Rémi Abram • Act Big Band • Antonio Adolfo • Cyrille Aimée • Monty Alexander • Louis Armstrong • Dmitry Baevsky • Emmanuel Baily • Kenny Barron • CountBasie • Daniel Bechet & Olivier Franc Quintet• Lionel Belmondo Trio • Belmondo Family Sextet • Airelle Besson • B.F.G • François Biensan Octet • Ran Blake • Claude
Bolling • Céline Bonacina• Frederic Borey • Bossa Nova in USA • Christian Brazier• Dee Dee Bridgewater• Katie Bull • Jean-Yves Candela • Eva Cassidy • Joe Castro • FrankCatalano / Jimmy Chamberlin• Joan Chamarro & Andrea Motis • Tom Chang • Fred Chapellier• Cyrus Chestnut • Pierre Christophe • Popa Chubby• Chris Cody • John Coltrane• Sam Coombes • LaurentCoulondre • Philippe Crettien • Dal Sasso-Belmondo Big Band • Guy Davis • Miles Davis • Pierre de Bethmann •
Riccardo Del Fra • Jean-Pierre Derouard • Lorenzo Di Maio • Aaron Diehl • Lucy Dixon • Doré Marthouret Quartet • Philippe Duchemin Trio • Mark Elf • Andy Emler MegaOctet • Emler / Tchamitchian / Echampard • European Jazz Cool • European Jazz Sextet• José Fallot • Claudio Fasoli • Nicola Fazzini • Franck Filosa • Clare Fischer• Dominique Fitte-Duval • Ella Fitzgerald • Chico Freeman • George Freeman & Chico Freeman • Larry Fuller • Champian Fulton • RichardGalliano / Jean-Charles Capon • Melody Gardot • Erroll Garner• Viktoria Gecyte / Julien Coriatt Orchestra • Stan Getz • Aaron Goldberg • Guitar Heroes • Jeff Hackworth • Rich Halley• Hard Time Blues • Phi Haynes • Fred Hersch • Robert Hertrich • Lisa Hilton • Chris Hopkins & Berndt Lhotzky • Ramona Horvath• Hot Club de Madagascar • Sylvia Howard • Abdullah Ibrahim • Chuck Israels • Ahmad Jamal • JazzAccordéon • JCD 5tet • Nicole Johänntgen• Jessica Jones• QuincyJones • Kassap / Touéry / Duscombs• Manu Katché • Hetty Kate • L'Ame des Poètes • La Section Rythmique • Christophe Laborde • Prince H. Lawsha & Frédérique Brun • Le Jazz à l'écran • LG Jazz Collective • Susanna Lindeborg • Frédéric Loiseau• Claude Luter / Barney Bigard• Christian McBride • Les McCann • Pete McGuinness • Kirk MacDonald • Mack Avenue SuperBand • Richard Manetti • Manhattan School of Music •
Roberto Magris Septet • Perrine Mansuy • Delfeayo Marsalis • Fabien Mary •Tina May •Merlaud / Rebillard • Jason Miles / Ingrid Jensen • Jean-Marc Montaut •Wes Montgomery•Christian Morin • Ed Motta •Kevin Norwood• Guillaume Nouaux • Austin O'Brien • Jean-Philippe O'Neill • On Air & Fabrizio Bosso • Paris-Calvi Big Band • Paris Jazz Big Band • Charlie Parker • Michel Pastre • Jeb Patton• Alain Pierre • Antoine Pierre • Lucky Peterson • Enrico Pieranunzi • Valerio Pontrandolfo • PG Project • Cecil L. Recchia • Eric Reed • Walter
Ricci / David Sauzay Quintet • François Ripoche / Alain Jean-Marie • George Robert • Duke Robillard •
Manuel Rocheman / Nadine Bellombre • Jim Rotondi • David Sanborn • Julie Saury / Felipe Cabrera / Carine Bonnefoy • John Scofield • Eric Séva • Ben Sidran • Frank Sinatra • Steve Slagle & Bill O'Connell • Wadada Leo Smith • Curtis Stigers • Lew Tabackin • Ignasi Terraza • Virginie Teychené • Claude Tissendier• Samy Thiébault • Sarah Thorpe• Baptiste Trotignon • René Urtrerger • Jacques Vidal •
André Villéger / Philippe Milanta • Heinrich Von Kalnein / Michael Abene • Reggie Washington • Muddy Waters • Big Daddy Wilson • Miguel Zenón
Les chroniques sont classées par ordre chronologique de publication (des plus récentes au plus anciennes). Pour
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Perpetual e-motion, Contagion, In the
interstice, Mondeville juillet 2013, Interfacing you, Altered
asymmetries, Fault lines, Go re-configure, Pace of change, perpetual
e-motion (alternate take) Sam Coombes (as, ss), Yoni Zelnick (b),
Julien Charlet (dm) Enregistré le 5 décembre 2013 et le 7
janvier 2014, Paris Durée: 58'36'' Pol-e-Math Recordings SCPR01 (Socadisc)
Un saxophone (alto ou soprano) une
contrebasse, une batterie, voilà bien la forme de trio la plus
audacieuse et la plus exigeante. Si le choix délibéré et le
mélange de métriques impaires ne facilitent pas la perception du
swing, en revanche, ceux-ci subliment celle du groove, omniprésent.
Très dynamique, la section rythmique donne le tournis à l'auditeur
et des ailes au soliste. Servie par des virtuoses de leur instrument
et, affranchie de tous les codes habituels, cette musique riche,
pleine de surprises et de ruptures ne manque ni d'originalité, ni
d'énergie. Complexe, elle exige toutefois une écoute très
attentive pour être appréciée à sa juste valeur.
Intégrale Vol. 7, Just Friends, 1949-1950 Intégrale Vol. 8, Laura, 1950 Intégrale Vol. 9, My Little Suede Shoes, 1950-1951 Intégrale Vol. 10, Back Home Blues, 1951-1952 Intégrale Vol. 11, This Time The Dream’s on Me, 1952 5 coffrets de 3 CDs avec livrets et discographies détaillés
par Alain Tercinet Enregistrés de 1949 à 1952 Durée: environ 18h d’enregistrement Frémeaux & Associés 1337-1338-1339-1340-1341
La maison Frémeaux, avec le concours d’Alain Tercinet à la
plume et à l’érudition, poursuit avec talent et conviction cette intégrale
essentielle, et on s’en réjouit, bien qu’elle précise toujours avec modestie
les limites de l’exercice. Il est en effet très étonnant de constater que
Charlie Parker, mort à 35 ans, a laissé une telle profusion d’enregistrements,
qu’ils soient officiels, pirates ou quasiment clandestins. Quelle que soit la
qualité sonore, toute note de Charlie Parker, comme on peut le dire de Louis
Armstrong, est précieuse. Autre paradoxe d’ailleurs, car si Louis Armstrong les
distillaient avec une économie certaine, l’art de Charlie Parker plonge ses
racines esthétiques dans la profusion tatumesque, autant dire qu’il remplit
l’espace et que les silences sont rares, l’intensité trouvant curieusement son
compte dans la profusion de l’un et l’économie de l’autre, le mystère et la
diversité du génie. Dans le septième coffret, on débute par les concerts au
Carnegie Hall, placés toujours sous l’égide du blues. Le constat est fait dans
ce cadre, dès 1949, qu’il n’y a aucune rupture et révolution, puisque se
côtoient les générations fondatrices et nouvelles (de Lester Young à Charlie
Parker), sans aucun hiatus, le langage est celui d’un jazz hot où le swing, le blues sont les maîtres mots, même si le grand
enfant provocateur, Charlie, affirmait le contraire comme le raconte Alain
Tercinet. L’ajout que Lester ne l’avait pas influencé, relaté par Tercinet,
étant sans doute l’habituel petit jeu avec la critique de dire le contraire de
ce qu’on pense pour alimenter une provocation dont les racines sont
particulières au monde afro-américain. Ce type de relation avec les médias,
plus attentif au sensationnel qu’à l’essentiel, ne s’arrêtera pas là. Nous,
oui. Parlons plutôt de ces quatre premiers thèmes qui ont l’avantage de nous
présenter des enregistrements longs où le blues est roi, comme toujours chez
Parker, et bien entendu les Lester, Roy Eldridge, Buddy Rich, Flip Phillips, et
les jeunes Ray Brown et Hank Jones ne s’en laissent pas conter. C’est
splendide! On passe ensuite à ce qui fera polémique pour les amateurs
de jazz tant qu’il y en aura… Le jazz est-il compatible avec les violons? Ce
n’est pas une question de système ou de technique, mais de personne. Charlie
n’est d’ailleurs pas le premier à l’avoir tenté, et il ne sera pas le dernier.
On ne reprendra pas la polémique, et on répondra oui, quand le musicien
s’appelle Charlie Parker (ou Ben Webster, ou Wynton Marsalis…), mais il n’est
pas donné à tous les musiciens de pouvoir survoler des cordes, magnifiquement
arrangées ici, avec beaucoup d’intelligence. C’est parfois aussi une question
de moment ou de production. Charlie Parker a cette liberté extraordinaire de ne pas altérer son
discours, et de savoir imposer son discours avec un lyrisme serein, pour cette
fois, mais aussi avec la maestria du soliste d’exception, qualité qui en impose
à tous, musiciens classiques en particulier. C’est sans nul doute un
chef-d’œuvre de l’histoire de la musique tout court. Parce que Charlie Parker
est sans doute un génie naturel, comme Django, de l’histoire de la musique, et
qu’il s’impose à tous les langages. Son «Summertime» est digne de celui de
Sidney Bechet qui a en a fait une autre merveille de l’humanité dès 1939 – avec Meade Lux Lewis (p) Teddy Bunn (g) Johnny Williams (b) Sidney Catlett (dm) et en 1947 avec James P. Johnson (p) Danny Barker (g) George Pops Foster (b) Warren Baby Dodds (dm).
Années des Dieux donc! Ceux du jazz, en l’occurrence. Mais ce disque avec cordes
est dans son ensemble un bonheur absolu, un événement musical. Le problème avec
Charlie Parker, c’est que le reste de ce coffret est aussi essentiel, et
toujours à cause de lui, même s’il est toujours bien entouré dans les petites
formations, de jeunes (Roy Haynes, Art Blakey, Red Rodney…) ou moins jeunes
(Bud Powell, Fats Navarro, Al Haig…). Il faut aussi remarquer ses thèmes:
«Ornithology», «Cheryl», et malgré l’avalanche de notes, tout est
mélodieux, clair, intense, parfait!… età base de blues qu’il grave sur mille facettes comme un diamantaire. Sur
le blues, Charlie Parker semble inépuisable, et il se permet de citer
l’introduction de Louis Armstrong de «West and Blues» dans le cours de son
chorus, histoire de provoquer sans doute… ou de rappeler à quel monde il
appartient pour ceux qui ont des oreilles. Le jeune Red Rodney est un sacré musicien pour suivre le torrent
sur «Koko». Le lyrisme à la Lester reprend parfois le dessus, mais les idées de
Charlie se bousculent, et sa façon de les exploiter impose un discours plus
foisonnant et débridé que celui de son aîné. Pour la suite, avec Fats Navarro, un autre extra-terrestre,
de la trompette, le métronome est définitivement mis de côté. Conserver, comme
Tatum, un tel sens de la mélodie, sur un tel tempo, avec un tel débit, relève
de la prouesse mais aussi du génie musical. Fats Navarro ne refuse pas le
challenge, et il ne faut pas moins que Bud Powell, Curley Russell et Art Blakey
pour suivre ce train d’enfer sans lasser. L’un des facteurs qui rend cette
musique si spéciale est aussi l’intensité. Les grandes voix du jazz, de Louis à
Hawkins, en passant par Duke, Basie, Ella, Billie, Bessie, Mahalia, Lester,
Benny Carter, Bud Powell, Dizzy, Monk, Mingus, Coltrane, ont en commun cette
sur-intensité qui attire tous les publics, même profanes.En ce
début des années cinquante, Parker alterne donc entre la formation avec Fats
Navarro, Bud Powell, Blakey et celle avec Al Haig, Red Rodney et Roy Haynes et,
égal à lui-même, il exploite un répertoire assez balisé de ses compositions,
celles de Thelonious Monk ou les standards. Du grand art!
Back Home, Détachement, No Other Way, Black Rainbow,
Lonesome Traveler, September Song, Inner Peace, Open D, Santo Spirito Lorenzo Di Maio (g), Jean-Paul Estiévenart (tp),
Nicola Andrioli (p, key), Cédric Raymond (b), Antoine Pierre (dm) Enregistré en Novembre 2015, Bruxelles Durée: 55' 47'' Igloo Records 273 (Socadisc)
Né dans une famille de musiciens, Lorenzo Di
Maio a choisi la guitare à l’âge de 15 ans. Il a suivi des cours avec presque
tous les guitaristes qui font autorité en Belgique: Paolo Loveri, Paolo
Radoni, Jacques Pirotton, Peter Hertmans… En 2009, diplômé du Conservatoire de
Bruxelles, remarqué par ses pairs, il joue aussi bien du dixieland avec ses
oncles(Jo et Santo Scinta) que de la soul avec Laurent Doumont (ts, voc).
Initialement influencé par Aaron Parks, John Scofield et Pat Metheny («Open
D»), son jeu s’est enrichi au contact des musiciens de sa génération.C’est avec Fabrice Alleman (cl, sax) etle groupe 4in1 de Jean-Paul Estiévenart (tp)
qu’il se fit particulièrement remarquer. Black
Rainbow est le premier disque à son nom; il y signe toutes les
compositions. Elles sont le reflet de ses acquis. Alors qu’on s’imaginait
découvrir neuf plages énergiques, le guitariste dévoile une sensibilité pour les
harmonies délicates (solo de guitare sèche en coda de «Santo Spirito»)et un
feeling tout en couleurs et nuances («Black Rainbow»,
«Lonesome Traveler»). Les mélodies sont agréables et structurées
rigoureusement («September Song»). Les sidemen, attentifs aux riches
arrangements, fusionnentdans l’écriture
du leader, y puisant leur propre force créative. Ils sont tous majestueuxen
solos ! Nicola Andrioli (p/«Detachement»
& «September Song») et Jean-Paul Estiévenart (tp/«No
Other Way», «Lonesome Traveler») occupent des places de
choix. Mention spéciale aussi pour les ponctuations originales d’Antoine Pierre
(dm) à la cymbale cloutée («Lonesome Traveler») et les solos dans
«September Song» et «Santo Spirito». Outre le fait
qu’on découvre un nouveau et séduisant compositeur-arrangeur, le plus
remarquable: c’est que nous sommes à l’écoute d’un travail de groupe. Ecoutez,
par exemple: l’accompagnement du guitariste (plusieurs guitares) sur le
solo de basse de «Black Rainbow»; l’exposé et les
questions-réponses trompette/guitare de «Santo Spirito». Ce quintet est la réunion de ce qui se joue le
mieux à Bruxelles aujourd’hui. Notez bien leurs noms, vous allez les retrouver
un peu partout, individuellement ou en groupe, de New York à Tokyo, de Reykjavik
à Cape Town dans les années qui suivent… Parce qu’ils le valent bien!
Sylvia Howard Sings Duke Ellington with the Black Label Swingtet and Friends
It Don’t Mean a Thing*, Sophisticated Lady°*, I’m Beginning
to See the Light*, Perdido, Rocks in My Bed, Love You Madly°, In a Sentimental
Mood, Don’t Get Around Much Anymore, Duke’s Place**, Come Sunday, Just Squeeze
Me, Caravan** Sylvia Howard (voc), Christian Bonnet, Antoine Chaudron
(ts), Georges Dersy (tp), Jean-Sylvain Bourgenot (tb), Jacques Carquillat (p),
Jean de Parseval (b), André Crudo (dm) + Claude Carrière° (p), Jean-Jacques
Taïb* (cl), Didier Vétillard** (ss) Enregistré en 2014, Ermont (95) Durée: 52’ 06’’ Black & Blue 797.2 (Socadisc)
Paris possède peu de chanteuses de la trempe de Sylvia
Howard. Il est d’autant plus dommage qu’on l’entende si peu en club et qu’elle
n’en soit, à ce stade de sa carrière, qu’à son deuxième disque sous son nom
(après Now or Never, Black & Blue, 2012), toujours accompagnée par le Black
Label Swingtet de Christian Bonnet. Mais les personnages comme Sylvia, aussi
talentueux que fantasques, ont des natures mal adaptées à notre époque
normative qui a laissé les professionnels de la culture et du showbiz prendre
le pas sur les grands producteurs à l’oreille avertie. On sait donc gré à
Christian Bonnet d’avoir permis une nouvelle fois à la chanteuse de s’exprimer,
qui plus est sur le plus beau des répertoires: la musique de Duke Ellington.
Ellingtonien passionné, le ténor signe d’ailleurs les arrangements (sans
fioritures) de cet album. La performance de Sylvia Howard est évidemment à la
hauteur de nos attentes: son swing, ses belles intonations blues, sa voix
légèrement rauque font merveille et l’on attrape des frissons avec «Come
Sunday» où elle livre une interprétation aussi sensible que puissante. Le Black Label Swingtet et ses invités soutiennent
honorablement Miss Howard, mais pour tout sympathique qu’il est, cet orchestre,
essentiellement composé de musiciens non professionnels, ne parvient pas à se
hisser au niveau de l’interprète principale. Hormis Jean-Jacques Taïb – qui est
excellent à la clarinette –, aucun soliste ne retient vraiment l’attention. On rêve
encore que Sylvia Howard fasse l’objet d’un véritable projet construit autour
de sa personnalité et réunissant des musiciens capables d’entrer en dialogue
avec elle. Il n’en manque pas, notamment à Paris. Reste à savoir s’il reste des
acteurs du jazz suffisamment imaginatifs pour s’emparer de l’idée.
In Graz, BC, Biru
Kirusai, Dark Blue, Highline, Pure Imagination, Monk's Mood, Le Crest, Our Day
Will Come, Going to the Sun. Jim Rotondi (tp, flh),
Joe Locke (vib), David Hazeltine (p, elp), David Wrong (b), Carl Allen (dm) Enregistré le 15
juillet 2015, New York Durée : 1h 04’ 13’’ Smoke Sessions Records 1602
(www.smokesessionsrecords.com)
Voilà, un excellent
disque bop de Jim Rotondi (Jazz Hot
n°663). L'atmosphère n'est pas sans faire penser aux séances Blue Note avec
Bobby Hutcherson, rôle ici tenu par Joe Locke. C'est le cas dans «Monk's Mood»,
la meilleure plage de l'album où David Hazeltine swingue bien. Ce pianiste a un
bon feeling et sait rester sobre quand il faut, notamment dans «Dark Blue»
où le bugle du leader est dans la lignée lyrique de Freddie Hubbard. On notera
la courte citation du «Vol du Bourdon» dans le solo de piano de «In Graz»
(dédié à la ville autrichienne où enseigne Rotondi). Hazeldine est l'auteur du
bon thème, «Highline», la majorité des autres est signée Rotondi. Joe Locke est
partout excellent et cette séance avec vibraphone au lieu d'un sax donne une
couleur sonore très plaisante. Jim Rotondi a, outre l'inspiration, une
excellente maîtrise du bugle et de la trompette avec une belle qualité de
timbre (sombre). Il est très proche de Freddie Hubbard («BC» – pseudo blues de
16 mesures –, «Our Day Will Come», etc), c'est dire le niveau. Tout le monde
s'exprime en solo, même Carl Allen («Highline») et David Wong («Le Crest»).
Le texte du livret est une interview de Jim Rotondi. Bref, les amateurs de Jim
Rotondi et... Freddie Hubbard ne seront pas déçus.
Louis Armstrong Intégrale Vol. 14. Constellation 48
Titres détaillés dans
le livret Louis Armstrong (tp,
voc), Jack Teagarden (tb, voc), Barney Bigard (cl), Dick Cary, Earl Hines (p),
Arvell Shaw (b), Sid Catlett (dm), Velma Middleton (voc) Enregistré entre le 16
octobre 1947 et le 2 mars 1948, New York, Nice, Paris Durée : 3h 49’ 22’’ Frémeaux &
Associés 1364
Le nom de Louis
Armstrong est désormais attaché à celui de son «All-Stars». Il
s'engage dans le rôle de l'ambassadeur international du jazz le plus
indiscutable dans ses ingrédients. On débute par une séance de 4 titres pour
RCA, versions différentes de thèmes joués dans le film A Star is Born.
Les deux meilleurs sont «Please Stop Playing Those Blues» et surtout «A Song was
Born» (le drive foudroyant de Louis à la trompette prouve qu'il n'était pas
l'instrumentiste fini que voulaient faire croire les tenants du progressisme).
Bien sûr le maître est en train de roder une stratégie de concert et une
routine de répertoire illustrée par la retransmission depuis Carnegie Hall (le
15 novembre 1947) où après un indicatif (pour l'heure : la trompette massive de
Satchmo dans le blues, «Back O'Town Blues»), il y a les fameuses «spécialités»
des membres du groupe («Body and Soul» par Barney Bigard, «Stars Fell of
Alabama» par Mr Tea). La présence et puissance de Louis Armstrong balaye tout
dans «Rockin' Chair». L'éditeur a choisi de ne pas inclure l'intégralité de ce
concert pour ne pas faire trop de doublons (le but est pourtant celui de
l'intégrale). Cette réédition documente bien le retour triomphal de Louis
Armstrong en France, d'abord au Festival International de Jazz de Nice puis en
concert à Paris. Double indispensabilité donc, puisque, outre la splendeur de
Louis Armstrong bien entouré, ces documents sonores immortalisent (pour ceux
qui s'y intéressent encore) une manifestation nouvelle en jazz, promise (on ne
le sait pas encore) à un avenir (qui contribuera à la perte du genre par buts
trop lucratifs) : le festival de jazz, célébration sur plusieurs jours. Nous
sommes donc de plein pied dans l'histoire. Michel de Bry et Paul Gilson se sont
occupés de la Radiodiffusion Française, Paris-Inter, Poste Parisien et autres
(BBC, Radio Monte-Carlo, RTB, des radios suisses, scandinaves, tchèques,
d'Autriche et Hongrie), ce qui permit de préserver des moments essentiels de
l'évènement. Hugues Panassié fut chargé de la programmation et pour lui, Louis
Armstrong s'imposait (à juste titre) pour une manifestation de ce genre. En
dehors des salons de l'hôtel Negresco pour la finale, Nice a mis à disposition
l'Opéra et le Casino. La fin du CD1 aborde le «Gala Constellation 48»
(référence à l'avion, fleuron d'Air France, partenaire du festival) donné par
le All-Stars redevenu Hot Five, à l'Opéra, le 22 février 1948. Louis Armstrong
est étourdissant de puissance dans «Rockin' Chair». Des «spécialités» encore
comme ce remarquable «Boogie Woogie on the St. Louis Blues» par Earl Hines et
Arvell Shaw très en forme, «Rose Room» par Barney Bigard, modèle de sonorité de
clarinette, et Sid Catlett. Le CD2 débute par le désormais incontournable
indicatif, mais ici joué en entier, «When It's Sleepy Time Down South» et un
problème technique de prise de son (la trompette de Louis est impériale et
généreuse!). La qualité de son est inégale d'un titre à l'autre, par exemple le
23, entre «Mahogany Hall Stomp» (Louis repend avec classe son solo historique
avec note tenue) et «Royal Garden Blues», mais il est hors de question de
chipoter l'histoire, on s'incline! Tout le groupe est en forme, galvanisé par
l'ambiance, donc tout est du jazz d'envergure. Le CD3 propose des extraits du
concert du 2 mars à Paris retransmis par Paris-Inter (à noter la note loupée de
Louis dans «Dear Old Southland», rendant le génie humain). A suivre.
A Little 3/4 Time for
God & Co, Vacushna, I Am Love, Everything Happens to Me, The Truth, Little
Girl Blue, They Can't Take That Away from Me, Vacushna (Reprise), How High the
Moon, I'll Take Romance, Unidentified, Out of This World, Oh Them Golden
Gaters, Red Sails in the Sunset, Someone Stole My Chitlings, Deed I Do, Dorene
Don't Cry, Come on and Get That Church Les McCann (p), Herbie
Lewis (b), Ron Jefferson (dm) Enregistré le 28
juillet 1961, Paris Durée: 2h 07' 19’’ Frémeaux &
Associés 5635 (Socadisc)
Les McCann (né en 1935)
qui a débuté au tuba dans une fanfare, est vite devenu à partir de 1958 un
pianiste populaire à la tête d'un trio porté par la mode dite «funky» et «soul»
en réaction à la précédente dite «cool». On disait aussi «churchy»
à l'époque (le dernier titre est explicite : «Come on and Get That Church»).
Comme le rappelle le livret, ce trio fut la «révélation» du deuxième festival
d'Antibes, en juillet 1961, peu de temps avant cet enregistrement réalisé en
club, au Caméléon. L'ambiance en club est bien présente ici, avec la tendance
qu'on y trouve d'y faire durer le plaisir : un «How High the Moon» de 11'33» et
un «Out of This World» de 10'29» qui comptent parmi les bons moments de ce
double CD. Il est difficile de placer Les McCann au même niveau qu'un Bud
Powell, vedette du Blue Note, et d'un Memphis Slim, star des Trois Mailletz,
mais sa musique s'écoute sans déplaisir. Du «easy listening». McCann peut être low down et répétitif («A Little ¾ Time
for God & Co»), et il sait swinguer («Vacushna», «Oh Them Golden Gaters», «Someone
Stole My Chitlings»). Il n'est pas sans évoquer Ray Charles («The Truth») ou
Erroll Garner, non seulement par des grognements et un certain sentimentalisme
ici ou là (longue introduction à «Red Sails in the Sunset»). Les «fabricants de
musique» qui l'entourent sont louables : Ron Jefferson est notamment en valeur
dans «Unidentified», et Herbie Lewis dans «Out of This World» et «Deed I Do».
Le programme, comme souvent, alterne standards et compositions personnelles de
Les McCann. Un trio beaucoup plus concerné par le cœur du jazz que la quasi-totalité
des groupes actuels de ce type.
Hard Time Blues 1927-1960 Political and Social Blues Against Racism at the Origin of the Civil Rights Movement
Titres et personnels détaillés
dans le livret Enregistré entre le 17
décembre 1927 et le 5 octobre 1960, New York, Chicago, Oakland, Houston,
Aurora, Los Gatos, Los Angeles, Cincinnati, Detroit, Englewoods Cliffs Durée : 2h 08’ 58’’ Frémeaux &
Associés 5480 (Socadisc)
Partir d'un fait social
pour une compilation musicale donne des résultats aussi discutables
qu'hétérogènes comme Bruno Blum sait le faire pour le même label. Là, à
l'inverse, comme le genre musical est clairement circonscrit, le résultat
musical est homogène et cohérent. Le fil conducteur n'est qu'un prétexte à la
sélection des titres. Les paroles de blues ne sont pas les seules à véhiculer
la «contestation» puisque le «country (folk)» a milité aussi, ainsi
que la bonne chanson en général (on pense à Boris Vian). Les paroles de blues
sont bien plus diverses comme le livre Le Monde du Blues de Paul Oliver
(1962, Arthaud) le démontre, abordant tous les sujets (inondations, etc). Le
thème choisi n'était pas simple. A l'exception tardive de Lead Belly (qui cite
Bunk Johnson dans «Jim Craw Blues», 1944), Josh White, Sonny Terry qui
fréquentaient les chanteurs folk engagés (Woody Guthrie) soutenus par une
fraction blanche «libérale», puis Big Bill Broonzy («Black, Brown and White»)
et J.B. Lenoir, «aucun Noir ne se serait avisé de protester» (Paul Oliver).
Donc, la sélection faite pour illustrer ces «temps difficiles» n'est pas le commentaire
socio-politique auto-censuré (pour le disque), mais l'expression de ses
conséquences ressenties (discrimination – Jim Craw –, pays ingrat – Uncle Sam –,
chômage, prison, etc.) et de ses espoirs (Roosevelt). Les auteurs du livret,
Jean Buzelin et Jacques Demêtre, commencent par citer LeRoi Jones (peu
recommandable comme la nécrologie de Jazz Hot l'a démontré): «Le blues...c'est en premier lieu une forme
poétique et en second lieu une façon de créer de la musique». Pour le
signataire le premier rôle du blues est celui présenté comme second : musical.
Et de ce point de vue, ce coffret est un régal. Outre ce que nous avons cité,
signalons : «Uncle Sam Says» (guitare de Josh White), «Uncle Sam Came And Get
It» (Sammy Price, p!), «The Number of Mine» (pianiste et la basse de Ransom
Knowling), «Cell no13 Blues» (Big Maceo, p, Buster Bennett, as), «County Jail
Blues» (Tampa Red, g), «I'm Prison Bound» (Lowell Fulson, g/voc), «Penitentiary
Blues» (Lightnin' Hopkins, g,voc), «Jim Crow Train» (Sonny Greer, dm), «Back-Water
Blues» (Bessie Smith), «Florida Hurricane» (Sunnyland Slim, p, Muddy Waters,
g), «Don't Take Away My PWA» (Horace Malcolm, p), «Walfare Store Blues» (Joshua
Altheimer, p), «Back to Korea Blues» (Sunnyland Slim, p), «President's Blues»
(J.T. Brown, ts, Sammy Price, p!), «The World Is In A Tangle» (Ernest Cotton,
ts), «The Big Race» (Memphis Slim, p), les trois titres par Champion Jack
Dupree (dont «Warehouse Man Blues» avec un très bon bassiste), plus encore «Crazy
World» (Julia Lee, p/voc, Baby Lovette, dm avec Vic Dickenson et Benny Carter
en duo de trombone!) et ««Hard Time Blues» (Edmond Hall, cl, J.C. Higginbotham,
tb, Hot Lips Page, tp)! Choix arbitraires car tout est bon.
