
George Freeman (g, voices*), Chico Freeman (ss, ts), Kirk Brown (p, clav), Harrison Bankhead (b, voc), Hamid Drake (dm), Reto Weber (hang, perc), Mike Allemana (g), Joe jenkins (dm), Joannie Pallatto (voices)*
Enregistré de septembre 2014 à janvier 2015, Chicago
Durée: 1h 18’ 55”
Southport 0143 ([email protected])


Un album de famille sans nul doute, et plus encore si on étend cette notion de famille à la ville qui a vu naître l’oncle et le neveu, George et Chico, car on retrouve dans cette production exceptionnelle, l’ensemble des composantes musicales qui font de Chicago l’équivalant, au bord des Grands Lacs du nord des Etats-Unis, du Gumbo néo-orléanais au sud, au bord du Mississippi. Ici, à Chicago, les influences, musicales et plus largement humaines, culturelles, viennent de loin: de New Orleans justement et de toute cette vallée fertile du grand fleuve (le Delta) que les hommes ont remonté peu à peu pour vivre, apportant leur joie de vivre, leurs peines, leurs traditions, leur culture. Chicago, la Cité du vent, est aussi celle du blues, mais encore celle des grands orchestres, d’une tradition du jazz qui remonte aux débuts du jazz, quand King Oliver, Freddie Keppard, Earl Fatha Hines et Louis Armstrong en étaient déjà les rois, et peu après de Benny Goodman. La descendance est riche. Chicago est enfin, sur le plan musical, la ville qui compte une centaine de chorales religieuses, avec un nombre d’obédiences sans égal aux Etats-Unis. Le fait religieux y est fort, quelle que soit la religion; l’Islam, en particulier, y a son plus fort développement.
La dureté de la vie, du travail, y a aussi créé une tradition de révolte, de force, qui a fait de ce pôle, l’un des plus remuants politiquement, culturellement, religieusement des Etats-Unis, et des plus radical en matière de combats pour les droits civiques. C’est un représentant de l’’Illinois, Barack Obama, qui est le premier Président des Etats-Unis d’origine africaine et américaine.
La vie culturelle est protéiforme, et toujours particulière, avec une importante marginalité acceptée, et dans le jazz-blues, très tôt dans l’après-guerre, des musiciens ont privilégié leur ville plutôt que New York, encore à l’instar de ce qui s’est passé pour New Orleans, un signe d’une forte identité culturelle au sens large de la mégapole du nord. Chicago est toujours restée une étape importante de la reconnaissance artistique aux Etats-Unis, en particulier sur le plan musical.
C’est dans ce contexte qu’ont vécu les Freeman, et la famille Freeman, dans son ensemble peut être choisie comme exemplaire de cette ville (George Freeman vient de faire la couverture du Chicago Tribune). Le grand-père, George, policier de son état, joue du piano et chante dans le registre de Bing Crosby; la grand-mère joue de la guitare et chante parfaitement. A la maison, on héberge Louis Armstrong, l’ami de la famille, lors de son arrivée puis de ses passages; on reçoit Earl Hines, Fats Waller et Art Tatum… George amène le premier disque de Charlie Parker à la maison. Les enfants vont évidemment en retirer le goût de la musique. Bruzz devient batteur, Von saxophoniste et George Jr., ici présent, guitariste. Plus tard, la troisième génération donne Chico Freman, le fils de Von, et on ne connaît pas le reste de la famille, bien qu’on sache par ce disque que Mark Freeman, le frère de Chico, n’est pas étranger au jazz. Cela rappelle encore cette tradition familiale néo-orléanaise, et cet enregistrement Fathers & Sons réunissant Ellis et Wynton Marsalis, Von et Chico Freeman. Comme Ellis, Von et George sont restés dans leur ville de naissance, jouant le rôle de passeur, de conservateur de la mémoire, mais également d’innovateur, de professeur pour la nouvelle génération. Ils ont accueilli Charlie Parker que toute la fratrie (Bruzz, Von et George) a accompagné, comme la plupart des grands musiciens de passage, Lester Young, Coleman Hawkins, Coltrane, sans aucun distingo générationnel. Chico, dans l’interview du Jazz Hot n°675 nous raconte sa détermination à jouer avec Elvin Jones, McCoy Tyner.
Leur manière d’aborder le jazz n’est pas celle de New York ou de New Orleans. C’est un condensé de cette ville où les racines les plus profondes (le blues, l’Afrique) jouxtent la modernité la plus radicalement décalée (de Sun Ra à toutes les composantes de l’AACM créée en 1965). On retrouve chez Von et George, et par ailleurs Fred Anderson (même génération) qui n’ont jamais fait partie de l’AACM par choix, les caractères d’une musique de recherche qui va devenir à l’AACM (à laquelle adhère Chico) un élément d’un discours, parfois même d’un système pour certains. Ils sont dans l’esprit nécessairement free de ce temps des Droits civils et de cette ville rebelle, sans adopter l’esprit de système dont Chico est lui-même distant. Leur musique vient toujours des racines, le blues y est une donnée essentielle, ce qui n’empêche pas la liberté individuelle et la recherche de ce qui différencie, de ce qui fait que chacun est unique.
Ce disque, construit comme une rencontre familiale sur un trimestre (les photos dans la cuisine le disent aussi), est ainsi une sorte de réunion de tout ce qui fait le caléidoscope chicagoan, le beau son, les racines blues, africaines, la novation, le jeu, la recherche, la famille au sens large, et la présence d’Harrison Bankhead (qui nous gratifie d’un interlude à la Slam Stewart, basse et voix à l’unisson), d’Hamid Drake, de Reto Weber indique encore que la famille chicagoane à l’esprit large, et est toujours capable de se réunir, de proposer une synthèse musicale, sans esprit de chapelle et avec ce grain d’originalité qui la rend si précieuse (George est une rareté du jazz).
Le répertoire est composé d’originaux de George (4), Chico (7), d’un standard («Angel Eyes») et d’interludes (9) où la tension alterne avec la gravité, la sérénité ou la bonne humeur, avec un thème ludique sans doute dédié à Mark Freeman, le frère («Marko») avec les voix de George et de la productrice en toute familiarité.
Une synthèse aussi de professionnalisme et de vie quotidienne qui évoque encore le pôle sud du jazz, New Orleans.
Au-delà de la musique, cet album, dédié par George à toute sa famille, et par Chico à Von et Ruby (sa mère), est essentiel pour la leçon de sociologie musicale, ce qui ne nous étonnera pas de ce personnage étonnant qu’est Chico Freeman qui cache derrière son art de musicien, une joie de vivre et un rire éclatant, les attributs d’un excellent professeur. Ses interventions lors de l’anniversaire de Jazz Hot, en mars 2015, comme en de nombreuses autres occasions depuis 40 ans, témoignent toujours d’un esprit aiguisé et particulièrement brillant, en matière de jazz en particulier. Bon sang ne saurait mentir!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

José Fallot & Friends
Another Romantic. Volume 2

Jumeaux, Mister Jazz*, No Blues°, Limelight, Old Trip, Argot, D’une étincelle, Atmosphère, Chuiquita
José Fallot (b), Pierre Olivier Govin (s), Franck Avitabile (p)°, Renaud Palisseaux (p), Mike Stern (g)*, Etienne Brachet, (dm), Carole Sergent (voc)

Enregistré dans l’été 2014, Vannes (56)

Durée: 47’08’’

Sergent Major Company 130 (EMI/The Orchard)

