Rémi Abram • Act Big Band • Antonio Adolfo • Cyrille Aimée • Monty Alexander • Louis Armstrong • Aurore Quartet • Dmitry Baevsky • Emmanuel Baily • Kenny Barron • CountBasie • Lionel Belmondo Trio • Belmondo Family Sextet • B.F.G. • François Biensan Octet • Ran Blake • Claude
Bolling • Céline Bonacina• Frederic Borey • Bossa Nova in USA • Christian Brazier • Katie Bull • Jean-Yves Candela • Frank Catalano / Jimmy Chamberlin• Joan Chamarro & Andrea Motis • Tom Chang • Fred Chapellier• Cyrus Chestnut • Pierre Christophe • Popa Chubby • Philippe Crettien • Dal Sasso-Belmondo Big Band • Miles Davis • Miles Davis • Pierre de Bethmann • Dee Dee Bridgewater •
Riccardo Del Fra • Jean-Pierre Derouard • Aaron Diehl • Lucy Dixon • Doré Marthouret Quartet • Philippe Duchemin Trio • Mark Elf • Andy Emler MegaOctet • Emler / Tchamitchian / Echampard • European Jazz Cool • European Jazz Sextet• José Fallot • Claudio Fasoli • Nicola Fazzini • Fiorini-Houben Quartet • Ella Fitzgerald • Chico Freeman • George Freeman & Chico Freeman • Larry Fuller • Champian Fulton • RichardGalliano / Jean-Charles Capon •
Red Gardland Trio • Melody Gardot • Erroll Garner• Viktoria Gecyte / Julien Coriatt Orchestra • Stan Getz • Aaron Goldberg • Jeff Hackworth • Rich Halley •
Scott Hamilton • Phil Haynes • Ian Hendrickson-Smith • Fred Hersch • Robert Hertrich • Lisa Hilton • Chris Hopkins & Berndt Lhotzky • Ramona Horvath• Hot Club de Madagascar • Abdullah Ibrahim • Chuck Israels • JazzAccordéon • Nicole Johänntgen• Quincy Jones • Kassap / Touéry / Duscombs• Manu Katché • Hetty Kate • L'Ame des Poètes • La Section Rythmique • Christophe Laborde • Prince H. Lawsha & Frédérique Brun • Le Jazz à l'écran • LG Jazz Collective • Susanna Lindeborg • Frédéric Loiseau • Jean-Loup Longnon • Isabella Lundgren • Claude Luter / Barney Bigard • Tom
McClung • Pete McGuinness • Cécile McLorin Salvant • Mack Avenue SuperBand • Richard Manetti • Manhattan School of Music •
Roberto Magris Septet • Perrine Mansuy • Delfeayo Marsalis • Fabien Mary •Merlaud / Rebillard • Laurent Mignard Duke Orchestra • Antoinette Montague • Jean-Marc Montaut • Christian Morin • No Vibrato • Kevin Norwood• Austin O'Brien • Jean-Philippe O'Neill • On Air & Fabrizio Bosso • Paris-Calvi Big Band • Paris Jazz Big Band • Michel Pastre • Jeb Patton •
Pierrick Pédron • Lucky Peterson • Valerio Pontrandolfo • PG Project • Eric Reed • Walter
Ricci / David Sauzay Quintet • George Robert • Duke Robillard • Justin Robinson •
Manuel Rocheman / Nadine Bellombre • David Sanborn • Julie Saury / Felipe Cabrera / Carine Bonnefoy • Eric Séva • Ben Sidran • Frank Sinatra • Steve Slagle & Bill O'Connell • Wadada Leo Smith • Curtis Stigers • Lew Tabackin • Ignasi Terraza •
Virginie Teychené • Claude Tissendier • The Cookers • Samy Thiébault • Sarah Thorpe• Baptiste Trotignon • René Urtrerger • Jacques Vidal •
André Villéger / Philippe Milanta • Heinrich Von Kalnein / Michael Abene • Reggie Washington • Miguel Zenón
Les chroniques sont classées par ordre chronologique de publication (des plus récentes au plus anciennes). Pour
rechercher la chronique de votre choix dans cette page, utilisez la
fonction «recherche» de votre navigateur (la fenêtre de recherche
s'ouvre dans la barre du bas de votre écran).
Aria, East
Coast West Coast, Les Feuilles Mortes, Night Stork, Goma, Sahel Al
Mumtanah, Bossa de l’Hiver, Letter From Home, Bron-Yr-Aur
Emmanuel
Baily (g), Lambert Colson (cornet à bouquin), Jean-François Foliez
(cl), Xavier Rogé (dm), Khaled Aljaramani (oud, voc) Enregistré
en mars 2015, Bruxelles Durée:
41' 06'' Igloo
Records 265 (Socadisc)
En totale adéquation avec
les objectifs des Jeunesses Musicales du Luxembourg Belge, de
Jean-Pierre Bissot et du Gaume Jazz Festival le projet d’Emmanuel
Baily prône la mixité. Nous aurions pu nous passer de chroniquer
cet album dans une revue spécialisée «jazz». Toutefois le projet
d’Emmanuel est tellement original par les couleurs qu’il
développe qu’il nous apparait intéressant d’attirer votre
attention. Dès l’écoute d’ «Aria», l’étonnante association
de la clarinette et du cornet à bouquin interpelle pour l’évidence
harmonique. Avec «East Coast West Coast», qu’il aurait pu
intituler «Nord-Sud», on sent déjà l’appel des grandes dunes
sahariennes (l’oud). Le chant de Khaled Aljaramani sur «Sahel Al
Mumtanah nous impose l’humilité; le solo d’oud est joliment
porté par l’accompagnement du guitariste ouvrant sur les entrelacs
des souffleurs. Un peu plus au Sud, sur l’équateur, il nous invite
à onduler du popotin congolien, comme un message d’espoir parmi
les viols et le génocide («Goma»). Le poétique «Night Stork»
s’inspire des battements d’ailes d’une cigogne … noire,
d’après l’auteur; majestueuse, quoi qu’il en soit
(re-recording de guitares)! L’originalité des «Feuilles mortes»
réside d’abord dans une longue intro à la gratte à laquelle
succède l’union des vents. Xavier Rogé (dm) poursuit par des
rythmes mats qui ouvrent sur un solo bien inspiré du clarinettiste.
Avec «Bossa de l’Hiver» et le druming hypnotique et binaire de
Rogé, Emmanuel Baily se sent pousser des ailes. Le délicieux
«Letter From Home» vient nous rappeler d’où il les tient! Pour
conclure sur un country sound, Emmanuel Baily fait un tribute
à Jimmy Page («Bron-Yr-Aur»). Ce sera l’ultime témoignage
(pour cette fois) d’un guitariste doué, d’un musicien ouvert et
d’un arrangeur d’une grande sensibilité. Non, mais! On n’a pas
d’œillères, nous, Monsieur!
Valerio Pontrandolfo & Harold Mabern Trio Are You Sirius?
Twenty, You, Touched, Tongue Out,
Recado Bossa Nova, Make Believe, Are You Sirius?, Rakin' &
Scrapin, Tune Up
Valerio Pontrandolfo (ts), Harold
Mabern (p), John Webber (b), Joe Farnsworth (dm) Enregistré le 11 septembre 2014,
Vignola (Italie) Durée:
40' 22'' In
Jazz We Trust 001 (www.valeriopontrandolfo.it)
Ce
n’est pas sur le livret (à quoi servent-ils aujourd’hui)
que vous apprendrez quoi que ce soit sur Valerio Pontrandolfo. Ce
natif (24 avril 1975) de Potenza (Basilicata), dans le sud de
l’Italie, installé depuis 20 ans à Bologne, a étudié le
saxophone avec Piero Odorici puis a suivi l’enseignement si
recherché de Barry Harris, et pris des cours avec Steve Grossman et
George Coleman. Il a côtoyé sur scène (festivals européens,
clubs) beaucoup de beaux musiciens de jazz comme Steve Grossman,
Alvin Queen, Andrea Pozza, et bien sûr beaucoup de la scène
italienne du jazz. Le parcours est donc jalonné de références
solides, et d’une certaine manière on l’entend dans cet
enregistrement très jazz, c’est-à-dire pétri dans le blues, le
swing et l’expression hot. Comme le remarque l’auteur des
quelques mots d’introduction du livret, le ténor Eric Alexander,
habituel compagnon du trio très new-yorkais qui accompagne la
découverte de ce disque, Valerio puise aux meilleures sources,
celles de Sonny Rollins souvent ou de ses maîtres successifs. Nul
doute qu’il aime le jazz, et qu’il s’est fait un énorme
plaisir à jouer avec une section ryhtmique de rêve ou l’evergreen
Harold Mabern est soutenu par la paire complice et puissante de John
Webber et Joe Farnsworth. Beaucoup de standards, les bonnes
compositions sont recommandées quand il s’agit d’un disque de
présentation, et les quatre originaux sont très «classiques»,
dans le même esprit. Valerio est d’ailleurs très concentré sur
son sujet, il ne se laisse pas aller (les thèmes tournent autour de
4 minutes dans un disque de 40 minutes), et on peut le comprendre, un
maître du jazz l’accompagne. Un introduction donc sympathique qui
s’écoute avec plaisir d’un musicien qui n’a pas la prétention
d’inventer le jazz, même s’il a l’audace d’être le leader
d’un trio qui habite à l’étage supérieur. A suivre...
Just You, Just Me, The Petite Waltz
Bounce, Honeysuckle Rose, The Way You Look Tonight, It's the Talk of
the Town, Caravan, Cheek to Cheek, Look Ma-All Hands!, (There's) No
Greater Love, Lullaby of Birdland, I've Got My Love to Keep Me Warm,
Groovy Day, A Cottage For Sale, That Old Feeling, Misty, Afternoon of
an Elf, I'll Remember April, Autumn Leaves (Les Feuilles Mortes) ,
Mambo Carmel, The Man I Love, Time on My Hands, Passing Through, The
Way Back Blues, Soliloquy, You'd Be So Nice to Come Home to, French
Doll, The French Touch, Mack The Knife
Erroll Garner (p) et selon les thèmes:
Oscar Moore (g), Nelson Boud (b), Teddy Stewart (dm), John Simmons
(b), Shadow Wilson (dm), Wyatt Ruther (b), Eugene Fats Heard (dm),
Eddie Calhoun (b), Denzil Best (dm), Al Hall (b), Specs Powell (dm),
Kelly Martin (dm) Enregistré de 1948 à 1962, New York,
Carmel, Los Angeles Durée : 1h 12' 24'' + 1h 11'
55'' Frémeaux et Associés 3063 (Socadisc)
Dans The Quintessence, la
collection des compilations de grande consommation (on l’espère
pour la maison Frémeaux, c’est mérité), voici le deuxième
volume consacré à Erroll Garner qu’on retrouve ici en solo, trio,
quartet. Un bon texte d’Alain Gerber raconte toute
l’incompréhension du cas Garner qu’on peut résumer par un
génie «naturel» et modeste. Par «naturel», il faut entendre
«culturel», car toute la force de Louis Armstrong, Fats Waller ou
Erroll Garner était bien de donner naturellement à entendre
l’essence d’un jazz inspiré par des siècles de culture. Alain Tercinet s’occupe de la
sélection retenue et de son commentaire, et remarque (en les citant)
que la plupart des pianistes ont adoré Erroll Garner. Il rappelle
que son talent fut apprécié par Boris Vian et Charles Delaunay en
France. Il faut aussi se souvenir que, parfois, son plaisir de plaire
au public le privait de celui de plaire à une critique faussement
«intellectuelle». La variété du répertoire, l’absence de
barrière (technique, de tonalité, d’a priori stylistique et
autres) ont fait d’Erroll Garner un pianiste universellement
apprécié, d’abord des producteurs (il n’avait pas besoin de
plusieurs prises) et pas seulement des amateurs de jazz. Beaucoup ont
fredonné ses interprétations sans avoir de notions très précises
de ce qu’était le jazz, ce qui le rapproche à nouveau de Louis
Armstrong. Erroll Garner se place bien entendu
dans un ensemble culturel identifié, notamment par son lieu de
naissance, Pittsburgh, Pennsylvanie, une ville bénie pour le piano
jazz (de Mary Lou Williams à Ahmad Jamal), dans un moment où l’art
du piano atteint des sommets d’expression et de virtuosité, mais
la préexistence de Fats Waller, Earl Hines, Teddy Wilson, Art Tatum,
Nat King Cole et quelques autres, qui l’ont tous inspiré, ne
l’empêche pas de développer son style à nul autre pareil: un
style orchestral avec ses introductions légendaires, ses
développements sur tempos doublés («The Man I Love»), un délié
et une attaque puissante du clavier et de chacune des notes, avec ses
redoublements, un jeu en blocks chords légendaire, avec ce petit
décalage-retard qui détermine un jeu d’une souplesse
extraordinaire et qui est sa marque de fabrique, une musicalité
rhapsodiante, une gamme de nuances sans limite du lento-pianissimo au
forte-allegro et un swing qui, comme celui de Basie, pourrait servir
d’exemple parfait d’une des composantes essentielles du jazz. Le
piano de Garner, c’est le jazz en cinémascope. Pianiste de
culture, son oreille était capable de tout saisir (y compris chez
ses contemporains de Bud Powell à Oscar Peterson) et d’en faire du
Erroll Garner. Le génie du jazz est aussi là. De fait, Erroll
Garner a influencé, même à leur insu, tous les pianistes de jazz
(comme le remarque Jimmy Rowles dans une des citations du livret) et
au-delà. Bon, les amateurs auront déjà dans
l’oreille beaucoup de ces chansons qu’il a fait siennes ou qu’il
a composées («Misty», «Mambo Carmel»), mais pour les plus jeunes
ou les moins spécialisés, cet enregistrement sera une ouverture sur
un monde merveilleurx, si l’auditeur est capable, lui aussi,
d’écouter ce musicien extraordinaire sans les a priori sonores du
jour.
It Gonna Come,
Preacherman, Morning Sun, Same to You, Don’t Misunderstand, Don’t Talk, If Ever
I Recall Your Face, Bad News, She Don’t Know, Once I Was Loved + Palmas da Rua,
No Man’s Prize, March for Mingus, After the Rain, Burying My Trouble (sur la
version The Artist’s Cut)
Melody Gardot (voc, p,
g), Gary Grant (tp), Irwin Hall (as), Dan Higgins (ts, bs), Andy Martin
(tb),Pete Kuzma, Larry Goldings (org),
Mitchell Long, Dean Parks, Jesse Harris, Reese Richardson (g), Chuck Staab,
Vinnie Colaiuta (dm), Pete Korpela (perc), Heather Donavon, Clydene Jackson,
Julia Waters, Maxine Waters (bck voc)
Durée: 48' 52''
Enregistré à Los
Angeles, date non communiquée
Decca 4724682
(Universal)
Quatrième pépite pour la native de Philadelphie et une
nouvelle fois la finesse et la profondeur de sa musique sont au
rendez-vous.Melody Gardot joue un jazz
qui puise aux sources du blues et de la soul en y apportant ses couleurs faites
d’esthétique, de fashion week et de
joaillerie. Sur la galette cela se traduit par des compositions toujours aussi
fortes en émotion, une instrumentation sophistiquée avec des cuivres et des
cordes à volonté et un line-up de haute qualité.En plus d’Irwin Hall (as), Mitchell Long (g)
et Chuck Staab (dm), ses musiciens habituels, Larry Goldings (org), Dean Parks
(g) et Vinnie Colaiuta (dm) apportent leur expérience et leurs connaissances à
la formation constituée pour l’occasion. La jeune femme, pour qui la musique a
été une thérapie, conduit son navire vers les destinations qui lui
correspondent tout à fait. L’album est à la fois hot, tendre et spicy avec
un clin d’œil au free qui mérite
d’être souligné. Currency of Man
(version longue) ouvreavec «Don’t
Misunderstand», comme si l’artiste voulait nous extraire des champs de
coton du Delta profond pour nous amener sur la route d’une certaine libération,
avec l’orgue en soutien d’une voix gorgée de sensualité.La Gardot dit des choses fortes sur une
musique suave («Don’t Talk») ou plus funky («It Gonna
Come»). Aux détours de l’album, on retrouve le Philly Sound qui constitue la base principale de la production de
Larry Klein, qui avait produit My
One and Only Thrill, ainsi que Herbie Hancock et Joni
Mitchell. «Preacherman» est le morceau déclencheur de cette
direction. Lors de la tournée 2013 pour son album The Absence,Miss Gardot
jouait déjà cette pièce, dédiée à Emmett Till, jeune Afro-Américain
assassiné en 1955. Un désir de parler d’une période qui est
malheureusement toujours d’actualité outre-Atlantique. Le son est à présent
plus rond, un choix esthétique qui se combine fort bien avec les autres
morceaux franchementsoul («Same
to You») et cette référence à sa ville natale. Sur «She Don’t
Know», Melody Gardot joue avec les mots. En fait, sur ses chansons elle
parle de la vie qu’elle perçoit à travers sa propre existence. En cela elle est
jazz et le témoigne par certaines orchestrations et certaines interventions de
son fidèle Irwin Hall. Ce dernier devenant par instantsun Roland Kirk du présent avec ses deux saxos
en bouche («Bad News»). Enfin, comment ne pas évoquer«March for Mingus», un extrait
d’à peine une minute, pour rendre hommage au grand contrebassiste, mais qui sur
scène se transforme en plus de dixminutes d’intenses échanges jazziques. Un choix défendu par la
chanteuse, malgré les réticences de la maison de disques.
Au final, on stage,
le public peut être pas forcément féru de la note bleue, découvre une musique
qui peut lui paraître lointaine grâce à l’excellent travail de la guitariste
signée par Gibson. Pour les fans, il
y a encore «Burying My Trouble», et cette sensation que Melody vous
parle en direct pour vous dire l’essence de son existence. Ce dialogue ne peut
vous laisser insensible.C’est la magie
de Melody. Rendez-vous pour un nouvel opus qui semble-t-il pourrait avoir la
couleur du Brasil d’Astrud, Antonio et Stan?
The Katie Bull Group Project All Hot Bodies Radiate
The Crazy Poet Song, Venus on the A Train, Koko's Can Do
Blues, Ghost Sonata, The Drive to Woodstock, If I Loved You/ What if?,
Torch Song to the Sub, Love Poem for Apollo, I Guess This Isn't Kansas Anymore,
Some Perfume Home, Ding Dong the Witch Is Dead, Rapture for the David, The Sea
Is Full of Song Katie Bull (voc) Jeff Lederer (ss, ts), Landon Knoblock (p),
Joe Fonda (b), George Schuller (dm) Enregistré en avril 2013, Paramus (New Jersey) Durée: 1h 04’ 54’’ Corn Hill Indie (www.katiebull.com)
Katie Bull, poétesse d'avant-garde, compositrice et
arrangeuse, est fortement impliquée dans la défense de la nature et est très
préoccupée par les changements climatiques. Dans ce CD sous-titré
«Love-Nature-The Nature of Love», elle psalmodie (plus qu'elle ne
les chante) ses textes sur fond d'une musique de jazz tout aussi
intransigeante, car, l'engagement musical est total, etplus proche des véhémences du free jazz que
des candeurs du «flower power».
Si lasection rythmique ne mérite que des éloges,
Jeff Lederer, le saxophoniste, magnifique musicien, fortement influencé
parAyler, sideman occasionnel de Buster
Williams ou de Gunther Schuller et conseiller pédagogique du Jazz at Lincoln
Center est, quant à lui, digne d'encore plusde compliments. Ce disque étant avant tout un manifeste militant et ne
conviendra pas vraiment à une écoute familiale apaisée de fin de week-end....
Mais il rappelle à bon escient, s'il en est encore temps, que le jazz a aussi
une dimension politique.
Graffiti Celtique, Guizeh, Rue aux fromages, Nomade sonore,
Monsieur Toulouse, Popa, Kamar, Matin rouge, Sur le pont de Gazagou, Cheeky Monkey Eric Seva (ss, bs), Daniel Zimmerman (tb), Bruno Shorp (b) Enregistré à Maison Alfort, date non communiquée Durée: 59' 33' Gaya Music Production ESGCD001 (Socadisc)
Le saxophoniste Eric
Seva a le sens des titres qui font mouche pour décrire sa démarche. AprèsFolklores
imaginaires (en 2005 avec Didier Malherbe au doudouk) et Espaces croisés (en 2009, avec Lionel
Suarez au bandonéon), voiciNomade sonore, son dernier album. Ayant grandi dans un milieu très concerné par le bal musette,
il eutle privilège d'être initié au
jazz dès l'enfance par un grand expert en la matière, son voisinJean, l'immense (et si tendre) dessinateur
Cabu. Oui, celui là-même qui nous manque tant. Enfin, après de solides études
musicales, Eric Seva eut, la chance d'être choisi comme élève par Dave Liebman.
Alors, question métissages, il en connait un rayon.D'autant que ponctuée de rencontres
miraculeuses, sa carrière l'a conduit àenregistrer avec l'ONJ, Khalil Chahine, Didier Lockwood, Sanseverino,
Maxime Leforestier, Dick Annegarn ou... Céline Dion (pour faire court). Difficile de décrire sa musique tant elle déborde
d'influences diverses mêlant,parfois au
sein d'un même morceau, un folklore désuet revitalisé parles«notes bleues»,aujazz le plus swinguant.
Ecriture précise, larges plages d'improvisations, climats et rythmiques
combinantmoments de tension et de
plénitude dans un tourbillon frénétique rempli de rebondissements, ne cessent
de surprendre. Les très beaux sons de soprano et de sax baryton s'accordent à
merveille avec la variété des timbres du trombone (la prise de son est
remarquable), tandis que la basse et la batterie tiennent avec légèreté et une
grande complicité leur rôle indispensable de gardien du cap. C'est tout
simplement captivant! Ce disque est dédié aux douze victimes de l’attentat
de Charlie Hebdo. On comprend
pourquoi.
Julie Saury / Carine Bonnefoy / Felipe Cabrera The Hiding Place
Harufe, Laissez-moi, Through the Clouds, Desde Abrit,
Samuel, The Hiding Place, Horns and Horses, Vertigo, Un p'tit moi, Stars Fell
on Alabam
Julie Saury (dm), Carine Bonnefoy (p), Felipe Cabrera (b)
Enregistré les 3, 4 et 5 octobre 2013, Videlle (91)
Durée: 1h 00' 42''
Gaya Music Production 021 (Socadisc)
Quel est donc ce lieu évoqué par le titre de
l'album? Si c'est celui de l'origine géographique des membres de ce trio "mixte" (deux filles et un garçon) venant d'horizons si différents,
il faudra se plonger dans un atlas et se livrer à de sacrés calculs... Car si
Julie Saury est parisienne et Felipe Cabrera cubain (ou parisien?),
Carine Bonnefoy a des origines polynésiennes, mais a grandi en Provence... Quel
casse-tête! Peu importe, ils se sont trouvés et bien trouvés. Chacun a
apporté ses compositions, et le choix du seul standard (dédié à
Maxim... dont le nom de famille n'est pas un vraisecret et qui est joué avec beaucoup de
tendresse), n'a pas dû faire débat tant l'entente de ce trio semble totale.
Thèmes d'une grande qualité, mises en place découpées au scalpel (en trio on ne
peut guère parler «d'arrangements»), écoute de tous les instants,
respect de la parole de l'autre, changements de climats soudains et inattendus,
interactions éclairs, ostinatos furtifs, choix harmoniques audacieux et
surprises rythmiques diaboliquement maîtrisées. Bref, tout ce qu'il est normal
d'attendre d'un trio de "vieux briscards", rompus par des années de
tournées est là. Evident.
Ce CD est un prodige d'invention de grâce et d'authenticité.
Enregistré dans le confort d'un studio on dirait presque un live.
Une vraie réussite!
Baiao loco, Quel chic, Blue Samba, Il pleut bergère, Astor,
Lucie, Aria pour Michèle, Anatelius, Petite valse, Suite pour piano et quatuor
à cordes, Like a child Jean-Yves Candela (p), François Arnaud, Bertrand Cervera
(vln),Vincent Aucante (avln), Thierry Amadi (cello), Marc Bertaux (b), Realcino
Lima Filho dit Nenê (dm) Enregistré en mai 2006, Paris Durée: 51’ 58’’ JMS 111-2 (Sphinx Distribution)
La guimauve n’étant pas son fort, c’est toujours avec un peu
d’appréhension que le chroniqueur reçoit un disque de jazz «avec
cordes». Mais àl’écoute de
celui-ci, les craintes sont vite dissipées. Malgré un penchant certain pour le
côté fluide et nostalgique des harmonies de la musique brésilienne, le
pianiste, Jean-Yves Candela y signe des compositions énergiques et des
arrangements dénués de mièvrerie. Le trio piano, contrebasse, batterie emporte
l’enthousiasme par le dynamisme,la
précision, et la richesse harmonique de cette musique élégante et lyrique.
Thèmes de toute beauté, improvisations pertinentes et mises en place
redoutables de finesse ne souffrent aucunement de la présence des cordes,celles-ci n’étant pas, comme si souvent,placées en renfort ou en fond de scène. Mais,
postées à point, et parties prenantes du discours, elles participent pleinement
à sa réussite. Signe des temps, malgré les références de son auteur (Les
Etoiles, Elisabeth Kontomanou, Babik Reinhardt, Christian Escoudé, Sylvain Luc,
Richard Galliano, André Ceccarelli, JM Jafet, les frères Belmondo…), remarqué
par André Francis dès 1989, son disque sort presque dix ans après avoir été
enregistré… Dur dur de faire carrière quand on vit en province…
Smiles for Serious
People, Cyclone, Child's Mood, Crystal Rain, Shanty Trails in the Sky, Crossing
Flow, Two Sides, On the Road, Vantan Céline Bonacina (bs, ss), Gwilym
Simcock (p), Chris Jennings (b),Asaf Sirkis (dm) Enregistré du 25 au 27 août 2015, Meudon (92) Durée: 55’ 07’’ Cristal Records 245 (Harmonia Mundi)
Céline
Bonacina, saxophoniste baryton et soprano de 40 ans, originaire de Belfort,
s’est formée dans les conservatoires, cursus dont elle est sortie diplômée et
qui lui a permis d’enseigner pendant sept ans sur l’île de la Réunion. De
retour dans la métropole en 2005, elle crée son propre trio jazz et autoproduit
un premier album, Vue d’en haut.
Suivent deux disques en trio parus chez ACT, Way of Life (2010, avec la participation de Nguyên Lê) et Open Heart (2012, avec en invités Mino
Cinelu, perc, et Pascal Schumacher, vib). Trois opus marqués par la volonté
d’intégrer au jazz des influences world
music.
Avec Crystal Rain elle nous présente son
nouveau quartet acoustique, formation qui conserve une teinte world, et qui porte une musique
essentiellement écrite par son leader. Les
accents boisés du baryton de Céline Bonacina sont mis au service de
compositions aériennes, comportant des préoccupations esthétiques et une
tonalité qu’on pourrait qualifier de contemplatives et spirituelles (référence
au cristal qui dans la mouvance New Age est le prisme permettant une certaine ouverture
au monde).Si les notes
chaleureuses du baryton prédominent, Céline Bonacina utilise aussi le soprano
au travers de contrastes plus appuyés sur des plages atmosphériques mettant en
valeur le jeu inspiré des cymbales d’Asaf Syrkis. L’imaginaire
est fortement sollicité à l’écoute de cette musique dont l’onirisme ne se
dément pas, mais l’apparentement au jazz s’exprime ici principalement par les
arrangements et l’interplay présent entre
les instrumentistes.
CeCrystal Quartet utilise
des mesures composées, et bien qu’un véritable sens du collectif anime l’album,
la pulsation rythmique ne permet que sporadiquement la mise en valeur des
contributions propres à un musicien en particulier. Du coup, l’univers des
joutes instrumentales est à peu près absent du vocabulaire usité sur ces
pistes, remplacé par l’ambition d’élaborer un discours musical inédit, basé sur
les émotions. On ressent d’ailleurs clairement la présence d’autres courants
musicaux que le jazz parmi les influences de la saxophoniste (d’où une quasi
absence de swing), et surtout un véritable sens de l’ornementation qui ne relève
jamais de l’enluminure gratuite, de plus assorti de breaks bienvenus, qui émaille les titres les plus audacieux de ce Crystal Rain.
Le CD se clôt joliment
sur «Vantan»,
une ballade mémorable du contrebassiste, et paradoxalement c’est peut-être sur ce
titre (en dehors, bien sûr, de «Crystal Rain») qu’on ressent le plus l’âme
d’enfant sous l’égide de laquelle Céline Bonacina a voulu placer son œuvre.
Emile Saint Saëns,
Willie’O, The Stalker, You Make Me Feel so Crazy, Latina, Billy Hart, Brook,
Studio 16, Be Bop à Lulu
Jean-Philippe
O’Neill (dm), Ronald Baker (tp, voc), Philippe Petit (p), Peter Giron (dm)
Enregistré du 1er
au 4 février 2014, Paris
Durée: 48’ 39’’
Black & Blue
798.2 (Socadisc)
A tous ceux qui
n’entendent la créativité en jazz qu’en le dénaturant de son essence,
Jean-Philippe O’Neill oppose un démenti incontestable. Soit Willie’O, un album uniquement constitué
d’originaux, dans une tonalité globalement bop. Ceux qui fréquentent les clubs
parisiens, en particulier le Caveau de La Huchette, on pu repérer ce joyeux
gaillard aux côtés de Ronald Baker. Une enfance au Mexique, une adolescence à
Paris et une dizaine d’années à New York (il est diplômé de la Rutgers
University) ont par ailleurs donné au batteur des horizons larges et une solide
maîtrise du swing. Et c’est justement de cette rencontre avec l’ami Ronald –
nous explique-t-il dans la (trop) courte notice du CD – qui a jeté les bases de
ce quartet (ce qui ne nous étonne guère, tant ce projet paraît cousin des
albums de l’excellent Ronald Baker Quintet), lequel est fort bien complété par
l’une des Rolls parisiennes de la contrebasse, Peter Giron, et le groovissime
Philipe Petit.
Outre la qualité
des interprètes, celle des compositions – signées par les trois sidemen – et
des arrangements sont à souligner. Les ambiances sont variées, allant de l’évocation
de la musique d’Horace Silver (excellent «Emile Saint Saëns» de Petit) à un détour
par Cuba («Latina» de Baker), tandis que l’on compte quelques jolies ballades
portées par la sensibilité aiguë du trompettiste, en particulier sur les deux
meilleurs titres de cet opus: «Billy Hart» (un hommage bienvenu sur un
disque de batteur!) et «Brook», tous deux écrits par Peter Giron.
Willie’O est ainsi une œuvre collégiale dans laquelle le leader ne se met pas
en avant: à peine nous gratifie-t-il d’un solo en ouverture de «Latina» (où le
duo avec Philippe Petit, tout aussi percussif, fonctionne à merveille). Un
excès de modestie peut-être. Mais on ne va pas se plaindre que la belle
cohésion du groupe ni des couleurs subtiles que Jean-Philippe O’Neill distille
du bout des baguettes.
My Time Is Now, Ride On, Ballade for Kele, What Do You See?, Dirty Old Town, Happy, Main Street, She Moves Through the Fair, D’iazz Song, That’s True, Now and Then, My Dear Friend, And I Ask You Why, Love for Two Austin O’Brien (voc), Michel Pastre (ts), Christian Brun (elg), Philippe Petit (org), François Laudet (dm) Enregistré en 2014, Meudon (92) Durée: 56’ 39’’ Autoproduit (www.austinobrienmusic.com)
Les habitués du Caveau de La Huchette ont forcément déjà croisé sa haute silhouette au bar, dans le public et évidemment sur scène. Car cela fait dix ans que cet Irlandais à la forte personnalité fréquente le club de Dany Doriz. Entertainer se réclamant de la tradition des Harry Connick Jr, Frank Sinatra et Tony Bennett, Austin O’Brien propose un album qu’il présente avant tout comme un compagnonnage amical et musical avec Michel Pastre, François Laudet, Christian Brun et Philippe Petit, ce dernier étant l’auteur des arrangements. La qualité du groupe qui entoure le chanteur n’est effectivement pas le moindre des atouts de ce projet (le son hawkinsien de Pastre est tout simplement magnifique) comprenant à une large majorité des originaux, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent pour un disque de swing. Ces compositions sont toutes signées ou cosignées par le leader avec Petit, Brun, Michel ou César Pastre (on doit notamment au jeune fils du ténor – par ailleurs, excellent pianiste – une jolie ballade: «D’iazz Song») et elles sont de bonne facture (avec une mention spéciale pour «That’s True», concoctée par O’Brien et Petit). Côté reprise, on retiendra une surprenante version du tube R’n’B de Pharrell Williams, «Happy», – si bien jazzifié qu’on le prendrait pour un standard –, alors qu’avec le traditionnel irlandais, «Dirty Old Town», l’opération paraît artificielle. Résultat des courses: un disque fort sympathique porté par un interprète qui mérite de l’attention.
