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jean-duverdier.com            

Sur la route des festivals en 2016

Dans cette rubrique «festivals», vous pouvez accompagner, tout au long de l'année 2016, nos correspondants lors de leurs déplacements sur l'ensemble des festivals, où Jazz Hot est présent, édités dans un ordre chronologique inversé (les plus récents en tête). Certains des comptes rendus sont en version bilingue, quand cela est possible, que vous pouvez repérer par la présence en tête de texte d'un drapeau correspondant à la langue que vous choisissez en cliquant dessus.

Nous remercions l'ensemble des Festivals de jazz pour l'accueil de nos correspondants sachant que c'est la condition pour tous de conserver la trace d'une des scènes importantes du jazz. Les budgets étant de nos jours soumis aux contraintes de l'austérité, et parfois aux affres de l'ignorance sur ce qu'est le jazz, il importe que les acteurs du jazz conservent à l'esprit cet enjeu important
qu'est l'information pour la préservation du jazz. Pouvoir faire des photos et des commentaires librement pour la presse spécialisée, et en avoir les moyens par un accueil respectueux des festivals et des autres scènes, est une des facettes de la liberté et de la richesse du jazz, et plus largement de la liberté de la presse et de la démocratie dont nous commençons à sentir parfois le manque…

Au programme des comptes-rendus:

2016 >
Buis-les-Baronnies/Tricastin, Drôme, Parfum de Jazz • Gaume, Belgique, Gaume Jazz FestivalJavea, Espagne, Xàbia Jazz Langourla, Côte-d'Armor, Jazz in Langourla Ystad, Suède, Ystad Sweden Jazz FestivalOspedaletti, Italie, Jazz sotto le StelleRoyan, Charente-Maritime, Jazz Transat • Pertuis, Vaucluse, Festival de Big Band de PertuisMarciac, Gers, Jazz in MarciacFano, Italie, Fano Jazz in a SummertimeMarseille, Bouches-du-Rhône, Marseille Jazz des Cinq ContinentsSan Sebastian, Espagne, Jazzaldia San SebastianToulon, Var, Jazz à ToulonToucy, Yonne, Toucy Jazz FestivalVitoria, Espagne, Vitoria Jazz FestivalIseo, Italie, Iseo Jazz • Pescara, Italie, Pescara JazzSt-Cannat, Bouches-du-Rhône, Jazz à BeaupréGent-Gand, Belgique, Gent JazzPléneuf-Val-André, Côte d'Armor, Jazz à l'AmirautéVienne, Isère, Jazz à VienneGetxo, Espagne, Getxo JazzMontréal, Québec, Canada, Festival International de Jazz de Montréal • Ascona, Suisse, JazzAsconaBruxelles, Belgique, Jazz Marathon St-Gaudens, Haute-Garonne, Jazz en CommingesSt-Leu-La Forêt, Val d'Oise, Arts & Swing Bergame, Italie, Bergamo Jazz
Nouveau: Pour accéder au festival de votre choix, cliquez sur le nom des festivals en bleu pour accéder directement à notre chronique, et recherche toujours possible par nom de musicien, de ville, de festival, de région ou de pays en utilisant la fonction «recherche» de votre navigateur (la recherche s'ouvre dans la barre du bas de votre fenêtre).

Rappel: comme pour tout le site, nous vous rappelons qu'il vous faut survoler les photos avec le curseur, activé par votre souris ou votre touchpad, pour voir apparaître la légende et le crédit des photos.
Alain Brunet, Luis Manserat, Pascal Bouterin, Jean Gros @ Michel-Laplace
Buis-les-Baronnies, Drôme


Parfum de Jazz, 15 au 27 août 2016



Il s'agit d'un festival qui est une alternative économique, sinon sécuritaire, aux grandes entreprises d’animation où le nombre de clients ou présents est l'objectif premier. Parfum de Jazz est une manifestation itinérante dont le budget est de 120 000 euros et qui fonctionne avec environ 50 bénévoles. Le but d'Alain Brunet, directeur artistique, est de tenter d'inculquer une base de l'histoire du genre auprès des jeunes (prix des places à 5 euros pour les moins de 25 ans!). But louable face à un constat que nous faisons tous, l'indifférence des moins de 50 ans à ce que l'on qualifie de jazz. Nous avons assisté aux concerts du 16 au 19 août.




Steeve Laffont © Michel Laplace


Le premier concert payant s'est tenu derrière la Mairie de Mollans-sur-Ouvèze. Au programme, Steeve Laffont en quartet pour illustrer la musique à Django. Un public de plus de 250 personnes (pas vraiment jeunes). Belle tenue artistique, avec un Steeve Laffont (bien connu des vétérans de Jazz in Marciac), guitariste originaire du Haut-Verney, toujours aussi virtuose notamment dans «Them There Eyes» (excellent solo de William Brunard, b), «Nuages» (co-soliste Jérôme
Brajtman, g), «All of Me», «Limehouse Blues», «Honeysuckle Rose» (solo en accords de Rudy Rabuffetti, g), «Aranjuez/Spain» (Brunard, très virtuose). Alain Brunet est venu se joindre au groupe en fin de concert, et l'alliage bugle et cordes swing fut du meilleur effet.

Les concerts suivants furent donnés à Buis-les-Baronnies, lieu central du festival. S'y tient un festival off, gratuit, en fin de matinée (11-12h) et en fin d'après-midi (18-19h), avec à l'affiche l'Akpé Motion (fusion: «Desert», avec solo construit en crescendo de Pascal Bouterin, dm; 18/08, «In a Silent Way») et le Parfum de Jazz All Stars (José Caparros, Tony Russo, tp, Daniel Barda, tb, Baby Clavel, as et le Magnétic Orchestra: solo de Russo, modèle Holton, dans «Do You Know What It Means» et son stop chorus dans «Take the ‘A’ Train», 18/08; son de bugle de José Caparros à la trompette Monette dans «Summertime», 19/08).

Alain Marquet, Irakli, Jean-Claude Onesta, Daniel-Barda © André Henrot


La soirée du 17 fut consacrée au maître, Louis Armstrong. D'abord un concert derrière le cinéma, Le Reg'Art, par les Louis Ambassadors. Dès le premier titre, «Atlanta Blues» (Handy), Irakli a montré, à 76 ans, une forme olympique sur la trompette (Selmer équilibrée de 1948). Ceux qui ont vu Louis Armstrong en concert (comme le signataire) ont été émus par cette évocation si fidèle; ceux qui ne l'ont jamais vu pouvaient imaginer ce qu'ils ont loupé. Irakli, avec décontraction et humour, a présenté chaque titre qui comme au temps du All Stars alterne des incontournables (le «Medley»!) et morceaux moins célèbres («Say It With a Kiss»), avec des «spécialités» pour chacun: «Somebody Loves Me» par Jacques Schneck (p), «Whispering» pour Philippe Plétan (b), «I Surrender Dear» par Alain Marquet (cl), «Stars Fell On Alabama» par Jean-Claude Onesta (tb), «Steak Face» et «Mop Mop» par Sylvain Glevarec (belle sonorité de batterie). Irakli est saisissant avec la sourdine straight (même modèle que celle de...Louis) («Rose de Picardie»). Daniel Barda (tb King modèle Silver Sonic) s'est joint aux Louis Ambassadors dans les cinq derniers titres dont «Way Down Yonder in New Orleans», «Do You Know What it Means to Miss New Orleans» (beau team Barda et Onesta!).

Puis au cinéma ce fut la projection d'un film qui dresse un tableau parfait du Paris perdu (que j'ai connu) avec un niveau d'expression musicale qu'on n'a pas su préserver (musique de Duke Ellington/Billy Strayhorn, orchestre d'Ellington avec Paul Gonsalves et Lawrence Brown, et deux titres avec Louis Armstrong en re-recording sur un orchestre de studio français comptant Roger Guérin, Gus Wallez, etc -les solistes doublant Sidney Poitier et Paul Newman étant ici Guy Lafitte et Billy Byers, tandis que Jimmy Gourley jouait dans la jam une partie écrite par Duke alors que l'on voir à l'écran Serge Reggiani)...ça m'a fichu le blues: Paris Blues de Martin Ritt (sorti en septembre 1961).

Fabien Mornet, Taofik Farah, Sarah Lenka, Manuel Marches, Camille Passeri © André Henrot


Le 18, il a été question, chose rare de nos jours, de Bessie Smith, artiste essentielle du blues-jazz. Il y a deux façons d'aborder un projet, soit s'imprégner de l'expressivité de l'artiste, soit de lui emprunter son répertoire (les deux approches réunies peuvent ne pas éviter le piège de la copie). C'est la seconde voie que Sarah Lenka a choisi, attachée au texte des chansons pour bâtir le scénario de son spectacle. Sauf peut-être un peu dans «After You've Gone» (bon arrangement pour Camille Passeri, tp), on n'entend pas l'art d'interpréter de Bessie Smith. Nous avons eu une musique très agréable, bien jouée, tendant vers le folk (avec Fabien Mornet, bj, dobro, Taofik Farah, g sèche, Manuel Marches, b) et la pop (le deuxième bis, «Radioactive» sonnait comme les reprises de Bessie Smith: «Do Your Duty», «It Won't Be You», «You've Got to Give Me Some», «On Revival Day», etc). Le public qui, dans l'ensemble ignore tout de Bessie Smith, fut enchanté.

Le 19, fut donné au théâtre Le Pallun, le spectacle Frank Sinatra for Ever du crooner Gead Mulheran (voc), né près de Manchester, avec les Brass Messengers de Dominique Rieux (tp), un mini big band qui sonne comme un grand avec Tony Amouroux, lead tp, Rémy Vidal, tb, Christophe Mouly, ts-fl, Thierry Ollé, p, Florent Hortel, g, Julien Duthu, b, André Neufert, dm, Pellegrin, arr. On connait l'amour de «The Voice» pour les big bands jazz (Count Basie) et pour les trompettistes (de Harry James, son premier employeur célèbre, à Harry Edison): nous n'avons pas été déçu! Gead Mulheran, baryton plus léger que Sinatra (baryton Martin; «Stranger in the Night») sait phraser comme lui («I Got You Under My Skin«-bon solo de Vidal). Les arrangements, exigents! (bravo Tony Amouroux!: «Time Goes By») sont intéressants (2 bugles dans «Moonlight in Vermont»; passage guitare+voix dans «La Mer»; alliage flh-tp harmon-fl-tb sourdine bol dans «Chicago Is»; «Les Feuilles Mortes» à quatre, voc, p, b, flh). Parmi les bons solistes: Thierry Ollé («What Now My Love»), Dominique Rieux («Fly Me to the Moon»), Rémy Vidal («Mack the Knife», «Lady is a Tramp»). Un niveau international salué par un public enthousiaste. Au total, souhaitons longue vie à ce festival!

Michel Laplace
Photos Michel Laplace et André Henrot

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Lorenzo Di Maio, Jean-Paul Estievenart, Cedric Raymond © Pierre Hembise



Rossignol-Tintigny, Belgique



Gaume Jazz Festival, 12-14 août 2016


La Gaume est à la Belgique ce que la Provence est à la France, et «le» Gaume est au jazz ce qu’Avignon est au théâtre. Depuis trente-deux ans, Jean-Pierre Bissot, son directeur-programmateur, garde la même image: un rendez-vous à dimension humaine avec des consécrations de jazzmen belges et des rencontres internationales peu courues. Sans œillères artistiques, on y vient pour des découvertes et pour la convivialité.
Cette année, pour la 32e édition, à mon grand regret, je n’ai pas pu me consacrer aux trois journées champêtres, me limitant aux concerts du vendredi sous chapiteau. Raté donc, les groupes de Nicole Johänntgen (sax), Elina Duni (voc), Pascal Schumacher (vib), Lionel Loueke (g), Jean-François Foliez (cl), Johan Dupont (p), Jérémy Dumont (p), Aka Moon et le Scarlatti Book, l’Orchestra Vivo de Garret List et le «Clair de la Lune» de Manu Hermia («Jazz For Kids»). 


Heureusement, vendredi, je n’ai pas raté la première prestation publique du quintet de Lorenzo Di Maio (g). L’album sort en septembre  mais un vent favorable me l’avait déjà fait découvrir en juillet (Igloo 273). Ne manquez pas de lire l’engouement qui est mien en le cherchant au sein de nos multiples chroniques de disques! Avec ces musiciens, j’ai retrouvé en live toutes les qualités découvertes à mes premières écoutes: richesse d’écriture, singularité des arrangements, unité et implication de tous. Les spectateurs, enthousiastes, ovationnèrent le groupe, le compositeur, le collectif.

Jacky Terrasson © Pierre Hembise



Je suis fan de Jacky Terrasson (p), et j’aime bien Stéphane Belmondo (tp, flh). Les voir réunis à Rossignol ne pouvait que me plaire. L’adjonction du musicien gnaoua Majid Bekas (oud, guembri, chant) me laissait plus dubitatif.
Le concert s’est ouvert par deux duos piano-trompette. Le pianiste appelle le trompettiste qui répond puis s’imbrique dans le discours. En symbiose ou en écho, avec force (Jacky) ou délicatesse (Stéphane), ils s’unissent et plaisent («All the Things You Are»). Dès le troisième thème, Majid Bekas rejoint les complices. Heureux de l’entourage il étonne par de très belles lignes à l’oud. On aimerait que ça dure! Au cours d’un quatrième morceau, Jacky Terrasson se démène, percute, évoque et déstructure «Summertime»; le musicien maghrébin suit avec goût. Vient un cinquième morceau et l’oud est abandonné pour le guembi: une sorte de guitare-basse africaine. Bekas chante, nasillard, et Belmondo pose la trompette pour jouer du coquillage. Suivent un long solo de guembi puis une valse de Michel Legrand joliment exposée en duo piano-bugle. Le huitième thème, au cours duquel Jacky Terrasson surprend, flamboyant, les choses vont se gâter lorsque Majid Bekas s’éternise en imprécations, psalmodiant sur une incessante ligne de basse répétitive. Lorsqu’il se met au likembé, la mesure est à son comble, le muezzin a remplacé le musicien, et la rencontre tourne franchement à l’aigre pour les oreilles des amateurs de jazz venus, ouverts aux rencontres… surprenantes! On ne peut pas tout aimer ni tout réussir. Le mérite de Jean-Pierre Bissot est d’essayer; le nôtre, est, parfois, de résister!


Jean-Marie Hacquier
Photos Pierre Hembise

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Maria João © Patrick Dalmace




Javea, Espagne



Xàbia Jazz, 6-8 août 2016




Le Festival est précédé par diverses manifestations parmi lesquelles un atelier pour les jeunes intitulé Juguem a fer jazz, (Jouons à faire du jazz). L’initiative est intéressante. On peut penser et espérer que dans cet espace, il s’agit de faire comprendre aux jeunes participants, par le jeu, ce qu’est le jazz. Le programme annonce en effet clairement que l’atelier vise à «éveiller la curiosité et la sensibilité des enfants pour le jazz», mais, à l’écoute des concerts du XVIe Xàbia Jazz, on est en droit de s’inquiéter…







Plaça de la Constitució, 
6 août. Nuit étoilée avec une belle brise. Le bar bien situé, en hauteur, face à la scène, avec bocadillos, cocas, tapas et cervezas.
 Mauvaise soirée pour le jazz. 
Deux formations espagnoles étaient invitées, Achromatic Project et St Fusion. Des musiciens (presque) tous très corrects, qui, sans aucun doute, s’investissent dans leur travail, mais pas un gramme de jazz. Un peu de tout, du classique, du rock, du brésilien et même un éventail de produits japonais pour St Fusion dont la vedette est la chanteuse et pianiste Satomi Marimoto. Il existe sans doute un public pour ce type de musique. Mais à l’affiche d’un Festival dit «de jazz», présenter de telles formations ne fait qu’entretenir la confusion dans l’esprit du public qui, à terme, peut penser que le jazz finalement c’est n’importe quoi pourvu qu’il y ait des instruments. Le festival pourrait se discréditer à vouloir emprunter cette voie.

John Abercrombie © Patrick Dalmace




Théoriquement, le niveau musical se haussait nettement pour la soirée du 7 août qui a mis à son menu le guitariste John Abercrombie accompagné de ses partenaires actuels, le pianiste Marc Copland, le batteur Joey Baron et le contrebassiste Drew Gress. Ils ont déjà écumé la côte (Barcelone, Peñiscola…) et, à l’exception de Joey, la pile électrique du groupe, semblent passablement émoussés et démotivés. John, l’expérimentateur infatigable, l’innovateur, a perdu de vue les racines du genre et, imperturbablement endormi, abandonne huit thèmes au public de Javea. Deux d’entre eux font un peu sens pour les amateurs de jazz et possèdent deux doigts de swing grâce à l’implication de Baron, le seul qui transmet un sentiment. Pour le reste on dans une sorte de musique de chambre et l’on peut se demander si Abercrombie s’est aperçu qu’il y avait presque 900 personnes devant lui.


Le jour suivant, le concert de clôture proposait la chanteuse portugaise Maria João, accompagnée par l’Orchestre de Jazz de Matosinhos. L’exceptionnelle voix de Maria, son enthousiasme contagieux, son dynamisme, sa présence sur scène sauve un peu la XVIe édition de Xàbia Jazz. Les dix-sept musiciens dirigés par Pedro Guedes sont d’excellents interprètes. Tout est écrit minutieusement et arrangé par le pianiste Carlos Azevedo. Les quelques soli offerts sont agréables à écouter. La plupart des thèmes proviennent du disque Amoras e Framboesas, enregistré par l’OJM et Maria. Ils s’inscrivent dans la musique portugaise, brésilienne, pop. Deux sont porteurs de valeurs du jazz «The Surrey With the Fringe on Top», chargé de swing pour lequel le public du festival répond avec chaleur. Devant la même ferveur des festivaliers, «Dancing in the Dark» est bien jazzifié par l’orchestre et Maria João.


 
L’an prochain, le XVII° Xàbia Jazz ne manquera sans doute pas de remettre le festival sur ses rails et le jazz au cœur de son programme.



Patrick Dalmace
Texte et photos

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Langourla, Côtes-d'Armor


Jazz in Langourla, 5-7 août 2016


Cette 21e édition de Jazz in Langourla poursuit inlassablement sa défense d’un festival 100 % jazz. Sans véritable thématique cette année, sinon celui d’un jazz sans postures, la programmation privilégie les coups de cœur de la directrice artistique Marie-Hélène Buron, assistée de Gildas Le Floch. Dans un cadre chaleureux, grâce à la qualité des musiciens invités, à l’accueil et à l’investissement des bénévoles sur place, cette édition est une réussite.

Comme chaque année, en dehors des groupes de jazz de Bretagne, invités à se produire vers 19h, la soirée se déroule en deux temps, avec une première partie à 20h, et une seconde à 22h dans le splendide Théâtre de Verdure, cette ancienne carrière réaménagée en salle de concerts en plein air.


