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Le Trompettiste de Staline

28 déc. 2014
par Patrick Anidjar
© Jazz Hot n°670, hiver 2014-2015

Le Trompettiste de Staline par Patrick Anidjar, Plon, Paris, 2014, 414 p.


Disons-le tout de suite, je ne suis pas un critique littéraire. Par ailleurs, je ne suis pas partisan des romans prenant « le jazz » pour alibi. Ce domaine expressif est déjà assez parasité par les clichés, les rêves qui masquent les réalités pour que l’on en rajoute. Etant contre le libéralisme économique et dingue de trompette, l’objet m’a donc été attribué car l’auteur l’écrit : « ce roman est très librement inspiré de la vie du trompettiste russe Ady Rosner ». Librement en effet, car Ady Eddie Rosner (alias Adolf Roznir) (1910-1976) n’est pas russe1. Ce trompettiste influencé par Bix, puis Louis Armstrong et Harry James est né et décédé à Berlin. Sa vie est en effet un roman sans qu’il soit nécessaire de s’en écarter. Oui, il fut une vedette en URSS en 1940-46 et 1955-73, sa carrière ayant été interrompue par un internement dans un camp (1947-55). L’autre sujet du livre est l’antisémitisme qui a régné en URSS (pas que sous Staline). Nous avons bien connu l’un des plus extraordinaires trompettistes russes, Timofey Dokshitser qui eut à souffrir (comme d’autres) de cet état de fait, ce qui a bridé sa carrière internationale. Rosner devient ici un Izzy Grynberg, Juif originaire d’Odessa à qui Staline demande de donner naissance à un « jazz purement soviétique » (!). Il est malgré tout fait allusion à Rosner lui-même, à Moscou en 1945 (p.267). Ce Izzy Grynberg qui, bien sûr, s’est retrouvé au goulag, aurait eu avec une danseuse du Bolchoï un fils, Jacques Linhardt, Français adopté par des communistes et qui, à 50 ans découvre grâce à un oncle, Alexandre, que son père fut un trompettiste célèbre. Il y a en arrière-plan, l’URSS de Staline. Dans le première partie, le récit alterne un chapitre consacré à Linhardt en 2001, avec un consacré aux Grynberg. D’abord le père, Lazare, « bolchevik, sympathisant du Bund, infirme et amateur de djhazz » (Odessa 1914, Paris 1919, 1929), puis Izzy. La deuxième partie du livre est le roman d’amour entre Elsa et Izzy, puis la vie d’Izzy à Moscou jusqu’à son arrestation. La troisième partie avant l’épilogue, nous ramène à la construction du récit qui alterne les révélations faites à Linhardt et la vie d’Izzy (mort au goulag contrairement à Rosner) puis de son frère Alexandre, rescapé d’Auschwitz, également trompettiste et oncle de Linhardt.

Indépendamment de toute valeur littéraire, ce roman soufre de nombreuses coquilles et d'erreurs factuelles : Billy Arnold n’est pas afro-américain (p.79) ; l'auteur assimile 78 tours et microsillons (alors que ce second terme est synonyme de disque vinyle 30 cm ou LP, support qui a remplacé le 78 tours à partir du milieu des années 50) ; La Revue du Jazz (p.209) n’existe plus en 1937 (ni même en 1934), etc. Et quand il parle de trompette, l’auteur n’est pas crédible : quand on a été blessé aux lèvres, on ne joue pas (sans warm up) sur une trompette et une embouchure qu’on ne connait pas, « West End Blues »… « en, grimpant dans les aigus à des hauteurs stratosphériques » (p.194) ; on est dans le rêve (tout comme p.356-357, avec une embouchure glacée alors que ça « faisait une éternité qu’il n’avait pas porté sa trompette à la bouche ») ; la Selmer « balanced action » pouvait être de « petite perce » (et non « étroite »), ce qui n’impose pas de « souffler plus fort » ; la lésion de l’orbiculaire (ici, « muscle du baiser ») n’est pas « une blessure courante chez les grands trompettistes » ; les grands instrumentistes savent gérer la pression de l’embouchure sur les lèvres et de grands jazzmen (pas forcement grands instrumentistes) ont pratiqué le « strong arm system » d’où parfois une crevasse et/ou un cal labial ; de même, l'auteur accorde beaucoup d’importance aux poumons pour le jeu de trompette, or la respiration ne fait pas tout. Même si c’est un roman, le détail importe.

Au fil des pages, on croise des évocations, en principe familières au jazzfan (Bucky Pizzarelli, Norman Granz, Will Marion Cook, Bricktop, Joséphine Baker, Django, Duke Ellington, Louis Armstrong et même Morris Karnofsky, Chet Baker, Hugues Panassié, Sam Wooding, Leonard Feather, Tsfasman, Leonid Utyesov –ici Outessov-, etc…). Ce qui peut suffire à certains d’entre eux pour acquérir ce roman, d'autant que ce texte, à l'écriture simple et directe, pourrait être qualifié d' « easy reading ».

Michel Laplace


1. Voir sa biographie dans le DVD-Rom de Michel Laplace, Le Monde de la trompette et des cuivres.