Magic Dance, Bud Like, Cook's Bay, In the Slow Lane, Shuffle Boil, Light Blue, Lunacy, Dreams, Prayer, Nightfall
Kenny Barron (p), Kiyoshi Kitagawa (b), Johnathan Blake (dm)
Enregistré les 4 et 5 juin 2015, New York
Durée: 1h
Impulse! 477 0129 (Universal)
Kenny Barron en trio, c’est un classique du jazz, l’un des
meilleurs de l’histoire. Il a aussi enregistré en solo (At Maybeck), en duo (Together avec Tommy Flanagan, Red Barron avec Red Mitchell, Two As One avec Buster
Williams, People Time avec Stan Getz,Night and the City avec Charlie
Haden), en quartet (la série des Sphereavec Charlie Rouse, Buster Williams et Ben Riley), voire en plus grande
formation, toujours de magnifiques disques, parce que Kenny Barron est l’un des
piliers du jazz d’aujourd’hui, un musicien qui a magnifié l’histoire du jazz
depuis sa jeunesse, aux côtés de Dizzy Gillespie dès 19 ans pour un parcours
d’excellence sans le moindre égarement.
En trio, comme dans tous les formats, c’est un géant, et la
connivence entre musiciens comme la large place laissée à l’expression de
chacun de ce format réduit, ont fait de cet échange à trois celui qu’il utilise
le plus en tournée. On se souvient, mieux, on se les repasse fréquemment, de
ses trios avec Buster Williams et Ben Riley (Green Chimneys, IMO Live),
avec Ron Carter et Michael Moore (1+1+1),
avec Cecil McBee et Al Foster (Landscape),
avec Ray Drummond et Ben Riley, un trio au long cours avec lequel il a souvent
tourné, l’une des plus belles réunions de l’histoire (Lemuria), avec Rufus Reid et Victor Lewis (The Moment), avec Charlie Haden et Roy Haynes (Wanton Spirit)… On pourrait s’étendre, mais il vaut mieux retourner
à son interview du n°575 de Jazz Hot,
avec la discographie détaillée qui vous donnera des idées et des envies de
disques de Kenny Barron.
L’essence du jazz y est dans toutes ses dimensions: la
qualité de l’expression (plénitude, nuances, récit), le blues, un swing jamais
contraint, l’originalité absolue et un sens rare de la mise en place, une sorte
de perfection harmonique et rythmique qui ne se départit jamais d’un langage
naturel, accessible. En homme de la mémoire du jazz, il n’oublie jamais ceux
qu’il admire (Thelonious Monk, représenté dans ce disque par deux thèmes) ou
qu’il a côtoyés: un beau thème très nostalgique («Nightfall») est dédié à
Charlie Haden, et bien entendu Kiyoshi y a une partie réservée.
Kenny Barron a, derrière sa science infinie du jazz et du
clavier, l’ouverture et l’humilité de servir le jazz, la musique avec naturel,
de mettre à la disposition de toutes les oreilles, même les plus profanes, la
beauté de cette musique avec son talent d’artiste accompli. Comme les plus
grands du jazz, Kenny Barron rend le jazz accessible à tous, et toujours avec
une modestie, une allure anti-star qui incarne l’esprit du jazz dans ce qu’il a
de meilleur. L’idéal artistique.
Dans ce disque, avec des partenaires triés sur le volet et
qu’il élève au sommet de l’expression, Kiyoshi Kitagawa (1958, Osaka) et
Johnathan Blake (1976, Philadelphie), il délivre encore une œuvre parfaite. Il
suffirait d’écouter le seul «Lunacy» pour s’en persuader, mais chaque thème est
une merveille, et le disque est d’une certaine manière encore plus abouti que
la prestation en concert à Paris (cf. nos comptes rendus), car chaque thème
profite d’une forme d’économie et de rigueur (de temps et d’espace) qui confère
plus d’intensité, comme dans «Prayer» où Kiyoshi Kitagawa nous gratifie d’un
très beau jeu à l’archet et Johnathan Blake de ses nappes aux cymbales comme
des voiles jetés sur les notes perlées d’un Kenny Barron extatique.
On devrait encore s’arrêter sur ce «Bud-Like», sur chacun
des thèmes, sur la construction du disque qui alterne thèmes aériens et
intense, tempos médiums et tempos rapides, originaux et classiques, avec l’art
consommé de Kenny Barron de savoir faire respirer la musique et l’auditeur,
pour la beauté de l’une et l’attention de l’autre. Kenny Barron est un sommet
de l’art du trio aujourd’hui, tant mieux pour le jazz et pour nous!
64 titres
Ella
Fitzgerald (voc) avec:
8 mai
1957: Don Abney (p), Herb Ellis (g), Stuff Smith (vln), Ray Brown (b), Jo Jones
(dm)
30 avril
1958: Lou Levy (p), Max Bennett (b), Gus Johnson (dm)
23
février 1960: Paul Smith (p), Jim Hall (b), Wilfred Middlebrooks (b), Gus
Johnson (dm)
28
février 1961 et 11 avril 1961: Lou Levy (p), Herb Ellis (g), Wilfred
Middlebrooks (b), Gus Johnson (dm)
16 mars
1962: Paul Smith (p), Wilfred Middlebrooks (b), Stan Levey (dm)
Enregistré
à Paris
Durée: 1h
16’ 03” + 1h 14’ 21” + 1h 17’ 39”
Frémeaux
& Associés 5476 (Socadisc)
Dans le
cadre de la collection «Live in Paris: la collection des grands concerts
parisiens», dirigée par Michel Brillié –qui rédige le texte du livret– et
Gilles Pétard, le directeur de feu la bonne collection Classics (intégrales
chronologiques du jazz, par musicien), voici le volume consacré à Ella
Fitzgerald, après Miles Davis, Quincy Jones, Ray Charles, Count Basie, et d’autres
sont à venir sans doute, sous le parrainage bienveillant du label de Patrick
Frémeaux, qui continue son œuvre. Puisse-t-on trouver la solution pour le
conserver au jazz dans la glace, mais actif, pour le siècle entier.
En
particulier, parce que ce coffret de trois disques est un événement majeur du
jazz et de l’art –puisqu’on parle d’Ella Fitzgerald– même si personne d’autre
que Jazz Hot ne le dit. On espère
quand même, après cette chronique, que les lignes bougeront… Les
enregistrements sont indiqués comme étant dus à l’équipe d’Europe 1 et crédités comme produits par Norman Granz, Frank Ténot
et Daniel Filipacchi. A ce propos, si l’essentiel des titres du volume consacré
à Count Basie était déjà paru à un titre près (chez Magic-Awe et Laserlight, cf.
discographie), cette mention d’une coproduction pour Ella est mystérieuse car
deux des trois sont morts et ne nous le diront pas, et que ce volume semble
intégralement inédit pour tous les discographes, ce qui en fait un diamant pour
tous les amateurs de jazz et de chant et de la First Lady, et ils sont
nombreux.
En effet,
la consultation des discographies d’Ella, alors qu’elle mentionne beaucoup des
concerts européens enregistrés lors de ces tournées de 1957 à 1962 (Berlin,
Rome…), produits par Verve, et donc enregistrés avec l’aval de Norman Granz à
l’époque, ne mentionne aucun des enregistrements d’Ella à Paris inclus dans ces
trois disques. Il est d’ailleurs douteux autant pour Ella que pour le Count que
l’enregistrement des concerts de 1957 soit dû aux techniciens d’Europe 1. A cette époque, Europe 1, dont l’émetteur est au-delà de
la frontière française, en Sarre qui a choisi l’Allemagne (en raison du
monopole des ondes en France), vient à peine de commencer à émettre depuis
1955, et non sans difficultés car le message est brouillé (cf. Dictionnaire de la Radio, Pug), étant à
l’époque une radio-pirate (sans accord formel d’émission et attribution d’une
longueur d’onde). La sulfureuse Europe 1,
en 1960-1962, bien qu’émettant alors, est encore au centre d’un conflit
juridique interne sur le nom même de son propriétaire qui provoquera un conflit
entre la France et la Principauté de Monaco (Histoire de la Radio en France de René Duval, Alain Moreau). Une
«guerre» que la France gagnera (pour une fois) mais qui n’est pas plus à son
honneur que celle d’Algérie.
Frank
Ténot, dans son histoire Radios
Privées-Radios Pirates (Denoël), qui reprend souvent les informations
telles quelles de René Duval, élude cette fois l’épisode de 1960-62, et signale
en forme d’épitaphe que le fondateur d’Europe
1, Charles Michelson, un industriel juif, mourut ruiné en 1970. Notre
imagination et quelques informations indiquent
qu’il fut doublement spolié de sa création (qui tire des racines
lointaines en 1936), d’abord en 1940 par Laval, en personne, puis en 1962, lors
de ces épisodes juridico-rocambolesques qui ont bercé la naissance d’Europe 1, qui mêlèrent en dehors de
Michelson, Sylvain Floirat, industriel au passé sulfureux, les Etats français
et allemands, la Principauté de Monaco, le monde de la finance de cette époque,
l’Assemblée nationale française, et brassèrent quelques milliards au total.
C’est une vieille histoire, aujourd’hui oubliée, qui dépasse l’imagination, et
nous en rappelle d'autres, plus actuelles.
Pour
revenir donc à notre disque, qui nous a permis de replonger dans une histoire à
la Dumas-père, mais qui se termine, selon notre imagination, moins bien pour le
bon que pour le truand, on peut imaginer que les actifs Ténot et/ou Filipacchi,
amateurs de jazz et activistes de la radio, pionniers du show business et à
l'orée d'un empire des médias (Pour ceux
qui aiment le jazz, et Salut les
copains sur Europe 1), aient
enregistré, avec leur Nagra III (apparition déterminante en 1958 d’un petit
enregistreur à bande de haute qualité entièrement transistorisé) ces concerts
d’Ella Fitzgerald, en se passant du consentement de Norman Granz qui veillait
jalousement sur sa perle rare et sur tous ses enregistrements. Le livret
rappelle justement l’attention extrême que Norman Granz portait à Ella
Fitzgerald. Cela expliquerait, on peut aussi l’imaginer, que Norman Granz n'ait
pas publié lui-même cet enregistrement, et qu’on ait attendu la disparition de
Norman Granz et plus de 50 ans de délai pour voir apparaître ces enregistrements
précieux.
L’auteur
d’un livret sympathique mais insuffisant vu la réalité exceptionnelle de cet
enregistrement – qui a pu aussi circuler entre collectionneurs, n’en doutons
pas, dans des éditions pirates non connus des discographes – raconte d’ailleurs,
en trouvant succulente l’anecdote, que l’un des jeux du 28 février 1961
consista à berner Norman Granz qui réclamait pour Ella, sous peine d’annulation
– Ella à qui on avait réservé pour toute loge un coin des coulisses et un paravent
– une loge équivalente à celle d’Edith Piaf, la sauveuse de l’Olympia, alors en
difficulté sur le plan économique. On trouva l’astuce d’un faux panneau Edith
Piaf sur une porte de placard. L'histoire fait «sourire jaune».
On
imagine (encore) que les relations d’alors avec Norman Granz n’étaient pas à la
coproduction d’un enregistrement d’Ella, comme l’indique le livret plus de 50
ans après. Et si tel avait été le cas, on suppose que ces enregistrements
auraient fini dans les archives de Verve, comme ceux des autres pays d’Europe,
et seraient disponibles depuis cinquante ans.
Mais bon,
tout ça n’est que de l’imagination, et le résultat est là…
On
découvre avec bonheur, la grande, la splendide, la surnaturelle Ella
Fitzgerald, au sommet de son art, pour plus de trois heures trente minutes de
musique inédite, au moins pour la plupart des amateurs. Merci à ceux qui ont
dévoilé ces merveilles du jazz.
La First Lady, non pas du jazz, mais of Song, au singulier, mérite ce titre.
Elle reprend non seulement quelques blues, avec autant de grâce que de
gouaille, Ellington, Monk, Strayhorn, Ray Charles, etc., mais encore le grand
livre de la chanson populaire américaine (Irving Berlin, George Gershwin, Cole
Porter, Johnny Mercer, Rodgers & Hart…) que justement Norman Granz l’a
incité à explorer dans le courant des années cinquante. Elle est en ce début
des années soixante et restera jusqu’à son décès en 1996, une icône du jazz, un
absolu du chant, l’équivalent de Maria Callas dans l’art lyrique classique.
Il ne
sert à rien d’isoler un thème dans cet ensemble d’un niveau exceptionnel. Il
suffit simplement de se rendre compte qu’un inédit d’Ella Fitzgerald, trouvé
dans la poussière du temps, doit être un événement artistique majeur de la
planète, comme le serait la découverte d'inédits de Maria Callas, ou la
découverte d’un tableau de Van Gogh dans un grenier.
Ce serait
alors un événement médiatique, un best-seller… Avec notre imagination, on peut
le souhaiter à la maison Frémeaux, elle le mérite pour ce travail exceptionnel
autour de la mémoire du jazz.
Good News, One Life, Peri's Scope, I'll Wait and Pray, A New
Day, KD JR. (In Memory of Kenny Drew, Jr.),The Power of Two, The Duke, Circle Into Your Grace, Whistling Spirits Steve Slagle (as, fl), Bill O’Connell (p) Enregistré le 12 septembre 2014, Paramus (New
Jersey) Durée: 53’ 23” Panorama Records 005 (www.steveslagle.com)
Cet album a vu le jour à partir de l’idée d’un hommage de Steve
Slagle à son ami Kenny Drew, Jr., pianiste de grand talent, prématurément
décédé, à 56 ans, en 2014. Steve et Kenny ont partagé plusieurs aventures
musicales ensemble, dont celle du Mingus Big Band, et Kenny avait participé à
des enregistrements de Steve (Reincarnation,
1994, chez SteepleChase). C’est l’occasion également pour Steve de retrouver un
autre vieux compagnon de route, Bill O’Connell, et de permettre aux amateurs
d’écouter cette musique de la nuance, de la profondeur, intime mais également
puissante et émouvante comme l’évoque le titre. Dans le jazz, la musique en duo laisse beaucoup de place à
l’expression de chacun et permet un dynamisme et une grande spontanéité par le
dialogue et bien sûr par la légèreté de la formule. Sur un répertoire
majoritairement de Steve Slagle, avec deux compositions de Bill, un standard du
jazz et deux compositions de Miles Davis et Dave Brubeck, Steve et Bill se
répondent avec complicité, vérité, et c’est tout l’intérêt de la
rencontre.Du beau jazz, où l’émotion est omniprésente, joué par deux
excellents musiciens. Steve Slagle alterne la flûte
et l’alto – cela enrichit la palette du duo d’autant que Steve Slagle y excelle
–, et donne la pleine mesure de ses qualités expressives qu’on apprécie depuis
tant d’années (belle sonorité). Bill O’Connell est à l’écoute, soutient ou
intervient avec un sens mélodique confirmé, un toucher très fin dans la grande
tradition du beau piano jazz si riche et élaborée. Un plaisir de disque de jazz
(avec tous les accents swing et blues) pour nous rappeler le regretté Kenny
Drew, Jr., qui partageait avec ces deux musiciens le sens de la musicalité. Des
musiciens au service de la musique et du jazz: excellent!
Afternoon in Paris, Garden at Life Time, B♭ Where It’s At, Minoru,
Yesterdays*, Day Dream, Sunset and the Mockingbird, Three Little Words
Lew
Tabackin (ts, fl), Boris Kozlov (b), Mark Taylor (dm)
Enregistré
les 20 mars* et 20 avril 2015, New York
Durée
: 1h’
Autoproduit
(www.lewtabackin.com)
S’il
enregistre peu, joue à Paris une fois par an, à peu près jamais en régions ni
dans les festivals de jazz, Lew Tabackin est pourtant bien présent. Il revient
avec un excellent album, autoproduit et enregistré dans les conditions du live au
Drum Shop de Steve Maxwell (le 20/04/15), à New York, avec le photographe/ingénieur
du son Jimmy Katz à la coproduction (un titre, «Yesterdays» ayant
été enregistré un mois plus tôt à son domicile).
Pour
ce trio sans pianiste, le format qu’il préfère, le ténor s’est entouré de ses
fidèles compagnons de route, Boris Kozlov et Mark Taylor, présents aussi sur Tanuki's Night Out (2002) et Live in Paris (2008). Il joue depuis une
dizaine d’années avec le bassiste et plus de trente ans avec le batteur. C’est
donc ici l’album d’un vrai groupe de jazz, avec une complicité musicale très
solide.
Les
standards choisis par Tabackin et ses compositions personnelles ont une
histoire et racontent une histoire: «Afternoon in Paris»
est un titre de John Lewis avec qui il jouait régulièrement, et enregistra
l’album Duo en 1981. C’est aussi une
composition qu’il interprète souvent, en tournée, et c’est l’hommage à Paris
après les deux attentats, ville avec laquelle il a noué de fortes attaches, et
dont il ne manque jamais de saluer en concert l’importance historique dans
l’histoire du jazz. Pour
sa «trilogie» japonaise, «Garden at Life Time» évoque
la fois où le patron du club de jazz Garden Cafe Lifetime, à Shizuoka, avait demandé au musicien
d’accompagner à la flûte le spectacle «Hagoromo»,
une des plus célèbres pièces de théâtre Nô ; «B♭ Where It’s At» est un hommage
au club de jazz B Flat, à Tokyo, où il joue depuis des
années;«Minoru» salue la mémoire de Minoru Ishimari, réparateur
de saxophones qui «sauva la vie» du musicien à de nombreuses
reprises lors de ses tournées au Japon.
Cette
sélection de titres et ce va-et-vient entre le ténor et la flûte ressemblent
bien à un des puissants sets de Tabackin qu’on peut entendre en club. Comme il
nous le racontait dans son interview (dans ce numéro 675), son approche des
deux instruments change du tout au tout. Et c’est bien deux voix qu’on entend, deux
personnalités distinctes: un ténor qui rugit, au gros son qui envahit la
salle, nourri de Coleman Hawkins, Ben Webster, Sonny Rollins, Zoot Sims (son
«grand frère»), avec ses improvisations intenses, brûlantes, et un
flûtiste, au son très personnel, qui apporte d’autres textures, d’autres
couleurs, dans un mélange de jazz et de tradition orientale, japonisante, classique.
Si le jeu du musicien est élégant, intègre et sans concession, il a d’autant
plus de charisme et de présence qu’il joue en totale confiance, soutenu par
deux excellents musiciens, très swing, toujours mis en valeur par le leader.Si les interprétations au ténor suffisent à elles seules à faire de cet
album une réussite, celles jouées à la flûte poussent le niveau d’un
cran supérieur: «Garden at Life Time» est plein de cette
tension dramatique qu’on peut imaginer sur la scène d’une pièce Nô, et son superbe
«dérangement» de «Sunset and the
Mockingbird», s’il est, dit-il, sa façon de taquiner les puristes de Duke
Ellington en incorporant autant de Charlie Parker que possible, il est surtout
l’affirmation profonde d’un musicien complet, inspirant, bouleversant et la
preuve que le jazz est un art bien vivant.
Chuck Israels Jazz Orchestra Joyfull Noise: The Music of Horace Silver
Sister Sadie, Moonrays, Creepin’ in, Doodlin’, Cool Eyes,
Opus de Funk, Strollin’, Cookin’ at the Continental, Peace, Home Cookin’, Room
608 Chuck Israels (b, dir), Charlie Porter (tp), John Moak (tb),
Robert Crowell (as, bar, fl), John Nastos (as), David Evans (ts), Dan Gaynor
(p), Christopher Brown (dm) Enregistré les 1-2 septembre 2014, Portland (Oregon) Durée: 1h 09’ 37” Qoulsatch Music 7827724472 (www.soulpatchmusicproductions.com)
Pour ceux qui se souviennent du beau parcours de Chuck
Israels depuis les années cinquante entre Eric Dolphy, George Russell, Cecil
Taylor et Bill Evans durant les années soixante avec qui il enregistra beaucoup
de disques remarquables, cet hommage à Horace Silver pourrait paraître curieux.
Pourtant, à y regarder de plus près, il n’étonne pas. Chuck Israels avait parlé
de jazz dans une interview accordée à Jazz
Hot (n°654), en 2010, et raconté comment il était né dans une époque
extraordinaire, peuplée de musiciens d’une intensité remarquable, et il raconte
dans le texte de livret comment lui et ses copains, dans cette époque, se
précipitaient pour acheter les premiers le dernier disque d’Horace Silver,
toujours entouré de la génération dorée de hard boppers, Art Blakey, Curley
Russell, Lou Donaldson, Clifford Brown, etc. Sa discographie, surtout en sideman, a aussi montré qu’il a
enregistré avec Coleman Hawkins,Stan
Getz, Barry Harris, Herb Ellis, et il a joué avec tant de musiciens de jazz
extraordinaires… Il raconte sa première rencontre avec Horace Silver, comme
auditeur d’un enregistrement de studio à la fin des années cinquante, et sa
profonde admiration pour le grand compositeur, dont il reprend ici un
florilège, et pour l’homme, une nature ouverte, joyeuse et généreuse, d’où le
titre de cet album, Joyful Noise. Et
on ne peut qu’acquiescer, car si un musicien a autant donné à la fois par son
rôle de transmission au sein de ses splendides orchestres, et par son talent de
magnifique compositeur et arrangeur, c’est bien le grand Horace Silver (cf. Jazz Hot n°528, 1996, avec une
discographie) disparu en 2014. Sa musique très personnelle, swingante («Room
608»), joyeuse («Doodlin’», «Sister Sadie») et parfois si émouvante («Peace»),
a tellement été reprise que cet hommage à l’un des très grands compositeurs du
jazz est évident pour tout amateur de jazz, et Chuck Israels en reste un,
au-delà de sa grande carrière. Le bassiste natif de New York, installé à Portland dans
l’Oregon, a fait appel à des musiciens de la scène locale, soit qu’ils y soient
nés comme Robert Crowell (McMinnville, à côté de
Portland), John Nastos, Christopher Brown, Dan Gaynor (Portland) ou
installés comme John Moak (Oklahoma),Charlie Porter (New York), David Evans (Alabama). Les arrangements sont
très respectueux de l’original (Gaynor respecte lui-même le jeu de piano de
Silver dans son phrasé), et le disque est excellent avec ce qu’il faut de
dynamique pour cette musique, et des instrumentistes de qualité. John Moak est
un beau trombone qui donne ici d’excellents chorus; Charlie Porter, qui a suivi
les enseignements de la Juilliard (jazz et musique classique) est un trompette
percutant, et chacun des saxophonistes apporte sa couleur. Mais cette musique,
conçue comme une sauce de grand chef étoilé, vaut par la couleur des
arrangements. Chuck Israels remarque un des attributs essentiels du jazz
dans les années cinquante, l’intensité des musiciens d’alors. Il est certain
que c’est aujourd’hui difficile de la retrouver dans une revisite, mais on
passe plus d’une heure de plaisir à l’écoute de ces belles musiques fort bien réinterprétées,
avec exigence, et nul doute que Chuck Israels s’est fait et nous a fait un
grand plaisir avec cette relecture de grande qualité.
Dark Blue, Interlude V-2,
Latina Bonita, Interlude V-6, My Scenery, Interlude V-9, Five Days in May,
Vonski, Interlude, Inner Orchestrations, Percussion Song Two, Chico, Interlude
V-5, What's in Between, Essence of Silence, Interlude V-4, A Distinction
Without a Difference, Interlude V-10, Angel Eyes, Percussion Song One, Marko*,
Chico & George Introductions
George Freeman (g, voices*),
Chico Freeman (ss, ts), Kirk Brown (p, clav), Harrison Bankhead (b, voc), Hamid
Drake (dm), Reto Weber (hang, perc), Mike Allemana (g), Joe jenkins (dm),
Joannie Pallatto (voices)*
Enregistré de septembre 2014 à
janvier 2015, Chicago
Durée: 1h 18’ 55”
Southport 0143
(southport@chicagosound.com)
Un album de famille sans nul
doute, et plus encore si on étend cette notion de famille à la ville qui a vu
naître l’oncle et le neveu, George et Chico, car on retrouve dans cette
production exceptionnelle, l’ensemble des composantes musicales qui font de
Chicago l’équivalant, au bord des Grands Lacs du nord des Etats-Unis, du Gumbo
néo-orléanais au sud, au bord du Mississippi. Ici, à Chicago, les influences,
musicales et plus largement humaines, culturelles, viennent de loin: de New
Orleans justement et de toute cette vallée fertile du grand fleuve (le Delta)
que les hommes ont remonté peu à peu pour vivre, apportant leur joie de vivre,
leurs peines, leurs traditions, leur culture. Chicago, la Cité du vent, est
aussi celle du blues, mais encore celle des grands orchestres, d’une tradition
du jazz qui remonte aux débuts du jazz, quand King Oliver, Freddie Keppard,
Earl Fatha Hines et Louis Armstrong en étaient déjà les rois, et peu après de
Benny Goodman. La descendance est riche. Chicago est enfin, sur le plan
musical, la ville qui compte une centaine de chorales religieuses, avec un
nombre d’obédiences sans égal aux Etats-Unis. Le fait religieux y est fort,
quelle que soit la religion; l’Islam, en particulier, y a son plus fort développement.
La dureté de la vie, du
travail, y a aussi créé une tradition de révolte, de force, qui a fait de ce pôle,
l’un des plus remuants politiquement, culturellement, religieusement des
Etats-Unis, et des plus radical en matière de combats pour les droits civiques.
C’est un représentant de l’’Illinois, Barack Obama, qui est le premier Président
des Etats-Unis d’origine africaine et américaine.
La vie culturelle est protéiforme,
et toujours particulière, avec une importante marginalité acceptée, et dans le
jazz-blues, très tôt dans l’après-guerre, des musiciens ont privilégié leur
ville plutôt que New York, encore à l’instar de ce qui s’est passé pour New
Orleans, un signe d’une forte identité culturelle au sens large de la mégapole
du nord. Chicago est toujours restée une étape importante de la reconnaissance
artistique aux Etats-Unis, en particulier sur le plan musical.
C’est dans ce contexte qu’ont vécu
les Freeman, et la famille Freeman, dans son ensemble peut être choisie comme
exemplaire de cette ville (George Freeman vient de faire la couverture du Chicago
Tribune). Le grand-père, George, policier de son état, joue du piano et
chante dans le registre de Bing Crosby; la grand-mère joue de la guitare et
chante parfaitement. A la maison, on héberge Louis Armstrong, l’ami de la
famille, lors de son arrivée puis de ses passages; on reçoit Earl Hines, Fats
Waller et Art Tatum… George amène le premier disque de Charlie Parker à la
maison. Les enfants vont évidemment en retirer le goût de la musique. Bruzz
devient batteur, Von saxophoniste et George Jr., ici présent, guitariste. Plus
tard, la troisième génération donne Chico Freman, le fils de Von, et on ne
connaît pas le reste de la famille, bien qu’on sache par ce disque que Mark
Freeman, le frère de Chico, n’est pas étranger au jazz. Cela rappelle encore
cette tradition familiale néo-orléanaise, et cet enregistrement Fathers
& Sons réunissant Ellis et Wynton Marsalis, Von et Chico Freeman. Comme
Ellis, Von et George sont restés dans leur ville de naissance, jouant le rôle
de passeur, de conservateur de la mémoire, mais également d’innovateur, de
professeur pour la nouvelle génération. Ils ont accueilli Charlie Parker que
toute la fratrie (Bruzz, Von et George) a accompagné, comme la plupart des
grands musiciens de passage, Lester Young, Coleman Hawkins, Coltrane, sans
aucun distingo générationnel. Chico, dans l’interview du Jazz Hot n°675
nous raconte sa détermination à jouer avec Elvin Jones, McCoy Tyner.
Leur manière d’aborder le jazz
n’est pas celle de New York ou de New Orleans. C’est un condensé de cette ville
où les racines les plus profondes (le blues, l’Afrique) jouxtent la modernité
la plus radicalement décalée (de Sun Ra à toutes les composantes de l’AACM créée
en 1965). On retrouve chez Von et George, et par ailleurs Fred Anderson (même génération)
qui n’ont jamais fait partie de l’AACM par choix, les caractères d’une musique
de recherche qui va devenir à l’AACM (à laquelle adhère Chico) un élément d’un
discours, parfois même d’un système pour certains. Ils sont dans l’esprit nécessairement
free de ce temps des Droits civils et de cette ville rebelle, sans adopter
l’esprit de système dont Chico est lui-même distant. Leur musique vient
toujours des racines, le blues y est une donnée essentielle, ce qui n’empêche
pas la liberté individuelle et la recherche de ce qui différencie, de ce qui
fait que chacun est unique.
Ce disque, construit comme une
rencontre familiale sur un trimestre (les photos dans la cuisine le disent
aussi), est ainsi une sorte de réunion de tout ce qui fait le caléidoscope
chicagoan, le beau son, les racines blues, africaines, la novation, le jeu, la
recherche, la famille au sens large, et la présence d’Harrison Bankhead (qui
nous gratifie d’un interlude à la Slam Stewart, basse et voix à l’unisson),
d’Hamid Drake, de Reto Weber indique encore que la famille chicagoane à
l’esprit large, et est toujours capable de se réunir, de proposer une synthèse
musicale, sans esprit de chapelle et avec ce grain d’originalité qui la rend si
précieuse (George est une rareté du jazz).
Le répertoire est composé
d’originaux de George (4), Chico (7), d’un standard («Angel Eyes») et
d’interludes (9) où la tension alterne avec la gravité, la sérénité ou la bonne
humeur, avec un thème ludique sans doute dédié à Mark Freeman, le frère («Marko»)
avec les voix de George et de la productrice en toute familiarité.
Une synthèse aussi de professionnalisme
et de vie quotidienne qui évoque encore le pôle sud du jazz, New Orleans.
Au-delà de la musique, cet
album, dédié par George à toute sa famille, et par Chico à Von et Ruby (sa mère),
est essentiel pour la leçon de sociologie musicale, ce qui ne nous étonnera pas
de ce personnage étonnant qu’est Chico Freeman qui cache derrière son art de
musicien, une joie de vivre et un rire éclatant, les attributs d’un excellent
professeur. Ses interventions lors de l’anniversaire de Jazz Hot, en
mars 2015, comme en de nombreuses autres occasions depuis 40 ans, témoignent
toujours d’un esprit aiguisé et particulièrement brillant, en matière de jazz
en particulier. Bon sang ne saurait mentir!
Jumeaux, Mister Jazz*, No
Blues°, Limelight, Old Trip, Argot, D’une étincelle, Atmosphère, Chuiquita José Fallot (b), Pierre
Olivier Govin (s), Franck Avitabile (p)°,
Renaud Palisseaux (p), Mike Stern (g)*, Etienne Brachet, (dm), Carole Sergent
(voc) Enregistré dans l’été 2014, Vannes (56) Durée: 47’08’’ Sergent Major Company 130
(EMI/The Orchard)
José
Fallot est un stakhanoviste de la musique. Né en 1955, il baigne très tôt dans
l’univers musical : son grand-père
maternel pratiquait le cornet à pistons, ses parents jouaient du piano. Au
début des années soixante-dix, attiré par les sonorités du British Blues il opte pour la six-cordes. Sa première formation
joue le répertoire des Stones et des Beatles, avec ungoût affirmé pour le jeu de Paul McCartney.