Sylvain Luc © Mathieu Perez

Le 5 août, le lauréat du Tremplin Jazz in Langourla 2015, François Collet (g) et son trio composé de Denis Pitalua (b) et Fabien Blondet (dm), a ouvert la 21e édition du festival devant le Théâtre de Verdure. Il a interprété des titres de son premier album, EP.1, sorti en mars dernier. Dans la veine de John Scofield, le guitariste ne manque pas de talent. La performance est excellente. Le public a apprécié.
 
La première partie a été particulièrement raffinée avec le guitariste bayonnais Sylvain Luc. En solo, il a interprété des compositions originales, toutes superbes («Bleu tendre», «Ameskeri», «Langourla la») et deux standards («Nardis», «Yesterdays»). Chez Luc, tout est poésie. Tout est juste et délicat. Chaque titre n’en finit pas de se dérouler. Plutôt que d’impressionner par sa technique virtuose, le guitariste privilégie l’émotion. Seule elle parle.

Sweet Screamin’ Jones et Boney FieldsScreamin-Jones © Mathieu Perez




Changement de registre avec Sweet Screamin’ Jones et Boney Fields. L’altiste et chanteur Yannick Grimault, dit Sweet Screamin’ Jones, qui a parfaitement assimilé l’art des bluesmen, et son acolyte trompettiste de Chicago (tous deux bien connus des habitués du Caveau de La Huchette) en ont mis plein les yeux et les oreilles. Accompagné du brillant Pierre Le Bot (p), Philippe Dardelle (b) et Patrick Filleul (dm), le quintet nous fait passer de «The Way You Are» à «Place du Tertre» (Lagrène) dans un set très rodé et au swing survolté.





Trio Doria © Mathieu Perez



Le lendemain, vers 19h, une belle surprise nous attendait: le trio d’Eric Doria (g), avec Jeff Alluin (claviers) et Raphaël Chevé (dm). Dans la tradition des excellents trios à l’orgue, Doria a interprété des compositions originales («Thumb’s Up», «Little Kitty Cat Groove», «Amazone», «Corduroy»). Le tout, bien ficelé, ne manquait pas de groove.



Sarah Lenka © Mathieu Perez



Puis, retour aux sources avec Sarah Lenka (voc), en quintet qui a proposé sa relecture de Bessie Smith. Secondée par les excellents Fabien Mornet (banjo, dobro, voc), Taofik Farah (g, voc), Manu Marches (b, voc), Camille Passeri (tp, voc). La chanteuse, pétillante, a offert un set très swing. Pleine d’humour et de légèreté, elle raconte Bessie, en fait une femme d’aujourd’hui, avec ses histoires d’amour et ses coups durs. Elle s’approprie ce répertoire sans nostalgie. Le résultat, très frais, a donné parmi les meilleurs moments du festival.

Geraldine Laurent © Mathieu Perez




Changement de cap avec Géraldine Laurent, et son dernier album At Work («Odd Folk», «At Work», «An Overdue», «Room Number 3», «Epistrophy» de Monk). Accompagné des ultrasolides Paul Lay (p), Yoni Zelnik (b) et Donald Kontomanou (dm), l’altiste poursuit son aventure personnelle dans un jazz très contemporain, qui dialogue avec ses figures tutélaires, Sonny Rollins, Lee Konitz, Charlie Rouse. Son jeu est sincère, captivant et le climat, planant.





Le 7 août, la soirée débutait vers 19h avec les stagiaires de la master class de swing manouche. Cette année, ils suivaient les conseils du guitariste Nicky Elfrick, accompagnateur régulier de Tchavolo Schmitt. Les musiciens sont très jeunes et doués (Matteo, Gireg, Ivan). Le répertoire de Django, on le connaît bien, (« Blue Bossa », « I’ll See You In My Dreams », « Douce Ambiance ») et joué avec autant d’enthousiasme, on se régale.



Angelo Debarre © Mathieu Perez



Au Théâtre de Verdure, Angelo Debarre a assuré la première partie, accompagné du virtuose William Brunard (b) et de l’épatant Raangy Debarre (g). On connaît la prédilection de Marie-Hélène Buron pour les guitaristes. On se souvient du concert fameux de Boulou et Elios Ferré l’été dernier, aussi de l’épatant Daniel Givone avec Alma Sinti ou David Reinhardt avec son trio, lors d’éditions précédentes. Debarre prouve, comme toujours, qu’il n’est pas qu’un maître du swing manouche, mais un immense guitariste de jazz. Les racines présentes, sa curiosité, elle, vogue vers d’autres horizons. Par son élégance, sa sophistication et l’émotion de son jeu, Angelo Debarre est l’un de ces conteurs qui vous touchent au cœur.
Suivait le dernier concert de cette édition. Le pianiste Lorenzo Naccarato, avec Benjamin Naud (dm) et Adrien Rodriguez (b). Ce jeune groupe, sympathique, repose sur la personnalité de son leader qui présente ses compositions originales («Komet», «Shapes and Shadows», «Breccia», «Animal Locomotion», «From Now On», «Mirko Is Still Dancing», «Medicea Sidera»). Si Naccarato abuse des motifs obsédants, à la façon de Tigran Hamasyan, en moins aboutis, et nous bombarde de références intellos, inutiles, entre les titres pour justifier le sens de ses compositions, le set a été brillant. Le public a beaucoup apprécié.


Les jams au Narguilé © Mathieu Perez



Cette année, les jam sessions qui se sont tenues au bar Le Narguilé ont été particulièrement conviviales. Animées par les excellents Paddy (ts) et Manue Paumard (b) jusqu’au milieu de la nuit, les têtes d’affiche du festival –Sweet Screamin’ Jones, Boney Fields, Philippe Dardelle, Lorenzo Naccarato, Raangy Debarre, entre autres– sont venues jouer le bœuf avec les autres musiciens, amis, bénévoles.


Par les temps qui courent, entre un climat général peu serein et des festivals de jazz qui disparaissent brutalement, gageons que ce beau festival sera aussi soutenu l’année prochaine qu’il l’est aujourd’hui par les acteurs locaux et les festivaliers.



Mathieu Perez
Texte et photos


© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Richard Galliano © Jérôme Partage


Ystad, Suède



Ystad Sweden Jazz Festival, 3-7 août 2016



7e édition pour le festival de jazz de Scannie, région du sud de la Suède, lequel a pris désormais son rythme de croisière et continue d’enregistrer une fréquentation chaque année en progrès. Le programme reste globalement de bonne tenue –même si le jazz straight ahead n’est pas la seule couleur– et toujours propice à la découverte de bons artistes, en particulier scandinaves. Le festival proposant jusqu’à neuf concerts sur une journée, des choix s’imposent naturellement mais permet à chacun, en fonction de ses goûts, de s’y retrouver. Par ailleurs, Ystad, ville natale du commissaire Wallander (pour les amateurs de polars), paraît aujourd’hui moins indifférente à l’événement, davantage signalé; on a même vu certains commerçants du centre-ville arborer le tee-shirt du festival. A l’inverse –et c’est donc particulièrement regrettable–, au restaurant de bord de mer Marinan, où se tient la jam nocturne depuis l’année dernière, on ressent une distance certaine avec le jazz: sur les trois soirées de jam, on a pu observer qu’une partie de la clientèle présente était là simplement pour boire (bruyamment), selon les habitudes du lieu, lequel ne s’était fendu d’ailleurs d’aucune communication particulière autour du festival et a même interrompu brutalement la dernière soirée alors que les musiciens n’avaient pas fini de jouer! Ajoutons à cela que, contrairement à l’année précédente, ces jam-sessions festivalières ne furent guère passionnantes, peu de tête d’affiche y ayant participé en dehors de Joachim Kühn (p) et de Cyrille Aimée (voc).




La soirée inaugurale du 3 août, selon l’habitude à l’Ystad Teater, était réservée aux sponsors, journalistes et fidèles du festival. Passés les habituels discours de remerciements de la part du président du festival, Thomas Lantz, et de son directeur artistique, Jan Lundgren, ainsi que l’introduction de l’invité d’honneur de l’édition 2016, Richard Galliano, la partie musicale a été assurée par un trio de chanteuses suédoises: Vivian Buczek, Hannah Svensson et Anne Pauline, soutenues par une bonne rythmique: Ewan Svensson (g, papa d’Hannah), Matthias Svensson (b, sans lien de famille avec les deux autres) et Cornelia Nilsson (dm). Vivian Buczek a davantage de personnalité; son «God Bless the Child», en hommage à Billie Holiday, accompagné d’un joli solo d’Ewan Svensson, était assez réussi. Malgré de bonnes interventions, Hannah Svensson n’a pas convaincu sur une composition de son cru, «For You», ballade pop un peu fade. Quant à Anne Pauline, elle est sympathique, mais transparente… Pour autant, les interprétations en trio étaient plaisantes: «You Don’t Know What Love Is», «Sophisticated Lady», entre autres.
A 22h, la tradition, initiée en 2012, de faire jouer un trompettiste en haut du clocher de l’église Ste Marie a été respectée, Paolo Fresu ayant été chargé de quatre solos à faire retentir aux quatre coins cardinaux. Après quoi, le Sarde était au centre d’un concert donné au monastère d’Ystad dans le cadre de l’exposition «Archeomusica» (une belle exposition sur les instruments de musique de l’Antiquité, en Grèce, en Egypte, dans l’Empire romain et en Scandinavie, visible jusqu’au 8 janvier 2017). Fresu y était entouré de Daniele di Bonaventura (bandonéon)  et de l’Ensemble Mare Balticum: une rencontre entre musique médiévale et expression contemporaine non sans charme.

Marlene VerPlanck © Jérôme Partage

C’est donc le 4 août que démarrait vraiment le festival. Les concerts de 11h, dans la cour historique (XVIe siècle) de Per Helsas Gård, sont ceux les plus tournés vers la tradition. Ce matin-là, c’était Marlene VerPlanck (voc) qui inaugurait la journée, flanquée d’une très bonne rythmique britannique (John Pearce, p, Paul Morgan, b, Bobby Worth, dm), qui la suit habituellement quand elle tourne en Europe. A 82 ans, la chanteuse du New Jersey reste dynamique, même si la voix a les accents de la vieillesse. Après une vingtaine d’années de travail en studios, en collaboration avec son mari Bobby VerPlanck (tb, décédé en 2009), Marlene VerPlanck a relancé sa carrière à la fin des années soixante-dix. Elle est aujourd’hui heureuse d’être sur scène, et son plaisir est communicatif. Passant en revue les standards («So Easy to Love», «Speak Low», «But not for Me»…), elle a évoqué l’un de ses modèles, Peggy Lee, donnant un récital plaisant.

A 15h, au Hos Morten Café (autre cour extérieure fort agréable), Per-Arne Tollbom (dm) présentait son quintet suédois, Kind of New, où se distingue un bon trompettiste, Anders Bergcrantz. Si le groupe swingue sous l’impulsion post-bop de son leader, la prestation est restée inégale par le manque d’inspiration du guitariste (Anders Chico Lindvall, cherchant des effets psychédéliques) et du ténor (Anders Nyvall). Dommage.

A 17h, Richard Galliano (acc) se produisait en solo dans l’église Ste Marie. L’invité d’honneur du festival a aligné ses succès («New York Tango», «Tango pour Claude») ainsi que quelques thèmes bien connus du grand public, comme la musique du fil Le Parrain de Nino Rota ou «Imagine» de John Lennon. Un concert très populaire dans sa thématique, sa manière, et qui n’a pas manqué de plaire.

LaGaylia Frazier © Jérôme Partage
A 20h, dans un lieu encore inédit pour ce festival, le dancing du Surbrunnsparken (un parc au nord du centre-ville), nous avons fait la découverte de LaGayla Frazier, chanteuse de soul originaire de Miami et installée en Suède depuis quinze ans. Portée par l’excellent Bohuslän Big Band (une institution, puisqu’il était, à l’origine, au XIXe siècle, un orchestre militaire), l’Américaine a donné un show détonnant, entre jazz et musique populaire américaine. Dotée d’une voix à la puissance maîtrisée et d’une énergie scénique décoiffante, la rencontre avec la grosse machine à swing a fait merveille. On retiendra notamment un «Night in Tunisia» à la sauce soul ou encore une reprise de Stevie Wonder, «Higher Ground», proprement épatante.  Et même sur une ballade suédoise donnée en rappel, LaGayla Frazier a su garder tout son groove. Une vraie nature! Un seul regret: que les organisateurs n’aient pas pensé à laisser un espace libre pour la danse (ce qui s’imposait pourtant dans un dancing!) ce qui aurait ajouté au plaisir du public, chauffé à blanc.

Le dernier concert du jour se tenait à 23h au théâtre avec une nouvelle édition du projet Mare Nostrum (qui a fait l’objet d’un album chez ACT) réunissant Jan Lundgren (p), Richard Galliano et Paolo Fresu. Rien de très neuf sous le soleil de la Méditerranée: chacun des trois musiciens a apporté ses propres compositions dans le prolongement du concert présenté à Ystad en 2012. Il est à noter que c’est le Suédois qui en rabat aux deux Méridionaux question jazz: lui seul swingue par intermittence et laisse échapper quelques accents blues. Mais on a globalement affaire à une plaisante musique du monde, légèrement jazzy ou folky selon les moments, et très bien servie.

Svend-Asmussen et le quintet de Jacob Fisher © Jérôme Partage

Le 5 août, la cour du Per Helsas Gård fut le théâtre d’une scène émouvante. Un épatant quintet suédo-danois, emmené par l’excellent Jacob Fisher (g), entouré de Bjarke Falgren (vln), Gunnar Lidberg (vln), Matthias Petri (b) et Andreas Svendsen (dm) rendait hommage à une grande figure du jazz danois (et scandinave), le violoniste Svend Asmussen qui a fêté ses 100 ans le 28 février dernier. Asmussen a joué et enregistré avec tous les grands de son époque: Django, Stéphane Grappelli, Duke Ellington, Stuff Smith, etc. Son compatriote Jacob Fisher, qui l’a accompagné pendant quinze ans, était donc tout désigné pour ce tribute concert, de même que le Suédois Gunnar Lidberg (86 ans), une de ses émules. La surprise fut générale quand le Maître fit son apparition au tout début du concert. En fauteuil roulant, mais visiblement en bonne santé et heureux d’être là, on l’a installé devant la scène. La musique convoquée fut celle de Django et Stéphane Grappelli («Nuages»), mais aussi de Stuff Smith («Timmy Rosenkrantz Blues»), servie par un Fisher d’une invariable finesse. Le dialogue des violons fut également réjouissant, avec notamment un «When You’re Smiling» très swing. Puis Ligberg s’est adressé à Asmussen. Si la langue nous était étrangère, on devinait l’amitié et la reconnaissance que témoignait le plus jeune à son aîné.
Joe Lovano © Jérôme Partage

Les jeunes groupes scandinaves étaient programmés l’après-midi. Pour le concert de 20h au théâtre, Joe Lovano (ts) était l’invité du Bohuslän Big Band qu’on avait déjà pu apprécier la veille. Mais le contexte était là bien différent: il s’agissait de reprendre le répertoire du ténor américain, compositions personnelles ou titres marquant enregistrés au cours de sa carrière. Ce n’est pas la première fois que Lovano se frotte à un big band européen (Brussels Jazz Orchestra, WDR Big Band); il semble goûter l’exercice. Si le Bohuslän Big Band est l’un des très bons orchestres de jazz en Europe, il lui manque quelques solistes de caractère pour sortir du lot. D’où, sans doute, la bonne idée de Jan Lundgren de le programmer avec des guests à la forte personnalité: en effet, Lovano apportant sa puissance et sa mélodicité au big band, le concert fut un régal dont on retiendra en particulier une composition très swinguante «Bird’s Eye View», une très jolie version de «Duke Ellington’s Sound of Love» et une évocation de Caruso, auquel Lovano a consacré un album en 2002, avec deux originaux: «The Streets of Naples» (pour laquelle le pianiste, Tommy Kotter, a pris l’accordéon) et «Viva Caruso».

Le concert suivant, à 23h, consacrait le retour à Ystad de Hugh Masekela (flh, voc), qui était l’invité d’honneur de l’édition 2013. Si au bugle Masekela s’exprime dans un idiome bop, ses interventions vocales (nettement plus présentes), comme sa formation (composée de musiciens sud-africains) s’inscrivent dans une musique africaine électrifiée, mêlée de pop et de funk. Les rythmes très dansants, sur lesquels Masekela a fait son numéro de cabotinage, ont enthousiasmé le public. Tant pis pour le jazz…



Le 6 août, à 11h, la scène du Per Helsas Gård nous réservait une nouvelle découverte: la jeune Danoise Kathrine Windfeld (p) et son big band Aircraft, formation dont les membres  –scandinaves et polonais– doivent, pour la plupart, avoir autour de 30 ans. Le  répertoire présenté était constitué de morceaux originaux, bien arrangés, dans l’esprit Kenny Clarke–Francy Boland Big Band (même si ça ne swingue pas autant) et où l’on retrouve aussi l’influence de Dave Holland. Une bonne formation.

A 15h, au cinéma Scala, se produisait le quartet de Filip Jers (hca) pour un concert supplémentaire, celui prévu à 18h30 étant complet. On ne doute pas de l’intérêt du public suédois pour cette formation qui explore la musique folk de son pays (d’ailleurs sans chercher de lien artificiel avec le jazz). Mais pour les étrangers, l’intérêt de ce groupe est tout relatif.

Franco D'Andrea © Jérôme Partage

A 17h, au théâtre, Franco D’Andrea (p) avec Mauro Ottolini (tp) et Daniele D’Agaro (cl) présentait un projet singulier: la musique du trio accompagnant la présentation d’une série de photos de Pino Ninfa portant sur l’Afrique du Sud. Les compositions délicates du pianiste créèrent des atmosphères tantôt sombres (en jouant sur les notes graves), tantôt mélancoliques (à l’évocation des victimes de l’apartheid) ou plus joyeuses devant des scènes de fête et de danse. Jouant avec les ponts culturels, en interprétant «Basin Street Blues» et «St Louis Blues», le trio donnait l’impression que les scènes photographiées provenaient de New Orleans (en particulier à l’église). Une expérience intéressante. 

A 20h, l’un des pères du «smooth jazz» (ce courant dérivé du jazz-rock qui connaît un grand succès commercial aux Etats-Unis), Bob James (p) montait sur la scène du théâtre avec son quartet: Perry Hugues (elg), Carlitos Del Puero (elb) et Bill Kilson (dm). Ouvrant le concert sur un bon blues, sur lequel Hugues a pu démontrer ses qualités, le quartet s’est rapidement orienté vers un traitement «easy listening» des standards: toucher de piano très «variétés», rythmes binaires. Assez logiquement donc, on eut aussi droit à une reprise pop («Downtown», le tube de Petula Clark). Bob James pratique ainsi un jazz aseptisé, sans consistance, formaté pour le robinet radiophonique.