José Fallot est un stakhanoviste de la musique. Né en 1955, il baigne très tôt dans l’univers musical : son grand-père maternel pratiquait le cornet à pistons, ses parents jouaient du piano. Au début des années soixante-dix, attiré par les sonorités du British Blues il opte pour la six-cordes. Sa première formation joue le répertoire des Stones et des Beatles, avec un goût affirmé pour le jeu de Paul McCartney. Il commence à s’intéresser au jazz, suit des cours avecYvon Gardette (org) et Pierre Urban (g).C’est avec ce dernier qu’il commence à «tourner». En 1987, il fait ses premiers clubs parisiens, passe à la basse cinq puis six cordes, frettée ou non. Les tournées et festivals s'enchaînent, notamment en compagnie de la chanteuse Carole Sergent, avec qui il enregistre trois albums. Dans la foulée, il produit des spectacles dont un Tribute to Duke Ellington, avant de devenir le bassiste du cirque Gruss. Il rajoute une nouvelle corde à son arc en devenant programmateur (les Lundis Jazz et au Théâtre Montansier à Versailles). Avec une telle expérience il se lance enfin comme musicien leader et enregistre en 2009, Another Romantic. Le bassiste revient à la production discographique avec un deuxième volume à son opus de 2009. Entouré de ses fidèles musiciens de tournée, Pierre Olivier Govin (s), Renaud Palisseaux (p) et Etienne Brachet, (dm), il s’adjoint aussi les services de Carole Sergent (voc), Franck Avitabile (p) et Mike Stern (g). Le guitariste américain apporte sa touche particulièrement flottante sur «Mister Jazz», dans la foulée de la prestation de Pierre Olivier Govin, omniprésent. La chanteuse se fait entendre de façon très subtile sur trois titres dont le très doux «D’une étincelle». Quand au pianiste invité, il excelle dans l’art de raconter une histoire («No Blues»). Le maître de Another Romantic vol.2 reste tout de même le bassiste qui charpente bien son projet par une présence forte et mélodique de tous les instants. Renaud Palisseaux (p) maintient un haut degré de prestation («Old Trip). L’entente avec son batteur reste de très bonne facture tout au long des neuf plages qui constituent un bel album, dans une veine très traditionnelle aux légers accents «fusion».
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Heinrich Von Keilnen / Michael Abene
Dreamliner

8 titres: voir livret
Heinrich Von Kalnein (ts-afl), Michael Abene (p)

Enregistré les 12 et 13 décembre 2014, Udine (Italie)

Durée: 57’ 30’’

Natango Music 613-2 (www.natangomusic.com)


Le saxophoniste-flûtiste Heinrich Von Kalnein a poursuivi une carrière pas tout à fait jazz, mais il a travaillé avec le Vienna Art Orchestra de 1996 à 2004, Le Jazz Big Band Graz et quelques pointures.Le pianiste américain Michael Abene, né en 1942, est surtout compositeur et arrangeur, ayant été le Chefdirigent du WDR Big Band of Cologne. Il a fourni des arrangements à une foule de grosses pointures du jazz.
Les voici réunis en duo. Ils se sont rencontrés il y a une quinzaine d’années et ont pensé qu’ils feraient un duo dans les vingt années à venir. Voilà, c’est fait! Que dire? Les deux musiciens s’entendent bien, ont manifestement du plaisir à partager leur musique, ils sont parfaits du point de vue technique, mais de l’uniformité naquit l’ennui. Tous les morceaux ou presque sont pris sur tempo moyen avec le même déroulement. Le saxophoniste possède un son ample et chaud, il reste dans le médium et le grave, joue sans fioritures, sans frime, mais hélas sans flamme, sans passion: c’est très plan-plan. A la flûte il est d’essence classique. Seuls deux morceaux sortent du lot: ««Sippin’ at Duke’s» avec un parfum Duke Ellington, et «The Wind Cries Mary» d’influence blues et le pianiste qui décolle un peu
.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Perrine Mansuy
Rainbow Shell

Dîner flottant, Danse avec le vent, Fly On, Magic Mirror, The River of No Return, Rainbow Shell, Tomettes et plafond haut, Paying My Dues to the Blues, Three Rivers and a Hill to Cross, Ending Melody, Le Songe du papillon
Perrine Mansuy (p), Jean-Luc Difraya (perc, voc), Rémi Décrouy (g), Eric Longworth (cello), Mathis Haug (voc)

Enregistré en 2015, Solignac (87)

Durée: 48’ 06’’

Laborie Jazz 28 (Socadisc)


Revoici Perrine Mansuy pour son onzième disque avec un nouveau groupe plutôt original et de très bionne facture. On retrouve les qualités de la pianiste, un son de cristal où pointe la sonorité de Keith Jarrett, un phrasé limpide et aéré, la richesse harmonique, et par dessus tout l’amour de la mélodie. La nouveauté vient surtout de l’emploi du violoncelle, souvent à l’archet d’inspiration baroque-romantique, ou pizzicato façon Oscar Pettiford, très sage ici, mais essentiel. Dès le premier morceau «Dîner flottant» on entre dans le nouveau son de groupe, avec toujours une belle mélodie au piano sur contrechant de violoncelle, puis guitare et batterie occupent l’espace.
Des interventions vocales avec Mathis Haug sur «Fly on» plein de charme, et Perrine dans les chœurs, le classique «The River of No Return» pris rubato lent par le chanteur très crooner à la belle voix grave, accompagné avec délicatesse par le piano; et encore «Paying My Dues To The Blues» version personnelle du blues de la part de Perrine, où le chanteur dévoile toutes ses possibilités vocales, un beau solo de piano puis la guitare entre en jeu, ils finissent tous en chœur avec claquements de mains et quelques vocalises de Difraya. Ils ont très bien payé leur dette au blues.

«Rainbow Shell» beau duo piano violoncelle à l’archet puis percussions et guitare, un texte dit, tenues de guitare, le tout dans une riche et belle harmonisation: morceau très prenant. L’art du trio n’est pas oublié avec «Ending Melody» où l’entente et le partage piano, violoncelle et batterie est parfait. Le disque se termine sur un duo piano violoncelle de toute beauté.
Un disque plein de charme, réjouissant, qui brise un peu les frontières avec une fraîcheur roborative.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueNicole Johänntgen
Moncaup

Donnerwetter, Fragile, Sunday Pony Blues, Waves, Flugmodus, Hello, Cocaine, When You Breathe, The Owl, Flying Leaves, Nicha’s Blues
Nicole Johänntgen (as, ss), Marc Méan (p), Thomas Lähns (b), Bodek Janke (dm), Nehad El Sayed (oud), Amro Mostafa (duff, riq), Robertson Head (voc, g)

Enregistré en 2015, Allemagne

Durée: 1h 03’ 34’’

Household Ink Records 149 (www.nicolejohaenntgen.com)


Pour son nouvel album, la jeune saxophoniste allemande (voir notre interview dans ce n°675) frappe fort et joue dans la cour des grands. Son mentor, Dave Liebman, ne tarit pas d’éloge sur son exceptionnelle énergie ajoutant qu’elle joue comme si sa vie en dépendait. Egalement compositrice elle est l’auteur de tous les morceaux de ce CD sauf «Sunday Pony Blues».
Le pianiste, né en Suisse en 1985 n’est pas un inconnu chez nous, ayant participé au Concours de la Défense en 1997 avec le groupe No Square; il fut à la tête d’un très bon trio à partir de 2009. Le bassiste, né en Suisse en 1981, a joué avec Dave Liebman, Greg Osby, Wolfgang Puschnig, Glenn Ferris. On le voit assez souvent en France. Le batteur percussionniste est né en 1979 en Pologne dans une famille de musiciens, il commença par le piano à l’âge de 3 ans, étudia la percussion au conservatoire de Karlsruhe, et obtint un master au City College de New York. Lui aussi a joué avec Dave Liebman, et beaucoup d’autres à travers le monde, dont Olivier Ker Ourio (hca) en France. Voilà donc un quartet européen avec des musiciens de la même génération, pour le meilleur.