Il commence à s’intéresser au jazz, suit des cours avecYvon Gardette
(org) et Pierre Urban (g).C’est avec ce dernier qu’il commence à
«tourner». En 1987, il fait ses premiers clubs parisiens, passe à
la basse cinq puis six cordes, frettée ou non. Les tournées et festivals
s'enchaînent, notamment en compagnie de la chanteuse Carole Sergent, avec qui
il enregistre trois albums. Dans la
foulée,il produit des spectacles dont
un Tribute to Duke Ellington, avant
de devenir le bassiste du cirque Gruss. Il rajoute une nouvelle corde à son arc
en devenant programmateur (les Lundis Jazz et au Théâtre Montansier à
Versailles). Avec une telle expérience il se lanceenfin comme musicien leader et enregistre en
2009, Another Romantic. Le bassiste revient à la production
discographique avecun deuxième volume à
son opus de 2009. Entouré de ses fidèles musiciens de tournée, Pierre Olivier Govin
(s), Renaud Palisseaux (p) et Etienne Brachet, (dm),il s’adjoint aussi les services de Carole
Sergent (voc), Franck Avitabile (p) et Mike Stern (g). Le guitariste américain
apporte sa touche particulièrement flottante sur «Mister Jazz», dans
la foulée de la prestation de Pierre Olivier Govin, omniprésent. La chanteuse
se fait entendre de façon très subtile sur trois titres dont le très doux
«D’une étincelle». Quand au pianiste invité, il excelle dans l’art
de raconter une histoire («No Blues»).Le maître de Another Romantic vol.2 reste tout de mêmele bassiste qui charpente bien son projet par
une présence forte et mélodique de tous les instants. Renaud Palisseaux (p)
maintient un haut degré de prestation («Old Trip).L’entente avec son batteur reste de très bonne facture tout au long des neuf
plages qui constituent un bel album, dans une veine très traditionnelle aux
légers accents «fusion».
8
titres: voir livret Heinrich Von
Kalnein (ts-afl),Michael Abene (p) Enregistré
les 12 et 13 décembre 2014, Udine (Italie) Durée:
57’ 30’’ Natango Music 613-2 (www.natangomusic.com)
Le
saxophoniste-flûtiste Heinrich Von Kalnein a poursuivi une carrière pas tout à
fait jazz, mais il a travaillé avecle Vienna
Art Orchestra de 1996 à 2004, Le Jazz Big Band Graz et quelques pointures.Le
pianiste américain Michael Abene, né en 1942, est surtout compositeur et
arrangeur, ayant été le Chefdirigent du WDR Big Band of Cologne. Il a fourni
des arrangements à une foule de grosses pointures du jazz. Les voici
réunis en duo. Ils se sont rencontrés il y a une quinzaine d’années et ont
pensé qu’ils feraient un duo dans les vingt années à venir. Voilà, c’est
fait! Que dire? Les deux musiciens s’entendent bien, ont
manifestement du plaisir à partager leur musique, ils sont parfaits du point de
vue technique, mais de l’uniformité naquit l’ennui. Tous les morceaux ou
presque sont pris sur tempo moyen avec le même déroulement. Le saxophoniste
possède un son ample et chaud, il reste dans le médium et le grave, joue sans
fioritures, sans frime, mais hélas sans flamme, sans passion: c’est très
plan-plan. A la flûte il est d’essence classique. Seuls deux morceaux sortent
du lot: ««Sippin’ at Duke’s» avec un parfum Duke
Ellington, et «The Wind Cries Mary» d’influence blues et le
pianiste qui décolle un peu.
Dîner
flottant, Danse avec le vent, Fly On, Magic Mirror, The River of No Return,
Rainbow Shell, Tomettes et plafond haut, Paying My Dues to the Blues, Three
Rivers and a Hill to Cross, Ending Melody, Le Songe du papillon Perrine
Mansuy (p), Jean-Luc Difraya (perc, voc), Rémi Décrouy (g), Eric Longworth
(cello), Mathis Haug (voc) Enregistré en 2015, Solignac (87) Durée:
48’ 06’’ Laborie Jazz
28 (Socadisc)
Revoici
Perrine Mansuy pour son onzième disque avec un nouveau groupe plutôt original
et de très bionne facture. On retrouve les qualités de la pianiste, un son de
cristal où pointe la sonorité de Keith Jarrett, un phrasé limpide et aéré, la
richesse harmonique, et par dessus tout l’amour de la mélodie. La nouveauté
vient surtout de l’emploi du violoncelle, souvent à l’archet d’inspiration
baroque-romantique, ou pizzicato façon Oscar Pettiford, très sage ici, mais
essentiel. Dès le premier morceau «Dîner flottant» on entre dans le
nouveau son de groupe, avec toujours une belle mélodie au piano sur contrechant de
violoncelle, puis guitare et batterie occupent l’espace. Des
interventions vocales avec Mathis Haug sur «Fly on» plein de
charme, et Perrine dans les chœurs, le classique «The River of No Return»
pris rubato lent par le chanteur très crooner à la belle voix grave, accompagné
avec délicatesse par le piano; et encore «Paying My Dues To The
Blues» version personnelle du blues de la part de Perrine, où le chanteur
dévoile toutes ses possibilités vocales, un beau solo de piano puis la guitare
entre en jeu, ils finissent tous en chœur avec claquements de mains et quelques
vocalises de Difraya. Ils ont très bien payé leur dette au blues. «Rainbow
Shell» beau duo piano violoncelle à l’archet puis percussions et guitare,
un texte dit, tenues de guitare, le tout dans une riche et belle
harmonisation: morceau très prenant. L’art du trio n’est pas oublié avec
«Ending Melody» où l’entente et le partage piano, violoncelle et
batterie est parfait. Le disque se termine sur un duo piano violoncelle de
toute beauté.Un disque plein de charme, réjouissant, qui brise un peu les frontières
avec une fraîcheur roborative.
Donnerwetter,
Fragile, Sunday Pony Blues, Waves, Flugmodus, Hello, Cocaine, When You Breathe,
The Owl, Flying Leaves, Nicha’s Blues Nicole
Johänntgen (as, ss), Marc Méan (p), Thomas Lähns (b), Bodek Janke (dm), Nehad El
Sayed (oud), Amro Mostafa (duff, riq), Robertson Head (voc, g) Enregistré en
2015, Allemagne Durée:
1h 03’ 34’’ Household Ink
Records 149 (www.nicolejohaenntgen.com)
Pour son nouvel
album, la jeune saxophoniste allemande (voir notre interview dans ce n°675) frappe
fort et joue dans la cour des grands. Son mentor, Dave Liebman, ne tarit pas
d’éloge sur son exceptionnelle énergie ajoutant qu’elle joue comme si sa vie en
dépendait. Egalement compositrice elle est l’auteur de tous les morceaux de ce
CD sauf «Sunday Pony Blues». Le pianiste,
né en Suisse en 1985 n’est pas un inconnu chez nous, ayant participé au
Concours de la Défense en 1997 avec le groupe No Square; il fut à la tête
d’un très bon trio à partir de 2009. Le bassiste, né en Suisse en 1981, a joué
avec Dave Liebman, Greg Osby, Wolfgang Puschnig, Glenn Ferris. On le voit assez
souvent en France. Le batteur percussionniste est né en 1979 en Pologne dans
une famille de musiciens, il commença par le piano à l’âge de 3 ans, étudia la
percussion au conservatoire de Karlsruhe, et obtint un master au City College
de New York. Lui aussi a joué avec Dave Liebman, et beaucoup d’autres à travers
le monde, dont Olivier Ker Ourio (hca) en France. Voilà donc un quartet
européen avec des musiciens de la même génération, pour le meilleur. Dans son jeu de
saxophone Nicole Johänntgen est à la croisée de Charlie Parker, John Coltrane
et Jan Garbarek, pour la situer, non pour la comparer. A l’alto elle a un jeu
de ténor avec un gros son. Une maîtrise technique absolue, arrivant même à
jouer à l’alto la mélodie dans le suraigu comme sur «When You
Breathe». Au soprano c’est un son ample et généreux également, avec une
souplesse de phrasé remarquable. Le thème qui ouvre le disque «Donnerwetter»
(un orage avec des éclairs, en allemand) est très coltrannien avec le pianiste
endossant les habits de McCoy Tyner, d’ailleurs le thème aussi est
d’inspiration Coltrane, par contre le jeu du bassiste est très personnel. Et
puis une musicienne qui joue le blues comme ça, il faut la promouvoir. Elle est
fabuleuse en duo avec le contrebassiste sur «Nicha’s Blues», à la
fois dans la tradition et sa conception du genre, et un autre blues qui
décoiffe «Sunday Pony Blues» du guitariste invité Robertson Head,
inspiré de Charley Patton et J.J.Cale, arrangé par la saxophoniste: en
plein dans la tradition blues, mâtinée rock, déviée jazz, et mené tambour
battant par le guitariste chanteur; et la saxophoniste ne laisse pas sa
place. Robertson Head est né en Ecosse en 1956 (le vieux de la
bande!); il a fait partie de Thin Lizzy et Motörhead. On trouve une
série de morceaux très aérés, dans lesquels la musique respire, prend son
temps, laisse passer le lyrisme des mélodies comme sur «Cocaine»,«When You
Breathe», «Flying Leaves»,«The
Owl» avec pour ce dernier un épatant solo de piano les deux mains en contrepoint. A noter un
morceau particulier, un peu en dehors du jazz, avec en invité Nehad El Sayed,
au oud dont il apprit à jouer au Caire; il a obtenu un master de
composition et jazz à Berne. Il a beaucoup joué dans tout le Moyen Orient et en
Afrique du Nord, il fut l’invité de l’institut arabe à Paris. Ici, dans
««Flugmodus» il intervient magnifiquement, assez à la façon
d’Anouar Brahem; là encore la saxophoniste et la rythmique assistée par
Amro Mostafa au Duff et au Riq (des tambourins), font merveille; et ça
chauffe d’enfer.On l’aura compris, ce quartet devrait faire parler de lui, pour le
meilleurdu jazz.
Better Git
Hit in Your Soul, Wednesday Night Prayer Meeting, Cuernavaca, Devil Woman,
Eclipse, Strange Man, O.P., Ecclusiastics, For Lester, Goodbye Porkpie Hat Jacques Vidal
(b), Isabelle Carpentier (voc), Pierrick Pedron (as), Daniel Zimmermann (tb), Xavier
Desandre-Navarre (dm, voc), Nathalie Jeanlys (ss), Stéphanie Bowring (voc alto),
Allen Hoist (voc ténor), Thierry François (voc basse) Enregistréles 2, 3, 6 et 9 mai 2014, Paris Durée: 45’
34’’ Soupir
Editions 227 (Abeille Musique)
On connaît
l’amour et les affinités du contrebassiste Jacques Vidal pour la musique de
Mingus. On peut dire qu’il lui rend ici un bel et grand hommage avec six thèmes
de contrebassiste sur les neuf, les trois autres étant du leader. «Better
Git Hit…» joué façon blues/gospel nous met tout de suite dans l’ambiance.
Un autre morceau «Devil Woman» est pris avec bonheur lui aussi
blues-gospel avecle chœur des quatre
chanteurs. Le contrebassiste possède un gros son bien rond, et des attaques
nettes et tranchantes: un régal. Le tromboniste est de la race des
trombonistes d’Ellington avec quelque chose de Gary Valente, c’est dire!
L’altiste et le batteur sont au-dessus de tout soupçon. «Eclipse»
chanté par Isabelle Carpentier sur contrechant de trombone mélange les couleurs
Mingus/Ellington. «Strange Man» de Vidal, introduit par lui-même à
l’archet, mélange aussi les atmosphères Mingus/Ellington avec un solo d’alto
qui semble faire en passant un petit clin d’œil à Johnny Hodges.
«Ecclusiastics» sur un arrangement qui mélange Carla Bley et Mingus est
un chef d’œuvre avec l’échange trombone-altosur rythmique basse/batterie
pour terminer sur le chœur scat dans un chase
de grand cru, le tout là encore dans une ambiance gospel. Le disque se termine
par un hommage à Lester Young sur «For Lester» de Vidal avec une
intro basse archet de facture classique très expressive, une voix féminine dit
en français sur contrechant à l’archet un texte profond sur Lester
«Lester est mort et Mingus joue son dernier chorus…» qui s’enchaîne
avec un «Goodbye Porkpie Hat» (le chapeau de Lester) plein de
nostalgie, et un magnifique solo de l’altiste qui se termine avec le chœur très
Double-Six. Voilà comment
il faut interpréter la musique des anciens et le blues quand on veut les faire
revivre, et être soi-même.
Imaginant Miró, El Segador, Nocturn, Polaritats, Noia, Jacints i
Futbol, Van Gogh, Improvisació Serial, Dança Tribal, Caricies Sinusoidals, Espirals
Cósmiques
Ignasi Terraza (p, comp, arr), Horacio Fumero (b), Esteve Pi (dm)
Enregistré les 27 et 28 février 2014, El Vendrell (Espagne)
Durée: 46’ 59’’
Swit Records 17 (www.switrecords.com)
A l’occasion de l’exposition Joan
Miróà Washington (DC) en 2012, Ignasi
Terraza reçut la commande d’une composition évoquant l’œuvre du peintre
catalan. Etant aveugle depuis l’âge de 9 ans, avec l’assistance Carlota Polo, qui lui décrivit l’exposition,
il en transposa l’imaginaire dans sa musique. Il proposa sesTableaux d’une exposition
Miro en une poésie amoureuse imaginée par Ellington. Cet album, Imaginant Miró, présente un contenu musical très abouti de cette Suite de huit pièces avec introduction,
«Imaginant Mirò», transition, «Van Gogh», et
conclusion, «Duke’s Visit».Le livret fournit les explications qui, selon
le compositeur et le critique d’art, fondent sa création. La progression des
pièces comme l’agencement formel des mouvements en deux parties obéissent à un
souci de mise en cohérence à la fois esthétique et chronologique.Son langage à mutilpes sens fait référence à l’univers
poétique du peintre qui, depuis son arrivée à Paris au début des années 1920,
s’était rallié au Surréalismetriomphant dans les cercles intellectuels de la capitale française; il
invoquait le registre de l’imaginaire comme fondement de sa création.
Les cinq premières pièces obéissent rythmiquement aux exigences du
swing stricto sensu et harmoniquement
au jazz d’avant la mutation modale coltranienne; toutes ces pièces
traitent de tableaux réalisés avant 1940. Les cinq dernières, toujours très
ellingtoniennes, sont plus libres et commentent des tableaux réalisés
ultérieurement ou de facture plus abstraite que surréaliste. «Duke’s visit», une
mélodie pleine de Duke, est le terme de la visite solitaire, aussi nostalgique
que déférente, du Maestro au Maître de l’exposition. Elle prit souvent des
allures de voyages dans le temps. Réflexion musicale inspirée, ce chant superbe
joué presque adlibitum en piano solo est le retour méditatif du poète qui clôt sa
ballade.
La musique de Imaginant Miróest très belle. C’est même de la grande musique en ce qu’elle comporte
d’assimilation des héritages musicaux dont elle se réclame avec justesse. C’est
du jazz, du très beau jazz avec tous les ingrédients qu’on est en droit
d’attendre d’un compositeur et d’un musicien qui s’en réclame: swing,
feeling… et connaissance de la grande littérature de la musique
afro-américaine. Tous les musiciens sont à la hauteur de la tâche. Esteve Pi
(dm), que nous avons entendu très bon dans d’autres contextes, révèle ici des
qualités qu’on ne soupçonnait pas: énorme écoute et belle sensibilité au
service d’un art consommé des nuances. Le bassiste Horacio Fumero est la
découverte de l’album. Lui aussi contribue grandement à la réussite de cet
album. Quant à Ignasi Terraza… il est tout simplement exceptionnel. C’est un
vrai musicien, qui possède un art consommé de la composition. Cet artiste ne se
contente pas d’écrire la musique; il lui donne vie en l’interprétant avec
tout le talent que nous lui connaissions déjà pour celle des autres. Le
pianiste possède la technique et la musicalité des grands concertistes:
mise en place, clarté du toucher, respiration dans l’articulation du discours.
Après avoir enregistré Imaginant
Miró, au mois d’août 2014 à Jazz in Marciac, Ignasi Terraza avait
tenté de faire partager au public de l’Astrada,
son expérience de l’écoute de la musique dans le noir absolu. Jazz in the Dark avait bouleversé de
nombreux spectateurs qui en étaient ressortis bouleversés. Je ne doute pas que
la beauté de ces Tableaux d’une
exposition de Miro, qui invitent au voyage en poésie surréaliste, ne vous
émeuve tout autant.
When It's Sleepy Time Down South, Indiana, A Kiss to Build a Dream
on, My Bucket's Got a Hole in It, Tiger Rag, Now You Has Jazz, High Society
Calypso, When I Grow too Old to Dream, Tin Roof Blues, Yellow Dog Blues, When the
Saints, Struttin' With Some Barbecue, Nobody Knows the Trouble I've Seen,
Blueberry Hill, The Faithful Hussar, Saint Louis Blues, After You've Gone, Mack
the Knife Louis Armstrong (tp, voc), Trummy Young (tb), Joe Darensbourg
(cl), Billy Kyle (p), Bill Cronk (b), Danny Barcelona (dm) Enregistré le 24 avril 1962, Paris Durée: 1h 16’ 02’’ Frémeaux et Associés 5612 (Socadisc)
Ces plages ne sont pas inédites: en 1999, Europe 1 avait
donné une première édition (RTE 1001); et en 2002, Laserlight (17438)
avait proposé en Allemagne une réédition de cet enregistrement public. Elles n’en
sont pas moins importantes à plus d’un titre. Dans sa récente chronique
consacrée à Count Basie, Live in Paris.
1957-1962, Michel Laplace déplorait, fort justement, «l’abandon des
rééditions, après l’âge d’or des années 1990, outils indispensables à la "mémoire”».
En effet, ces faces sont le témoignage de la résistance du jazz à la tendance
uniformisatrice que les phénomènes de mode tentaient de lui imposer. Depuis la
fin de la guerre, au nom d’une modernité mal comprise et d’un dogme du progrès
pervers plus encore, cette musique subissait les effets de la tentative
hégémonique de la part d’une coterie au bénéfice d’un courant nouveau, le bebop
qui, pour être de qualité, n’en était pas moins aussi excessif qu’injustifié.
Ce concert enregistré établit que, résistant à cette dictature culturelle
ambiante, le public n’en continuait pas moins à recevoir cet art nouveau dans
toutes ses composantes et, notamment de la part d’un des ses créateurs, Louis
Armstrong. Depuis la fin des années 1940, Satchmo tournait en Amérique et
dans le monde avec une petite formation, Louis
Armstrong and His All Stars, qui proposait au public une anthologie de la
musique qui avait fait sa renommée mais aussi et surtout un échantillon du jazz
dont il était le créateur vivant. Au cours de cette période, les membres de
cette formation ont changé; il y eut Earl Hines, Barney Bigard, Jack
Teagarden, Cozy Cole, Arvell Shaw… Mais hormis le contrebassiste souvent
différent, depuis le milieu des années 1950, Trummy Young et Billy Kyle, ici
présents, furent des cadres permanents de l’orchestre; Joe Darensbourg et
Dany Barcelona arrivés en 1960 renforcèrent la stabilité du groupe. Le spectacle
était bien rôdé et le répertoire parfaitement maîtrisé. Sans être innovant, le
concert fut de belle facture, explorant pour une large part le style
Nouvelle-Orléans dont Louie était
l’emblématique représentant parmi les créateurs. Car les musiciens étaient au
diapason de leur leader, si tous n’avaient pas la renommée et le lustre de
leurs illustrissimes devanciers. La musique est belle. Elle se suffit à
elle-même. Le trompettiste de 61 ans, parvenu à une sorte de perfection
classique, joua «à sa main», sans jamais en rajouter. Le chanteur
avait conservé sa verve populaire authentique. C’est beau de simplicité. Dans
ces conditions, point n’est besoin de longs commentaires pour découvrir et
apprécier le jazz hot et le swing dont Louis Armstrong and His All Stars donnaient en ce 24 avril 1962 de
si brillants exemples. Louis
Armstrong, Live in Paris. 24 avril 1962 est un superbe album que Frémeaux
& Associés met à disposition de ceux qui n’eurent pas la possibilité de
voir et d’entendre cet immense artiste.
Poinciana, Reflection,
Over and Out, Chega de Saudade, Brilliant Corners, The Feeling of Jazz, In the
Know, Turquoise, Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face, Circus, Silver
Screen, Stranger in Paradise Dmitry Baevsky
(as), David Wong (b), Joe Strasser (dm) Enregistré
le 21 janvier 2014, New York Durée:
1h 09’ 00’’ Jazz Family 002
(Socadisc)
Dmitry Baevsky a, depuis 2004, produit cinq albums: Introducing Dmitry Baevsky (Lineage
Records, New York 2004), Some Other
Spring (Rideau Rouge, New York et France 2009), Down With It (Sharp Nine Records, New York 2010), The Composers (Sharp Nine Records, New
York 2011). Over and Out (Jazz
Family,New York, 2014) est son dernier
opus. Nous devons à Fabien Mary, qui le fréquente sur la scène new-yorkaise,
d’avoir fait découvrir ce saxophoniste brillant au public français, notamment
au Caveau de La Huchette au mois de
septembre 2010. Cet album est certainement le plus ambitieux de ceux qu’il a enregistrés.
La formule, sax/contrebasse/batterie, fait immanquablement référence à celle,
exigeante, de Sonny Rollins (ts) dans les années 1950 (avec Ray Brown, b, et
Shelly Man, dm; Donald Bailey, b, et Pete La Roca, dm; Wilbur Ware,
b et Elvin Jones, dm - 1957). Cubic’s Monk (ACT 9536-2, 2012) de Pierrick
Pédron avec Thomas Bramerie (b), Franck Aghulon (dm) s’inscrivait dans le même
esprit. Au-delà des trois pièces originales, «Over and Out», titre
éponyme de l’album, «In the Know» et «Silver Screen»,
compositions récentes (années 2012/2014), l’altiste se collette avec un
répertoire souvent joué par des musiciens qui en ont laissé des versions de
référence. Mis à part les deux titres «exotiques», «Poinciana» et «Chega
de Saudade», qui lui donne l’occasion de «chanter» son
improvisation comme l’y autorisent ces deux thèmes à la mélodie bien
charpentée, les autres faces empruntent aux classiques du jazz:un Ray Bryant un peu oublié de 1958, «Reflection»
bien venu, un de Monk «Brilliant Corners» (1956), deux d’Ellington
– un cosigné par Mercer – peu souvent repris «The Feeling of Jazz»
(1962) et «Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face» (1943), un
de Cédar Walton, «Turquoise»
(1967), un standard, «Circus»
(Louis Alter, Bob Russell – 1949) et une pièce classique de Borodine, «Stranger
in Paradise», remise au goût du jour dans les années 1950. Le programme
est équilibré. La musique est de qualité; jouée avec beaucoup d’aisance
et sans effet ostentatoire par des musiciens qui se connaissent et se font
confiance. Le trio tourne comme une horloge. Dmitry Baevsky possède une jolie
sonorité, très personnelle, et une technique parfaite (qui évoque par la
rigueur et la maîtrise le regretté Phil Woods). Le musicien connaît sa discipline:
les compositions sont équilibrées et dans la forme qui convient à l’album pour
sa cohérence et son unité. David Wong (b) qui travaille souvent avec le leader
joue un rôle essentiel dans la réussite de l’album; sa mise en place est
un plaisir tant il permet au soliste de liberté. Ses soli, de vraie contrebasse
dans la tessiture de l’instrument, sont simples et bien construits; ça
chante quand et comme il convient. Joe Strasser (dm) est d’une grande
discrétion tout en étant très présent et relançant avec beaucoup de finesse le
saxophoniste.L’album,
peut-être un peu austère pour le public actuel peu habitué à une attention
soutenue devant une musique exigeante, est de très bonne facture. C’est solide
avec quelques instants très libres de récréation qui laissent respirer
l’ensemble («Poinciana»). Ça swingue et ça chante avec les exigences de
la musique de chambre, sans bruit ni fracas («Stranger in
Paradise»). Over and Out comporte de vraiment beaux moments:
«Turquoise», de jolies phrases dans l’improvisation sur la
composition d’Antonio Carlos Jobim; et l’interprétation de «Tonight
I Shall Sleep With a Smile on My Face» est remarquable. Alors que
demander?
Live
Alone and Like It, There's a Lull in My Life, Estrellitas Y Duendes, Lazy
Afternoon, Three Little Words, T'es beau tu sais, Let's Get Lost, Samois à moi,
Nine More Minutes, Laverne Walk, That Old Feeling, Each Day*, Words Cyrille
Aimée (voc), Matt Simons* (voc), Adrien Moignard (g), Michael Valeanu (g), Sam
Anning (b), Rajiv Jayaweera (dm) Enregistré
en 2015, New York Durée:
42’ 15’’ Mack
Avenue Records 1097 (Harmonia Mundi)
Après
It’s a Good
Day (qui
succédait à plusieurs autoproductions, dont deux chroniquées dans Jazz Hot n°667), Cyrille Aimée propose
son second album chez Mack Avenue, Let’s Get Lost, enregistré au Flux Studio de New
York. Comme la plupart des disques actuellement enregistrés par les chanteuses,
le programme est varié; sur la structure maîtresse de quelques standards
de Tin Pan Alley des années 1930 et 1940 («There's a
Lull in My Life», «Lazy Afternoon», «Three Little Words»,
«That Old Feeling» et le titre éponyme, «Let's Get Lost»),
s’agrègent quatre pièces personnelles («Samois à moi», «Nine
More Minutes», «Each Day» et «Words»), une
chanson de Broadway («Live Alone and Like It»), une rumba caraïbe
(«Estrellitas Y Duendes), une jolie mélodie de Georges Moustaki sur des
paroles bien tournées d’Henri Contet. Et pour conserver une certaine jazzité
d’ensemble à ce patchwork musical, un duo voix/contrebasse sur une composition
écrite à Paris en 1958 par Oscar Pettiford, «Laverne Walk»
(originalement «Montmartre’s Blues»). La
chanteuse, qui a découvert le jazz à Samois, en a conservé l’ambiance;
elle a choisi de se faire accompagner par un trio de cordes (deux guitaristes
et un contrebassiste) et un batteur. Le ton d’ensemble est original et tranche
dans le monde des chanteuses de jazz en général sur la formule
piano/basse/batterie. Le résultat est dans l’ensemble agréable à entendre.
Chanteuse de son temps, Cyrille Aimée interprète des chansons dont la musique
est rythmée; ce n’en est pas pour autant toujours ce qu’on est en droit
de qualifier de jazz: la rumba, le merengue, la habanera, formes
musicales qui ont engendré quelques chefs d’œuvre, n’appartiennent néanmoins
pas à la même syntaxe. La chanteuse possède la voix gracile d’une adolescente,
voire un peu nasillarde d’enfant qu’elle semble parfois cultiver. Le lolitisme n’est pas que
littéraire…Elle est en tous cas accompagnée par de très bons musiciens
qui lui déroulent un tapis; leur musique travaillée fait un bel écrin. Et
le guitariste Adrien Moignard y apporte un plus avec sa couleur Django. Le
label américain Mack Avenue semble ainsi s’être fait une spécialité des
chanteuses françaises: après la révélation Cécile McLorin
Salvan, voici Cyrille Aimée.
Toutes les deux ont la particularité de posséder une double culture, ce qui
leur a conféré une grande capacité d’adaptation à la culture mondialisée de
notre temps. Cyrille Aimée est le versant éclairé de la face sombre et
certainement plus enracinée de Cécile. A découvrir.
You
Made a Good Move, Change Partners, Lover Come Back to Me, The Boy Next Door,
Bring Enoug Clothes, After You've Gone, It's a Sin to Tell a Lie, Social Call,
Get out of Town Champian
Fulton (voc, p), Cory Weeds (ts), Jodi Proznick (b), Julian MacDonough (dm) Enregistré
les 1er et 2 mai 2014, Edmonton (Canada) Durée:
1h 02’ 36’’ Cellar
Live 050114 (www.cellarlive.com)
Champian Fulton After Dark
Ain't
Misbehavin'*, That Old Feeling, What a Difference a Day Made, Blue Skies*, Keepin'
out of Mischief now, A Bad Case of the Blues*, Travelin' Light*, Mad About the
Boy, All Of Me, Baby Won't You Please Come Home, Midnight Stroll Champian
Fulton (voc, p), Stephen Fulton* (tp, flh), David Williams (b), Lewis Nash (dm) Enregistré
le 17 août 2015, Paramus (New Jersey) Durée:
54’ 30’’ Gut
String Records 022 (www.champian.net)
En
2012, le public de JazzAscona avait découvert une jeune pianiste-chanteuse de
27 ans, Champian Fulton, qui faisait l’une de ses premières apparitions sur le
Vieux continent. Fille du trompettiste Stephen Fulton, un proche de Clark
Terry, elle était attendue avec curiosité par les amateurs qui ne mirent pas
longtemps à reconnaître son talent. La demoiselle a depuis fait du chemin et
passe par Paris chaque printemps. Son
album Change Partners (sorti l’année dernière) correspond à la
sélection de neuf moments des deux concerts donnés par la pianiste dans le club
du saxophoniste ténor et producteur de Cellar Live, le canadien Cory Weeds, The Yardbird
Suite, installé dans la capitale de la province
de l’Alberta, Edmonton. L’artiste construit son programme autour des songs qui lui
fournissent matière à chanson. Les pièces de jazz proprement dites, («You
Made a Good Move» de Frank Wess, «Bring Enoug Clothes» de Stephen
B. Fulton, «Social Call») sont en revanchetraitées en tant
qu’œuvres de musique. Elle ouvre d’ailleurs son album avec une pièce totalement
instrumentale, celle de Frank Wess avec lequel elle eut souvent l’occasion de
se produire au début de sa carrière. La composition de son père, dans la
tradition du bop, est aussi totalement instrumentale. C’est l’occasion de
l’entendre dans un style pianistique qu’on lui connaît moins dans ses
concerts; alors qu’habituellement sa manière est classique, empruntant à
Garner parfois, elle évoque, dans ce thème, Red Garland surtout dans la façon
d’utiliser les blocks chords. C’est dans la composition de Gigi Gryce,
avec les paroles de Jon Hendricks qu’elle réalise la forme la plus aboutie de
son projet musical, associant chant et musique dans un esprit
«lied». Elle est bien entourée, tant par Cory Weeds, un ténor bien
dans l’esprit de sa musique, que par le reste de la rythmique; le batteur
joue bien et «fait ce qu’il faut et ce qu’il doit». La
contrebassiste, Jordi Proznicki est parfaite. Un
an plus tard, avec After Dark, le ton
d’ensemble est différent, plus orienté production commerciale. Il n’en est pas
moins agréable, sinon plus travaillé. Comme dans le précédent, nous retrouvons
la part de songs
de Tin Pan Alley («That Old Feeling», «What
a Difference a Day Made», «Blue Skies», «Mad About the
Boy», «All Of Me»), qui permet à la chanteuse d’œuvrer avec
un certain talent dans son dialogue avec le piano, ne manquant jamais d’évoquer
quelques versions rendues célèbres par quelques grands – «That Old
Feeling», manière Garner bien exécutée ou «What a
Difference», dans un accompagnement façon King Cole à l’articulation des
phrases. Cependant les autres pièces, plus enracinées dans la tradition du
jazz, lui permettent de faire valoir ses qualités de chanteuse-musicienne et de
pianiste nourrie et avertie de la littérature du jazz. Sa composition, «Midnight
Stroll», un blues bien assis en piano solo, est une bonne illustration de
cet héritage. C’est dans les thèmes walleriens, dont elle a parfaitement
assimilé les subtilités, qu’elle est le plus à son affaire, et qu’elle relit de
manière ludique en traitant son instrument dans l’esprit Hank Jones (Ain’t Misbehavin, 1978). Dans
cet opus, la jeune chanteuse s’essaie à reprendre des thèmes interprétés par
Dinah Washington qu’elle semble particulièrement apprécier: «Baby
Won't You Please Come Home» ou « (I’ve Got) a Bad Case of the
Blues» (version Mercury 1959) en attestent. Néanmoins sa tessiture de
voix ne semble pas convenir à cet objectif; son amplitude comme sa
puissance ne lui permettent pas de transcrire la dramaturgie des textes;
alors qu’elle s’en acquitte fort bien musicalement, avec beaucoup de réussite
même. Sur quatre faces de l’album, Champian a invité son père, Stephen Fulton.