A 23h, Jan Lundgren donnait son second concert, dans la même formule que celui donné en 2015 avec Mathias Svensson et un quatuor à cordes; lequel a fait l’objet d’un enregistrement récemment paru chez ACT, The Ystad Concert. Centrée sur un hommage au pianiste Jan Johansson (1931-1968), la rencontre entre jazz, folk suédois et musique classique, a de nouveau fonctionné. On peut se reporter au compte-rendu de l’année précédente pour en apprécier la teneur, tout en regrettant que le pianiste et programmateur ait manqué de se renouveler cette année pour cause d’actualité discographique.



Martin Taylor-Ulf Wakenius © Jérôme Partage


Le 7 août, dernier jour du festival, un bon duo de sax se trouvait à 11h à Per Helsas Gård: Bernt Rosengren (ts) et la Danoise Christina von Bülow (as). Le premier, qui au tout début de sa carrière s’est produit au festival de Newport (1959) a joué avec George Russell, Don Cherry, Horace Parlan. La seconde, fille d’un guitariste de jazz, a notamment étudié et joué avec Lee Konitz, pris quelques cours avec Stan Getz, et enregistré avec Horace Parlan. Si les interventions de Rosengren furent les plus marquantes, le duo (soutenu par la rythmique du ténor) a donné à entendre un excellent bop.

A 13h, à l’hôtel Ystad Saltsjöbad, s’est tenu sans doute le meilleur concert du festival: Martin Taylor en duo avec Ulf Wakenius. Complices et emplis d’humour, les deux guitaristes ont évoqué Stéphane Grappelli («Two for the Road») ainsi que Barney Kessel («Blues for a Playboy»). Jouant également en solo à tour de rôle (Taylor sur «They Can’t Take That Away From Me», Wakenius sur un superbe medley brésilien), les compères ont en outre mis en valeur quelques belles compositions de Martin Taylor: «Last Train to Hauteville» ou encore, pour le rappel, un clin d’œil aux Antilles, «Down at Cocomo’s». Du très beau jazz.

A 15h, au Hos Morten Café, une énième rencontre entre jazz, pop et folk suédois nous attendait avec le quintet d’Iris Bergcrantz, surtout remarquable pour le bon trompettiste déjà en vue sur cette même scène trois jours plus tôt: Anders Bergcrantz.

A 17h, au théâtre, Oddjob, le quintet animé par Goran Kajfes (tp, perc) rendait hommage à Bengt-Arne Wallin, autre figure du jazz suédois ayant puisé dans le folklore national (voir nos «Tears» du 23/11/15), parrain du festival, lequel aurait dû fêter cette année le 90e anniversaire. Cinquante ans après Wallin, Oddjob réinterprétait à son tour l’imaginaire musical suédois par le filtre du jazz. Vingt-cinq ans de pratique commune de la musique ont donné au groupe une évidente cohésion: Per Ruskträsk-Johansson (s, bcl) est l’alter-ego du leader, tandis que la rythmique (Peter Forss, b, Janne Robertsson, dm) est emmenée par l’excellent Daniel Karlsson (p). Et c’est tout le talent Kajfes d’être arrivé, à partir de cette matière, à produire du véritable jazz, aux accents free et à flux tendu.

A 22h, au théâtre, c’est Avishai Cohen (b, voc) qui a conclu l’édition 2016 du festival d’Ystad, avec son trio (Omri Mor, p, Daniel Dor, dm). Attendu comme l’un des must de la semaine, le concert de l’Israélien s’est révélé, dans l’esprit, plus proche des «musiques actuelles», tel qu’on les pratique en Europe, que du jazz. Dépourvue de swing, enfermée dans des boucles répétitives, la musique du contrebassiste a l’aridité du désert du Néguev. Elle a séduit le public scandinave, il est vrai déjà habitué au désert de glace.

Le final fut réchauffé par des derniers instants comme toujours chaleureux, partagés avec la belle équipe de bénévoles du festival. Rendez-vous du 2 au 6 août 2017!


Jérôme Partage
Texte et photos

© Jazz Hot n° 677, automne 2016

Ospedaletti, Italie


Jazz sotto le Stelle, 3-5 août 2016


Le drame épouvantable qui a frappé Nice le 14 juillet dernier rendait impensable le maintien du Nice Jazz Festival. La vie, en particulier celle de la musique, a repris peu à peu sur la Côte-d'Azur et sur la Riviera italienne; les amateurs de jazz comptaient sur  les «petits» festivals de la région pour épancher leur soif de swing et d’improvisations. Leurs attentes furent comblées par une programmation de ces petites organisations proposant des affiches originales. Parmi celles-ci, nous faisons un arrêt comme chaque année à Ospedaletti, pour le Jazz sotto le stelle que concocte, avec son équipe, notre excellent ami et photographe, Umberto Germinale. En pensant à Chet Baker, Umberto avait sous-titré cette 13e Edition de Jazz sotto le Stelle «I remember you», mais ce  fil conducteur avait assez de souplesse pour permettre aussi quelques écarts.


West Project Orchestra © G. Cardone by courtesy of Jazz sotto le stelle

Ainsi, le mercredi 3 août, le West Project Orchestra, orchestre de 18 musiciens italiens, pros et semi-pros dirigés par le guitariste Riccardo Anfosso, se proposait de reprendre le répertoire du Liberation Orchestra de Charlie Haden sur les arrangements de Carla Bley, dans son aspect le plus militant: les chants révolutionnaires. Légères ou austères, les partitions originales laissent  aux solistes des moments  d’improvisations généreuses dont Alberto Mandarini  (tp), «guest star de l’orchestre», prend avec un grand talent, la plus grande part.

Mike Melillo Trio © Umberto Germinale

Le jeudi 4 août se produisait Evidence, le trio de Mike Melillo (p), Elio Tatti (b) et Gianpaolo Ascolese (dm), qui, on l’aura deviné, se consacrait à la relecture inspirée et très originale des thèmes de Thelonious Monk. Une entreprise périlleuse, parfaitement réussie, avec toujours ce toucher si percussif, ce swing et cette intensité si fidèles aux originaux. Mike Melillo est à n'en pas douter l'un des plus authentiques représentants de cet art incomparable du piano jazz qui de Bud Powell à Thelonious Monk a peu d'équivalant en intensité, en tension. Du grand Art et l'événement de ce festival! We like Mike…


Paolo Fresu Devil Quartet © G Cardone by courtesy of Jazz sotto le stelle

Le vendredi 5 août, Paolo Fresu, (grand admirateur de Chet Baker s’il en est) avec son Devil Quartet composé de Bebo Ferra (g), Paolino Dalla Porta (b) et Stefano «Brushman» Bagnoli (dm), présentait une des dernières facettes de son œuvre personnelle si prolifique. Cohésion parfaite de l’ensemble (plusieurs  disques et tournées ont été réalisés dans cette configuration). Et si, pendant la balance, les musiciens esquissèrent les standards, le concert ne donna à entendre que des compositions originales, pour la plupart inédites. Comme un tour de chauffe avant un nouvel enregistrement…

Bien dans l'esprit du jazz, Jazz sotto le Stelle creuse avec modestie, et beaucoup d'intégrité, un sillon qui fabrique la mémoire du jazz, celle qui dure.

Daniel Chauvet
Photos G. Gardone et Umberto Germinale by courtesy

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Royan, Charente-Maritime


Jazz Transat, 2, 9, 16, 23, 30 août 2016



Avec en arrière-plan la mer, les carrelets et les dernières lumières du soleil couchant, le Jazz Transat a offert chaque mardi soir d’août un concert de jazz en plein air, gratuit, sous le kiosque surplombant la plage de Pontaillac. Un public dense a pu successivement écouter Julie Morillon, Didier Conchon, le crooner Pablo Compos, Antoine Hervier et Christian Escoudé ainsi que le Good Life Quartet. 
Jazz Hot a choisi d’écouter le guitariste Christian Escoudé et le trio d'Antoine Hervier
, le 23, et le Good Life Quartet, avec le batteur Jean-Pierre Derouard et le tubiste Fred Dupin, le 30.




Antoine Hervier, Laurent Vanhee, Rudy Bonin, Christian Escoudé © Patrick Dalmace



Christian Escoudé était l’invité du pianiste Antoine Hervier et de son trio, Laurent Vanhee, contrebasse –excellent– et Rudy Bonin, une figure locale de la batterie. Après un thème en trio, Christian Escoudé est entré sur scène avec son indicatif, «Take Five», court mais bien enlevé. Le guitariste a choisi, plutôt que d’interpréter ses compositions ou celles de jazzmen actuels, de renouer avec les œuvres qui l’ont accompagné lors de ses premiers pas dans le jazz. On a donc compris qu’on aurait une soirée de standards, ce qui n’a pas manqué de ravir le public –pas trop jeune!–, et ne fait pas de mal dans une période où le mot jazz recouvre tout et n’importe quoi. Le plat de résistance débute avec «Four on Six», une historique composition d’un de ses maîtres, Wes Montgomery, que Christian Escoudé a parfaitement assimilé. Le guitariste enchaîne avec une pièce de son autre mentor, Django Reinhardt, «Hungaria». L’originalité du jeu reste dans l’esprit du Gitan. Un autre grand standard suit, «April in Paris». Escoudé rappelle que le thème figure dans Bird, le film de Clint Eastwood sur Charlie Parker. La chanson française est aussi à l’honneur avec tout d’abord la jolie valse «Sous le ciel de Paris» et une magnifique version personnelle, jouée en solo, de «La Vie en rose».
 Le swing, au centre de la plupart des thèmes, monte en puissance sur «Just One of Those Things». Django revient avec l’incontournable «Nuages», qui emballe le public, et « Blues for Ike ». C’est banal de le répéter, mais existe-t-il un meilleur disciple de Reinhardt que Christian Escoudé? 
Pour le rappel, celui-ci et ses partenaires ont choisi «Moon River», une mélodie simple adaptée à la voix d’Audrey Hepburn, qui sans être véritablement chanteuse,  l’interprète dans le film Diamants sur canapé, mais dont Mancini, son compositeur, a fait un succès devenu un standard. 
Au final, cette quatrième soirée de Jazz Transat a permis aux amateurs de jazz mais aussi, étant donné le répertoire, à un public plus large, de vivre un beau moment, favorisé par une superbe météo.

Jean-Pierre Derouard © Patrick Dalmace




La dernière soirée de la saison et du Jazz Transat a été marquée par une exceptionnelle polémique dans le public, les uns se plaignant que «la Ville» ne mettait pas assez de chaises, les autres répliquant que ça s’appelait Jazz Transat, et qu’il fallait donc apporter son fauteuil de camping, et tous de s’en prendre à ceux qui, debout, les empêchaient d’apprécier le concert. Mais parlons musique! Apprécions d’abord les paroles d’introduction de Rudy Bonin rendant hommage à Rudy Van Gelder, décédé quelques jours auparavant. Nouvelle nuit axée sur les standards. Le Good Life Quartet, formation initiée par Fred Dupin et Rudy Bonin, qui, pour cette fois, va laisser sa place à Jean-Pierre Derouard, met à l’honneur les crooners, Sinatra et Nat King Cole principalement, auxquels redonne vie la voix de François-Marie Moreau, par ailleurs brillant instrumentiste que l’on a pu écouter au ténor, soprano, baryton, à la flûte et clarinette basse au fil des thèmes. Même si la voix de
François-Marie Moreau n’est pas réellement celle d’un crooner, les interprétations sont belles. Avec lui, le pétillant et dynamique F. Mazurier (clav) et deux maîtres du jazz, Jean-Pierre Derouard, excellent tout au long de la prestation et, tout aussi parfait, Fred Dupin (tuba) prenant admirablement la place d’une contrebasse. C’est «Fly Me to the Moon» qui lance le concert et, déjà, on sent battre le swing propulsé par Derouard. Suivent «Call Me Irresponsible», «A Foggy Day», avec un beau solo au soprano. Les standards défilent: «Cry Me a River», «Come Fly With Me»… avec de bons moments à la clarinette basse, à la flûte, et toujours un soutien sans faille de tous les partenaires. Les hommages se succèdent. Pour Nat, «I Wish You Love », pour Frank, «Beyond the Sea»… On apprécie un très beau «All of Me». Les soli de Derouard et Dupin déclenchent un tonnerre d’applaudissements! Après un rappel ovationné, le Jazz Transat, soigné par la météo tout au long des soirées qu’il a égrainé, s’achève de la plus sympathique façon.
Patrick Dalmace
Texte et photos

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Pertuis, Vaucluse


Jazz à Pertuis-Festival Big Band, 1er au 6 août 2016

Le Big Band de Pertuis, dir. Léandre Grau, ouvre traditionnellement le festival © Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis

La 18e édition de ce festival, dont le bon esprit jazz ne se dément pas, innove quelque peu dans son titre, puisque nous voyons apparaître l’appellation «Jazz à Pertuis», avec en sous-titre le rappel de la spécialité du lieu: les big bands. Gageons qu’il s’agit là de donner un non plus direct car plus court que l’ancien. De fait, aucun changement dans l’organisation, l’esthétique et l’esprit, et cela fait du bien de retrouver, année après année, un festival très convivial qui respecte son identité jazz en respectant la musique qu’il propose (du jazz), la thématique qu’il a choisie (les big bands) et pour un succès public toujours constant, un public qui se forme d’année en année grâce au professeur Léandre Grau. Au demeurant, et malgré la modestie naturelle de Léandre, un enseignant à la Pagnol (La gloire de mon père), le festival est devenu un événement mondial jazzique quasi-unique. La qualité en jazz n’est pas une affaire de quantité ni d’accumulation de stars, mais d’esthétique, de culture, d'esprit, de dimension humaine et de conviction.



Tartôprunes © Ellen Bertet

Le 1er août, la traditionnelle ouverture par le Big Band de Pertuis sur la grande scène, est savamment orchestrée par son bras juvénile en première partie, les Tartôprunes, émanation partielle de la grande formation, réunissant les plus jeunes. «Jeunes» ne signifie pas ici approximatifs. Cela fait plusieurs années que cette formation ouvre le festival, et la jeune classe des musiciens de Pertuis et des alentours bouge mais ne faiblit pas, et rend parfaitement justice à l’esprit du festival. Le directeur musical en est Romain Morello, brillant tromboniste et soliste du Big Band de Pertuis entre autres, et on retrouve également plusieurs musiciens du big band. L’esprit est ludique, modeste et complice avec un public très populaire, au vrai sens du terme, on ne s’en étonnera pas pour ce festival sans grosses têtes.
Le répertoire propose du jazz (Mingus par exemple, mais aussi des parties néo-orléanaises, Miles Davis, etc.), mais aussi de la musique populaire jazzée, « plaisantée », piratée avec beaucoup d’humour. Le thème de 2016 étant autour de la sécurité, le groupe avait d’ailleurs choisi de se déguiser en pirates surveillant l’horizon, avec perruques, costumes et accessoires (sabre gonflable, brassards de sécurité, etc.), allusion non voilée (c’est déjà ça) à l’opération vigipirate (vigie et pirates). L’humour est donc au rendez-vous malgré la période. Brassens, dont le collège qui accueille le festival porte le nom, est au rendez-vous.
Dans une cour pleine à craquer (plus de 1000 personnes, assises, debout, couchées…), ça rigole, ça swingue, ça chante et ça danse (les enfants surtout), avant que le groupe, qui ne se présente que par les prénoms, comme certains des big bands –Philippe (g), Clément (b), Alex (b, le MC à l’humour léger), Romain (tb, dir), Bastien (bon chanteur, voc, g), Valentin (tp, voc), Ezequiel (bon ts), la belle Caro’ (clav), Maxime (dm), Arno (as)–  amène tout ce public, dans un rappel où alternent Miles (clapping) et esprit new orleans dans un défilé vers la grande scène et le second concert. Une bonne entrée en matière qui montrent « qu’aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années » et qu’on peut être jeunes et déjà avoir du métier.

Big Band de Pertuis-Alice Martinez © Ellen Bertet


Le concert du Big Band de Pertuis, introduit par le parrain légendaire du festival de Big Band de Pertuis, le grand et fidèle Gérard Badini, plein d’humour avec sa voix cassée de bluesman, se déroule en deux parties, sur la grande scène. Toujours aussi généreux (près de 2h de musique), le Big Band de Pertuis renouvelle d’année en année son répertoire. Léandre Grau dit que «c’est pour ne pas lasser…». La vérité, pour ce pédagogue amateur de big band, est qu’il aime le travail et la musique, le jazz, et qu’il veut jouer tout type de répertoire un jour ou l’autre. Le choix est aussi fait de la variété des compositions: on passe ainsi de «Lulu Left Town» de Mark Taylor à Lennon/McCartney, une composition des Beatles sortie tout droit de l’esprit du Basie Beatle Bag, album célèbre du Count, dont le big band de Léandre Grau s’inspire à n’en pas douter. «Between the Devil and the Deep Blue Sky» (Koehler et Arlen), «Daahoud» (Clifford Brown) sont l’occasion de re-découvrir l’excellente Alice Martinez (voc) à qui ce big band convient tout à fait. Dans le seconde partie, parmi beaucoup de thèmes comme «Moment’s Notice» (Coltrane), «The Very Thought of You», «I Thought of You», «Bolivia», «If I Were a Bell », etc., on retiendra les bons ensembles, une écriture classique et l’intervention de solistes inspirés au premier rang desquels on retrouve Alice Martinez (voc), Lionel Aymes (tp), Romain Morello (tb), Christophe Allemand (ts), Maxime Briard (dm)… Une belle soirée de plus pour ce big band exemplaire de la cohérence culturelle profonde de ses instigateurs, car le festival est le point d’orgue annuel d'un travail qui ne s'arrête jamais, et qui va au-delà de la seule école de musique pour générer dans cette petite ville un engouement sincère et largement partagé par la population dans toute sa diversité.