Dans son jeu de saxophone Nicole Johänntgen est à la croisée de Charlie Parker, John Coltrane et Jan Garbarek, pour la situer, non pour la comparer. A l’alto elle a un jeu de ténor avec un gros son. Une maîtrise technique absolue, arrivant même à jouer à l’alto la mélodie dans le suraigu comme sur «When You Breathe». Au soprano c’est un son ample et généreux également, avec une souplesse de phrasé remarquable. Le thème qui ouvre le disque «Donnerwetter» (un orage avec des éclairs, en allemand) est très coltrannien avec le pianiste endossant les habits de McCoy Tyner, d’ailleurs le thème aussi est d’inspiration Coltrane, par contre le jeu du bassiste est très personnel. Et puis une musicienne qui joue le blues comme ça, il faut la promouvoir. Elle est fabuleuse en duo avec le contrebassiste sur «Nicha’s Blues», à la fois dans la tradition et sa conception du genre, et un autre blues qui décoiffe «Sunday Pony Blues» du guitariste invité Robertson Head, inspiré de Charley Patton et J.J.Cale, arrangé par la saxophoniste: en plein dans la tradition blues, mâtinée rock, déviée jazz, et mené tambour battant par le guitariste chanteur; et la saxophoniste ne laisse pas sa place. Robertson Head est né en Ecosse en 1956 (le vieux de la bande!); il a fait partie de Thin Lizzy et Motörhead.

On trouve une série de morceaux très aérés, dans lesquels la musique respire, prend son temps, laisse passer le lyrisme des mélodies comme sur «Cocaine», «When You Breathe», «Flying Leaves», «The Owl» avec pour ce dernier un épatant solo de piano les deux mains en contrepoint.

A noter un morceau particulier, un peu en dehors du jazz, avec en invité Nehad El Sayed, au oud dont il apprit à jouer au Caire; il a obtenu un master de composition et jazz à Berne. Il a beaucoup joué dans tout le Moyen Orient et en Afrique du Nord, il fut l’invité de l’institut arabe à Paris. Ici, dans ««Flugmodus» il intervient magnifiquement, assez à la façon d’Anouar Brahem; là encore la saxophoniste et la rythmique assistée par Amro Mostafa au Duff et au Riq (des tambourins), font merveille; et ça chauffe d’enfer.
On l’aura compris, ce quartet devrait faire parler de lui, pour le meilleur du jazz.

Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Jacques Vidal
Cuernavaca

Better Git Hit in Your Soul, Wednesday Night Prayer Meeting, Cuernavaca, Devil Woman, Eclipse, Strange Man, O.P., Ecclusiastics, For Lester, Goodbye Porkpie Hat
Jacques Vidal (b), Isabelle Carpentier (voc), Pierrick Pedron (as), Daniel Zimmermann (tb), Xavier Desandre-Navarre (dm, voc), Nathalie Jeanlys (ss), Stéphanie Bowring (voc alto), Allen Hoist (voc ténor), Thierry François (voc basse)

Enregistré les 2, 3, 6 et 9 mai 2014, Paris

Durée: 45’ 34’’

Soupir Editions 227 (Abeille Musique)


On connaît l’amour et les affinités du contrebassiste Jacques Vidal pour la musique de Mingus. On peut dire qu’il lui rend ici un bel et grand hommage avec six thèmes de contrebassiste sur les neuf, les trois autres étant du leader. «Better Git Hit…» joué façon blues/gospel nous met tout de suite dans l’ambiance. Un autre morceau «Devil Woman» est pris avec bonheur lui aussi blues-gospel avec le chœur des quatre chanteurs. Le contrebassiste possède un gros son bien rond, et des attaques nettes et tranchantes: un régal. Le tromboniste est de la race des trombonistes d’Ellington avec quelque chose de Gary Valente, c’est dire! L’altiste et le batteur sont au-dessus de tout soupçon. «Eclipse» chanté par Isabelle Carpentier sur contrechant de trombone mélange les couleurs Mingus/Ellington. «Strange Man» de Vidal, introduit par lui-même à l’archet, mélange aussi les atmosphères Mingus/Ellington avec un solo d’alto qui semble faire en passant un petit clin d’œil à Johnny Hodges. «Ecclusiastics» sur un arrangement qui mélange Carla Bley et Mingus est un chef d’œuvre avec l’échange trombone-altosur rythmique basse/batterie pour terminer sur le chœur scat dans un chase de grand cru, le tout là encore dans une ambiance gospel. Le disque se termine par un hommage à Lester Young sur «For Lester» de Vidal avec une intro basse archet de facture classique très expressive, une voix féminine dit en français sur contrechant à l’archet un texte profond sur Lester «Lester est mort et Mingus joue son dernier chorus…» qui s’enchaîne avec un «Goodbye Porkpie Hat» (le chapeau de Lester) plein de nostalgie, et un magnifique solo de l’altiste qui se termine avec le chœur très Double-Six.
Voilà comment il faut interpréter la musique des anciens et le blues quand on veut les faire revivre, et être soi-même
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Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueIgnasi Terraza
Imaginant Miró

Imaginant Miró, El Segador, Nocturn, Polaritats, Noia, Jacints i Futbol, Van Gogh, Improvisació Serial, Dança Tribal, Caricies Sinusoidals, Espirals Cósmiques
Ignasi Terraza (p, comp, arr), Horacio Fumero (b), Esteve Pi (dm)

Enregistré les 27 et 28 février 2014, El Vendrell (Espagne)

Durée: 46’ 59’’

Swit Records 17
(www.switrecords.com)


A l’occasion de l’exposition Joan Mir
óà Washington (DC) en 2012, Ignasi Terraza reçut la commande d’une composition évoquant l’œuvre du peintre catalan. Etant aveugle depuis l’âge de 9 ans, avec l’assistance Carlota Polo, qui lui décrivit l’exposition, il en transposa l’imaginaire dans sa musique. Il proposa ses Tableaux d’une exposition Miro en une poésie amoureuse imaginée par Ellington. Cet album, Imaginant Miró, présente un contenu musical très abouti de cette Suite de huit pièces avec introduction, «Imaginant Mirò», transition, «Van Gogh», et conclusion, «Duke’s Visit». Le livret fournit les explications qui, selon le compositeur et le critique d’art, fondent sa création. La progression des pièces comme l’agencement formel des mouvements en deux parties obéissent à un souci de mise en cohérence à la fois esthétique et chronologique. Son langage à mutilpes sens fait référence à l’univers poétique du peintre qui, depuis son arrivée à Paris au début des années 1920, s’était rallié au Surréalismetriomphant dans les cercles intellectuels de la capitale française; il invoquait le registre de l’imaginaire comme fondement de sa création.
Les cinq premières pièces obéissent rythmiquement aux exigences du swing stricto sensu et harmoniquement au jazz d’avant la mutation modale coltranienne; toutes ces pièces traitent de tableaux réalisés avant 1940. Les cinq dernières, toujours très ellingtoniennes, sont plus libres et commentent des tableaux réalisés ultérieurement ou de facture plus abstraite que surréaliste. «
Duke’s visit», une mélodie pleine de Duke, est le terme de la visite solitaire, aussi nostalgique que déférente, du Maestro au Maître de l’exposition. Elle prit souvent des allures de voyages dans le temps. Réflexion musicale inspirée, ce chant superbe joué presque ad libitum en piano solo est le retour méditatif du poète qui clôt sa ballade.
La musique de Imaginant Mir
óest très belle. C’est même de la grande musique en ce qu’elle comporte d’assimilation des héritages musicaux dont elle se réclame avec justesse. C’est du jazz, du très beau jazz avec tous les ingrédients qu’on est en droit d’attendre d’un compositeur et d’un musicien qui s’en réclame: swing, feeling… et connaissance de la grande littérature de la musique afro-américaine. Tous les musiciens sont à la hauteur de la tâche. Esteve Pi (dm), que nous avons entendu très bon dans d’autres contextes, révèle ici des qualités qu’on ne soupçonnait pas: énorme écoute et belle sensibilité au service d’un art consommé des nuances. Le bassiste Horacio Fumero est la découverte de l’album. Lui aussi contribue grandement à la réussite de cet album. Quant à Ignasi Terraza… il est tout simplement exceptionnel. C’est un vrai musicien, qui possède un art consommé de la composition. Cet artiste ne se contente pas d’écrire la musique; il lui donne vie en l’interprétant avec tout le talent que nous lui connaissions déjà pour celle des autres. Le pianiste possède la technique et la musicalité des grands concertistes: mise en place, clarté du toucher, respiration dans l’articulation du discours.
Après avoir enregistré Imaginant Mir
ó, au mois d’août 2014 à Jazz in Marciac, Ignasi Terraza avait tenté de faire partager au public de l’Astrada, son expérience de l’écoute de la musique dans le noir absolu. Jazz in the Dark avait bouleversé de nombreux spectateurs qui en étaient ressortis bouleversés. Je ne doute pas que la beauté de ces Tableaux d’une exposition de Miro, qui invitent au voyage en poésie surréaliste, ne vous émeuve tout autant.