Jolie
Môme, Elle ou moi, Madame rêve, Eu sei que tu amar, Allée des
brouillards, Before the Dawn, Oralice, Both Sides Now, C’était
bien, A bout de souffle, But not for Me, Encore, 13 septembre
Virginie
Teychené (voc), Stéphane Bernard (p), Gérard Maurin (b, g),
Jean-Pierre Arnaud (dm), Olivier Ker Ourio (hca) Enregistré
en décembre 2014, Pompignan (30) Durée:
53’ 10’’ Jazz
Village 570081 (Harmonia Mundi)
Virginie
Teychené s’attaque avec bonheur à un répertoire de chansons;
gageure comportant toujours le risque de s’engluer dans une
interprétation «variété». Mais le pari gagné car ces chansons
reprennent vie, deviennent autres par la grâce de la chanteuse et
les arrangements du tandem Maurin-Bernard. Virginie chante d'ailleurs
à la perfection en brésilien et en anglais. Voyons
d'abord les chansons françaises. Sur «Jolie môme» de Ferré elle
démarre seule, et là on peut goûter la pureté, la tendresse de sa
voix, la délicatesse du vibrato, la perfection de la diction, et des
inflexions dont elle a le secret, et qui amènent tout naturellement
la chanson au jazz. «Madame rêve» du regretté Bashung nous emmène
effectivement dans un rêve éveillé, et l’harmonica de Ker Ourio
fait merveille; il est certainement le plus grand harmoniciste
d’aujourd’hui. Dans «Allée des brouillards» de Nougaro et
Galliano elle se promène dans cette allée précédent un somptueux
solo de Ker Ourio, avant de revenir au tableau. Un formidable «A
bout de souffle» écrit par Nougaro sur le «Blue Rondo a la Turk»
de Brubeck. Virginie s’en sort avec une apparente facilité, chaque
syllabe éclate, avec entre autres un magnifique contrechant main
gauche du pianiste et une riche partie de contrebasse. «C’était
bien» le petit bal perdu de Bourvil; Virginie nous fait oublier, ou
plutôt non, son chant se superpose à la douce nostalgie de la voix
de Bourvil dans notre mémoire. Tant de tendresse et de saudade
et puis le solo d’harmonica. La chanson est devenue une valse-jazz,
un chef d’œuvre. Le «Septembre» de Barbara, toute la douceur de
l’automne teinté de regrets s’avance par l’harmonica seule,
puis juste la chanteuse et la contrebasse qui s’enrichit d’un
contrechant de l’harmonica: on est dans le sublime. Le morceau
respire le bonheur malgré l’adieu à l’amour qui s’en va, car
on sait qu’il reviendra. En français encore «Elle ou moi» de
Gérard Maurin et Marcus Malte, un joli texte avec un beau travail du
batteur sur un rythme latino, et un arrangement aux petits oignons.
«Encore» qui donne son titre au disque, de Virginie Teychené et
Gérard Maurin voit celui-ci à la guitare dans une belle intro sur
tempo médium lent avec le piano. Entendre comment Virginie tient la
note, chose qui se perd chez les chanteuses aujourd’hui. L’hiver
peut bien venir dit la chanson, oui, avec une telle musique on sera
au chaud. Les
deux titres en brésilien «Eu sei que tu amar» de Moraes et Jobim
avec intro guitare-harmonica est une bossa de la meilleure tradition
avec le charme caressant de la voix; «Doralice» d’Almeida et
Caymmi est une samba prise vocal batterie, du pur brésilien, un
bijou. «Before the Dawn», en anglais, de Bernard et Teychené nous
vaut une longue et splendide introduction du piano très Chopin où
prévaut la délicatesse et le romantisme du pianiste, puis la
chanteuse se mêle au piano: émotion garantie. Le standard des
frères Gershwin «But not for Me» repose sur une belle partie
basse-batterie sans piano. C’est le seul morceau vraiment scatté;
Viriginie passe de l’aigu au grave avec une rapidité et une
facilité confondantes, en fait elle chante comme si elle jouait du
saxophone, avec une décontraction à la Sinatra. Du
grand jazz.
Adrien
Varachaud (ts,ss), Rasul Siddik (tp), Tom McClung (p), Harry Swift
(b), Jean-Charles Dejoie (dm) Enregistré
les 2 et 3 décembre 2014, lieu non précisé Durée: 58’ 02’’ Autoproduit ([email protected])
On
a affaire ici avec cinq musiciens de diverses nationalités mais qui
tous se produisent souvent en France et ont déjà joué les uns avec
les autres, et avec les meilleurs jazzmen qui passent par Paris. Ils
se sont réunis pour ce quintet très homogène d’essence hard bop.
McClung qui fut marqué par Monk et Ellington a fait une forte
impression an 2015 avec son disque Burning
Bright. C’est un réel
plaisir de le retrouver dans le partage avec ses quatre compagnons.
Il faut l’écouter sur «Spirit» en tempo médium, où l’on
entend qu’il a assimilé toute l’histoire du piano jazz. Rasul
Siddick a joué avec David Murray, Lester Bowie, Christian Brazier et
autres pointures. C’est un trompettiste volubile avec des attaques
au scalpel; il aime à parcourir toute la tessiture avec un son
«écrasé» très pur faisant preuve de beaux développements comme
par exemple sur «Silver»; probablement un hommage au célèbre
pianiste. D’ailleurs, le quintet sonne très Horace Silver dans les
arrangements, pour les expositions et les finals. Adrien Varachaud
est très mordant au ténor, assez dans la tradition des ténors
ellingtoniens pour le fond. On peut admirer des growls
impressionnants dans le grave du ténor sur «To B or not to B».
L’Anglais Harry Swift est venu à la contrebasse par Mingus; il est
le piler du groupe de Bobby Few. Il met en place le groupe avec un
accompagnement discret dans une bonne entente avec le batteur. Un
bon quintet dont la prestation repose sur des thèmes écrits par les
musiciens, avec de longs solos, encadrés par des arrangements qui
donnent un véritable son de groupe.
You Fly
Around My Skin, Quand se dévoile l’abîme où veut mon cœur t’emprisonner, The
Most Beautiful Day of Our Life Could Be Now, L’Etrange réunion, Les Mains dans
les poches, La Parisienne, Pirate Dominique
Fitte-Duval (ss), Benoît Martin (key), Yoann Godefroy (b), Jean-Baptiste Palies
(b) Enregistré en
2015, Paris Durée:
1h 15’ BBO JAZZ 0002
(dominiquefitteduval.com)
Le
saxophoniste Dominique Fitte-Duval est venu assez tard au jazz, jouant du sax
ténor en autodidacte; il étudie sérieusement la musique à 37 ans, en
1996, suit un cursus d’instrument, orchestre et arrangement à L’ARPEJ, tout en
jouant dans les clubs.En 1999, il lance
une jam session hebdomadaire au club Les 7 Lézards, qui devient un concert à
part entière. Deux ans plus tard, il crée le Big Bœuf Orchestra. En avril 2004,
il crée l'association BBO JAZZ, reprenant les initiales de son orchestre, en en
changeant le sens, lequel devient le Le
Bien Bel Orchestra. En 2005, il enregistre Night Harmony en grand orchestre avec vingt-deux musiciens. Et le
voici à la tête de son quartet. Au soprano,
il a un son droit, sans vibrato, tirant vers le hautbois; un jeu sobre,
sur toute la tessiture, sans effets ni envolées gratuites. Avance par petites
phrases qui s’enchaînent dans la poursuite du discours, soutenu par une
inspiration solide. Sur des tempos médium-rapides pour la plupart des morceaux.
«The Most Beautiful Day…» ou encore «La Parisienne» sont
assez emblématiques de ses qualités de saxophoniste et de
compositeur-arrangeur, avec de beaux enchevêtrementssax-clavier. Le pianiste
s’exprime avec un jeu élégant et riche harmoniquement. Le contrebassiste
possède un gros son avec attaques canon, il assoit le groupe de belle façon, si
bien que les trois autres n’ont qu’à se laisser porter. Le batteur, d’un grand
classicisme, connaît parfaitement son affaire, discret et efficace, toujours là
où il faut. Certes rien
de révolutionnaire. On a affaire avec un jazz parfaitement dans la tradition et
bien d’aujourd’hui, en ce sens que les musiciens s’expriment avec les canons de
la modernité, sur des arrangements solides qui leur permettent de s’exprimer,
d’aller au bout de leur chant en longs solos, dans une mise en place parfaite.
Ma ion, Pouki Pouki, O grande amor, Neige, Lulea’s Sunset,
Full Moon in K., Vertiges, Body and Soul, Birsay, Time to Say Goodbye Airelle Besson (tp), Nelson Veras (g) Enregistré en 2014, Arles (13) Durée: 47’ 47’’ Naïve 624911 (Naïve)
Airelle Besson Radio One
Radio One, All I Want, The Painter and the Boxer, La
Galactée, Around the World, Candy Parties, No Time to Think, People’s Throughs,
Titi Airelle Besson (tp), Isabel Sörling, Benjamin Moussay (p,
key), Fabrice Moreau (dm) Enregistré en 2015, Pernes-les-Fontaines (84) Durée: 52’ 55’’ Naïve 625911 (Naïve) Ceux qui ne la connaissent pas encore, pourront découvrir
Airelle Besson dans ce Jazz Hot n°676:
une musicienne de formation académique mais au parcours éclectique, ce qui
l’amène, selon les occasions, à fréquenter avec le même talent le jazz comme
des univers musicaux plus personnels. Alors qu’elle présente un nouveau disque en quartet, Radio One, revenons d’abord sur le précédent
opus, Prélude, en duo avec Nelson
Veras, lequel avait échappé à nos radars. Comme Airelle Besson l’explique, ce
disque est le produit d’une longue collaboration avec le guitariste brésilien
et cette complicité s’entend. Le souffle sensible d’Airelle s’accorde joliment
aux cordes délicates de son alter ego. Une douce poésie traverse cet album – à
l’ambiance de musique de chambre –, dominé par les compositions de la
trompettiste (Veras signant «Vertiges»), dont la plus marquante est
«Neige», qui se distingue de l’ensemble par sa densité. Le seul
standard abordé, «Body and Soul», confirme que le duo sait mettre
ses qualités, et notamment sa grande finesse musicale, au service du jazz et de
son patrimoine. Le principal reproche qu’on puisse faire à ce disque – valable
également pour le suivant – est l’absence de notes de pochette. L’élégance de
l’objet n’est pas tout… Cinquième
album en leader d’Airelle Besson, Radio
One plante un univers très éloigné de Prélude.
La formation est bien entendu différente mais c’est surtout la musique (dont la
trompettiste est encore l’auteur) qui change de nature et rompt avec l’idiome
du jazz. Le traitement électrique (le Fender Rhodes de Benjamin Moussay) comme
les psalmodies d’Isabel Sörling amènent une sophistication quelque peu
artificielle. Certains titres ont un caractère méditatif («Around the
World»), d’autres sont plus rythmés («Radio One»), mais
l’ensemble aboutit à un discours musical impressionniste, parfois déconcertant.
Il correspond en tous cas bien aux conceptions défendues par la trompettiste,
définissant le jazz d’abord par l’improvisation (et non par le rythme) et le
souhaitant ouvert aux influences les plus diverses (plutôt qu’enraciné).
Volga Boatmen, Naked City, Minor Moods, You’re Blase, The
Breeze and I, Time on My Hands, Autumn Leaves, Ahmad’s Blues, The Party’s Over,
Poinciana Cecil L. Recchia (voc), Vincent Bourgeyx (p), Manuel
Marches (b), David Grebil (dm) Enregistré en juin 2013, Le Pré-Saint-Gervais (93) Durée: 41’ 36’’ Black & Blue 804.2 (Socadisc)
Si un album-hommage à Ahmad Jamal est un projet naturel et
légitime pour un pianiste, il est plus inattendu et audacieux de la part d’une
chanteuse. C’est une sacrée bonne idée au vu du résultat, et c’est surtout se
souvenir de ce beau disque chez Cadet, Ahmad
Jamal With Voices (1967). Sans l’avoir entendue en live, ce qu’on ne
manquera pas de faire le plus tôt, on peut donc déjà mettre au crédit de Cecil
L. Recchia l’originalité du choix et la curiosité culturelle. Elle a de plus posé des paroles sur des thèmes composés par le maestro et
reprend également des standards ou traditionnels («Volga Boatmen») qu’Ahmad
Jamal a immortalisé à sa façon si particulière. Le livret, sans notes de pochettes (paroles de quelques
morceaux), c’est dommage pour un premier disque, ne nous apprend rien de la
jeune femme. Sur la toile, on apprend que la littérature américaine l’a
conduite au jazz, confirmant la curiosité dont nous parlions, et qu’elle a
étudié au CIM, à Paris, dont elle est originaire, qu’elle a monté son
premier quartet en 2007. Deux ans plus tard, elle a participé à une série de
concerts qui ont abouti sur le disque collégial Jazz à la récré (EMI). Enfin, Cecil L. Recchia, qui a suivi des
master-classes avec Michele Hendricks et Barry Harris, est professeur de jazz
vocal, ce qui suppose déjà une maîtrise certaine de cet art. Dotée d’une jolie diction, d’une voie expressive et
nuancée, d’un swing indéniable, elle s’est également parfaitement appropriée la
musique d’Ahmad Jamal, comme interprète et comme arrangeuse, partageant la
direction artistique du disque avec David Grebil. Il est à noter que le trio
qui l’accompagne est dans l’esprit, notamment Vincent Bourgeyx qui a la
délicate mission de prendre place au piano pour évoquer un Maître. On apprécie bien sûr ce «Volga Boatmen» qui rappelle le
Ahmad Jamal historique de 1956, y compris dans le tempo et la manière de
Bourgeyx, mais le disque dans son ensemble fait référence aux interprétations
du grand artiste, avec un respect certain des tempos, de l’esprit des
interprétations d’origine. Bien entendu, il n’y a pas lieu de comparer (bien
que ce soit nécessaire à la chronique), mais de chercher ce qui est original et
bien approprié. L’original, c’est la voix et le projet en lui-même, et le
mérite est d’exploiter un si beau répertoire pour lui redonner une vie somme
toute très agréable. Voilà donc un premier album de bon goût et d’une évidente maîtrise.
Cecil L. Recchia n’est pas pour l’instant un projet marketing mais une
musicienne de jazz. On apprécie!
Muddy Waters The Blues. Vol. 2. King of the Chicago Blues 1951-1961
CD1: Long
Distance Call, Too young too Know, Honey Bee,Howlin’ Wolf, Country Boy, She Moves Me, My fault, Still a Food, They
Call Me Muddy Waters, All Night Long, Stuff You Gotta Watch, Lonesome Day,Please Have Mercy, Who’s Gonna Be Your Sweet
man, Sytanding Around Crying, Gone to Main Street, Iodine in my Coffee, Flood,
My Life Is Ruined, Sad Sad day. CD2:Baby Please Don’t Go, Blow Wind Blow, Mad
Love, (I’m Your) Hoochie Coochie Man, I Just Want to Make Love With You, I’m
Ready, Smokestack Lightning, Mannish Boy, I Got to Find my Baby, Sugar Sweet,
Trouble No More, Forty Days and Forty Nights, All Aboard, Got my Mojo Working,
Evil, She’s 19 Years Old, Close to You, Walking Thru the Park, Blues Before
Sunrise, Mean Mistreater CD3:Crawling Kingsnake, Hey Hey, Lonesome Road
Blues, Southbound Train,Just a Dream, I
Feel so Good, Woman Wanted, I’m Your Doctor, Deep Down in my Heart, Meanest
Woman, I Got my Brand on You, Soon Forgotten, Tiger in Your Tank, I Feel so
Good, Got my Mojo Working, Rock Me, Blow Wind, Blow, Real Love, LOnesome Room
Blues, Messin’ with the Man Muddy Waters (g, voc),
Little Walter (hca, g), Junior Wells (hca), Big Walter Horton (hca), James
Cotton (hca), Otis Spann (p), Jimmy Rogers (g), Hubert Sumlim (g), Pat Hare
(g), Robert Jr. Lockwood (g), Luther Tucker (g), M.T. Murphy (g), Big Crawford
(b), Willie Dixon (b), Andrew Stephen (b), Milton rector (b),Len Chess (dm), Elgin Evans (dm), Willie Nix
(dm), Fred Below (dm), Francis Clay (dm), S.P. Leary (dm),George Hunter (dm), Al Duncan (dm), Marcus
Johnson (ts), Dates et lieux
d’enregistrement précisés dans le livret Durée:1h02’ 07’’ + 57’ 49’’ + 1h 05’ 10’’ Frémeaux &
Associés 273 (Socadisc)
Sous la direction de Gérard Herzhaft et Patrick Frémeaux, la
maison Frémeaux & Associés poursuit son œuvre encyclopédique en proposant un
second volume consacré à Muddy Waters, accompagné d’un livret de vingt-quatre
pages. Le premier volume retraçait la période 1941-1950 et la première partie
de la carrière de McKinley Morganfield,évoquant la plantation de Stovall, sa rencontre avec Alan
Lomax jusqu’à son arrivée à Chicago et sa rencontre avec les frères Chess et
leur label «Aristocrat». A cette époque, le format guitare, basse,
batterie et harmonica était déjà bien installé. Avec l’électrification de sa
guitare, Muddy Waters mettait le Chicago blues en route. En agrégeant le piano
à son combo, il constituait la matrice de
sa forme d’expression. C’est en 1951 qu’apparaît Otis Spann (p) dans le paysage
sonore de Muddy Waters. Le premier CD de ce nouveau volume expose ainsi le
travail de l’ancien fermier avant l’arrivée du pianiste. Les quatre premiers
titres présentent le trio organisé autour de la guitare avec Little Walter à
l’harmonica et Big Crawford (b). Le blues du Delta que produit alors Muddy
prend grandement appui sur la dextérité de l’harmoniciste et intègre enfin le Top Ten des meilleures ventes de blues
(«Long Distance Call»,«Honey Bee»).Il poursuit dans la voie du succès avec
«She Moves Me», un morceau qui n’a pas perdu de sa saveur
intrinsèque. Au cours de cette période, la guitare de Waters brûle de plus en
plus de distorsion pour évoquer ses passions au rang desquelles celui des
femmes («Still a Fool»). C’est le moment où apparaît aussi Junior
Wells (hca) qui succède à Little Walter après que celui-ci a lâché le groupe
pour une carrière solo. C’est donc sur le deuxième CD que nous retrouvons Otis Spann
quiapporte une nouvelle énergie au
groupe. Il permet au maître du blues de Chicago d’élargir son audience. Une
autre rencontre accélère le succès du King of Blues, c’est celle avec Willie
Dixon. Elle a lieu au club Zanzibar lors d’une répétition dans les toilettes
pour ce qui allait devenirun des titre
les plus dévastateurs de l’histoire de la musique dans son
ensemble(«Hoochie Coochie Man»). Les chansons créées à cette
époque ont marqué les musiciens du British Blues, comme les Rolling Stones,
Fleetwood Mac, Chiken Shack («Mannish Boy», «I’m
Ready») et même au-delà comme les Doors («I Just Want to Make Love
to You»). La complicité entre le pianiste et Muddy se développe aussi
avec les guitaristes Jimmy Rogers, puis Hubert Sumlim («Trouble no
More»). C’est encore le chanteur natif du Mississippi qui va faire éclore
un autre harmoniciste en la personne de James Cotton («Close to
You»). A cette époque, Muddy Waters effectue sa première tournée en
Angleterre avec les conséquences que cela va avoir sur de nombreux musiciens du
Royaume Uni.Le troisième CD correspond un peuau chant du cygne de cette période avec des
titres qui n’obtiennent pas le succès des morceaux précédents («I’m Your
Doctor», «Woman Wanted»). C’est aussi l’ère d’un changement
de public avec la passion des étudiants blancs et des vieux fans de jazz qui
redécouvrent l’essence du blues. Il ne reste plus qu’à l’amateur de musique en
général et de blues en particulier à attendre la livraison d’un troisième volume
sur la vie de Muddy.
James Burton / Amos Garrett / Albert Lee / David Wicox Guitar Heroes
That’s All Right
(Mama), Susie Q, Sleep Walk, You’re The One, Comin’ Home Baby, Flip, Flop and
Fly, Only the Young, Polk Salad Annie, Bad Apple, Country Boy James Burton, Albert
Lee, Amos Garrett, David Wilcox (g), John Greathouse (key, voc), Will Mac
Gregor (b), Jason Harrison Smith (dm) Enregistré le 12
juillet 2013, Vancouver Island (Canada) Durée: 1h 02’ 01’’ Dixiefrog 8774 (Harmonia
Mundi)
Un petit album hors des sentiers du jazz, mais qui comprend
des guitaristes de qualité. James Burton a officié aux côtés de Rickie Nelson,
Elvis Presley, Emmylou Harris ou Gram Parsons. Albert Lee a accompagné Eric
Clapton et les Everly Brothers,Amos
Garrett Bonnie Raitt et Paul Butterfly, enfin David Wilcoxa joué avec Maria Muldaur et de nombreux
artistes canadiens. L’album, capté live lors du festival de Vancouver Island se
concentre donc sur la guitare et les enchevêtrements des quatre musiciens sont
du plus bel effet. «You’re the One». Le jeu tout en slide d’Amos Garrett sur «Sleep
Walk» est particulièrement délicieux, «Only The Young» d’une
pureté incroyable et «Comin’ Home Baby» un moment revigorant qui
reprend bien cet esprit des sixties. Les autres morceaux sont plus dans une
veine plus country blues, quand ça n’est pas purement country avec une mention
particulière pour «Polk Salad Annie» du grand Tony Joe White. Un
albumd’une grande qualité artistique
qui fera le bonheur des fans de la six cordes.
Time to Move,
Bullfrog, She Loves Me, Mississippi John, Some Say,Time, Dead End Road, Would Ya Look at That Xar,
Like a Sunny Day, New Zealand, Miss Dorothy Lee, Mama’s Words, We’re Ready,
Daisy Big Daddy Wilson (voc,
fingersnaps), Eric Bibb (bjo, g, b, voc) + personnel détaillé sur la pochette Date et lieu
d’enregistrement non précisés Durée: 51’34’’ Dixiefrog 8775
(Harmonia Mundi)
Avec Big Daddy Wilson nous nous trouvons en présence d’un ardent
défenseur du blues dit rural. Quand, en plus Eric Bibb se joint au projet, le
doute n’est plus permis. Time est un
album de blues apaisant, entièrement acoustique, rondement mené par Big Daddy
et sa voix profonde comme une entaille dans la terre du Deep South.Il est accompagné par les habituels
partenaires suédois d’Eric Bibb (Staffan Astner, Olli Haavisto, Petri Hakala,
elg), son ami de dix ans. En ce sens, pas de fioritures ni d’excès dans
l’expression. Comme on peut l’entendre dans le délicat «Mama’s
Words». Une douce ballade qui évoque une mère d’une voix feutrée
agréablement soutenue par Ulrika Ponté. «Like a Sunny Day», se
positionne dans une veine plus énergétique, avec le soutien de Bibb à la
guitare acoustique et Astner sur l’électrique. Les chœurs donnent à la
composition une couleur très seventies
dans l’esprit gospel qui lui colle si bien. C’est donc en fin de partie, avec
New Zealand» et «Miss Dorothy Lee»,que les décibels augmentent, toujours par la
magie des phrases du guitariste suédois. Big Daddy et son ami Bibb nous offrent
ainsi une belle virée dans le pays de «Mississippi John».
Kokomo Kidd*, Whish I
Hadn’t Stayed Away So Long, Talking Just a Little Bit of Time, She Just Wants
to Be Loved, Like Sonny Did, Lay Lady Lay, Little Red Rooster°, Maybe I’ll Go,
Blackberry Kisses, Have You Ever Loved Two Woman°°, Cool Drink of Water,
Bumblebee Blues, Wear Your Love Like Heaven Guy Davis (voc, g,
bjo, hca, perc, key), Professor Louie (org, p), John Platania (g), Mark Murphy
(b, cello), Gary Burke (dm), Chris James (mandolin, g) Davis Helper, Miss Marie
Spinosa, Audrey Martells, Zhana Roiya (voc), Charlie Musselwhite (hca)°,
Fabrizio Poggi (hca )°°, Ben Jaffe (tuba)* Enregistré à Hurley
(New York) Durée: 1h 01’ 55’’ Dixiefrog 8779
(Harmonia Mundi)
Guy Davis n’est pas un débutant. A 63 ans, il possède déjà
une bonne dizaine d’albums au compteur. Ce bluesman dans l’âme continue de
perpétuer la musique de ses glorieux aînés. Il opte pour une veine plus
acoustique qu’électrique en usant de banjo, guitare et harmonica mais les
instruments électriques ne lui déplaisent pas non plus. Ainsi sur Kokomo Kidd, on entend aussi bien
l’orgue Hammond de Professor Louie, que la guitare électrique de Chris James ou
John Platania. En parlant de ses partenaires, il est bon de préciser que
l’organiste fut membre de The Bandqui
accompagnât Dylan en son temps. John Platania pour sa part, s’est fait la main
aux côtés de Van Morrison pendant une longue période, il est notamment présent
sur les albums Astral Weeks et Moondance. Ces deux informations donnent
un éclairage précis sur le contenu de cet album. Que ce soit à la guitare ou au
banjo, Guy Davisnous plonge au cœur du
blues. Ses références portent sur Howlin’ Wolf, Mississippi John Hurt,Willie Dixon ou Sonny Terry. La couleur de
l’album est très rurale, même sur des chansons pop-rock comme le très beau
«Lay Lady Lay» de Dylan.L’artiste bénéfice de deux guests
sur l’album et notamment Charlie Musselwhite («Little Red
Rooster»), le grand moment de cet album.Fabrizio Poggi (hca), se fait entendre surun titre original «Have You Ever Loved
Two Women» où il reste bien dans l’esprit des Sonny: Terry et Boy
Williamson. «She Just Want to Be Loved» avec orgue et chœurs
constitue l’autre moment agréable de l’opus du bluesman deNew York. Sa voix évoque Elliott Murphy, qui
s’exprime lui aussi avantageusement dans ce registre. Enfin, sa reprisede Donovan, aux accents reggae, termine de
nous convaincre de la qualité de son expression artistique («Wear Your
Love Like Heaven»). Guy Davis un artiste qui plonge dans ses racines et
qui n’a pas peur de rafraîchir son idiome. Pour info, le bluesman sera en
concert en France au mois d’août.
In a Mist,
Five, Buddy Bolden Blues, Here Comes The Band, Zutty's Memories, Bethena, Bush
Street Scramble, Russian Rag, Wrap Your Troubles In Dreams, Dark Eyes Jérôme Gatius
(cl), Didier Datcharry (p), Guillaume Nouaux (dm) Enregistré les
29-30 janvier 2016 (77) Durée: 40’ 49’’
Enregistré les 29-30 janvier 2016, Soignolles-en-Brie (77) Autoproduit GN2016
(www.guillaumenouaux.com)
Michel Laplace vous a déjà parlé des réussites discographiques récentes
du clarinettiste Jérôme Gatius (Echoes of Spring en duo avec Alain
Barrabès, p) et de l'incontournable Guillaume Nouaux en trio (La Section
Rythmique avec David Blenkhorn et Sébastien Girardot): la rencontre de ces
deux-là pour un nouvel opus, Here Comes The Band ne pouvait être que du
même niveau. Avec la complicité pour compléter le «Band» de Didier Datcharry,
pianiste (bien connu grâce aux frères Chéron), Gatius et Nouaux nous donnent un
voyage musical où la qualité d'interprétation n'a d'égal que l'originalité du
répertoire choisi. «In a Mist» débute le CD, avec un piano bixien à souhait,
puis l'inattendu et joli vibraphone de Guillaume Nouaux avant d'évoquer
Wilson-Hampton-Goodman grâce à la contribution de Jérôme Gatius. Inutile de préciser la «modernité» de
Bix qui vaut celle du Bill Evans de «Five» qui suit et où notre clarinettiste
n'est pas sans nous évoquer Buddy de Franco. Gatius nous avait déjà servi une
composition de Willie The Lion Smith («Echoes of Spring»), en voici une autre, « Here
Comes the Band» et Didier Datcharry démontre sa maîtrise du sujet. Remontant dans
le temps, nous redécouvrons «Bethena» de Scott Joplin (avec le vibraphone de
Guillaume) ; le classic rag ayant beaucoup
pris à la musique dite «classique» occidentale, ceci explique le style polissé
adopté par nos trois artistes. Et Guillaume Nouaux? Toujours l'égal de Gene
Krupa («Dark Eyes») et de Zutty Singleton («Zutty's Memories»). Dans le monde
musical d'aujourd'hui, ce CD est d'une fraîche "indispensabilité".
Daniel Bechet & Olivier Franc Quintet Sidney Bechet, ses plus grands succès
New J.B.,
Jacqueline, Montmartre Boogie Woogie, Sweet Louisiana/I'll Be Proud of You,
Jojo, Buddy Bolden Stomp, Si tu vois ma mère/as-tu le cafard, Madame Bécassine,
Wild Cat Blues, On the Sunny Side of the Street, Anitra's Dance, Song of Songs,
Dans les rues d'Antibes, Summertime, Drums Fantasy, Petite Fleur, Sidney's
Wedding Day, Les Oignons Daniel Bechet
(dm), Olivier Franc (ss), Benoît de Flamesnil (tb), Jean-Baptiste Franc (p),
Gilles Chevaucherie (b) Enregistré à Draveil
(91) Durée: 1h12’
33’’ Autoproduction
([email protected])
Cette autoproduction est à l'évidence destinée aux ventes d'après
concert et, n'en doutons pas, les admirateurs de ces prestations éphémères
seront heureux de garder ce souvenir. Il ne faut pas confondre ce CD avec celui
du même groupe, portant le même titre, Sidney Bechet, ses plus grands succès,
produit en février 2014 par Frémeaux & Associés et où figure sept titres
identiques. Le problème est un peu le répertoire déjà bien exploité, et il est
douteux que le jazzfan chevronné s'intéresse à une version de plus de «Petite
Fleur» ou «Dans les rues d'Antibes», aussi bien enregistrée fusse-t-elle.