Mariannick Saint-Céran © Marcel Morello by courtesy of Jazz à PertuisLe 2 août, c’est Marseille qui est invitée à Pertuis, avec le Phocean Jazz Orchestra de Thierry Amiot, un autre prof’ du Conservatoire de Marseille venu avec sa classe de jazz, et, en première partie, une habituée de Pertuis, la talentueuse et dynamique Mariannick Saint-Céran (voc) qui rend un hommage original et profond à Nina Simone qui passa une part de sa vie non loin de là, en Provence. Ce «We Want Nina» est savamment préparé pour évoquer toutes la facettes de la légendaire artiste, car Nina Simone, comme tous les grands artistes, a d’abord fait du Nina de tout ce qu’elle a abordé, le jazz et le blues entremêlé bien entendu, mais aussi la variété, les standards, la chanson. Nina a été une artiste profonde, engagée sans avoir besoin de le dire comme l’est la grande musique afro-américaine, par essence. Le répertoire retenu par Mariannick est bien équilibré pour témoigner de cette œuvre, et la voix elle-même et l’expression de la chanteuse se prêtent parfaitement à cet hommage, sans faiblesse avec le nécessaire respect pour Nina, une Diva, pour le plaisir d’un public toujours aussi nombreux et attentif. «It Ain’t Necessarily So» (Gershwin), «Love Me or Leave Me» (Donaldson-Kahn), «Be My Husband» (Nina Simone), un duo voix-batterie magique, «Old Jim Crow» (Nina Simone), «Work Song» (Nat Adderley), «For Four Women» (Nina Simone), «My Baby Just Cares for Me» (Donaldson-Kahn), «Black, Young and Gifted», etc., ont évidemment débouché sur un rappel mérité. Mariannick Saint-Céran était bien entouré de Laurent Elbaz (clav-org), Lamine Diagne (ts), Cedric Bec (dm) et de Marc Campo (g) qui est un excellent guitariste de blues dans «Old Jim Crow», dans la tradition électrique dénuée de ses extensions rock, ce qui est rare à trouver en dehors de la tradition américaine.



La seconde partie, à 21h30, comme toujours décomposée en deux sets, présentait donc le Phocean Jazz Orchestra (cf. la formation en fin de compte rendu) mêlant des élèves et des prof’s du Conservatoire de Marseille, des anciens pas très âgés, dont l’excellent bassiste, Franck Blanchard, à l’origine du projet dirigé par Thierry Amiot qui signe la plupart des arrangements. Comme annoncé, le programme présentait d’abord un répertoire «acoustique», sous-entendu jazz classique, puis une partie «électrique», sous-entendu un répertoire plus récent, se traduisant par le passage à la basse électrique et aux claviers synthétiques.

Le premier set présenta en effet des compositions d’Horace Silver («Nutville»), bonne entrée en matière, Count Basie («Flight of the Foo Bird» de Neal Hefti, «One O’Clock Jump»), un bon «When I Fall in Love», belle ballade où le chef Thierry Amiot a fait briller sa trompette, sa sonorité et sa technique, Charles Mingus («Nostalgia  in Time Square»), un fort beau thème mis en valeur par un bon chorus du saxophoniste alto, Thomas Dubousquet, et du contrebassiste, Franck Blanchard, et pour finir le set un thème hispanisant de Chick Corea, «La Fiesta», qui aurait pu se trouver en seconde partie. Cette première partie, fort agréable et appréciée, malgré quelques belles interventions du chef, resta sage, à l’exception du thème de Corea où l’orchestre se libéra.
Le second set «électrifié» commençait bien, par un bon «A Night in Tunisia», où le leader faisait encore apprécier sa belle virtuosité dans les aigus qu’exige ce thème du grand Dizzy Gillespie, thème qui aurait pu d’ailleurs finir la première partie à la place de «La Fiesta», pour la cohérence du programme, malgré l’électrification… Puis vint la thématique annoncée, plus électrique avec ses lignes de basses accentuées, plus funky, plus récente aussi, avec «Mercy, Mercy, Mercy» de Joe Zawinul, et si le thème est plus rudimentaire, bien que balancé, paradoxalement l’interprétation de l’orchestre est plus enlevée, plus possédée, les trompettes, les sax, tous en fait, dansant leur musique avec conviction… et un plaisir évident (sourires).

Phocean Jazz Orchestra © Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis

Puis, nouvel écart par rapport au programme, l’orchestre choisi de mettre en valeur le régional de l’étape, le lead Hugo Soggia (tb), sorti des classes de Léandre Grau pour aller suivre l’enseignement du Conservatoire de Marseille. Hugo a choisi «Georgia», immortalisé par le grand Ray Charles (bien qu’il en existe d’autres très belles versions), et la réussite est au rendez-vous d’un superbe chorus de trombone, avec de beaux arrangements, cette fois très classiques bien qu’originaux, de Thierry Amiot. Sans doute, un des meilleurs moments sur le simple plan de la musique, car ce morceau réunit toutes les qualités d’expression, de répertoire et d’intensité, de blues et de swing. Retour au funk avec le «Chameleon» d’Herbie Hancock, arrangé par Maynard Ferguson si nous avons bien compris le chef car c'est une de ses inspirations, en bon virtuose de la trompette, et là encore, la simplicité du thème mais la tonicité rythmique, provoque l’électrochoc nécessaire au dépassement de l’orchestre, pour un moment intense de partage avec le public. La suite avec «Strasbourg-St-Denis» de Roy Hargrove, «Pick-Up the Pieces» de l’Average White Band, fut dans la logique de cette bonne soirée, très enlevée, par un orchestre plus familier de Weather Report, du R’n’B, du funk, que de l’univers plus lointain de la swing era dont les musiciens ne possèdent pas la clé sur le plan émotionnel et de la sensibilité, individuellement et collectivement, malgré une exécution tout à fait acceptable et bien travaillée.
Ce constat était finalement clarifié par le rappel sur un thème de Mercer Ellington «Things Ain’t Not What They Used to Be», joué sur un tempo shuffle accentué, réunissant les deux univers. Le public a tout apprécié, mais sans doute plus la seconde partie, et il n’avait pas tort. Quoi qu’on pense de la plus grande qualité des compositions de Mingus, Silver, Basie (ou ses arrangeurs), Gillespie, bien que «A Night in Tunisia » se soit prêtée à la deuxième manière, c’est sur des thèmes qui appartiennent davantage à la culture de la génération de cet orchestre que les musiciens sont les plus libres, les plus persuadés, les plus rentre-dedans, qualités essentielles pour l’expression en big band. On peut danser sur le répertoire de Basie, Silver ou Mingus, mais c’est une danse différente.
Un bon big band en devenir, il n’a que 2 ans, avec outre le chef, excellent trompette, auteur de bons arrangements, un bon bassiste, Franck Blanchard, un bon batteur de big band, Nicolas Reboud, un excellent altiste, Thomas Dubousquet qui promet beaucoup, et en général de bonnes mais rares interventions des moins jeunes de la section de saxophones, Samuel Modestine (bar) et Thierry Laloum (ts) qui possèdent leur réserve de blues.


Pierre Bruzzo © Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis

Le 3 août, retour dans le temps avec le groupe, néo-orléanais dans l’âme, du toujours jeune et pétillant Pierre Bruzzo, un disciple de Sidney Bechet qui nous a dit ne pas avoir été de la fête parisienne de l’Olympia, l’automne passé pour les 60 ans du concert de l’Olympia. Une erreur de casting à n’en pas douter, car, entouré de Philippe Bruzzo (tb), Guy Mornand (g), Philippe Coromp (p), Bernard Abeille (b), Alain Manouk (dm), Pierre Bruzzo (ss) a fait revivre l’univers du grand Sidney Bechet par la manière, un son de saxophone vibrant et intense, malgré les printemps qui s’accumulent, ce dont a plaisanté un leader en verve. Il a également repris le répertoire du légendaire Néo-Orléanais qui fait encore partie de l’inconscient collectif, à Pertuis comme partout, puisque le public a réagi en connaisseur aux différents thèmes : «Struttin’ With Some Barbecue» (Lil Harding), «Ain’t Misbehavin’» (Fats Waller), «Le Marchand de poissons» (Bechet), un «Glory Hallelujah», hymne américain repris à la Bechet, comme il le fera de l’hymne provençal, «La Coupo Santo», un peu plus loin, l’indispensable «Petite Fleur» (Bechet), vibrant à souhait, les inusables «Some of These Days», «On the Sunny Side of the Street» avec, pour la partie vocale, Philippe Bruzzo et un chorus de contrebasse de Bernard Abeille, «Dans les rues d’Antibes» (Bechet), et en rappel l’incontournable «When the Saints», pour le plus grand bonheur du public. Dans la bonne formation, on a remarqué le style Hawaïen et savant de Guy Mornand (citation «traditionnelle» de la Rhapsodie n°2 de Liszt). Bechet étant inépuisable, on avait encore de la réserve, mais il fallait laisser la place à la seconde partie de la soirée.



L’Azur Big Band, parce qu’il vient de Nice, est venu nous rappeler l’attentat tragique qui a endeuillé l’été 2016. C’est avec tact que le leader de la formation, Olivier Boutry, les a évoqués dans le cours du concert. La formation, très professionnelle dans sa présentation et son programme, proposait un répertoire classique dans l’esprit de ce qu’ont pu produire les grandes formations américaines depuis l’ère de la swing era, alternant instrumentaux et accompagnement de chanteurs/ses de variétés influencées par le jazz. Il y avait ainsi une chanteuse américaine, Jilly Jackson, efficace, et un crooner américano-suédois, vivant sur la Riviera, ainsi présenté, Ricky Lee Green, au beau phrasé évoquant l’idéal universel du genre qu’est Frank Sinatra. Au physique rappelant Thierry le Luron, il a de réelles qualités d’expression dans ce genre.

Azur Big Band © Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis

L’orchestre, dans la partie instrumentale, dirigé et présenté par Olivier Boutry, a proposé en ouverture, comme en fin de concert un classique blues, bien tourné, joué avec toute l’énergie nécessaire, de bons chorus de Laurent Rossi (p) et de Bela Laurent (tb). De bons «Flying Home» (Goodman-Hampton, immortalisé par Lionel Hampton et Illinois Jacquet), «Sing Sing Sing» (Luis Prima), avec un bon chorus de batterie sur les peaux in the tradition (Krupa-Rich), «Mambo 5» , le «Ticle Toe» de Lester Young immortalisé par le Count basie Orchestra ont démontré que cet orchestre, sans mettre en avant ses solistes, a de belles qualités d’ensemble, une rigueur et une énergie qui séduisent le public connaisseur car elles sont des qualités indispensables d’un  big band. «Cry Me to the Moon», «Fly With Me», «Fever» , «I Love You», «The Lady Is a Tramp», «You Are the Sunshine» et autres standards, ont mis en valeur Ricky Lee Green et la belle Jilly Jackson, avant un rappel réunissant tout le monde sur la très fréquentée «Route 66», pour le plaisir non dissimulé d’un public encore nombreux, et pour la plus grande satisfaction des musiciens, ainsi récompensés, de ce bon collectif.


Le 4 août, le jeudi, est comme chaque année dévolu à la salsa, une sorte de respiration du jeudi, qui se présente très clairement pour ce qu’elle est, un à-côté du festival, et qui est l’occasion aussi pour le public de danser. Nous n’y étions pas mais ça a chauffé pour le plaisir des danseurs d'après les échos du lendemain.

Bastien Ballaz Quartet © Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis

Le 5 août, c’est le beau quartet de Bastien Ballaz qui a introduit une soirée de découvertes. Le tromboniste, qui a été à bonne école (Conservatoire de Marseille, Bruxelles avec Phil Abraham, etc.), est un excellent compositeur, instrumentiste, et il a côtoyé déjà du beau monde (Cécile McLorin Salvant, Liz McComb, Bill Mobley, James Carter…). Entourée de jeunes musiciens excellents (Maxime Sanchez, p, Simon Tailleu, b, Gautier Garrigue, dm), il joue le répertoire du jazz («Four in One», Monk, «Henya» d’Ambrose Akinmusire) et sa musique originale, des suites qui alternent des atmosphères, un beau récit qui témoigne d’une vraie imagination très «cinématographique» («Lullaby», «Synopsis», «New Orleans Drunk Party») qui évoquent d'autres références, les compositions de Charles Mingus ou Horace Silver par exemple. Ils ont eu droit à un rappel mérité («Lost in My Dreams» de Bastien Ballaz). Un musicien à suivre!


Lutz Krajenski Big Band © Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis

La seconde partie invitait un groupe allemand, le Lutz Krajenski Bib Band, composé de 13 musiciens dont deux chanteurs très intéressants, Ken Norris, parfaitement francophone car séjournant régulièrement en France,
et Myra Maud, une très belle Parisienne aux racines malgaches et martiniquaises, tous deux possédant de réelles qualités musicales et un métier certain. Lutz Krajenski est le leader, pianiste et organiste de cet orchestre, aussi professionnel que d’autres dans ce festival, mais avec une touche supplémentaire qui confère une dimension plus dynamique au spectacle. Le public ne s’y est pas trompé, et c’est dans cette soirée que les danseurs sont venus sur le devant de la scène pour participer à un moment fort de cette édition.

Myra Maud et Ken Norris © Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis
Le répertoire éclectique, parfois variété américaine, soul, teintée de jazz ou de ferveur avec ses deux chanteurs talentueux, parfois même brésilien, parfois broadway (West Side Story), sans être le plus jazz de la semaine, possédait cette étincelle qui a déclenché l’enthousiasme du public et une bonne soirée. De beaux arrangements, avec des ensembles de flûtes en particulier, donnait une couleur particulière au big band, et il y avait dans chaque pupitre un solide soliste capable d’enrichir les ensembles de bons chorus. Terminé sur un beau «Everytime We Say Goodbye» par l’excellent Ken Norris et sur un rappel enfiévré sur l’inusable «Cheek to Cheek» et un bon duo Ken Norris-Myra Maud, ce moment a permis de vérifier qu’en matière de big band, l’énergie, la conviction sont une des composantes importantes pour le public, un élément de métier autant qu’une donnée générale de l’expression artistique.


Olivier Lalauze Sextet © Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis


Le 6 août, c’est le sextet d’Olivier Lalauze
(b, comp, arr) qui ouvrait la soirée de clôture, en compagnie d’Ezéquiel Célada (ts), Alexandre Lantieri (as, cl), Romain Morello (tb), Gabriel Manzanèque (g). Après une formation au sein de l’IMFP de Salon-de-Provence, puis du Conservatoire d’Aix-en-Provence, Olivier Lalauze en parallèle à ces activités d’accompagnateur (Cécile McLorin-Salvant, Archie Shepp, Cie Nine Spirit, Jean-François Bonnel…) développe depuis 2012 un projet en sextet. C’est un groupe bien soudé qui défend un répertoire original. Fort d’un prix au Tremplin Jazz de Porquerolles en 2015 qui lui valut une programmation à Jazz sur la Ville puis à assurer un première partie d’Otis Taylor cet été, le sextet se produit régulièrement sur les scènes du Sud dont il est l’une des jeunes formations les mieux rodées. Sa musique s’inspire autant de Charlie Mingus, époque petit combo, que de la musique contemporaine et se présente souvent comme des petites suites. L’attention du public est requise car le groupe ne pratique pas les habituelles séquences du jazz (exposition-chorus) dans un festival où le public a été formé à ça. Le pari fut réussi malgré parfois quelques silences interrogateurs. Pour le rappel, Olivier Lalauze a proposé un thème sur la Guerre d’Espagne, revu et corrigé dans l'esprit du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden.

Le dernier concert du festival était très attendu, avec le programme annoncé en deux parties, musique profane-musique sacrée, du Duke Orchestra de Laurent Mignard qui consacre son travail à une relecture proche de l’original de l’œuvre de Duke Ellington (cf. Jazz Hot n°656). Le concert avait lieu à guichets fermés, ce qui a été le cas de la plupart des soirées, et, ce soir-là, on a refusé du monde…

Duke Orchestra-Laurent Mignard © Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis

La première partie a été l’occasion de constater que l’orchestre a les moyens artistiques de ses ambitions, et le public a répondu par une belle ovation à un set de haut niveau. Sur les «standards» du répertoire ellingtonien «I’m Beginning to See the Light», «Take the ‘A’ Train» (chorus Philippe Milanta, Jérôme Etcheberry), «Cotton Tail» (Carl Schlosser, Fred Couderc), «Rocks in My Bed» (Sylvia Howard), «Just Squeeze Me» (Sylvia Howard, Jérôme Etcheberry), etc., l’orchestre répond au défi avec beaucoup d’énergie, de mise en place et de sensibilité à cette musique. Le savant et grand pianiste Philippe Milanta est l’élément indispensable de l’ensemble comme en témoigne l’extraordinaire «Rockin’ in Rhythm», et Jérôme Etcheberry apporte ses contrechants et sa puissance à la Cootie Williams, quand Richard Blanchet colore l’ensemble de ses aigus dans la tradition de Cat Anderson. Myra Maud, présente la veille, est à nouveau de la fête, et c’est sur un «It Don’t Mean a Thing» incandescent, en présence des deux chanteuses et du danseur Fabien Ruiz (claquettes) que se termine ce premier set exceptionnel.

Duke Orchestra-Laurent Mignard-Philippe Milanta, Myra Maud et Sylvia Howard © Ellen Bertet

La seconde partie proposait une relecture de la musique sacrée de Duke Ellington, l’orchestre étant soutenu pour l’occasion par deux chorales (Chorale du Pays d’Aix, Chorale Free Son). Si le travail est encore ici considérable, la réussite est moindre. La musique religieuse américaine, même celle du Duke, nécessite une certaine ferveur qu’ont pu rendre les deux chanteuses, elles-mêmes de cette culture ou de ce feeling, mais étrangère au reste de l’orchestre et surtout aux chorales. Très attentifs au respect de cette musique, ils ne possèdent pourtant pas cette conviction intérieure nécessaire à ce registre. Bien sûr le «Come Sunday», immortalisé par Mahalia Jackson et Duke Ellington, reste un magnifique moment, et cela n’enlève rien ni au talent, ni au travail exceptionnel de cet ensemble pour cette partie du répertoire, mais si le jazz d’Ellington, dans sa tradition instrumentale non sacrée, peut supporter des relectures extérieures au monde afro-américain, fidèles ou moins fidèles, pour peu que les instrumentistes solistes aient une vraie intériorisation du blues et du swing et un respect de l'œuvre, cela devient contestable pour la musique à vocation religieuse ou le blues, la voix ne pardonne pas. L’ensemble manquait d’âme, malgré les excellentes Sylvia Howard et Myra Maud, un Philippe Milanta hors pair et un chef très pédagogique.

Cela n’empêcha pas une conclusion enthousiaste, un public debout et une fin de festival chaleureuse, où Laurent Mignard –qu'il faut féliciter pour l'étendue de son travail autour de l'œuvre d'Ellington, un grand compositeur du XXe siècle– n’en finissait pas de remercier avec son talent de showman, et son humour, un Léandre Grau et son équipe (une sonorisation de big bands sans faute pendant une semaine, bravo!) qui le méritent, et qui ont eu droit, tout au long d’un festival bien rempli et pourtant convivial, sans service d’ordre intempestif, aux éloges de tous les orchestres, pour le son, l’organisation, l’accueil et l’ensemble.

Un festival de jazz, avec un programme jazz, populaire à tous les sens de l’adjectif, qui ne sombre pas dans la mondanité, est donc encore possible, et c’est tant mieux pour le jazz qui retrouve ses valeurs!