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Louis Armstrong
Live in Paris. 24 avril 1962

When It's Sleepy Time Down South, Indiana, A Kiss to Build a Dream on, My Bucket's Got a Hole in It, Tiger Rag, Now You Has Jazz, High Society Calypso, When I Grow too Old to Dream, Tin Roof Blues, Yellow Dog Blues, When the Saints, Struttin' With Some Barbecue, Nobody Knows the Trouble I've Seen, Blueberry Hill, The Faithful Hussar, Saint Louis Blues, After You've Gone, Mack the Knife
Louis Armstrong (tp, voc), Trummy Young (tb), Joe Darensbourg (cl), Billy Kyle (p), Bill Cronk (b), Danny Barcelona (dm)

Enregistré le 24 avril 1962, Paris

Durée: 1h 16’ 02’’

Frémeaux et Associés 5612 (Socadisc)


Ces plages ne sont pas inédites: en 1999, Europe 1 avait donné une première édition (RTE 1001); et en 2002, Laserlight (17438) avait proposé en Allemagne une réédition de cet enregistrement public. Elles n’en sont pas moins importantes à plus d’un titre. Dans sa récente chronique consacrée à Count Basie, Live in Paris. 1957-1962, Michel Laplace déplorait, fort justement, «l’abandon des rééditions, après l’âge d’or des années 1990, outils indispensables à la "mémoire”». En effet, ces faces sont le témoignage de la résistance du jazz à la tendance uniformisatrice que les phénomènes de mode tentaient de lui imposer. Depuis la fin de la guerre, au nom d’une modernité mal comprise et d’un dogme du progrès pervers plus encore, cette musique subissait les effets de la tentative hégémonique de la part d’une coterie au bénéfice d’un courant nouveau, le bebop qui, pour être de qualité, n’en était pas moins aussi excessif qu’injustifié. Ce concert enregistré établit que, résistant à cette dictature culturelle ambiante, le public n’en continuait pas moins à recevoir cet art nouveau dans toutes ses composantes et, notamment de la part d’un des ses créateurs, Louis Armstrong.

Depuis la fin des années 1940, Satchmo tournait en Amérique et dans le monde avec une petite formation, Louis Armstrong and His All Stars, qui proposait au public une anthologie de la musique qui avait fait sa renommée mais aussi et surtout un échantillon du jazz dont il était le créateur vivant. Au cours de cette période, les membres de cette formation ont changé; il y eut Earl Hines, Barney Bigard, Jack Teagarden, Cozy Cole, Arvell Shaw… Mais hormis le contrebassiste souvent différent, depuis le milieu des années 1950, Trummy Young et Billy Kyle, ici présents, furent des cadres permanents de l’orchestre; Joe Darensbourg et Dany Barcelona arrivés en 1960 renforcèrent la stabilité du groupe. Le spectacle était bien rôdé et le répertoire parfaitement maîtrisé. Sans être innovant, le concert fut de belle facture, explorant pour une large part le style Nouvelle-Orléans dont Louie était l’emblématique représentant parmi les créateurs. Car les musiciens étaient au diapason de leur leader, si tous n’avaient pas la renommée et le lustre de leurs illustrissimes devanciers. La musique est belle. Elle se suffit à elle-même. Le trompettiste de 61 ans, parvenu à une sorte de perfection classique, joua «à sa main», sans jamais en rajouter. Le chanteur avait conservé sa verve populaire authentique. C’est beau de simplicité. Dans ces conditions, point n’est besoin de longs commentaires pour découvrir et apprécier le jazz hot et le swing dont Louis Armstrong and His All Stars donnaient en ce 24 avril 1962 de si brillants exemples.

Louis Armstrong, Live in Paris. 24 avril 1962
est un superbe album que Frémeaux & Associés met à disposition de ceux qui n’eurent pas la possibilité de voir et d’entendre cet immense artiste
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Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueDmitry Baevsky
Over and Out

Poinciana, Reflection, Over and Out, Chega de Saudade, Brilliant Corners, The Feeling of Jazz, In the Know, Turquoise, Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face, Circus, Silver Screen, Stranger in Paradise
Dmitry Baevsky (as), David Wong (b), Joe Strasser (dm)

Enregistré le 21 janvier 2014, New York

Durée: 1h 09’ 00’’

Jazz Family 002 (Socadisc
)