Son style très lyrique constitue un très bon contrepoint à sa voix
(«Ain’t Misbehavin’» ou «A Bad Case of the Blues»). Ses
soli sont également de très belle facture, que ce soit en medium tempo
(«Blue Skies», «A Bad Case of the Blues») où le
musicien laisse à ses notes tendrement voilée la totale liberté d’emplir l’espace
qu’en tempo soutenu («Travelin’ Light») où sa filiation avec Clark
Terry devient indubitable. Plus que tout, c’est la complicité musicale entre
père (parfois intimidé) et fille (qui s’affirme avec et contre lui) qui fait
plaisir à entendre. Au-delà de ce duo à l’intérieur de l’album, qui lui donne
une couleur particulière, c’est la qualité de la section rythmique qu’il
convient de souligner. Que ce soit David Williams ou Lewis Nash, Champian a
choisi deux merveilleux musiciens qui excellent dans cette fonction
d’accompagnateur qui exige présence et discrétion à la fois. Par ailleurs, ils
sont aussi brillants solistes (à l’archet sur «Blue Skies» oupizzicato sur«All of Me» DW;
4/4 de LN sur «Travelin’ Light»). Leur mise en place est un modèle
du genre. Change
Partnerset surtout After Darksont deux très bons albums
de jazz. Et si Champian Fulton n’entre pas dans la catégorie des légendes
vocales, la chanteuse livre un résultat impeccable. En revanche, la pianiste a
un vrai talent: c’est plus qu’agréable à écouter!
Whirlybird,
Little Pony, Corner Pocket, Lovely Baby, Bleep Blop Blues, Nails, The Kid from
Redbank, Well, Alright, OK, You Win; Roll’ Em Pete, Gee, Baby Ain’t I Good to
You, One O’Clock Jump, Shiny Stockings, H.R.H. , A Little Tempo Please , Makin’
Whoopee, Who Me, In a Mellow Tone, Blues
in Hoss’ Flat, Splanky; Segue in C, Why Not, Easy Money, Vine Street Rumble,
Discomotion, Mama’s Talking Soft, Jumpin’ at the Woodside, Easin’ It, Basie, Lil’
Darlin’, Toot Sweet, You’re Too Beautiful, Bleep Blop Blues, April in Paris,
The Song is You, Stella by Starlight, Cute, I Needs to Be Bee’d With, Nails,
The Blues, One O’Clock Jump Count
Basie (p), Wendell Culley, Snooky Young, Sonny Cohn (tp1), Joe Newman, Thad
Jones, Al Aarons (tp), Henry Coker, Benny Powell, Al Grey, Quentin Jackson
(tb), Marshall Royal (as1, cl), Frank Wess (as, ts, fl), Frank Foster (ts, cl),
Eddie Davis, Billy Mitchell (ts), Eric Dixon (ts, fl), Charlie Fowlkes (bs), Freddie
Green (g), Eddie Jones (b), Sonny Payne (dm), Joe Williams, Irene Reid (voc) Enregistré entre le 9 novembre 1957 et 5 mai 1962, Paris Durée: 2h 33’ 32’’ Frémeaux & Associés 5619 (Socadisc)
L’auteur de ces lignes déplore l’abandon des rééditions, après l’âge d’or des années 1990, outils indispensables à la «mémoire» et aussi à l’éducation des plus jeunes qui n’abordent de nos jours ce qu’ils croient représentatif d’un genre que par les nouveautés, dernières émanations pour l’essentiel éloignées du cœur du sujet. Peut faire le même office, la sortie, comme ici, d’inédits des maîtres qui outre les mêmes nécessités, combleront aussi les «jazzfans» chevronnés (du moins, ce qu’il en reste). Voici donc d’inespérés trésors que nous devons à Frank Ténot, Daniel Filipacchi et Norman Granz, enregistrés en direct à l’Olympia (onze des quinze titres des 9 et 12 novembre 1957 -quelques jours après la mise en boîte de l’album historique Atomic Basie- et vingt morceaux du 5 mai 1962 –tout le CD2) et au Palais de Chaillot (neuf titres, 29 mars 1960), grâce aux équipes techniques de la radio Europe 1 (pas terrible en 1957). Lorsqu’il célébra les 25 ans de l’orchestre, en 1960, Count Basie (1904-1984) était au sommet de sa popularité internationale. C’est plus que de l’éducation que ce genre de disques permet, c’est de la rééducation des oreilles (et du cerveau) sur ce qu’est la nature même du swing. L’arrivée exubérante de Sonny Payne, qui surclasse son bon prédécesseur Gus Johnson, y est pour beaucoup. Pour Basie: «Comment swinguer? C’est la façon de jouer qui fait tout» (livret). En plus, l’orchestre Basie, à toutes ses époques et surtout celle-là, est une constante démonstration du jeu décontracté (même dans l’effervescence), agrémentée d’une parfaite maîtrise des dynamiques (exemple: la fin de «Segue in C»), des contrastes entre les pupitres. L’écoute des amateurs (parfois chevronnés) comme des consommateurs de jazz, trop soumise à la performance des solos (l’improvisation n’est qu’un plus, et non un but), passe donc souvent à côté d’un intérêt primordial de l’art des grands ensembles, celui de l’orchestration (d’où l’importance des arrangeurs comme Neal Hefti, Ernie Wilkins, Buster Harding, Frank Foster, Thad Jones, Quincy Jones, Benny Carter). Le plaisir de l’auditeur doté d’une bonne oreille éduquée est de percevoir au-delà d’un résultat sonore global, tous les détails de traitement du son et du rythme, pupitre par pupitre, voir des alliages (exemples: passages de flûte et trompettes avec des sourdines différentes dans «Segue in C»; background au solo de basse dans «Mama’s Talking Soft» par deux flûtes –Wess et Dixon-, clarinettes –Royal et Foster- et clarinette basse –Fowlkes-; stop chorus écrit pour la section de trompettes dans «Discomotion»). On regrette donc que le livret ne donne pas le nom des arrangeurs qui le méritent autant que chaque musicien exécutant, artisan de pupitre comme artiste soliste. Chez Basie tout porte à l’excellence collective que le «live» préserve autant que la technicité en studio. Il est dommage aussi que les noms des solistes ne soient pas mentionnés, car Basie ne les annonce que rarement (Frank Foster, ts, dans «Little Pony»; Eddie Jones, b, dans «Nails» dont le solo est truffé de citations en 1957 comme en 1962 –même band vocal–) et il est douteux qu’aujourd’hui un nouveau venu sache identifier tel trompettiste même au jeu considéré, hier, comme personnel (exemple: Snooky Young, au style swing et percutant avec plunger dans «Who Me»). L’album Atomic Basie, d’octobre 1957, sur des arrangements essentiels de Neal Hefti («Lil’ Darlin’», «Splanky», etc.), pour le label Roulette nouvellement lancé, marqua une nouvelle étape pour cet orchestre qui disposait d’une belle phalange de solistes (Joe Newman, tp, Henry Coker, tb, Eddie Lockjaw Davis, ts), de premiers pupitres (Wendell Culley et Snooky Young, tp, Marshall Royal, as) et d’une rythmique de rêve (Basie, Freddie Green, g, Eddie Jones, b, Sonny Payne, dm) pour son image de marque, le swing. Peu après celui de Duke Ellington (à Newport en juillet 1956, avec notamment les 27 chorus de Paul Gonsalves sur Diminuendo in Blue and Crescendo in Blue), le grand orchestre de Count Basie ressurgit donc sur le devant de la scène jazz internationale, prouvant s’il en était besoin (pour les Hodeir et disciples en tout cas) que la nouveauté n’a nul besoin de renoncer à la raison d’être d’un genre expressif. A cette même époque charnière 1956-57, Dizzy Gillespie aussi dirigeait un excellent big band, mais il ne s’imposera pas durablement contrairement à celui de Count Basie qui a, avec succès, chez les solistes, joué l’assimilation/intégration d’une approche bop (Thad Jones, tp, Benny Powell, tb, Frank Foster, ts-cl-arr, Frank Wess, as-ts-fl –ces deux derniers recommandés à Basie par Billy Eckstine). Remarquons la stabilité du personnel en 1957-62, clé d’accès à la perfection, pour la rythmique et pour la section de sax à un ténor près (Lockjaw Davis en 1957, puis Billy Mitchell -1960- et enfin Eric Dixon, également flûtiste -1962-). Celle-ci est menée par le premier alto «chantant» Marshall Royal. Sa sonorité donne la couleur et la personnalité de toute la section («Lovely Baby» -où le baryton de Charlie Fowlkes donne du poids-, «One O’Clock Jump» -générique de fin de concert-, «H.R.H», «Easy Money», «April in Paris», etc.). Marshall Royal, musicien de culture classique, était directeur musical, et Count Basie se reposait sur lui. Si Count Basie aimait singulièrement son équipe de 1957 («Quand on avait Joe Newman, Thad Jones, Snooky Young et Wendell Culley là-haut dans la section de trompettes, on était tranquille», in Good Morning Blues, p43 –section malheureusement desservie ici par l’enregistrement: «Bleep Blop Blues», CD1-Joe Newman, tp solo et très difficile passage pour la section menée par Snooky Young), le prélude à sa renaissance est déjà dans l’album April in Paris pour Verve (enregistré les 26 juillet 1955 et 4 janvier 1956) dont des morceaux se sont inscrits durablement à son répertoire et que nous retrouvons ici en 1957 («Corner Pocket» de Freddie Green, arrangé par Ernie Wilkins, donne à entendre Thad Jones –qui reprend la citation de «Cherry Pink» comme dans le disque- et Frank Wess), en 1960 («Shiny Stockings» avec un solo bop de Thad Jones, le piano économe du chef et des breaks de Sonny Payne) et en 1962 («April in Paris», arrangé par Hefti avec sa célèbre fausse coda). On constate qu’au cours des deux concerts de 1957, deux titres seulement viennent de l’Atomic Basie: «Whirly-Bird» (où, concurrence du syndrome Ellington/Gonsalves, Eddie Lockjaw Davis fait monter la «sauce») et «The Kid From Red Bank» bien sûr pour le piano de Basie en vedette (on notera les riffs de trompettes en détaché, et la coda qui prouve que sans un 1er trompette et un batteur de classe il n’y a pas de bon big band)! En 1960, il joue encore «Splanky» de Thad Jones (thème en appel-réponse des sections de cuivres et de saxophones, solo véhément de Billy Mitchell, ts, et les trois notes du chef en clôture). En 1962, l’incontournable «Li’l Darlin’» d’Hefti d’Atomic Basie est toujours là, avec son solo de trompette écrit, souvent assumé par le premier pupitre (qui rappelons-le n’est pas le soliste attitré qui le plus souvent est 2e à 4e pupitre, mais le meilleur technicien de l’équipe, pas forcément bon improvisateur, responsable de l’esprit musical à donner à l’ensemble) et qu’une multitude de trompettistes professionnels et amateurs, de par le monde, ont joué et rejoué note pour note. Ce solo créé en 1957 par Wendell Culley (avec la sourdine harmon avec tube et du vibrato) fut repris, comme ici (librement), par Sonny Cohn qui a remplacé Culley dès 1960. Basie aimait beaucoup Joe Williams qu’il présenta dans un album de 1955 Count Basie swings–Joe Williams Sings (Barclay GLP 3561) et qui deviendra une vedette auprès du grand public. Joe Williams, inspiré par Big Joe Turner et Billy Eckstine, chante juste, avec une bonne diction et un certain swing. Il apparaît ici dans trois titres: «All Right Okay You Win» qui lui convient bien, «Roll ‘Em Pete» (solo de Frank Wess, ts), deux blues, et le «Gee, Baby» de Don Redman (1957). C’est Quentin Jackson qui a remplacé Al Grey, parce que «Base» voulait qu’il y ait toujours un spécialiste du plunger dans la section de trombone. Et Quentin Jackson nous donne là de belles démonstrations: «Makin’ Whoopee», «Segue in C» (qui vaut aussi pour le véhément sax ténor au son charnu, Billy Mitchell). Quentin Jackson dispose d’excellents collègues de pupitre bons solistes: le bopper Benny Powell («A little Tempo Please») et surtout Henri Coker, puissant («In a Mellow Tone» où il débute sur des notes pédales; «Blues in Hoss’ Flat», morceau de Basie et Foster pour l’album Roulette Chairman of the Board de 1958, rendu célèbre par le sketch de Jerry Lewis, avec ici un Snooky Young, méchant et growleur avec le plunger). On ne compte plus les big bands qui ont joué «Cute» de Neal Hefti destiné à mettre en valeur le batteur et lancé par l’album Basie Plays Hefti (avril 1958, Roulette Records R52011). Mais rares sont ceux qui avaient un artiste comme Sonny Payne aux balais (ici, en 1962 –Frank Wess, fl-). Bien entendu les critiques conventionnels n’en avaient que pour Max Roach et Art Blakey (qui sont passés en 1956-57 par un sommet dans leur genre), sans porter assez attention à Sonny Payne, un transfuge de l’orchestre Erskine Hawkins qui a beaucoup joué au Savoy pour les danseurs. Il swingue de façon directe, intense. Un atout de Basie est dès lors le jeu furieux de Sonny Payne à la fin de nombreux titres («Lovely Baby» -notez le «shake» du premier trompette-, «In a Mellow Tone», ««Splanky», «Bleep Blop Blues», etc). En 1962, Count Basie mélange vieux succès («Jumpin’ at the Woodside» -bon solo avec citations de Frank Foster-) et nouveautés du moment tirées de The Music of Benny Carter (7 septembre 1960, Roulette 52056) et From the pen of Benny Carter (2 novembre 1961, Roulette 52086), respectivement «Vine Street Rumble» (en vedette: le Count et Eric Dixon, disciple de Paul Gonsalves) et «Easy Money» (solos de Thad Jones et Benny Powell). Dans «Toot Sweet», on retrouve les préoccupations d’alliage sonore présentes dans l’album Impulse! The Kansas City 7 (mars 1962): la trompette avec sourdine de Thad Jones et la flûte de Frank Wess (ils sont aussi solistes dans «Why Not»). Dans «Easin’ It» de Frank Foster, toute la section de cuivres est à l’honneur (alternatives, dans l’ordre: Henry Coker, ouvert, Quentin Jackson, plunger, Benny Powell, sourdine soft, puis Al Aarons, Sonny Cohn, Snooky Young, Thad Jones). Le méconnu Eric Dixon (1930-1989) est soliste dans «Basie» d’Ernie Wilkins et dans la ballade «You’re Too Beautiful» (influence de Ben Webster). Quentin Jackson (plunger) est soliste dans «I Need to Be Bee’d With» de Quincy Jones (qui vaut aussi pour Basie) et en contre-chant d’Irene Reid dans «The Blues» (lent), tandis que le bopper Benny Powell est en vedette dans «The Song is You», un standard qui a pour pendant «Stella by Starlight» pour un remarquable trompette concurrent d’Harry James en Sonny Cohn (vibrato, beaux aigus!). Cette nouveauté, puisqu’il s’agit d’inédits, intéressera les jazzophiles vétérans qui retrouveront les principes de leur formatage (et l’ambiance des concerts du Count), mais aussi les apprentis batteurs, les orchestrateurs et ceux qui aiment que ça swingue de façon ludique sans chercher, contrairement à cette chronique, à savoir qui fait quoi.
Jeb
Patton (p), D. Wong (b), Lewis Nash (dm), Albert Tootie Heath (dm) + Elena Pinderhugues (fl), Michael
Rodriguez (tp), Dion Tucker (tb), Dmitri Baevsky (as), Pete Van Nostrand (dm) Make Believe, Gigi, Rise
& Fall, Cool Eyes, Orpheo’s Wish, Holy Land, Hidden Horizons, I’ll Be Around,
Foreign Freedom, Violets for Furs, Juicy Lucy Enregistré
en 2014, New York Durée: 1h 03’ Cellar Live 010515 (www.cellarlive.com)
Même
s’il a dépassé la quarantaine Jeb Patton est pour nous une découverte. Nous
sommes face à un brillant pianiste qui, tout en ayant un toucher moderne, joue
un jazz ancré dans la tradition et avec le swing. Jeb tire ses connaissances
des enseignements de Sir Roland Hanna. Les prestations en trio offrent un grand
dynamisme et mettent en évidence toutes les qualités de Patton:
virtuosité sans effet inutile, percussivité. Son jeu main droite déborde de
vivacité. Jeb offre pour ce travail en trio notamment deux excellents thèmes de
Horace Silver et un de Jerome Kern. Ses partenaires, s’inscrivant parfaitement
dans le travail de Jeb, sont économes en soli mais dans ce domaine Nash est
excellent sur «Cool Eyes». Patton sait aussi se montrer maître dans
la ballade comme il le fait savoir sur «Violets for Furs». On doit
noter également que le trio joue de la même manière que ce soit Nash ou
«Tootie» qui manient les baguettes. Les cinq compositions personnelles révèlent également les possibilités du
pianiste dans cet art. Il y inclue trompette, flûte, saxo ou trombone. Sur
«Gigi», «Rise and fall» et «Orpheo’s wish»
on relève la présence de la flutiste Elena Pinderhugues. Une petite vingtaine
d’années et un grand talent. Si elle est ici à disposition du pianiste(avec un beau solo sur le dernier de ces thèmes);
en d’autres circonstances on peut l’entendre exprimer pleinement toute sa
classe. Elle a déjà côtoyé quelques pointures comme Hancock, Barron, Spalding,
«Maraca», Redman… Le trompettiste Michael
Rodriguez rejoint les partenaires de Patton dès que la géométrie du groupe
dépasse le trio. C’est un bon interprète qui, dans un solo, se hisse à la
hauteur de son leader; il est époustouflant sur «Hidden
Horizons». Dion Tucker (tb) s’incorpore à la formation sur plusieurs des
compositions de Jeb, ainsi que Dmitri Baevsky (as) sur «Foreign
Freedom» ce qui transforme sur ce thème la formation en un beau quintet. On
notera que sur quatre des cinq compositions de Jeb Patton les batteurs attitrés disparaissent au profit
de Pete Van Nostrand et que le bon contrebassiste David Wong est présent sur l’ensemble
des titres.
Antonio
Adolfo (p), Marcelo Martins (fl, ss), Leo Amuedo (elg), Claudio Spiewak (g), Jorge
Helder (b), R. Barata (dm, perc), Armando Marçal (perc) Alegria for all, Natureza,
Phrygia Brasileira, Sambojazz, Alem mares, Sao Paulo Express, Todo dia, Trem da
Serra, Melos, Variations on a Tema Triste Enregistré
à Rio de Janeiro (Brésil), date non précisée Durée: 52’ AAM Music 0708 (www.aammusic.com)
Antonio Adolfo a exhumé plusieurs de ses travaux de la fin des années soixante,
pour certains en collaboration avec Tiberio Gaspar, Xico Chaves. Il les a, cinquante
ans après, à la lumière de la maturité, retravaillés, réarrangés, transformés
en versions instrumentales et enregistrés avec des musiciens actuels. On est dans l’ensemble en présence de versions
qui prennent leur liberté face à la MPB
qui nous est bien connue comme le «Phrygia Brasileira»
inspiré pourtant du folklore. Antonio Adolfo est un excellent pianiste au style
très percussif comme le montre «Sambo Jazz». Sur ce dernier thème
il s’adjoint les percussions de samba offertes pas Hugo Sandim.
Le disque recèle d’autres bonnes plages à l’image de «Alegria for
all», «Sao Paolo Express» ou encore «Trem da
Serra». Parmi ses excellents partenaires signalons le très bon travail
des percussionnistes et l’interprétation de Leo Amuedo (elec.g) sur «Sao Paolo Express» et
«Sambo Jazz» auquel se joint celui qui au long du disque tient la
guitare acoustique, Leo Spiewak, pour ce dernier thème à la basse électrique.
Quant à M. Martinez nous le préférons nettement au saxophone soprano plutôt qu’à
la flûte.
European Jazz Sextet Live at the International Jazzfest in Viersen
V'S Groove, D'NA, Lonnies's Lament, Impressions, Chasin' the
Trane Alan Skidmore (ts), Gerd Dudek (ts,ss), Jiri Stivin (as, fl),
Steve Melling (p), Ali Haurand (b), Clark Tracy (dm) Enregistré le 27 septembre 2013, Viersen (Allemagne) Durée: 48' 18'' Konnex 5309 (www.konnex-records.de)
Selon une formule assez inhabituelle (deux sax ténor dont un
joue aussi du soprano, et un sax alto également flûtiste, devant une section
rythmique conventionnelle), ce sextet, enregistré en public au festival
Jazzfest de Viersen fait preuve d'un bel enthousiasme. Il reprend trois thèmes
de John Coltrane (issus des albums Crescent, Chasin' the Trane et
Impressions) et développe, dans la même veine, deux thèmes composés par
le pianiste (évidemment, très influencés par McCoy Tyner). L'univers est connu,
mais semé d'embûches, tant on a usé de pointes de lecture sur nos platines
vinyles en écoutant les versions originales. Pourtant, ces cinq musiciens
natifs de Grande Bretagne, d'Allemagne, de République Tchèque, et de Pologne,
semblent avoir pour langue maternelle un«esperanto» du jazz contemporain familier et savant. Magie, magie... car, où et quand se retrouvent-ils donc pour
répéter, choisir les thèmes et définir les arrangements? tant l'alchimie
de cette rencontre fonctionne bien. Les arrangements subtils et efficaces, le
drive d'enfer et les solos très inspirés emportent l'enthousiasme (les
spectateurs ne s'y trompent pas et applaudissent à tout rompre, affolant,
parfois, les aiguilles des potentiomètres). Le résultat est tout simplement
stupéfiant: un hommage et une re-création de l’œuvre de Coltrane d'un tel
niveau mérite l'admiration. Bravo messieurs!
Goody Goody, Imagination, At Long Last Love, Moonlight in
Vermont, Without A Song, Day-In Day-Out, I've Got You Under My Skin, I Get a
Kick Out Of You, The Second Time Around, Too Marvelous for Words, My Funny
Valentine, In the Still of the Night, April in Paris, You're Nobody Till
Somebody Loves You, They Can't Take That Away From Me, All the Way, Chicago,
Night and Day, One for My Baby, I Could Have Danced all Night, A Foggy Day, Ol'
Man River, The Lady Is a Tramp, I Love Paris, Come Fly With Me Frank Sinatra (voc), Bill Miller (p), Al Viola (g), Emil
Richards (vb), Harry Klee (as, fl), Ralph Pena (b), Irv Cottler (dm) Enregistré 5 et 7 juin 1962, Paris Durée 1h 18' 51'' Frémeaux & Associés 5470 (Socadisc)
Comme on célèbre le centième anniversaire de sa
naissance,Frank Sinatra se retrouve
opportunément à la une de nombreux de magazines censés incarner le bon goût en
matière de Culture. «The Voice» est donc de nouveau en cour. «C'est dur d'être
aimé par des cons!» aurait pu titrer le regretté Cabu, grand connaisseur du
jazz. Oubliées donc ses relations troubles avec la mafia, ses rapports
tumultueux avec les Kennedy et ses frasques scandaleuses. Dix-sept ans après sa
disparition, Frankie est pardonné; il n'est même plus ringard... On se réjouira, à l'inverse, de l'initiative des éditions
Frémeaux de mettre à notre disposition ce live de 1962. A 46 ans, Sinatra est
alors au sommet de sa gloire et c'est la première fois qu'il se produità Paris (au Lido le 5 juin et à l'Olympia le
7 juin), au cours d'une tournée mondiale, entièrement à sa charge (car à but
caritatif). Etait-ce pour redorer son image? Sur des arrangements de Neal
Hefti, il est accompagné par le sextet du pianiste Bill Miller pour un show
millimétré, (identique tout au long de sa tournée)et impeccable de bout en bout, devant le
«tout Paris». Juliette Gréco, Fernand Raynaud, Tino Rossi et Henri Salvador,
étaient-là, dit-on.La noblesse de ses
intentions ne l'empêchera pas toutefois de passer quelques moments privilégiés
et privés (heureux homme) avec les «Bluebell Girls», ces danseuses sculpturales
du cabaret du Lido. Certes, il reviendra quatre fois à Paris entre 1975 et
1991, mais les fans inconditionnels du «crooner aux yeux bleus», ne manqueront
pas de porter une oreille attentive aux vingt-cinq chansons de ce CD.
3 CDs: titres
et personnels détaillés dans le livret Enregistré entre
1959 et 1962, principalement en Californie Durée: 1h 09’ + 1h
02’ 26’’ + 1h 07’ 56’’ Frémeaux &
Associés 5482 (Socadisc)
Plus de 50 titres,
soigneusement sélectionnés, répartis sur seulement deux années permettent
d’avoir une bonne vision de ce qu’a pu être la vogue de la bossa nova aux USA.
Si le livret présente le célèbre concert
du Carnegie Hall du 21 novembre 1962 comme l’événement fondateur de cet engouement,
il n’est pas le point de départ de l’intérêt des jazzmen américains pour la
musique brésilienne et la bossa nova. Mentionnons, parmi d’autres, la visite à
Rio, dès 1959, de Sarah Vaughan puis celle, l’année suivante, de Lena Horne qui
se lance dans l’interprétation de «Bim Bom» de Joao Gilberto au club Copa. La
même année, Charlie Byrd s’intéresse au genre puis Tony Bennett et Don Payne
qui, captivé par les explications qu’on lui donne et la musique qu’il écoute, rapporte
à Stan Getz tout ce qu’il a pu apprendre et acquérir. Herbie Mann et de
nombreux jazzmen sont présents à Rio de Janeiro pour l’American Jazz Festival
en juin 61. Le flûtiste a aussi passé de longues journées en CalifornieavecJoao Donato. Dans l’univers des jazzmen, la table bossa nova est mise
depuis quelques mois lorsque le fameux concert est organisé et le grand public
conquis. Le coffret présenté
par Frémeaux & Associés rassemble ainsi une très grande majorité d’enregistrements
antérieurs au concert de novembre 62, qui, mis sur le marché quasiment à la
sortie des studios, étaient donc à disposition du public américain. Tout était
prêt pour le raz-de-marée populaire. Des thèmes précèdent même les dates indiquées
par le coffret: celui de Bud Shank (signalé 1959) est en réalité enregistré
en mars 1958 à Los Angeles; ceux
du vocaliste Jon Hendricks sont de 1961.
D’autre part, la date de 1962, proposée pour «Speak Low» (CD2) de Laurindo
Almeida, nous semble une erreur car le WP 1412 dont il serait issu est une
réédition du PJ 1204 enregistré en avril 1954. Petite erreur aussi, Charlie Rouse enregistre sa version pleine de swingde «Samba de Orfeu» (CD3), non pas en 1960,
mais juste après le concert du Carnegie, le 26 novembre 1962 à New York. Qui sont les jazzmen ayant enregistré la bossa nova et pourquoi cet
intérêt? Notons qu’à l’exception de Dizzy Gillespie, fasciné par tout ce
qui est latin, Charlie Rouse, Coleman Hawkins et Jon Hendricks tous les autres acteurs
proviennent du jazz «blanc». Et il y a une certaine logique. La bossa nova est le produit musical d’une jeunesse brésilienne blanche, certes
en rupture mais issue de milieux aisés et raffinés qui vit hors des quartiers
noirs, principalement vers les plages. Imprégnés
de culture européenne ces jeunes écoutent pourtant le jazz, celui de la Côte
Ouest des Etats-Unis, Rogers, Mulligan, Baker, Brubeck… mais aussi du bebop. Tous
sont de brillants musiciens avec une solide formation classique, académique.
Ils composent une musique de qualité, avec de belles harmonies, des
arrangements raffinés, des paroles soignées offertes pas des auteurs de talent.
(Jon Hendricks voulait toujours en connaître le sens avant de s’en emparer). De par leur culture
et leur formation, les jazzmen du style dit West Coast sont les plus attirés
par cette jeune génération brésilienne et les plus sensibles à la bossa nova – très
clairement un polissage du samba populaire – et c’est grâce à eux que la bossa
a pu sortir de la confidentialité et du Brésil. Stan Getz est bien
entendu le chef de file du «mouvement». Il offre sur ces disques
cinq thèmes, abondamment diffusés par ailleurs, dont trois de son tout premier
enregistrement avec CharlieByrd en mars 1962. Dave Brubeck était
incontournable et ses cinq titres sont tous issus de l’album sorti début 1963. On
relève également le très bon Zoot Sims dont le son convient bien au genre sur
l’historique «Maria Ninguém» (CD3) et les moins connus «Ciume» (CD2), «Recado bossa
nova» (CD2), «Cantando a Orquestra» (CD3) le tout provenant
de la même session d’enregistrement du mois d’août 1962. Herbie Mann est
sans aucun doute l’un des plus prolixes de l’année 62, il enregistre la Bossa à
tour de bras en mars, avril et octobre. Sa présence à Rio de Janeiro dans les
mois antérieurset le fait qu’il s’installe
en studio en octobredans la cité
carioca lui ont permis de rassembler autour de lui des noms comme Baden Powell
(g), Sergio Mendes (p), Durval Ferreira (g), Paulo Moura (as), Carlos Jobim (p
et voix), Dom um Romao (dr)…Les cinq
morceaux présentés ici sont issus de trois sessions successives de ce dernier
moisavec des personnels différents. On
en goûte la richesse rythmique particulièrement dans« Deve ser amor» (CD1),«Influênza do jazz» (CD1). Deux noms très
discutés chez les amateurs de jazz, ceux de Cal Tjader et de George Shearing ne
pouvaient faire défaut. De Tjader cinq morceaux nés en mars 62 à Hollywood
figurent sur les CDs. Ils font partie d’un ensemble comprenant aussi des thèmes
mexicains montrant la versatilité de Carl et son flair quant à surfer sur les
modes. Shearing apporte sa version du célèbre «Manha de Carnaval» (CD1)
avec une interprétation qui correspond assez bien à l’atmosphère de la musique
originale du film de Marcel Camus plus qu’à une version jazz et «One note
samba» (CD1). Coleman Hawkins
enregistre en septembre des disques qui ne sortiront qu’au début de l’année
suivante. On apprécie le jazzman qui prend le pas sur la musique brésilienne.
Hawkins a su déceler dans le réservoir de la Bossa un titre clé de celle-ci
«O Pato» (CD2) et en donner une version très personnelle. D’autres
interprètes peut-être moins connus méritent d’être écoutés comme le Brésilien
Laurindo Almeida dont le rôle a été important dans l’implantation de la musique
brésilienne en Californie avant même la naissance de la Bossa Nova puisqu’en
1952 il pratique déjà une fusion jazz-choro avec Bud Shank. Il offre ici
l’excellent «Speak low» (Cd1) (1954). On retrouve d’ailleurs sur le
CD1 Laurindo avec Bud pour «Lonely» non en 1959 comme le précise le
livret mais à Hollywood en mars 1958. Figure aussisur les différents disques Bob Brookmeyer avec «Chora sua tristeza» (CD1) d’août
1962.Le trombone swingue bien et les
guitares et percussions brésiliennes donnent l’ambiance. «A Felicidade»
nous semble bien moins intéressant. On trouve encore cinq thèmes interprétés
par le pianiste argentin Lalo Schifrin. La prestation de
Gillespie à la trompette est excellente mais il propose une introduction
puérile dans «Chega de Saudade» (CD1). C’est son partenaire Lalo
Schifrin (p) qui apporte le back ground
brésilien car Dizzy joue jazz. Cela vaut pour «Desafinado» (CD2). Il est surprenant
de ne pas avoir choisi pour cette compilation d’inclure Cannonball Adderley qui,
en décembre 1962 à New York, enregistre magnifiquement des thèmes moins
classiques permettant de prendre une liberté et de se montrer moins cool que ne le sont Getz, Brubeck et
autres. Nous avons aussi
aimé pourvoir comparer les diverses versions d’un même thème proposées par le coffret. Ecouter «Desafinado»
par Getz, Dizzy, Hawkinsoffre la possibilité d’apprécier la manière dont
chacun aborde la Bossa et la ressent. C’est vrai aussi pour «Samba de uma
nota so» par Brubeck, Mann, Shearing, Hawkins;«Chega de Saudade» par Hawkins et
Gillespie. On aurait aimé une autre version de «Meditação» en plus
de celle de Tjader. On ne peut que
recommander ce très beau coffret qui rassemble bien l’essentiel des amours
entre jazz et bossa nova.