Yves Sportis
Photos Ellen Bertet, Christian Palen et Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis

© Jazz Hot n° 677, automne 2016



1/8/2016
Tartôprunes
Valentin Halin (tp), Romain Morello (tb, arr, dir), Arnaud Farcy (as), Ezequiel Celada (ts),
Bastien Roblot (voc, g), Caroline Such (clav), Clément Serre (g), Philippe  Ruffin (g), Alexandre Chagvardieff (b), Maxime Briard (dm)
Big Band de Pertuis
Léandre Grau (dir, arr)
Alice Martinez (voc)
tp: Yves Douste, Lionel Aymes, Nicolas Sanchez, Roger Arnaldi, Valentin Halin
tb: Yves Martin, Loni Martin, Romain Morello, Hugo Soggia,
Tuba contrebasse:
Bernard Jaubert
sax: Christophe Allemand (ts, fl), Michaël Bez (as), Yvan Combeau (as, fl), Laurence Arnaldi (ts),
Arnaud Farcy (as), Jérémy Laures (bar)
Yves Ravoux (p), Bruno Roumestan (b), Gérard Grelet (g), Maxime Briard (dm)

Big Band de Pertuis © Christian Palen


2/8/2016
Phocean Jazz Orchestra

Thierry Amiot (dir, tp)
tp: Augustin  Héraud, Benjamin Deleuil, Pierre-Olivier Bernard, Fan Hao Kong
tb: Hugo Soggia, Bertrand Chappa, Félix Perreira, Alain Delzant (btb)
sax: Thomas Dubousquet (as), Aurore Guidaliah (as), Antoine Lucchini (ts) Thierry Laloum (ts), Samuel Modestine (bar)
Jean Sallier-Dolette (p, clav), Franck Blanchard (b, cb), Nicolas Reboud (dm)

Phocean Jazz Orchestra © Christian Palen



3/8/2016
Azur Big Band
Olivier Boutry (dir, as)
tp: Philippe Giuli, Jean Vincent Lanzillotti, Cyrille Jacquet, Benoît Roiron
tb: Bela Lorant, Gilles Barrosi, Jean-Louis Zanelli, Cyril Galamini
sax: Michael Labour (as), Eric Polchi (ts), Alexis Roiron (bar)
Philippe Villa (p), Michel Romero (b), Olivier Giraudo (g), Max Miguel (dm)
voc: Jilly Jackson, Ricky Lee Green

Azur Big Band © Christian Palen


5/8/2016
Lutz Krajenski Big Band

Lutz
"Hammond” Krajenski (dir, arr, p, clav)
tp: Axel Beineke (tp, flh), Benny Brown (tp, flh)
tb: Andreas Barkhoff, Sebastian John
sax: Ulrich Orth (as, fl), Thomas Zander (bar, fl), Gabriel Coburger (ts, fl), Felix Petry (as, fl)
Hervé Jeanne (b, elecb),
Matthias Meusel (dm)
voc: Myra Maud, Ken Norris

6/8/2016
Duke Orchestra-Laurent Mignard

Laurent Mignard (dir)
tp: Jerôme Etcheberry, Sylvain Gontard, Gilles Relisieux, Richard Blanchet
tb: Jerry Edwards, Michaël Ballue, Nicolas Grymonprez
sax: Fred Couderc (ts), Carl Sclosser (ts), Didier Desbois (as) Aurélie Tropez (as, cl), Philippe Chagne (bar)
Pierre Maingourd (b), Philippe Milanta (p), Julie Saury (dm)
Myra Maud (voc), Sylvia Howard (voc), Fabien Ruiz (claquettes)
Chorale du Pays d’Aix, Chorale Free Son

 
Herlin Riley, Marciac 2016 © Michel Laplace
Marciac, Gers


Jazz in Marciac, 29 juillet au 15 août 2016


Les considérations générales (lieux de spectacles) n'ont pas changé. Mais cette année, un choix s'impose pour ces 17 soirées données parallèlement sous chapiteau et à L'Astrada (souvent deux concerts par soir). Un total de 18 jours avec 59 concerts payants, pour environ 140 gratuits au Festival Bis officiel (la place, La Péniche). Pour de multiples raisons,
ce 39e Jazz in Marciac (JiM) a connu des fléchissements de fréquentation. Il y eut les contraintes sécuritaires qui alourdissent les conditions de travail de reportage (interdicton d'accès au back stage). Sans parler des dictats des producteurs: 32 balances fermées pour 29 ouvertes. La programmation «diverse» est typique de JiM (cf. Hot News). Abordons des moments choisis de ce que nous avons pu entendre.

La trompette lance le festival, le 29, via le Bis, à 11h30 avec le jeune Niels' Trio d'où se détache Noé Codjia (tp) qui donne toute sa dimension expressive en tempo lent (beau son, sobriété, feeling et gestion de la tension: «Alfie» de Rollins). Puis c'est la première prestation de Malo Mazurié (tp), solide et inspiré dans le funky Sophie Alour (ts, ss) 5tet («Unsatisfied» de Stanley Turrentine avec Hugo Lippi, genre Grant Green, et Fédéric Nardin, org), avant la soirée sous le chapiteau où, en première partie du récital Diana Krall (sous influence King Cole, avec l'excellent Bob Hurst, b, «Let's Fall in Love», «I've Got You Under My Skin»), Christian Scott (tp) a fait sa seconde apparition ici (Stretch Music). Une musique dense où contrastent le style «exaspéré» de Braxton Cook (son à la Jackie McLean) et la paisible Elena Pinderhugues (fl) sur un drumming binaire («New Heroes»). Christian Scott joue en force et que dans la nuance ff. Ses effets sur le travail du son dans le micro retiennent l'attention («Last Chieftain»).

Le 30/07, nous avons choisi, à L'Astrada, la rencontre du Quatuor Debussy et du duo Jean-Philippe Collard-Jean-Louis Rassinfosse: un traitement du son classique avec les improvisations du pianiste (dans leur adaptation du Concerto en fa mineur pour clavecin de Bach, la lecture stricte de la partition balance plus que les développements).

Le 31/07, avant une démonstration d'énergie par les frères Moutin, nous avons eu l'excellente performance du Nicolas Folmer Electric Group. Folmer s'inspire du Miles Davis des années 1970 (pédale wa-wa) et 1980. Il délivre une musique spectacuaire (thèmes-riffs accrocheurs comme «Safari»), bien épaulé par Laurent Coulondre (org), Damien Schmitt (dm) et le «guitar hero» Olivier Louvel («Jungle Rock»). Sur tempo rapide les souffleurs jouent avec la précision d'un ordinateur. A noter un passage en duo «section de trompettes» (grâce à l'électronique) et drums, et bien sûr le son avec la sourdine harmon notamment dans «Kiss kiss bang bang» (médium répétitif, avec changement de tempo pour le solo décapant d'Antoine Favennec, as).

Le 1/08, 7000 personnes sous le chapiteau venues pour Ibrahim Maalouf (synthé, tp) et son show «participatif» Red & Black Light (lumières, volume sonore, rythmique rock)! Son introduction dans «Improbable» est une démonstration du son arabe à la trompette (utilisation du 4e piston mais aussi bends avec les lèvres). A cette occasion, Stéphane Belmondo put jouer (magnifiquement) devant une vaste audience. En trio (Thomas Bramerie, b, Jesse Van Ruller, g), il nous a délivré son programme Love for Chet, surtout au bugle (son rond, chaud). Nous avons tout spécialement apprécié «la chanson d'Hélène» de Philippe Sarde tirée du film Les choses de la vie, où il souffle les notes sans attaque pour plus de feeling.


Ellis Marsalis, Jesse Davis, Darryl Hall, Mario Gonzi © Michel Laplace

Le 2/08, Ellis Marsalis a offert un bref concert (1h30) strictement bop, avec des références à Monk («Rhythm-A-Ning», «Evidence», «Epistrophy») et un «Broadway» très réussi (citation de «Straight No Chaser» du très parkerien Jesse Davis et excellent solo de Darryl Hall).

Le 3/08, la charmante Cyrille Aimée a fait dans la variété (de «T'es beau, tu sais» créé par Edith Piaf à «But Not for Me» en duo avec Shaw Conley, b, en passant par «Three Little Words» avec solo à la Django d'Adrien Moignard), puis, comme l'an dernier (cf. compte-rendu), Lisa Simone s'est imposée par son sens de la scène et une ferveur digne d'une chanteuse gospel («Work Song» torride). Elle sait chanter le blues («Don't Wanna Go», Hervé Samb, g -passé en Bis avec son groupe).

Le 4/08, Ahmad Jamal a donné en exclusivité «Marseille» chanté en français et anglais par Mina Agossi en début de soirée: bon motif mélodique. Dès le second titre, Herlin Riley (dm) a confirmé sa stature unique (bons solos de James Cammack, b, Manolo Badrena, perc). Jamal a utilisé des mélodies simples ou connues («Perfidia», «Poinciana») et un style de piano, sobre et très percutant (ce qui, avec ses trois accompagnateurs, nous a valu une orgie rythmique).

La soirée contrebasse (5/08) permit d'apprécier avant le virtuose Avishai Cohen (bonne version de «A Child Is Born») la formation de Kyle Eastwood augmentée de Stefano di Battista (as, ss) qui ne manqua pas de swing («Boogie Stop Shuffle» de Mingus, bons solos de tous; «Marciac» avec Quentin Collins au bugle; «Blow the Blues Away» avec alternative Brandon Allen-di Battista-Collins).

Retour aux cuivres le 6/08, avec la 6e rencontre du LTP3 et d'une harmonie: celle de Roquefort des Landes (dir. Sylvie Labèque). Compositions (festives, souvent dansantes) de Michel Marre (flh, tp de poche) tant à quatre («Etoile Rouge», «Down to the Festa»,…) qu'avec l'harmonie («Mestre 'Amor» d'après «You Don't Know What Love Is», «Bagad Cafe» avec multiphonie du tubiste,…). Feu d'artifices de cuivres avec l'humour de Marre, la virtuosité de Jean-Louis Pommier et François Thuiller!


Young Stars of Jazz © Michel Laplace
Peu de monde sous le chapiteau le 7/08 pour la soirée dédiée à André Clergeat. Du trio Cyrus Chestnut, nous retiendrons la sonorité pleine de Buster Williams (b) («Dedication» de Lenny White). Puis, ce fut une heureuse surprise!, Wynton Marsalis avait réuni 9 jeunes artistes (et une tap danseuse, Michela Lerman) qui, connaissant parfaitement l'idiome (sonorités, swing), se sont consacrés à Duke Ellington: Julian Lee (ts, cl) a arrangé (pas de copie!) «Happy Go Lucky Local» (avec en introduction «Single Petal of Rose» joué par Lee à la Ben Webster) où Reuben Fox (ts, véhément) et Patrick Bartley (cl, genre Procope) se sont d'emblée fait remarquer, et «Creole Love Call» (beau travail de Wynton Marsalis avec le plunger, solos de Joel Ross, vib, Russell Hall, b). Puis ce furent des versions enchaînées de «Johnny Come Lately» (Mathis Picard, p stravinskien, Anthony Hervey, prodige disciple de Wynton Marsalis) et «Such Sweet Thunder» (Sam Chess, tb sweet digne de Lawrence Brown, beau son de la section de sax). Trois «head charts» ensuite: «All Too Soon» (Gabe Schnider, g, Sam Chess avec la sourdine clear tone, Fox, ts websterien), «Take the ‘A’ Train» (Wynton Marsalis et Bartley, as –inspiration libre–, démonstration stride de Picard), «Heaven» (Wynton Marsalis avec la sourdine harmon, bons solos de Schnider, Ross, Picard, et Hall avec l'archet). Sous le choc d'une telle concentration de swing, le public n'a pas voulu les lâcher. Trois bis: «Rockin' in Rhythm» (alternative de ténor entre Fox et Lee qui a un son plus large, solo de Kyle Poole, dm, Bartley, cl et conclusion avec «Single Petal of Rose»), «Blood Count», ballade à la Hodges (Bartley) interrompue par un «Portrait of Louis Armstrong» (alternative Anthony Hervey-Wynton Marsalis...match nul!!!) et «Take the ‘A’ Train» (Herlin Riley remplaçant Poole: excellents solos de Ross, Chess, Hervey, Marsalis, Bratley, Lee, Fox, Schnider, Picard, Hall et...Riley!). Il fallait tout décrire, car ce fut LE concert jazz de ce 39e Festival.

Soirée des riffs funk le 8/08 avec Fred Wesley (tb, voc) en première partie (Gary Winters, tp-flh, solide) d'un Maceo Parker épaulé par Greg Boyer (tb) (bref «Satin Doll» du leader pour démontrer qu'il n'est pas jazzman).

Kamasi Washington (ts), par sa sonorité massive, s'apparente à John Coltrane-Albert Ayler (9/08).

L'alliage voix-ténor-trombone (Ryan Porter) est intéressant et son traitement de «Cherokee» original. Abraham Mosley est un peu le Jimi Hendrix de la contrebasse. Même filiation coltranienne chez David Sanchez (ts, perc) en quartet (10/08).

Lucky Peterson © Michel Laplace



Lucky Peterson (org, voc) a préludé son Tribute to Jimmy Smith du 11/08 par un passage au Bis en trio (Kelyn Crapp, g, Herlin Riley, dm) d'une heure et demie, 2 jours plus tôt («The Champ», etc). Sous le chapiteau son concert fut de premier ordre, entouré des mêmes et de Keith Anderson (ts, as) (beau prêcheur dans «Purple Rain»). L'invité officiel, Nicolas Folmer, fut bon dans «Everyday I Have the Blues», l'invité surprise, Wynton Marsalis, a pris un solo dans «Blues in B flat». Le Wynton Marsalis 5tet a ensuite occupé la scène (avec en invité Herlin Riley, tambourin, dans «My Soul, My Jazz»). Musique de haut niveau (un seul bis) par une équipe très soudée (Walter Blanding, ts-ss, Dan Nimmers, p, Carlos Henriquez, b, Ali Jackson, dm) autour du leader bon dans la ballade («The Very Thought of You») comme dans l'utilisation du plunger («America»).




Charles Lloyd © Michal Laplace



Le 12/08, Charles Lloyd s'est présenté entouré de Jason Moran (p, bon dans ce contexte), Harish Raghavan (b, solide) et Eric Harland (dm). Au ténor, il retrouve l'aspect serein de Coltrane dans les ballades («How Can I Tell You?») et il opte pour la flûte sur des motifs dansants («Tagore»).
Le torride James Carter (ts, as, ss) lui fit suite avec Gerard Gibbs (org, excellent) et Alex White (dm) dans un programme prenant Django en alibi («Manoir de mes rêves», «Valse des niglos», etc.): ampleur de son (ténor), slap tongue, multiphonie, respiration circulaire et swing.




Le 13/08, soirée dédiée à Michel Petrucciani par Philippe Petrucciani (g) et Nathalie Blanc (voc): certains titres sollicitaient Nicolas Folmer (tp, grande forme: «c'est une carioca»), Francesco Castellani (tb), Sylvain Beuf (ts, ss), et en invité André Ceccarelli (dm).




L'Astrada a terminé le 14/08 par le fervent gospel, surtout instrumental, des Campbell Bros (la steel guitar de Chuck et Darick Campbell évoque la voix; Phil Campbell, g-voc, aurait fait un bon bluesman, mais «Hell no, Heaven yes”!).


Darick Campbell, Phil-Campbell, Carlton Campbell © M-Laplace

Le festival Bis, comme chaque année propose des talents médiatiquement négligés. Nous avons remarqué le virtuose Bastien Ribot (vln) (30/07, invité du Corsican Trio: «Night in Tunisia»), Julien Alour (tp, flh) en 5tet (31/07, François Theberge, ts: «Blue Monk», «Big Bang»), Antoine Hervier (p) (hommage à Oscar Peterson), Pierre Christophe 4tet (1/08, Fabien Marcoz, b, Mourad Benhamou, dm, Olivier Zanot, as disciple de Paul Desmond: «Fats Meets Erroll»), le swing de Guillaume Nouaux (3/08, Paul Chéron 6tet: «Pee Wee's Blues»), Francis Guéro (tb) (6/08, Ting a Ling: «You Always Hurt», «Girl of My Dreams»), Philippe Petit (org) (6/08 avec Florence Grimal, voc: «Gone with the Wind», «Lady is a Tramp»), Mélanie Buso (fl) (7/08, Music'Halle Toulouse: «Another Stupid Death»), les Soul Jazz Rebels (10/08, Jean Vernheres, ts, Hervé Saint-Guirons, org, Cyril Amourette, g, Tonton Salut, dm), Alain Brunet (flh, tp) (Sylvia Howard-Black Label: «In a Sentimental Mood», 13/08, «Lover Man», 14/08), Damien Argentieri (p) (13/08, Véronique Hermann: «Sweet Georgia Brown»), la soul de Nicole Quinteta Whitlock alias Ms Nickki (14-15/08, «Big Girl», «Stand by Me»,...) et le funk de Nicolas Gardel (tp virtuose) (14/08, Headbangers: «What is this thing called jazz?»).

Ces bons moments vécus masquent les profonds changements sociaux. Que seront les 40 ans de JiM?


Michel Laplace
Texte et photos

© Jazz Hot n° 677, automne 2016

Fano, Italie


Jazz by the Sea, 28-30 juillet 2016


Après quelques années d'une restructuration due aux lourdes coupes dans le financement, Fano Jazz by the Sea a relancé son activité avec une 24e édition riche de points de réflexions et de propositions réparties dans des lieux divers selon un projet bien défini.
Les concerts grand public avaient lieu au Teatro della Fortuna où l’on a vu défiler des protagonistes –avec l’immanquable succès public– tels que le trio Scofield-Mehldau-Guiliana, Yellowjackets, le Volcan Trio (les Cubains Gonzalo Rubalcaba, Armando Gola et Horacio «El Negro» Hernández) et le Kenny Garrett Quintet.



Phronesis © Maurizio Tagliatesta by courtesy of Fano Jazz by the Sea


Les événements programmés dans la Corte Sant’Arcangelo pour être sur un créneau plus confidentiel, n’en sont pas moins intéressants. Guidé par le bassiste danois Høiby, Phronesis est une des formations les plus intéressantes de la scène européenne actuelle. La poétique du trio est basée sur une interaction constante faite de continuels échanges de stimulations et de signaux. Les compositions reposent sur une harmonie ouverte, des implantations modales, des structures polyrythmiques développées avec un recours aux mètres impairs, des passages en tempo libre, et des thèmes d’une articulation dense. Høiby dirige les exécutions avec un phrasé fluide et dialectique qui rappelle de loin Gary Peacock, et un son somptueux qui d’une certaine manière rappelle son regretté compatriote Niels-Henning Ørsted Pedersen. En collaboration et en contraste en même temps, le Norvégien Anton Eger se distingue par un drumming fiévreux et découpé, et par des décompositions et des fractures continuelles, enrichi par une attention particulière aux timbres. L’Anglais Ivo Neame (p) intègre le dialogue en produisant une confrontation profitable sur des plans verticaux et horizontaux, creusant à fond la substance harmonique par des interventions incisives.