Dmitry Baevsky a, depuis 2004, produit cinq albums: Introducing Dmitry Baevsky (Lineage Records, New York 2004), Some Other Spring (Rideau Rouge, New York et France 2009), Down With It (Sharp Nine Records, New York 2010), The Composers (Sharp Nine Records, New York 2011). Over and Out (Jazz Family, New York, 2014) est son dernier opus. Nous devons à Fabien Mary, qui le fréquente sur la scène new-yorkaise, d’avoir fait découvrir ce saxophoniste brillant au public français, notamment au Caveau de La Huchette au mois de septembre 2010.
Cet album est certainement le plus ambitieux de ceux qu’il a enregistrés. La formule, sax/contrebasse/batterie, fait immanquablement référence à celle, exigeante, de Sonny Rollins (ts) dans les années 1950 (avec Ray Brown, b, et Shelly Man, dm; Donald Bailey, b, et Pete La Roca, dm; Wilbur Ware, b et Elvin Jones, dm - 1957).
Cubic’s Monk (ACT 9536-2, 2012) de Pierrick Pédron avec Thomas Bramerie (b), Franck Aghulon (dm) s’inscrivait dans le même esprit. Au-delà des trois pièces originales, «Over and Out», titre éponyme de l’album, «In the Know» et «Silver Screen», compositions récentes (années 2012/2014), l’altiste se collette avec un répertoire souvent joué par des musiciens qui en ont laissé des versions de référence. Mis à part les deux titres «exotiques», «Poinciana» et «Chega de Saudade», qui lui donne l’occasion de «chanter» son improvisation comme l’y autorisent ces deux thèmes à la mélodie bien charpentée, les autres faces empruntent aux classiques du jazz: un Ray Bryant un peu oublié de 1958, «Reflection» bien venu, un de Monk «Brilliant Corners» (1956), deux d’Ellington – un cosigné par Mercer – peu souvent repris «The Feeling of Jazz» (1962) et «Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face» (1943), un de Cédar Walton, «Turquoise» (1967), un standard, «Circus» (Louis Alter, Bob Russell – 1949) et une pièce classique de Borodine, «Stranger in Paradise», remise au goût du jour dans les années 1950.
Le programme est équilibré. La musique est de qualité; jouée avec beaucoup d’aisance et sans effet ostentatoire par des musiciens qui se connaissent et se font confiance. Le trio tourne comme une horloge. Dmitry Baevsky possède une jolie sonorité, très personnelle, et une technique parfaite (qui évoque par la rigueur et la maîtrise le regretté Phil Woods). Le musicien connaît sa discipline: les compositions sont équilibrées et dans la forme qui convient à l’album pour sa cohérence et son unité. David Wong (b) qui travaille souvent avec le leader joue un rôle essentiel dans la réussite de l’album; sa mise en place est un plaisir tant il permet au soliste de liberté. Ses soli, de vraie contrebasse dans la tessiture de l’instrument, sont simples et bien construits; ça chante quand et comme il convient. Joe Strasser (dm) est d’une grande discrétion tout en étant très présent et relançant avec beaucoup de finesse le saxophoniste.
L’album, peut-être un peu austère pour le public actuel peu habitué à une attention soutenue devant une musique exigeante, est de très bonne facture. C’est solide avec quelques instants très libres de récréation qui laissent respirer l’ensemble («Poinciana»). Ça swingue et ça chante avec les exigences de la musique de chambre, sans bruit ni fracas («Stranger in Paradise»). Over and Out comporte de vraiment beaux moments: «Turquoise», de jolies phrases dans l’improvisation sur la composition d’Antonio Carlos Jobim; et l’interprétation de «Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face» est remarquable. Alors que demander?
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueCyrille Aimée
Let's Get Lost

Live Alone and Like It, There's a Lull in My Life, Estrellitas Y Duendes, Lazy Afternoon, Three Little Words, T'es beau tu sais, Let's Get Lost, Samois à moi, Nine More Minutes, Laverne Walk, That Old Feeling, Each Day*, Words
Cyrille Aimée (voc), Matt Simons* (voc), Adrien Moignard (g), Michael Valeanu (g), Sam Anning (b), Rajiv Jayaweera (dm)

Enregistré en 2015, New York

Durée: 42’ 15’’

Mack Avenue Records 1097 (Harmonia Mundi)


Après It’s a Good Day (qui succédait à plusieurs autoproductions, dont deux chroniquées dans Jazz Hot n°667), Cyrille Aimée propose son second album chez Mack Avenue, Let’s Get Lost, enregistré au Flux Studio de New York. Comme la plupart des disques actuellement enregistrés par les chanteuses, le programme est varié; sur la structure maîtresse de quelques standards de Tin Pan Alley des années 1930 et 1940 («There's a Lull in My Life», «Lazy Afternoon», «Three Little Words», «That Old Feeling» et le titre éponyme, «Let's Get Lost»), s’agrègent quatre pièces personnelles («Samois à moi», «Nine More Minutes», «Each Day» et «Words»), une chanson de Broadway («Live Alone and Like It»), une rumba caraïbe («Estrellitas Y Duendes), une jolie mélodie de Georges Moustaki sur des paroles bien tournées d’Henri Contet. Et pour conserver une certaine jazzité d’ensemble à ce patchwork musical, un duo voix/contrebasse sur une composition écrite à Paris en 1958 par Oscar Pettiford, «Laverne Walk» (originalement «Montmartre’s Blues»).
La chanteuse, qui a découvert le jazz à Samois, en a conservé l’ambiance; elle a choisi de se faire accompagner par un trio de cordes (deux guitaristes et un contrebassiste) et un batteur. Le ton d’ensemble est original et tranche dans le monde des chanteuses de jazz en général sur la formule piano/basse/batterie. Le résultat est dans l’ensemble agréable à entendre. Chanteuse de son temps, Cyrille Aimée interprète des chansons dont la musique est rythmée; ce n’en est pas pour autant toujours ce qu’on est en droit de qualifier de jazz: la rumba, le merengue, la habanera, formes musicales qui ont engendré quelques chefs d’œuvre, n’appartiennent néanmoins pas à la même syntaxe. La chanteuse possède la voix gracile d’une adolescente, voire un peu nasillarde d’enfant qu’elle semble parfois cultiver. Le lolitisme n’est pas que littéraire…Elle est en tous cas accompagnée par de très bons musiciens qui lui déroulent un tapis; leur musique travaillée fait un bel écrin. Et le guitariste Adrien Moignard y apporte un plus avec sa couleur Django.

Le label améri
cain Mack Avenue semble ainsi s’être fait une spécialité des chanteuses françaises: après la révélation Cécile
McLorin Salvan, voici Cyrille Aimée. Toutes les deux ont la particularité de posséder une double culture, ce qui leur a conféré une grande capacité d’adaptation à la culture mondialisée de notre temps. Cyrille Aimée est le versant éclairé de la face sombre et certainement plus enracinée de Cécile. A découvrir
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Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueChampian Fulton
Change Partners

You Made a Good Move, Change Partners, Lover Come Back to Me, The Boy Next Door, Bring Enoug Clothes, After You've Gone, It's a Sin to Tell a Lie, Social Call, Get out of Town
Champian Fulton (voc, p), Cory Weeds (ts), Jodi Proznick (b), Julian MacDonough (dm)

Enregistré les 1er et 2 mai 2014, Edmonton (Canada)

Durée: 1h 02’ 36’’

Cellar Live 050114 (www.cellarlive.com)

Champian Fulton
After Dark

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disque

Ain't Misbehavin'*, That Old Feeling, What a Difference a Day Made, Blue Skies*, Keepin' out of Mischief now, A Bad Case of the Blues*, Travelin' Light*, Mad About the Boy, All Of Me, Baby Won't You Please Come Home, Midnight Stroll
Champian Fulton (voc, p), Stephen Fulton* (tp, flh), David Williams (b), Lewis Nash (dm)
Enregistré le 17 août 2015, Paramus (New Jersey)
Durée: 54’ 30’’
Gut String Records 022 (www.champian.net)


En 2012
, le public de JazzAscona avait découvert une jeune pianiste-chanteuse de 27 ans, Champian Fulton, qui faisait l’une de ses premières apparitions sur le Vieux continent. Fille du trompettiste Stephen Fulton, un proche de Clark Terry, elle était attendue avec curiosité par les amateurs qui ne mirent pas longtemps à reconnaître son talent. La demoiselle a depuis fait du chemin et passe par Paris chaque printemps.