Certes, l’amateur aura en mémoire la même heureuse instrumentation avec Sidney
Bechet et Vic Dickenson (tb) qui sont le fondement du style d'Olivier Franc et
Benoît de Flamesnil. On est surpris de trouver ce «New J.B.» (J.B. pour
Jean-Baptiste Franc, compositeur de ce bon thème-riff) au nombre des plus
grands succès du maître. Mais ce n'est pas le moins intéressant et comme tout
le monde y joue (très bien) en soliste c'est une bonne entrée en matière.
L'autre réussite est le thème-riff «Drums Fantasy» d'Olivier Franc où toute
l'équipe est en valeur en solo, notamment bien sûr Daniel Bechet. On écoutera
aussi les moindre succès de Sidney, mais pas moins plaisants : «Jacqueline»
(parfait pour la qualité lyrique d'Olivier Franc), «Montmartre Boogie Woogie»
(belle sonorité de Benoît de Flamesnil!) et «Sidney's Wedding Day» (bon solo en
slap de Chevaucherie). Bonne idée de
reprendre en Franc duo, «Song of Songs» (si délicatement enregistré en 1947 par
Sidney avec Lloyd Phillips et qu'il avait joué déjà en 1919 pour George V). Il
y a des imperfections («Sweet Louisiana/I'll Be Proud of You») ou du presque
hors sujet (très sympathique «Jojo» de Daniel Bechet en trio, d'esprit Pr
Longhair-James Booker...mais la très créole «Madame Bécassine» de Sidney annonce
ce gumbo; l'excellent piano stride à la Donald Lambert, en solo, sur «Anitra's
Dance» de Grieg... mais Sidney aimait «le classique»). A l'actif, il règne un
enthousiasme galvanisant dans tout le disque.
Coffret de 6 CDs (titres et personnels détaillés dans le livret)
CD1: Joe Castro’s Jam
Sessions/Abstract Candy
CD2: Joe Castro’s Friend/Falcon
Blues, Teddy Wilson’s Jam Sessions
CD3: Joe Castro’s Jam Sessions/Just
Joe
CD4: Joe Castro/Feeling the Blues, The
Quartet Sessions
CD5: Joe Castro Big Band, Reflection
CD6: Teddy Edwards Tentet/Angel City
Enregistré de l’été 1954 à Mai
1966, Beverly Hills/Los Angeles (Californie), Somerville (New
Jersey), Hollywood, Los Angeles (Californie)
Durée: 1h 08' 53'' + 1h 18' 20'' + 1h
06' 13'' + 1h 14' 15'' + 58' 25'' + 1h 01' 21''
Sunnyside 1391(www.sunnysiderecords.com)
A l’origine de ce projet
discographique, on ne peut plus original, il ne fallait pas moins que
le fils de Joe Castro lui-même, James Castro, et la curiosité
insatiable de Daniel Richard, ex-disquaire indépendant, puis
dépendant, puis ex-grand manitou du département jazz d’Universal
Jazz France et depuis donc toujours producteur de disques et de
bonnes idées réalisées avec une perfectionnisme qui dénote le
grand amateur de jazz qu’il est resté au fond.
L’histoire de Joseph Armand Joe
Castro (15 août 1927, Miami, Californie-13 décembre 2009, Las
Vegas, Nevada), excellent pianiste, né sur la Côte Ouest, est tout
sauf banale, et la restituer, à travers cette collection d’inédits
récupérés at home, ainsi que l’iconographie d’origine
familiale, rappelle que l’histoire du jazz s’est écrite de mille
façons, dont parfois les plus improbables, comme cette rencontre
romantique à Hawaï entre un pianiste qui s’y produisait, dont les
parents sont d’origine mexicaine, qui vit par et pour le jazz
depuis son plus jeune âge, et une riche héritière d’un empire du
tabac des Etats-Unis, Doris Duke, qui cherchait sans doute un sens à
sa vie, et qui le trouva, au moins dans cette belle histoire. Le
déroulement de leur vie ne pouvait être ordinaire, et, pour cette
fois encore, la poésie de l’une et de l’autre a été rendu
possible par l’aisance qu’apporta à leurs projets artistiques
l’empoisonnement de la collectivité. Tout n’est jamais
totalement négatif.
Tous ces disques ont été édités à
partir d’un matériel enregistré privé, conservé sans doute avec
soin, mais aussi patiemment choisi et retravaillé sur le plan
technique pour une belle mise en valeur, et il faut donc féliciter
James Castro qui a lui même effectué les transferts et les
restaurations. La proximité du son de ses sessions at home(il y a aussi des enregistrements studios), et quelle maison! (Falcon
Lair, où a été aménagé un véritable espace dédié à la
musique et au jazz, a été précédemment la résidence de Rudolph
Valentino) est un vrai bonheur, et ça s’entend même sur CD… Et
quand ce n’est pas Falcon Lair, c’est Duke’s Farm, dans le New
Jersey, et le cadre n’est pas moins exceptionnellement enchanteur.
Un rêve américain, celui d’une culture partagée, transposé dans
le jazz.
Quand on entend Oscar Pettiford, Leroy
Vinnegar, Teddy Wilson, Lucky Thompson, Zoot Sims, Stan Getz, Teddy
Edwards, Chico Hamilton, Billy Higgins, Buddy Collette, comme si on
était assis à un mètre, c’est exceptionnel! James Castro est
particulièrement à féliciter pour cette réussite sonore.
Le concept maison est bien entendu la
jam session, et il ne faut pas le regretter car il y a une vie et une
énergie sereine qu’on retrouve rarement hors de ce cadre, une
véritable joie de jouer. Il y a aussi dans ce matériel deux disques
(5 et 6) édités à partir du matériel non édité prévu pour le
label Clover Records, également créé par Doris Duke et Joe Castro
(il y eut également une maison d’édition musicale, Jodo). Une vie
mise véritablement en musique, avec la proximité des amis-invités,
les musiciens de jazz d’abord, au premier rang desquels Louis
Armstrong et Duke Ellington, avec une prédominance des musiciens de
la Côte Ouest (Teddy Edwards, Buddy Collette…).
Joe Castro possède un talent réel de
pianiste, dans l’esprit des grands classiques de ce temps quand on
écoute attentivement, d’Oscar Peterson à Ray Bryant en passant
par Erroll Garner, dans l’esprit de ces années cinquante si
fertiles en pianistes exceptionnels, c’est-à-dire avec un swing
évident, toujours la référence au blues. Le disque en big band,
dans l’esprit Basie, nouveau testament mâtiné de Côte Ouest,
arrangé par Joe Castro, définit assez bien son approche du jazz,
avec un exceptionnel Leroy Vinnegar. Les musiciens sont splendides
(Al Porcino, Conte Candoli, Frank Rosolino, Teddy Edwards…), et Joe
Castro y démontre le caractère explosif de son jeu de piano, une
belle technique (blocks chords en particulier) au service du
jazz et une volonté d’originalité sans esbroufe. Malgré toutes
ses qualités, Joe Castro n’a pas une grande discographie,
essentiellement chez Atlantic (Mood Jazz et Groovy Funk
Soul). Ses disques en leader sont rares, et il a joué tout au
long de sa vie, depuis l’âge de 15 ans, accompagnant souvent (June
Christy, Anita O’Day), aux côtés de Teddy Edwards (Sunset
Eyes, Pacific, Teddy’s Ready, Contemporary), puis plus
tard poursuivant une carrière d’accompagnateur à Las Vegas.
Ces six disques sont donc
particulièrement bienvenus pour nous rappeler cette belle histoire
du jazz que fut celle de Joe Castro, et pour nous donner à écouter
ces magnifiques enregistrements inédits, car en dehors de Joe
Castro, artiste généreux, lui-même à découvrir pour de nombreux
amateurs, il a été à l’origine, dans le cadre d’une histoire
très romantique, d’une belle aventure du jazz dont les
protagonistes sont essentiels au jazz, et dont chaque note compte.
Pour illustrer l’esprit de ce beau
coffret, on passera volontiers le «Sweet Georgia Brown», douzième
thème du disque 4 (Teddy Edwards, Joe Castro, Leroy Vinnegar, Billy
Higgins) ou le disque 3 pour la présence démesurée d’Oscar
Pettiford, mais comme on vous l’a dit, chaque disque mérite qu’on
s’y arrête.
Une petite idée en cas de réédition: une iconographie mieux traitée. Il y a sans doute de belles images à chercher chez CTS/Images dont les archives sont riches pour la Côte Ouest. Un petit mystère: ce coffret, intitulé
«Lush Life», ne propose pas de version de ce thème, pourtant
enregistré par Joe Castro pour Clover (331) en mars 1966, à notre
connaissance le dernier enregistrement en leader de Joe Castro.
John Coltrane A Love Supreme: The Complete Masters
Part I-Acknowledgement, Part
II-Resolution, Part III-Pursuance, Part IV-Psalm (alternate takes et
version live: 22 plages au total)
John Coltrane (ts), McCoy Tyner (p),
Jimmy Garrison (b), Elvin Jones (dm) + Archie Shepp (ts) et Art Davis
(b) sur 6 alternate takes du CD2 CD1 et CD2: enregistré le 9 décembre
1964 (Impulse! A-77 et alternate), Englewood Cliffs (New Jersey);
CD3: enregistré le 26 juillet 1965, Antibes-Juan-les-Pins Durée: 50' 32'' + 1h 03' 33'' + 49'
17'' Impulse! 0602547489470 (Universal)
L’un des albums les plus célèbres
et vendus du quartet de John Coltrane trouve ici une énième vie et
prolongement, qu’on espère intégral, des versions parues sur ce
label, avec les alternate takes de l’enregistrement studio,
y compris deux versions mono, et par ailleurs la version live
enregistrée au Festival d’Antibes/Juan-les-Pins de juillet 1965
(plus longue que la version studio), à l’origine éditée par
l’INA en 1987 (l’institut national de l’audiovisuel) en version
CD (Esoldun-INA FCD 106) et non pas en 2002 comme le note la partie
discographique d’un livret dû à Ashley Kane, le spécialiste
actuel de John Coltrane. Abondamment illustré, avec le texte
manuscrit du texte accordé par la succession John Coltrane, de
belles photos de Jean-Pierre Leloir, dont les archives sont en cours
de dispersion malheureusement, de Bob Thiele, de Rudy Van Gelder, et
peut-être d’autres… l’ensemble n’étant pas très
lisiblement crédité. C’est un objet original, contenant
trois disques dans un format DVD, dépliant. Notons pour la description que le
Festival International d’Antibes/Juan-les-Pins/Le Cap (à
l’époque), est rebaptisé improprement «festival mondial» sur le
livret, et que ce même jour, le quartet joua également
«Impressions» qui figure sur l’édition de l’INA de 1987, bien
que la voix d’André Francis, présentateur à demeure à Juan,
nous fait penser le contraire. Pour les amateurs qui possèdent le
Love Supreme édité ou réédité comme l’enregistrement de
l’INA, ils ont déjà l’essentiel. Les autres ont donc la chance
d’avoir une nouvelle édition enrichie de prises supplémentaires
et d’un livret correct bien illustré. Sur le quartet de légende, dans sa
composition classique (Tyner, Garrison, Jones), il faut noter que la
musique, pour être modale et incantatoire, n’en reste pas moins
très accessible, dans ce registre inspiré de la musique religieuse
afro-américaine qui est une clé essentielle de la compréhension du
quartet, avec cette puissance de la conviction autant que du souffle
du quartet. Pas seulement du saxophoniste, car les quatre musiciens
sont véritablement inspirés, puissants et lyriques, comme en état
de transe. C’est peut-être encore plus sensible à Antibes qu’en
studio. Le leader est bien entendu essentiel, mais le quartet est
vraiment en symbiose et au meilleur de son expression dans cette
période, avec une telle intensité que le public en est parfois
saisi autant que surpris, découvrant que le jazz n’est pas que
ludique. Avec le décalage du temps, la force de
cet enregistrement reste, mais ce qui étonne le plus est que cette
conviction a été possible à une époque, et on la retrouve aussi
dans d’autres disques d’un jazz plus «classique», dans le
blues, mais que cela paraisse presque impossible aujourd’hui dans
les cadres qui sont les nôtres, aussi bien dans nos festivals
normalisés et mondialisés que dans nos maisons de disques trop
rares et si peu aventureuses d’aujourd’hui.
Manhã De Carnaval, Take the 'A' Train,
You and the Night and the Music, Jazz Voyage, Body and Soul, Bright
Mississippi, Central Park West, Trane's Slow Blues, Infant Eyes, Joy
Spring, The Peacocks François Ripoche (ts), Alain
Jean-Marie (p) Enregistré le 1er juin
2014, Nantes (44) Durée: 47' 05''
Black & Blue 795 (Socadisc)
François Ripoche et Alain Jean-Marie
aiment les beaux standards et le choix fait pour cet enregistrement
est un all the best du jazz. Comme dirait Brassens: «il n’y
a rien à jeter, sur l’île déserte, etc.». Compte tenu des
excellents musiciens et de cette formule assez intimiste, cette
conversation propose un beau voyage dans un répertoire d’exception
mais aussi dans le jazz, car ces standards font référence à ce que
le jazz a de mieux (Brown et Roach, Coltrane, Monk, Getz et Barron,
Wayne Shorter, Ellington et Strayhorn, etc.), où les musiciens se
sont fait un plaisir, partagé avec les auditeurs sur cet
enregistrement. Il n’y a pas d’urgence dans cette musique, plutôt
une sorte de sérénité, de plénitude, de dialogue attentif, avec
une recherche d’authenticité jusque dans la méthode
d’enregistrement (prises cohérentes sans retouche ou montage). De
la musique de jazz pour le plaisir, comme le disait un célèbre
label.
Christian McBride Trio
Live at the Village Vanguard
Fried Pies, Band Introduction,
Interlude, Sand Dune, The Lady in My Life, Cherokee, Good Morning
Heartache, Down By The Riverside, Car Wash
Christian McBride (b), Christian sands
(p), Ulysses Owens Jr. (dm)
Enregistré les 12-14 octobre 2014, New
York
Durée: 1h 08' 29''
Mack Avenue 1099 (www.mackavenue.com)
Les lieux historiques du jazz, comme le
Vanguard, ont cet avantage indéniable d’inspirer les musiciens de
jazz, même les plus jeunes, et Christian Sands (22 mai 1989) est
aussi jeune que brillant à son piano («Interlude»), et il serait
injuste de ne pas en dire autant de beau batteur, Ulysses Owens, Jr.
(6 décembre 1982). L’aîné Christian McBride (1972), le leader de
cet enregistrement live, bassiste d’un talent hors norme («Good
Morning Heartache»), retrouve dans cet environnement stimulant une
veine jazz très classique dans un registre contemporain, loin de ses
échappées électriques et binaires, qui montrent que le jazz reste
ce terrain d’excellence de la musique auquel tiennent, quoi qu’ils
disent et quoi qu’ils jouent, les musiciens qui font ou ont fait
leur parcours au sein de cette entité culturelle qu’on appelle
toujours le jazz parce qu’au fond elle correspond à l’un des
mouvements artistiques majeurs du XXe siècle, et poursuit
sur sa lancée, malgré les obstacles dressés sur sa route par les
marchands de lessive et les fautes de culture dont se rendent parfois
coupables, y compris les musiciens.
Rien de cela ici, du grand et du beau
jazz, joué avec originalité et pourtant enraciné dans un siècle
de musique. Ça swingue, le blues est là, les mélodies sont
magnifiées (aucune recherche obligée, des standards, un
traditionnel et quelques originaux), le public se fond dans
l’atmosphère, tout concourt à une belle heure de musique en live.
Cela peut paraître simple et naturel, mais c’est à la fois
exigeant, complexe et léger comme la culture. Du jazz.
My Kinda Love, Lazy Afternoon,
S'posin', Where Were You in April, I Wish I Knew, Si tu partais, A
Sunday Kind of Love, An Occasional Man, You Came a Long Way From St.
Louis, Haunted Heart, Manhattan in the Rain, I'm Through With Love
Tina May (voc), Freddie Gavita (tp,
flh), Janusz Carmello (tp), Nicol Thomson (tb), Sammy Mayne (as),
Frank Griffith (ts, cl), John Pearce (p, elecp), Ian Laws (g), Dave
Green (b), Winston Clifford (dm, voc) + Doffidle String Quartet Enregistré les 10-11 mai 2014, Londres Durée: 1h 00' 53'' HepJazz 2101 (www.tinamay.com)
Tina May Home Is Where the Heart Is
Home Is Where the Heart Is, Don't
Forget The Poet Please, A Nameless Gate, The Night Bird, With Every
Smile of Yours (O! Le feu dans les yeux), Within the Hush of Night
(Within The House of Night), I Took Your Hand in Mine (Fellini's
Waltz), Day Dream, Home Is Where The Heart Is (Distance From
Departure), This Is New Tina May (voc), Enrico Pieranunzi (p),
Tony Coe (ss) Enregistré en novembre 2014, Luton
(Angleterre) Durée: 40’ 54” 33 Records 250 (www.tinamay.com)
Sous ses dehors de jolie parisienne à
l’œil pétillant – bien qu’elle soit anglaise; sans doute, ses
bérets et casquettes –, Tina May possède une vitalité et une
curiosité toujours étonnante qui la conduisent à rechercher
l’aventure du jazz dans ses rencontres et enregistrements, et cela
depuis ses débuts où elle côtoyait déjà avec l’audace de la
jeunesse le gotha de la scène britannique, les invités des
festivals (Egberto Gismonti) et la scène parisienne avec les Roger
Guérin, Kenny Clarke (Slow Club).Elle n’hésite pas ainsi à aborder
les sensibilités du jazz les plus variées, les modernes souvent
dans son association régulière avec Nikki
Iles (p), mais aussi l’ensemble des musiciens qui ont fait
le bonheur de la scène anglaise de Ronnie Scott, Stan Tracey à
Peter King, Tony Coe, un autre compagnon de sa route, qu’on
retrouve ici dans quelques thèmes avec Enrico Pieranunzi.En France, c’est dans un autre
contexte, plus mainstream, qu’on la retrouve récemment, notamment
au Méridien et au Caveau de La Huchette, où son énergie et son
swing font le bonheur des danseurs.Elle a encore eu le privilège
d’enregistrer un disque en compagnie du légendaire Ray Bryant, The
Ray Bryant SongBook, arrangé par Don Sickler, avec le non moins
célèbre Rudy Van Gelder aux manettes.Elle chante également la musique
sacrée de Duke Ellington (Académie royale de musique de Londres),
le répertoire de Broadway et elle a participé un peu partout en
France à de nombreuses expériences musicales avec toutes sortes de
formations.La retrouver ici dans deux contextes
assez différents, d’un côté les standards et les beaux
arrangements (avec une introduction d’Eric Satie sur «Lazy
Afternoon») et de l’autre le registre plus dépouillé et
improvisé d’Enrico Pieranunzi et Tony Coe, ne surprendra plus.
Tina May aime les challenges, les découvertes, le changement; elle
aime le jazz et plus largement la musique, en véritable musicienne.
Sa solide formation depuis son jeune âge (à Cardiff), sa voix très
juste, bien placée, ses qualités de respect des différents
univers, aussi bien que son drive sont de solides arguments pour son
expression et sa capacité à s’adapter à différents univers.
C’est donc une belle musicienne, touche-à-tout du jazz et parfois
même au-delà, car l’univers d’Enrico Pieranunzi se situe
parfois au-delà, sans aucune faiblesse d’ailleurs, car lui aussi
est un excellent musicien. Sa rencontre, très jazz, avec Tina May
fait penser à celle du feu et de l’eau, bien entendu. On sent bien
d’ailleurs dans leur rencontre que l’eau se réchauffe parfois
(«Day Dream») au contact de Tina May, mais le feu se fait aussi
parfois braise avec sensibilité pour profiter des atmosphères que
développent le pianiste et son ami de toujours, Tony Coe.Tina May, française de cœur (elle
chante deux chansons en français), mérite d’être connue sous
toutes ses facettes, nombreuses et attachantes, et la conjonction de
ces deux enregistrements en offre l’occasion.
Improtale 1, The Waver, Anne Blomster
Sang, Improtale 2, B.Y.O.H., Tales From the Unexpected, Improtale 3,
Fellini's Waltz, Improtale 4, The Surprise Answer, Interview with
Goetz Buehler
Enrico Pieranunzi (p), Jasper Somsen
(b), André Ceccarelli (dm) Enregistré le 29 août 2015,Gütersloh
(Allemagne) Durée: 1h 16' 26'' Intuition Records 71315 (Socadisc)
Enrico Pieranunzi est un pianiste
délicieux qui côtoie parfois le jazz dont il possède, par héritage
familial, des racines anciennes, presqu’aussi profondes que ses
racines romaines. Pourtant, et cela peut varier selon les
enregistrements, il est aujourd’hui souvent dans le registre de la
musique improvisée très marquée par ses origines européennes,
parfois loin de l’expressivité afro-américaine, très lyrique
comme ici («The Waver», «Anne Blomster Sang»…). Ses qualités
d’instrumentistes, d’invention, son trio avec d’excellents
musiciens au service de ses compositions, font de cet enregistrement
un moment de belle musique où la mémoire de ses inspirations de
jeunesse fait plus appel à Bill Evans qu’à McCoy Tyner, voire à
l’apprentissage du piano classique parfois. Contrairement à ce que dit le texte du
livret, voire Enrico lui-même, il ne semble pas que le swing soit
l’une des cordes principales de son expression ici, à l’exception
de deux thèmes («Improtale 4», «The Surprise Answer») où le feu
tynérien se réveille, mais il est indéniable qu’Enrico
Pieranunzi est un vrai lyrique doublé d’un pianiste exceptionnel,
un beau conteur d’histoires. Son évocation de Fellini, dans une
valse evansienne, est une très belle mélodie qui montre que les
arts peuvent parfaitement communiquer sous la forme d’inspirations
réciproques, surtout quand un artiste romain se souvient du Romain
d’exception qu’était Federico Fellini. Les balais d’André
Ceccarelli sont magiques sur ce thème, comme le bassiste, emportés
par l’expression plus relevée d’Enrico Pieranunzi sur cette
évocation. Quoi qu’il en soit, nous avons là un
excellent opus du pianiste romain, avec un André Ceccarelli brillant
et judicieux par les nuances et couleurs qu’il apporte à ce trio,
et avec un solide bassiste allemand. Curiosité et bonne idée, une
interview d’Enrico Pieranunzi est en conclusion de cet
enregistrement où Enrico revendique avec humour l’italianité de
la Corse, Nice et… de Ceccarelli (mais pas de Napoléon), puis Bach
– nous sommes en Allemagne…, avant que la conversation s’oriente
vers le Cinéma, Fellini, Rome et la Dolce Vita, vue comme une
inspiration pour le jazz. Enrico y dit aussi l’importance de
raconter des histoires, ce qu’il fait excellemment avec son piano,
et il établit à ce sujet une analogie avec le cinéma, une analogie aussi entre
l’improvisation dans le jazz et dans la commedia dell’arte.
L’Italie reste un paysde grande culture… Ça fait aussi
plaisir.
Moxie,
In a Sentimental Mood, Haitian Cotillion, Soft Target, Dear Toy,
Clapping Game, Tag on the Train, Manhattattan Jessica
Jones (ts), Tony Jones (ts), StomuTakeishi (b), Kenny Wollensen (dm) Enregistré
le 12 janvier 2014, Brooklyn, New York Durée:
52’ 16” New
Artists 1062 (www.newartistsrecords.com)
The
Jessica Jones Quartet est une belle découverte. Né dans la mouvance
de la musique d’avant-garde new-yorkaise, cette formation est dans
la droite ligne de la musique des lofts des années 1960-1970. Elle
conserve la fraîcheur de la conviction dans une histoire
particulière du jazz, mais sans esprit de système, donc avec un
vrai pouvoir créatif dénué, dans cet enregistrement, des clichés
habituels, y compris ceux qu’on retrouve dans l’avant-garde.
Ainsi est conservé dans ce disque, certains des aspects les plus
fondateurs du jazz, comme la recherche d’une belle sonorité in the
tradition, que ce soit celle de Sonny Rollins ou d’Ornette Coleman,
non par mimétisme mais en référence. Tony Jones («Dear Toy») et
Jessica Jones possèdent de beau sons et en usent («Tag on the
Train»). Il n’y a pas non plus de refus systématique des
structures traditionnelles du jazz, la mélodie, le thème et ses
improvisations, la recherche de la beauté du son ou de l’idée
(«Moxie», «In a Sentimental Mood», «Dear Toy»), avec un respect
des mélodies, de bons arrangements originaux, même si par ailleurs
se font jour des recherches structurés dans l’esprit
avant-gardiste qui n’ont justement aucune fadeur car elles ne sont
plus gratuites mais enracinées. Le jazz free est aussi une musique
de culture, et c’est ce qui le sépare des musiques improvisées,
savantes ou actuelles. Difficile
d’en savoir beaucoup sur le plan biographique, si ce n’est que
Jessica Jones, la directrice de ce groupe, a rencontré Don Cherry en
Californie où elle résidait avant de s’intaller à Brooklyn
depuis bientôt 20 ans et qu’elle adore le Wayne Shorter qui jouait
chez Art Blakey. La cinquantaine, elle a travaillé avec Joseph
Jarman, Cecil Taylor, Steve Coleman, Don Cherry, Peter Apfelbaum etConnie Crothers qui dirige le label New Artists
de cet enregistrement. Tony Jones, la soixantaine, est son époux. Il a
côtoyé, entre autres Joseph Jarman, Muhal Richard Abrams, Cecil
Taylor et Don Cherry. Excellent arrangeur et compossiteur, il a de
son côté produit récemment un enregistrement en trio (Pitch,
Rhythm and Consciousness).
Les deux ténors sont très complices, dans la vie
au sens large, et la musique en est un résultat, fort bien
construite autour de cette osmose entre les deux beaux sons de ténor
et des idées partagées ou échangées. Les improvisations, loin de
tout esprit bruitiste, propose une belle musique de jazz, qui nous
rappelle tout ce que le jazz de l’époque dite «free» a pu et
peut encore apporter de beauté authentique, avec ses retours parfois
à des racines plus anciennes, loin de toute volonté systématique
de surprendre ou de provoquer, de tourner en dérision par simple
absence de projet. Ce bon quartet – le batteur Kenny Wollesen (John
Zorn) est aussi très musical, le bassiste Stomu Takeishi (Randy
Brecker, Dave Liebman, Henry Threadgill) est original – propose une
véritable musique affirmative, construite, originale, qui reprend
les caractères essentiels de l’histoire du jazz, swing et blues
compris, jusqu’à nos jours, avec une volonté de recherche qui ne
se prive pas des racines, sans tomber dans la reprise aussi d’une
esthétique unique que ce soit celle du new orleans, mainstream, du
bebop ou, ici, du free, empruntant simplement des influences, pour
développer la musique de leur époque, au tronc commun du jazz tout
entier. Du
jazz, en somme, comme on l’aime, authentique, sincère, direct et à
la recherche de la beauté, intérieure et extérieure, et c’est de
cette manière que cette esthétique free a le plus de chance de se
renouveler, comme les autres esthétiques du jazz. Cette
formation joue surtout dans les lieux et cadres répertoriés
avant-garde (du Knitting Factory Festival au Vision Festival). C’est
dommage que les grands festivals de jazz aujourd’hui en Europe, en
particulier, ne soient plus en capacité, par ignorance ou esprit de
chapelle ou mercantilisme-consumérisme, de proposer des programmes
qui réunissent toutes les esthétiques du jazz – et seulement du
jazz, c’est déjà un gros chantier – pour permettre aux
musiciens les rencontres et découvertes mutuelles; pour permettre
aux amateurs de comprendre cette histoire fabuleuse, les filiations,
la lente maturation et le renouvellement de la culture, loin de la
nouveauté médiatisée et éphémère; pour permettre enfin aux
festivals de reconstruite un vrai public de jazz, connaisseur et
respectueux de toute l’histoire du jazz sans esprit sectaire et
sans superficialité consommatrice. Quoi
qu’il advienne, et nous sommes raisonnablement pessimistes sur ce
dernier chapitre (Roland Kirk ne pourrait pas exister aujourd’hui
autrement que dans un cirque ou dans une émission spécialisée), il
reste ce type de bonne formation et ces bons musiciens pour prolonger
l’histoire du jazz dans toute son épaisseur. Bravo et merci à
eux. Puissent-ils résister longtemps et nous donner d’autres bons
enregistrements et concerts en conservant le même esprit qui règne
dans ce disque!