Lars-Danielsson Group © Maurizio Tagliatesta by courtesy of Fano Jazz by the Sea


Sur la base des deux récents volumes des Liberetto, le contrebassiste Lars Danielsson fait preuve d’une prédilection pour les harmonies riches et ensorceleuses, et des thèmes finement ciselés, souvent sur la base de mélodies chantantes. Dans cette formulation, se localisent aussi bien l’infrastructure classique que les racines du folk scandinave et d’autres formes de la tradition populaire européenne, comme la Passacaglia in 4/4 le met en évidence, élaboration de la structure conventionnelle en 3/4. Il en résulte une proposition musicale plaisante, ingénieusement construite, mais à traits très narcissiques, et finalement trop méticuleuse dans les détails, qui n’exclut pas l’improvisation mais renonce à affronter le moindre risque. Dans ce cadre l’habileté des musiciens passe au premier plan de toute façon. En premier lieu le pizzicato limpide du leader à la manière d’un violoncelle, particulièrement dans les intros et les interventions en soliste. La dynamique hétérogène de Magnus Öström (ancien batteur de E.S.T.) obtenue par les balais et les différents types de baguettes, est en équilibre entre le swing, les rythmes binaires d’origine rock et son jeu frénétique et proverbial entre la charleston et la caisse claire. D’autre part la science rythmico-harmonique de John Parricelli (g) et sa discrétion dans la distribution des timbres, est « transgressée », seulement dans un long solo au phrasé rock et en couleurs blues. Pour finir, le toucher rythmique de Grégory Privat (p), remplaçant Tigran Hamasyan, nous valut quelques progressions en solo basées sur des séquences télégraphiques et vertigineuses.



Roberto Gatto Special Quartet © Maurizio Tagliatesta by courtesy of Fano Jazz by the Sea


Chargé par la direction artistique de Fano Jazz de présenter un nouveau projet, Roberto Gatto a rassemblé une formation de musiciens avec lesquels il collabore dans des contextes différents: le fidèle Dario Deidda (b), Sam Yahel (p) et Javier Vercher (ts). Malheureusement il a déçu les attentes en proposant un répertoire composé de peu d’originaux et de nombreux standards exécutés avec le critère habituel de la succession des expositions du thème-séquence, avec des solos en reprises du thème. C’est dommage car le début informel, en tempo libre et glissements atonaux, avait laissé présager des développements des plus intéressants. Une version en trio piano de «Moonlight in Vermont» a fait exception, jouée sur la pointe des pieds avec des pauses savantes et de subtiles dynamiques. On a évidemment apprécié la maîtrise individuelle des membres du groupe: le swing fluide et décontracté, la gamme dynamique du batteur; l’invention mélodique de Deidda capable de faire sonner l’instrument électrique comme une contrebasse; le jeu de soustraction et les phrases essentielles de Yahel, un talentueux spécialiste de l’orgue Hammmond dans d’autres contextes; le timbre puissant, voisin de celui de Joe Henderson, de Vercher.



Sur la base d’une heureuse intuition du directeur artistique Adriano Pedini, la Pinacoteca di San Domenico accueillit une exposition des concerts de l’après-midi sous le titre Gli echi della migrazione, on ne peut plus en phase avec les événements de ces dernières années. Evénements sonores en solos, tout à fait appropriés à la dimension acoustique de l’église désacralisée, qui ont vu se succéder le trompettiste Luca Aquino, le percussionniste Michele Rabbia et les saxophonistes Dimitri Grechi Espinoza et Gavino Murgia.

Oreb-Preghiera Sonora de Grechi Espinoza est un vrai projet, quant au son et aux structures. On pourrait le définir comme une « architecture sonore », étant donné qu’il exploite précisément l’interaction entre les espaces et les volumes architectoniques. L’opération est née des expériences réalisées dans le «duomo romanico di Barga», qui s’est ensuite concrétisée par un enregistrement effectué au baptistère de Pise et visibles sur Angel’s Blows. Grechi Espinoza construit un monologue-dialogue intérieur grâce à la réverbération naturelle. La voix du ténor se prête bien au projet par sa gamme de timbres particuliers et dynamiques. Dans les mouvements qui composent la suite, Grechi Espinoza développe des cellules mélodiques avec une méticulosité de chartreux, procédant par accumulation et stratification progressives, créant par moments des passages contrapuntiques. Plus que le phrasé, l’élément jazzistique de l’opération s’individualise dans l’énoncé et dans le procédé exécutif  qui ne renonce pas à l’improvisation, ou à une citation occasionnelle, comme il advient dans le cas des structures élaborées sur la base d’un minuscule fragment de «’Round Midnight». L’auditeur assiste à une longue prière affligée qui s’extériorise en un blues réduit à son essence et élevé au rang de spiritual.



Profondément attaché à ses racines sardes natales, Murgia remplit de façon exemplaire le rôle d’un musicien européen moderne capable de greffer le langage du jazz sur le substrat de sa propre culture, les repeignant avec des instruments traditionnels, mais toujours avec le filtre de l’improvisation. Murcia est également membre d’un quartette vocal sarde spécialisé dans les chants traditionnels a tenore. Par la suite, il exploite son registre de basse et certains traits gutturaux, soit pour exécuter un solo riche de dynamiques et de multiplications de cellules rythmiques, soit pour préparer une base polyphonique d’échantillons sur laquelle improviser au soprano. Murgia maîtrise aussi les instruments sardes traditionnels comme il sulittu (flûte piccolo, ou zufilo en canne), et les antiques launeddas, anches jouées avec la technique du souffle continu, formé d’une double canne avec laquelle on crée un bourdon, et une canne seule avec laquelle on exécute la mélodie. Le lien avec sa terre se perçoit dans l’approche plus délicieusement jazzistique; dans le phrasé sinueux du soprano, en pleine dialectique avec la réverbération de l’église, ou sur une base préenregistrée; dans la voix puissante du ténor qui se superpose à un fond électronique. Une poétique qui place Murgia sur les traces des expériences réalisées par John Surman et Jan Garbarek, mais qui révèle en même temps une identité forte et bien définie.



Dans le merveilleux décor nocturne de l’église en ruine de San Francesco, l’exposition YoungStage a proposé un thème cher à Fano Jazz, qui montre une belle attention aux jeunes musiciens italiens. Parmi les concerts, on a distingué le trio du contrebassiste Matteo Bortone, très actif sur la scène française. Bortone, Enrico Zanisi (p) et Stefano Tamborrino (dm) sont non seulement des talents émergents qui s’imposent, mais ils témoignent du fait d’avoir dépassé la dépendance aux modèles afro-américains, définissant ainsi une identité et une poétique originales. Les compositions de Bortone mettent en évidence une conception architectonique accomplie, minimaliste et de tempos libres. On perçoit à l’intérieur un sens mélodique aigu, libéré de la stricte dépendance au thème. Assez souvent, en fait, on assiste à un renversement du déroulement performatif. Ils séparent l’empathie et la syntonie avec lesquelles Bortone et ses collègues contribuent au processus de l’improvisation. Zanisi apporte des interventions concises et prégnantes, avec un toucher limpide, quasiment classique et avec un riche langage harmonique. Bortone privilégie les lignes sèches, les pédales, et les phrases essentielles et en même temps mélodiques. Tamborrino complète le cadre avec une ample gamme dynamique, une nette propension pour les couleurs et une rare capacité d’écoute. Une démonstration efficace et peu commune de comment on devrait interpréter le piano trio aujourd’hui. Et c’est aussi la confirmation (l’énième)  que l’avenir des festivals de jazz en Italie ne peut faire abstraction d’une promotion adéquate du riche réservoir de nouvelles idées que la scène nationale propose.

Enzo Boddi
Traduction Serge Baudot
photos Maurizio Tagliatesta by courtesy of Fano Jazz by the Sea


© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Hugh Coltman © Valentine Kieffer by courtesy of Marseille Jazz des Cinq Continents


Marseille, Bouches-du-Rhône



Marseille, Jazz des Cinq Continents, 20-29 juillet 2016





Pour cette
17e édition, le Marseille Jazz des Cinq Continents (MJ5C) était associé à différentes manifestations, regroupées dans son programme sous l’appellation «Marseille Heure du jazz» qui ont commencé dès le 2 juin. Ces différents concerts, expositions, films, conférences, master-classes, présentés dans de beaux parcs (Maison Blanche, de la Moline), des Bibliothèques (l’Alcazar, Gaston Defferre), le Conservatoire national de région ou des hôtels, a permis d’élargir le public et d’animer différents points de la ville. On retiendra, la petite exposition «ECM, une autre esthétique du Jazz» inaugurée en présence de Manfred Eicher, son fondateur toujours très sobre et précis, avec en fond musical le percussionniste Don Moye en trio. On passera rapidement sur l’exposition «Accordé O Jazz» consacrée aux archives musicales du Mucem qui semblent bien pauvres ou mal exploitées, avec néanmoins la présence en vidéo du regretté guitariste marseillais Claude Djaoui. Côté masters classes, elles étaient animées par Thomas Bramerie (b), André Ceccarelli (dm) et Didier Lockwood (vln), musiciens qu’on retrouva en concert durant le festival, ces manifestations bénéficiant a priori d’autres budgets gérés par chacun des organisateurs.

Acte 1-Toit terrasse de la Friche de la Belle de Mai
Mercredi 20 Juillet–Ilhan Ersahin’s Istanbul Sessions: Ilhan Ersahin (ts), Alp Ersonnez (b), Turgut Alp Bekogiu (dm), Itzen Kizil (perc)
Le coup d’envoi a été lancé par un concert électrique du saxophoniste turc, Ilhan Ersahin, sur le toit terrasse de la Friche de la Belle de Mai. Cet espace rassemble un public jeune, souvent habitué de ce lieu ouvert le soir en été. Il faut dire que le concert était gratuit et que la soirée sous les étoiles était attractive. A son habitude, ce groupe a donné toute sa fougue à une musique puisée dans sa tradition orientale revisitée par l’électro-jazz. Ilhan Ersahin anime à New York son propre club ouvert à l’underground qui brasse largement toutes les tendances et les mouvances actuelles. En fait, c'est un des rares résidents new-yorkais du festival. Le groupe s’était produit à Marseille il y a quelques années en compagnie d’Erik Truffaz.

Didier Lockwood © Valentine Kieffer by courtesy of Marseille Jazz des Cinq Continents



Acte 2-Théâtre Sylvain

Jeudi 21 juillet-Didier Lockwood Quartet: Didier Lockwood (vln), Antonio Farao (p), André Ceccarelli (dm), Darryl Hall (b)
Didier Lockwood, musicien familier de Marseille (il prépare d’ailleurs un spectacle sur Léo Ferré avec le comédien-metteur en scène Richard Martin), proposait un groupe composé de valeurs sûres permettant notamment de retrouver le pianiste italien Antonio Farao rare sur les scènes locales. Dans le cadre magnifique du Théâtre Sylvain,
bel amphithéâtre très bien éclairé sur la Corniche, retrouvait son lustre d’antan (fin XIXe siècle). Si le concert ne fut pas des plus originaux, le professionnalisme de l’équipe assura un premier set agréable.

Lars Danielsson European Sound Trend: Lars Danielsson (cb), Cæcilie Norby (voc), Itamar Borochov (tp), Iiro Rantala (p) Theodosii Spassov (kaval ) Gérard Pansanel (g) Hussam Aliwat (oud) Wolfgang Haffner (dm). Ce nouveau groupe European Sound Trend, dirigé par le contrebassiste suédois, était la création maison du MJ5C. Avec cette création, le festival voulait symboliser son ancrage dans un jazz ouvert à tous les continents. Tout d’abord la distribution était à cette image, car elle réunissait des musiciens venus (dans l’ordre) de Suède, Danemark, Israël, Italie, Finlande, Bulgarie, France, Palestine et Allemagne, et se voulait ouverte à des sources d’inspiration populaires ou classiques. Le mélange, malgré les risques, fut réussi, et le public fut touché par cet ensemble a priori hétéroclite. On connaissait ce musicien nordique pour ses albums chez Act, toujours bien réalisés. Cette première (a priori sans autre point de chute pour le moment) permet de vérifier son talent de rassembleur dans une formule originale. Ce groupe devrait trouver preneur, nous le lui souhaitons, dans le réseau des festivals de l’Association Jazzé Croisé dont le MJ5C fait partie. Affaire à suivre.

Jan Garbarek et Trilok Gurtu © Valentine Kieffer by courtesy of Marseille Jazz des Cinq Continents


Vendredi 22 Juillet-Jan Garbarek featuring Trilok Gurtu: Jan Garbarek (sax pic/ts), Trilok Gurtu (perc, dm, voc), Yuri Daniel (b), Rainer Bürninghaus (clav,p). Qui mieux que Jan Garbarek, à part Keith Jarrett, pouvait représenter le label ECM, musicien symbolique du label allemand. A noter que le label a enregistré, depuis ses débuts, la majeure partie de sa production au Talent Studio à Oslo en Norvège, pays de Garbarek. Dans un amphithéâtre quasi complet et sous le chant des cigales, Jan Garbarek, démarre son set au piccolo sax avec un maîtrise parfaite, soutenu par un groupe rodé. Pour un second titre au ténor, son staff est au complet et vraisemblablement c’est son ingénieur du son qui est aux manettes, hyper basses qui couvrent un peu la voix et pad électronique de Trilok Gurtu, un morceau un peu trop répétitif mais qui plaît au grand public. Trilok Gurtu se distinguera dès le troisième morceau, tirant la couverture à lui et soulevant l'enthousiasme du public. Jan Garbarek a toujours divisé les amateurs de jazz, certains le rangeant dans une froideur nordique, seulement sauvés par ses anciennes collaborations avec Jarrett ou Egberto Gismonti, d’autres le plaçant au sommet des musiciens européens. Il est sûr que ce n’est pas un musicien qui swingue mais force est de reconnaître que certains passèrent une belle soirée. Il ne s’était pas produit à Marseille depuis fort longtemps.

Acte 3-Mucem
Samedi 23 Juillet-Sarah McKenzie: Sarah McKenzie (voc, p), Joe Caleb (g),
Pierre Boussaguet (cb), Marco Valeri (dm).
Sous un ciel orageux, la soirée a pu commencer avec un léger retard et un léger changement d’ordre de programmation. On passera sur la mauvaise organisation de l’accueil
du Mucem (qui se renouvèlera le lendemain) pour se rattraper sur les belles visions nocturnes et les paysages que nous offre ses remparts. Dans la lignée des nouvelles chanteuses (et ici aussi pianiste), la belle Sarah McKenzie très sympathique et très pro’ nous interpréta, avec une belle assurance, le répertoire de son dernier disque. Répertoire classique, compositions personnelles et encore jazz bossa, devenu le passage inévitable pour «se vendre» dont on peut préférer les versions originales. Reste une question, voire deux: est-ce parce qu’elle est signée sur le label Impulse! (légendaire mais cédé à de nombreuses reprises depuis l'origine) ou parce qu’elle est australienne que son étoile brille bien plus que de nombreuses autres chanteuses plus authentiques. Bien fait, bien propre, mais aucune trace de blues dans se prestation, bien épaulé avec notamment l’excellent contrebassiste Pierre Boussaguet.

Onefoot: Yessaï Karapetian (clav, fl), Marc Karapetian (b, synt), Marc Font (dr, sampling). Le jeune groupe marseillais qui monte, d’abord à la capitale où les deux frères Karapetian se retrouvent au Conservatoire national supérieur de musique dans la classe de jazz, dirigé par Riccardo Del Fra, et sur la scène nationale avec la signature chez un producteur important dans le réseau electro et funk. Après un premier EP paru fin juin, des dates dans des scènes de musiques actuelles, des concerts remarqués aux Transmusicales de Rennes, au Festival de Vienne, à Jazz à la Défense, sans décrocher hélas de prix, le groupe affrontait une scène importante à Marseille. Livrant une musique électrique fraîche, sans compromis mais dans son époque, il n’hésita pas à interpréter deux titres emblématiques d’Arménie, prouvant à son auditoire que la transition peut se faire dans la tradition, certes bien revisitée et mondialisée. Disposant d’un temps de balance assez court (dû aux intempéries), le groupe réussit quand même à avoir son «son», servi par son technicien (Fabien Terrail). Sans aucun doute le groupe le plus filmé, enregistré et retransmis sur les réseaux sociaux.

Minuit 10: Thibaud Rouvière (voc,g), Sylvain Rouvière (g,cl,voc), Mathis Regnault (bs, voc), Etienne Rouvière (dr,pad elec,voc). Issu de l’Institut musical de formation professionnelle de Salon-de-Provence, cette jeune formation s’intègre dans la lignée d’un jazz rock progressif. Découvert grâce au réseau Jazz Emergence qui réunit des écoles de musiques, Minuit 10 était le coup de cœur du Conseil Départemental. Une autre fratrie pour une musique électrique. Ces deux jeunes groupes prouvent que le jazz intéresse la jeunesse et peur élargir un public qui ce soir là était déjà intergénérationnel.

Kyle Eastwood et Quentin Collins © Valentine Kieffer by courtesy of Marseille Jazz des Cinq Continents




Kyle Eastwood
: Kyle Eastwood (b, cb),
Quentin Collins (tp) Brandon Allen (saxes), Andrew McCormack (p), Chris Higginbottom (dm). Toujours très classe, ce séducteur de Kyle livra un énième concert de bonne qualité; pas de nouveauté ici, il interpréta les titres de son dernier album. Très présent sur les scènes du sud cette saison, son groupe, inchangé, à le mérite d’assurer lors de chaque représentation, un parfait équilibre de jazz classique et moderne. Très disponible, il participa à l’Alcazar à une rencontre autour de l’œuvre de son père intitulé «Eastwood after hours».




Dimanche 24 Juillet-Hugh Coltman/Shadows-Songs of Nat King Cole: Hugh Coltman (voc) Thomas Naïm (g), Gaël Rakotondrabe (p), Christophe Minck (cb), Raphaël Chassin (dm)
De «Mona Lisa» à «Nature Boy», le crooner anglais rend hommage à la voix du célébrissime chanteur de charme et pianiste, Nat King Cole, un des premiers musiciens afro-américain à avoir été admis dans la haute-société blanche. Hugh Coltman est sans aucun doute sincère et très humble devant son inspirateur; hélas, il manque un peu de conviction et le tout reste trop poli, sans doute par un trop grand respect à son icone. Terminant sur un blues, sorte d’hommage au pionnier anglais du revival de ce style outre manche, Alexis Korner, il sera salué par un public en petit nombre par rapport à la veille.