Son album
Change Partners (sorti l’année dernière) correspond à la sélection de neuf moments des deux concerts donnés par la pianiste dans le club du saxophoniste ténor et producteur de Cellar Live, le canadien Cory Weeds, The Yardbird Suite, installé dans la capitale de la province de l’Alberta, Edmonton. L’artiste construit son programme autour des songs qui lui fournissent matière à chanson. Les pièces de jazz proprement dites, («You Made a Good Move» de Frank Wess, «Bring Enoug Clothes» de Stephen B. Fulton, «Social Call») sont en revanchetraitées en tant qu’œuvres de musique. Elle ouvre d’ailleurs son album avec une pièce totalement instrumentale, celle de Frank Wess avec lequel elle eut souvent l’occasion de se produire au début de sa carrière. La composition de son père, dans la tradition du bop, est aussi totalement instrumentale. C’est l’occasion de l’entendre dans un style pianistique qu’on lui connaît moins dans ses concerts; alors qu’habituellement sa manière est classique, empruntant à Garner parfois, elle évoque, dans ce thème, Red Garland surtout dans la façon d’utiliser les blocks chords. C’est dans la composition de Gigi Gryce, avec les paroles de Jon Hendricks qu’elle réalise la forme la plus aboutie de son projet musical, associant chant et musique dans un esprit «lied». Elle est bien entourée, tant par Cory Weeds, un ténor bien dans l’esprit de sa musique, que par le reste de la rythmique; le batteur joue bien et «fait ce qu’il faut et ce qu’il doit». La contrebassiste, Jordi Proznicki est parfaite.
Un an plus tard, avec After Dark, le ton d’ensemble est différent, plus orienté production commerciale. Il n’en est pas moins agréable, sinon plus travaillé. Comme dans le précédent, nous retrouvons la part de
songs de Tin Pan Alley («That Old Feeling», «What a Difference a Day Made», «Blue Skies», «Mad About the Boy», «All Of Me»), qui permet à la chanteuse d’œuvrer avec un certain talent dans son dialogue avec le piano, ne manquant jamais d’évoquer quelques versions rendues célèbres par quelques grands – «That Old Feeling», manière Garner bien exécutée ou «What a Difference», dans un accompagnement façon King Cole à l’articulation des phrases. Cependant les autres pièces, plus enracinées dans la tradition du jazz, lui permettent de faire valoir ses qualités de chanteuse-musicienne et de pianiste nourrie et avertie de la littérature du jazz. Sa composition, «Midnight Stroll», un blues bien assis en piano solo, est une bonne illustration de cet héritage. C’est dans les thèmes walleriens, dont elle a parfaitement assimilé les subtilités, qu’elle est le plus à son affaire, et qu’elle relit de manière ludique en traitant son instrument dans l’esprit Hank Jones (Ain’t Misbehavin, 1978).
Dans cet opus, la jeune chanteuse s’essaie à reprendre des thèmes interprétés par Dinah Washington qu’elle semble particulièrement apprécier: «Baby Won't You Please Come Home» ou « (I’ve Got) a Bad Case of the Blues» (version Mercury 1959) en attestent. Néanmoins sa tessiture de voix ne semble pas convenir à cet objectif; son amplitude comme sa puissance ne lui permettent pas de transcrire la dramaturgie des textes; alors qu’elle s’en acquitte fort bien musicalement, avec beaucoup de réussite même. Sur quatre faces de l’album, Champian a invité son père, Stephen Fulton. Son style très lyrique constitue un très bon contrepoint à sa voix («Ain’t Misbehavin’» ou «A Bad Case of the Blues»). Ses soli sont également de très belle facture, que ce soit en medium tempo («Blue Skies», «A Bad Case of the Blues») où le musicien laisse à ses notes tendrement voilée la totale liberté d’emplir l’espace qu’en tempo soutenu («Travelin’ Light») où sa filiation avec Clark Terry devient indubitable. Plus que tout, c’est la complicité musicale entre père (parfois intimidé) et fille (qui s’affirme avec et contre lui) qui fait plaisir à entendre. Au-delà de ce duo à l’intérieur de l’album, qui lui donne une couleur particulière, c’est la qualité de la section rythmique qu’il convient de souligner. Que ce soit David Williams ou Lewis Nash, Champian a choisi deux merveilleux musiciens qui excellent dans cette fonction d’accompagnateur qui exige présence et discrétion à la fois. Par ailleurs, ils sont aussi brillants solistes (à l’archet sur «Blue Skies» ou pizzicato sur«All of Me» DW; 4/4 de LN sur «Travelin’ Light»). Leur mise en place est un modèle du genre.

Change Partners
et surtout After Dark sont deux très bons albums de jazz. Et si Champian Fulton n’entre pas dans la catégorie des légendes vocales, la chanteuse livre un résultat impeccable. En revanche, la pianiste a un vrai talent: c’est plus qu’agréable à écouter!
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Count Basie
Live in Paris. 1957-1962

Whirlybird, Little Pony, Corner Pocket, Lovely Baby, Bleep Blop Blues, Nails, The Kid from Redbank, Well, Alright, OK, You Win; Roll’ Em Pete, Gee, Baby Ain’t I Good to You, One O’Clock Jump, Shiny Stockings, H.R.H. , A Little Tempo Please , Makin’ Whoopee, Who Me, In a Mellow Tone, Blues in Hoss’ Flat, Splanky; Segue in C, Why Not, Easy Money, Vine Street Rumble, Discomotion, Mama’s Talking Soft, Jumpin’ at the Woodside, Easin’ It, Basie, Lil’ Darlin’, Toot Sweet, You’re Too Beautiful, Bleep Blop Blues, April in Paris, The Song is You, Stella by Starlight, Cute, I Needs to Be Bee’d With, Nails, The Blues, One O’Clock Jump
Count Basie (p), Wendell Culley, Snooky Young, Sonny Cohn (tp1), Joe Newman, Thad Jones, Al Aarons (tp), Henry Coker, Benny Powell, Al Grey, Quentin Jackson (tb), Marshall Royal (as1, cl), Frank Wess (as, ts, fl), Frank Foster (ts, cl), Eddie Davis, Billy Mitchell (ts), Eric Dixon (ts, fl), Charlie Fowlkes (bs), Freddie Green (g), Eddie Jones (b), Sonny Payne (dm), Joe Williams, Irene Reid (voc)

Enregistré entre le 9 novembre 1957 et 5 mai 1962, Paris

Durée: 2h 33’ 32’’

Frémeaux & Associés 5619 (Socadisc)