Sunday Afternoon, The Shout, Dynamo,
The Gypsy, Strollin', Silver, All of You, Blue Moon, Autumn Rain
Ahmad Jamal (p), Reginald Veal (b),
Herlin Riley (dm), Manolo Badrena (perc) Enregistré le 5 août 2014, Marciac Durée: 1h 12' 51'' + DVD 1h 25' 05'' Jazz Village 570078.79 (Harmonia Mundi)
Pour ceux qui ont manqué ce concert ou
qui étaient trop loin de la scène, ou encore qui ont adoré cette
soirée, voici restitué en CD et DVD le concert du légendaire
Ahmad Jamal à Marciac en 2014. Il y a même un bonus sur le DVD
(«Morning Mist» qui fait la part belle à Reginald Veal). Entouré
de magnifiques musiciens, Ahmad Jamal fait le show, comme il en est
capable, car sur scène, il reste spectaculaire par sa manière
d’orienter la musique, de diriger ses musiciens, comme par son jeu
de piano, et malgré son grand âge. Pour autant, c’est un homme de scène
et de métier, et il sait faire la différence entre une assistance à
l’écoute et une assistance à grand spectacle, et selon sa
perception, il ne produit pas la même musique, le même spectacle,
la même atmosphère. C’est très curieux mais pas si étonnant
quand on y réfléchit. Ainsi ce concert donne-t-il à voir si on le
compare par exemple avec un concert donné, un an avant, dans un
petit théâtre, non loin de là, à Foix, devant une assistance plus
jazz par l’intimité, qui donnait à écouter. Evidemment, la musique d’Ahmad Jamal
ne change pas fondamentalement, mais elle est dans ce cadre de
Marciac comme plus spectaculaire et moins «naturelle», avec un
petit côté «star» qui n’est pas pour lui déplaire. Le show est
là très cadré, minuté, alors qu’à Foix, il avait été plus
improvisé dans le choix du répertoire, avec des références
nombreuses à l’histoire, avec une place plus grande du pianiste
qui n’hésita pas à se lancer dans de longues improvisations sur
son répertoire historique et fit de nombreux rappel pour cela. Les amateurs de jazz préfèrent bien
entendu la version en petit comité restituant la dimension
historique et instrumentale d’Ahmad Jamal. Mais la vocation de
Marciac étant de faire découvrir, même une légende aussi connue,
à un grand public, ce concert reste parmi ce qui se fait de meilleur
dans le genre, et si on veut parler de jazz, et nul doute que pour
beaucoup ce fut une étonnante découverte. L’idée donc d’ajouter un DVD, pour
Ahmad Jamal en particulier, est excellente, car la scène mérite le
regard autant que l’audition et de fait, le DVD paraît plus
intéressant que le disque (c’est frappant pour «Sunday
Afternoon») car il donne une meilleure idée de la construction du
spectacle, de l’interaction des musiciens, indépendamment de la
musique; c’est un vrai spectacle! On connaît les caractéristiques de
l’art du pianiste de Pittsburgh, un héritier original du grand
Erroll Garner (un sens orchestral, du spectacle et du brillant, le
choix de la petite formation, avec des fidélités, avec
percussionniste parfois, avec une pulsation soutenue) mais avec un
sens de la découpe du discours très différent (ruptures dans
l’expression) convulsif a contrario des torrents du grand Erroll,
plus nerveuse et moins lyrique, pour affirmer sa différence, sa
marque; ce qui était indispensable alors, même si ce n’est pas la
seule raison. Donc au total, une belle production,
d’un musicien à nul autre pareil, et d’une musique aussi
spectaculaire qu’originale, choisissant toujours d’apporter sa
marque aux thèmes les plus connus comme ici «The Gypsy» sans
jamais renier la mélodie. On apprécie l’hommage double d’Ahmad
Jamal à Horace Silver, disparu en 2014 («Strollin’»), joué pour
cette fois avec le classicisme certain du Ahmad Jamal historique, et
qui lui dédie aussi une composition originale «Silver», plus dans
la manière actuelle. Pas indispensable sur le seul plan
musical dans l’œuvre d’Ahmad Jamal, il reste de cette soirée
des images d’un spectacle musical qui, elles, le sont car elles
dévoilent des aspects de la savante alchimie du grand Ahmad Jamal,
brillamment entouré comme à son habitude.
Slinky, Chap Dance,
Hangover, Museum, Season Creep, Get Pround, Enjoy the Future!, Mr.
Puffy, Past Present
John Scofield (g), Joe
Lovano (ts), Larry Grenadier (b), Bill Stewart (dm) Enregistré les 16 et 17
mars 2015, Stamford (Connecticut) Durée: 52' 18'' Impulse! 0602547485106
(Universal)
Voici donc John Scofield de
retour après un passage aux côtés des rockers de Gov’t Mule pour
un album endiablé (Sco-Mule), comme il sait si bien le faire.
Depuis Überjam, Sco s’est fait une spécialité de délivrer
des disques décoiffants loin des reposants (Quiet ou I Can
See You House from Here). Pour Past Present, l’ancien
guitariste de Miles opte pour un format qu’il adore: le quartet
avec basse, batterie et saxophone. Une formule qu’il a souvent
éprouvée au cours de sa carrière s’adjoignant les services de
Dave Liebeman, Kenny Garrett et Joe Lovano. Nous retrouvons ce
dernier une nouvelle fois en compagnie, ici, de Larry Grenadier et
Bill Stewart. Après de multiples expériences, John Scofield revient
aux fondements d’un format qu’il maîtrise parfaitement. Chercher
une pièce originale dans ce bel ensemble n’est pas chosé aisée.
«Get Pround» possède un léger côté Beatles que le guitariste
crée avec force avant de laisser Lovano glisser une dimension plus
«getzienne» dans le propos («Get Pround»). Aussi surprenant que
cela puisse paraître, cette couleur se retrouve aussi sur «Enjoy
the Futur». «Past Present» est l’occasion pour Scofield de se
défouler un peu plus en bénéficiant de l’excellent travail de
Bill Stewart sur les fûts. Une impression de vouloir terminer
l’album sur une vision du présent. Pour le passé, «Chap Dance»
démarre fort façon bebop,
puis le thème se complexifie avec les interventions de Lovano et se
transforme en feu d’artifice. Du bel ouvrage.
CD1: Finger Pickin’, Far
Wes’, Old Folks, Hymn for Carl, Falling in Love with Love, Jingles,
Yesterdays, ‘Round Midnight, Airegin, Four on Six, West Coast
Blues, In Your Own Sweet Way, D-Natural Blues, Work Song; CD2: West
Coast Blues, Yours Is My Heart Alone, Movin’ Alone, Body and Soul,
Tune-Up, While We’re Young, Twisted Blues, Cotton Tail, Repetition,
Delilah, Full House, Blue’N’ Boogie
Wes Montgomery (g), Nat
Adderley (tp), Joe Gordon (tp), Harold Land (ts), Johnny Griffin
(ts), Julian Cannonball Adderley (as), James Clay (fl), Buddy
Montgomery (p), Tommy Flanagan (p), Bobby Timmons (p), Victor Felman
(p), Hank Jones (p), Winton Kelly (p), Melvin Rhyne (org), Joe
Bradley (p), Monk Montgomery (b), Percy Heath (b), Ray Brown (b),
Sam Jones (b), Paul Chambers (b), Paul Parker (dm), Tony Hazley (dm),
Albert Heath (dm), Louis Hayes (dm, vib), Philly Joe Jones (dm),
Jimmy Cobb (dm), Milt Jackson (vib), Lex Humphries (dm), Ray
Barretto (cga), Sam Jones (cello) Dates et lieux
d’enregistrement: 30 décembre 1957, Indianapolis, 18 avril 1958 &
1er octobre 1959, Los Angeles, 5-6 octobre
1959, 26-27 janvier 1960, New York, 18 mai, 5 juin, 11 octobre 1060,
Los Angeles, 4 août, 19 décembre 1961, 25 juin 1962, New York Durée: 1h 15' 49'' + 1h
11' 04'' Frémeaux Associés 3062
(Socadisc)
Les morceaux ici réédités
ont fait les heures de gloire du guitariste d’Indianapolis à ses
débuts. The Quintessence regroupe des pièces enregistrées
entre 1957 à 1962, soit la période Riverside. Sur ce double
CD, tout débute dans la ville natale de Wes avec ses frères pour un
«Finger Pickin’» savoureux. Dès le début, le guitariste charme
par son phrasé. Il n’y a rien de plus normal quand on connaît la
qualité d’un gars qui passait ses soirées à travailler son
instrument en jouant avec le pouce pour ne pas déranger ses voisins.
Ce travail porte ses fruits dès «Far Wes» extrait de l’album
Montgomery Land, qui plonge l’auditeur dans une ambiance
feutrée à souhaits. C’est lorsqu’il signe avec Riverside
que le guitariste montre tout son savoir faire. Sur cette
compilation, on l’entend en trio avec Melvin Rhyne (org) et Paul
Parker (dm). Il y a bien sûr «Jingles», une composition du
guitariste qui orne magistralement ce premier opus, mais aussi et
surtout «Round Midnight» tout en délicatesse. Les notes de la six
cordes sont comme des étoiles qui se détachent de la voûte céleste
tandis que les accords de l’orgue le transporte sur la voie lactée
pour un beau moment de jazz. Ensuite les classiques s’enchaînent
(«Four on Six», «West Coast Blues», «D Natural Blues») et avec
eux les partenaires: Tommy Flanagan, Percy et Albert Heath. La
première galette se termine avec «Work Song» écrit par Nat
Adderley, un morceau majeur de cette deuxième moitié du XXe
siècle. La guitare de Wes répondant à l’appel de la trompette de
Nat sur les incantations de Louis Hayes (dm) tandis que Bobby Timmons
apporte les clés du dialogue, un excellent moment. Le second disque débute
avec un morceau gravé en compagnie de Harold Land, alors leader qui
donne à son album le titre de la compo de Wes. Avant de revenir aux
autres productions du guitariste d’Indianapolis pour Riverside,
le concepteur de la compilation offre un détour sur les rives de
Julian Cannonball Adderley, le frère de Nat, accompagné des Poll
Winners, dont Ray Brown à la contrebasse. Puis c’est Moving
Alone et la flûte de James Clay qui titille les envies de
choruses de Wes («Movin’ Alone»). Ce morceau marque une
pause dans l’œuvre du guitariste qui passe la surmultipliée avec
So Much Guitar où Wes retrouve Ron Carter et bénéfice de la
présence d’Hank Jones (p) pour offrir un magistrale blues
(«Twisted Blues») et un déboulé hyper speed pour l’époque,
ainsi qu’une reprise du maître Ellington («Cotton Tail»). Après
un nouvel album de rencontre en la personne de Milt Jackson, alias
Bag pour un «Delilah» décoiffant, le coffret se termine en
présentant Wes Montgomery live at Tsubo (Full House) en
compagnie de Wynton Kelly, Johnny Griffin, Paul Chambers et Jimmy
Cobb. A ce stade de sa carrière, Wes Montgomery est un modèle pour
tous les guitaristes. Il a joué avec les meilleurs pianistes du
moment et bénéficié d’une rythmique de qualité. Dans ce
coffret, il manque les oeuvres avec cordes qui feront leur apparition
dès Fusion. Peut-être une deuxième étape de Frémeaux qui
pourra poursuivre l’œuvre de mémoire du grand Wes à travers des
enregistrements jugés plus commerciaux à l’époque, mais qui
conservent une saveur indicible dans le chaos musical que nous
offrent certains musiciens du XXIe siècle. Affaire à
suivre?
Aaron & Allen, Seul
compte l’instant présent, Piazza Armerinia, Present Times, Lost
Roadnook, Le Vin noir, L’Etang des iris, Coming Times, Joyful
Breath
Alain Pierre (g), Félix
Zurstrassen (b), Antoine Pierre (dm) Enregistré en juillet 2014,
avril et juillet 2015, Belgique Durée: 49' 23'' Spinach Pie Records 101
(www.spinachpierecords.com)
On retrouve ici
Alain Pierre, entouré de son fils Antoine et de Félix, le fils de
Pirly Zurstrassen (p). L'occasion de réécouter le guitariste, avec
toute la sensibilité qui le caractérise. Formé au Conservatoire de
Liège en guitare classique et en musique de chambre, il a toujours
cherché à séduire par le velouté du son. Le choix qu’il fait
des différentes guitares et cordes (acoustiques, électriques, douze
cordes, cordes nylon…) est significatif. On pourrait rattacher ses
choix mélodiques à ceux de Philip Catherine; la filiation avec
Ralph Towner est plus perceptible («Seul compte l’instant
présent», «L’Etang des iris»). Le picking naturel aux doigts et
le soin prit à coller les voix (rerecording) témoignent d’un
compositeur qui aime les belles harmonies («Lost Roadbook»).
Derrière le soliste on aurait préféré entendre une contrebasse,
ce qui n’enlève rien à la musicalité de Félix Zurstrassen: un
musicien qui s’affirme de mieux en mieux au fil de ses
collaborations («Seul compte l’instant présent»). Le choc des
générations, en contraste, est particulièrement marqué lors du
solo d’Antoine sur «Piaza Amerina». Ecouter «Tree-Ho!» puis
revoir Alain Pierre en concert c’est approcher la zénitude – sa
zénitude («Lost Roadbook»)!
Coffin for a
Sequoia, Litany for an Orange Tree, Who Planted This Tree°, Les
Douze Marionettes, Urbex*°, Matropolitan Adventure, Walking On a
Vibrant Soil, Wandering #1, Metropolitan Adventure (reprise), Moon’s
Melancholia, Ode to My Moon*
Antoine
Pierre (dm), Jean-Paul Estiévenart (tp), Toine Thys (ts,ss), Steven
Delannoye (ts, bcl), Bert Cools (g), Bram De Looze (p), Félix
Zurstrassen (eb), Frédéric Malempré (perc) + Lorenzo Di Maio* (g),
David Thomaere° (key) Enregistré
les 12, 13, 14 septembre 2015, Belgique Durée: 1h
12' 45'' Igloo
Records 268 (Socadisc)
Antoine a la chance d’être
bien né d’un papa musicien (Alain Pierre). Un avantage
dont il a su tirer parti. Béni des dieux,
Antoine Pierre a écouté, appris et compris. A 17 ans, il s’est
fait remarquer au festival de Comblain-la-Tour avec Igor Gehenot (p)
et le Metropolitan Jazz Quartet; à Dinant avec le même Gehenot et
le LG Jazz Collectif; au Gaume Jazz derrière Enrico Pieranunzi (p).
A 19 ans, alors qu’il étudie encore au Conservatoire de
Bruxelles, Philip Catherine l’engage en tournées et en studio pour
son Côté Jardin. La mouvance bouillonnante des nuits
bruxelloises lui laisse un petit manque; il décide alors de passer
un an à New York, à la New School For Jazz And Contemporary Music.
Au contact de cette autre scène, fort de ses enseignements multiples
(Antonio Sanchez), il revient en Europe avec en tête «son» projet
musical. Sabam Award 2015, il voit dans les vestiges industriels de
la Wallonie et le futur fictionnel des bétons new-yorkais (cf. La
Guerre des Mondes): l’homme décadent, impuissant; mais aussi
la renaissance de la nature au milieu du béton. C’est Urbex,
contraction de UrbanExploration! Le jeune prodige de la
batterie a maintenant 23 printemps; il écrit ses visions en musique
entouré de ceux qui, comme lui, ont vu la lumière au travers des
ruines. Résolument contemporaine, la musique de l’octet poursuit
les chantiers débroussaillés avant lui par Charles Mingus
(«Walking on a Vibrant Soil») ou le Thad Jones-Mel Lewis Orchestra.
Le drive d’Antoine Pierre est sûr, autoritaire (influence de Peter
Erskine sur «Metropolitan Adventure»). Les œuvres, solidement
charpentées et bétonnées sont enjolivées par les solistes
pré-trentenaires («Who Planted This Tree?»). On retrouve le
désormais incontournable Estiévenart à la trompette
(espagnolisant sur «Litany for an Orange Tree»), mais on
apprécie aussi les déboulés de Steven Delannoye (ts) sur «Urbex».
Bram De Looze (p) étonne par l’assurance qui lui vient («Coffin
for a Sequoia»); Bert Cools (g), qu’on voit plus souvent en
Flandre, impose l’ouverture trans-régionale qui manque trop
souvent au royaume de la discorde («Litany for an Orange Tree»).
Les invités ne sont pas en reste (présence et créativité de
Lorenzo Di Maio sur «Ode to My Moon»). Les œuvres sont écrites
comme des suites, des travelings en images sonores. Dans cet esprit,
«Les Douze Marionnettes» illustre une déambulation au travers de
friches industrielles où s’infiltre la pluie. Poète romantique
avec «Moon’s Melancholia» et «Ode to My Moon», Antoine Pierre
captive par la densité et la maturité de son œuvre. Une première
déjà si grande qu’elle appelle des lendemains.
Blue Skies, Ain't Doin' too Bad, Ain't
no Sunshine, Fields of Gold, Baby I Love You, Honeysucckle Rose,
Route 66, Bridge Over Troubled Water, Chain of Fools, Fever, Autumn
Leaves, Fine and Mellow, Cheek to Cheek, It Don't Mean a Thing, Late
in the Evening, Next Time You See Me, Waly Waly, Take Me to the
River, Nightbird, People Get Ready, The Letter, Son of a Preacher
Man, Stormy Monday, Tall Trees in Georgia, Something's Got a Hold Me,
Time After Time, Over the Rainbow, You're Welcome to the Club,
Caravan, You've Changed, What a Wonderful World, Oh, Had I a Golden
Thread
Eva Cassidy (voc, g), Chris Biondo
(elb), Keith Grimes (g), Lenny The Ringer Williams, (p), Hilton
Felton (org), Raice McLeod (dm) Enregistré le 3 janvier 1996,
Washington Durée : 1 h 08' 27'' + 1h 11'
42'' + DVD 55' Blix
Street Records G2-10209 (Universal)
Disparue en 1996, à l'âge de 33 ans,
quelques mois après cet enregistrement, la chanteuse Eva Cassidy
n'aura hélas connu qu'une gloire posthume (plus de 10 millions
d'albums vendus depuis sa disparition, et la reconnaissance de
quelques fans célèbres tels Eric Clapton ou Paul Mc Cartney). Sa carrière n'en étant alors qu'à
ses débuts, elle n'avait pas encore définitivement opté pour un
genre particulier, et s'exprimait avec la même aisance dans
différents modes, du country au blues en passant par le jazz ou le
rock and roll, grâce à des qualités vocales exceptionnelles et un
swing sans faille. Il ne lui manquait plus guère que la pratique du
«scat» dont ses qualités de guitariste lui donnaient sûrement
les capacités. A l'heure où de nouvelles chanteuses
au joli minois apparaissent chaque semaine comme autant de «rosés
des prés» insipides, les trente-deux morceaux enregistrés pour la
plupart en «live» de ce double CD (et les 12 versions contenues
dans le DVD qui les accompagnent), démontrent l'ampleur du talent
gâché d'Eva Cassidy (et accessoirement, la nécessité du dépistage
généralisé du mélanome). Un album bouleversant.
My Soul My Sol, When You Are with Us,
Lover Come Back to Me, Sud, Origin Drum Solo, Lady Sings the Blues,
SMS, Song for Anne, Jeudi 12, The Man I Love
Carine Bonnefoy (p), Mathias Allamane
(b), Franck Filosa (dm), Sofie Sorman (voc) Enregistré les 18 et 19 octobre 2015,
Issy-les-Moulineaux (92) Durée: 47' 01'' Great Winds 3179 (Musea)
Dix ans après son premier disque,
Franck Filosa continue sa route et développe sa musique, toujours
avec l’excellente pianiste Carine Bonnefoy pour ancrer son âme
dans le sol: belle idée en ces temps d’incertitudes diverses. Dès
le premier morceau, justement «My Soul, My Sol», délicieux jeu de
mot, sur un rythme assez bossa dans lequel la pianiste se montre très
à l’aise et à son avantage sur ce type de rythme. Suivi sur un
tempo lent par «When You Are with Us» avec une intro très
nostalgique du contrebassiste ponctuée par des accords de piano;
piano qui s’échappe dans un solo très inspiré en osmose avec le
batteur très mélodique. En invitée la jeune chanteuse suédoise
Sofie Sörman qui vient d’un pays où dit-elle «Chanter est un
moyen d’expression essentiel». Elle en fait ici une belle
démonstration: «Lover Come Back to Me» prit sur tempo rapide avec
une belle intervention du batteur qui suit là encore l’articulation
de la mélodie sur les toms; Sofie chante avec une telle énergie que
son Lover ne peut que lui revenir. Elle se frotte au blues avec une
solide personnalité sur «Lady Sings The Blues», qui nous vaut un
solo de piano très senti et un trio parfait. Après une prenante
entrée du piano Sofie s’empare de «The Man I Love» en chantant
les mots avec un lyrisme ad hoc, soutenue à merveille par la
pianiste. On a plaisir à retrouver les belles
attaques à la fois nettes et ouatées de Mathias Allamane sur sa
contrebasse, à le goûter particulièrement sur «Song for Anne» où
le piano se fait rêveur, ou encore en un accrochant duo avec la
batteur sur «Jeudi 12». Le batteur travaille à merveille le son de
ses toms, intervenant assez peu aux cymbales, ce qui donne beaucoup
de chaleur au trio; à apprécier sur son solo absolu sous le tire
«Origin»: un signe! Art du trio qui repose sur de belles
compositions et d’efficaces arrangements de la plume du leader pour
la plupart des morceaux, ainsi que sur une intrication des trois
voies très réussies, avec, et c’est notable, une construction
globale du disque; c’est à dire que les morceaux, bien que
différents, restent dans la même atmosphère, y compris avec la
chanteuse.
This Thing, Scatter, Pop It, Into the
Gloaming, For Satie, Seven Below, Not My Lover, Clem’s Key, I love
Paris, La Javanaise
Chris Cody (p), Karl Laskowski (ts),
Brandan Clarke (b), James Waples (dm) Enregistré les 24, 26 avril et 11, 12
juin 2015, Australie Durée: 1h 05' Wave Music 1 500 1 (www.chriscody.com)
Originaire de Melbourne, le pianiste
Chris Cody (Jazz Hot n°613) a appartenu à la scène jazz parisienne pendant plus de
vingt ans où on l'a entendu aux côtés de Rick Margitza, Rhoda
Scott, Stefano di Battista, Glenn Ferris, Marcel Azzola et beaucoup
d'autres. Il est récemment retourné vivre en Australie où il a
enregistré cet album, le neuvième sous son nom, et qui est un
hommage à Paris et à la France. Outre «I Love Paris» et «La
Javanaise», les thèmes sont de sa plume. Un jeu de piano enthousiasmant,
lumineux, qui respire, avec des attaques tranchantes, une main gauche
en appui avec des accords très personnels, sur une main droite qui
chante. Assez à la façon de Paul Bley. Un sax ténor au jeu sobre,
élégant, délicat, inspiré. Un batteur coloriste qui sait
s’entremêler dans le discours en s’appuyant sur la contrebasse.
Celle-ci joue souvent des motifs répétés comme sur «Scatter» sur
un emballant solo de piano. Belle intro piano solo sur «Pop It»,
piano rejoint par la contrebasse qui place une note sur chaque accord
main gauche, effet garanti. Puis les cymbales viennent enrichir le
chant. Et pour finir le ténor s’ajoute à l’œuvre en marche.
«Into The Gloaming» est un modèle d’échange rubato à 4 voix.
Quant à «For Satie» en piano solo, qui se présente comme une
relecture de la Gnossienne N°3, n’est pas loin non plus des
Gymnopédies, c’est une merveille de Satie revisité par le blues
et les Balkans. Un petit chef d’œuvre. Il est vrai qu’il y a de
l’impressionnisme dans la musique de Cody. Pour «Not My Lover»
Cody nous dit que le morceau est basé sur un thème de Michael
Jackson, une splendide façon de s’approprier le rock avec un sax
bien dans la danse. En fait pas grand chose à voir avec le rock; on
est dans du pur jazz d’aujourd’hui. Et c’est l’expression qui
fait tout. «Clem’s Key» est un joli sourire à sa fille née à
Paris. L’hommage à Paris prend toute sa saveur avec le célèbre
thème de Cole Porter «I Love Paris», en trio, où le pianiste fait
merveille avec un sacré contrechant de la basse sur le thème de
base, un collier de perles à notre Capitale. Et le plus beau pour la
fin, c’est le morceau qui clôt le disque, «La Javanaise» de
Gainsbourg, en trio, prise sur un tempo très lent comme suspendu, le
pianiste et un contrebassiste très inspirés nous jouent «a waltz
for lovers to fall in love at first sight». Un beau et solide quartet, et surtout
un pianiste remarquable, comme un poisson dans l’eau en trio
basse-batterie.
Interlude, The Faction of Cool, Super
City, Shirley, Film noir Interlude, Ferrari, Seeing Through the Rain,
Close the Action, Kats Eye, Street Vibe, Twilight Interlude,
Sanctuary
Jason Miles (key), Ingrid Jensen (tp),
Jay Rodriguez (ss, ts, bs, bcl) Jeff Coffin (ss, ts, bs), Nir Felder
(g), James Genus, Jerry Brooks, Amanda Ruzza, Adam Dorn (b), Gene
Lake, Mike Clark, Jon Wilson (dm) Enregistré en septembre 2014, New York Durée: 53' 09'' Whaling
City Sound 073 (www.whalingcitysound.com)
Mis à part le dernier thème signé
Wayne Shorter, toutes les compositions ont été écrites par le
pianiste et la très virtuose trompettiste, disciple enthousiaste de
Miles Davis. De forme harmonique assez basique elles se caractérisent
pour la plupart par un enchaînement de «motifs d'ambiance» (on
n'ose dire de riffs) flirtant souvent avec des suraigus très
maîtrisés ou des sonorités voilées de trompette bouchée. La
section rythmique soutient l'ensemble façon jazz rock/funky pour
beaux quartiers. Aucune bavure, aucune faute de goût,
travail de studio remarquable. Cela évoque l'esthétique de la
première époque électrique de Miles Davis (dont Jason Miles, en
tant qu'expert en programmation informatique et autres «bidouillages
de son», a été le collaborateur). La copie est certes très
réussie, mais l'original demeure insurpassable.
Love's Walk, Tema do Boneco de Palha,
When You Wish Upon a Star/Someday My Prince Will Come, Starbright,
Two for the Road, Cascade of the Seven Waterfalls, Out of the Blue,
Millbrae Walk, Amor en paz, Squatty Roo, Nuages, Novelho, 49 (Larry
Ford), Carnaval/A felicidade/Samba de Orfeu
Clare Fischer (key, arr.), Brent
Fischer (perc, b), Peter Erskine, Mike Shapiro (dm), Denise
Donatelli, John Proulx (voc) Date et lieu d'enregistrement non
précisés Durée: 1h 11' 20'' Clavo
Records 201509 (www.clarefisher.com)
Plus qu'à sa qualité de jazzman, le
pianiste Clare Fisher, décédé en 2012, doit sa notoriété et
sans doute sa fortune, à ses talents d'arrangeur pour la pop et la
variété (The Jackson Five, Prince, Céline Dion, etc.). Cité par
Herbie Hancock comme étant l'une de ses principales influences, le
créateur de «Pensativa», est souvent comparé au pianiste Bill
Evans qui a immortalisé ce thème. Il s'en défendait pourtant, se
réclamant plutôt de l'arrangeur Gil Evans (son syndrome «Evans
Brothers» disait-il). Attentif, parmi les premiers aux musiques
latines, la bossa nova en particulier, et adepte, parmi les premiers
encore, des claviers électriques, il eut aussi une carrière de pur
jazzman. Auteur d'arrangements pour Donald Byrd, Dizzy Gillespie ou
Branford Marsalis, il avait aussi joué avec Gary Peacock, Joe Pass
et Cal Tjader. Dans ce disque, Brent Fisher,
contrebassiste et arrangeur, publie quelques enregistrements privés
inédits et miraculeusement retrouvés, dont une bonne moitié de
compositions personnelles de son père (avec la présence de Cal
Tjader, sur un titre). Avec beaucoup de respect et de tact, il y
ajoute parfois, et sans rien dénaturer, une partie apocryphe de
vocaux, de contrebasse et de batterie. Un vrai miracle de studio.
Voici une occasion inespérée de profiter du réel talent de
pianiste, aujourd'hui injustement oublié, de Clare Fisher.
Prelude to Schizophrenia,
Schizophrenia, Palma's Waltz, Sunny Road Trip, Spring Bloom, Parallel
Spaces, Bouncing Peanuts, Fun Keys
Laurent Coulondre (p, org), Rémi
Bouyssiere (elb, b), Martin Wangermée (dm) Enregistré en décembre 2014, Vannes Durée: 44' 48'' Sound
Surveyor 1509 (L'Autre distribution)
A moins de 30 ans Laurent Coulondre a
remporté plusieurs prix, joué à Marciac et à Vienne, assuré des
premières parties prestigieuses (Jacky Terrasson, etc.) et, déjà,
publié trois albums. Aussi à l'aise au piano qu'à l'orgue,
il mène un trio où Rémi Bouyssière passe brillamment de la basse
électrique à la contrebasse et où le batteur Martin Wangermee se
montre particulièrement efficace sur les rythmiques les plus
complexes. Compositions dynamiques et subtiles, traits d'orgue
Hammond (ou de synthé de la marque suédoise Nord?) fulgurants. Beau
toucher de piano, tantôt lyrique, tantôt tranchant comme un coup de
cymbale. Swing convaincant, superbe technique, belles idées que la
fougue de la jeunesse (et aussi une belle expérience et une sacrée
culture jazzistique) transcendent. Tout est là pour assurer un beau
succès à ce CD qu'on peut écouter en boucle sans lassitude et, qui
donne, de plus, fortement envie d'écouter les précédents.
Captain's Refusal, Hypocondriac's Fun,
Good Intentions, Reader's choice, Héritage déjà vu, Forgotten
Nickname, The Owner, A Town in Flames, I Remember Julie, Overlown
Overweight
Ed Motta (p, voc), Hubert Laws (fl),
Cecil McBee Jr, Charles Owens, Ricky Woodyard, (s), Curtis Taylor
(tp) Patrice Rushen, Greg Phillinganes (key), Tony Dumas (b), Marvin
«Smitty Smith» (dm) Enregistré en septembre 2015, Pasadena Durée: 49' 32'' MustHaveJazz/Membran (Harmonia Mundi)
Pianiste et chanteur, Ed Motta,
surnommé le «Barry White» brésilien, n'a pas fini de nous
surprendre. Eminent amateur de jazz, et grand collectionneur de
disques (on parle de plus de 300 000...), c'est un véritable
«melting pot musical» à lui tout seul. Il a déjà tâté avec
brio de tous les styles: funk, disco, bossa nova, reggae, rock. Et
voilà qu'il se met au jazz pop/rock le plus élégant... Dès le premier titre, on pense à
Steely Dan, au deuxième à Stevie Wonder, au troisième à Raul
Midon...et ainsi de suite. Tous gens de bonne compagnie. Le disque étant sous titré «Soul
Gate/Jazz Gate», on l'attendait un peu à ce dernier tournant. Mais
c'est gagné! Car la partie instrumentale, grâce aux nombreux et
généreux solos des sidemen, s'inscrit parfaitement dans la
tradition de notre musique préférée. Energie, inventivité, swing,
exigence de qualité et références tutélaires bienvenues (à Dizzy
Gillespie, Art Blakey ou Horace Silver, quelques courts instants
décisifs...), tout y est. Ed Motta a du succès, il plait aux
«jeunes». Et c'est tant mieux. On ne va quand même pas lui en
faire le reproche, car il a tout l'air d'être une personne très
respectable.