Jean-Pierre Como/Express Europa. Jean-Pierre Como (p), Hugh Coltman et Walter Ricci (voc)
, Stéphane Guillaume (sax), Louis Winsberg (g), Thomas Bramerie (cb), Stéphane Huchard (dm). En 95, Jean-Pierre Como, après ses aventures avec Sixun, signait l’album Express Paris Roma. Vingt ans après, il renouvelle le voyage qui consiste à intégrer dans le jazz la chanson, italienne en particulier. Après la création de ce nouveau projet en octobre dernier au Café de la Danse, avec presque la même équipe renforcée de quelques invités, il semblait intéressant d’écouter le résultat après maturation. Bonne surprise, le répertoire et son interprétation se sont épanouis, et le groupe sonne parfaitement. Stéphane Guillaume, en remplacement de Stefano Di Battista, donne son maximum et assure entièrement sa partie; Louis Winsberg, toujours l’esprit ouvert, contribue à l’enrichissement des compositions. On saluera la performance du jeune chanteur napolitain, Walter Ricci, qui est de plus en plus sollicité en France. Quant à Jean-Pierre Como, simple et discret, il sait diriger ses musiciens vers son but. Il est vrai que la rythmique, contrebasse, batterie n’a plus rien à prouver et sert de tremplin à maître Como. En l’occurrence, une soirée agréable marquée par le chant entre le blues, la méditerranée et la mer.
Les concerts des soirées au Mucem étaient présentés en coproduction par le MJ5C et le Mucem.

Acte 4 – Palais Longchamp
Lundi 25 Juillet-Ester Rada: Ester Rada (voc)
Chanteuse israélienne d’origine éthiopienne, Ester Rada est apparue, après une carrière d’actrice, sur la scène musicale en 2013. Sa musique, définie «comme une rencontre où s’entremêlent Ethio-Jazz, funk, soul et R&B, avec des nuances de groove issues de la black music» reflète le mélange de ses goûts et influences qui vont de Nina Simone au Fugees. Epaulée par un bon groupe, elle nous a offert une chaude première partie appréciée par un public venue en majorité pour la seconde partie.

Ibrahim Maalouf © Valentine Kieffer by courtesy of Marseille Jazz des Cinq Continents



Ibrahim Maalouf/Oum Kalthoum:
Ibrahim Maalouf (tp), Franck Woeste (p), Rick Margitza (ts), Christophe Wallemme (cb)
, Nicolas Charlier (dm).
Ibrahim Maalouf/Red & Black Light Tour-10 ans de Live: Ibrahim Maalouf (tp, cl),
Martin Saccardy (tp), Yann Martin (tp), Youenn Le Cam (biniou, fl, tp), Eric Legnini & Franck Woeste (cl, fender rhodes), François Delporte (g), Antoine Guillemestre (b), Stéphane Galland (dm). Depuis le début de sa notoriété Ibrahim Maalouf était pour la quatrième fois l’invité du festival. Une sorte d’hommage à la place qu’il tient aujourd’hui. Il fera en décembre un concert à l’AccordHotels Arena, ex-Bercy, soit une des plus grandes salles de France. Peu ou pas de jazzmen ont réussi cet exploit, mais le statut d'Ibrahim Maalouf est déjà au-delà du jazz. Salué, primé et presque béatifié, il faut admettre qu’aujourd’hui il tient une place particulière. Présent sur tous les fronts, albums, concerts, musiques de films, enseignement, son omniprésence galvanise le public qui en redemande. On le voit beaucoup plus que d’autres trompettistes talentueux du jazz, mais il faut lui reconnaître le grand mérite d’être un véritable showman.
Pour cette soirée il avait décidé d’intervertir l’ordre prévu des deux groupes pour commencer par son hommage à Oum Kalthoum, dont la tournée était déjà terminée et finir la soirée par son super groupe électrique. Les deux groupes ont plu à la grande audience, la seule soirée à guichets fermés. La célébration d'
Oum Kalthoum par le groupe fut très chaleureuse, Rick Margitza, saxophoniste méconnu (malgré son passage chez Miles Davis) se pose en alter ego du trompettiste et contribue pleinement à la réussite de ce répertoire. Le second groupe annonçait la fête et, Maalouf en maître de cérémonie, véritable Monsieur Loyal du Parc Longchamp, alluma le feu. Seul regret, un changement de plateau un peu long.

Elena Pinderhugues et Kris Funn du groupe de Christian Scott © Florence Ducommun




Mardi 26-Christian Scott/Atunde Adjuah presents Stretch Music: Christian Scott (tp, flh),
Braxton Cook (saxes), Elena Pinderhughes (fl, voc), Lawrence Fields (p, clav), Kris Funn (b), Corey Fonville (dm). Pour beaucoup la «seule soirée vraiment jazz» du festival et, hélas, un public moins nombreux, un Palais Longchamp à moitié-plein pour les optimistes, a moitié-vide pour les autres. Mais les présents, dont de nombreux musiciens, ont pu savourer deux excellents concerts donnés par des musiciens de haut niveau. Christian Scott, comme il y a deux ans sur la même scène, arrive avec un groupe très carré, en fait un vrai groupe avec des musiciens qui jouent ensemble depuis des années, et cela s’entend. Compositions originales baignées d’un esprit néo-orléannais au service d’un jazz puissant, puisant sa force dans le passé mais collant à l’actualité, un jazz vivant. Chaque soliste, le pianiste Lawrence Fields, le saxophoniste Braxton Cook, le batteur Corey Fonville et Elena Pinderhughes, merveilleuse lutine de la soirée, marquent de leur empreinte le son du groupe. Christian Scott les remerciera pour leur talent, leur fidèle compagnonnage et, dans une présentation, parfois un peu bavarde, contera leurs parcours. Quant au leader, on ne peut que saluer sa prestation, sobre efficace, concise, pleine d’imagination pour un répertoire sans cesse renouvelé, bref un grand, un vrai jazzman!

Christian Scott © Florence Ducommun


Snarky Puppy: Michael League (b, direction), Chris Bullock (sax, fl), Mike Maher (tp), Justin Stanton (tp, clav), Shaun Martin (cl) Bill Laurance (cl) Bob Lanzetti (g), Larnell Lewis (dm), Marcelo Woloski (perc).
Groupe a géométrie variable allant jusqu’à 25 membres (dont Cory Henry), Snarky Puppy a conquis un vaste public avec une dizaine d’albums et un réseau internet des plus efficaces. Vu sur la toile dans le monde entier! Avec des centaines de concerts dans les pattes, le groupe, ici en formule réduite, tourne au quart de tour, et le moteur est parfaitement réglé. Pour leur premier concert à Marseille, on aurait pu espérer un plus grand nombre de fans, mais le groupe a rempli son contrat. Véritable machine, Snarky Puppy enchaîne les titres, morceaux de bravoure,
avec efficacité, entre Blood Sweat and Tears et Frank Zappa sans le génie et l’humour. Ce mini big-band moderne louche entre le rock et le jazz. Les «Chiots Moqueurs» seront rejoint par Christian Scott et Elena Pinderhughes dans le final pour un mariage sympathique entre New York et New Orleans.

Snarky Puppy © Florence Ducommun



Mercredi 27 Juillet-Jacob Collier Solo (p, g, dm, b, voc, machines)
Chanteur et multiinstrumentiste, Jacob Collier a été annoncé comme la découverte jazz de l’été en France. Ce jeune anglais de 22 ans, parrainé par Quincy Jones, et dont le premier album, In My Room, paru en 2015, distribué par Sony –ce qui ouvre bien des portes– a été baptisé par le Guardian «nouveau messie du jazz», rien de moins! En fait de messie, il s’agit avant tout d’un bon touche-à-tout, très sympathique et très séducteur qui ravirait les belles mères. Son show efficace, en parfaite coordination avec l’ingénieur du son et les lumières, séduit d’abord mais lasse vite. On a compris, il sait tout faire mais le recours systématique aux techniques de studio, reverb, juxtaposition, echo… font sonner ces compositions, assez banales, comme très monotones. Vu sur le net en solo au chant et piano, plus sobre ou avec Snarky Puppy, bien entouré, sa qualité devrait s’affirmer à moins qu’il ne préfère une carrière sous les paillettes.


St Germain
: Ludovic Navarre-St Germain (pad, etc.), Didier Davidas (p), Cheikh Diallo (kora), Sadio Kone (n’goni), Guimba Kouyate (g), Edouard Labor (sax), Sullyvan Rhino (b)
, Jorge Bezerra (dm, perc). Venu par curiosité pour Jacob Tellier, je pensais repartir juste après, erreur de ma part car St Germain «roi de la Frenchtouch» revisitait une Afrique Enchantée avec un groupe plein d’énergie. Certes, nous ne sommes plus dans le domaine du jazz, mais ce groupe nous emmène joyeusement vers les rives des fleuves du continent noir. Efficace, sans état d’âme, bien que peu originaux, on se laisse prendre aux solos de kora et aux polyrythmies. Le temps du disque d’or est bien terminé celui qui à l’époque de son album Tourist, vendu a des milliers d‘exemplaire, avait rempli la pelouse du Palais a du se contenter ce soir, lui aussi, d’une audience très moyenne.



Jeudi 28 Juillet-Autour de Chet: Luca Aquino, Stéphane Belmondo, Airelle Besson, Erick Truffaz (tp), Hugh Coltman, José James, Camélia Jordana, Sandra NkaKé (voc), Bojan Z (p, clav), Cyril Atef (dm, perc), Christophe Mink (cb), Pierre-François Dufour (dm,cello) + violons. Présenté comme ce qui devait être un grand moment du festival et malgré la qualité des interprètes, l'idée de prolonger le succès de l’album Autour de Chet, paru en avril dernier chez Verve/Universal, ne semble qu’une formule de producteur. Le plateau réinvitait la plupart des participants de l’album, et si on peut saluer les belles prestations des chanteuses (un duo inventif) de Camélia Jordan et Sandra Nkaké, de José James et des trompettistes Luca Aquino et Stéphane Belmondo, on reste déçu sur l’ensemble. On aurait pu rêver d'une rythmique plus fine comme la voix de Chet.

Jamie Cullum © Valentine Kieffer by courtesy of Marseille Jazz des Cinq Continents



Jamie Cullum
: Jamie Cullum (voc,p), Tom Richards (sax), Rory Simmons (tp,g), Loz Garratt (b). Nouvelle invitation au pianiste-chanteur anglais dans sa formule quartet où il assure le show en permanence. Entre jazz, rythm’n blues, rock et variétés, Jamie Cullum sait faire plaisir à son public venu tout autant pour sa musique que pour sa belle gueule d’amour. Si son dernier album, Interlude, rend hommage à Nina Simone et Sarah Vaughan, il emprunta ce soir-là une piste royale bordé de bonnes intentions. Il sait y faire. Il se double depuis quelques années d’un talent d’animateur d’un programme de jazz sur BBC2 et connaît son auditoire. Pas de surprise donc, un groupe qui soutient son leader depuis longtemps, une musique bien travaillée qui s’intègre aussi bien sur les scènes des grands théâtres que sur la scène plus jazz du Ronnie Scott Club de Londres où Jamie Cullum est régulièrement programmé.


Vendredi 29 juillet-Aron Ottignon: Aron Ottignon (p), Rodi Kirk (electroniques), Sam Dubois (steel drums, perc)- Seal
Je ne ferai pas le correspondant de guerre commentant l’actualité depuis le bord de la piscine. Je n’ai pas assisté à ces concerts dont les échos furent variables, grand spectacle et ravissement pour les fans de Seal, dure première partie pour Aron Ottignon (dixit musicien local présent) qui n’a pas enthousiasmé les présents.

Malgré le grand succès des manifestations gratuites, on note une audience moyenne sur les concerts payants, à part pour les concerts événements qui sont de moins en moins du jazz. Ce phénomène se retrouve d’ailleurs dans de nombreux grands festivals aux capacités d'accueil importantes qui évacuent le jazz pour des spectacles intéressants sans doute, mais dont le parcours et les concerts relèvent d’autres esthétiques et d’autres histoires. Paradoxalement (pour le souci de rentabilité), on remarque des plateaux «maisons» très chers, clefs en main, qui peu à peu remplacent l’artistique pour une rentabilité non avérée, au détriment d’une véritable esthétique qui pourrait être la marque de fabrique et la fierté d’un festival de jazz. Pour cette édition, dédiée à Bernard Souroque, premier directeur artistique du festival qui nous a quittés en octobre 2015, l’équipe a suivi ses indications. Force est de constater qu’en 17 ans, le festival n’a pas réussi à créer un vrai public de fidèles, curieux de jazz et de son renouveau. Peut-être une formule à repenser, des prix d’entrée à revoir, notamment au Palais Longchamp où le public est mal assis ou debout, subit les nuisances d'un restaurant trop proche et un manque de visibilité de la scène. Un public plus bavard et mondain qu'à l'écoute, car justement pas formé par une démarche de longue haleine. Enfin, dernière surprise de cette édition, juste avant le début du festival, on apprenait le départ de Stéphane Kochoyan, appelé à remplacer Bernard Souroque. Il dirige par ailleurs les festivals de jazz à Orléans, Barcelonnette, Nîmes et après s’être chargé du Festival de Vienne, il venait à peine d’être engagé à Marseille en mars dernier comme nouveau directeur artistique. Compte tenu du budget pour une fois à la hauteur des plus grandes ambitions, on attend mieux d'un grand festival de la capitale méditerranéenne, vieux bastion du jazz en Europe!

Dominique Michel
Photos Florence Ducommun
et Valentine Kieffer by courtesy of Marseille Jazz des Cinq Continents.

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Ellis Marsalis reçoit le prix Donostiako Jazzalldia 2016 des mains de Branford MArsalis et de Miguel MArtin, le Directeur du festival © José Horna



San Sebastián, Espagne



San Sebastián Jazzaldia,
20 au 25 juillet 2016




Cette édition qui s'est déroulée de la meilleure des façons sur le plan musical, où il y a eu d'excellents moments, a été ternie par le comportement de certains «artistes» ou de leur environnement, empêchant les photographes accrédités de faire ce qu'ils font depuis que le jazz existe et qui est tout à l'honneur du jazz, de l’art ou du reportage photographique, c'est-à-dire prendre des photos. Décidément, la démocratie et l'art en général vivent une sale période, et bien que ce ne soit pas le seul fait de ce grand festival, on comprend mal que les festivals, dans leur ensemble, ne s'organisent pas collectivement pour empêcher cette dérive de quelques stars, la plupart du temps, que nous détaillons en conclusion car cela commence à devenir insupportable.




20 juillet. Le 51 Heineken Jazzaldia a accueilli cette année la 10e édition du Festival 12 Points dédié à la découverte de nouveaux talents du jazz européen. 12 concerts de 12 groupes de douze villes européennes composaient le noyau de 12 Points, qui comportaient en plus un séminaire de personnalités expertes en jazz (Jazz Futures), et des jam sessions nocturnes (European Jams) dans le récemment étrenné Kutxa Kultur Kluba de Tabakalera. Voilà pourquoi les nocturnes au Musée San Telmo sont devenues des matinales.



21 juillet. La première matinale au San Telmo a présenté le concert d'Ainara Ortega «Scat», l’excellent groupe dont nous avons déjà parlé dans la chronique du Festival de Getxo de cette même année.
L’habituel Jazz Band Ball sur les terrasses du Kursaal a démarré sur le concert de Dave Douglas «High Risk». Le trompettiste est venu accompagné du DJ Shigeto et, comme base rythmique, Jonathan Maron (elecb), et Ian Chang (dm). C'est une leçon de jazz contemporain très proche du Miles Davis électrique.

Le guitariste Norvégien Terje Rypdal et Elephant Nine ont fait un concert plus proche du rock progressif que du jazz.
Gloria Gaynor a rendu hommage à Diana Ross, Roberta Flack, Barry White, Pharrell Williams ou Police et n'a pas oublié ses succès les plus populaires.  L’apothéose finale fut, bien sûr, son «I Will Survive».

Marc Ribot et ses Young Philadelphians,  trio à cordes, ont fait danser le public avec leurs versions enfiévrées des grands succès du Philadelphia Sound. Le guitariste Américain, accompagné de Mari Halvorson, Jamaaladen Tacuma, et Grant Calvin Weston, a joué des morceaux emblématique du genre («The Hustle»,
«Love Rollarcoaster», «Love Epidemic», la suite «TSOP'» ou «You Are Everything»), utilisant sa manière, la distorsion portée à la limite.

Cyrus Chestnut Trio © Jose Horna

En même temps, le trio composé  par Cyrus Chestnut (p), Buster Williams (b) et Lenny White (dm) se produisait sur la scène Frigo. Cyrus Chestnut  était souriant. De leur côté,  Buster Williams et Lenny White ont été le support rythmique parfait pour le phrasé du pianiste. Le trio, parfaitement cohérent, a joué ses propres morceaux («I Remember») ainsi que des standards («I Cover the Waterfront») qui sont dans son disque Natural Essence.

Ellis Marsalis et Jesse Davis © Jose Horna


22 juillet.  A la matinale, le saxophoniste Mikel Andueza a présenté son disque Cada 5 segundos. Le concert a commencé par «Mr. MB», un hommage à Michael Brecker. Après, ils ont joué des morceaux comme «Zortziko para Mauro», «Kenny» (dédié  à Kenny Garrett) ou «Axuri Beltza», un arrangement d’une chanson populaire de Navarre. Mikel Andueza est, sans aucune doute, l'un des grands du jazz espagnol, comme ses partenaires: Iñaki Salvador (p, kb), Gonzalo Tejada (cb, b), Chris Kase (tp), Gonzalo del Val (dm) et Dani Pérez Amboage(g).




Ellis Marsalis fait partie de l’histoire du Jazz. Malgré son âge, il possède toujours beaucoup de musique en lui. Il s’est produit à la Place de la Trinidad, accompagné par Jesse Davis (as)
, Darryl Hall (b) et Mario Gonzi (dm): un jazz bebop d'une grande élégance et serein. Il nous a donné, entre autres, un très beau «With a Song in My Heart». Le concert terminé, son fils Brandford, qui officiait pour le deuxième set, lui a remis le prix Donostiako Jazzaldia de cette édition. Après la cérémonie, ils nous ont offert un ravissant duo piano sax soprano sur l'éternel «Do You Know What It Means to Miss New Orleans».


Ellis Marsalis Quartet feat. Kurt Elling © Jose Horna

Dans la seconde partie, après un puissant démarrage du quartet de Branford, l'invité d'honneur de ce groupe dans sa tournée estivale, Kurt Elling, est monté sur la scène. Dès sa première intervention, le chanteur de Chicago a démontré encore une fois sa maîtrise de la scène et de l'art vocal. Pendant les deux heures environ du concert, ont résonné
«I'm Not Promising the Moon», la bossa de Jobim «Só Tinha d'Être Com Você», «Blue Gardenia», «One Island to Another», «Mama Said», «As Long As You're Living», toujours soutenu par le soprano et le tenor de Branford. Pour finir, le traditionnel «St. James Infirmary», a permis à Kurt Elling de reproduire une sonorité de trompette-sourdine avec un gobelet en carton.