L’auteur de ces lignes déplore l’abandon des rééditions, après l’âge d’or des années 1990, outils indispensables à la «mémoire» et aussi à l’éducation des plus jeunes qui n’abordent de nos jours ce qu’ils croient représentatif d’un genre que par les nouveautés, dernières émanations pour l’essentiel éloignées du cœur du sujet. Peut faire le même office, la sortie, comme ici, d’inédits des maîtres qui outre les mêmes nécessités, combleront aussi les «jazzfans» chevronnés (du moins, ce qu’il en reste).
Voici donc d’inespérés trésors que nous devons à Frank Ténot, Daniel Filipacchi et Norman Granz, enregistrés en direct à l’Olympia (onze des quinze titres des 9 et 12 novembre 1957 -quelques jours après la mise en boîte de l’album historique Atomic Basie- et vingt morceaux du 5 mai 1962 –tout le CD2) et au Palais de Chaillot (neuf titres, 29 mars 1960), grâce aux équipes techniques de la radio Europe 1 (pas terrible en 1957).
Lorsqu’il célébra les 25 ans de l’orchestre, en 1960, Count Basie (1904-1984) était au sommet de sa popularité internationale. C’est plus que de l’éducation que ce genre de disques permet, c’est de la rééducation des oreilles (et du cerveau) sur ce qu’est la nature même du swing. L’arrivée exubérante de Sonny Payne, qui surclasse son bon prédécesseur Gus Johnson, y est pour beaucoup. Pour Basie: «Comment swinguer? C’est la façon de jouer qui fait tout» (livret). En plus, l’orchestre Basie, à toutes ses époques et surtout celle-là, est une constante démonstration du jeu décontracté (même dans l’effervescence), agrémentée d’une parfaite maîtrise des dynamiques (exemple: la fin de «Segue in C»), des contrastes entre les pupitres.
L’écoute des amateurs (parfois chevronnés) comme des consommateurs de jazz, trop soumise à la performance des solos (l’improvisation n’est qu’un plus, et non un but), passe donc souvent à côté d’un intérêt primordial de l’art des grands ensembles, celui de l’orchestration (d’où l’importance des arrangeurs comme Neal Hefti, Ernie Wilkins, Buster Harding, Frank Foster, Thad Jones, Quincy Jones, Benny Carter).
Le plaisir de l’auditeur doté d’une bonne oreille éduquée est de percevoir au-delà d’un résultat sonore global, tous les détails de traitement du son et du rythme, pupitre par pupitre, voir des alliages (exemples: passages de flûte et trompettes avec des sourdines différentes dans «Segue in C»; background au solo de basse dans «Mama’s Talking Soft» par deux flûtes –Wess et Dixon-, clarinettes –Royal et Foster- et clarinette basse –Fowlkes-; stop chorus écrit pour la section de trompettes dans «Discomotion»). On regrette donc que le livret ne donne pas le nom des arrangeurs qui le méritent autant que chaque musicien exécutant, artisan de pupitre comme artiste soliste.
Chez Basie tout porte à l’excellence collective que le «live» préserve autant que la technicité en studio. Il est dommage aussi que les noms des solistes ne soient pas mentionnés, car Basie ne les annonce que rarement (Frank Foster, ts, dans «Little Pony»; Eddie Jones, b, dans «Nails» dont le solo est truffé de citations en 1957 comme en 1962 –même band vocal–) et il est douteux qu’aujourd’hui un nouveau venu sache identifier tel trompettiste même au jeu considéré, hier, comme personnel (exemple: Snooky Young, au style swing et percutant avec plunger dans «Who Me»).
L’album Atomic Basie, d’octobre 1957, sur des arrangements essentiels de Neal Hefti («Lil’ Darlin’», «Splanky», etc.), pour le label Roulette nouvellement lancé, marqua une nouvelle étape pour cet orchestre qui disposait d’une belle phalange de solistes (Joe Newman, tp, Henry Coker, tb, Eddie Lockjaw Davis, ts), de premiers pupitres (Wendell Culley et Snooky Young, tp, Marshall Royal, as) et d’une rythmique de rêve (Basie, Freddie Green, g, Eddie Jones, b, Sonny Payne, dm) pour son image de marque, le swing. Peu après celui de Duke Ellington (à Newport en juillet 1956, avec notamment les 27 chorus de Paul Gonsalves sur Diminuendo in Blue and Crescendo in Blue), le grand orchestre de Count Basie ressurgit donc sur le devant de la scène jazz internationale, prouvant s’il en était besoin (pour les Hodeir et disciples en tout cas) que la nouveauté n’a nul besoin de renoncer à la raison d’être d’un genre expressif.
A cette même époque charnière 1956-57, Dizzy Gillespie aussi dirigeait un excellent big band, mais il ne s’imposera pas durablement contrairement à celui de Count Basie qui a, avec succès, chez les solistes, joué l’assimilation/intégration d’une approche bop (Thad Jones, tp, Benny Powell, tb, Frank Foster, ts-cl-arr, Frank Wess, as-ts-fl –ces deux derniers recommandés à Basie par Billy Eckstine). Remarquons la stabilité du personnel en 1957-62, clé d’accès à la perfection, pour la rythmique et pour la section de sax à un ténor près (Lockjaw Davis en 1957, puis Billy Mitchell -1960- et enfin Eric Dixon, également flûtiste -1962-). Celle-ci est menée par le premier alto «chantant» Marshall Royal. Sa sonorité donne la couleur et la personnalité de toute la section («Lovely Baby» -où le baryton de Charlie Fowlkes donne du poids-, «One O’Clock Jump» -générique de fin de concert-, «H.R.H», «Easy Money», «April in Paris», etc.). Marshall Royal, musicien de culture classique, était directeur musical, et Count Basie se reposait sur lui. Si Count Basie aimait singulièrement son équipe de 1957 («Quand on avait Joe Newman, Thad Jones, Snooky Young et Wendell Culley là-haut dans la section de trompettes, on était tranquille», in Good Morning Blues, p43 –section malheureusement desservie ici par l’enregistrement: «Bleep Blop Blues», CD1-Joe Newman, tp solo et très difficile passage pour la section menée par Snooky Young), le prélude à sa renaissance est déjà dans l’album April in Paris pour Verve (enregistré les 26 juillet 1955 et 4 janvier 1956) dont des morceaux se sont inscrits durablement à son répertoire et que nous retrouvons ici en 1957 («Corner Pocket» de Freddie Green, arrangé par Ernie Wilkins, donne à entendre Thad Jones –qui reprend la citation de «Cherry Pink» comme dans le disque- et Frank Wess), en 1960 («Shiny Stockings» avec un solo bop de Thad Jones, le piano économe du chef et des breaks de Sonny Payne) et en 1962 («April in Paris», arrangé par Hefti avec sa célèbre fausse coda). On constate qu’au cours des deux concerts de 1957, deux titres seulement viennent de l’Atomic Basie: «Whirly-Bird» (où, concurrence du syndrome Ellington/Gonsalves, Eddie Lockjaw Davis fait monter la «sauce») et «The Kid From Red Bank» bien sûr pour le piano de Basie en vedette (on notera les riffs de trompettes en détaché, et la coda qui prouve que sans un 1er trompette et un batteur de classe il n’y a pas de bon big band)!
En 1960, il joue encore «Splanky» de Thad Jones (thème en appel-réponse des sections de cuivres et de saxophones, solo véhément de Billy Mitchell, ts, et les trois notes du chef en clôture).
En 1962, l’incontournable «Li’l Darlin’» d’Hefti d’Atomic Basie est toujours là, avec son solo de trompette écrit, souvent assumé par le premier pupitre (qui rappelons-le n’est pas le soliste attitré qui le plus souvent est 2e à 4e pupitre, mais le meilleur technicien de l’équipe, pas forcément bon improvisateur, responsable de l’esprit musical à donner à l’ensemble) et qu’une multitude de trompettistes professionnels et amateurs, de par le monde, ont joué et rejoué note pour note. Ce solo créé en 1957 par Wendell Culley (avec la sourdine harmon avec tube et du vibrato) fut repris, comme ici (librement), par Sonny Cohn qui a remplacé Culley dès 1960. Basie aimait beaucoup Joe Williams  qu’il présenta dans un album de 1955 Count Basie swings–Joe Williams Sings (Barclay GLP 3561) et qui deviendra une vedette auprès du grand public. Joe Williams, inspiré par Big Joe Turner et Billy Eckstine, chante juste, avec une bonne diction et un certain swing. Il apparaît ici dans trois titres: «All Right Okay You Win» qui lui convient bien, «Roll ‘Em Pete» (solo de Frank Wess, ts), deux blues, et le «Gee, Baby» de Don Redman (1957).
C’est Quentin Jackson qui a remplacé Al Grey, parce que «Base» voulait qu’il y ait toujours un spécialiste du plunger dans la section de trombone. Et Quentin Jackson nous donne là de belles démonstrations: «Makin’ Whoopee», «Segue in C» (qui vaut aussi pour le véhément sax ténor au son charnu, Billy Mitchell). Quentin Jackson dispose d’excellents collègues de pupitre bons solistes: le bopper Benny Powell («A little Tempo Please») et surtout Henri Coker, puissant («In a Mellow Tone» où il débute sur des notes pédales; «Blues in Hoss’ Flat», morceau de Basie et Foster pour l’album Roulette Chairman of the Board de 1958, rendu célèbre par le sketch de Jerry Lewis, avec ici un Snooky Young, méchant et growleur avec le plunger).
On ne compte plus les big bands qui ont joué «Cute» de Neal Hefti destiné à mettre en valeur le batteur et lancé par l’album Basie Plays Hefti (avril 1958, Roulette Records R52011). Mais rares sont ceux qui avaient un artiste comme Sonny Payne aux balais (ici, en 1962 –Frank Wess, fl-). Bien entendu les critiques conventionnels n’en avaient que pour Max Roach et Art Blakey (qui sont passés en 1956-57 par un sommet dans leur genre), sans porter assez attention à Sonny Payne, un transfuge de l’orchestre Erskine Hawkins qui a beaucoup joué au Savoy pour les danseurs. Il swingue de façon directe, intense. Un atout de Basie est dès lors le jeu furieux de Sonny Payne à la fin de nombreux titres («Lovely Baby» -notez le «shake» du premier trompette-, «In a Mellow Tone», ««Splanky», «Bleep Blop Blues», etc).
En 1962, Count Basie mélange vieux succès («Jumpin’ at the Woodside» -bon solo avec citations de Frank Foster-) et nouveautés du moment tirées de The Music of Benny Carter (7 septembre 1960, Roulette 52056) et From the pen of Benny Carter (2 novembre 1961, Roulette 52086), respectivement «Vine Street Rumble» (en vedette: le Count et Eric Dixon, disciple de Paul Gonsalves) et «Easy Money» (solos de Thad Jones et Benny Powell).
Dans «Toot Sweet», on retrouve les préoccupations d’alliage sonore présentes dans l’album Impulse! The Kansas City 7 (mars 1962): la trompette avec sourdine de Thad Jones et la flûte de Frank Wess (ils sont aussi solistes dans «Why Not»). Dans «Easin’ It» de Frank Foster, toute la section de cuivres est à l’honneur (alternatives, dans l’ordre: Henry Coker, ouvert, Quentin Jackson, plunger, Benny Powell, sourdine soft, puis Al Aarons, Sonny Cohn, Snooky Young, Thad Jones).
Le méconnu Eric Dixon (1930-1989) est soliste dans «Basie» d’Ernie Wilkins et dans la ballade «You’re Too Beautiful» (influence de Ben Webster).
Quentin Jackson (plunger) est soliste dans «I Need to Be Bee’d With» de Quincy Jones (qui vaut aussi pour Basie) et en contre-chant d’Irene Reid dans «The Blues» (lent), tandis que le bopper Benny Powell est en vedette dans «The Song is You», un standard qui a pour pendant «Stella by Starlight» pour un remarquable trompette concurrent d’Harry James en Sonny Cohn (vibrato, beaux aigus!). Cette nouveauté, puisqu’il s’agit d’inédits, intéressera les jazzophiles vétérans qui retrouveront les principes de leur formatage (et l’ambiance des concerts du Count), mais aussi les apprentis batteurs, les orchestrateurs et ceux qui aiment que ça swingue de façon ludique sans chercher, contrairement à cette chronique, à savoir qui fait quoi.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJeb Patton
Shades and Tones