Symmetry, Eleven, Common Ground,
Mackrel's Groove, Shadows, Brazil Like, Labyrinth, Greenwich Time,
Contemplation, Bop Zone
Kirk MacDonald (ts), Tom Harrell (tp,
flh), Brian Dickinson (p), Neil Swainson (b), Dennis Mackrel (dm) Enregistré les 8-9 juin 2013, Toronto,
Canada Durée: 1h 16’
Addo Records 018 (www.addorecords.com)
Voici donc un second opus qui date de
l’année précédent l'enregistrement de Vista Obscura. On
peut dire qu’il choisit bien ses invités, puisqu’il est ici
entouré de Tom Harrell et Denis Mackrel, toujours avec le soutien de
haute volée de Neil Swainson et, pour ce disque, de son ami de
longue date Brian Dickinson, absent du suivant puisque l’invité
était Harold Mabern. Autre qualité de Kirk, en connaisseur
du jazz, il respecte la différence d’univers de ses invités, et
il plie sa musique, y compris ses compositions, à l’univers de
chacun d’entre eux. L’album avec Harold Mabern était coltranien,
celui-ci est shorterien, cela pour situer rapidement l’atmosphère
qui prévaut dans cet enregistrement. Cela permet aussi d’apprécier
les qualités de ces différents enregistrements, savoir que la
mélodie et l’expression sont plus importantes dans
l’enregistrement avec Mabern, que l’harmonie et la construction
d’ensemble le sont davantage dans celui avec Harrell. De ce fait, ce disque de 2013 est conçu
comme un tout. A l’exception du dernier thème, «Bop Zone», plus
accentué «à l’ancienne», on a une sorte de suite tissant une
œuvre entièrement composée par Kirk MacDonald, élégante et
nuancée comme l’impose la présence de Tom Harrell, où les
harmonies savantes créent une véritable bulle de beauté dans
laquelle on s’immerge, musiciens comme auditeurs. Pour les amateurs
de ces atmosphères, c’est un très bel enregistrement, dans la
lointaine lignée de Booker Little, qui était plus dramatique, du
Wayne Shorter d’après Art Blakey. Tom Harrell est comme un poisson dans
l’eau dans ce cadre, donnant la pleine mesure de ce son si limpide;
Dennis Mackrel est remarquable dans sa manière de colorer cette
musique sans jamais imposer une pulsation rythmique pourtant
présente; Neil Swainson, est, comme le dit lui-même le leader dans
les notes de livret, l’un des meilleurs bassistes qui soient, sans
faiblesse. Les deux amis Brian et Kirk sont parfaitement à leur aise
dans cet univers où Kirk est à l’écoute, moins brillant que dans
l’album avec Mabern, mais tout aussi musical. Ses compositions le
disent aussi. Ces hommes aiment le jazz et la musique, et ça
s’entend! Il n’y a aucune démonstration, juste la musique, le
plaisir et l’exigence. On vous le confirme, Kirk MacDonald, au
centre de ces projets made in Canada, est un musicien à
découvrir de ce côté de l’Atlantique.
Lonnie's Lamment, Vista Obscura, There
But For the Grace of..., Calendula, You See But You Don't Hear,
Naima, The Mill Dam, Walkaround, Mira Nights
Kirk MacDonald (ts), Pat LaBarbera (ts)
5, 6, 7, Harold Mabern (p), Neil Swainson (b), André White (dm)
Enregistré les 27-28 juillet 2014,
Toronto
Durée: 1h 16' 33''
Addo Records 025 (www.addorecords.com)
Le nom de ce saxophoniste canadien ne
dira pas grand-chose à beaucoup d’amateurs de jazz européens,
bien qu’il ait côtoyé Dave Young, Kenny Wheeler, Eddie Henderson,
Harold Mabern, Walter Bishop Jr., Pat LaBarbera, John Taylor, Ron
McClure, Mike Stern, Jim McNeely, Vince Mendoza, John Clayton, Chris
Potter, James Moody, Rosemary Clooney, et d’autres encore. C’est
dommage, car voici un magnifique ténor, doué d’une sonorité
exceptionnelle et d’une virtuosité instrumentale peu commune, dans
un registre hard bop-coltranien, autrement dit le mainstream
d’aujourd’hui. Son répertoire, dans ce bel enregistrement fait
d’ailleurs explicitement référence à John Coltrane («Lonnie's
Lament», «Naima»), sans faiblesse aucune par rapport à
l’original, car l’explosif Harold Mabern, qu’on ne présente
plus, est à la hauteur du modèle Tynérien et que la section
rythmique est des meilleures. Kirk est aussi un bon compositeur
(«Walkaround»), le reste du répertoire sur cet enregistrement est
d’ailleurs magnifique.
Il est brillamment soutenu par le très
beau son de contrebasse de Neil Swainson, le benjamin de cette
réunion (1955, Canada), le plus connu parmi ces Canadiens de
qualité, doué d’un swing réjouissant, qui côtoya dès son jeune
âge Sonny Stitt, Herb Ellis, Barney Kessel, Tommy Flanagan, James
Moody, Jay McShann, Lee Konitz, George Coleman, Woody Shaw (deux
enregistrements), Slide Hampton, Joe Farrell et beaucoup de musiciens
de jazz de haut niveau.
Enfin la pulsation nerveuse et très
musicale d’André White, autre trésor encore plus caché du
Canada, batteur mais aussi pianiste et enseignant, vraiment
excellent, donne à cette formation une allure de all star de haut
niveau.
En invité, le «frère» de Kirk, Pat
LaBarbera (1944, Canada), lui aussi ténor de haut niveau, et à
écouter les trois thèmes où joue Pat, en particulier «Naima», il
y a plus qu’une complicité entre ces deux ténors canadiens, de la
connivence fraternelle. Pat a joué avec Buddy Rich, Louie Bellson et
a tourné avec Elvin Jones en 1975, en europe en particulier. Il a
également fait partie de l’orchestre de Carlos Santana, grand
amateur de Coltrane, et on comprend son choix de Pat LaBarbera.
Les sexagénaires (Neil, André et
Kirk), septuagénaires (Pat), octogénaire (Mabern) produisent une
musique d’une intensité, d’une puissance, d’une inventivité
qui font plaisir à écouter.
Leur discographie en leader reste
modeste, et n’embarrasse pas les bacs des disquaires, Ils ont peu
tourné en Europe et s’ils ont une bonne notoriété au Canada,
nous aurions mérité d’en savoir plus sur leur musique, sur eux.
Les scènes du monde s’honoreraient de ces dignes représentants
d’un jazz de qualité plutôt que ce que nous voyons souvent. Il
faut croire aussi que le jazz n’est pas aussi international qu’il
pourrait l’être, et que le Canada ou le Pôle Nord en matière de
jazz, c’est un peu pareil pour nos directeurs artistiques
européens. C’est peut-être ce que voulait dire Kirk avec son
titre énigmatique Vista Obscura…
Ce bel enregistrement dirigé par Kirk
MacDonald, lui aussi enseignant depuis trente ans, et ces beaux
musiciens qui l’accompagnent, méritent un indispensable. Nous
serions heureux qu’une tournée européenne nous permette de
découvrir bientôt en live cette splendide énergie.
Aria, East
Coast West Coast, Les Feuilles Mortes, Night Stork, Goma, Sahel Al
Mumtanah, Bossa de l’Hiver, Letter From Home, Bron-Yr-Aur
Emmanuel
Baily (g), Lambert Colson (cornet à bouquin), Jean-François Foliez
(cl), Xavier Rogé (dm), Khaled Aljaramani (oud, voc) Enregistré
en mars 2015, Bruxelles Durée:
41' 06'' Igloo
Records 265 (Socadisc)
En totale adéquation avec
les objectifs des Jeunesses Musicales du Luxembourg Belge, de
Jean-Pierre Bissot et du Gaume Jazz Festival le projet d’Emmanuel
Baily prône la mixité. Nous aurions pu nous passer de chroniquer
cet album dans une revue spécialisée «jazz». Toutefois le projet
d’Emmanuel est tellement original par les couleurs qu’il
développe qu’il nous apparait intéressant d’attirer votre
attention. Dès l’écoute d’ «Aria», l’étonnante association
de la clarinette et du cornet à bouquin interpelle pour l’évidence
harmonique. Avec «East Coast West Coast», qu’il aurait pu
intituler «Nord-Sud», on sent déjà l’appel des grandes dunes
sahariennes (l’oud). Le chant de Khaled Aljaramani sur «Sahel Al
Mumtanah nous impose l’humilité; le solo d’oud est joliment
porté par l’accompagnement du guitariste ouvrant sur les entrelacs
des souffleurs. Un peu plus au Sud, sur l’équateur, il nous invite
à onduler du popotin congolien, comme un message d’espoir parmi
les viols et le génocide («Goma»). Le poétique «Night Stork»
s’inspire des battements d’ailes d’une cigogne … noire,
d’après l’auteur; majestueuse, quoi qu’il en soit
(re-recording de guitares)! L’originalité des «Feuilles mortes»
réside d’abord dans une longue intro à la gratte à laquelle
succède l’union des vents. Xavier Rogé (dm) poursuit par des
rythmes mats qui ouvrent sur un solo bien inspiré du clarinettiste.
Avec «Bossa de l’Hiver» et le druming hypnotique et binaire de
Rogé, Emmanuel Baily se sent pousser des ailes. Le délicieux
«Letter From Home» vient nous rappeler d’où il les tient! Pour
conclure sur un country sound, Emmanuel Baily fait un tribute
à Jimmy Page («Bron-Yr-Aur»). Ce sera l’ultime témoignage
(pour cette fois) d’un guitariste doué, d’un musicien ouvert et
d’un arrangeur d’une grande sensibilité. Non, mais! On n’a pas
d’œillères, nous, Monsieur!
Valerio Pontrandolfo & Harold Mabern Trio Are You Sirius?
Twenty, You, Touched, Tongue Out,
Recado Bossa Nova, Make Believe, Are You Sirius?, Rakin' &
Scrapin, Tune Up
Valerio Pontrandolfo (ts), Harold
Mabern (p), John Webber (b), Joe Farnsworth (dm) Enregistré le 11 septembre 2014,
Vignola (Italie) Durée:
40' 22'' In
Jazz We Trust 001 (www.valeriopontrandolfo.it)
Ce
n’est pas sur le livret (à quoi servent-ils aujourd’hui)
que vous apprendrez quoi que ce soit sur Valerio Pontrandolfo. Ce
natif (24 avril 1975) de Potenza (Basilicata), dans le sud de
l’Italie, installé depuis 20 ans à Bologne, a étudié le
saxophone avec Piero Odorici puis a suivi l’enseignement si
recherché de Barry Harris, et pris des cours avec Steve Grossman et
George Coleman. Il a côtoyé sur scène (festivals européens,
clubs) beaucoup de beaux musiciens de jazz comme Steve Grossman,
Alvin Queen, Andrea Pozza, et bien sûr beaucoup de la scène
italienne du jazz. Le parcours est donc jalonné de références
solides, et d’une certaine manière on l’entend dans cet
enregistrement très jazz, c’est-à-dire pétri dans le blues, le
swing et l’expression hot. Comme le remarque l’auteur des
quelques mots d’introduction du livret, le ténor Eric Alexander,
habituel compagnon du trio très new-yorkais qui accompagne la
découverte de ce disque, Valerio puise aux meilleures sources,
celles de Sonny Rollins souvent ou de ses maîtres successifs. Nul
doute qu’il aime le jazz, et qu’il s’est fait un énorme
plaisir à jouer avec une section ryhtmique de rêve ou l’evergreen
Harold Mabern est soutenu par la paire complice et puissante de John
Webber et Joe Farnsworth. Beaucoup de standards, les bonnes
compositions sont recommandées quand il s’agit d’un disque de
présentation, et les quatre originaux sont très «classiques»,
dans le même esprit. Valerio est d’ailleurs très concentré sur
son sujet, il ne se laisse pas aller (les thèmes tournent autour de
4 minutes dans un disque de 40 minutes), et on peut le comprendre, un
maître du jazz l’accompagne. Un introduction donc sympathique qui
s’écoute avec plaisir d’un musicien qui n’a pas la prétention
d’inventer le jazz, même s’il a l’audace d’être le leader
d’un trio qui habite à l’étage supérieur. A suivre...
Just You, Just Me, The Petite Waltz
Bounce, Honeysuckle Rose, The Way You Look Tonight, It's the Talk of
the Town, Caravan, Cheek to Cheek, Look Ma-All Hands!, (There's) No
Greater Love, Lullaby of Birdland, I've Got My Love to Keep Me Warm,
Groovy Day, A Cottage For Sale, That Old Feeling, Misty, Afternoon of
an Elf, I'll Remember April, Autumn Leaves (Les Feuilles Mortes) ,
Mambo Carmel, The Man I Love, Time on My Hands, Passing Through, The
Way Back Blues, Soliloquy, You'd Be So Nice to Come Home to, French
Doll, The French Touch, Mack The Knife
Erroll Garner (p) et selon les thèmes:
Oscar Moore (g), Nelson Boud (b), Teddy Stewart (dm), John Simmons
(b), Shadow Wilson (dm), Wyatt Ruther (b), Eugene Fats Heard (dm),
Eddie Calhoun (b), Denzil Best (dm), Al Hall (b), Specs Powell (dm),
Kelly Martin (dm) Enregistré de 1948 à 1962, New York,
Carmel, Los Angeles Durée : 1h 12' 24'' + 1h 11'
55'' Frémeaux et Associés 3063 (Socadisc)
Dans The Quintessence, la
collection des compilations de grande consommation (on l’espère
pour la maison Frémeaux, c’est mérité), voici le deuxième
volume consacré à Erroll Garner qu’on retrouve ici en solo, trio,
quartet. Un bon texte d’Alain Gerber raconte toute
l’incompréhension du cas Garner qu’on peut résumer par un
génie «naturel» et modeste. Par «naturel», il faut entendre
«culturel», car toute la force de Louis Armstrong, Fats Waller ou
Erroll Garner était bien de donner naturellement à entendre
l’essence d’un jazz inspiré par des siècles de culture. Alain Tercinet s’occupe de la
sélection retenue et de son commentaire, et remarque (en les citant)
que la plupart des pianistes ont adoré Erroll Garner. Il rappelle
que son talent fut apprécié par Boris Vian et Charles Delaunay en
France. Il faut aussi se souvenir que, parfois, son plaisir de plaire
au public le privait de celui de plaire à une critique faussement
«intellectuelle». La variété du répertoire, l’absence de
barrière (technique, de tonalité, d’a priori stylistique et
autres) ont fait d’Erroll Garner un pianiste universellement
apprécié, d’abord des producteurs (il n’avait pas besoin de
plusieurs prises) et pas seulement des amateurs de jazz. Beaucoup ont
fredonné ses interprétations sans avoir de notions très précises
de ce qu’était le jazz, ce qui le rapproche à nouveau de Louis
Armstrong. Erroll Garner se place bien entendu
dans un ensemble culturel identifié, notamment par son lieu de
naissance, Pittsburgh, Pennsylvanie, une ville bénie pour le piano
jazz (de Mary Lou Williams à Ahmad Jamal), dans un moment où l’art
du piano atteint des sommets d’expression et de virtuosité, mais
la préexistence de Fats Waller, Earl Hines, Teddy Wilson, Art Tatum,
Nat King Cole et quelques autres, qui l’ont tous inspiré, ne
l’empêche pas de développer son style à nul autre pareil: un
style orchestral avec ses introductions légendaires, ses
développements sur tempos doublés («The Man I Love»), un délié
et une attaque puissante du clavier et de chacune des notes, avec ses
redoublements, un jeu en blocks chords légendaire, avec ce petit
décalage-retard qui détermine un jeu d’une souplesse
extraordinaire et qui est sa marque de fabrique, une musicalité
rhapsodiante, une gamme de nuances sans limite du lento-pianissimo au
forte-allegro et un swing qui, comme celui de Basie, pourrait servir
d’exemple parfait d’une des composantes essentielles du jazz. Le
piano de Garner, c’est le jazz en cinémascope. Pianiste de
culture, son oreille était capable de tout saisir (y compris chez
ses contemporains de Bud Powell à Oscar Peterson) et d’en faire du
Erroll Garner. Le génie du jazz est aussi là. De fait, Erroll
Garner a influencé, même à leur insu, tous les pianistes de jazz
(comme le remarque Jimmy Rowles dans une des citations du livret) et
au-delà. Bon, les amateurs auront déjà dans
l’oreille beaucoup de ces chansons qu’il a fait siennes ou qu’il
a composées («Misty», «Mambo Carmel»), mais pour les plus jeunes
ou les moins spécialisés, cet enregistrement sera une ouverture sur
un monde merveilleurx, si l’auditeur est capable, lui aussi,
d’écouter ce musicien extraordinaire sans les a priori sonores du
jour.
It Gonna Come,
Preacherman, Morning Sun, Same to You, Don’t Misunderstand, Don’t Talk, If Ever
I Recall Your Face, Bad News, She Don’t Know, Once I Was Loved + Palmas da Rua,
No Man’s Prize, March for Mingus, After the Rain, Burying My Trouble (sur la
version The Artist’s Cut)
Melody Gardot (voc, p,
g), Gary Grant (tp), Irwin Hall (as), Dan Higgins (ts, bs), Andy Martin
(tb),Pete Kuzma, Larry Goldings (org),
Mitchell Long, Dean Parks, Jesse Harris, Reese Richardson (g), Chuck Staab,
Vinnie Colaiuta (dm), Pete Korpela (perc), Heather Donavon, Clydene Jackson,
Julia Waters, Maxine Waters (bck voc)
Durée: 48' 52''
Enregistré à Los
Angeles, date non communiquée
Decca 4724682
(Universal)
Quatrième pépite pour la native de Philadelphie et une
nouvelle fois la finesse et la profondeur de sa musique sont au
rendez-vous.Melody Gardot joue un jazz
qui puise aux sources du blues et de la soul en y apportant ses couleurs faites
d’esthétique, de fashion week et de
joaillerie. Sur la galette cela se traduit par des compositions toujours aussi
fortes en émotion, une instrumentation sophistiquée avec des cuivres et des
cordes à volonté et un line-up de haute qualité.En plus d’Irwin Hall (as), Mitchell Long (g)
et Chuck Staab (dm), ses musiciens habituels, Larry Goldings (org), Dean Parks
(g) et Vinnie Colaiuta (dm) apportent leur expérience et leurs connaissances à
la formation constituée pour l’occasion. La jeune femme, pour qui la musique a
été une thérapie, conduit son navire vers les destinations qui lui
correspondent tout à fait. L’album est à la fois hot, tendre et spicy avec
un clin d’œil au free qui mérite
d’être souligné. Currency of Man
(version longue) ouvreavec «Don’t
Misunderstand», comme si l’artiste voulait nous extraire des champs de
coton du Delta profond pour nous amener sur la route d’une certaine libération,
avec l’orgue en soutien d’une voix gorgée de sensualité.La Gardot dit des choses fortes sur une
musique suave («Don’t Talk») ou plus funky («It Gonna
Come»). Aux détours de l’album, on retrouve le Philly Sound qui constitue la base principale de la production de
Larry Klein, qui avait produit My
One and Only Thrill, ainsi que Herbie Hancock et Joni
Mitchell. «Preacherman» est le morceau déclencheur de cette
direction. Lors de la tournée 2013 pour son album The Absence,Miss Gardot
jouait déjà cette pièce, dédiée à Emmett Till, jeune Afro-Américain
assassiné en 1955. Un désir de parler d’une période qui est
malheureusement toujours d’actualité outre-Atlantique. Le son est à présent
plus rond, un choix esthétique qui se combine fort bien avec les autres
morceaux franchementsoul («Same
to You») et cette référence à sa ville natale. Sur «She Don’t
Know», Melody Gardot joue avec les mots. En fait, sur ses chansons elle
parle de la vie qu’elle perçoit à travers sa propre existence. En cela elle est
jazz et le témoigne par certaines orchestrations et certaines interventions de
son fidèle Irwin Hall. Ce dernier devenant par instantsun Roland Kirk du présent avec ses deux saxos
en bouche («Bad News»). Enfin, comment ne pas évoquer«March for Mingus», un extrait
d’à peine une minute, pour rendre hommage au grand contrebassiste, mais qui sur
scène se transforme en plus de dixminutes d’intenses échanges jazziques. Un choix défendu par la
chanteuse, malgré les réticences de la maison de disques.
Au final, on stage,
le public peut être pas forcément féru de la note bleue, découvre une musique
qui peut lui paraître lointaine grâce à l’excellent travail de la guitariste
signée par Gibson. Pour les fans, il
y a encore «Burying My Trouble», et cette sensation que Melody vous
parle en direct pour vous dire l’essence de son existence. Ce dialogue ne peut
vous laisser insensible.C’est la magie
de Melody. Rendez-vous pour un nouvel opus qui semble-t-il pourrait avoir la
couleur du Brasil d’Astrud, Antonio et Stan?
The Katie Bull Group Project All Hot Bodies Radiate
The Crazy Poet Song, Venus on the A Train, Koko's Can Do
Blues, Ghost Sonata, The Drive to Woodstock, If I Loved You/ What if?,
Torch Song to the Sub, Love Poem for Apollo, I Guess This Isn't Kansas Anymore,
Some Perfume Home, Ding Dong the Witch Is Dead, Rapture for the David, The Sea
Is Full of Song Katie Bull (voc) Jeff Lederer (ss, ts), Landon Knoblock (p),
Joe Fonda (b), George Schuller (dm) Enregistré en avril 2013, Paramus (New Jersey) Durée: 1h 04’ 54’’ Corn Hill Indie (www.katiebull.com)
Katie Bull, poétesse d'avant-garde, compositrice et
arrangeuse, est fortement impliquée dans la défense de la nature et est très
préoccupée par les changements climatiques. Dans ce CD sous-titré
«Love-Nature-The Nature of Love», elle psalmodie (plus qu'elle ne
les chante) ses textes sur fond d'une musique de jazz tout aussi
intransigeante, car, l'engagement musical est total, etplus proche des véhémences du free jazz que
des candeurs du «flower power».
Si lasection rythmique ne mérite que des éloges,
Jeff Lederer, le saxophoniste, magnifique musicien, fortement influencé
parAyler, sideman occasionnel de Buster
Williams ou de Gunther Schuller et conseiller pédagogique du Jazz at Lincoln
Center est, quant à lui, digne d'encore plusde compliments. Ce disque étant avant tout un manifeste militant et ne
conviendra pas vraiment à une écoute familiale apaisée de fin de week-end....
Mais il rappelle à bon escient, s'il en est encore temps, que le jazz a aussi
une dimension politique.
Graffiti Celtique, Guizeh, Rue aux fromages, Nomade sonore,
Monsieur Toulouse, Popa, Kamar, Matin rouge, Sur le pont de Gazagou, Cheeky Monkey Eric Seva (ss, bs), Daniel Zimmerman (tb), Bruno Shorp (b) Enregistré à Maison Alfort, date non communiquée Durée: 59' 33' Gaya Music Production ESGCD001 (Socadisc)
Le saxophoniste Eric
Seva a le sens des titres qui font mouche pour décrire sa démarche. AprèsFolklores
imaginaires (en 2005 avec Didier Malherbe au doudouk) et Espaces croisés (en 2009, avec Lionel
Suarez au bandonéon), voiciNomade sonore, son dernier album. Ayant grandi dans un milieu très concerné par le bal musette,
il eutle privilège d'être initié au
jazz dès l'enfance par un grand expert en la matière, son voisinJean, l'immense (et si tendre) dessinateur
Cabu. Oui, celui là-même qui nous manque tant. Enfin, après de solides études
musicales, Eric Seva eut, la chance d'être choisi comme élève par Dave Liebman.
Alors, question métissages, il en connait un rayon.D'autant que ponctuée de rencontres
miraculeuses, sa carrière l'a conduit àenregistrer avec l'ONJ, Khalil Chahine, Didier Lockwood, Sanseverino,
Maxime Leforestier, Dick Annegarn ou... Céline Dion (pour faire court). Difficile de décrire sa musique tant elle déborde
d'influences diverses mêlant,parfois au
sein d'un même morceau, un folklore désuet revitalisé parles«notes bleues»,aujazz le plus swinguant.
Ecriture précise, larges plages d'improvisations, climats et rythmiques
combinantmoments de tension et de
plénitude dans un tourbillon frénétique rempli de rebondissements, ne cessent
de surprendre. Les très beaux sons de soprano et de sax baryton s'accordent à
merveille avec la variété des timbres du trombone (la prise de son est
remarquable), tandis que la basse et la batterie tiennent avec légèreté et une
grande complicité leur rôle indispensable de gardien du cap. C'est tout
simplement captivant! Ce disque est dédié aux douze victimes de l’attentat
de Charlie Hebdo. On comprend
pourquoi.
Julie Saury / Carine Bonnefoy / Felipe Cabrera The Hiding Place
Harufe, Laissez-moi, Through the Clouds, Desde Abrit,
Samuel, The Hiding Place, Horns and Horses, Vertigo, Un p'tit moi, Stars Fell
on Alabam
Julie Saury (dm), Carine Bonnefoy (p), Felipe Cabrera (b)
Enregistré les 3, 4 et 5 octobre 2013, Videlle (91)
Durée: 1h 00' 42''
Gaya Music Production 021 (Socadisc)
Quel est donc ce lieu évoqué par le titre de
l'album? Si c'est celui de l'origine géographique des membres de ce trio "mixte" (deux filles et un garçon) venant d'horizons si différents,
il faudra se plonger dans un atlas et se livrer à de sacrés calculs... Car si
Julie Saury est parisienne et Felipe Cabrera cubain (ou parisien?),
Carine Bonnefoy a des origines polynésiennes, mais a grandi en Provence... Quel
casse-tête! Peu importe, ils se sont trouvés et bien trouvés. Chacun a
apporté ses compositions, et le choix du seul standard (dédié à
Maxim... dont le nom de famille n'est pas un vraisecret et qui est joué avec beaucoup de
tendresse), n'a pas dû faire débat tant l'entente de ce trio semble totale.
Thèmes d'une grande qualité, mises en place découpées au scalpel (en trio on ne
peut guère parler «d'arrangements»), écoute de tous les instants,
respect de la parole de l'autre, changements de climats soudains et inattendus,
interactions éclairs, ostinatos furtifs, choix harmoniques audacieux et
surprises rythmiques diaboliquement maîtrisées. Bref, tout ce qu'il est normal
d'attendre d'un trio de "vieux briscards", rompus par des années de
tournées est là. Evident.
Ce CD est un prodige d'invention de grâce et d'authenticité.
Enregistré dans le confort d'un studio on dirait presque un live.
Une vraie réussite!
Baiao loco, Quel chic, Blue Samba, Il pleut bergère, Astor,
Lucie, Aria pour Michèle, Anatelius, Petite valse, Suite pour piano et quatuor
à cordes, Like a child Jean-Yves Candela (p), François Arnaud, Bertrand Cervera
(vln),Vincent Aucante (avln), Thierry Amadi (cello), Marc Bertaux (b), Realcino
Lima Filho dit Nenê (dm) Enregistré en mai 2006, Paris Durée: 51’ 58’’ JMS 111-2 (Sphinx Distribution)
La guimauve n’étant pas son fort, c’est toujours avec un peu
d’appréhension que le chroniqueur reçoit un disque de jazz «avec
cordes». Mais àl’écoute de
celui-ci, les craintes sont vite dissipées. Malgré un penchant certain pour le
côté fluide et nostalgique des harmonies de la musique brésilienne, le
pianiste, Jean-Yves Candela y signe des compositions énergiques et des
arrangements dénués de mièvrerie. Le trio piano, contrebasse, batterie emporte
l’enthousiasme par le dynamisme,la
précision, et la richesse harmonique de cette musique élégante et lyrique.
Thèmes de toute beauté, improvisations pertinentes et mises en place
redoutables de finesse ne souffrent aucunement de la présence des cordes,celles-ci n’étant pas, comme si souvent,placées en renfort ou en fond de scène. Mais,
postées à point, et parties prenantes du discours, elles participent pleinement
à sa réussite. Signe des temps, malgré les références de son auteur (Les
Etoiles, Elisabeth Kontomanou, Babik Reinhardt, Christian Escoudé, Sylvain Luc,
Richard Galliano, André Ceccarelli, JM Jafet, les frères Belmondo…), remarqué
par André Francis dès 1989, son disque sort presque dix ans après avoir été
enregistré… Dur dur de faire carrière quand on vit en province…
Smiles for Serious
People, Cyclone, Child's Mood, Crystal Rain, Shanty Trails in the Sky, Crossing
Flow, Two Sides, On the Road, Vantan Céline Bonacina (bs, ss), Gwilym
Simcock (p), Chris Jennings (b),Asaf Sirkis (dm) Enregistré du 25 au 27 août 2015, Meudon (92) Durée: 55’ 07’’ Cristal Records 245 (Harmonia Mundi)
Céline
Bonacina, saxophoniste baryton et soprano de 40 ans, originaire de Belfort,
s’est formée dans les conservatoires, cursus dont elle est sortie diplômée et
qui lui a permis d’enseigner pendant sept ans sur l’île de la Réunion. De
retour dans la métropole en 2005, elle crée son propre trio jazz et autoproduit
un premier album, Vue d’en haut.
Suivent deux disques en trio parus chez ACT, Way of Life (2010, avec la participation de Nguyên Lê) et Open Heart (2012, avec en invités Mino
Cinelu, perc, et Pascal Schumacher, vib). Trois opus marqués par la volonté
d’intégrer au jazz des influences world
music.
