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Duarte Mendonça dans son bureau © Serge Baudot

Duarte MENDONÇA


Estoril Jazz: Fin de partie!


Pour conclure le compte rendu d’Estoril Jazz 2015 (cf. notre rubrique Festivals), j’écrivais: «Qu’en sera-t-il de l’avenir de ce festival mythique et fondateur du jazz au Portugal ? Duarte Mendonça, contre vents et marées, reste optimiste, et prépare déjà la saison prochaine. Reste à souhaiter que les Mânes du jazz lui soient favorables.»

Hélas!, comme pour La Seyne-sur-Mer, elles ne l’ont pas été. Pas même une aide pour un seul concert afin d’honorer dignement cette épopée d’une vie consacrée au jazz. J’ajoutais: «On ne comprend pas que les édiles et les instances officielles n’aient pas l’ambition de défendre et d’aider ce festival qui fait partie du patrimoine portugais. Les générations passent, la mémoire s’efface, de plus en plus vite, hélas!» L'Europe de demain, c'est aussi ce monde sans mémoire et sans cœur que la Communauté européenne des technocrates organise avec un mépris total de la dimension culturelle, sociale et humaine.

Duarte Mendonça, cet homme chaleureux, généreux, ambitieux pour son pays, efficace dans ses entreprises, aurait mérité une dernière reconnaissance officielle pour l’œuvre accomplie. On a préféré laisser ce festival disparaître dans l’indifférence totale et le mépris des pouvoirs publics ou privés. Ceux qui ont connu ce festival ne l’oublieront pas. Jazz Hot, présent régulièrement depuis des années, le garde à jamais dans la mémoire de ses pages…

Serge Baudot
Texte et photos


© Jazz Hot n°676, été 2016


Duarte Mendonça entre Dave Holland et Kenny Barron © Serge Baudot



Duarte Manuel Sarmento de Mendonça, plus connu sous le nom de Duarte Mendonça, est né à Lisbonne en 1931. Il fut un amateur de jazz dès 1944 par son immersion dans la «Big Band Era» avec des orchestres comme Glenn Miller, Tommy and Jimmy Dorsey, Harry James, Count Basie, Duke Ellington, puis le Boogie Woogie avec Pete Johnson/Albert Ammons et Meade Lux Lewis. Peu de temps après, il a découvert Miles Davis, Stan Getz, Dizzy Gillespie, Sonny Rollins, Thelonious Monk, Bud Powell, Art Blakey, Clifford Brown et tous les «Be-Bop Jazz Giants», le bebop restant sa période de prédilection.

C’est en 1974 qu’il devint, avec son mentor Luis Vilas-Boas, co-producteur de Cascais Jazz qui deviendra ensuite sous sa direction Estoril Jazz: Jazz on a Summer Day, en 1989. Il est aussi musicologue, conseiller artistique, producteur et promoteur de concerts et de festivals au Portugal sous la dénomination Projazz/DMProduçoes.

Duarte Mendonça a été l’un des pionniers du développement du jazz au Portugal, notamment à Cascais (qui jouxte Estoril), un lieu historique, car en novembre 1971 s’y est déroulé le premier festival de jazz au Portugal, qui apportait une grande bouffée d’air frais dans le marasme culturel de ce pays étouffé sous la dictature salazariste depuis 1932 –et après Salazar, mort en 1970, ce fut pire avec Caetano. Il a fallu la Révolution des Œillets du 25 avril 1974 pour que les Portugais retrouvent leur liberté. Donc pendant trois ans ce festival de Cascais a été un îlot de résistance, la foule (plus de 10000 personnes) venait s’y défouler en jazz. Il y eut d’autres personnages important pour le développement du jazz au Portugal dont Luis Vilas-Boas déjà cité et Jose Duarte entre autres, et Duarte Mendonça porta haut le flambeau des concerts publics, et continua  jusqu’en 2015 à produire ce bijou de festival qu’était Estoril Jazz.

M. et Mme Mendonça at Home © Serge Baudot


Tout n’a pas été rose dans cette longue carrière. A 85 ans, Duarte ne songeait pas à s’arrêter; il aime trop le jazz, le contact avec les musiciens, et l’action.

Un petit budget, une entreprise familiale avec sa femme qui le soutient et l’aide concrètement, ainsi que ses enfants qui se partagent les diverses et lourdes tâches inhérentes au bon déroulement des journées festivalières, avaient suffi pour en arriver à cette réussite. Avec, bien sûr, des aides financières et matérielles des collectivités et de quelques mécènes.

Duarte Mendonça entre Uri Caine et Dave Douglas © Serge BaudotDuarte Mendonça représente 70 ans de jazz, car, depuis l’âge de 15 ans, il écoute et collectionne tout ce qui concerne cette musique. Il possède 10000 disques et probablement la plus grande collection de vinyles du pays, des centaines de livres et de revues, dont toute la collection de Jazz Hot. Son plus cher désir serait de pouvoir créer une fondation pour mettre ce trésor à l’abri et l’offrir à la curiosité du public.

Ce sont plus de 1000 musiciens qu’il a programmés dont la plupart sont les phares de cette musique. Citons parmi les grands disparus Dizzy Gillespie, Miles Davis, Benny Carter, Charles Mingus, Art Blakey, Dexter Gordon, Sonny Rollins, Chet Baker, Freddie Hubbard…La liste est trop longue. C’est plus de 45 ans de jazz sur scène!

Duarte Mendonça défend le jazz des créateurs américains, sans bien sûr ignorer les autres musiciens de jazz, car dit-il : «Le jazz est né aux Etats-Unis, c’est là qu’étaient les premiers créateurs, c’étaient des Afro-Américains, comme on dit maintenant. Mais j’ai aussi beaucoup aimé les jazzmen blancs comme Gene Krupa, Harry James ou encore Glenn Miller. Et vous le savez peut-être, le fondateur de votre revue qui défend le même jazz que moi, Charles Delaunay, est venu ici, il était l'ami de Luis Vilas-Boas.»

Souhaitons à Duarte Mendonça une retraite sereine en écoutant la musique de sa vie, et qu’il puisse réaliser son désir de fondation, un signe de son éternelle générosité.

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