Just Say Goodbye, Better Than Anything, I’m
Gonna Leave You, Mack The Knife, Where’d It Go, Nowhere to Go, Jive, Nerver
Leave Me, Para Raio, The End of the Line Sarah Thorpe (voc), Olivier Hutman (p, arr),
Darry Hall (b), Philippe Soirat (dm) + Ronald Baker (tp, flh), Guillaume
Naturel (ts, fl) Enregistré les 29-30 décembre 2014 et le 14
janvier 2015, Maurepas (78) Durée: 41' 58'' Spirit of Jazz Productions / Elabeth ST001 (www.spiritofjazz.fr)
Pour ce premier enregistrement, Sarah Thorpe
nous offre une promenade sensible entre standards et titres moins
courus. Formée par Daniela Barda et Sarah Lazarus, elle a également suivi
l'enseignement de Joe Makholm, Michele Hendricks et Géraldine Ros. Entourée par
un quintet monté pour cette session, la chanteuse impose son univers
particulier, entre jazz et rythm'n'blues, sur les arrangements inspirés
d'Olivier Hutman, qui compte également à son actif une prestigieuse carrière
d'accompagnateur (Clifford Jordan, Steve Grossman, Clark Terry, Stéphane
Grappelli, etc.). On lui doit notamment ici un «Mack the Knife» métamorphosé et sur
lequel Sarah Thorpe a posé de nouvelles paroles. Il en ressort une ballade
brillante, sans doute le morceau de bravoure de cet album. C'est que la vocaliste franco-britannique, a,
en effet, et avant tout, le talent de s'être très bien entourée: Darryl Hall,
une référence de la scène jazz internationale (Benny Golson, Kirk Lightsey,
Mary Stallings, Eric Reed, Dianne Reeves, etc.), un excellent batteur parisien,
Philippe Soirat, et deux très bons guests, Ronald Baker et Guillaume
Naturel. Portée par ce line-up de luxe, Sarah Thorpe tire son
épingle du jeu sur les tempos lents, qui lui permettent de jouer sur
l'émotion. On a
sinon plaisir à entendre le solo de Darryl Hall en ouverture de «Better Than
Anything», les interventions de Philippe Soirat sur «Jive» ou l'élégante
sourdine de Ronald Baker sur «Just Say Goodbye». Le disque se termine avec une vibrante reprise de Nina Simone, «The End of
the Line», qui contribue à en faire de l'ensemble un beau moment d'évasion.
Mack Avenue SuperBand Live From the Detroit Jazz Festival 2014
Introduction, Riot, The Struggle, A Mother's Cry, Santa
Maria, For Stephane, Introduction to Bipolar Blues Blues, Bipolar Blues Blues Tia Fuller (as, ss), Kirk Whalum (ts, fl), Aaron Diehl (p),
Rodney Whitaker (b, dir), Evan Perri (g), Carl Allen (dm), Warren Wolf (vib) Enregistré le 1er septembre 2014, Detroit (Michigan) Durée : 59’ 12’’ Mack Avenue 1096 (www.mackavenue.com)
Enregistré en live lors d’un grand festival américain, avec
un orchestre a priori de rêve quand on note la présence de Carl Allen, Rodney
Whitaker et Aaron Diehl, le résultat est très décevant, en dépit des
applaudissements, avec trois premiers thèmes très démagogiques (on est à
Detroit) quand on connaît la valeur de ces musiciens. Sort du lot le «Santa Maria» d’Aaron Diehl qui fait briller
ses talents de compositeur et de grand concertiste sur la première composition
digne de ce nom qui fait d’ailleurs la différence avec le thème suivant «For
Stephane» qui tire pourtant son inspiration de la même source.
La touche finale sur «Bipolar Blues Blues» de Kirk Whalum,
plus rhythm’n’blues, a pu faire danser sur place, mais reste assez pauvre pour
l’écoute en disque, bien que plus épicé que la plupart des autres thèmes. Et
pourtant la section rhytmique est vraiment de rêve et en donne quelques moments sur «Bipolar Blues Blues». C’est dommage!
Ran Blake / Ghost Tones Portraits of George Russell
Autumn in New York,
Alice Norbury*, Living Time*, Paris, Telegram From Gunther, Biography,
Stratusphunk, Jack's Blues, Manhattan, Ballad of Hix Blewitt, Cincinnati
Express, Vertical Form VI, Jacques Crawls*, Lonely Place, Ezz-Thetic*, You Are
My Sunshine, Autumn in New York (alt. take) Ran Blake (p, elp*) + Peter Kenagy (tp), Aaron Hartley (tb),
Doug Pet (ts), Eric Lane (p, elp), Jason Yeager (p), Ryan Dugre (g), Dave Knife
Fabris (g), Rachel Massey (vln), Brad Barrett (b), David Flaherty (dm, perc),
Charles Burchell (dm, perc), Luc Moldof (electronic) Enregistré les 24 et 26 août 2010, Boston (Massachusetts) Durée : 1h 04’ 43’’ A-Side 0001 (www.a-siderecords.com)
Ran Blake / Christine Correa The Road Keeps Winding: Tribute to Abbey Lincoln Volume Two
Straight Ahead, The Heel, The River, Throw It Away I, When Autumn Sings, In the Red, Love Lament,
Midnight Sun, Driva Man, Throw It Away II, Living Room, Evalina Coffey (The
Legend of) Ran Blake (p), Christine Correa (voc) Enregistré les 15 et 27 juin 2011, Boston Durée : 50’ 55” RedPianoRecords 14599-4415-2 (www.redpianorecords.com)
Ran Blake (Jazz Hot n°667)
consacre ce premier volume à un portrait de George Russell dont il fut un fan
de la première heure, qui devint un ami personnel et plus largement de la
famille Blake. Ran milita ainsi, le terme n’est pas trop fort, auprès des
musiciens et personnalités les plus réputées du jazz pour que le Jazz Workshop de George Russell
(RCA-Victor), épuisé en 1959, fût réédité, et il obtint ainsi les signatures de
Jaki Byard, Harry Sweets Edison, Nesuhi Ertegun, Ornette Coleman, Charles
Mingus, Thelonious Monk, et de beaucoup d’autres, qu’il fit parvenir à George
Avakian (cf. Jazz Hot n°671), sans
succès, puisqu’il fallut attendre 1987 pour une réédition. 50 ans après, pour
ce portrait, Ran Blake évoque son admiration de jeunesse, avec un hommage de
son cru à sa musique, parfois jazz, parfois bruitiste, et, sur le livret, par
les signatures prestigeuses qui acceptèrent de soutenir son enthousiasme
juvénile. Ayant accompli son parcours de musicien au milieu des George
Russell, Gunther Schuller et des avant-gardistes comme Bill Dixon, Ran Blake
est un musicien contemporain au sens naturel du terme, sans esprit de système,
qui aime le jazz mais aussi les belles musiques, et cela s’entend. Sa démarche
est intéressante et reste de qualité, authentique, correspondant à une personnalité
simplement sans frontière musicale. Ce disque, au charme certain, est donc
difficilement classable, le jazz s’y glisse parfois, mais c’est du Ran Blake
authentique, exigent, délicat, atmosphérique, dévoué à une évocation de George
Russell avec l’inévitable «Ezz-Thetic».
Changement de registre, dans le second CD, avec ce Tribute to Abbey Lincoln Volume Two.
Christine Correa a très bien écouté Abbey («Driva Man»), et elle en restitue
les accents pugnaces avec beaucoup de conviction et de qualités (expression,
clarté, justesse). C’est un registre plus jazz que le premier disque, même si
Ran Blake conserve sa manière très contemporaine d’accompagner ou en soliste,
organisant un très beau contraste entre la voix enracinée et son jeu
impressionniste, qui n’est pas sans rappeler parfois certaines idées de Martial
Solal («The Heel»). Christine Correa, dans sa façon de shouter, à la manière d’Abbey Lincoln, en appel-réponse, évoque
aussi curieusement une autre voix, Cab Calloway («The River») pour s’adresser
au ciel. Elle est aussi à l’aise pour fondre l’univers d’Abbey Lincoln dans un
style théâtral moins marqué par le jazz, genre «Opera de Quat’ Sous» («In the
Red»), en s’appuyant sur le style très narratif de Ran Blake, et en jouant
d’une hyperexpressivité à la fois inspirée et distanciée d’Abbey Lincoln. C’est
une belle rencontre, un disque passionnant.
Uranu, The Steadfast Titan, Flux Capacitor, Organic
Consequence, Kat's Dance, Santa Maria, Broadway Boogie Woogie, Space, Time,
Continuum Aaron Diehl (p), David Wong (b), Quincy Davis (dm) + Joe
Temperley (bs), Benny Golson (ts), Stephen Riley (ts), Bruce Harris tp),
Charenée Wade (voc) Enregistré à New York, date non pécisée Durée : 55’ 33’’ Mack Avenue1094 (www.mackavenue.com)
Aaron Diehl est l’un de ces miracles dont le jazz a toujours
le secret. Né en 1985, dans un cadre déjà marqué par la musique (un grand-père
musicien), il est à 30 ans l’un des pianistes les plus prometteurs de sa
génération, et déjà un musicien de jazz accompli, possédant son blues et son
swing sur le bout des doigts. Remarqué dès 2002 dans le cadre des
manifestations du Lincoln Center de découvertes des nouveaux talents, il a été,
l’année suivante, invité par le septet de Wynton Marsalis, et il est l’artiste
le plus jeune commissionné par le Monterey Jazz Festival en 2014. Ses
collaborations avec beaucoup de jazzmen confirmés, de Lew Tabackin à Wycliffe
Gordon, et sa complicité fertile avec un autre miracle du jazz des années 2000,
la chanteuse Cécile McLorin Salvant (elle signe ici les paroles du dernier
thème), récemment nominée aux Grammy Awards, font d’Aaron Diehl un
indispensable de la nouvelle génération. Son parcours s’est déroulé dans l’excellence, et après une
formation classique solide, c’est la rencontre d’Eldar Djangirov, son
contemporain (1987), autre prodige du piano, russe d’origine installé aux
Etats-Unis, qui l’a paradoxalement orienté vers le jazz. Aaron a suivi par la
suite les enseignements de la Juilliard School (Kenny Barron, Eric Reed, Oxana
Yablonskaya), et sa très solide éducation musicale n’en a pas fait un surdoué
virtuose mais un beau musicien au service de la musique comme en témoigne cet
enregistrement, son troisième semble-t-il après Live at Carammoor (2008) en solo, et Live at the Players (2010) avec deux trios. Dans cet enregistrement, Aaron Diehl a invité, autour de son
trio habituel déjà présent en 2010 (David Wong et Quincy Davis), de jeunes
complices, Stephen Harris, très beau son de ténor feutré dans «Kat's Dance»,
Bruce Harris, un jeune trompettiste que Wynton Marsalis a distingué parmi ses
pairs, Charenée Wade, une belle voix de plus dans la nouvelle génération
(«Space, Time, Continuum») dans la filiation de Betty Carter. Aaron Diehl a également intégré dans ce projet deux toujours
jeunes que sont les octogénaires Joe Timperley, auteur d’une splendide
intervention sur «The Steadfast Titan», et Benny Golson, toujours à son aise
avec sa sonorité de velours sur des compositions originales d’Aaron Diehl, dans
le ton d’aujourd’hui, mais avec ce qu’il fallait de référence à l’Ancien
commece beau «Organic Consequence». Il reste à vous parler du leader, pianiste de l’essence du
jazz, sans mensonge, orchestral dans son jeu, maître de son langage, doué d’une
technique hors norme, compositeur et arrangeur, toujours à l’écoute de ses
invités pour faire que cet objet artistique qu’est un disque de jazz soit une
œuvre. Pour le plaisir du piano, on hésitera entre le powellien «Broadway
Boogie Woogie» (époustouflant) ou l’atmosphérique boléro «Kat’s Dance» ou le
rhapsodique «Santa Maria» avec citation de Pierre
et le Loup de Prokofiev ou le blues and swing «Space, Time, Continuum»… En
fait, Aaron est parfait, tout le temps. Les commentaires avisés et précis d’un aîné, Ethan Iverson,
le pianiste du groupe The Bad Plus, viennent nous en dire un peu plus sur la
confraternité musicale des pianistes et l’admiration qu’il a pour Aaron Diehl.
Aaron est aussi, paraît-il, pilote d’avion, à ses heures qu’il ne consacre pas
au jazz. C’est la seule inquiétude qui plane sur son talent stratosphérique.
Soul to Go, Autumn Nocturne, The
Feeling of Jazz, Wise One, Blues In Few, Litlle Girl Blue, Live And
Learn, Under a Strayhorn Sky, Vaya Con Dios Jeff Hackworth (ts), Ed Cherry (g),
Radam Schartz (org), Vince Ector (dm) Durée: 55' 37'' Enregistré le 18 avril 2013, Clark
(New Jersey) Big Bridge Music 1006
(www.jeffhackworth.com)
En lui donnant une petite touche de
modernité, le saxophoniste ténor new-yorkais Jeff Hackworth,
s'inscrit dans la grande tradition des «combos sax ténor - orgue
Hammond B3- guitare - batterie» initiée dès la fin des années 50
par les organistes Brother Jack Mc Duff, Jimmy McGriff, Richard
Groove» Holmes (entre autres) et dont Jimmy Smith représenta, sans
doute, la quintessence. Outre ses propres compositions, il
reprend ici quelques standards du répertoire, et y adjoint, ce qui
est moins courant, une composition de l'album Crescent publié
en 1964 de John Coltrane, dont il est par ailleurs un admirateur et
un fervent disciple. Si les thèmes en tempo rapide sont
«groovy» à souhait, le swing est constant même dans les ballades.
L'orgue évite soigneusement les registres trop flatteurs, la guitare
évoque, sans les imiter, Kenny Burrell ou Wes Montgomery, et la
batterie lie la sauce sans effets superflus. Une leçon de bon gout
et d'élégance par quatre musiciens pas du tout complexés de
s'exprimer dans la mouvance d'un jazz main stream qui n'a pas
encore décidé de se laisser jeter aux oubliettes. Un CD tout simplement délicieux!
Riders on the Storm, The Hitchhiker,
Telluric Movements, Light My Fire, The Movie, People Are Strange,
Invocation, The Crystal Ship, Petition The Lord With Prayer, The Soft
Parade, Blue Sunday, Blue Words, The Blue Bus, Hara, Tribal Dance Samy Thiébault (ts, fl), Adrien Chicot
(p), Sylvain Romano (b), Philippe Soirat (dm), Nathan Wilcocks (voc) Durée : 57' 06'' Enregistré en mai 2014, lieu non
communiqué Gaya
Music Production STGCD005 (Socadisc)
Dois-je l'avouer, même dans ma folle
jeunesse, je n'ai jamais été un fan de la musique des «Doors». Il
m'aura donc fallu attendre la sortie de ce CD pour enfin m'y
intéresser. Toutefois, après ré-écoute, l'original me séduit
beaucoup moins que sa re-création par le quartet de Samy Thiébault. En effet, à part quelques inserts
vocaux superflus, on n'est plus ici dans le registre d'une musique
«pop» plus ou moins d'avant garde (pour son époque), mais dans
celui d'un jazz contemporain de grande facture. Peu importe, pour
une fois ses sources d'inspiration (qui se soucie encore du sort des
vraies demoiselles de la rue d'Avignon?), cette musique est là,
vivante, vibrante, enthousiasmante, magistrale, et «définitive»,
comme aurait dit Christian Garros, musicien d'un autre monde et
expert en métissages, à l'issue d'une fructueuse répétition. Du jazz comme je l'aime.
Cantabile, Little Piece in C for You,
Guadeloupe, Hidden joy, Chloe Meets Gerswin, Play Me, Thirteen, Take
the "A" Train, It's a Dance, Brazilian Like, In a Sentimental Mood, I
Wrote You a Song Fabrizio Bosso (tp), Alessandro Collina
(p), Marc Peillon (b), Rodolfo Cervetto (dm) Enregistré en octobre 2013, Gênes
(Italie) Durée: 59' 47'' Egea Records INC183 (www.egeamusic.com)
Découvert au festival Sotto le stelle
d'Ospedaletti l'été dernier, «Michel on Air», est un projet fort
bienvenu pour raviver la mémoire de Michel Petrucciani, pianiste
subtil autant qu'énergique, disparu en 1999, et aujourd'hui bien
injustement négligé. Quatre musiciens de la Riviera italienne et
française, revendiquant à ce titre les mêmes racines
méditerranéennes que leur modèle et mentor, nous proposent de
redécouvrir quelques unes des pièces favorites de son répertoire. A l'exception de «Take the "A" Train»
et de «In a Sentimental Mood», deux standards fétiches qu'il a
très souvent joués, tous les thèmes choisis sont en effet des
compositions de Michel Petrucciani. Excellemment accompagné et mis
en valeur par une impeccable section rythmique, soudée par une
longue pratique collective et une solide amitié, et où chacun se
montre tour à tour très habile soliste. Fabrizio Bosso (Jazz Hot n°671) a ainsi les
coudées franches, déploie des prodiges d'invention et de lyrisme
que lui permettent une fabuleuse technique et un son superbe. Fait remarquable, l'enregistrement
garde l'intensité dynamique du concert (et a, paraît-il, beaucoup
de succès aux Etats-Unis... nul n'est prophète en son pays). Un bel
envol pour Michel on Air!
L'Air de rien, Eteignez vos portables, For Lena l'aînée, March à
suivre, Jambon beurre shuffle, Introduction Back From N.O., Back From N.O., The
Blessing, C'est quand qu'on arrive, MACH1N N1, Milled Quiet Moon, Après le
calme, la tempête, The Groove Merchant Pierre Guicquéro (tb, comp, arr), Julien Silvand (tp), Davy Sladek
(as, ss), Franck Pilandon (ts, bs), Bruno Martinez (p), Dominique Mollet (b),
Marc Verne (dm) Enregistré du 22 au 25 avril 2014, Clermont-Ferrand (63) Durée: 1h 02’ 05’’ Black & Blue 800.2 (Socadisc) Pierre Guicquéro est de ces musiciens effacés mais brillants qui
peuplent les différents orchestres français de jazz: nous l’avons entendu
au sein de l’Anachronic Jazz Band, du Paris Swing Orchestra, du Julien Silvand
All Stars, des Be Bop Stompers, de Sac à Pulses, du Big Band de Jean-Loup
Longnon… et du Montier Guicquéro Quintet (le MGQ!). Cette énumération,
longue mais non exhaustive (car il est n’est pas rare de le retrouver à
«faire des remplacements» au sein d’autres grandes formations), dit
tout son talent et sa capacité d’adaptation aux contextes les plus divers,
ainsi que de sa connaissance assimilée des univers musicaux du jazz. Il a
d’ailleurs une bonne vingtaine d’albums à son actif en tant que sideman de
formations plusieurs fois primées. Arrivé à l’âge de raison et avant de souffler sa dernière bougie
de quadra (il est né à Vitry-Sur-Seine en 1968) et profitant de l’opportunité
d’enregistrer à l’opéra de Clermont-Ferrand, Pierre Guicquéro s’est enfin
décidé à sortir de l’ombre rassurante du musicien
pour musiciens aux fins de réaliser en tant que maître d’œuvre cet album Back From N.O. Avec ce P.G. Project, il
nous expose sans fard un panorama de son imaginaire musical avec pas moins de
onze compositions personnelles sur treize que compte cet album (les deux autres
étant empruntées à deux auteurs non négligeables, Ornette Coleman et Jérôme
Richardson). Toutes ces créations, qui puisent à la meilleure tradition du
swing, sont bien écrites. Les thèmes solides manifestent un réel sens de la
mélodie. Sans être simples, les arrangements bien construits conservent une
parfaite clarté. Ce septet sonne
d’ailleurs souvent comme une grande formation («The Groove Merchant»). Tous les musiciens de cette formation sont à féliciter pour la
qualité de leur participation; les ensembles sont parfaitement équilibrés
tout en étant joués avec une belle générosité. L’intervention de chacun en tant
que soliste n’est pas moins remarquable. Le Toulousain Julien Silvand est
particulièrement brillant («Marche à suivre», «Introduction
Back from N.O.», «Back from N.O.», «Jambon, beurre,
shuffle»). Franck Pilandon au ténor et au baryton («Eteignez vos
portables») fait preuve d’une belle maîtrise instrumentale. Davy Sladek a
un beau phrasé («Après le calme la tempête» et lechase «March
à suivre»). Bruno Martinez est un pianiste sûr; son accompagnement
et ses liaisons sont parfaits; quant à ses interventions elles ont la
belle élégance de la concision («C’est quand qu’on arrive»). Marc
Verne est présent et bien présent («Marche à suivre», «Jambon
beurre shuffle»). Dominique Mollet possède une très belle
musicalité; c’est un contrebassiste qui mérite à être connu
(«Milled Quiet Moon»). Sa mise en place est remarquable et son
accompagnement en duo avec Guicquéro sur la pièce d’Ornette Coleman, un modèle
du genre, est l’un moment fort de cet album. Tout au long de son opus, le
tromboniste fait montre de sa grande maîtrise instrumentale et d’un grand sens
musical: excellent soliste, il sait également établir les équilibres
musicaux. Pour réaliser Back From N.O., Guicquéro a dû, comme beaucoup d’artistes actuellement, faire appel à une souscription. Remercions les
personnes qui ont permis l’enregistrement de ce magnifique album dans lequel
tous les musiciens servent cette musique de qualité avec une ferveur amoureuse.
Seven Steps to Heaven, Free Man, India Blue, Black Inside,
Dance of Light for Luani, Nia’s quest, N’Tiana’s Dream, lara’s Lullaby, Erika’s
Reverie, Soft Pedal Blues, Niskayuna, The Crossing, Ballad for Hakima Chico Freeman (ss, ts), Antonio Farao (p), Heiri Känzig (b),
Michael Baker (dm) Enregistré à Munich et Nuremberg, date non précisée Jive Music 2080-2 (www.jivemusic.at)
Chico Freeman / Heiri Känzig The Arrival
One for Eddie Who 2, Early Snow, The Essence of Silence, Ancient Dancer, Will
I See You in the Morning, Dat Dere, Song for the Sun, Just Play, Eye of the
Fly, After the Rain, To Hear a Teardrop In the Rain, Chamber's Room Chico Freeman (ts), Heiri Känzig (b) Enregistré les 13-14 décembre 2014, Winterthur (Suisse) Durée: 1h 00’ 20’’ Intakt 251 (www.intaktrec.ch)
Bien qu’il paraisse toujours jeune, Chico Freeman est un son
du saxophone qui s’impose depuis la fin des années 1970. Fils du grand et
regretté Von Freeman, il a fait partie de cette belle génération musicale qui a
gardé au jazz sa capacité d’inventivité
et son authenticité à travers le temps. De son parcours enraciné dans la
tradition chicagoane du père et dans l’expérimentation de l’AACM, où il développa
aussi une partie de ses recherches musicales, il a au cours du temps donné un
exemple original d’ouverture d’esprit: ne reniant jamais, contrairement à
une partie de ses pairs de l’AACM, la grande tradition du jazz, des beaux sons,
du récit et des standards appris auprès de son père, il a quand même su faire
sienne un esprit d’aventure propre à la Cité des vents, ne récusant pour autant
ni le blues, ni le rhythm & blues, ni la soul, ni même parfois des formes
plus «commerciales» de l’expression musicale afro-américaine. Il a conservé ainsi un jeu naturel, direct et pourtant
sophistiqué, comme le jazz, et un souci d’originalité dans tous les formats
qu’il a fréquentés, au sein de ses quartets, de ses groupes comme les leaders. Aujourd’hui Européen d’adoption, on le retrouve ici sur deux
enregistrements en quartet et en duo saxophone-basse avec des musiciens
européens, l’excellent Antonio Farao (p) et une découverte, le bassiste autrichien Heiri Känzig, plus
Michael Baker à la batterie. C’est la formation, à l’exception du batteur
remplacé par le vieux et brillant compagnon Billy Hart, qui s’est produite
l’été 2015 à Jazz à Vienne au Théâtre de minuit, alors qu’elle aurait tout
aussi bien pu prétendre à la grande scène au milieu de la soirée la plus jazz
de la quinzaine. Le disque en duo est composé essentiellement de ballades
originales soit de Chico soit de Heiri, parfois des deux, plus deux standards,
«Dat Dere» (Bobby Timmons) et «After the Rain» (Coltrane). Le beau son feutré
de Chico et la contrebasse chantante d’Heiri ont beaucoup de place pour
s’exprimer sans pression, avec beaucoup d’écoute réciproque, de complicité,
sans abstraction. L’atmosphère de certaines compositions est propre à l’univers
apaisé habituel de Chico Freeman que l’on connaît depuis ses débuts:
sérénité, sensualité, spiritualité, et le contrebassiste se coule avec adresse
dans cet environnement. Le disque en quartet propose essentiellement des
compositions originales de Chico Freeman (huit) dont cinq belles compositions
dédiées à ses cinq filles, plus deux d’Antonio Farao, une de Heiri Känzig, une
de Miles Davis et un blues de Stanley Turrentine. L’ensemble du disque
appartient au climat jazz de la fin du XXe siècle, avec parfois un petit manque
de relief, d’impulsion. En live, la formation semblait plus tendue...
Struttin' With Some Barbecue*, Mood Indigo*, Double Gin Stomp, Sweet
Lorraine*, Royal Garden Blues, Doobooloo Blues, Honeysuckle Rose, China Boy*,
"C” Jam Blues*, Sobbin' and Cryin'*, S' Wonderful*, Promenade aux
Champs-Elysées* Barney Bigard (cl), Claude Luter (cl), Eddie Bernard (p), Roland
Bianchini (b), Teddy Martin (dm) Enregistré les 14 et 15* février 1960, Paris Durée: 53’ 25’’ Milan 399 349-2 (Universal)
Voici enfin réédités des enregistrements effectués en France par
des musiciens français de jazz et un américain qui méritent le qualificatif
d’historiques et d’indispensables. Précisons que deux titres de ce Paris Session ne concernent que Barney
Bigard («Sweet Lorraine» et «S' Wonderful»). Mis à part deux originaux cosignés (1960) par les deux
clarinettistes, le programme est puisé dans un répertoire ancien composé entre
1919 et 1951: des pièces faisant référence au style new orleans
évidemment, mais également deux compositions tardives (1947 et 1951) de Sidney
Bechet, ainsi que d’Ellington, de Waller, de Gershwin sans oublier une
révérence à Jimmy Noone («Sweet Lorraine»). Dans le livret, Fabrice Zammarchirappelle les
circonstances qui permirent l’enregistrement de ces faces: la réalisation
du film Paris Blues, qui vers la fin
du quatrième trimestre de 1960 réunirent dans la capitale les orchestres du Duke et de Louie, dont faisait partie Barney Bigard. Charles Delaunay ne fut
pas étranger à l’opération et s’activa pour rendre possible cette rencontre. Il
fit en sorte de mobiliser un studio sur plusieurs jours «pour engranger
de la matière», disait-il. Lors de la session, Barney Bigard, âgé de 54
ans, était en pleine possession de ses moyens. Son style tout de sérénité était
parvenu à une sorte de perfection classique qui faisait de lui le représentant
emblématique encore vivant, de la grande école des clarinettistes de New Orleans.
Claude Luter avait 37 ans; il était en pleine force de l’âge et tout
juste sorti de sa période de gloire, mais aussi de formation, avec Bechet. Et
la réunion a tenu toutes ses promesses. Dans ces enregistrements, Claude Luter s’affirme comme un disciple
de Sidney Bechet/clarinettiste, celui de «Blue Horizon» (1944), de
«Egyptian Fantasy» (1941), et de «Old Stack O Lee
Blues» (1946). Il évoque beaucoup le Bechet du début des années
1940; on y retrouve le vibrato du maître sur le blues, («Doobooloo
Blues») mais également dans les tempi soutenus (cf. «China
Boy» avec Sidney Bechet/Muggsy Spanier mars 1940). Comme lui, dans cet
album, Luter «attaque» la clarinette (traitement «hot»
du son de l’instrument), il la traite à la manière d’un soprano, lui donnant
une expressivité mâle voire agressive. Le vibrato Claude est moins ample, moins
soutenu, moins véhément que celui de Bechet. Il n’en demeure pas moins que son
style rugueux lui permettait de conduire le discours musical. Au-delà de la
très forte présence musicale de Bechet, Luter était en position d’infériorité
dans son orchestre par rapport au maître qui utilisait un soprano plus
puissant. Or en jouant à égalité, sur le même instrument que son partenaire,
Claude Luter pouvait rivaliser et réalisa une session exceptionnelle, dont il
avait raison de dire qu’elle constituait son
grand œuvre,la «plus grande
réussite de sa carrière». Quant à Barney Bigard, il est impérial tant dans ses solos
(«Double Gin Stomp», «Doobooloo Blues»), dont la
rigueur et la poésie sans affectation constituent la puissance d’évocation, que
dans ses dialogues avec Luter et surtout dans sa manière de réinventer à
l’infinie la polyphonie néo-orléanaise par la volubilité de son discours léger
et la fluidité exquise de son expression. Zammarchi parle de sa part de
«féminité» qu’il oppose à la masculinité de Luter; je
préfèrerais parler de la tradition d’élégance créole (Lorenzo Tio, son mentor)
dont son style témoigne dans ces faces que j’opposerais à la rusticité policée
de Luter, héritée celle de Dodds créolisée par le lyrisme de Bechet. Dans les
deux titres où il joue en quartet, Bigard nous présente une autre lecture
musicale de l’école créole: sur «Sweet Lorraine», très
personnelle et différente de celle de Jimmie Noone, son aîné de dix ans qui fut
également l’élève de Tio; sur «‘S Wonderful», par la
structuration classique acquise à New York auprès d’Ellington. Les deux solistes sont certes brillantissimes, mais leur
prestation doit également beaucoup à la section rythmique qui leur déroule un
tapis. Claude Luter disait, à juste titre, que ce fut la meilleure de sa
carrière. Roland Bianchini (b) accompagne et soutient à la perfection. Teddy
Martin (dm) est présent sans gêner; son accompagnement est rigoureux et
ses interventions en solo sont de bonne facture. Mais la pièce maîtresse de
cette formation est Eddie Bernard. Au-delà de l’amitié qui unissait les deux
hommes, on comprend que Claude Luter ait été très affecté par la disparition
d’un artiste de cette trempe. Il y est exceptionnel: dans ses
introductions, où il installe des tempi parfaits, dans ses accompagnements
aussi stimulants qu’intelligents et justes dans l’esprit de la pièce. Son jeu d’une
grande finesse évoque ceux de Teddy Wilson et d’Ellis Larskins. Bernard n’était
pas qu’un pianiste «stride»,
technique qu’il fut l’un des premiers en France à posséder dans toute sa
complexité; sa connaissance de la littérature du jazz et sa maîtrise du
clavier en faisait tout simplement un grand pianiste. Ses interventions en solo
sont dignes des plus grands solistes. «Mood Indigo» est un joyau de
cette perfection, au plan de la musicalité et du toucher d’une clarté et d’une
densité formidables. Quant à ses deux faces en quartet, Bigard lui doit d’y
être sublime; on comprend qu’il l’ait sollicité pour graver ce superbe
«Sweet Lorraine» et son étincelant «‘S
Wonderful»: le soutien d’un Fats
à l’élégance française. M. Edouard Bernard était un immense pianiste: ces
enregistrements lui doivent vraiment beaucoup. En France au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le caractère
festif de la musique new orleans a, peut-être, éclipsé, voire occulté la beauté
intrinsèque de cette école. Or, ici Bigard et Luter jouent la musique de la musique de Crescent City,
en intimité, en communion, en l’absence de toute relation avec l’extérieur,
d’où la densité extrême de ces moments superbes: jubilatoires dans
«China Boy», «Struttin’», «Honeysuckle
Rose» ou «C Jam Blues»; jusqu’à l’extase parfoisdans l’exposition du thème de «Mood
Indigo» ou le final de «Doobooloo Blues». Une des albums les plus importants de l’histoire du jazz.
Dee Dee Bridgewater / Irvin Mayfield / The New Orleans Jazz Orchestra Dee Dee's Feather
One Fine
Thing, What a Wonderful World, Big Chief, Saint James Infirmary, Dee
Dee's Feathers, New Orleans, Treme Song/Do Whatcha Wanna, Come
Sunday, Congo Square, C'est ici que je t'aime, Do You Know What it
Means, Whoopin' Blues Dee Dee
Bridgewater (voc), Irvin Mayfield (tp) and The New Orleans Jazz
Orchestra: Bernard Floyd (tp), Ashlin Parker (tp, voc), Eric Lucero
(tp), Leon Chocolate Brown (tp, voc), Michael Watson (tb, voc), David
L. Harris (tb), Emily Frederickson (tb), Khari Allen Lee (as), Rex
Gregory (as, cl), Derek Douget (ts), Edward Petersen (ts), Jason W.