Avec Crystal Rain elle nous présente son
nouveau quartet acoustique, formation qui conserve une teinte world, et qui porte une musique
essentiellement écrite par son leader. Les
accents boisés du baryton de Céline Bonacina sont mis au service de
compositions aériennes, comportant des préoccupations esthétiques et une
tonalité qu’on pourrait qualifier de contemplatives et spirituelles (référence
au cristal qui dans la mouvance New Age est le prisme permettant une certaine ouverture
au monde).Si les notes
chaleureuses du baryton prédominent, Céline Bonacina utilise aussi le soprano
au travers de contrastes plus appuyés sur des plages atmosphériques mettant en
valeur le jeu inspiré des cymbales d’Asaf Syrkis. L’imaginaire
est fortement sollicité à l’écoute de cette musique dont l’onirisme ne se
dément pas, mais l’apparentement au jazz s’exprime ici principalement par les
arrangements et l’interplay présent entre
les instrumentistes.
CeCrystal Quartet utilise
des mesures composées, et bien qu’un véritable sens du collectif anime l’album,
la pulsation rythmique ne permet que sporadiquement la mise en valeur des
contributions propres à un musicien en particulier. Du coup, l’univers des
joutes instrumentales est à peu près absent du vocabulaire usité sur ces
pistes, remplacé par l’ambition d’élaborer un discours musical inédit, basé sur
les émotions. On ressent d’ailleurs clairement la présence d’autres courants
musicaux que le jazz parmi les influences de la saxophoniste (d’où une quasi
absence de swing), et surtout un véritable sens de l’ornementation qui ne relève
jamais de l’enluminure gratuite, de plus assorti de breaks bienvenus, qui émaille les titres les plus audacieux de ce Crystal Rain.
Le CD se clôt joliment
sur «Vantan»,
une ballade mémorable du contrebassiste, et paradoxalement c’est peut-être sur ce
titre (en dehors, bien sûr, de «Crystal Rain») qu’on ressent le plus l’âme
d’enfant sous l’égide de laquelle Céline Bonacina a voulu placer son œuvre.
Emile Saint Saëns,
Willie’O, The Stalker, You Make Me Feel so Crazy, Latina, Billy Hart, Brook,
Studio 16, Be Bop à Lulu
Jean-Philippe
O’Neill (dm), Ronald Baker (tp, voc), Philippe Petit (p), Peter Giron (dm)
Enregistré du 1er
au 4 février 2014, Paris
Durée: 48’ 39’’
Black & Blue
798.2 (Socadisc)
A tous ceux qui
n’entendent la créativité en jazz qu’en le dénaturant de son essence,
Jean-Philippe O’Neill oppose un démenti incontestable. Soit Willie’O, un album uniquement constitué
d’originaux, dans une tonalité globalement bop. Ceux qui fréquentent les clubs
parisiens, en particulier le Caveau de La Huchette, on pu repérer ce joyeux
gaillard aux côtés de Ronald Baker. Une enfance au Mexique, une adolescence à
Paris et une dizaine d’années à New York (il est diplômé de la Rutgers
University) ont par ailleurs donné au batteur des horizons larges et une solide
maîtrise du swing. Et c’est justement de cette rencontre avec l’ami Ronald –
nous explique-t-il dans la (trop) courte notice du CD – qui a jeté les bases de
ce quartet (ce qui ne nous étonne guère, tant ce projet paraît cousin des
albums de l’excellent Ronald Baker Quintet), lequel est fort bien complété par
l’une des Rolls parisiennes de la contrebasse, Peter Giron, et le groovissime
Philipe Petit.
Outre la qualité
des interprètes, celle des compositions – signées par les trois sidemen – et
des arrangements sont à souligner. Les ambiances sont variées, allant de l’évocation
de la musique d’Horace Silver (excellent «Emile Saint Saëns» de Petit) à un détour
par Cuba («Latina» de Baker), tandis que l’on compte quelques jolies ballades
portées par la sensibilité aiguë du trompettiste, en particulier sur les deux
meilleurs titres de cet opus: «Billy Hart» (un hommage bienvenu sur un
disque de batteur!) et «Brook», tous deux écrits par Peter Giron.
Willie’O est ainsi une œuvre collégiale dans laquelle le leader ne se met pas
en avant: à peine nous gratifie-t-il d’un solo en ouverture de «Latina» (où le
duo avec Philippe Petit, tout aussi percussif, fonctionne à merveille). Un
excès de modestie peut-être. Mais on ne va pas se plaindre que la belle
cohésion du groupe ni des couleurs subtiles que Jean-Philippe O’Neill distille
du bout des baguettes.
My Time Is Now, Ride On, Ballade for Kele, What Do You See?, Dirty Old Town, Happy, Main Street, She Moves Through the Fair, D’iazz Song, That’s True, Now and Then, My Dear Friend, And I Ask You Why, Love for Two Austin O’Brien (voc), Michel Pastre (ts), Christian Brun (elg), Philippe Petit (org), François Laudet (dm) Enregistré en 2014, Meudon (92) Durée: 56’ 39’’ Autoproduit (www.austinobrienmusic.com)
Les habitués du Caveau de La Huchette ont forcément déjà croisé sa haute silhouette au bar, dans le public et évidemment sur scène. Car cela fait dix ans que cet Irlandais à la forte personnalité fréquente le club de Dany Doriz. Entertainer se réclamant de la tradition des Harry Connick Jr, Frank Sinatra et Tony Bennett, Austin O’Brien propose un album qu’il présente avant tout comme un compagnonnage amical et musical avec Michel Pastre, François Laudet, Christian Brun et Philippe Petit, ce dernier étant l’auteur des arrangements. La qualité du groupe qui entoure le chanteur n’est effectivement pas le moindre des atouts de ce projet (le son hawkinsien de Pastre est tout simplement magnifique) comprenant à une large majorité des originaux, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent pour un disque de swing. Ces compositions sont toutes signées ou cosignées par le leader avec Petit, Brun, Michel ou César Pastre (on doit notamment au jeune fils du ténor – par ailleurs, excellent pianiste – une jolie ballade: «D’iazz Song») et elles sont de bonne facture (avec une mention spéciale pour «That’s True», concoctée par O’Brien et Petit). Côté reprise, on retiendra une surprenante version du tube R’n’B de Pharrell Williams, «Happy», – si bien jazzifié qu’on le prendrait pour un standard –, alors qu’avec le traditionnel irlandais, «Dirty Old Town», l’opération paraît artificielle. Résultat des courses: un disque fort sympathique porté par un interprète qui mérite de l’attention.
Magic Dance, Bud Like, Cook's Bay, In the Slow Lane, Shuffle Boil, Light Blue, Lunacy, Dreams, Prayer, Nightfall
Kenny Barron (p), Kiyoshi Kitagawa (b), Johnathan Blake (dm)
Enregistré les 4 et 5 juin 2015, New York
Durée: 1h
Impulse! 477 0129 (Universal)
Kenny Barron en trio, c’est un classique du jazz, l’un des
meilleurs de l’histoire. Il a aussi enregistré en solo (At Maybeck), en duo (Together avec Tommy Flanagan, Red Barron avec Red Mitchell, Two As One avec Buster
Williams, People Time avec Stan Getz,Night and the City avec Charlie
Haden), en quartet (la série des Sphereavec Charlie Rouse, Buster Williams et Ben Riley), voire en plus grande
formation, toujours de magnifiques disques, parce que Kenny Barron est l’un des
piliers du jazz d’aujourd’hui, un musicien qui a magnifié l’histoire du jazz
depuis sa jeunesse, aux côtés de Dizzy Gillespie dès 19 ans pour un parcours
d’excellence sans le moindre égarement.
En trio, comme dans tous les formats, c’est un géant, et la
connivence entre musiciens comme la large place laissée à l’expression de
chacun de ce format réduit, ont fait de cet échange à trois celui qu’il utilise
le plus en tournée. On se souvient, mieux, on se les repasse fréquemment, de
ses trios avec Buster Williams et Ben Riley (Green Chimneys, IMO Live),
avec Ron Carter et Michael Moore (1+1+1),
avec Cecil McBee et Al Foster (Landscape),
avec Ray Drummond et Ben Riley, un trio au long cours avec lequel il a souvent
tourné, l’une des plus belles réunions de l’histoire (Lemuria), avec Rufus Reid et Victor Lewis (The Moment), avec Charlie Haden et Roy Haynes (Wanton Spirit)… On pourrait s’étendre, mais il vaut mieux retourner
à son interview du n°575 de Jazz Hot,
avec la discographie détaillée qui vous donnera des idées et des envies de
disques de Kenny Barron.
L’essence du jazz y est dans toutes ses dimensions: la
qualité de l’expression (plénitude, nuances, récit), le blues, un swing jamais
contraint, l’originalité absolue et un sens rare de la mise en place, une sorte
de perfection harmonique et rythmique qui ne se départit jamais d’un langage
naturel, accessible. En homme de la mémoire du jazz, il n’oublie jamais ceux
qu’il admire (Thelonious Monk, représenté dans ce disque par deux thèmes) ou
qu’il a côtoyés: un beau thème très nostalgique («Nightfall») est dédié à
Charlie Haden, et bien entendu Kiyoshi y a une partie réservée.
Kenny Barron a, derrière sa science infinie du jazz et du
clavier, l’ouverture et l’humilité de servir le jazz, la musique avec naturel,
de mettre à la disposition de toutes les oreilles, même les plus profanes, la
beauté de cette musique avec son talent d’artiste accompli. Comme les plus
grands du jazz, Kenny Barron rend le jazz accessible à tous, et toujours avec
une modestie, une allure anti-star qui incarne l’esprit du jazz dans ce qu’il a
de meilleur. L’idéal artistique.
Dans ce disque, avec des partenaires triés sur le volet et
qu’il élève au sommet de l’expression, Kiyoshi Kitagawa (1958, Osaka) et
Johnathan Blake (1976, Philadelphie), il délivre encore une œuvre parfaite. Il
suffirait d’écouter le seul «Lunacy» pour s’en persuader, mais chaque thème est
une merveille, et le disque est d’une certaine manière encore plus abouti que
la prestation en concert à Paris (cf. nos comptes rendus), car chaque thème
profite d’une forme d’économie et de rigueur (de temps et d’espace) qui confère
plus d’intensité, comme dans «Prayer» où Kiyoshi Kitagawa nous gratifie d’un
très beau jeu à l’archet et Johnathan Blake de ses nappes aux cymbales comme
des voiles jetés sur les notes perlées d’un Kenny Barron extatique.
On devrait encore s’arrêter sur ce «Bud-Like», sur chacun
des thèmes, sur la construction du disque qui alterne thèmes aériens et
intense, tempos médiums et tempos rapides, originaux et classiques, avec l’art
consommé de Kenny Barron de savoir faire respirer la musique et l’auditeur,
pour la beauté de l’une et l’attention de l’autre. Kenny Barron est un sommet
de l’art du trio aujourd’hui, tant mieux pour le jazz et pour nous!
64 titres
Ella
Fitzgerald (voc) avec:
8 mai
1957: Don Abney (p), Herb Ellis (g), Stuff Smith (vln), Ray Brown (b), Jo Jones
(dm)
30 avril
1958: Lou Levy (p), Max Bennett (b), Gus Johnson (dm)
23
février 1960: Paul Smith (p), Jim Hall (b), Wilfred Middlebrooks (b), Gus
Johnson (dm)
28
février 1961 et 11 avril 1961: Lou Levy (p), Herb Ellis (g), Wilfred
Middlebrooks (b), Gus Johnson (dm)
16 mars
1962: Paul Smith (p), Wilfred Middlebrooks (b), Stan Levey (dm)
Enregistré
à Paris
Durée: 1h
16’ 03” + 1h 14’ 21” + 1h 17’ 39”
Frémeaux
& Associés 5476 (Socadisc)
Dans le
cadre de la collection «Live in Paris: la collection des grands concerts
parisiens», dirigée par Michel Brillié –qui rédige le texte du livret– et
Gilles Pétard, le directeur de feu la bonne collection Classics (intégrales
chronologiques du jazz, par musicien), voici le volume consacré à Ella
Fitzgerald, après Miles Davis, Quincy Jones, Ray Charles, Count Basie, et d’autres
sont à venir sans doute, sous le parrainage bienveillant du label de Patrick
Frémeaux, qui continue son œuvre. Puisse-t-on trouver la solution pour le
conserver au jazz dans la glace, mais actif, pour le siècle entier.
En
particulier, parce que ce coffret de trois disques est un événement majeur du
jazz et de l’art –puisqu’on parle d’Ella Fitzgerald– même si personne d’autre
que Jazz Hot ne le dit. On espère
quand même, après cette chronique, que les lignes bougeront… Les
enregistrements sont indiqués comme étant dus à l’équipe d’Europe 1 et crédités comme produits par Norman Granz, Frank Ténot
et Daniel Filipacchi. A ce propos, si l’essentiel des titres du volume consacré
à Count Basie était déjà paru à un titre près (chez Magic-Awe et Laserlight, cf.
discographie), cette mention d’une coproduction pour Ella est mystérieuse car
deux des trois sont morts et ne nous le diront pas, et que ce volume semble
intégralement inédit pour tous les discographes, ce qui en fait un diamant pour
tous les amateurs de jazz et de chant et de la First Lady, et ils sont
nombreux.
En effet,
la consultation des discographies d’Ella, alors qu’elle mentionne beaucoup des
concerts européens enregistrés lors de ces tournées de 1957 à 1962 (Berlin,
Rome…), produits par Verve, et donc enregistrés avec l’aval de Norman Granz à
l’époque, ne mentionne aucun des enregistrements d’Ella à Paris inclus dans ces
trois disques. Il est d’ailleurs douteux autant pour Ella que pour le Count que
l’enregistrement des concerts de 1957 soit dû aux techniciens d’Europe 1. A cette époque, Europe 1, dont l’émetteur est au-delà de
la frontière française, en Sarre qui a choisi l’Allemagne (en raison du
monopole des ondes en France), vient à peine de commencer à émettre depuis
1955, et non sans difficultés car le message est brouillé (cf. Dictionnaire de la Radio, Pug), étant à
l’époque une radio-pirate (sans accord formel d’émission et attribution d’une
longueur d’onde). La sulfureuse Europe 1,
en 1960-1962, bien qu’émettant alors, est encore au centre d’un conflit
juridique interne sur le nom même de son propriétaire qui provoquera un conflit
entre la France et la Principauté de Monaco (Histoire de la Radio en France de René Duval, Alain Moreau). Une
«guerre» que la France gagnera (pour une fois) mais qui n’est pas plus à son
honneur que celle d’Algérie.
Frank
Ténot, dans son histoire Radios
Privées-Radios Pirates (Denoël), qui reprend souvent les informations
telles quelles de René Duval, élude cette fois l’épisode de 1960-62, et signale
en forme d’épitaphe que le fondateur d’Europe
1, Charles Michelson, un industriel juif, mourut ruiné en 1970. Notre
imagination et quelques informations indiquent
qu’il fut doublement spolié de sa création (qui tire des racines
lointaines en 1936), d’abord en 1940 par Laval, en personne, puis en 1962, lors
de ces épisodes juridico-rocambolesques qui ont bercé la naissance d’Europe 1, qui mêlèrent en dehors de
Michelson, Sylvain Floirat, industriel au passé sulfureux, les Etats français
et allemands, la Principauté de Monaco, le monde de la finance de cette époque,
l’Assemblée nationale française, et brassèrent quelques milliards au total.
C’est une vieille histoire, aujourd’hui oubliée, qui dépasse l’imagination, et
nous en rappelle d'autres, plus actuelles.
Pour
revenir donc à notre disque, qui nous a permis de replonger dans une histoire à
la Dumas-père, mais qui se termine, selon notre imagination, moins bien pour le
bon que pour le truand, on peut imaginer que les actifs Ténot et/ou Filipacchi,
amateurs de jazz et activistes de la radio, pionniers du show business et à
l'orée d'un empire des médias (Pour ceux
qui aiment le jazz, et Salut les
copains sur Europe 1), aient
enregistré, avec leur Nagra III (apparition déterminante en 1958 d’un petit
enregistreur à bande de haute qualité entièrement transistorisé) ces concerts
d’Ella Fitzgerald, en se passant du consentement de Norman Granz qui veillait
jalousement sur sa perle rare et sur tous ses enregistrements. Le livret
rappelle justement l’attention extrême que Norman Granz portait à Ella
Fitzgerald. Cela expliquerait, on peut aussi l’imaginer, que Norman Granz n'ait
pas publié lui-même cet enregistrement, et qu’on ait attendu la disparition de
Norman Granz et plus de 50 ans de délai pour voir apparaître ces enregistrements
précieux.
L’auteur
d’un livret sympathique mais insuffisant vu la réalité exceptionnelle de cet
enregistrement – qui a pu aussi circuler entre collectionneurs, n’en doutons
pas, dans des éditions pirates non connus des discographes – raconte d’ailleurs,
en trouvant succulente l’anecdote, que l’un des jeux du 28 février 1961
consista à berner Norman Granz qui réclamait pour Ella, sous peine d’annulation
– Ella à qui on avait réservé pour toute loge un coin des coulisses et un paravent
– une loge équivalente à celle d’Edith Piaf, la sauveuse de l’Olympia, alors en
difficulté sur le plan économique. On trouva l’astuce d’un faux panneau Edith
Piaf sur une porte de placard. L'histoire fait «sourire jaune».
On
imagine (encore) que les relations d’alors avec Norman Granz n’étaient pas à la
coproduction d’un enregistrement d’Ella, comme l’indique le livret plus de 50
ans après. Et si tel avait été le cas, on suppose que ces enregistrements
auraient fini dans les archives de Verve, comme ceux des autres pays d’Europe,
et seraient disponibles depuis cinquante ans.
Mais bon,
tout ça n’est que de l’imagination, et le résultat est là…
On
découvre avec bonheur, la grande, la splendide, la surnaturelle Ella
Fitzgerald, au sommet de son art, pour plus de trois heures trente minutes de
musique inédite, au moins pour la plupart des amateurs. Merci à ceux qui ont
dévoilé ces merveilles du jazz.
La First Lady, non pas du jazz, mais of Song, au singulier, mérite ce titre.
Elle reprend non seulement quelques blues, avec autant de grâce que de
gouaille, Ellington, Monk, Strayhorn, Ray Charles, etc., mais encore le grand
livre de la chanson populaire américaine (Irving Berlin, George Gershwin, Cole
Porter, Johnny Mercer, Rodgers & Hart…) que justement Norman Granz l’a
incité à explorer dans le courant des années cinquante. Elle est en ce début
des années soixante et restera jusqu’à son décès en 1996, une icône du jazz, un
absolu du chant, l’équivalent de Maria Callas dans l’art lyrique classique.
Il ne
sert à rien d’isoler un thème dans cet ensemble d’un niveau exceptionnel. Il
suffit simplement de se rendre compte qu’un inédit d’Ella Fitzgerald, trouvé
dans la poussière du temps, doit être un événement artistique majeur de la
planète, comme le serait la découverte d'inédits de Maria Callas, ou la
découverte d’un tableau de Van Gogh dans un grenier.
Ce serait
alors un événement médiatique, un best-seller… Avec notre imagination, on peut
le souhaiter à la maison Frémeaux, elle le mérite pour ce travail exceptionnel
autour de la mémoire du jazz.
Good News, One Life, Peri's Scope, I'll Wait and Pray, A New
Day, KD JR. (In Memory of Kenny Drew, Jr.),The Power of Two, The Duke, Circle Into Your Grace, Whistling Spirits Steve Slagle (as, fl), Bill O’Connell (p) Enregistré le 12 septembre 2014, Paramus (New
Jersey) Durée: 53’ 23” Panorama Records 005 (www.steveslagle.com)
Cet album a vu le jour à partir de l’idée d’un hommage de Steve
Slagle à son ami Kenny Drew, Jr., pianiste de grand talent, prématurément
décédé, à 56 ans, en 2014. Steve et Kenny ont partagé plusieurs aventures
musicales ensemble, dont celle du Mingus Big Band, et Kenny avait participé à
des enregistrements de Steve (Reincarnation,
1994, chez SteepleChase). C’est l’occasion également pour Steve de retrouver un
autre vieux compagnon de route, Bill O’Connell, et de permettre aux amateurs
d’écouter cette musique de la nuance, de la profondeur, intime mais également
puissante et émouvante comme l’évoque le titre. Dans le jazz, la musique en duo laisse beaucoup de place à
l’expression de chacun et permet un dynamisme et une grande spontanéité par le
dialogue et bien sûr par la légèreté de la formule. Sur un répertoire
majoritairement de Steve Slagle, avec deux compositions de Bill, un standard du
jazz et deux compositions de Miles Davis et Dave Brubeck, Steve et Bill se
répondent avec complicité, vérité, et c’est tout l’intérêt de la
rencontre.Du beau jazz, où l’émotion est omniprésente, joué par deux
excellents musiciens. Steve Slagle alterne la flûte
et l’alto – cela enrichit la palette du duo d’autant que Steve Slagle y excelle
–, et donne la pleine mesure de ses qualités expressives qu’on apprécie depuis
tant d’années (belle sonorité). Bill O’Connell est à l’écoute, soutient ou
intervient avec un sens mélodique confirmé, un toucher très fin dans la grande
tradition du beau piano jazz si riche et élaborée. Un plaisir de disque de jazz
(avec tous les accents swing et blues) pour nous rappeler le regretté Kenny
Drew, Jr., qui partageait avec ces deux musiciens le sens de la musicalité. Des
musiciens au service de la musique et du jazz: excellent!
Afternoon in Paris, Garden at Life Time, B♭ Where It’s At, Minoru,
Yesterdays*, Day Dream, Sunset and the Mockingbird, Three Little Words
Lew
Tabackin (ts, fl), Boris Kozlov (b), Mark Taylor (dm)
Enregistré
les 20 mars* et 20 avril 2015, New York
Durée
: 1h’
Autoproduit
(www.lewtabackin.com)
S’il
enregistre peu, joue à Paris une fois par an, à peu près jamais en régions ni
dans les festivals de jazz, Lew Tabackin est pourtant bien présent. Il revient
avec un excellent album, autoproduit et enregistré dans les conditions du live au
Drum Shop de Steve Maxwell (le 20/04/15), à New York, avec le photographe/ingénieur
du son Jimmy Katz à la coproduction (un titre, «Yesterdays» ayant
été enregistré un mois plus tôt à son domicile).
Pour
ce trio sans pianiste, le format qu’il préfère, le ténor s’est entouré de ses
fidèles compagnons de route, Boris Kozlov et Mark Taylor, présents aussi sur Tanuki's Night Out (2002) et Live in Paris (2008). Il joue depuis une
dizaine d’années avec le bassiste et plus de trente ans avec le batteur. C’est
donc ici l’album d’un vrai groupe de jazz, avec une complicité musicale très
solide.
Les
standards choisis par Tabackin et ses compositions personnelles ont une
histoire et racontent une histoire: «Afternoon in Paris»
est un titre de John Lewis avec qui il jouait régulièrement, et enregistra
l’album Duo en 1981. C’est aussi une
composition qu’il interprète souvent, en tournée, et c’est l’hommage à Paris
après les deux attentats, ville avec laquelle il a noué de fortes attaches, et
dont il ne manque jamais de saluer en concert l’importance historique dans
l’histoire du jazz. Pour
sa «trilogie» japonaise, «Garden at Life Time» évoque
la fois où le patron du club de jazz Garden Cafe Lifetime, à Shizuoka, avait demandé au musicien
d’accompagner à la flûte le spectacle «Hagoromo»,
une des plus célèbres pièces de théâtre Nô ; «B♭ Where It’s At» est un hommage
au club de jazz B Flat, à Tokyo, où il joue depuis des
années;«Minoru» salue la mémoire de Minoru Ishimari, réparateur
de saxophones qui «sauva la vie» du musicien à de nombreuses
reprises lors de ses tournées au Japon.
Cette
sélection de titres et ce va-et-vient entre le ténor et la flûte ressemblent
bien à un des puissants sets de Tabackin qu’on peut entendre en club. Comme il
nous le racontait dans son interview (dans ce numéro 675), son approche des
deux instruments change du tout au tout. Et c’est bien deux voix qu’on entend, deux
personnalités distinctes: un ténor qui rugit, au gros son qui envahit la
salle, nourri de Coleman Hawkins, Ben Webster, Sonny Rollins, Zoot Sims (son
«grand frère»), avec ses improvisations intenses, brûlantes, et un
flûtiste, au son très personnel, qui apporte d’autres textures, d’autres
couleurs, dans un mélange de jazz et de tradition orientale, japonisante, classique.
Si le jeu du musicien est élégant, intègre et sans concession, il a d’autant
plus de charisme et de présence qu’il joue en totale confiance, soutenu par
deux excellents musiciens, très swing, toujours mis en valeur par le leader.Si les interprétations au ténor suffisent à elles seules à faire de cet
album une réussite, celles jouées à la flûte poussent le niveau d’un
cran supérieur: «Garden at Life Time» est plein de cette
tension dramatique qu’on peut imaginer sur la scène d’une pièce Nô, et son superbe
«dérangement» de «Sunset and the
Mockingbird», s’il est, dit-il, sa façon de taquiner les puristes de Duke
Ellington en incorporant autant de Charlie Parker que possible, il est surtout
l’affirmation profonde d’un musicien complet, inspirant, bouleversant et la
preuve que le jazz est un art bien vivant.
Chuck Israels Jazz Orchestra Joyfull Noise: The Music of Horace Silver
Sister Sadie, Moonrays, Creepin’ in, Doodlin’, Cool Eyes,
Opus de Funk, Strollin’, Cookin’ at the Continental, Peace, Home Cookin’, Room
608 Chuck Israels (b, dir), Charlie Porter (tp), John Moak (tb),
Robert Crowell (as, bar, fl), John Nastos (as), David Evans (ts), Dan Gaynor
(p), Christopher Brown (dm) Enregistré les 1-2 septembre 2014, Portland (Oregon) Durée: 1h 09’ 37” Qoulsatch Music 7827724472 (www.soulpatchmusicproductions.com)
Pour ceux qui se souviennent du beau parcours de Chuck
Israels depuis les années cinquante entre Eric Dolphy, George Russell, Cecil
Taylor et Bill Evans durant les années soixante avec qui il enregistra beaucoup
de disques remarquables, cet hommage à Horace Silver pourrait paraître curieux.
Pourtant, à y regarder de plus près, il n’étonne pas. Chuck Israels avait parlé
de jazz dans une interview accordée à Jazz
Hot (n°654), en 2010, et raconté comment il était né dans une époque
extraordinaire, peuplée de musiciens d’une intensité remarquable, et il raconte
dans le texte de livret comment lui et ses copains, dans cette époque, se
précipitaient pour acheter les premiers le dernier disque d’Horace Silver,
toujours entouré de la génération dorée de hard boppers, Art Blakey, Curley
Russell, Lou Donaldson, Clifford Brown, etc. Sa discographie, surtout en sideman, a aussi montré qu’il a
enregistré avec Coleman Hawkins,Stan
Getz, Barry Harris, Herb Ellis, et il a joué avec tant de musiciens de jazz
extraordinaires… Il raconte sa première rencontre avec Horace Silver, comme
auditeur d’un enregistrement de studio à la fin des années cinquante, et sa
profonde admiration pour le grand compositeur, dont il reprend ici un
florilège, et pour l’homme, une nature ouverte, joyeuse et généreuse, d’où le
titre de cet album, Joyful Noise. Et
on ne peut qu’acquiescer, car si un musicien a autant donné à la fois par son
rôle de transmission au sein de ses splendides orchestres, et par son talent de
magnifique compositeur et arrangeur, c’est bien le grand Horace Silver (cf. Jazz Hot n°528, 1996, avec une
discographie) disparu en 2014. Sa musique très personnelle, swingante («Room
608»), joyeuse («Doodlin’», «Sister Sadie») et parfois si émouvante («Peace»),
a tellement été reprise que cet hommage à l’un des très grands compositeurs du
jazz est évident pour tout amateur de jazz, et Chuck Israels en reste un,
au-delà de sa grande carrière. Le bassiste natif de New York, installé à Portland dans
l’Oregon, a fait appel à des musiciens de la scène locale, soit qu’ils y soient
nés comme Robert Crowell (McMinnville, à côté de
Portland), John Nastos, Christopher Brown, Dan Gaynor (Portland) ou
installés comme John Moak (Oklahoma),Charlie Porter (New York), David Evans (Alabama). Les arrangements sont
très respectueux de l’original (Gaynor respecte lui-même le jeu de piano de
Silver dans son phrasé), et le disque est excellent avec ce qu’il faut de
dynamique pour cette musique, et des instrumentistes de qualité. John Moak est
un beau trombone qui donne ici d’excellents chorus; Charlie Porter, qui a suivi
les enseignements de la Juilliard (jazz et musique classique) est un trompette
percutant, et chacun des saxophonistes apporte sa couleur. Mais cette musique,
conçue comme une sauce de grand chef étoilé, vaut par la couleur des
arrangements. Chuck Israels remarque un des attributs essentiels du jazz
dans les années cinquante, l’intensité des musiciens d’alors. Il est certain
que c’est aujourd’hui difficile de la retrouver dans une revisite, mais on
passe plus d’une heure de plaisir à l’écoute de ces belles musiques fort bien réinterprétées,
avec exigence, et nul doute que Chuck Israels s’est fait et nous a fait un
grand plaisir avec cette relecture de grande qualité.