Jeb Patton (p), D. Wong (b), Lewis Nash (dm), Albert Tootie Heath (dm) + Elena Pinderhugues (fl), Michael Rodriguez (tp), Dion Tucker (tb), Dmitri Baevsky (as), Pete Van Nostrand (dm)
Make Believe, Gigi, Rise & Fall, Cool Eyes, Orpheo’s Wish, Holy Land, Hidden Horizons, I’ll Be Around, Foreign Freedom, Violets for Furs, Juicy Lucy

Enregistré en 2014, New York

Durée: 1h 03’
Cellar Live 010515 (www.cellarlive.com)

Même s’il a dépassé la quarantaine Jeb Patton est pour nous une découverte. Nous sommes face à un brillant pianiste qui, tout en ayant un toucher moderne, joue un jazz ancré dans la tradition et avec le swing. Jeb tire ses connaissances des enseignements de Sir Roland Hanna. Les prestations en trio offrent un grand dynamisme et mettent en évidence toutes les qualités de Patton: virtuosité sans effet inutile, percussivité. Son jeu main droite déborde de vivacité. Jeb offre pour ce travail en trio notamment deux excellents thèmes de Horace Silver et un de Jerome Kern. Ses partenaires, s’inscrivant parfaitement dans le travail de Jeb, sont économes en soli mais dans ce domaine Nash est excellent sur «Cool Eyes». Patton sait aussi se montrer maître dans la ballade comme il le fait savoir sur «Violets for Furs». On doit noter également que le trio joue de la même manière que ce soit Nash ou «Tootie» qui manient les baguettes.
Les cinq compositions personnelles révèlent également les possibilités du pianiste dans cet art. Il y inclue trompette, flûte, saxo ou trombone. Sur «Gigi», «Rise and fall» et «Orpheo’s wish» on relève la présence de la flutiste Elena Pinderhugues. Une petite vingtaine d’années et un grand talent. Si elle est ici à disposition du pianiste (avec un beau solo sur le dernier de ces thèmes); en d’autres circonstances on peut l’entendre exprimer pleinement toute sa classe. Elle a déjà côtoyé quelques pointures comme Hancock, Barron, Spalding, «Maraca», Redman…

Le trompettiste Michael Rodriguez rejoint les partenaires de Patton dès que la géométrie du groupe dépasse le trio. C’est un bon interprète qui, dans un solo, se hisse à la hauteur de son leader; il est époustouflant sur «Hidden Horizons». Dion Tucker (tb) s’incorpore à la formation sur plusieurs des compositions de Jeb, ainsi que Dmitri Baevsky (as) sur «Foreign Freedom» ce qui transforme sur ce thème la formation en un beau quintet. On notera que sur quatre des cinq compositions de Jeb Patton les batteurs attitrés disparaissent au profit de Pete Van Nostrand et que le bon contrebassiste David Wong est présent sur l’ensemble des titres
.

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Antonio Adolfo
Tema

Antonio Adolfo (p), Marcelo Martins (fl, ss), Leo Amuedo (elg), Claudio Spiewak (g), Jorge Helder (b), R. Barata (dm, perc), Armando Marçal (perc)
Alegria for all, Natureza, Phrygia Brasileira, Sambojazz, Alem mares, Sao Paulo Express, Todo dia, Trem da Serra, Melos, Variations on a Tema Triste

Enregistré à Rio de Janeiro (Brésil), date non précisée
Durée: 52’
AAM Music 0708 (www.aammusic.com)


Antonio Adolfo a exhumé plusieurs de ses travaux de la fin des années soixante, pour certains en collaboration avec Tiberio Gaspar, Xico Chaves. Il les a, cinquante ans après, à la lumière de la maturité, retravaillés, réarrangé
s, transformés en versions instrumentales et enregistrés avec des musiciens actuels. On est dans l’ensemble en présence de versions qui prennent leur liberté face à la MPB qui nous est bien connue comme le «Phrygia Brasileira» inspiré pourtant du folklore. Antonio Adolfo est un excellent pianiste au style très percussif comme le montre «Sambo Jazz». Sur ce dernier thème il s’adjoint les percussions de samba offertes pas Hugo Sandim.
Le disque recèle d’autres bonnes plages à l’image de «Alegria for all», «Sao Paolo Express» ou encore «Trem da Serra». Parmi ses excellents partenaires signalons le très bon travail des percussionnistes et l’interprétation de Leo Amuedo (elec.g) sur «Sao Paolo Express» et «Sambo Jazz» auquel se joint celui qui au long du disque tient la guitare acoustique, Leo Spiewak, pour ce dernier thème à la basse électrique. Quant à M. Martinez nous le préférons nettement au saxophone soprano plutôt qu’à la flûte.