Marshall Sr. (bs, bcl), Victor Atkins (p), Don Vappie (g, bjo) ,
Jasen Weaver (b), Peter Harris (b), Adonis Rose (dm), Bill Summers
(perc), Glen David Andrews (voc), Branden Lewis (tp), etc. + Dr. John
(voc) Enregistré du 23 au 25 mars 2014, New Orleans Durée: 1h 07' 18'' DDB
Records / Okeh 88875063532 (Sony)
Dee Dee
Bridgewater est devenue une Néo-Orléanaise d’adoption, et comme
on a pu le constater en France, quand Dee Dee aime, ce n’est pas à
moitié… Elle consacre beaucoup de temps donc, non seulement à
faire ce qu’elle sait très bien faire, chanter et animer une scène
ou une séance avec un big band, comme ici, mais aussi à promouvoir
tout ce qui contribue à faire que New Orleans retrouve la splendeur
non seulement de son âme musicale mais que s’y développent de
nouvelles initiatives à même de rendre la joie de vivre à la belle
Cité du Croissant, un véritable art de vivre. De la France à la
ville la plus française des Etats-Unis, il n’y avait qu’un pas
et elle a rencontré un des acteurs les plus actifs de ce renouveau
néo-orléanais en la personne de l’excellent trompettiste et
leader, Irvin Mayfield, qui non seulement dirige plusieurs formations
dont ce magnifique big band, mais aussi un club et maintenant un Jazz
Market, sorte de centre culturel à l’américaine, où l’on
retrouve, depuis son inauguration au printemps dernier, tout ce qu’un
amateur de jazz peut souhaiter, des disques, des partitions, un
auditorium… On vous en parlera mieux dès qu’un rédacteur de
l’équipe l’aura visité.
C’est
à cette occasion que Dee Dee et Irvin ont réalisé, pour
l’inauguration, un enregistrement, au départ avec cette seule
ambition. Conjoncture aidant (10 ans que l’Ouragan Katrina a
dévasté la ville), mais aussi excellence de cette rencontre,
l’album est devenu un vrai projet discographique, et a reçu un
incroyable accueil aux Etats-Unis où il a été placé en têtes des
hits du jazz.
C’est
donc cet album, cet orchestre et la renaissance de New Orleans
qu’étaient venus nous présenter, en septembre 2015 à l’Olympia,
à Paris, Dee Dee Bridgewater et Irvin Mayfield, soutenus par une
opération de communication du New Orleans Convention et Visitors
Bureau. Le concert fut un beau succès, d’assistance et
d’atmosphère (voir notre compte rendu). Cet
enregistrement est à la hauteur de l’attente et de l’événement.
Le big band néo-orléanais, peuplé de musiciens du cru de
haut-niveau, dont certains sont déjà des protagonistes de premier
plan du renouveau musical de la ville depuis des années (Don Vappie,
Adonis Rose…) et même des stars (Bill Summers, Dr. John), tourne à
merveille avec cette souplesse d’articulation, ces sonorités qui
font encore du New Orleans sound un cas à part dans le jazz,
aussi bien sur le plan rythmique que sur le plan du phrasé et de la
sonorité. Dee Dee
retrouve en cette occasion le punch et la conviction qui sont ses
qualités essentielles. Avec son naturel, son
exubérance qui se marient si bien à l'esprit de New Orleans, elle
transpose littéralement l’amour qu’elle porte à cette ville et
à sa musique, très directement, sans maniérisme. Elle possède aussi, sur scène, une énergie et un
savoir-faire rares, qui en font une actrice à part entière dans la veine des
grands devanciers comme Cab Calloway. Le
répertoire, de standards et de hits néo-orléanais, n’a rien de
nouveau et ce n’est pas un problème car les arrangements comme
l’interprétation et les interventions sont parfaits, originaux,
partageant avec tous et dans l’excellence – la recette de son
succès – un patrimoine, aujourd’hui commun, de l’humanité. Une
bonne manière de rappeler que New Orleans lives!
plus que jamais et qu’il suffit de l’exposer à la lumière pour
que nouveaux bourgeons explosent de sa nature exubérante.
Olha Maria/O Grande Amor, Caravan,
Pastorale, Whirl, The Song Is You, In Walked Bud, Both Sides Now Fred Hersch (p) Enregistré le 14 août 2014, Windham
(New York) Durée : 1h 00' 36'' Palmetto Records 2180
(www.palmetto-records.com)
Fred Hersh est un excellent artiste,
pianiste classique par la culture (une dédicace est faite à Robert
Schumann dans ce disque ainsi qu’à Suzanne Farrell, une grande
ballerine américaine née en 1945) qui aura choisi de vivre son art
et de se produire comme un artiste de jazz par l’esprit. Il a derrière lui une belle carrière
et un production soutenue d’enregistrements (c’est son 10e
album en solo), toujours de grande qualité, où, en véritable
artiste, il joue ce qu’il a mûri, pénétré de l’intérieur,
maîtrisé. Et son répertoire n’est pas exclusif: il est amateur
de belles musiques, et son choix s’écarte du piano classique au
jazz ou aux beaux thèmes de la musique populaire (le premier de cet
enregistrement par exemple est brésilien) et des standards de jazz
bien entendu. Là, commence sa création, son apport.
Il ne jouera pas comme un musicien classique, car il apporte ce qu’il
est, son vécu, réharmonisera, enrichira les mélodies tout en les
respectant; il apportera même quelques inflexions rythmiques dans
l’esprit du jazz quand le morceau ne peut s’en passer («In
Walked Bud»), et nous entendons parfois ici par exemple une manière
de jouer qui fait référence à Randy Weston («Caravan»). Mais
Fred Hersch ne swingue pas et le blues est absent de sa manière, son
toucher du clavier appartient à une autre tradition. Ce n’est pas
une incapacité technique, car c’est un grand pianiste qui pourrait
«faire semblant» comme d’autres (Jarrett et Mehldau…) qui
arrivent à tromper qui le veut bien par des artifices. Fred Hersch se respecte; sa musique est
de lui; c’est du très beau piano; c’est un choix artistique,
humain, d’une honnêteté radicale qui fait plaisir, d’autant que
ses interprétations sont toujours très touchantes de sincérité et
captivantes d’inventivité, virtuoses, émouvantes, sans tromperie,
sans boursoufflure de l’égo. C’est un musicien savant qui a
toujours écouté les artistes avec attention, et qui sait honorer
ses sources. Il précise dans la notice que, parmi ses
enregistrements en solo, c’est le troisième disque en live, prévu
d’abord pour ses archives personnelles, mais qui, répondant à ses
critères de cœur, d’esprit et de technique (a first class
recording), est ainsi publié, sans que cela ait été prévu. On
ne peut mieux décrire une démarche artistique.
Just a Closer Walk With Thee, Hard Times, Buddy
Bolden's Blues, Elijah Rock, Saint James Infirmary, It Ain't My Fault, Girl of
My Dreams, The Mooche, The Nearness of You
David Blenkhorn (g), Sébatien Girardot (b),
Guillaume Nouaux (dm)
Enregistré les 4 et 5 mai 2014, Créon (33)
Durée: 43' 26''
Frémeaux & Associés 8514 (Socadisc)
Sur des thèmes «standardisés»dans les années
1950/1960 par des interprètes majeurs du jazz, les faces de cet album
illustrent et revisitent toutes les formes de l’expression musicale
afro-américaine du Sud au sens large du terme : de la marche funèbre – « Saint James Infirmary » (1928) – à la danse/transe ritualisée – «It Ain’t My
Fault» (Smokey Johnson 1964); du negro spiritual – «Elijah Rock»
immortalisé par Mahalia Jackson en 1962 – au rhythm & blues – «Hard Times» (Paul Mitchell) magnifié en 1958
par David «Fathead» Newman et Ray Charles; de la bluette – «The Nearness of You» (Hoagy Carmichael, 1937) song sublimé par le duo Ella/Louis en
1956 – au blues néo-orléanais –
«Buddy Bolden’s Blues» (1923); de la romance
– «Girl of My Dreams» (Sunny Clapp, 1928), transfigurée par Erroll Garner en
1956 et adaptée au gout du jour des années 60 par Etta James – à la parade – «Just a Closer With Thee» (traditional,
1885); du jazz standard – «Night
Train» (Jimmy Forrest, 1952) – au jungle
style – «The Mooche» (Duke Ellington, 1929).
Mis à part les traditional
et «Buddy Bolden Blues», ces thèmes, souvent révélés ou immortalisés dans/par
les musical tours en Louisiane, ont
été composés par des musiciens originaires du Middle-West (Jimmy Forrest, Smokey
Johnson, Hoagy Carmichael…): effet de l’économie culturelle nomade aux
Etats-Unis dès les années 1920.
Par ailleurs, cet album mêle intelligemment les
univers sacré et profane qui habitent la tradition musicale afro-américaine; la
musique jouée par ces musiciens est inspirée et sentie, profonde, même si elle
conserve toujours cette part d’extraversion qui constitue un des caractères
essentiels de cette tradition: gospel
song joué lors des enterrements, «Just a Closer Walk With Thee», est traité
avec beaucoup de sensibilité à la manière d’une danse rituelle ; et «Hard
Times», qui relève du work song profane, est joué en
recourant à la strette, selon la logique responsorielle de la liturgie
incantatoire des chants religieux.
Certes David Blenkhorn, qui vit le jour à Tamworth
en 1972, et Sébastien Girardot, né à Melbourne en 1980, sont Australiens; mais
Guillaume Nouaux, qui naquit à Arcachon en 1976, est Français. Et il est
remarquable que ses deux collègues océaniens aient éprouvé le besoin de
s’installer, comme beaucoup d’autres, dans notre pays pour jouer cette musique de jazz. Je partage
totalement l’hommage que leur rend Evan Christopher dans le livret; ce trio de
musiciens a un palmarès de sidemen auprès du gratin du jazz de Crescent City tout à fait exceptionnel.
Et l’on comprend pourquoi en écoutant La
Section Rythmique. Car leur talent ne réside pas seulement en un «simple
travail de reproduction», fût-il brillant; ils ont assimilé l’idiome musical de
cette tradition au point de le faire leur et de le rendre vivant en continuant
cette tradition dans une relecture innovante permanente. Par leur traitement
propre, chaque pièce est une œuvre en soi et leur agencement rend l’album
pertinent Les trois compères sont formidablement unis dans cet ouvrage; c’est
un ensemble d’une homogénéité rare au regard du fonctionnement actuel des
formations de jazz. C’est une section rythmique très soudée. On comprend ainsi
pourquoi elle est si souvent sollicitée pour accompagner des musiciens aux
univers jazziques si différents que Michel Pastre et Cécile McLorin Salvant.
L’accompagnement est l’école de l’exigence; les musiciens s’y révèlent. Dans
cet album, dont ils sont à la fois leaders
et sidemen, solistes et
accompagnateurs, le talent de chacun explose à tout instant.
David Blenkhorn est un guitariste assez
exceptionnel. Il connait de manière évidente et approfondie la littérature de
son instrument et du jazz. C’est un technicien impressionnant. Sébastien Girardot n’est pas moins brillant. Dans
cet album, il joue un rôle essentiel, étant à la fois second élément rythmique
et harmonique, d’une part, et deuxième voix mélodique (exposition du thème et
solo dans «Hard Times»), d’autre part. Guillaume Nouaux est tout bonnement extraordinaire
dans ce volume. Il joue la musique qu’il aime comme il la sent et sans retenue
avec tous les moyens dont il dispose («It Ain’t My Fault») qui sont immenses.
C’est un rythmicien d’exception – un des rares européens à savoir jouer les
rythmes et les tempi de New Orleans – en tant qu’accompagnateur et un vrai
partenaire dans le groupe. Il joue de la musique sur ses tambours avec toutes les nuances qu’on est en droit d’attendre d’un
interprète.
La Section Rythmique est une
œuvre jubilatoire; pour ceux qui jouent, pour celui qui écoute. L’auditeur est
à chaque instant sollicité, dans sa curiosité comme dans son intelligence; ces
trois gars font découvrir et
redécouvrir la musique américaine dans sa diversité complexe mais également
et plus spécifiquement l’entièreté composite de la civilisation du jazz dans sa
branche afro-américaine: de sa sociologie et son histoire à ce qui fait sa
spécificité musicale, le swing.
A la Verticale, Ordinary People, Drift,
Can’t Get Next to You, Oublie-moi, Seven Days Seven Nights,
Windmills of Your Mind, Spanish Joint, Overture David Sanborn
(as), Roy Assaf (p, key), Marcus Baylor (dm), Javier Diaz (perc),
Marcus Miller (b), reste du personnel détaillé dans le
livret Enregistré à Brooklyn, date non précisée Durée: 42'
24’’ Okeh 88875063142 8 (Sony Music)
C’est par «A la
verticale», une composition de la Parisienne Alice Soyer et de
Sylvain Luc que débute ce CD. Au cœur du disque on trouve aussi
«Oublie-moi». Dans cette dernière Sanborn et son saxo alto, hors
du jazz, offre l’ambiance poétique, sensuelle, chère à Alice, en
jouant cool et en laissant traîner les notes. La délicatesse du
clavier de Roy Assaf contribue à l’atmosphère. «A la verticale»
est plus dynamique avec deux sax, trompette et trombone, un travail
percussif plus marqué et une belle participation d’Assaf. Deux
thèmes sont de Sanborn lui-même. «Drift» joué en quintet (as,
key, b, perc. dm) apparaît comme une sorte de ballade, de
complainte, prise très slow tandis que pour «Ordinary People» le
saxophoniste lance son armada avec Rhodes, Hammond B3, trombone,
clarinette, sax, etc., mais le morceau, même avec un ton latino,
conserve une nonchalance qui finit par peser. Le même ton se
poursuit par «Seven Days, Seven Night» de l’autorité de Marcus
Miller. La voix de Lary Braggs dans le funky «Cant’Get Next to
You» plaira peut-être davantage aux amateurs de jazz/blues tout
comme les «Moulins de mon cœur / Windmills of Your Mind »
et la superbe voix de Randy Crawford. David Sanborn se coule dans
l’ambiance tout comme l’accompagnement de Diaz qui s’illustre
également sur «Spanish Joint», un thème bien plus dynamique avec
un bon groove. Le thème final «Overture», en duo Sanborn-Assaf,
reste dans cette mélancolie que l’on trouve tout au long du
disque. Finalement un disque qu’il faut consommer en plusieurs
fois pour ne pas se lasser mais que l’on ne peut raisonnablement
pas ranger dans les bons disques de bon jazz.
Aaron Golberg (p), Reuben Rogers (b), Eric Harland
(dm) + Kurt Rosenwinkel (g) Trocando em miudos, Yoyo, The Xind in the Night,
E-Land, Perhaps, Triste Baía da Guanabara, Background Music, Francisca, One’s a
Crowd, One Life Enregistré
en 2009, Stalden (Suisse) et en 2014, New York Durée: 53' 22'' Sunnyside 1402 (www.sunnyside.com)
Superbe disque! Utilisant
le format du trio dans sa conception la plus traditionnelle avec une section rythmique de talent (et le
non moins talentueux guitariste Kurt Rosenwinkel sur le dernier thème),rodée par quinze années de vie musicale
partagée; Goldbergpropose un jazz
renouant fortement avec le classicisme d’un Evans par exemple. S’appuyant
sur ses deux partenaires qui assurent parfaitement leur rôle, le pianiste est
brillant, virtuose sans excès. Sur des tempi
lents le trio dégage de la sérénité, de la spontanéité, du lyrisme et swingue («Perhaps» en particulier) comme le jazz
l’exige. Les trois partenaires jouent détendus et les soli de chacun s’enchaînent sans rupture au sein des morceaux. Le
répertoire, éclectique, va du Brésil à Charlie Parker en passant par le
folklore d’Haïti et les propres compositions de Goldberg. Ces compositions de
Goldbergsont les plus récemment
enregistrées (2014). Dans « The Wind in the Night » Goldberg est le
seul à s’exprimer, Rogers et Harland veillant à mettre le pianiste en évidence.
Le court « E-Land » offre du dynamisme, le drummer est valorisé. A
chaque phrase de «Francisca» on attend une voix… mais non le morceau est
purement instrumental. Les balais de Harland contribuent à l’atmosphère
feutrée. «One’sa Crowd» avec un jeu
plus percussif du pianiste est gorgé de swing et laisse un espace à
l’expression personnelle de la contrebasse et de la batterie. Les autres thèmes
étaient depuis plus de cinq ans en stand
by. «Trocando» se déroule comme une marche majestueuse; «Yoyo» rythmé est
parsemé de breaks. Du nostalgique «Triste Baía da Guanabara» émerge un beau
solo de contrebasse. Pour «Back Ground Music» le trio prend un tempo
d’enfer! Malgré le temps séparant
les deux dates d’enregistrement The Now
possède une unité car les thèmes d’auteurs sont bien assimilés et rendus avec
personnalité, donnant une homogénéité à presque tout l’ensemble. Presque car
l’introduction de la guitare sur «One Life» marque une rupture compte tenue de
l’intervention de Rosenwinkel dont la guitare sonne parfois comme une flûte! Il
est en effet la voixprincipale du
thème, le piano s’effaçant dans l’accompagnement, mais c’est ainsi que Goldberg
a entendu «One Life» en le composant.
Titres
et personnels détaillés dans le livret Dates
et lieux d’enregistrement détaillés dans le livret Durée :
1h 12' 48'' + 1h 10' 52'' Frémeaux
& Associés 3061 (Socadisc) Ce
coffret fait suite au premier volume (1945-1951) et propose un ou
deux thèmes (les meilleurs en principe) des principaux disques du
saxophoniste Stan Getz couvrant la période 1953-1958. Après une
époque californienne, puis ses passages au Storyville à Boston,
Getz fait une «pause studio» dont les conséquences vont être très
bénéfiques. Dans la foulée de sa participation au 25e
anniversaire de Duke Ellington au Carnegie Hall, il enregistre en
quintet à New York. «You Turned the Tables on Me» fait partie de
cette session. Puis Stan retourne sur la Côte Ouest et, entre les
jams au Lighthouse ou au Zardi’s et les tournées, il enregistre
dans les studios de Los Angeles. De nouveau en quintet on découvre
deux titres où figure l’excellent tromboniste Bob Brookmeyer que
Stan a amené avec lui, «The Nearness of You» et «Pernod»,
chargés en swing. «I Don’t Mean a Thing» (1953): treize
minutes de régal. Les deux premiers titres étaient plutôt
cool mais cette fois avec le disque Diz & Getz with The
Oscar Peterson Trio le saxophoniste se mêle aux grands boppers :
Dizzy Gillespie (tp), Max Roach (dm), Oscar Peterson (p), Ray Brown
(b), Herb Ellis (g) complètent le plateau. Stan répond à son aîné
Diz sans jamais se soumettre, et l’association du trompettiste et
du ténor fonctionne à merveille. Elle est encore meilleure trois
ans plus tard lorsque Diz, Brown, Ellis reviennent avec Sonny Stitt
(as), John Lewis (p) et Stan Levey (dm). Il en sort un bebop assez
fou dans lequel Stitt cherche à tirer les marrons du feu… mais
non, ce sont bien Stan et Gillespie – qui font preuve d’un mutuel
respect – les acteurs principaux. Max Roach est resté à L.A
et récidive avec le quartet du saxophoniste : «Down by the
Sycamore Tree» est une jolie ballade. Le batteur revient
un an plus tard (1955). Les partenaires de Getz ne sont plus les
mêmes et on découvre le remarquable Lou Levy (p) que Stan Getz va
beaucoup apprécier et appeler dans ses formations. Les deux thèmes
proposés sont très éloignés. «Shine» avec la trompette de Conte
Candoli swingue. «A Handful of Stars », courte ballade, montre
que Levy, bien qu’issu de Chicago, a su profiter en Californie de
ses passages chez Woody Herman puis Shorty Rodgers. Levy a déjà
collaboré avec Getz quelques jours avant lors de l’enregistrement
que ce dernier réalise avec Lionel Hampton. Ils sont accompagnés
par le batteur incontournable du west coast, Shelly Manne, et un
bassiste non moins important Leroy Vinnegar, tous les deux s’adaptant
facilement au jeu de vibraphoniste. Levy offre un swing superbe
sur «Cherokee». Hampton va crescendo jusqu’à se montrer déchaîné
– comme souvent – et choisit alors de proposer, sans se calmer,
un sensationnel dialogue avec le saxophoniste qui se prolonge trois
bonnes minutes, ponctué d’interjections des musiciens qui
jubilent! A la fin de 1955, Stan Getz voyage en Suède et invite
trois jazzmen autochtones pour enregistrer. Il en sort un surprenant
«Over the Rainbow». On écoute ensuite trois thèmes en quartet,
issus de l’album The Steamer. La section rythmique (Levy,
Levey et Vinnegar) impressionne sur «There’ll Never Be
Another You» mais est bien tenue de le faire pour être à la
hauteur de Stan qui mène un train d’enfer durant neuf minutes. Ce
morceau contient de beaux échanges entre Getz et Levy et entre ce
dernier et Levey. La suite est sur le second CD. «Blues for
Mary» est la première composition de Getz proposée dans cette
Quintessence. Est-elle dédiée à son grand problème, la marijuana
ou peut-être à la secrétaire de Norman Granz. L’interprétation
regorge d’idées et de belles phrases. Le quartet enchaîne avec la
jolie ballade « You’re Blasé ». Stan Getz fait
une infidélité à L.A. pour enregistrer The Soft Swing à
New York, ce qui nous permet de l’écouter avec un quartet
différent sur une autre composition personnelle «Down Beat».
Interprétation très standard, pas de virtuosité, de chorus
endiablés, ni de fioritures mais du bon jazz. Oscar Peterson et
son trio reviennent à Los Angeles en 1957 et Stan en profite. Il
commence avec le trio auquel il adjoint Connie Kay (dm)
et Jay Jay Johnson (tb), coleader, et se produit lors d’un concert,
enregistré, dont sort une très bonne version de «My Funny
Valentine». C’est vivant et les interventions, parfaitement en
symbiose, des deux hommes sont appréciées du public. Extraite du
même concert on apprécie «It Never Entered My Mind». Cette fois
Getz est à la barre. Peut-être une des plus belles ballades de
Stan. Trois jours plus tard le saxophoniste se remet au travail en
studio avec le trio. Contrairement à la première opportunité de
1953, l’enregistrement se fait sans batteur et l’on a encore
le privilège d’écouter une superbe ballade, «I’m Glad There Is
You», permettant de goûter la beauté du son que Getz sait faire
surgir de son ténor. Herb Ellis offre également de bonnes
interventions. Vraisemblablement le lendemain de cet enregistrement,
Stan est invité par le même Ellis qui a en outre rassemblé dans le
JATP all-stars Roy Eldridge (tp), Ray Brown et Stan Levey. «Tin
Roof Blues» est issu de cette session. Evidemment, la guitare et la
trompette se sont mis successivement en évidence puis Getz
intervient. C’est assez linéaire mais on y apprécie le son de
chacun. Le jour suivant, Getz, gardant Levey et Brown rappelle Lou
Levy pour inviter Gerry Mullignan (bs). Le coffret présente deux
thèmes émanant de cet enregistrement capital. Entre Stan et Gerry
c’est un véritable corps à corps… On trouve de tout dans
«This Can’t Be Love», improvisation conjointe, soli,
dialogues, fantaisie… Cela tient de la jam-session. «Ballad»
composition attribuée (à tort pensons-nous) à Getz permet aux deux
hommes de calmer leurs ardeurs et de s’attacher à la mélodie en
faisant couler lentement le meilleur de leurs instruments. Au risque
de se répéter (mais cela prouve que l’on a bien là la
Quintessence de Stan Getz) c’est du bonheur. 1958:
Stan Getz et Chet Baker (tp) ne s’apprécient pas vraiment;
pourtant les talents de négociateur de Norman Granz suffisent à
convaincre le second d’enregistrer avec le premier et la session se
passe à Chicago. Ni Stan ni Chet n’offrent une prestation
exceptionnelle. On assiste à une espèce de bagarre musicale sur un
tempo effréné que ne laissait pas présager les premières
mesures de «Half Breed Apache» (composition de Getz), toute en
délicatesse! Finalement c’est Getz qui déclenche un petit quart
d’heure d’hostilités. Le coffret s’achève sur
l’enregistrement de Stockholm de septembre 1958. Getz réunit
ses Swedish Jazzmen parmi lesquels Lars Gullin (bs) un excellent
musicien de formation classique, passionné de jazz, partenaire dans
des tournées européennes de Chet Baker, Zoot Sims, Lee Konitz, etc.
Gullin écrit «Stockholm Street». Il faut relever dans la
formation la présence du trompettiste Benny Bailey, un Américain
installé en Suède à ce moment-là, partenaire de Diz pour le
célèbre concert de la salle Pleyel. Du très classique. Getz
s’exprime seul, les six Suédois n’assurant que l’accompagnement
sur ce thème. Comme l’indique le livret, signé d’Alain
Tercinet, le coffret se clôt alors que Stan Getz n’a que trente et
un ans; certes avec quinze ans de carrière. Il est à la moitié de
sa vie. Cela donne une idée de l’envergure de ce jazzman que ses
détracteurs devraient réécouter.
Serge Merlaud / Jean-Pierre Rebillard Bear on a Tightrope
Françou on My Mind, Bear on a Tightrope, Peau douce, Allô Romain*,
Deep Passion*, Un verre de graves pour Françou, Anaïta, Dorémifanny, Kalimàt,
No Way*,
L'eau qui dort* Serge
Merlaud (g), Jean-Pierre Rebillard (b), Claude Braud
(ts)* Enregistré les 11 et 12 juin 2014, Epinay-sur-Orge (91) Durée: 45’ 58’’ Black & Blue 799.2 (Socadisc)
Que voilà un album original et attachant. Bien que l’œuvre de
«vieux de la vieille», c’est une agréable «Découverte»,
même s’il n’est pas classable. C’est une belle conversation entre deux
musiciens, le guitariste Serge Merlaud et le contrebassiste Jean-Pierre
Rebillard, auxquels vient se joindre, sur quatre titres, le saxophoniste Claude
Braud. Les amateurs de jazz ne sont pas habitués à les entendre dans un tel
registre. Neuf de ces onze pièces, dont cinq composées par Jean-Pierre
Rebillard et quatre par Serge Merlaud, les autres l’ayant été par Steve Swallow
et Lucky Thompson, ne relèvent pas de l’idiome du jazz. La musique n’en étant
pas moins superbe; et l’on se laisse rapidement envouté par l’ambiance
intimiste de cette réflexion à plusieurs voix («Un verre de graves pour
Françou»). Ressortent de cet ouvrage les versions de «Peau
Douce» (Swallow), dans laquelle la délicatesse de Merlaud, dont la
musicalité évoque Charlie Byrd, et la subtilité de Rebillard font merveille, et
«Deep Passion» (Thompson) où la sensibilité de Braud s’épanouit dans
une élégance réservée de bon aloi. Un bel album à écouter au coin du feu.
Miguel Zenón, (as), Luis Perdomo (p), Hans Glawischnig,
(b), Henry Cole (dm), Will Vinson, Michael Thomas (as), Samir Zarif, John Ellis
(ts), Chris Cheek (bs), Mat Jodrel, Michael Rodríguez, Alex Norris, Jonathan
Powell (tp), Ryan Keberle, Alan Ferber, Tim Albright (tb) De donde vienes?, Identities are changeable,
My Home, Same fight, First language, Second generation Lullaby, Through Culture and Tradition, De donde vienes? Enregistré les 18 et 19 mars 2014, New York et
en 2011, La Havane (Cuba) Durée: 75’ Miel Music (www.miguelzenon.com)
Dans une très antérieure chronique nous avions souligné l’intérêt que montre
Zenón, à travers sa Caravane Culturel,
à diffuser le jazz dans les plus petits villages de son l’île, Puerto Rico.
Aujourd’hui Zenón est plongé dans des recherches identitaires et s’attache au
mouvement migratoire qui depuis plusieurs générations entraîne ses compatriotes
vers les Etats-Unis. Les Portoricains constituent à New York une colonie de
plusieurs millions de personnes. Ce disque assez étrange ne ressemble en rien à
ce que l’on a l’habitude d’écouter. Miguel Zenón se livre à de nombreuses
interviews de ces Portoricains vivant dans la gran manzana. Il les questionne sur leurs liens actuels avec Puerto
Rico, leur façon de vivre etc... et superpose ces interviews sur les huit
thèmes qu’il compose spécialement pour ce projet et dont les titres font
référence à ces interviews. Le quartet de Zenón et le Identies Big
Band apparaissent donc en arrière plan chaque fois que les interviews se
superposent à la musique. Les thèmes – à l’exception de l’introduction et de la
conclusion –excédant les dix minutes on
peut quand même percevoir le jazz de Zenón et de ses partenaires, percutant, au
sein de laquelle éclatent les trois trombones, à la manière de certaines
formations latines aux Etats Unis à l’apparition de la salsa. Toutefois Zenón les équilibre avec le pupitre des saxos et
des trompettes. L’ensemble est donc puissant avec toute cette armada de metales. En filigrane très discret
apparaissent les bases de la musique portoricaine historique, la plena, peut-être la bomba apportant une référence à la latinité correspondant aux
personnes interrogées. Ce disque s’adresse aux découvreurs de mystères… car pour connaître Zenón,
d’autres disques sont plus à conseiller.
The Thrill Is Gone, In the Still of the Night, Bewitched,
Bothered and Bewildered, Answer Me, My Love, Why Don't You Do Right ?, Cry
Me a River, Something Cool, Wives and Lovers, I Get Along Without You Very Well Hetty Kate (voc), James Sherlock (g), Sam Keevers (p), Ben
Robertson (b), Danny Farrugia (dm) Enregistré le 15 mars 2013, Melbourne (Australie) Durée: 40' 50'' ABC Jazz 378 2335 (www.hettykate.com)
Gordon Webster / Hetty Kate Gordon Webster Meets Hetty Kate
Button Up Your Overcoat***, Blitzkrieg Baby, Peek-a-Boo,
Shoo Fly Pie & Apple Pan Dowdy, How D'ya Like to Love Me ?, Eight,
Nine & Ten, There's Frost on the Moon*, Busy Line, Sweet Lover no More, I
Wanna Be Around, Hard Hearted Hannah, Bésame Mucho**, I Lost My Sugar in Salt
Lake City**** Gordon Webster (p), Hetty Kate (voc), Mike Davis (tp),
Cassidy Holden (g), Rob Adkins (b), Kevin Congleton (dm) + Joseph Wiggan (tap
dancing), Shannon Barnett (tb)*, Adrien Chevalier (vln)**, Adam Brisbin (g)***,
Evan Arntzen (cl)****, reste du personnel détaillé dans le livret Enregistré en septembre 2013, New York Durée: 49' 03'' Autoproduit (www.hettykate.com)
En juin 2015, nous étions tombés sous le charme de la
pétillante Hetty Kate, qui se produisait au Caveau de La Huchette (Jazz
Hot n°672). Une rencontre à l'occasion de laquelle ses deux derniers albums
en leader, enregistrés durant l'année 2013, à quelques mois d'intervalle, nous
sont tombés sous la main. Originaire de Hampshire, en Angleterre, mais élevée
en Australie, Hetty Kate vit à Melbourne. Elle appartient donc à cette scène
lointaine jazz océanique dont nous avons quelques échos de temps en temps (Joe
Chindamo, Jazz Hot n°596) et aussi quelques représentants qui ont leur
rond de serviette dans les clubs parisiens : Chris Cody (p), Dave
Blenkhorn (g), Sébastien Girardot (b) ou encore Wendy Lee Taylor (voc). Dim All the Lights est un album de ballades qui
s'ouvre avec un «The Thrill Is Gone» joliment mélancolique et qui
capte d'emblée l'oreille. La voix sensuelle de Miss Kate évoque le timbre de
Peggy Lee, avec un phrasé qui épouse le swing. L'accompagnement du piano
(«In the Still of the Night») comme de la guitare
(«Bewitched, Bothered and Bewildered», sobre et élégant, met
parfaitement en valeur la chanteuse. Les subtiles variations d'un titre à
l'autre maintiennent notre intérêt de bout de bout : des ballades certes, mais
les couleurs sont différentes entre «Why Don't You Do Right?», «Cry
Me a River» ou «Wives and Lovers». Un disque très plaisant. Sur le second opus, Hetty Kate partage l'affiche avec le
pianiste Gordon Webster, émule canadien de Fats Waller, installé à New York. La
rencontre des deux, sous le signe du swing, est des plus réjouissantes !
Webster et Kate nous embarquent dès le premier titre, «Button Up Your
Overcoat» et nous convient à une joyeuse évocation du jazz des années
trente et quarante, convoquant même un danseur de claquettes sur «Shoo
Fly Pie & Apple Pan Dowly». Rien n’est artificiel ni ringard :
on a affaire à de bons musiciens qui maîtrisent leur style (le groupe se révèle
particulièrement alerte sur Eight, Nine & Ten» et sur «There's
Frost on the Moon». Hetty Kate, portée par l’ensemble, est délicieuse sur
«Peek-a-Boo», drôle sur «Busy Line», romantique sur
«Hard Hearted Hannah» dévoilant ainsi une palette assez large.