Dark Blue, Interlude V-2,
Latina Bonita, Interlude V-6, My Scenery, Interlude V-9, Five Days in May,
Vonski, Interlude, Inner Orchestrations, Percussion Song Two, Chico, Interlude
V-5, What's in Between, Essence of Silence, Interlude V-4, A Distinction
Without a Difference, Interlude V-10, Angel Eyes, Percussion Song One, Marko*,
Chico & George Introductions
George Freeman (g, voices*),
Chico Freeman (ss, ts), Kirk Brown (p, clav), Harrison Bankhead (b, voc), Hamid
Drake (dm), Reto Weber (hang, perc), Mike Allemana (g), Joe jenkins (dm),
Joannie Pallatto (voices)*
Enregistré de septembre 2014 à
janvier 2015, Chicago
Durée: 1h 18’ 55”
Southport 0143
([email protected])
Un album de famille sans nul
doute, et plus encore si on étend cette notion de famille à la ville qui a vu
naître l’oncle et le neveu, George et Chico, car on retrouve dans cette
production exceptionnelle, l’ensemble des composantes musicales qui font de
Chicago l’équivalant, au bord des Grands Lacs du nord des Etats-Unis, du Gumbo
néo-orléanais au sud, au bord du Mississippi. Ici, à Chicago, les influences,
musicales et plus largement humaines, culturelles, viennent de loin: de New
Orleans justement et de toute cette vallée fertile du grand fleuve (le Delta)
que les hommes ont remonté peu à peu pour vivre, apportant leur joie de vivre,
leurs peines, leurs traditions, leur culture. Chicago, la Cité du vent, est
aussi celle du blues, mais encore celle des grands orchestres, d’une tradition
du jazz qui remonte aux débuts du jazz, quand King Oliver, Freddie Keppard,
Earl Fatha Hines et Louis Armstrong en étaient déjà les rois, et peu après de
Benny Goodman. La descendance est riche. Chicago est enfin, sur le plan
musical, la ville qui compte une centaine de chorales religieuses, avec un
nombre d’obédiences sans égal aux Etats-Unis. Le fait religieux y est fort,
quelle que soit la religion; l’Islam, en particulier, y a son plus fort développement.
La dureté de la vie, du
travail, y a aussi créé une tradition de révolte, de force, qui a fait de ce pôle,
l’un des plus remuants politiquement, culturellement, religieusement des
Etats-Unis, et des plus radical en matière de combats pour les droits civiques.
C’est un représentant de l’’Illinois, Barack Obama, qui est le premier Président
des Etats-Unis d’origine africaine et américaine.
La vie culturelle est protéiforme,
et toujours particulière, avec une importante marginalité acceptée, et dans le
jazz-blues, très tôt dans l’après-guerre, des musiciens ont privilégié leur
ville plutôt que New York, encore à l’instar de ce qui s’est passé pour New
Orleans, un signe d’une forte identité culturelle au sens large de la mégapole
du nord. Chicago est toujours restée une étape importante de la reconnaissance
artistique aux Etats-Unis, en particulier sur le plan musical.
C’est dans ce contexte qu’ont vécu
les Freeman, et la famille Freeman, dans son ensemble peut être choisie comme
exemplaire de cette ville (George Freeman vient de faire la couverture du Chicago
Tribune). Le grand-père, George, policier de son état, joue du piano et
chante dans le registre de Bing Crosby; la grand-mère joue de la guitare et
chante parfaitement. A la maison, on héberge Louis Armstrong, l’ami de la
famille, lors de son arrivée puis de ses passages; on reçoit Earl Hines, Fats
Waller et Art Tatum… George amène le premier disque de Charlie Parker à la
maison. Les enfants vont évidemment en retirer le goût de la musique. Bruzz
devient batteur, Von saxophoniste et George Jr., ici présent, guitariste. Plus
tard, la troisième génération donne Chico Freman, le fils de Von, et on ne
connaît pas le reste de la famille, bien qu’on sache par ce disque que Mark
Freeman, le frère de Chico, n’est pas étranger au jazz. Cela rappelle encore
cette tradition familiale néo-orléanaise, et cet enregistrement Fathers
& Sons réunissant Ellis et Wynton Marsalis, Von et Chico Freeman. Comme
Ellis, Von et George sont restés dans leur ville de naissance, jouant le rôle
de passeur, de conservateur de la mémoire, mais également d’innovateur, de
professeur pour la nouvelle génération. Ils ont accueilli Charlie Parker que
toute la fratrie (Bruzz, Von et George) a accompagné, comme la plupart des
grands musiciens de passage, Lester Young, Coleman Hawkins, Coltrane, sans
aucun distingo générationnel. Chico, dans l’interview du Jazz Hot n°675
nous raconte sa détermination à jouer avec Elvin Jones, McCoy Tyner.
Leur manière d’aborder le jazz
n’est pas celle de New York ou de New Orleans. C’est un condensé de cette ville
où les racines les plus profondes (le blues, l’Afrique) jouxtent la modernité
la plus radicalement décalée (de Sun Ra à toutes les composantes de l’AACM créée
en 1965). On retrouve chez Von et George, et par ailleurs Fred Anderson (même génération)
qui n’ont jamais fait partie de l’AACM par choix, les caractères d’une musique
de recherche qui va devenir à l’AACM (à laquelle adhère Chico) un élément d’un
discours, parfois même d’un système pour certains. Ils sont dans l’esprit nécessairement
free de ce temps des Droits civils et de cette ville rebelle, sans adopter
l’esprit de système dont Chico est lui-même distant. Leur musique vient
toujours des racines, le blues y est une donnée essentielle, ce qui n’empêche
pas la liberté individuelle et la recherche de ce qui différencie, de ce qui
fait que chacun est unique.
Ce disque, construit comme une
rencontre familiale sur un trimestre (les photos dans la cuisine le disent
aussi), est ainsi une sorte de réunion de tout ce qui fait le caléidoscope
chicagoan, le beau son, les racines blues, africaines, la novation, le jeu, la
recherche, la famille au sens large, et la présence d’Harrison Bankhead (qui
nous gratifie d’un interlude à la Slam Stewart, basse et voix à l’unisson),
d’Hamid Drake, de Reto Weber indique encore que la famille chicagoane à
l’esprit large, et est toujours capable de se réunir, de proposer une synthèse
musicale, sans esprit de chapelle et avec ce grain d’originalité qui la rend si
précieuse (George est une rareté du jazz).
Le répertoire est composé
d’originaux de George (4), Chico (7), d’un standard («Angel Eyes») et
d’interludes (9) où la tension alterne avec la gravité, la sérénité ou la bonne
humeur, avec un thème ludique sans doute dédié à Mark Freeman, le frère («Marko»)
avec les voix de George et de la productrice en toute familiarité.
Une synthèse aussi de professionnalisme
et de vie quotidienne qui évoque encore le pôle sud du jazz, New Orleans.
Au-delà de la musique, cet
album, dédié par George à toute sa famille, et par Chico à Von et Ruby (sa mère),
est essentiel pour la leçon de sociologie musicale, ce qui ne nous étonnera pas
de ce personnage étonnant qu’est Chico Freeman qui cache derrière son art de
musicien, une joie de vivre et un rire éclatant, les attributs d’un excellent
professeur. Ses interventions lors de l’anniversaire de Jazz Hot, en
mars 2015, comme en de nombreuses autres occasions depuis 40 ans, témoignent
toujours d’un esprit aiguisé et particulièrement brillant, en matière de jazz
en particulier. Bon sang ne saurait mentir!
Jumeaux, Mister Jazz*, No
Blues°, Limelight, Old Trip, Argot, D’une étincelle, Atmosphère, Chuiquita José Fallot (b), Pierre
Olivier Govin (s), Franck Avitabile (p)°,
Renaud Palisseaux (p), Mike Stern (g)*, Etienne Brachet, (dm), Carole Sergent
(voc) Enregistré dans l’été 2014, Vannes (56) Durée: 47’08’’ Sergent Major Company 130
(EMI/The Orchard)
José
Fallot est un stakhanoviste de la musique. Né en 1955, il baigne très tôt dans
l’univers musical : son grand-père
maternel pratiquait le cornet à pistons, ses parents jouaient du piano. Au
début des années soixante-dix, attiré par les sonorités du British Blues il opte pour la six-cordes. Sa première formation
joue le répertoire des Stones et des Beatles, avec ungoût affirmé pour le jeu de Paul McCartney.
Il commence à s’intéresser au jazz, suit des cours avecYvon Gardette
(org) et Pierre Urban (g).C’est avec ce dernier qu’il commence à
«tourner». En 1987, il fait ses premiers clubs parisiens, passe à
la basse cinq puis six cordes, frettée ou non. Les tournées et festivals
s'enchaînent, notamment en compagnie de la chanteuse Carole Sergent, avec qui
il enregistre trois albums. Dans la
foulée,il produit des spectacles dont
un Tribute to Duke Ellington, avant
de devenir le bassiste du cirque Gruss. Il rajoute une nouvelle corde à son arc
en devenant programmateur (les Lundis Jazz et au Théâtre Montansier à
Versailles). Avec une telle expérience il se lanceenfin comme musicien leader et enregistre en
2009, Another Romantic. Le bassiste revient à la production
discographique avecun deuxième volume à
son opus de 2009. Entouré de ses fidèles musiciens de tournée, Pierre Olivier Govin
(s), Renaud Palisseaux (p) et Etienne Brachet, (dm),il s’adjoint aussi les services de Carole
Sergent (voc), Franck Avitabile (p) et Mike Stern (g). Le guitariste américain
apporte sa touche particulièrement flottante sur «Mister Jazz», dans
la foulée de la prestation de Pierre Olivier Govin, omniprésent. La chanteuse
se fait entendre de façon très subtile sur trois titres dont le très doux
«D’une étincelle». Quand au pianiste invité, il excelle dans l’art
de raconter une histoire («No Blues»).Le maître de Another Romantic vol.2 reste tout de mêmele bassiste qui charpente bien son projet par
une présence forte et mélodique de tous les instants. Renaud Palisseaux (p)
maintient un haut degré de prestation («Old Trip).L’entente avec son batteur reste de très bonne facture tout au long des neuf
plages qui constituent un bel album, dans une veine très traditionnelle aux
légers accents «fusion».
8
titres: voir livret Heinrich Von
Kalnein (ts-afl),Michael Abene (p) Enregistré
les 12 et 13 décembre 2014, Udine (Italie) Durée:
57’ 30’’ Natango Music 613-2 (www.natangomusic.com)
Le
saxophoniste-flûtiste Heinrich Von Kalnein a poursuivi une carrière pas tout à
fait jazz, mais il a travaillé avecle Vienna
Art Orchestra de 1996 à 2004, Le Jazz Big Band Graz et quelques pointures.Le
pianiste américain Michael Abene, né en 1942, est surtout compositeur et
arrangeur, ayant été le Chefdirigent du WDR Big Band of Cologne. Il a fourni
des arrangements à une foule de grosses pointures du jazz. Les voici
réunis en duo. Ils se sont rencontrés il y a une quinzaine d’années et ont
pensé qu’ils feraient un duo dans les vingt années à venir. Voilà, c’est
fait! Que dire? Les deux musiciens s’entendent bien, ont
manifestement du plaisir à partager leur musique, ils sont parfaits du point de
vue technique, mais de l’uniformité naquit l’ennui. Tous les morceaux ou
presque sont pris sur tempo moyen avec le même déroulement. Le saxophoniste
possède un son ample et chaud, il reste dans le médium et le grave, joue sans
fioritures, sans frime, mais hélas sans flamme, sans passion: c’est très
plan-plan. A la flûte il est d’essence classique. Seuls deux morceaux sortent
du lot: ««Sippin’ at Duke’s» avec un parfum Duke
Ellington, et «The Wind Cries Mary» d’influence blues et le
pianiste qui décolle un peu.
Dîner
flottant, Danse avec le vent, Fly On, Magic Mirror, The River of No Return,
Rainbow Shell, Tomettes et plafond haut, Paying My Dues to the Blues, Three
Rivers and a Hill to Cross, Ending Melody, Le Songe du papillon Perrine
Mansuy (p), Jean-Luc Difraya (perc, voc), Rémi Décrouy (g), Eric Longworth
(cello), Mathis Haug (voc) Enregistré en 2015, Solignac (87) Durée:
48’ 06’’ Laborie Jazz
28 (Socadisc)
Revoici
Perrine Mansuy pour son onzième disque avec un nouveau groupe plutôt original
et de très bionne facture. On retrouve les qualités de la pianiste, un son de
cristal où pointe la sonorité de Keith Jarrett, un phrasé limpide et aéré, la
richesse harmonique, et par dessus tout l’amour de la mélodie. La nouveauté
vient surtout de l’emploi du violoncelle, souvent à l’archet d’inspiration
baroque-romantique, ou pizzicato façon Oscar Pettiford, très sage ici, mais
essentiel. Dès le premier morceau «Dîner flottant» on entre dans le
nouveau son de groupe, avec toujours une belle mélodie au piano sur contrechant de
violoncelle, puis guitare et batterie occupent l’espace. Des
interventions vocales avec Mathis Haug sur «Fly on» plein de
charme, et Perrine dans les chœurs, le classique «The River of No Return»
pris rubato lent par le chanteur très crooner à la belle voix grave, accompagné
avec délicatesse par le piano; et encore «Paying My Dues To The
Blues» version personnelle du blues de la part de Perrine, où le chanteur
dévoile toutes ses possibilités vocales, un beau solo de piano puis la guitare
entre en jeu, ils finissent tous en chœur avec claquements de mains et quelques
vocalises de Difraya. Ils ont très bien payé leur dette au blues. «Rainbow
Shell» beau duo piano violoncelle à l’archet puis percussions et guitare,
un texte dit, tenues de guitare, le tout dans une riche et belle
harmonisation: morceau très prenant. L’art du trio n’est pas oublié avec
«Ending Melody» où l’entente et le partage piano, violoncelle et
batterie est parfait. Le disque se termine sur un duo piano violoncelle de
toute beauté.Un disque plein de charme, réjouissant, qui brise un peu les frontières
avec une fraîcheur roborative.
Donnerwetter,
Fragile, Sunday Pony Blues, Waves, Flugmodus, Hello, Cocaine, When You Breathe,
The Owl, Flying Leaves, Nicha’s Blues Nicole
Johänntgen (as, ss), Marc Méan (p), Thomas Lähns (b), Bodek Janke (dm), Nehad El
Sayed (oud), Amro Mostafa (duff, riq), Robertson Head (voc, g) Enregistré en
2015, Allemagne Durée:
1h 03’ 34’’ Household Ink
Records 149 (www.nicolejohaenntgen.com)
Pour son nouvel
album, la jeune saxophoniste allemande (voir notre interview dans ce n°675) frappe
fort et joue dans la cour des grands. Son mentor, Dave Liebman, ne tarit pas
d’éloge sur son exceptionnelle énergie ajoutant qu’elle joue comme si sa vie en
dépendait. Egalement compositrice elle est l’auteur de tous les morceaux de ce
CD sauf «Sunday Pony Blues». Le pianiste,
né en Suisse en 1985 n’est pas un inconnu chez nous, ayant participé au
Concours de la Défense en 1997 avec le groupe No Square; il fut à la tête
d’un très bon trio à partir de 2009. Le bassiste, né en Suisse en 1981, a joué
avec Dave Liebman, Greg Osby, Wolfgang Puschnig, Glenn Ferris. On le voit assez
souvent en France. Le batteur percussionniste est né en 1979 en Pologne dans
une famille de musiciens, il commença par le piano à l’âge de 3 ans, étudia la
percussion au conservatoire de Karlsruhe, et obtint un master au City College
de New York. Lui aussi a joué avec Dave Liebman, et beaucoup d’autres à travers
le monde, dont Olivier Ker Ourio (hca) en France. Voilà donc un quartet
européen avec des musiciens de la même génération, pour le meilleur. Dans son jeu de
saxophone Nicole Johänntgen est à la croisée de Charlie Parker, John Coltrane
et Jan Garbarek, pour la situer, non pour la comparer. A l’alto elle a un jeu
de ténor avec un gros son. Une maîtrise technique absolue, arrivant même à
jouer à l’alto la mélodie dans le suraigu comme sur «When You
Breathe». Au soprano c’est un son ample et généreux également, avec une
souplesse de phrasé remarquable. Le thème qui ouvre le disque «Donnerwetter»
(un orage avec des éclairs, en allemand) est très coltrannien avec le pianiste
endossant les habits de McCoy Tyner, d’ailleurs le thème aussi est
d’inspiration Coltrane, par contre le jeu du bassiste est très personnel. Et
puis une musicienne qui joue le blues comme ça, il faut la promouvoir. Elle est
fabuleuse en duo avec le contrebassiste sur «Nicha’s Blues», à la
fois dans la tradition et sa conception du genre, et un autre blues qui
décoiffe «Sunday Pony Blues» du guitariste invité Robertson Head,
inspiré de Charley Patton et J.J.Cale, arrangé par la saxophoniste: en
plein dans la tradition blues, mâtinée rock, déviée jazz, et mené tambour
battant par le guitariste chanteur; et la saxophoniste ne laisse pas sa
place. Robertson Head est né en Ecosse en 1956 (le vieux de la
bande!); il a fait partie de Thin Lizzy et Motörhead. On trouve une
série de morceaux très aérés, dans lesquels la musique respire, prend son
temps, laisse passer le lyrisme des mélodies comme sur «Cocaine»,«When You
Breathe», «Flying Leaves»,«The
Owl» avec pour ce dernier un épatant solo de piano les deux mains en contrepoint. A noter un
morceau particulier, un peu en dehors du jazz, avec en invité Nehad El Sayed,
au oud dont il apprit à jouer au Caire; il a obtenu un master de
composition et jazz à Berne. Il a beaucoup joué dans tout le Moyen Orient et en
Afrique du Nord, il fut l’invité de l’institut arabe à Paris. Ici, dans
««Flugmodus» il intervient magnifiquement, assez à la façon
d’Anouar Brahem; là encore la saxophoniste et la rythmique assistée par
Amro Mostafa au Duff et au Riq (des tambourins), font merveille; et ça
chauffe d’enfer.On l’aura compris, ce quartet devrait faire parler de lui, pour le
meilleurdu jazz.
Better Git
Hit in Your Soul, Wednesday Night Prayer Meeting, Cuernavaca, Devil Woman,
Eclipse, Strange Man, O.P., Ecclusiastics, For Lester, Goodbye Porkpie Hat Jacques Vidal
(b), Isabelle Carpentier (voc), Pierrick Pedron (as), Daniel Zimmermann (tb), Xavier
Desandre-Navarre (dm, voc), Nathalie Jeanlys (ss), Stéphanie Bowring (voc alto),
Allen Hoist (voc ténor), Thierry François (voc basse) Enregistréles 2, 3, 6 et 9 mai 2014, Paris Durée: 45’
34’’ Soupir
Editions 227 (Abeille Musique)
On connaît
l’amour et les affinités du contrebassiste Jacques Vidal pour la musique de
Mingus. On peut dire qu’il lui rend ici un bel et grand hommage avec six thèmes
de contrebassiste sur les neuf, les trois autres étant du leader. «Better
Git Hit…» joué façon blues/gospel nous met tout de suite dans l’ambiance.
Un autre morceau «Devil Woman» est pris avec bonheur lui aussi
blues-gospel avecle chœur des quatre
chanteurs. Le contrebassiste possède un gros son bien rond, et des attaques
nettes et tranchantes: un régal. Le tromboniste est de la race des
trombonistes d’Ellington avec quelque chose de Gary Valente, c’est dire!
L’altiste et le batteur sont au-dessus de tout soupçon. «Eclipse»
chanté par Isabelle Carpentier sur contrechant de trombone mélange les couleurs
Mingus/Ellington. «Strange Man» de Vidal, introduit par lui-même à
l’archet, mélange aussi les atmosphères Mingus/Ellington avec un solo d’alto
qui semble faire en passant un petit clin d’œil à Johnny Hodges.
«Ecclusiastics» sur un arrangement qui mélange Carla Bley et Mingus est
un chef d’œuvre avec l’échange trombone-altosur rythmique basse/batterie
pour terminer sur le chœur scat dans un chase
de grand cru, le tout là encore dans une ambiance gospel. Le disque se termine
par un hommage à Lester Young sur «For Lester» de Vidal avec une
intro basse archet de facture classique très expressive, une voix féminine dit
en français sur contrechant à l’archet un texte profond sur Lester
«Lester est mort et Mingus joue son dernier chorus…» qui s’enchaîne
avec un «Goodbye Porkpie Hat» (le chapeau de Lester) plein de
nostalgie, et un magnifique solo de l’altiste qui se termine avec le chœur très
Double-Six. Voilà comment
il faut interpréter la musique des anciens et le blues quand on veut les faire
revivre, et être soi-même.
Imaginant Miró, El Segador, Nocturn, Polaritats, Noia, Jacints i
Futbol, Van Gogh, Improvisació Serial, Dança Tribal, Caricies Sinusoidals, Espirals
Cósmiques
Ignasi Terraza (p, comp, arr), Horacio Fumero (b), Esteve Pi (dm)
Enregistré les 27 et 28 février 2014, El Vendrell (Espagne)
Durée: 46’ 59’’
Swit Records 17 (www.switrecords.com)
A l’occasion de l’exposition Joan
Miróà Washington (DC) en 2012, Ignasi
Terraza reçut la commande d’une composition évoquant l’œuvre du peintre
catalan. Etant aveugle depuis l’âge de 9 ans, avec l’assistance Carlota Polo, qui lui décrivit l’exposition,
il en transposa l’imaginaire dans sa musique. Il proposa sesTableaux d’une exposition
Miro en une poésie amoureuse imaginée par Ellington. Cet album, Imaginant Miró, présente un contenu musical très abouti de cette Suite de huit pièces avec introduction,
«Imaginant Mirò», transition, «Van Gogh», et
conclusion, «Duke’s Visit».Le livret fournit les explications qui, selon
le compositeur et le critique d’art, fondent sa création. La progression des
pièces comme l’agencement formel des mouvements en deux parties obéissent à un
souci de mise en cohérence à la fois esthétique et chronologique.Son langage à mutilpes sens fait référence à l’univers
poétique du peintre qui, depuis son arrivée à Paris au début des années 1920,
s’était rallié au Surréalismetriomphant dans les cercles intellectuels de la capitale française; il
invoquait le registre de l’imaginaire comme fondement de sa création.
Les cinq premières pièces obéissent rythmiquement aux exigences du
swing stricto sensu et harmoniquement
au jazz d’avant la mutation modale coltranienne; toutes ces pièces
traitent de tableaux réalisés avant 1940. Les cinq dernières, toujours très
ellingtoniennes, sont plus libres et commentent des tableaux réalisés
ultérieurement ou de facture plus abstraite que surréaliste. «Duke’s visit», une
mélodie pleine de Duke, est le terme de la visite solitaire, aussi nostalgique
que déférente, du Maestro au Maître de l’exposition. Elle prit souvent des
allures de voyages dans le temps. Réflexion musicale inspirée, ce chant superbe
joué presque adlibitum en piano solo est le retour méditatif du poète qui clôt sa
ballade.
La musique de Imaginant Miróest très belle. C’est même de la grande musique en ce qu’elle comporte
d’assimilation des héritages musicaux dont elle se réclame avec justesse. C’est
du jazz, du très beau jazz avec tous les ingrédients qu’on est en droit
d’attendre d’un compositeur et d’un musicien qui s’en réclame: swing,
feeling… et connaissance de la grande littérature de la musique
afro-américaine. Tous les musiciens sont à la hauteur de la tâche. Esteve Pi
(dm), que nous avons entendu très bon dans d’autres contextes, révèle ici des
qualités qu’on ne soupçonnait pas: énorme écoute et belle sensibilité au
service d’un art consommé des nuances. Le bassiste Horacio Fumero est la
découverte de l’album. Lui aussi contribue grandement à la réussite de cet
album. Quant à Ignasi Terraza… il est tout simplement exceptionnel. C’est un
vrai musicien, qui possède un art consommé de la composition. Cet artiste ne se
contente pas d’écrire la musique; il lui donne vie en l’interprétant avec
tout le talent que nous lui connaissions déjà pour celle des autres. Le
pianiste possède la technique et la musicalité des grands concertistes:
mise en place, clarté du toucher, respiration dans l’articulation du discours.
Après avoir enregistré Imaginant
Miró, au mois d’août 2014 à Jazz in Marciac, Ignasi Terraza avait
tenté de faire partager au public de l’Astrada,
son expérience de l’écoute de la musique dans le noir absolu. Jazz in the Dark avait bouleversé de
nombreux spectateurs qui en étaient ressortis bouleversés. Je ne doute pas que
la beauté de ces Tableaux d’une
exposition de Miro, qui invitent au voyage en poésie surréaliste, ne vous
émeuve tout autant.
When It's Sleepy Time Down South, Indiana, A Kiss to Build a Dream
on, My Bucket's Got a Hole in It, Tiger Rag, Now You Has Jazz, High Society
Calypso, When I Grow too Old to Dream, Tin Roof Blues, Yellow Dog Blues, When the
Saints, Struttin' With Some Barbecue, Nobody Knows the Trouble I've Seen,
Blueberry Hill, The Faithful Hussar, Saint Louis Blues, After You've Gone, Mack
the Knife Louis Armstrong (tp, voc), Trummy Young (tb), Joe Darensbourg
(cl), Billy Kyle (p), Bill Cronk (b), Danny Barcelona (dm) Enregistré le 24 avril 1962, Paris Durée: 1h 16’ 02’’ Frémeaux et Associés 5612 (Socadisc)
Ces plages ne sont pas inédites: en 1999, Europe 1 avait
donné une première édition (RTE 1001); et en 2002, Laserlight (17438)
avait proposé en Allemagne une réédition de cet enregistrement public. Elles n’en
sont pas moins importantes à plus d’un titre. Dans sa récente chronique
consacrée à Count Basie, Live in Paris.
1957-1962, Michel Laplace déplorait, fort justement, «l’abandon des
rééditions, après l’âge d’or des années 1990, outils indispensables à la "mémoire”».
En effet, ces faces sont le témoignage de la résistance du jazz à la tendance
uniformisatrice que les phénomènes de mode tentaient de lui imposer. Depuis la
fin de la guerre, au nom d’une modernité mal comprise et d’un dogme du progrès
pervers plus encore, cette musique subissait les effets de la tentative
hégémonique de la part d’une coterie au bénéfice d’un courant nouveau, le bebop
qui, pour être de qualité, n’en était pas moins aussi excessif qu’injustifié.
Ce concert enregistré établit que, résistant à cette dictature culturelle
ambiante, le public n’en continuait pas moins à recevoir cet art nouveau dans
toutes ses composantes et, notamment de la part d’un des ses créateurs, Louis
Armstrong. Depuis la fin des années 1940, Satchmo tournait en Amérique et
dans le monde avec une petite formation, Louis
Armstrong and His All Stars, qui proposait au public une anthologie de la
musique qui avait fait sa renommée mais aussi et surtout un échantillon du jazz
dont il était le créateur vivant. Au cours de cette période, les membres de
cette formation ont changé; il y eut Earl Hines, Barney Bigard, Jack
Teagarden, Cozy Cole, Arvell Shaw… Mais hormis le contrebassiste souvent
différent, depuis le milieu des années 1950, Trummy Young et Billy Kyle, ici
présents, furent des cadres permanents de l’orchestre; Joe Darensbourg et
Dany Barcelona arrivés en 1960 renforcèrent la stabilité du groupe. Le spectacle
était bien rôdé et le répertoire parfaitement maîtrisé. Sans être innovant, le
concert fut de belle facture, explorant pour une large part le style
Nouvelle-Orléans dont Louie était
l’emblématique représentant parmi les créateurs. Car les musiciens étaient au
diapason de leur leader, si tous n’avaient pas la renommée et le lustre de
leurs illustrissimes devanciers. La musique est belle. Elle se suffit à
elle-même. Le trompettiste de 61 ans, parvenu à une sorte de perfection
classique, joua «à sa main», sans jamais en rajouter. Le chanteur
avait conservé sa verve populaire authentique. C’est beau de simplicité. Dans
ces conditions, point n’est besoin de longs commentaires pour découvrir et
apprécier le jazz hot et le swing dont Louis Armstrong and His All Stars donnaient en ce 24 avril 1962 de
si brillants exemples. Louis
Armstrong, Live in Paris. 24 avril 1962 est un superbe album que Frémeaux
& Associés met à disposition de ceux qui n’eurent pas la possibilité de
voir et d’entendre cet immense artiste.
Poinciana, Reflection,
Over and Out, Chega de Saudade, Brilliant Corners, The Feeling of Jazz, In the
Know, Turquoise, Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face, Circus, Silver
Screen, Stranger in Paradise Dmitry Baevsky
(as), David Wong (b), Joe Strasser (dm) Enregistré
le 21 janvier 2014, New York Durée:
1h 09’ 00’’ Jazz Family 002
(Socadisc)
Dmitry Baevsky a, depuis 2004, produit cinq albums: Introducing Dmitry Baevsky (Lineage
Records, New York 2004), Some Other
Spring (Rideau Rouge, New York et France 2009), Down With It (Sharp Nine Records, New York 2010), The Composers (Sharp Nine Records, New
York 2011). Over and Out (Jazz
Family,New York, 2014) est son dernier
opus. Nous devons à Fabien Mary, qui le fréquente sur la scène new-yorkaise,
d’avoir fait découvrir ce saxophoniste brillant au public français, notamment
au Caveau de La Huchette au mois de
septembre 2010. Cet album est certainement le plus ambitieux de ceux qu’il a enregistrés.