On ne peut que souhaiter la
voir revenir bientôt sous nos climats pour profiter en scène de ses atours
vocaux.
Witchcraft, Bess You Is My Woman, You
Don’t Know What Love Is, My Man’s Gone Now, Our Love Is Here to
Stay, Get Out of Town, I Hear Music*, Blues in Green, Boplicity Frederic Borey (ts, arr), Michael
Felberbaum (g, arr*), Leonardo Montana (p), Yoni Zelnik (b), Fred
Pasqua (dm) + Gildas Boclé (b) Enregistré les 7 et 8 juin 2015,
Videlles (91) Durée : 58' 46'' Fresh Sound New Talent 486
(www.fredericborey.com)
Le clin d’œil de Frederic Borey
passe, dans ce nouvel enregistrement, par une relecture de standards
parmi les plus connus, revus au filtre d’une filiation
hendersonienne (Joe), avouée dans les quelques notes de pochette.
Les influences et admirations de Frederic Borey, né en 1967, ne
s’arrêtent bien sûr pas là, et s’il est aujourd’hui mis en
valeur par le label New Talent (Fresh Sound) de l’excellent Jordi
Pujol, ne vous y trompez pas, c’est un musicien expérimenté,
diplômé, enseignant lui-même, qui a déjà côtoyé d’excellents
partenaires depuis plus de vingt ans sur les scènes du jazz. La
présence de Gildas Boclé sur le premier thème, le soutien de Jerry
Bergonzi et Lionel Loueke dans les notes de livret, confirment ce
statut de musicien reconnu et expérimenté, et la musique jouée
vient confirmer cette présentation rapide. Nous évoquions l’influence de Joe
Henderson, et elle est en effet marquante dans cette manière de
diffuser un voile aérien de réharmonisations sur toutes les
compositions pour créer un véritable univers, captivant. La
sonorité même de ténor de Frederic Borey n’est pas sans rappeler
l’élégance du regretté et grand saxophoniste de Lima (Ohio). Ses
héritiers ne sont pas si nombreux, et c’est donc un plaisir
supplémentaire de cet enregistrement. On apprécie l’apport du très bon
Michael Felberbaum, guitariste américain né à Rome et qui vit son
actualité jazzique à Paris, tout à fait dans l’esprit de cette
musique, particulièrement sur le très réussi « Our Love Is
Here to Stay », et le soutien d’un Fred Pasqua à son aise
dans cet univers, apportant juste ce qu’il faut avec délicatesse. Les relectures métamorphosent plus ou
moins les standards, mais dans l’ensemble, ce qui est remarquable
est l’unité du ton, la création d’un ensemble musical à la
personnalité certaine, à la tonalité originale, une construction
d’une séance cohérente dans laquelle on s’immerge
progressivement, conclue sur un « Boplicity » enlevé et
joyeux : un cheminement qui contribue à faire de ce disque un
excellent moment musical.
No Strings, Undecided, Shall We Dance,
Lulu’s Back in Town*, Running Wild, Living in a Great Big Way, Get
Happy*, Fascinating Rhythm, Darling je vous aime beaucoup, It Don’t
Mean a Thing, After You’ve Gone, Nagasaki, When Somebody Thinks
You’re Wonderful, When I Get Low I Get High, Me Myself and I Lucy Dixon (voc, tap dance, dm), Samy
Daussat (g), David Gastine (g), Sébastien Gastine (b), Laurent de
Wilde (p), Steve Argüelles (dm, perc) + Umlaut Big Band* :
Pierre Antoine Badaroux (as, arr), Louis Laurein (tp) Geoffroy Gesser
(ts, cl), Fidel Fourneyron (tb) Enregistré en mai 2014, Juillaguet
(16) Durée : 36' 38'' SideStreet Music
(www.thelucydixon.com)
Lucy Dixon est anglaise, elle danse
(les claquettes), elle possède un excellent drive, et comme vous
pourrez l’entendre sur ce disque, sans trop de moyens apparents,
elle a su réunir autour d’elle une bonne section dans l’esprit
de Django, avec les excellents frères Gastine, et un Samy Daussat,
toujours aussi brillant guitariste de cette tradition, augmentée
quand il le faut de Steve Argüelles, qui produit le disque, et d’une
section de cuivres. Son répertoire va des standards à la
tradition de Broadway, le tout marqué par l’empreinte de Django, à
cause de Paris et du choix des musiciens qui l’accompagnent, et
cela donne une résultat musical de belle facture. Lucy possède sur
disque, nous ne l’avons pas écouté en live, une vraie
personnalité, une belle voix juste, un phrasé swing ce qu’il faut
pour ce registre et pose les paroles avec une vraie connaissance de
ce répertoire. La mise en place est réussie, les musiciens
connaissent leur Django sur le bout des doigts et en donnent une
belle illustration tout au long de ce bon enregistrement. Donc, ce qui pourrait paraître pour un
disque promotionnel de plus, dans une présentation économique, en
dépit d’une photo sympa et des renseignements de base, est en fait
très prometteur, et mérite une attention certaine d’où le
plaisir n’est pas exclu. Il évoque tout aussi bien la grande
tradition populaire américaine que la tradition française marquée
par Django. En direct, les claquettes ne seront pas non plus à
dédaigner, car la dame semble se débrouiller parfaitement
(« Nagasaki »). Donc si vous croisez ce groupe sur votre
route, allez l’écouter et vous pourrez même conserver un souvenir
de la bonne soirée.
Frank Catalano / Jimmy Chamberlin Love Supreme Collective
Acknowledge of
Truth, Resolution of Purpose, Pursuance and Persistence, Psalm for
John Frank Catalano (ts, ss), Jimmy Chamberlin (dm), Chris Poland
(g), Adam Benjamin (key), Percy Jones (b) Enregistré en
2012 et 2013, Chicago Durée : 22' Ropeadope
13833 (www.ropeadope.com)
Frank Catalano / Jimmy Chamberlin God's Gonna Cut You Dawn
Shakin, Karma,
Expressions (for John Coltrane), Tuna Town, God’s Gonna Cut You
Down, Big Al’s Theme and Soul Dream Frank Catalano (ts),
Jimmy Chamberlin (dm), Demos Petropoulos (org), Scott Hesse (g),
Eddie Roberts (g), Mike Dillon (vib) Enregistré en janvier et
février 2015, Chicago Durée : 41' 05'' Blujazz 3434
(www.blujazz.com)
Handicapé
par un accident, Frank Catalano reste toute l’année 2011 sans
pouvoir s’exprimer musicalement. Il passe et repasse sans cesse la
musique de John Coltrane qu’il a toujours aimée (voir notre
interview dans ce numéro). Coltrane et l’album Love
Supreme lui permettent
de maintenir son cerveau en ébullition. Il ne pense alors qu’à
rendre hommage à John et conçoit Love
Supreme Collective.
Catalano appelle pour cela son ami de longue date Jimmy Chamberlin
qu’il considère comme le batteur adéquat pour son projet. Jimmy
lui fait penser à Elvin Jones. Il invite également le bassiste
Percy Jones, une vieille connaissance. Tous les trois s’enferment
dans un studio pour enregistrer quasiment en live.
Les parties de guitare sur « Psalm for John » et de
clavier sur le premier thème et sur « Pursuance and
Persistance » seront ajoutées par la suite après un long et
méticuleux travail. Le disque ne constitue pas une reprise des
quatre thèmes même si le saxophoniste attribue à ses quatre
compositions les mêmes titres que celles de Coltrane. Ce que l’on
retrouve, c’est la manière d’envisager le jazz, l’esprit,
l’élan vital tout en notant que Catalano laisse percer sa propre
personnalité, chacun des thèmes exprimant un sentiment différent.
« Acknowlegment of the Truth » reste dans le même mode
que celui de Coltrane. On retrouve la puissance de Coltrane, sa
rapidité, mais avec un son qui frappe de plein fouet. Il ne faut pas
aller chercher davantage de rapports avec le disque de Trane. Frank
réalise bien un travail personnel exprimant sa propre intériorité
du moment et c’est ce qui en fait son intérêt. Les choix sont
d’ailleurs différents pour les trois autres compositions et
l’écriture musicale est réalisée en fonction de ces sentiments.
Dans « Resolution of Purpose », assez court, avec un son
du ténor plus rond, moins agressif que pour le premier thème
l’ambiance générale est plus nostalgique. « Pursuance and
Persistence » comme chez Coltrane débute par la batterie mais
ici le saxo entre de manière très précoce et reprend la violence
et l’agressivité du premier thème. Là encore Frank Catalano
impose une rapidité extrême. Il ouvre la porte au free jazz. Très
vite le saxophoniste entraîne ses partenaires et les pousse à une
grande vélocité. Chamberlin se déchaîne pour se mettre dans le
tempo. Il démontre ses aptitudes au jazz, lui qui promène
l’étiquette Smashing Pumkins. Le « Psalm » de John
devient chez Catalano « Psalm for John ». Les effets
offerts par Chris Poland et sa guitare donnent parfaitement le ton
psalmique du morceau. Cette fois Frank joue plus cool, laisse trainer
les notes. Ce qu’il a pu percevoir dans la musique religieuse lors
de sa toute première jeunesse remonte en surface dans ce thème
d’une grande beauté pour lequel le batteur se coule dans un moule
différent. Co-leader de l’enregistrement Jimmy Chamberlin a un
rôle fondamental à chaque fois. Il apporte une sonorité
personnelle sur laquelle s’appuie parfaitement Percy Jones. Ils
offrent à eux deux une base ferme pour le saxophone de Frank
Catalano. Le travail de Chamberlin, bien que Catalano valorise sa
proximité avec Jones, nous semble toutefois s’en éloigner malgré
une énergie assez proche dans le premier thème. Jones est plus
souple, moins brutal que Chamberlin dont la tonalité est sèche et
le jeu explosif. Un choix de matériel sans doute aussi. Notons aussi
que Chamberlin, jazzman au départ puis rocker et de nouveau jazzman,
parvient dans ce périple musical à garder son identité. God’s
Gonna Cut You Down
rompt radicalement avec le Love
Supreme Collective.
L’objectif pour Catalano et Chamberlin étant de déposer sur
disque la musique qu’ils jouent de manière plus régulière en
clubs et en concerts. Catalano choisit le vieux thème de blues
« God’s Gonna Cut You Down »que la version de
Johnny Cash a toujours captivé. Frank et Jimmy s’accordent pour
doubler le tempo original. Ce dernier apporte un groove funky et le
Hammond B3 et la guitare maintiennent le fond blues du thème. C’est
une des rares (peut-être la seule) reprise du thème par un jazzman.
Tous les autres thèmes sont des compositions de Frank Catalano.
« Big Al’s Theme and Soul », « Shakin » sont
en 4/4 et appartiennent à un répertoire antérieur à la venue de
Chamberlin. « Shakin » est marqué par la vélocité du
saxophone. La batterie y apporte son groove particulier et s’illustre
abondamment dans les soli.
Le son de Petropoulos face au Hammond B3 souligne parfaitement le
travail du batteur. « Karma » possède des
caractéristiques proches. Sur « Tuna Town » Jimmy et
Frank mettent aussi en valeur Petropoulos. Dans « Expressions »,
dédié à Coltrane, Catalano retrouve un peu le jeu déployé dans
le premier disque avec la même vélocité, à peine moins
d’agressivité. Chamberlin soutient le solo du Hammond. Ça groove
encore comme dans « Tuna Town » ! Le solo de
batterie permet de bien percevoir la sonorité spéciale, très sèche
que montre Chamberlin dans le premier disque. « Big Al’s
Theme and soul » intègre à peu près tout ce qu’offrent les
autres compositions, un gros son du ténor, de la puissance, de la
rapidité, du groove, un feeling un peu rock. Ce thème conclue le
disque d’un musicien à découvrir car jusqu’ici sa présence en
France a été trop rare.
Tribalurban
1, Doctor solo, Trois total, Balallade 2, La Megaruse, Tribalurban 2,
Die coda Andy
Emler (p), Philippe Sellam (as), Guilaume Orti (as), Laurent Dehors
(ts), François Thuillier (tba), Laurent Blondiau (tp), Claude
Tchamitchian (b),Eric Echampard (dm), François Verly (perc, marimba) Enregistré
les 16 et 17 décembre 2014, Pernes-les-Fontaines (84) Durée :
55' 30'' Label
La Buissonne RJAL397024 (Harmonia Mundi)
Ce
qui prime chez Andy Emler c’est l’écriture, donc l’expression
du groupe comme un instrument global. Et dans cet Obsession
3, les morceaux semblent
écrits en forme de concertos avec des cadences improvisées par les
solistes, mais dont les solos s’insèrent parfaitement dans
l’arrangement. Je veux dire que ce n’est pas un solo pour
lui-même, ce qui est souvent le cas, et est tout aussi jubilatoire
quand le soliste est bon. Par exemple « Doctor solo » est
un concerto pour tuba et MegaOctet, qui me fait assez penser, dans sa
conception, au « Concerto for Cootie » de Duke Ellington.
Et les interventions du tuba sont de toute beauté. On a parfois des
ensembles riches d’unissons très travaillés d’où éclatent les
solos, « Trois total » avec les sopranos et la trompette,
ou encore « Balallade 2 » avec des unissons allant
crescendo comme lorsqu’on s’approche d’une cascade, avec un
long et riche solo de trompette, et un solo de basse très tendre. Il
y a des ruptures de tempos, de rythmes et d’atmosphères qui
titillent l’écoute. « La Megaruse » s’ouvre sur une
petite merveille de duo contrebasse-batterie sur lequel se greffe le
piano, puis le ténor rageur sur tempo rapide, puis tout finit dans
le calme et les aigus doux du ténor (un exploit) avec piano et
orchestre. « Tribalurban 2» démarre par une intro du
batteur pour s’ouvrir sur un long délire saxophone calmé par le
piano et les tenues de l’orchestre. Le disque se termine par « Die
coda », un dialogue entre l’orchestre et le piano. Attention
après un long silence le piano plaque un dernier accord bref. Le
MegaOctet poursuit son chemin sur les hauteurs du jazz, un jazz
certes savant, mais tout aussi roboratif.
D’Août, La Tête dans les étoiles,
Sur le sentier de la guerre, Le Lac Majeur, Septième vague, French
Riviera, J’sais pas quoi faire, Faux bond, Tex-Mix, Les Pieds sur
terre Christian Brazier (b), Perrine Mansuy
(p), Christophe Leloil (tp), Dylan Kent (dm) Enregistré les 27 et 28 février 2014,
Pernes les Fontaines (84) Durée : 50' 15'' ACM Jazz Label 63 (Socadisc)
Le contrebassiste compositeur et chef
d’orchestre Christian Brazier nous revient en disque après cinq
ans d’absence. En effet son dernier disque, Circumnavigation,
date de 2010, disque au sommet. On reste sur la mer avec cette
Septième vague ; rappelons que Brazier fut marin.
Septième vague c’est aussi un festival à Brétignolles, qui n’a
rien à voir avec le jazz et un roman de Daniel Glattauer qui la
définit comme suit : « Les six premières sont
prévisibles. Elles se suivent, se forment l’une sur l’autre,
n’amènent aucune surprise. La septième vague est longtemps
discrète. Elle s’adapte à celles qui l’ont précédée, mais
parfois elle s’échappe. La septième vague remet tout à neuf.
Pour elle, il n’y a pas d’avant, mais un maintenant. Et après,
tout a changé ! » Serait-ce aussi une définition de ce
qui fait l’évolution du jazz ? Est-ce cette idée qui a
inspiré Christian Brazier dans le choix du titre et l’écriture de
sa musique ? En tout cas il retrouve ici deux de ses compagnons
depuis 2007, Perrine Mansuy et Christophe Leloil, auquel est venu
s’ajouter un nouveau batteur, l’Australien Dylan Kent, qui sait
tricoter des baguettes sur la caisse claire et la charleston ;
bon soutien et bien intégré. Dès le premier morceau, après une
intro du piano lumineux de Perrine, on retrouve le phrasé dansant
des mélodies et des ensembles de Brazier. Et la trompette de Leloil
éclate. Il se taille d’ailleurs la part du Lion dans ce disque. Il
a ainsi loisir de développer toute l’étendue de son jeu,
essentiellement mélodique, comme d’ailleurs tous les membres du
quartette. Il y a parfois un aspect assez funky, surtout de la part
du batteur. A noter que les solos de contrebasse sont tous empreints
d’une douceur nouvelle chez Brazier, avec une certaine mélancolie,
la basse chante comme un souffle d’amour. Une rupture très agréable dans le
disque avec « Tex-Mix » sur un rythme façon salsa, dans
lequel Leloil fait merveille à la trompette bouchée, où la
pianiste se montre très à l’aise et inspirée sur ce genre de
rythme, le tout avec une excellente cohésion du quartette. Dans ce disque-ci Brazier (auteur de
tous les thèmes) laisse essentiellement le champ libre aux solistes.
Pas d’esbroufe, pas d’exploits virtuoses, de la musique, et de la
mélodie avant toute chose. Une parenthèse enchantée.
Promise of the Sun, Sicilienne,
Indifférence, Beautiful Love, For Heaven’s Sake, La Mer, Chant des
marais, Without a Song, Pull marine Pierre de Bethmann (p), Sylvain Romano
(b), Tony Rabeson (dm) Enregistré les 30 et 31 mars 2015,
Pompignan (30) Durée : 52' 23'' Aléa 007 (socadisc)
Pierre de Bethmann, après Virginie
Teychené, s’attaque à la chanson. A chaque fois le dilemme est
là : comment s’y prendre ? Faut-il ré-harmoniser, ou
s’en tenir à la mélodie ? Les deux bien-sûr. Ce qu’ont
magnifiquement réussi Virginie et Gérard Marin récemment avec
Encore, et évidemment De Bethmann dans ce disque. Ce trio s’est donc formé après un
gig de dernière minute au Duc des Lombards. Rencontre parfaite de
trois générations de musiciens, qui n’en font plus qu’une dans
la musique, et qui manie l’art du trio en toute liberté. Déjà le
jeu du pianiste, avec la main droite qui s’envole sur des traits
rapides, un peu à la façon d’Art Tatum, une main gauche parfois
en contrepoint harmonique, un beau sens de la mélodie, avec le
plaisir de la goûter qui se ressent tout de suite. Une pompe véloce,
chantante et joyeuse du bassiste, et le délicat tricotage des
baguettes du batteur, pour le déroulement d’un tapis très riche :
tous deux heureux de propulser le pianiste, tout en tenant leur
partie avec une inspiration en verve. La « Sicilienne » de Fauré
après un bel exposé au piano nous vaut un trio de grande soirée,
avec des roulements du batteur qui conviennent incroyablement au
thème. Fauré leur donne des ailes. Un autre beau moment c’est
cette somptueuse valse, « Indifférence », de
l’accordéoniste des années quarante Tony Murena. Thème souvent
joué par Galliano et magnifiquement chanter par Minvielle chez
Lubat. La version du trio est à la hauteur, avec des impros
sidérantes. « La Mer » offre un splendide échange
piano/basse ; la contrebasse se taille la part du lion. « Chant
des marais » ou « Chant des déportés » écrit en
1933 par des prisonniers politiques au camp de concentration de
Bôrgermoor en Basse Saxe, avec Rudi Goguel pour la musique. Le trio
le prend sur un mode lent et dramatique très émouvant, avec pour
l’exposition une harmonie légèrement dissonante. Les notes tenues
de la basse sonnent comme un glas. Magnifique interprétation,
tragique sans pathos. « For Heaven’s Sake » en piano
solo me semble vraiment dans la lignée Art Tatum, dans le
développement et le jeu des deux mains. Idem dans le solo sur
« Without a Song ». Dans « Pull marine » de
Gainsbourg qui clôt le disque, entendre comment la mélodie naît
des accords graves du piano, puis après une paraphrase de toute
beauté, et le retour au thème on voit subrepticement le portrait
d’Isabelle Adjani apparaître, et on entend sa voix tant le
pianiste chante la chanson. La preuve qu’on peut jouer un jazz
savoureux de grande lignée avec de simples chansons. Mais au fond
c’est comme cela depuis plus d’un siècle.
Arc noir, Trivium,
Heyokas, Cromlech, Zéphyr, Orages, Points hauts, A la moelle Sylvain Kassap (cl),
Julien Touéry (p), Fabien Duscombs (dm) Enregistré le 17 octobre
2014, Tours Durée : 41' Mr. Morezon 011 (Orkhêstra
International)
Voici trois gaillards qui
s’engagent en free sans complexes ; un free musical, lyrique,
non politique, juste pour le plaisir de jouer librement, en toute
confraternité ; loin du free de complaisance, de mode, qui vire
au n'importe quoi. Dès « Arc noir » on entre dans du
lyrique pur avec la clarinette basse ; Kassap est un sacré
joueur de cet instrument magnifique et tellement expressif. Il en
tire les plus beaux chants. S’ensuit « Trivium » sur un
tapis diluvien du batteur, le martèlement du piano, et un Kassap qui
monte jusqu’à l’exaspération. Un très prenant « Cromlech »,
sur tempo lent, des grappes de batterie et de piano et la clarinette
basse chante sa chanson tout en faisant monter la tension : très
beau ! « Orages » au souffle continu sur la
clarinette alto, de longues phrases ultra-rapides sur des ostinatos
batterie-piano ; à couper le souffle. Et les disque se termine
sur « A la moelle », une grande envolée du trio sur un
tempo dément. Ce trio fonctionne à
merveille dans un chant à trois voix qui s’entremêlent. Pas de
solo, du collectif, et du beau, du grand, du supérieur.
Réconciliation garantie avec l’impro collective libre.
Simmer, Whispered
Confessions, Labyrinth, When I Fall in Love, Bach/Basie/Bird Boogie
Blues Bop, Kaleidoscope, Midnight Mania, Blue Horizon, Stepping Into
Paradise, One and Only, Sunny Side Up. Lisa Hilton (p), J.D.
Allen (ts), Larry Grenadier (b), Marcus Gilmore (dm) Durée : 49' 33'' Enregistré les 3 et 4
décembre 2013, New York Ruby Slippers Productions
1017 (www.lisahiltonmusic.com)
La présence aux côtés
de cette pianiste californienne (qui signe neuf des onze titres du
disque, les deux autres étant des standards) de « pointures »
reconnues de la contrebasse, de la batterie et du saxophone aiguise
l'appétit. Elle s'est dit-on, déjà produite avec Christian
McBride, Larry Grenadier et Lewis Nash (excusez du peu...). Pourtant,
sa prestation laisse un peu sur sa faim, car ce sont surtout ses
comparses qui captent l'attention... Technique presque hésitante,
abondance de clichés, phrasé manquant de souplesse, et, sens du
swing et de la mise en place très approximatifs... (même sur le
blues, un comble pour quelqu’un qui se réclame de l'héritage de
Sonny Terry et Brownie Mc Ghee...). En grands professionnels,
Grenadier, Gilmore et Allen se tirent de cette situation difficile
avec les honneurs.
The Atoll, Trip Through
Turbulence, A Brief Note, The Wisdom of Rocks, Faint Scattered
Lights, The Get-Go, Heat in May, Tale by Two, Radial symmetry, The
Semblance of Stealth, Of Fives and Sixes, Conversation in Blue Rich Halley (ts), Michael
Vlatkovich (tb), Clyde Reed (b), Carson Halley (dm) Durée : 53' 02'' Enregistré les 26 et 27
mai 2013, Corvallis (Oregon) Pine Eagle 006
(www.richhalley.com)
Le répertoire ne compte
que des compositions personnelles de l'un ou l'autre des membres du
quartet (voire co-signées par plusieurs) dans une belle unité
stylistique. Les thèmes, aux structures minimalistes et prétextes à
des improvisations débridées, sont le plus souvent exposés par les
deux soufflants en un joyeux et savant décalage harmonique flirtant
avec les dissonances. Cela fait immédiatement penser aux audaces
très « libérées » de l'AACM de Chicago (Association
for the Advancement of Creative Musicians), creuset de musiciens
« d'avant garde » depuis le milieu des années soixante.
Imperturbables, la basse et la batterie (tenue par le fils du
leader), mènent le tempo avec rigueur et balisent clairement les
changements d'harmonies. Le tout est joué avec un drive et un swing
à l'enthousiasme communicatif. Voici un disque tonique, original,
sans concession, pas franchement « commercial », mais,
splendide !
Magic Flea, All of Me, Broadway, Mean
What You Say, Teach Me Tonight, Nice Work If You Can Get It,
Basically Yours, Little Pixie, Ya Gotta Try, Air comme René, Just
Friends, Que reste t'il de nos amours, Our Love Is Here to Stay, Step
to the Bop Jean-Loup Longnon (tp) et le Paris-Calvi Big Band (personnel détaillé sur le livret) Enregistré le 18 juin 2014, Calvi (20) Durée : 1h 15' 06'' Autoproduit JLLBB00020152
(www.longnon.com)
Ce disque enregistré en public à
Calvi est un hommage chaleureux à René Caumer qui dès la fin des
années soixante-dix invitait des musiciens de jazz chez lui, ce qui
fit germer l'idée d’un festival de jazz à Calvi. Cet homme
généreux ayant horreur de l’argent s’arrangea pour faire
héberger et nourrir les musiciens dans la région, à charge pour
eux de faire de la musique. Une foule de musiciens, et d’amateurs,
s’y précipita tous les ans, faisant de Calvi la capitale du jazz
pendant une semaine. Comme beaucoup de grands festivals, celui-là
était né de la passion, du dévouement, de la générosité, voire
de l’abnégation d’un homme et d’une équipe. Y en aura-t-il
encore de ces individus nécessaires à la vie de cette musique, à
l’heure où tant de grands, beaux et purs festivals ont disparu et
que d’autres vont encore disparaître ? René Caumer décéda
le 16 août 2013. Les amis de René eurent l’idée de créer une
grande formation composée de fidèles sous la direction de Jean-Loup
Longnon pour porter témoignage de leur reconnaissance. Il y eut un
premier concert au café des « petits joueurs » à Paris,
puis le grand concert de Calvi. Ce sont en tout trente musiciens qui
furent de la fête de l’amitié Chaque morceau est dédié à des
solistes différents (détails sur le livret), et les arrangements,
tous magnifiques, sont de divers musiciens. L’orchestre est une
merveilleuse machine à swing, de tendance bebop. On pourrait évoquer
le big band de Dizzy Gillespie, pour la répartition des masses,
l’impétuosité, l’intégration des solistes. On joue collectif,
même en solo, pas de tirage à soi de couverture, ou d’exploits
m’as-tu vu. On sent la ferveur, la réunion pour une cause
partagée. L’équilibre des masses orchestrales est remarquable,
masses qui s’envolent en phrases mélodiques, les cuivres sont des
blocs de granit sur lesquels les anches viennent se couler. La
rythmique est au-dessus de tout soupçon : elle carbure dans la
joie. On a des arrangements de Sammy Nestico, Thad Jones, Stan
Lafferière, Dave Wolpe, Zool Fleischer, Rob Mc Connell, Peter
Herbolzeimer et Jean-Loup Longnon. Du solide comme on le voit.
Admirables solos de trompette : Longnon sur « Magic
Flea », Alour sur « Mean What You Say », Folmer sur
« Little Pixie », Guichard sur « Just Friends » ;
de saxophone : Temime, Avakian, Scali au baryton; des
pianistes fabuleux, Pierre de Bethman et Antonio Faraò, tous deux
avec une sonorité limpide et tout de délicatesse ; des
trombonistes : Ballaz, Fossati ; des chanteuses :
Antoinette d’Angeli qui chante trop en force sur « Teach me
Tonight », comme si elle voulait dominer l’orchestre, mieux,
avec naturel sur « Nice Work if you can get it », Chloe
Cailleton qui a pris quelques tics d’aujourd’hui ; des
chanteurs , l’excellent baryton Marc Thomas, et puis dans un
bouquet final délirant, Jean-Loup Longon lui-même, redoutable
scatteur devant l’éternel, qui débute « Step to the Bebop »
dans un a cappella à renverser la citadelle de Calvi ; dur de
poursuivre après lui, le regretté Marc Thomas et Chloé Cailleton
s’y risquent avec tout le big band, qui termine ce concert à la
façon de Count Basie. Michel Houellebecq affichait La
Possibilité d’une île. On a avec ce disque la possibilité
d’un big band fastueux, digne de la Swing Era.
Trips
and Quads, The Camel Step, You're Not on the Map, The Little Tower on
a Hill, Ydal Drib, Lament, Yellow Dog, Adam 1890 Blues, Line on
Rhythm Fabien
Mary (tp), Steve Davis (tb), Frank Basile (bs), Chris Byars (ts, fl),
David Wong (b), Pete Van Nostrand (dm) Enregistré
le 12 octobre 2014, New York Durée :
53' 17'' Elabeth
621064 (Socadisc)
Outre
les nombreux CDs enregistrés au sein d’autres formations de styles
très divers, Fabien Mary nous a déjà donné, en tant que leader,
cinq beaux albums. Ce Three
Horns Two Rhythm,
toujours chez Elabeth, est le second opus de facture totalement
américaine après Conception
(2011), à avoir été enregistré par lui à New York avec
musiciens locaux. S’il est rentré en France, après un long séjour
new-yorkais de 2008 à 2011, le trompettiste a conservé de
nombreuses attaches à Big
Apple,
où il retourne régulièrement. Ce dernier volume atteste de cet
ancrage. Mis
à part le sixième titre, « Lament » (composée
en 1954 par Jay Jay Johnson)
au demeurant arrangée par lui, toutes les pièces ont été
composées et orchestrées par Fabien Mary, à New York, dans la
période 2013-2014 ; d’où la couleur générale de ces
enregistrements tout à fait big
apple clubs.
Autre particularité de cet ouvrage, Fabien Mary choisit une formule
orchestrale très tendance US, plutôt austère, ne comportant ni
guitare ni piano, réduisant la section rythmique à sa plus simple
expression, basse et batterie. Les
pièces sont très largement nourries d’influences bebop, années
1950-1960 ; on y entend des références à Tadd Dameron, Benny
Golson, Thelonious Monk (« Adam 1890 Blues ») et J. J.
Johnson, « le plus trompettiste des trombonistes », dont
la composition constitue l’articulation logique de l’opus. Les
expositions des thèmes à l’unisson, dont « Line on Rhythm »
est une parfaite illustration, replacent l’auditeur dans une
période musicale peu souvent fréquentée sur la scène parisienne
et française actuelle. Les structures de ses pièces sont cependant
au goût du jour ; certes traitées selon une esthétique
référencées, elles n’en sont pas moins construites selon des
canons structurels de notre temps. Et c’est l’arrangement qui
confère au travail de Fabien Mary sa grande originalité ; il
évoque immanquablement ses illustres prédécesseurs dans le ton et
dans le souci d’organisation de sa musique, comme le permettait
l’existence de formations permanentes jusqu’au milieu des années
1960. Mais ses orchestrations présentent également des novations
tant au plan harmonique que rythmique et surtout compositionnel. En
effet, l’apparente simplicité des arrangements relève de
l’intelligence et de la pertinence de leur construction rigoureuse,
dont Benny Golson et Gigi Gryce étaient des exemples rares en leur
temps. Bien
que ne revenant qu’occasionnellement cette tradition musicale, les
musiciens newyorkais possèdent encore la culture du bop. Et ce n’est
pas pour rien que Fabien Mary a sollicité ces musiciens, qu’il
fréquente depuis plusieurs années, pour participer à son ouvrage ;
il est, en retour, fort bien servi dans leur interprétation. Au plan
collectif, les voicing
sont remarquables : équilibre et rapports sonores parfaits
entre instrumentistes ; de ce point de vue, le travail du
contrebassiste et surtout du batteur est exceptionnel ; c’était
l’écueil à éviter en l’absence du liant harmonique d’un
piano ou d’une guitare éventuellement. Au plan individuel, la
réalisation n’est pas moins brillante. Fabien
Mary a choisi chacun de ses collègues en considération de leurs
qualités musicales après une fréquentation réelle, parfois longue
et complice. C’est le cas de Frank Basile avec lequel il a déjà
gravé trois albums. Par son aisance technique et son attaque, ce
baryton évoque parfois Pepper Adams (« Line on Rhythm »)
et par sa musicalité il est l’héritier de Gerry Mulligan
(« You're Not on the Map », « Yellow Dog ») ;
c’est un musicien complet, capable d’adapter sa manière au
contexte avec beaucoup de finesse. A presque 50 ans, Steve Davis est
un tromboniste rompu à toutes les formes jazziques ; d’une
grande subtilité dans les ensembles (« The Camel Step »),
c’est un soliste élégant qui a un sens aigu de la mélodie et en
joue avec charme façon Kai Winding dans cette version de « Lament »
alors qu’on l’entend plus « j.j.
johnsonien »
habituellement (« Ydal Drib »). Le ténor Chris
Byars est un nouveau venu dans la galaxie Fabien Mary. Il y apporte
une part de bebop plus ancienne, façon Lucky Thompson encore
enraciné dans le jazz classique. C’est un flutiste de « charme »
(« The
Camel Step ») rompu aux accents particuliers des univers
orientalistes même sur le blues (« Adam 1890 Blues »).
Mais le ténor a une attaque affirmée puisée chez les premiers
boppers (« Line on Rhythm », « You're Not on the
Map »). Le bassiste David Wong est un vieux compagnon de Fabien
Mary. Il en connaît les attentes et remplit sa mission
remarquablement en fournissant un soutien impeccable à la section
mélodique : « Trips and Quads » est un modèle du
genre. Ses interventions en solo sont solides ; il est peut-être
plus intéressant à l’archet (« Adam 1890 Blues »). Le
batteur Pete Van Nostrand est également une vieille connaissance du
trompettiste. Et sa complicité est importante dans la réalisation
de cet album. Il est toujours là sans jamais étouffer la musique ;
c’est un percussionniste qui a l’art de nuance (« Carmel
Step ») comme celui du drive. Sa mise en place dans les 4/4
(« You're Not on the Map », « Ydal Drib »,
« Line on Rhythm ») est parfaite. Quant
à Fabien Mary, lui-même, il nous fait ici découvrir une face de sa
personnalité de musicien (compositeur et orchestrateur) qui dépasse
largement le formidable instrumentiste qu’il était déjà ;
dans ce volume, il acquiert une maturité dans son discours qui gagne
en densité. Si Kenny Dorham est, de manière évidente, sa
référence, son phrasé en est plus « aisé » que celui
de son maître ; il a souvent la fluidité de Dizzy (dans le 4/4
de « You're Not on the Map »). Et le réduire à n’être
que l’épigone du compositeur de « Blue Bossa » serait
faire fi de sa créativité propre, tant en tant que musicien
qu’instrumentiste. Cet album révèle un Fabien Mary d’une
nouvelle dimension.
La Hora, Swingin' Enesco, Dancing on
the Ceiling, Danse Roumaine, The Game With the Ball, Jancy's Tune,
Too Close for Comfort, Delectare, XS Bird, All Too Soon Ramona Horvath (p), Nicolas Rageau (b),
Frédéric Sicart (dm) Enregistré les 23 et 24 février 2015,
Paris Durée : 44' 33'' Black & Blue 806.2 (Socadisc)
Voici le premier opus enregistré en
France par une pianiste encore inconnue de la scène jazzique
hexagonale. Comme beaucoup de premiers albums, celui-ci n’a pas
échappé au risque du « vouloir être original ». En
sorte que cette musicienne accomplie, très mature, présente un
répertoire, qui sans être mauvais ni même médiocre, n’est pas à
son niveau de compétence ; elle n’entre ainsi pas de plein
pied dans le monde très fermé des pianistes rares auquel sa
technique superbe – qualité du toucher et clarté du détaché
vraiment « très haut de gamme » ! – doit
l’autoriser à prétendre. Dommage. Elle n’a rien à voir avec
certains pianistes venus de l’Est, modèle Tigran édenté. C’est
une vraie pianiste qui maîtrise tous les ressorts de l’instrument
et le fait sonner en exploitant toutes les ressources de sa
tessiture. Une très belle musicalité et une mise en place parfaite.
Ajouter à cela qu’elle possède une superbe impulsion dans
l’attaque (talent rare que possédait le regretté Oscar Peterson)
et une très belle articulation sur les basses à la main gauche
qu’on n’entend plus guère chez les pianistes. Ne soyez pas surpris par ce magnifique
bagage pianistique. Madame Horvath, qui est née en 1975, est
diplômée du département de musique le l’Université de Bucarest
associé au conservatoire national où l’on ne plaisante pas avec
le niveau technique des candidats. Ajouter à cela que son mentor,
Jancy Korossy, avec lequel elle travailla plusieurs années, était
un élève de Teodor Cosma (le père de Vladimir), auquel il
déclarait tout devoir ! Et il n’a pas manqué de lui donner
quelques règles à suivre pour entrer dans la logique d’une
musique ; or elle possède déjà, et plus que bien, le
caractère essentiel de l’idiome du jazz, le swing, une denrée en
voie de disparition. Pour vous convaincre de sa maîtrise
instrumental, il faut que vous sachiez que cette dame fut invitée à
donner un concert à deux pianos avec son professeur a l’Auditorium
Bösendorfer en octobre 2007 ; elle joua sur un Model Imperial,
qu’Oscar Peterson était l’un des rares à maîtriser. Ramona Horvath est ainsi une
authentique concertiste. Alors nous attendons un album enregistré
sur un Bösendorfer Imperial dans un répertoire digne de ses
capacités instrumentales et musicales. Mais à découvrir dans
l'immédiat.
Take Five, Fa dièse, Le
Sourire de Babik, Bluehawk, Light'n up, Something on My Mind, Seul
sans toi, Mr Sanders Emmanuel Bex (org), Glenn
Ferris (tb), Simon Goubert (dm) Durée : 1h 02' 45'' Enregistré les 28 et 29
juin 2013, Paris Naïve
623771 (Naïve)
Enregistré en public, au Sunset, ce
disque présente une formule assez inusitée, trio : orgue
Hammond, batterie et trombone (le saxophone étant bien plus
courant). Pour composer l'album : deux standards (« Take
Five » de Paul Desmond, « Bluehawk » de Thelonious
Monk), et deux thèmes de chacun des membres du trio, choisis parmi
les morceaux joués lors de deux concerts à Paris. Arrangements
réduits (c'est un trio, même si les lignes de basse de l'organiste
donnent l'impression d'écouter un quartet) et comme dictés par
l'instant, pendant que la musique est en train de se créer.
Magnifique cohésion de groupe, et immédiate réactivité de chacun
à ce que jouent les deux autres. Musique pleine de surprises, mais
néanmoins limpide, et swinguante à souhait. Un vrai bonheur.
Dawn on the Gladys Marrie,
West Virginian Blues, Together, Last Dance, The Code, Ballad du jour
/ Zen lieb, Out of the Bowels, Workin'it, Blues for Israel,
Incantation, Chant, Encore du jour Phil Haynes (dm), Dave
Liebman (as), Drew Gress (b) Enregistré le 6 septembre
2012, Rochester (New York) et le 8 septembre 2012, Milheim
(Pennsylvanie) Durée 48' 15'' et 51'
03'' Autoproduit
(www.philhaynes.com)
Un vrai scandale !
Comment se fait-il qu'un tel CD , « double », de
surcroit, dont une partie enregistrée en public, puisse être
« autoproduit » ? Les responsables des grandes
maisons de disques auraient-ils mis leurs oreilles en « mode
veille » en attendant la fin de la crise ? Toute la saveur et
la véhémence du free jazz y est contenue, vivante, jaillissante,
joyeuse, et débordant de mélodies claires et d'harmonies d'une
furieuse modernité. C'est bien connu, le trio
« sax-contrebasse-batterie » est l'un des plus
difficiles, exigeant des qualités hors du commun, et celui-ci les a
toutes. Dave Liebman, Drew Gress et Phil Haynes, nous présentent là
une musique surprenante, intense, authentique, absolument
jubilatoire : une oeuvre spontanée et accomplie, à écouter de toute
urgence.
Wings of Waves, Star
Watcher, Silence dans le Ciel, Couleur de temps (part 1), Morning Sun,
Lost Life, Nagual Force, Couleur de temps (part 2), Icarus Reborn,
Couleur de temps (part 3), Slow Sky Christophe Laborde (ss),
Giovanni Mirabassi (p), Mauro Gargano (b), Louis Moutin (dm) Durée 1h 13' 45'' Enregistré les 18 et 19
octobre 2011, Meudon (92) Cristal Records (L'Autre
Distribution)
Si le disque débute comme
une tempête par une composition bourrée d'énergie (les ailes des
vagues), il n'en compte pas moins quelques morceaux en tempo medium
et quelques ballades apaisées. Christophe Laborde possède un très
beau son de soprano, un phrasé dynamique et un certain talent pour
écrire des thèmes aux mélodies limpides mais aux développements
harmoniques et rythmiques nimbés de surprises et de mystère,
exerçant, à l'écoute, un effet assez fascinant. De plus, il
bénéficie d'un merveilleux accompagnement : Giovanni Mirabassi
au toucher de piano et à l'inspiration d'une extrême élégance,
Mauro Gargano aux habiles lignes de basse, et Louis Moutin au jeu de
batterie d'une grande finesse. Novatrice, mais inscrite dans la
tradition du jazz le plus moderne, et débordante de swing, voici une
très belle musique qui donne l'envie de l'écouter encore et encore.
Weird Blues, Mila, November Dusk,
Opposite Poles, Blues pour Valentin, Snow Peaks, Rungs, Pluton, Fall
Line Flow, May Breeze, Mr. Sleepy Philippe Crettien (ts), Patrick Mottaz
(g), Seab Farias (b), Mike Connors (dm) Enregistré les 16 et 17 avril 2015,
Springfields (Massachusetts) Durée : 1h 02' 55'' Autorpduit
(www.philippecrettienmusic.com)
Le Philippe Crettien nouveau est
arrivé. J’ai connu le saxophoniste à ses débuts, notamment à
Jazz à Toulon dont il fut l’un des premiers invités et
protagonistes. A l’époque, il jouait du ténor avec un gros son et
un engagement rentre-dedans, influencé par Coleman Hawkins, entre
autres. Depuis, il n’a cessé d’évoluer pour arriver à cette
maturité qui l’a vu s’engager sur les pas de Wayne Shorter et
surtout de Warne Marsh, en gardant une sonorité ronde, puissante
mais avec quelque chose de fragile, et parfois un son plus râpeux,
plus angulaire. Il est comme un poisson dans l’eau avec ce quartet
qui lui sied à merveille. Une belle évolution dans l’écriture
aussi, avec des arrangements soignés et personnels, tel ce bel
unisson entre ténor et contrebasse sur « November Dusk »
avec des solos qui découlent les uns des autres, sur des
contrechants de la contrebasse. Le guitariste est de la grande école
de la guitare jazz, excellent aussi bien en solo qu’en
accompagnement : un garçon à surveiller ! Le batteur joue
en finesse, qu’on en juge par son solo sur un thème quelque
peu calypso « Blues pour Valentin » ; le ténor ici
sonne légèrement Sonny Rollins ; hommage peut-être ? On
retrouve les mêmes impressions sur un autre calypso « « Fall
Line Flow », une très belle mélodie distillée par un ténor
inspiré suivi par le guitariste du même tonneau, tous portés par
de belles lignes de basse. D’ailleurs le groupe revisite certains
rythmes, comme le reggae sur « Opposite Poles » où le
guitariste fait merveille. Citons encore une autre belle mélodie
« Pluton » sur laquelle se développe la grande
sensibilité du saxophoniste. Seul reproche : pourquoi faire du
pseudo free sur « Rungs » qui s’annonçait bien :
ce genre de truc est dépassé... Mais ne boudons pas notre plaisir,
c’est un beau disque de jazz, joué par de jeunes et moins jeunes
musiciens, totalement maîtres de leurs moyens. Les compositions sont
de Crettien et Mottaz, qui se révèlent tous deux d’excellents
mélodistes. Savourons le dernier titre « Mr Sleepy » qui
démarre par une intro de contrebasse suivi de la guitare façon
orgue, et qui va développer un solo mélodique de toute beauté.
46 morceaux sans titres Nicola Fazzini (as) Enregistré le 15 décembre 2014,
Trévise (Italie) Durée : 31’ 36’’ Nusica.org 08 (www.nusica.org)
Le saxophoniste italien s’est fait
connaître avec son excellent et original XY Quartet (voir nos
chroniques). Le voici qui s’engage en solo avec son alto,
production périlleuse en soi. De grands noms s’y sont risqués :
Steve Lacy au soprano (Fazzini possède quelque chose de Lacy dans le
son et la démarche), Anthony Braxton sur différents saxs, et
surtout Evan Paker. Quand celui-ci remplit l’espace de longues
phrases inextinguibles grâce au souffle continu, Fazzini est
minimaliste et parcimonieux. Quelques notes égrenées, quelques sons
des clés, des sons filés, suffisent chaque fois à créer un
morceau. Pas de phrases développées, mais des motifs répétitifs,
ou des sortes de gammes, des arpèges développés. Tout est joué
rubato, pas de swing, pas de pulse. J’avoue que je comprends mal le
projet de l’artiste. On a un peu l’impression d’assister à une
leçon de saxophone avec ces quarante-six morceaux très courts, des
variations sur dix matrices (poissons, divisions, choses, machines,
etc…) que Fazzini appelle des « objets sonores »
enregistrés au hasard sur chaque disque, ce qui rend chaque copie
unique. La mienne porte le n° 77. Fazzini conseille, après une
première écoute complète, d’écouter ensuite le disque « at
random », ce qui donne une autre perception de la musique.
Pas simple tout ça ! C’est peut-être avant tout un disque
pour musicien, mais non sans charme.
14 titres : voir livret Reggie Washington (b, voc), Marvin
Sewell (g), Patrick Dorcean (dm, perc), DJ Grazzhoppa (turntables,
samples), reste du personnel communiqué sur le livret Enregistrés en 2014, divers lieux Durée : 1h 05’ Jammin'colorS (www.jammincolors.com)
Reggie Washington a été le bassiste
des Five Elements de Steve Coleman pendant quinze ans, groupe dans
lequel il eut une influence et une importance majeures. Le voici qui
mène une carrière solo, avec un brio et un lyrisme incandescent.
Sur sa basse électrique il s’est donné un son d’une pureté
absolue, aucun bruit parasite, des notes de cristal, un phrasé clair
et délié. Pas d’esbroufe ni de performances inutiles. Il joue sa
musique avec quelque chose du Stanley Clarke des débuts.
Certainement le plus beau son de basse électrique aujourd’hui. Il
dit qu’il faut jouer la note juste, au bon moment, au profit de la
musique. Il progresse souvent par petits motifs mélodiques
répétitifs qui aboutissent à de longues phrases très prenantes.
On trouve également une inspiration chez Hendricks, comme dans « As
Free » et « Move/Shannon » en basse saturée, assez
proche de la guitare. Il chante aussi, avec une voix et une technique
entre George Benson et Stevie Wonder. Un régal de l’entendre ainsi
sur « Morning » ou « Living ». Son groupe est solide et s’appuie sur
un batteur donnant simplement le tempo et la pulse, sans fioritures.
Marvin Sewell est un fin guitariste, grand mélodiste lui aussi, dont
le jeu se mêle merveilleusement à la basse. Il y a un DJ aux
platines et samples, mais pas de crainte, il est discret, se
contentant d’enrichir le son du groupe parcimonieusement et à bon
escient, et sans gratouillis ! « Finding » est un
blues de la plus belle eau, avec en invité le pianiste Jonathan
Crayford : retour aux racines. On peut admirer les qualités
d’accompagnateur de Reggie Washington sur « Take the
Coltrane » avec des lignes admirables pour soutenir le
guitariste. Des invités : les trompettistes Alex Tassel sur
« Black Sands », un thème assez rêveur, et Wallace
Rooney sur « Sewell in the Grazz » qui s’amuse au funk.
Jacques Schwarz-Bart, qui pour la circonstance avait sorti son sax de
velours, nous gratifie d’un long solo très inspiré en tempo lent.
Et aussi la chanteuse Lili Anel sur « Living » entourée
d’un beau solo de basse. Le disque se termine par un hommage
très émouvant au guitariste Jef Lee Johnson décédé en 2013 à
l’âge de 54 ans, « For You Jef » dans lequel on entend
Tiboo réciter un poème d’une scansion très musicale. Le disque
est dédié aux parents de Jef Lee Johnson.
Nothing Has Changed, Massena, Mr.
Loops, Kimpa I, Uprooting, Kimpa II, This Word Is Suffocating, Child
Soldiers Rémi Abram (ts, as), Famoudou Don Moye
(dm), Claudio Celada (p), Tibor Elekes (b) Enregistré du 27 au 30 août 2013,
Marseille (13) Durée : 1h 17' 43'' Alambik Musik 8 (www.alambikmusik.fr)
Rémi Abram revient en beauté avec ce
disque, en la compagnie de l’incomparable Famoudou Don Moye,
batteur-percussionniste tous azimuts, remarquable ici aux cymbales.
Rémi retrouve Claudio Celada, son pianiste attitré qui colle à sa
musique, et Tibor Elekes, bassiste suisso-hongrois qui a joué avec
Clark Terry, Woody Shaw, les Belmondo,
Archie Shepp, Michel Portal, entre autres…
Rémi Abaram est un écorché vif, très
vigilant et actif dans la défense des peuples africains. Ici, il se
penche sur l’esclavage après avoir eu connaissance, lors d’un
voyage au Congo, d’un personnage étrange, Kimpa Vita Nsimba, née
en 1684 et baptisée sous le nom de Dona Béatrice. Celle-ci annonce
que la terre du Kongo est la véritable Terre Sainte, affirmant que
saint Antoine de Padoue lui avait confié la mission d’amener le
peuple Congo à retrouver son unité. Le Royaume adhère à cette
prophétie, ce qui ne plaît pas à l’occupant portugais. Elle
finira brûlée vive le 1er juillet 1706, elle avait 22 ans. Et la
traite des esclaves repartit de plus belle. Ce qui nous vaut un
disque inspiré et prenant. Rémi semble s’être assagi en
s’exprimant avec un lyrisme tendre qui le place dans certains
morceaux, dans la lignée des saxophonistes ellingtoniens, bien qu’à
l’ordinaire il soit plutôt dans le lignage Sonny Rollins-David
Murray, mais en fait c’est la même famille. On peut apprécier cet
assagissement sur « Massena » au ténor, ou encore sur
« Kimpa I », qui offre également un très beau solo de
piano : une main droite qui développe la mélodie tandis que la
gauche pose ses accords là où il faut, lesquels s’intriquent dans
les notes rondes de la basse, le bassiste ne jouant que les notes
essentielles. A l’alto, Rémi produit un son pur et prenant sur les
tempos lents, tel ce « Nothing Has Changed » sur tempo
médium-lent, avec juste un léger vibrato sur la fin des notes
tenues, une sorte de froissement émotionnel ; et là on peut
admirer le travail du batteur aux cymbales, et le solo de piano très
inspiré. Le duo soprano/batterie sur « Mr. Loops » est
un vrai diamant : écouter comment le batteur et le saxophoniste
entremêlent leur chant ! Dans « This World is
Suffocating » Rémi au ténor devient plus anguleux, écorché,
il faut que ça sorte. Il revient au calme avec le soprano sur un
titre qui pourtant n’inspire pas la douceur « Enfants
Soldats », mais justement il exprime la douleur,
l’incompréhension, que l’on a devant ce phénomène horrible et
inacceptable. Comme quoi les choses n’ont pas beaucoup avancées
depuis la mort de Kimpa Vita. En dehors de ce contexte inspirant,
c’est avant tout de la musique, du beau et vrai jazz, sur des
compositions superbement mélodiques de Rémi Abram.
Brooklyn Bridge part 1, 2, 3, Carroll
Gardens, Bay Parkway, BAM, Mapletone, Boerum Hill, Neptune Avenue,
7005 Shore Road, Avenue M, Dumbo, Gowanus Claudio Fasoli (ts, ss), Ralph Alessi
(tp), Matt Mitchell (p), Drew Gress (b), Nasheet Waits (dm) Enregistré les 16 et 17 novembre 2014,
Udine (Italie) Durée : 58' 09'' Musica Jazz 1289 (www.musicajazz.it)
Claudio Fasoli continue son exploration
des capitales en musique, aujourd’hui Brooklyn, et pour ce faire il
s’est entouré de trois jazzmen de premier plan. Nasheet Waits a
été le batteur de Fred Hersh, Andrew Hill, Jason Moran. Dew Gress a
joué aussi avec Fred Hersh et Bill Carrothers, il est le
contrebassiste préféré de Uri Caine, capable de jouer ses
partitions les plus complexes. Matt Mitchell tient le piano chez Tim
Berne, Dave Douglas, Lee Konitz. C’est donc une rythmique de rêve.
Quant au trompettiste Ralph Alessi il n’est plus à
présenter en France. Claudio déclare qu’il a suivi dans
Brooklyn un itinéraire assez illogique, et surtout plus émotionnel
que rationnel. Les treize compositions du leader sont de purs joyaux
mélodiques. Pour ce disque Claudio Fasoli utilise systématiquement
les unissons saxophone-trompette, et parfois s’y ajoutent piano et
contrebasse, en variant les intervalles, ce qui donne des couleurs
surprenantes et attrayantes aux ensembles. Ralph Alessi possède un son de
trompette légèrement écrasé qui s’intègre à merveille aux
sons des saxes de Claudio, un son droit, sans effet ni fioritures,
jouant toujours avec une émotion d’autant plus forte qu’elle est
contenue. Le quintet est très soudé, déjouant le piège de jouer
hard-bop. Claudio a su en faire un bijou tout neuf, par la grâce
d’arrangements peaufinés harmoniquement, sans jamais être
chargés. Les solos coulent de source. A titre d’exemple il suffit
d’écouter « Bam » sur un tempo médium-lent dans
lequel brillent la trompette et le soprano lyrique qui n’est pas
sans évoquer Steve Lacy. Ou encore « Carroll Gardens »,
un curieux morceau mené par le ténor qui souffle tout le mystère
du jardin. La rythmique coule de source, avec simplicité et
efficacité, et les solos de contrebasse sont de grand cru. C’est une musique limpide, belle et
forte. Claudio Fasoli poursuit son chemin créateur, tranquillement
et sereinement, hors des modes, pour le bonheur du jazz.
46 titres Henri Renaud (p), André Hodeir (vln),
Jimmy Gourley (g), Kenny Clarke (dm), Sacha Distel (g), Maurice
Vander (p), Jean-Claude Fohrenbach (ts), Martial Solal (p), René
Thomas (g), Joe Zawinul (p), Gianni Basso (ts), Ronnie Scott (ts),
reste des personnels détaillé dans le livret Durée : 1h 15' 55'' et 1h 16' 07'' Enregistré entre 1951 et 1959, Paris
et plusieurs villes d'Europe Frémeaux & Associés 5428
(Socadisc)
A cette époque, « la guerre du
jazz » faisait rage et l'événement était très suivi par
Jazz Hot (Charles Delaunay, fondateur de la revue, étant
d'ailleurs le producteur de nombreuses sessions reprises dans le
premier CD). Il fallait choisir son camp... Ce n'était pas facile
pour les jeunes musiciens disciples de Lester Young plus que de
Charlie Parker ou de Louis Armstrong, d'imposer un style nouveau
qu'on appellerait: « Jazz Cool ». Pas évident non plus
pour de jeunes arrangeurs de faire admettre leurs idées novatrices.
Comme l'indique Alain Tercinet (ancien collaborateur de Jazz Hot
et qui a participé, en avril dernier, à l'une des tables-rondes
organisées à l'occasion des 80 ans de notre revue) dans son
livret très documenté : « Le style Swing avait ses
supporters, d'autres se tournaient vers le New Orleans Revival et,
après une courte période d'adaptation, le jazz nouveau eut ses
adeptes. Peu nombreux dans un premier temps (…). »
Enregistrées à Paris mais aussi à Stockholm, Cologne, Baden Baden,
Vienne, Francfort, Milan, Rome, Hilversum et Londres de 1951 à 1959,
voici 46 petites perles sauvées opportunément de l'oubli au moment
même où se pose de plus en plus la question de la conservation
durable de la « mémoire du Jazz ». Empruntons encore à
Alain Tercinet sa conclusion : « (...) bien
naturellement le jazz passa à autre chose (…) reléguant aux
oubliettes les tentatives conduites durant une courte décennie
(...). Ce qui reste de cette musique, qu'elle soit due à Bobby
Jaspar, Lars Gullin, Jean-Claude Fohrenbach, Henri Renaud, Jimmy
Gourley, Sadi, Hans Koller, Gianni Basso ou bien d'autres, montre
qu'ils eurent raison d'aller voir ailleurs si l'herbe était plus
verte ». Des enregistrements essentiels et précieux.
Pentaprism, Omnitonic, Extremes, In a
Sentimental Mood, RE, Easy Fucksong, Rough Business, Ana Maria, Rough
Stuff Félix Simtaine (dm), Michel Herr (p),
Philippe Aerts (b), Joe Lovano (ts), John Ruocco (ts) Eric Veraeghe,
Serge Plum, Richard Rousselet, Bert Joris (tp, flh), Paul
Bourdiaudhy, Marc Godfroid, Jean-Pol Danhier (tb, tuba), Peter
Vandendriessche (as), Erwin Vanslembrouck (ss, ts), Kurt Van Herck
(ts) Johan Vandendriessche (bs, fl), Jean-Pierre Catoul (vln) Durée : 1h 04' 44'' Enregistré en novembre 1986, Bruxelles Igloo
Records 044 (Socadisc)
Fondé en 1978 (et en sommeil,
semble-t-il, depuis 2011), l'Act Big Band, véritable institution en
Belgique, a connu la consécration officielle en recevant en 1986
l'aide du « Conseil de la Musique de la Communauté Française
de Belgique » lui permettant de commander quatre œuvres à
Francis Boland, Michel Herr, Arnould Massart et Jean Warland et,
aussi, d'inviter Joe Lovano et John Ruocco pour les enregistrer.
Remastérisé il y a peu, ce disque est une superbe réussite. Aux
arrangements tirés au cordeau, les solistes (dont certains sont
hélas aujourd'hui disparus), ajoutent leur grain de folie et de
génie personnels. Le résultat est passionnant, preuve que la
formule magique du big band (doit-on dire « classique »?)
est également maîtrisée de ce côté-ci de l'Atlantique. Dommage
qu'elle ne soit pas plus souvent (et plus durablement) appliquée.
The Pete McGuinness Jazz Orchestra Strength in Numbers
The Send-Off, What Are You Doing the
Rest of Your Life, Trixie's Little Girl, The Swagger, Beautiful
Dreamer, Spellbound, You Don't Know What Love Is, Nasty Blues,
Bittersweet, You Don't Know What Love Is Pete McGuiness (tb, voc), Dave Pietro
(as, ss, fl), Marc Phaneuf (as, fl), Tom Christensen (ts, fl), jason
Rigby (ts, ss, cl), Dave Reickenberg (bs, bcl), Bruce Eidem, Mark
Pattersonet Matt Haviland (tb), Jeff Nelson (btb), Jon Owens, Tony
Kadlek, Bill Mobley, Chris Rogers (tp), Mike Holober (p), Andy Eulau
(b), Scott Neumann (dm) Enregistré le 24 octobre 2013, New
York Durée : 1h 17' 26'' Summit
Records 627 (www.summitrecords.com)
A l'exception de « What Are You
Doing The Rest of Your Life » (de Michel Legrand), et de « You
Don't Know What Love Is », qu'il chante d'ailleurs avec
beaucoup d'émotion et sur lesquels il scatte habilement, toutes les
compositions (et la totalité des arrangements) sont de la plume du
chef d'orchestre et talentueux tromboniste Pete McGuiness. Sur des
mélodies très élégantes, et de très riches harmonies, il a
façonné des arrangements qui mettent particulièrement en valeur
les unes et les autres tout en laissant le champ libre aux très
brillants improvisateurs de l'orchestre (tous fines gâchettes du
jazz new-yorkais). Renouvelant pour le moins le genre, ce disque
comblera tous les amateurs de big bands frustrés par leur absence
dans la programmation de la plupart des festivals d'été (à la
notable exception de celui de Pertuis dont c'est la spécialité).
At Long Last Love, Parking Lot Blues,
Daahoud, Both Sides Now, Django, Hymn to Freedom, Reflections In D /
Prelude to a Kiss, C Jam Blues, Old Folks, Old Devil Moon, Close
Enough for Love, Celia Larry Fuller (p), Hassan Shakur (b),
Greg Hutchinson (dm) Enregistré les 10-11 décembre 2013 et
14 janvier 2014, Paramus (New Jersey) Durée 1h 00' 38'' Capri
Records 74135-2 (www.caprirecords.com)
Dernier pianiste du grand Ray Brown,
le New-Yorkais Larry Fuller revendique l'héritage des musiciens middle jazz. Son jeu très volubile évoque
d'ailleurs fortement celui d'Oscar Peterson, le maître absolu. Pas
étonnant qu'il soit ici entouré de Greg Hutchinson, qui fit ses
classes auprès de Ray Brown, et de Hassan Shakur qui les fit au sein
du Duke Ellington Orchestra, et aux côtés de Monty Alexander, autre
grand maître. On est donc entre gens de bonne compagnie. Ce trio est
un modèle du genre : sens de la mélodie, sens du blues,
(boogie-woogie en solo compris), respect des harmonies des standards,
swing et parfaite entente. Un CD à recommander dans toutes les
écoles...
Bebe, Debout, A Better Life,
L'impatience, Romance, Même seul, Electrizzante, Spring, Winter, As,
Blackbird, Un Beau Souvenir Didier Ithusarry, Laurent Derache,
Antonello Salis, David Venitucci, Roberto de Brasov, Jacques
Pellarin, Lionel Suarez, Marcel Loeffler, Richard Galliano, Jimmy
Gourley (personnels détaillés dans le livret) Dates et lieux des enregistrements non communiqués 52e
Rue Est 100 (Modulor)
Voici une compilation qui n'aurait pas
déplu à Frank Hagège, fondateur des Django d'Or et grand amateur
d'accordéon. Elle réunit, dans des styles très différents,
quelques-unes des talentueuses figures de la « nouvelle vague »
de la « boîte à frissons », du Basque Didier Ithusarry
au Rémois Laurent Derache, en passant par l'Italien Antonello Salis,
le Grenoblois David Venitucci, le Roumain Roberto de Brasov, le
Chambérien Jacques Pellarin, le Manouche Marcel Loeffler et,
forcément, la star internationale du genre et initiateur du
renouveau de l'instrument : Richard Galliano. Parcours
initiatique conseillé à tous ceux qui en sont restés à Marcel
Azzola... et qui ignorent encore qu'accordéon et jazz moderne
peuvent faire bon ménage.
Richard Galliano / Jean-Charles Capon Blues sur Seine
Blues sur Seine, For My Lady, Un pied
dans le caniveau, Waltz for Debby, Laura et Astor, Kitou, Les
Forains, Tears, Goodbye Miles, Neigerie, Fou rire, Bateau mouche Richard Galliano (acc), Jean-Charles
Capon (cello) Durée: 50' 21'' Enregistré en février 1992, Paris Frémeaux & Associés/ Label La
Lichère 177 (Socadisc)
En ce temps-là, Richard Galliano
n'avait pas encore publié Laurita, New York Tango
encore moins Ruby My Dear, et son aura n'était pas celle
d'aujourd'hui...mais déjà Napoléon pointait sous Bonaparte. Son
duo « audacieux » avec le regretté Jean-Charles Capon,
musicien « classique » autant que « jazzman »,
(qui nous a quittés en 2011), fut un succès discographique
inattendu. Le voici réédité et c'est une occasion à ne pas
manquer, tant s'accordent les talents de ces deux merveilleux
musiciens. Compositions de Capon et de Galliano et standards (de Bill
Evans, Toots Thielemans, Django Reinhardt) et même un vieux succès
d'Edith Piaf (« Le Chemin des forains »), tout est traité
avec le même respect et la même grâce.
Bad town, For JM, Sadness, Loupgaloo,
Italian Prelude, Night come back, Océan, Dendrolague, Sun of the
road, Emilio Richard Manetti (g), Stéphane
Guillaume (ss, ts), Fred D'Oelsnitz (p), Jean-Marc Jafet (elb), Yoann
Serra (dm) + Didier Lockwood (vln), Cédric Ledonne (perc) Durée : 56' 47'' Enregistré en décembre 2013 et
janvier 2014, Antibes (06) Label
Bleu 6718 (L'Autre distribution)
Il faut se faire une raison :
Richard Manetti n'a pas vraiment l'intention de marcher sur les
brisées de Romane, son père, prem