La formule, sax/contrebasse/batterie, fait immanquablement référence à celle,
exigeante, de Sonny Rollins (ts) dans les années 1950 (avec Ray Brown, b, et
Shelly Man, dm; Donald Bailey, b, et Pete La Roca, dm; Wilbur Ware,
b et Elvin Jones, dm - 1957). Cubic’s Monk (ACT 9536-2, 2012) de Pierrick
Pédron avec Thomas Bramerie (b), Franck Aghulon (dm) s’inscrivait dans le même
esprit. Au-delà des trois pièces originales, «Over and Out», titre
éponyme de l’album, «In the Know» et «Silver Screen»,
compositions récentes (années 2012/2014), l’altiste se collette avec un
répertoire souvent joué par des musiciens qui en ont laissé des versions de
référence. Mis à part les deux titres «exotiques», «Poinciana» et «Chega
de Saudade», qui lui donne l’occasion de «chanter» son
improvisation comme l’y autorisent ces deux thèmes à la mélodie bien
charpentée, les autres faces empruntent aux classiques du jazz:un Ray Bryant un peu oublié de 1958, «Reflection»
bien venu, un de Monk «Brilliant Corners» (1956), deux d’Ellington
– un cosigné par Mercer – peu souvent repris «The Feeling of Jazz»
(1962) et «Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face» (1943), un
de Cédar Walton, «Turquoise»
(1967), un standard, «Circus»
(Louis Alter, Bob Russell – 1949) et une pièce classique de Borodine, «Stranger
in Paradise», remise au goût du jour dans les années 1950. Le programme
est équilibré. La musique est de qualité; jouée avec beaucoup d’aisance
et sans effet ostentatoire par des musiciens qui se connaissent et se font
confiance. Le trio tourne comme une horloge. Dmitry Baevsky possède une jolie
sonorité, très personnelle, et une technique parfaite (qui évoque par la
rigueur et la maîtrise le regretté Phil Woods). Le musicien connaît sa discipline:
les compositions sont équilibrées et dans la forme qui convient à l’album pour
sa cohérence et son unité. David Wong (b) qui travaille souvent avec le leader
joue un rôle essentiel dans la réussite de l’album; sa mise en place est
un plaisir tant il permet au soliste de liberté. Ses soli, de vraie contrebasse
dans la tessiture de l’instrument, sont simples et bien construits; ça
chante quand et comme il convient. Joe Strasser (dm) est d’une grande
discrétion tout en étant très présent et relançant avec beaucoup de finesse le
saxophoniste.L’album,
peut-être un peu austère pour le public actuel peu habitué à une attention
soutenue devant une musique exigeante, est de très bonne facture. C’est solide
avec quelques instants très libres de récréation qui laissent respirer
l’ensemble («Poinciana»). Ça swingue et ça chante avec les exigences de
la musique de chambre, sans bruit ni fracas («Stranger in
Paradise»). Over and Out comporte de vraiment beaux moments:
«Turquoise», de jolies phrases dans l’improvisation sur la
composition d’Antonio Carlos Jobim; et l’interprétation de «Tonight
I Shall Sleep With a Smile on My Face» est remarquable. Alors que
demander?
Live
Alone and Like It, There's a Lull in My Life, Estrellitas Y Duendes, Lazy
Afternoon, Three Little Words, T'es beau tu sais, Let's Get Lost, Samois à moi,
Nine More Minutes, Laverne Walk, That Old Feeling, Each Day*, Words Cyrille
Aimée (voc), Matt Simons* (voc), Adrien Moignard (g), Michael Valeanu (g), Sam
Anning (b), Rajiv Jayaweera (dm) Enregistré
en 2015, New York Durée:
42’ 15’’ Mack
Avenue Records 1097 (Harmonia Mundi)
Après
It’s a Good
Day (qui
succédait à plusieurs autoproductions, dont deux chroniquées dans Jazz Hot n°667), Cyrille Aimée propose
son second album chez Mack Avenue, Let’s Get Lost, enregistré au Flux Studio de New
York. Comme la plupart des disques actuellement enregistrés par les chanteuses,
le programme est varié; sur la structure maîtresse de quelques standards
de Tin Pan Alley des années 1930 et 1940 («There's a
Lull in My Life», «Lazy Afternoon», «Three Little Words»,
«That Old Feeling» et le titre éponyme, «Let's Get Lost»),
s’agrègent quatre pièces personnelles («Samois à moi», «Nine
More Minutes», «Each Day» et «Words»), une
chanson de Broadway («Live Alone and Like It»), une rumba caraïbe
(«Estrellitas Y Duendes), une jolie mélodie de Georges Moustaki sur des
paroles bien tournées d’Henri Contet. Et pour conserver une certaine jazzité
d’ensemble à ce patchwork musical, un duo voix/contrebasse sur une composition
écrite à Paris en 1958 par Oscar Pettiford, «Laverne Walk»
(originalement «Montmartre’s Blues»). La
chanteuse, qui a découvert le jazz à Samois, en a conservé l’ambiance;
elle a choisi de se faire accompagner par un trio de cordes (deux guitaristes
et un contrebassiste) et un batteur. Le ton d’ensemble est original et tranche
dans le monde des chanteuses de jazz en général sur la formule
piano/basse/batterie. Le résultat est dans l’ensemble agréable à entendre.
Chanteuse de son temps, Cyrille Aimée interprète des chansons dont la musique
est rythmée; ce n’en est pas pour autant toujours ce qu’on est en droit
de qualifier de jazz: la rumba, le merengue, la habanera, formes
musicales qui ont engendré quelques chefs d’œuvre, n’appartiennent néanmoins
pas à la même syntaxe. La chanteuse possède la voix gracile d’une adolescente,
voire un peu nasillarde d’enfant qu’elle semble parfois cultiver. Le lolitisme n’est pas que
littéraire…Elle est en tous cas accompagnée par de très bons musiciens
qui lui déroulent un tapis; leur musique travaillée fait un bel écrin. Et
le guitariste Adrien Moignard y apporte un plus avec sa couleur Django. Le
label américain Mack Avenue semble ainsi s’être fait une spécialité des
chanteuses françaises: après la révélation Cécile McLorin
Salvan, voici Cyrille Aimée.
Toutes les deux ont la particularité de posséder une double culture, ce qui
leur a conféré une grande capacité d’adaptation à la culture mondialisée de
notre temps. Cyrille Aimée est le versant éclairé de la face sombre et
certainement plus enracinée de Cécile. A découvrir.
You
Made a Good Move, Change Partners, Lover Come Back to Me, The Boy Next Door,
Bring Enoug Clothes, After You've Gone, It's a Sin to Tell a Lie, Social Call,
Get out of Town Champian
Fulton (voc, p), Cory Weeds (ts), Jodi Proznick (b), Julian MacDonough (dm) Enregistré
les 1er et 2 mai 2014, Edmonton (Canada) Durée:
1h 02’ 36’’ Cellar
Live 050114 (www.cellarlive.com)
Champian Fulton After Dark
Ain't
Misbehavin'*, That Old Feeling, What a Difference a Day Made, Blue Skies*, Keepin'
out of Mischief now, A Bad Case of the Blues*, Travelin' Light*, Mad About the
Boy, All Of Me, Baby Won't You Please Come Home, Midnight Stroll Champian
Fulton (voc, p), Stephen Fulton* (tp, flh), David Williams (b), Lewis Nash (dm) Enregistré
le 17 août 2015, Paramus (New Jersey) Durée:
54’ 30’’ Gut
String Records 022 (www.champian.net)
En
2012, le public de JazzAscona avait découvert une jeune pianiste-chanteuse de
27 ans, Champian Fulton, qui faisait l’une de ses premières apparitions sur le
Vieux continent. Fille du trompettiste Stephen Fulton, un proche de Clark
Terry, elle était attendue avec curiosité par les amateurs qui ne mirent pas
longtemps à reconnaître son talent. La demoiselle a depuis fait du chemin et
passe par Paris chaque printemps. Son
album Change Partners (sorti l’année dernière) correspond à la
sélection de neuf moments des deux concerts donnés par la pianiste dans le club
du saxophoniste ténor et producteur de Cellar Live, le canadien Cory Weeds, The Yardbird
Suite, installé dans la capitale de la province
de l’Alberta, Edmonton. L’artiste construit son programme autour des songs qui lui
fournissent matière à chanson. Les pièces de jazz proprement dites, («You
Made a Good Move» de Frank Wess, «Bring Enoug Clothes» de Stephen
B. Fulton, «Social Call») sont en revanchetraitées en tant
qu’œuvres de musique. Elle ouvre d’ailleurs son album avec une pièce totalement
instrumentale, celle de Frank Wess avec lequel elle eut souvent l’occasion de
se produire au début de sa carrière. La composition de son père, dans la
tradition du bop, est aussi totalement instrumentale. C’est l’occasion de
l’entendre dans un style pianistique qu’on lui connaît moins dans ses
concerts; alors qu’habituellement sa manière est classique, empruntant à
Garner parfois, elle évoque, dans ce thème, Red Garland surtout dans la façon
d’utiliser les blocks chords. C’est dans la composition de Gigi Gryce,
avec les paroles de Jon Hendricks qu’elle réalise la forme la plus aboutie de
son projet musical, associant chant et musique dans un esprit
«lied». Elle est bien entourée, tant par Cory Weeds, un ténor bien
dans l’esprit de sa musique, que par le reste de la rythmique; le batteur
joue bien et «fait ce qu’il faut et ce qu’il doit». La
contrebassiste, Jordi Proznicki est parfaite. Un
an plus tard, avec After Dark, le ton
d’ensemble est différent, plus orienté production commerciale. Il n’en est pas
moins agréable, sinon plus travaillé. Comme dans le précédent, nous retrouvons
la part de songs
de Tin Pan Alley («That Old Feeling», «What
a Difference a Day Made», «Blue Skies», «Mad About the
Boy», «All Of Me»), qui permet à la chanteuse d’œuvrer avec
un certain talent dans son dialogue avec le piano, ne manquant jamais d’évoquer
quelques versions rendues célèbres par quelques grands – «That Old
Feeling», manière Garner bien exécutée ou «What a
Difference», dans un accompagnement façon King Cole à l’articulation des
phrases. Cependant les autres pièces, plus enracinées dans la tradition du
jazz, lui permettent de faire valoir ses qualités de chanteuse-musicienne et de
pianiste nourrie et avertie de la littérature du jazz. Sa composition, «Midnight
Stroll», un blues bien assis en piano solo, est une bonne illustration de
cet héritage. C’est dans les thèmes walleriens, dont elle a parfaitement
assimilé les subtilités, qu’elle est le plus à son affaire, et qu’elle relit de
manière ludique en traitant son instrument dans l’esprit Hank Jones (Ain’t Misbehavin, 1978). Dans
cet opus, la jeune chanteuse s’essaie à reprendre des thèmes interprétés par
Dinah Washington qu’elle semble particulièrement apprécier: «Baby
Won't You Please Come Home» ou « (I’ve Got) a Bad Case of the
Blues» (version Mercury 1959) en attestent. Néanmoins sa tessiture de
voix ne semble pas convenir à cet objectif; son amplitude comme sa
puissance ne lui permettent pas de transcrire la dramaturgie des textes;
alors qu’elle s’en acquitte fort bien musicalement, avec beaucoup de réussite
même. Sur quatre faces de l’album, Champian a invité son père, Stephen Fulton.
Son style très lyrique constitue un très bon contrepoint à sa voix
(«Ain’t Misbehavin’» ou «A Bad Case of the Blues»). Ses
soli sont également de très belle facture, que ce soit en medium tempo
(«Blue Skies», «A Bad Case of the Blues») où le
musicien laisse à ses notes tendrement voilée la totale liberté d’emplir l’espace
qu’en tempo soutenu («Travelin’ Light») où sa filiation avec Clark
Terry devient indubitable. Plus que tout, c’est la complicité musicale entre
père (parfois intimidé) et fille (qui s’affirme avec et contre lui) qui fait
plaisir à entendre. Au-delà de ce duo à l’intérieur de l’album, qui lui donne
une couleur particulière, c’est la qualité de la section rythmique qu’il
convient de souligner. Que ce soit David Williams ou Lewis Nash, Champian a
choisi deux merveilleux musiciens qui excellent dans cette fonction
d’accompagnateur qui exige présence et discrétion à la fois. Par ailleurs, ils
sont aussi brillants solistes (à l’archet sur «Blue Skies» oupizzicato sur«All of Me» DW;
4/4 de LN sur «Travelin’ Light»). Leur mise en place est un modèle
du genre. Change
Partnerset surtout After Darksont deux très bons albums
de jazz. Et si Champian Fulton n’entre pas dans la catégorie des légendes
vocales, la chanteuse livre un résultat impeccable. En revanche, la pianiste a
un vrai talent: c’est plus qu’agréable à écouter!
Whirlybird,
Little Pony, Corner Pocket, Lovely Baby, Bleep Blop Blues, Nails, The Kid from
Redbank, Well, Alright, OK, You Win; Roll’ Em Pete, Gee, Baby Ain’t I Good to
You, One O’Clock Jump, Shiny Stockings, H.R.H. , A Little Tempo Please , Makin’
Whoopee, Who Me, In a Mellow Tone, Blues
in Hoss’ Flat, Splanky; Segue in C, Why Not, Easy Money, Vine Street Rumble,
Discomotion, Mama’s Talking Soft, Jumpin’ at the Woodside, Easin’ It, Basie, Lil’
Darlin’, Toot Sweet, You’re Too Beautiful, Bleep Blop Blues, April in Paris,
The Song is You, Stella by Starlight, Cute, I Needs to Be Bee’d With, Nails,
The Blues, One O’Clock Jump Count
Basie (p), Wendell Culley, Snooky Young, Sonny Cohn (tp1), Joe Newman, Thad
Jones, Al Aarons (tp), Henry Coker, Benny Powell, Al Grey, Quentin Jackson
(tb), Marshall Royal (as1, cl), Frank Wess (as, ts, fl), Frank Foster (ts, cl),
Eddie Davis, Billy Mitchell (ts), Eric Dixon (ts, fl), Charlie Fowlkes (bs), Freddie
Green (g), Eddie Jones (b), Sonny Payne (dm), Joe Williams, Irene Reid (voc) Enregistré entre le 9 novembre 1957 et 5 mai 1962, Paris Durée: 2h 33’ 32’’ Frémeaux & Associés 5619 (Socadisc)
L’auteur de ces lignes déplore l’abandon des rééditions, après l’âge d’or des années 1990, outils indispensables à la «mémoire» et aussi à l’éducation des plus jeunes qui n’abordent de nos jours ce qu’ils croient représentatif d’un genre que par les nouveautés, dernières émanations pour l’essentiel éloignées du cœur du sujet. Peut faire le même office, la sortie, comme ici, d’inédits des maîtres qui outre les mêmes nécessités, combleront aussi les «jazzfans» chevronnés (du moins, ce qu’il en reste). Voici donc d’inespérés trésors que nous devons à Frank Ténot, Daniel Filipacchi et Norman Granz, enregistrés en direct à l’Olympia (onze des quinze titres des 9 et 12 novembre 1957 -quelques jours après la mise en boîte de l’album historique Atomic Basie- et vingt morceaux du 5 mai 1962 –tout le CD2) et au Palais de Chaillot (neuf titres, 29 mars 1960), grâce aux équipes techniques de la radio Europe 1 (pas terrible en 1957). Lorsqu’il célébra les 25 ans de l’orchestre, en 1960, Count Basie (1904-1984) était au sommet de sa popularité internationale. C’est plus que de l’éducation que ce genre de disques permet, c’est de la rééducation des oreilles (et du cerveau) sur ce qu’est la nature même du swing. L’arrivée exubérante de Sonny Payne, qui surclasse son bon prédécesseur Gus Johnson, y est pour beaucoup. Pour Basie: «Comment swinguer? C’est la façon de jouer qui fait tout» (livret). En plus, l’orchestre Basie, à toutes ses époques et surtout celle-là, est une constante démonstration du jeu décontracté (même dans l’effervescence), agrémentée d’une parfaite maîtrise des dynamiques (exemple: la fin de «Segue in C»), des contrastes entre les pupitres. L’écoute des amateurs (parfois chevronnés) comme des consommateurs de jazz, trop soumise à la performance des solos (l’improvisation n’est qu’un plus, et non un but), passe donc souvent à côté d’un intérêt primordial de l’art des grands ensembles, celui de l’orchestration (d’où l’importance des arrangeurs comme Neal Hefti, Ernie Wilkins, Buster Harding, Frank Foster, Thad Jones, Quincy Jones, Benny Carter). Le plaisir de l’auditeur doté d’une bonne oreille éduquée est de percevoir au-delà d’un résultat sonore global, tous les détails de traitement du son et du rythme, pupitre par pupitre, voir des alliages (exemples: passages de flûte et trompettes avec des sourdines différentes dans «Segue in C»; background au solo de basse dans «Mama’s Talking Soft» par deux flûtes –Wess et Dixon-, clarinettes –Royal et Foster- et clarinette basse –Fowlkes-; stop chorus écrit pour la section de trompettes dans «Discomotion»). On regrette donc que le livret ne donne pas le nom des arrangeurs qui le méritent autant que chaque musicien exécutant, artisan de pupitre comme artiste soliste. Chez Basie tout porte à l’excellence collective que le «live» préserve autant que la technicité en studio. Il est dommage aussi que les noms des solistes ne soient pas mentionnés, car Basie ne les annonce que rarement (Frank Foster, ts, dans «Little Pony»; Eddie Jones, b, dans «Nails» dont le solo est truffé de citations en 1957 comme en 1962 –même band vocal–) et il est douteux qu’aujourd’hui un nouveau venu sache identifier tel trompettiste même au jeu considéré, hier, comme personnel (exemple: Snooky Young, au style swing et percutant avec plunger dans «Who Me»). L’album Atomic Basie, d’octobre 1957, sur des arrangements essentiels de Neal Hefti («Lil’ Darlin’», «Splanky», etc.), pour le label Roulette nouvellement lancé, marqua une nouvelle étape pour cet orchestre qui disposait d’une belle phalange de solistes (Joe Newman, tp, Henry Coker, tb, Eddie Lockjaw Davis, ts), de premiers pupitres (Wendell Culley et Snooky Young, tp, Marshall Royal, as) et d’une rythmique de rêve (Basie, Freddie Green, g, Eddie Jones, b, Sonny Payne, dm) pour son image de marque, le swing. Peu après celui de Duke Ellington (à Newport en juillet 1956, avec notamment les 27 chorus de Paul Gonsalves sur Diminuendo in Blue and Crescendo in Blue), le grand orchestre de Count Basie ressurgit donc sur le devant de la scène jazz internationale, prouvant s’il en était besoin (pour les Hodeir et disciples en tout cas) que la nouveauté n’a nul besoin de renoncer à la raison d’être d’un genre expressif. A cette même époque charnière 1956-57, Dizzy Gillespie aussi dirigeait un excellent big band, mais il ne s’imposera pas durablement contrairement à celui de Count Basie qui a, avec succès, chez les solistes, joué l’assimilation/intégration d’une approche bop (Thad Jones, tp, Benny Powell, tb, Frank Foster, ts-cl-arr, Frank Wess, as-ts-fl –ces deux derniers recommandés à Basie par Billy Eckstine). Remarquons la stabilité du personnel en 1957-62, clé d’accès à la perfection, pour la rythmique et pour la section de sax à un ténor près (Lockjaw Davis en 1957, puis Billy Mitchell -1960- et enfin Eric Dixon, également flûtiste -1962-). Celle-ci est menée par le premier alto «chantant» Marshall Royal. Sa sonorité donne la couleur et la personnalité de toute la section («Lovely Baby» -où le baryton de Charlie Fowlkes donne du poids-, «One O’Clock Jump» -générique de fin de concert-, «H.R.H», «Easy Money», «April in Paris», etc.). Marshall Royal, musicien de culture classique, était directeur musical, et Count Basie se reposait sur lui. Si Count Basie aimait singulièrement son équipe de 1957 («Quand on avait Joe Newman, Thad Jones, Snooky Young et Wendell Culley là-haut dans la section de trompettes, on était tranquille», in Good Morning Blues, p43 –section malheureusement desservie ici par l’enregistrement: «Bleep Blop Blues», CD1-Joe Newman, tp solo et très difficile passage pour la section menée par Snooky Young), le prélude à sa renaissance est déjà dans l’album April in Paris pour Verve (enregistré les 26 juillet 1955 et 4 janvier 1956) dont des morceaux se sont inscrits durablement à son répertoire et que nous retrouvons ici en 1957 («Corner Pocket» de Freddie Green, arrangé par Ernie Wilkins, donne à entendre Thad Jones –qui reprend la citation de «Cherry Pink» comme dans le disque- et Frank Wess), en 1960 («Shiny Stockings» avec un solo bop de Thad Jones, le piano économe du chef et des breaks de Sonny Payne) et en 1962 («April in Paris», arrangé par Hefti avec sa célèbre fausse coda). On constate qu’au cours des deux concerts de 1957, deux titres seulement viennent de l’Atomic Basie: «Whirly-Bird» (où, concurrence du syndrome Ellington/Gonsalves, Eddie Lockjaw Davis fait monter la «sauce») et «The Kid From Red Bank» bien sûr pour le piano de Basie en vedette (on notera les riffs de trompettes en détaché, et la coda qui prouve que sans un 1er trompette et un batteur de classe il n’y a pas de bon big band)! En 1960, il joue encore «Splanky» de Thad Jones (thème en appel-réponse des sections de cuivres et de saxophones, solo véhément de Billy Mitchell, ts, et les trois notes du chef en clôture). En 1962, l’incontournable «Li’l Darlin’» d’Hefti d’Atomic Basie est toujours là, avec son solo de trompette écrit, souvent assumé par le premier pupitre (qui rappelons-le n’est pas le soliste attitré qui le plus souvent est 2e à 4e pupitre, mais le meilleur technicien de l’équipe, pas forcément bon improvisateur, responsable de l’esprit musical à donner à l’ensemble) et qu’une multitude de trompettistes professionnels et amateurs, de par le monde, ont joué et rejoué note pour note. Ce solo créé en 1957 par Wendell Culley (avec la sourdine harmon avec tube et du vibrato) fut repris, comme ici (librement), par Sonny Cohn qui a remplacé Culley dès 1960. Basie aimait beaucoup Joe Williams qu’il présenta dans un album de 1955 Count Basie swings–Joe Williams Sings (Barclay GLP 3561) et qui deviendra une vedette auprès du grand public. Joe Williams, inspiré par Big Joe Turner et Billy Eckstine, chante juste, avec une bonne diction et un certain swing. Il apparaît ici dans trois titres: «All Right Okay You Win» qui lui convient bien, «Roll ‘Em Pete» (solo de Frank Wess, ts), deux blues, et le «Gee, Baby» de Don Redman (1957). C’est Quentin Jackson qui a remplacé Al Grey, parce que «Base» voulait qu’il y ait toujours un spécialiste du plunger dans la section de trombone. Et Quentin Jackson nous donne là de belles démonstrations: «Makin’ Whoopee», «Segue in C» (qui vaut aussi pour le véhément sax ténor au son charnu, Billy Mitchell). Quentin Jackson dispose d’excellents collègues de pupitre bons solistes: le bopper Benny Powell («A little Tempo Please») et surtout Henri Coker, puissant («In a Mellow Tone» où il débute sur des notes pédales; «Blues in Hoss’ Flat», morceau de Basie et Foster pour l’album Roulette Chairman of the Board de 1958, rendu célèbre par le sketch de Jerry Lewis, avec ici un Snooky Young, méchant et growleur avec le plunger). On ne compte plus les big bands qui ont joué «Cute» de Neal Hefti destiné à mettre en valeur le batteur et lancé par l’album Basie Plays Hefti (avril 1958, Roulette Records R52011). Mais rares sont ceux qui avaient un artiste comme Sonny Payne aux balais (ici, en 1962 –Frank Wess, fl-). Bien entendu les critiques conventionnels n’en avaient que pour Max Roach et Art Blakey (qui sont passés en 1956-57 par un sommet dans leur genre), sans porter assez attention à Sonny Payne, un transfuge de l’orchestre Erskine Hawkins qui a beaucoup joué au Savoy pour les danseurs. Il swingue de façon directe, intense. Un atout de Basie est dès lors le jeu furieux de Sonny Payne à la fin de nombreux titres («Lovely Baby» -notez le «shake» du premier trompette-, «In a Mellow Tone», ««Splanky», «Bleep Blop Blues», etc). En 1962, Count Basie mélange vieux succès («Jumpin’ at the Woodside» -bon solo avec citations de Frank Foster-) et nouveautés du moment tirées de The Music of Benny Carter (7 septembre 1960, Roulette 52056) et From the pen of Benny Carter (2 novembre 1961, Roulette 52086), respectivement «Vine Street Rumble» (en vedette: le Count et Eric Dixon, disciple de Paul Gonsalves) et «Easy Money» (solos de Thad Jones et Benny Powell). Dans «Toot Sweet», on retrouve les préoccupations d’alliage sonore présentes dans l’album Impulse! The Kansas City 7 (mars 1962): la trompette avec sourdine de Thad Jones et la flûte de Frank Wess (ils sont aussi solistes dans «Why Not»). Dans «Easin’ It» de Frank Foster, toute la section de cuivres est à l’honneur (alternatives, dans l’ordre: Henry Coker, ouvert, Quentin Jackson, plunger, Benny Powell, sourdine soft, puis Al Aarons, Sonny Cohn, Snooky Young, Thad Jones). Le méconnu Eric Dixon (1930-1989) est soliste dans «Basie» d’Ernie Wilkins et dans la ballade «You’re Too Beautiful» (influence de Ben Webster). Quentin Jackson (plunger) est soliste dans «I Need to Be Bee’d With» de Quincy Jones (qui vaut aussi pour Basie) et en contre-chant d’Irene Reid dans «The Blues» (lent), tandis que le bopper Benny Powell est en vedette dans «The Song is You», un standard qui a pour pendant «Stella by Starlight» pour un remarquable trompette concurrent d’Harry James en Sonny Cohn (vibrato, beaux aigus!). Cette nouveauté, puisqu’il s’agit d’inédits, intéressera les jazzophiles vétérans qui retrouveront les principes de leur formatage (et l’ambiance des concerts du Count), mais aussi les apprentis batteurs, les orchestrateurs et ceux qui aiment que ça swingue de façon ludique sans chercher, contrairement à cette chronique, à savoir qui fait quoi.
Jeb
Patton (p), D. Wong (b), Lewis Nash (dm), Albert Tootie Heath (dm) + Elena Pinderhugues (fl), Michael
Rodriguez (tp), Dion Tucker (tb), Dmitri Baevsky (as), Pete Van Nostrand (dm) Make Believe, Gigi, Rise
& Fall, Cool Eyes, Orpheo’s Wish, Holy Land, Hidden Horizons, I’ll Be Around,
Foreign Freedom, Violets for Furs, Juicy Lucy Enregistré
en 2014, New York Durée: 1h 03’ Cellar Live 010515 (www.cellarlive.com)
Même
s’il a dépassé la quarantaine Jeb Patton est pour nous une découverte. Nous
sommes face à un brillant pianiste qui, tout en ayant un toucher moderne, joue
un jazz ancré dans la tradition et avec le swing. Jeb tire ses connaissances
des enseignements de Sir Roland Hanna. Les prestations en trio offrent un grand
dynamisme et mettent en évidence toutes les qualités de Patton:
virtuosité sans effet inutile, percussivité. Son jeu main droite déborde de
vivacité. Jeb offre pour ce travail en trio notamment deux excellents thèmes de
Horace Silver et un de Jerome Kern. Ses partenaires, s’inscrivant parfaitement
dans le travail de Jeb, sont économes en soli mais dans ce domaine Nash est
excellent sur «Cool Eyes». Patton sait aussi se montrer maître dans
la ballade comme il le fait savoir sur «Violets for Furs». On doit
noter également que le trio joue de la même manière que ce soit Nash ou
«Tootie» qui manient les baguettes. Les cinq compositions personnelles révèlent également les possibilités du
pianiste dans cet art. Il y inclue trompette, flûte, saxo ou trombone. Sur
«Gigi», «Rise and fall» et «Orpheo’s wish»
on relève la présence de la flutiste Elena Pinderhugues. Une petite vingtaine
d’années et un grand talent. Si elle est ici à disposition du pianiste(avec un beau solo sur le dernier de ces thèmes);
en d’autres circonstances on peut l’entendre exprimer pleinement toute sa
classe. Elle a déjà côtoyé quelques pointures comme Hancock, Barron, Spalding,
«Maraca», Redman… Le trompettiste Michael
Rodriguez rejoint les partenaires de Patton dès que la géométrie du groupe
dépasse le trio. C’est un bon interprète qui, dans un solo, se hisse à la
hauteur de son leader; il est époustouflant sur «Hidden
Horizons». Dion Tucker (tb) s’incorpore à la formation sur plusieurs des
compositions de Jeb, ainsi que Dmitri Baevsky (as) sur «Foreign
Freedom» ce qui transforme sur ce thème la formation en un beau quintet. On
notera que sur quatre des cinq compositions de Jeb Patton les batteurs attitrés disparaissent au profit
de Pete Van Nostrand et que le bon contrebassiste David Wong est présent sur l’ensemble
des titres.
Antonio
Adolfo (p), Marcelo Martins (fl, ss), Leo Amuedo (elg), Claudio Spiewak (g), Jorge
Helder (b), R. Barata (dm, perc), Armando Marçal (perc) Alegria for all, Natureza,
Phrygia Brasileira, Sambojazz, Alem mares, Sao Paulo Express, Todo dia, Trem da
Serra, Melos, Variations on a Tema Triste Enregistré
à Rio de Janeiro (Brésil), date non précisée Durée: 52’ AAM Music 0708 (www.aammusic.com)
Antonio Adolfo a exhumé plusieurs de ses travaux de la fin des années soixante,
pour certains en collaboration avec Tiberio Gaspar, Xico Chaves. Il les a, cinquante
ans après, à la lumière de la maturité, retravaillés, réarrangés, transformés
en versions instrumentales et enregistrés avec des musiciens actuels. On est dans l’ensemble en présence de versions
qui prennent leur liberté face à la MPB
qui nous est bien connue comme le «Phrygia Brasileira»
inspiré pourtant du folklore. Antonio Adolfo est un excellent pianiste au style
très percussif comme le montre «Sambo Jazz». Sur ce dernier thème
il s’adjoint les percussions de samba offertes pas Hugo Sandim.
Le disque recèle d’autres bonnes plages à l’image de «Alegria for
all», «Sao Paolo Express» ou encore «Trem da
Serra». Parmi ses excellents partenaires signalons le très bon travail
des percussionnistes et l’interprétation de Leo Amuedo (elec.g) sur «Sao Paolo Express» et
«Sambo Jazz» auquel se joint celui qui au long du disque tient la
guitare acoustique, Leo Spiewak, pour ce dernier thème à la basse électrique.
Quant à M. Martinez nous le préférons nettement au saxophone soprano plutôt qu’à
la flûte.