Jack DeJohnette Trio © Jose Horna

23 juillet. À la Trini, une séance de jazz sérieux, dur, intense, sans concession, est à mettre au compte de DeJohnette, Ravi Coltrane et Matthew Garrison au premier set. In Movement, est le dernier projet de Jack DeJohnette où il réunit avec la descendance des membres du quartet de John Coltrane, Ravi et Matthew, pour récréer des morceaux de Coltrane, Miles Davis, Earth  Wind & Fire mais aussi des originaux. Le concert a été divisé en deux suites qui intégraient des morceaux comme «Alabama»,
«Two Jimmys«, «Serpentine Fire» ou «Lydia». A souligner aussi, la version de «Blue in Green» avec DeJohnette au piano.


Steve Coleman Quintet © Jose Horna

Steve Coleman, au deuxième set, nous a offert le meilleur concert que nous l’avons vu donner depuis plus de vingt ans. Accompagné par Jonathan Finlayson (tp), Miles Okazaki (g), Anthony Tidd (b) et Sean Rickman (dm), Steve Coleman a joué des longs développements musicaux agrémentés de quelques surprenants changements de rythme. «Round Midnight» a été l'un des temps forts. L'autre a été l'apparition de Ravi Coltrane invité pour un dernier morceau passionnant.


24 juillet. Jerry Bergonzi (ts) et Perico Sambeat (as) se sont produits à midi, au Club du Théâtre Victoria Eugenia. Jerry Bergonzi, un vrai maître du ténor, déployait un son parfait, propre, dans la tradition coltranienne. Perico Sambeat était plus lyrique. Leurs deux partenaires n'ont pas été en reste: Renato Chicco (Hammond B3), et Andrea Michelutti (dm), ont démontré leurs qualités rythmiques sur lesquelles les deux saxophonistes ont pu s’appuyer.
Renato Chicco, Perico Sambeat, Jerry Bergonzi, Andrea Michelutti © Jose Horna

Au Musée San Telmo, le Workshop de Lyon (Jean Aussanaire, Jean Paul Autin, Jean Bolcato et Cristian Rollet) a présenté son spectacle «Lettre à des Amis Lointains», plein  d’humour, de poésie et à la sauce free jazz, le tout bien équilibré. Chaque morceau était un monde plein de saveurs de chansons folkloriques, d'airs sud-africains, arabes, arméniens, de ballades ou des moments de bruit infernal, mais parfaitement disposés et cuisinés pour que le public en profite.

L'après-midi, l’auditoire du Kursaal a reçu le saxophoniste Jan Garbarek et le percussionniste Trilok Gurtu. Garbarek a répété en plusieurs reprises qu'il ne faisait pas de jazz mais de la musique improvisée, ce qui est très honnête de sa part, et très juste. De toute façon, sa musique méditative, introspective et quelque part religieuse plaît beaucoup au public de San Sebastián.


A la Place de la Trinidad, accompagné d'un trio que commandait le grand batteur Nate Smith, José James a présenté quelques-uns des morceaux qu'il va inclure dans son prochain disque, Love in a Time of Madness. Au contraire d'autres chanteurs de jazz plus orthodoxes, James se caractérise par son ouverture à d'autres styles, spécialement le rap. Mais ce chanteur maîtrise aussi la tradition du soul et du meilleur jazz, une évidence dans son disque Yesterday I Had the Blues: the Music of Billie Holiday. Ça nous aurait bien plu qu'il intègre quelques thèmes de ce beau travail, mais nous avons dû nous contenter de
«Park Bench People», «Grandma's Hands», «Come to My Door», et d’hommages à Bill Whiters («Ain't No Sunshine») et David Bowie («Man Who Stole the World»). Pour le bis, le trompettiste Christian Scott s'est joint au groupe; son intervention a fait monter le niveau d'un concert qui avait décliné.

Le deuxième set de la soirée a accueilli Steps Ahead «Réunion Tour». Une bonne partie des morceaux appartenaient à leur disque Holding Together (1999) dont «Bowing to Bud», «Pools» et «Copland», qu'ils ont complété avec deux standards («The Time Is Now» et «Lush Life» (beau chorus de Mike Manieri). En outre Manieri, cette réunion rassemblait les anciens du groupe, Marc Johnson (b), Bill Kilson (dm) et Eliane Elias (p). Le «petit nouveau»  était le saxophoniste Donny McCaslin, un indispensables du big band de Maria Schneider; Donny a joué fort et bien, combinant ses interventions avec le vibraphone de Manieri. Il y a eu dans ce concert deux détails qui ne sont pas passé inaperçus pour les plus attentifs; primo, la pianiste Eliane Elias a ordonné de braquer deux projecteurs supplémentaires sur elle seule; secundo, elle a demandé à plusieurs reprises à la sonorisation de monter le son du piano dans une lutte avec le saxophoniste qui n'a échappé à personne…

25 juillet. Au Théâtre Victoria Eugenia, La Marmite Infernale est venu pour présenter son dernier travail «Les Hommes … Maintenant». Un projet inattendu du groupe de 13 musiciens capables de tout. Le groupe a joué du free jazz, du funk, du rock, du folklore, du classique, etc. Tout était réuni pour un tabac, mais leur performance n'a reçu qu'une tiède ovation imputable à la surprise de l'auditoire.

Bobo Stenson Trio © Jose Horna 



A la Trini, le pianiste suédois Bobo Stenson a présenté son dernier disque, Indicum. Stenson, accompagné d’Anders Jormin (b) et Jon Fait (dm), a  offert un vrai récital. Lyrique et tranquille, il a commencé par «La Peregrinación», la chanson d'Ariel Ramirez que Mercedes Sosa a rendu célèbre en son temps. La suite est allée crescendo avec les morceaux «Gysing»,
«Linnea», «Symphony of Birds» ou «Post scriptum», une fin idéale pour son concert.

Elena Pinderhughes, Christian Scott, Lawrence Fields (arrière-plan)Braxton Cook © Jose Horna



Au Kursaal, Christian Scott a offert le dernier grand concert de cette édition du Jazzaldia, son projet «Stretch Music». Avec Braxton Cook (as), Lawrence Fields (clav), Kris Funn (b), Corey Fonville (dm) et Elena Pinderhughes (fl, voc), Christian Scott a alterné des parties acoustiques et électriques avec de bons chorus de la flûtiste, du saxophoniste, en dehors des siens. A souligner, l'hommage à Herbie Hanckok ( «Hurricane»), et en bis «Equinox» de John Coltrane. Malgré quelques problèmes de son, un beau final final pour cette 51e édition du grand festival de San Sebastián.


Le bilan de ce Jazzaldia 2016 est donc très bon sur le plan musical avec beaucoup de temps forts. Sur les diverses scènes, la programmation des concerts de jazz a été variée, récupérant l'équilibre qui avait fait défaut à l'édition précédente.
Néanmoins, il faut revenir sur l’attitude de certains artistes qui a obscurci le festival, imposant des conditions inacceptables au travail des reporters photographes. Heureusement, ces faits n’étaient pas généralisés, mais, par leur répétition, ils traduisent une tendance plus qu'inquiétante.

- Le 22 juillet, encore une fois Brad Mehldau a interdit la présence de photographes accrédités.

- Le 23 juillet, Ibrahim Maalouf a exigé des photographes accrédités qu'ils signent un soi-disant contrat de renonciation à leurs droits.

- Le 24 juillet, Eliane Elias a essayé d'imposer ces conditions aux photographes accrédités; le reste des artistes du Steps Ahead Réunion Tour n'ayant posé, eux, aucune condition.


- Le 25 juillet, Diana Krall a exigé des photographes accrédités la signature d'un soi-disant contrat qui attente à leurs droits d'auteur. Il faut ajouter l’interdiction de scène pour l'organisation qui n'a pas remis le traditionnel bouquet. L'interdiction de photographier, même pour le public, a provoqué les huées mais, malgré les efforts de la road-manager, la prise d'images n'a pas pu  être empêchée. Avec la prolifération des smartphones, le résultat de ces interdictions est qu'il n'y a plus que des photos et des vidéos de qualité médiocre.

Lauri Fernández et Jose Horna
Photos Jose horna

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Toulon, Var

Jazz à Toulon, 19-28 juillet 2016


Respectant les trois jours de deuil national suite aux événements tragiques de Nice, le Festival Jazz à Toulon, prévu à partir du 15 juillet, n'a démarré que le 19. Les concerts annulés, en accord avec les musiciens, ont pu être reportés après ces dates.


Sylvain Luc-Luis Salinas © Ellen Bertet




19 juillet,
 Sylvain Luc-Luis Salinas (g)
. Silvain Luc et Luis Salinas donnaient le départ du Festival sur une Place Louis Blanc bondé où le public assis et debout écoutait en silence, dans un profond respect des musiciens et des autres spectateurs. A chaque édition ce public très attentif me surprend, à l’écoute des solistes, les ovationnant à chaque passage de bravoure, et applaudissant chaleureusement à la fin de chaque titre. Et pourtant c’est gratuit; on pourrait penser qu’il n’est que de passage et se fiche du plateau mais, bravo, c’est le contraire! En comparaison de nombreux festivals, dont le prix d’entrée est de plus en plus élevé, recueillent un public bavard, 
sans aucune attention pour la musique, ignorant la présence de ses voisins et les abreuvant de banalités téléphonés ou histoires insipides. Digression faîte, retournons à cette rencontre inédite pour une première tournée française. Si l’Argentin, Luc Salinas, est bien connu du public sud-américain et des aficionados de la guitare, il reste  à découvrir en France, malgré un album sur le label Dreyfus. Sylvain Luc a fait le bon choix et s’est entouré d’amis fidèles avec André Ceccarelli (maintes fois son partenaire) et Remi Vignolo qui faisait à cette occasion son retour à la contrebasse après l’avoir délaissée plusieurs années pour la batterie. Cette belle équipe a alterné solos, duos et quartet dans un répertoire qui puise plus dans la chanson populaire que dans les standards de jazz. D’inspiration mondiale, on passera de «You Are the Sunshine of My Life» de Stevie Wonder à «Estate» de Bruno Martino sacralisé par João Gilberto, Chet Baker ou Michel Petrucciani, en passant par «Someday My Prince Will Come». Un répertoire grand public entrecoupé de solos de maestria; on peut regretter un manque de profondeur dans les formules de ces rencontres d’été mais, pour ce groupe, la technique et l’inspiration pallient à cette impression. Pour le rappel, face à une audience très satisfaite, le jeune Juan Salinas, digne fils de son père, est venu compléter ce quartet pour une brève joute amicale s’inspirant du flamenco revisité jazz.



Robin McKelle © Michel Antonelli



21 juillet, Robin McKelle. Autre Place historique dans l’histoire du festival, la dénommée, Martin Bidouré, où la scène est installée devant le parvis d’une église qui illumine le soir, comme aurait dit Claude Nougaro. Robin McKelle démarre un show réglé à la perfection, servi pas des musiciens bien rodés. Elle interprète quasiment les titres de son dernier album The Looking Glass dont elle a signé la totalité des compositions. Depuis son premier album consacré au jazz et ses concerts accompagnés par un big band, Robin Mc Kelle a choisi un voie nettement plus soul, voire country rock. Très inspirée a ses débuts par Ella Fitzgerald, elle penche aujourd’hui vers les reines de la soul comme Gladys Knight qu’elle cite souvent comme une de ses références, et dont elle reprendra un hit pour le rappel. Alternant tempos rapides et ballades, elle séduit un public qui se lève à chaque demande, et qui l’applaudit chaleureusement. Présente à Paris pour un concert le soir des attentats de novembre 2015 et suite à celui de Nice, elle remercie le public d’avoir le courage de venir aux concerts, de résister, puis rend hommage aux victimes dans un solo vocal-piano très sombre et élégant, dédié aussi à Prince. Derniers roulements de tambour en deux titres funky avant de quitter la scène et de re-saluer ses fidèles musiciens et le public très nombreux. Mentions spéciales à Jake Sherman (p, fender, org HB3) et à Eli Menezes (g) renforcés d’une rythmique efficace, Matt Brandau (b) et Adam Jackson (dm).



23 juillet. Bill Evans (saxophones, fender rhodes), Darryl Jones (b), Keith Carlock (b), Dean Brown (g), Plages du Mourillon. Juste quelques jours avant le début de la tournée européenne qui démarrait par Toulon, Mike Stern s’est fait renversé par une voiture et a dû annuler sa participation au groupe. Bill Evans a donc fait appel au guitariste Dean Brown, fidèle compagnon de route, qui a déjà fait parti de ses groupes antérieurs. Tâche pas si ardue pour Dean Brown qui n’est pas le premier venu, car il joué et enregistré aux côtés de Marcus Miller, The Brecker Brothers, Billy Cobham, David Sanborn, Bob James, George Duke, Roberta Flack ou Joe Zawinul, et qui dirige son propre quartet. Cette véritable machine de guerre avec Darryl Jones (Miles Davis, Rolling Stones) et Keith Carlock (Sting, Steely Dan,  Diana Ross, Mike Stern) était prête à dompter un ciel plus que menaçant et chasser au loin les nuages. Programme presque habituel depuis des années pour Bill Evans qui pratique, au delà de sa fusion, un style très proche du funk et du bluegrass. Dans son dernier album en leader Rise Above il a même fait appel aux musiciens très country blues du dernier Allman Brothers Band.
Sans surprise véritable, le groupe trouve ses marques et assènent sa puissance rythmique dévastatrice et balaie toute hésitation. Pour la soirée du festival qui rassemble le plus de monde, le long des plages du Mourillon, le choix était parfait; touristes et amateurs ont répondu présents et sont repartis satisfaits et repus de son. Au contraire des différentes places de dimension variable mais conviviales, le concert sur le grand parking du Mourillon revêt souvent un caractère plus festif et nécessite un renfort de sonorisation qui chaque fois est très bien maîtrisé. Le choix de Bill Evans, qui a donné un concert sans concession, peut sembler risqué, mais il n’en était rien: qualité et populaire ont fait une excellente alchimie. Même si la musique de Bill Evans au fil des albums et des concerts se ressemble, elle a le mérite d’être très bien interprétée par un vrai groupe quasi permanent, l’exception (Mike Stern) ce soir-là confirma la règle.


Ne chantons pas sous la pluie! © Michel Antonelli



24 juillet, Olivier Ker Ourio Quartet «Oversea».
 
La petite place Monseigneur Deydier, dans le Mourillon Village, était parfaite pour accueillir le coup de cœur du festival, hélas les patients spectateurs sous leur parapluie n’auront pas eu le plaisir d’écouter ce groupe original. Après l’attente de l’accalmie, qui n’est pas venue, c’est finalement la météo marine qui a été la plus forte et le concert a dû être annulé. Mathias Allemane, l’original de l’étape, avait roulé 700 kilomètres pour célébrer cette fête à la grenouille.

Jazz à Toulon s'est poursuivi avec le report des concerts prévus du 15 au 18 juillet, mais nous n’y étions plus. Une bonne édition comme toujours, malgré des circonstances très lourdes. Un baptême difficile mais réunssi pour la nouvelle présidente de jazz à Toulon, Bernadette Guelfucci (une ancienne de l'équipe qui a succédé à Daniel Michel), à qui nous souhaitons beaucoup de prochaines éditions dans une atmosphère plus légère.



Michel Antonelli
Photos Ellen Bertet et Michel Antonelli

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
 
Toucy, Yonne



Toucy Jazz Festival, 15-16 juillet 2016



Le Toucy Jazz Festival est né en 2008 sous l’impulsion de Ricky Ford et de son épouse Dominique. Ce saxophoniste américain installé en Bourgogne, qui a joué entre autres avec le Duke Ellington Orchestra et Charles Mingus, organise, chaque année dans cette petite ville de la Puisaye, une véritable fête du jazz. Après une édition 2015 circonscrite pour l’essentiel à l'église toucycoise, principalement pour des raisons économiques, le Toucy Jazz Festival profite d’une météo ensoleillée et renoue avec les concerts de plein air dans le parc de la Glaudonnerie en 2016. Ces réjouissances se voient malheureusement entachées par l’ignoble attentat de Nice, qui nous vaudra une minute de silence pétrifiante et lourde de signification à l’entame de la manifestation, chacun ayant sans doute alors en tête le rêve de fraternité et de paix porté par le jazz, avant que Ricky Ford ne puisse officiellement ouvrir le festival en ce vendredi 15 juillet 2016.
La vie reprenant ses droits coûte que coûte, force est de constater qu’une volonté d’ouverture caractérise cette édition, marquée par la présence de deux formations clairement liées au patrimoine musical africain. L’une des têtes d’affiche de ces 15-16 juillet 2016 est en effet Manu Dibango, figure emblématique de la World Music, et Ricky Ford prendra à son heure la tête de son quartet African Connection pour cette édition particulière, qui, circonstances obligent, comporte un fort relent de «life goes on».


Pour débuter, un groupe béninois du nom de Eyo’N, le Brass Band, prend place sur la petite scène du belvédère pour une session haute en couleurs. Tentant le grand écart entre musiques issues du golfe de Guinée et répertoire de la chanson française, ils égayent les esprits au moyen de relectures très fun du «Poinçonneur des Lilas» de Gainsbourg, et du «Temps ne fait rien à l’affaire» de Brassens. Le nom du groupe a pour signification «Réjouissez-vous», et l’aspect fanfare clairement assumé fait voisiner des aspects urbains façon Tambours du Bronx avec l’esthétique steel drums du folklore caribéen, un positionnement parfaitement illustré par leur récente tournée avec les Ogres de Barback. Une joie de jouer contagieuse et jamais prise en défaut les anime.


Manu Dibango et Ricky Ford © Patrick Martineau




Manu Dibango est le saxophoniste camerounais emblématique par excellence. Promoteur d’une esthétique dont l’ambition est de restituer à  la musique afro-américaine  ses origines africaines, il nous propose ce soir un concept très métissé, Africadelic, un nom qui fait immédiatement penser à ce que George Clinton et Bootsy Collins réalisaient sous la bannière de Funkadelic, en même temps qu’une tentative d’ancrer le jazz dans un certain œcuménisme. Née dans les années 70, la "World Music s’incarne notamment dans le makossa camerounais, et évolue depuis lors dans un territoire ondoyant qui unit certaines des composantes de la soul, du jazz et du rythm'n blues au sein d’un même creuset.
Lors des balances, Manu Dibango vient tancer ses jeunes et fougueux musiciens en modérant des ardeurs jugées préjudiciables à la simple écoute de la musique. Ce concert fédérateur eut le mérite d’attirer plus de public que les sièges du parc ne pouvaient en accueillir. Cette affiche hétéroclite ayant vocation à fédérer bien au-delà du seul public jazz, Dominique Ford escomptait au moins 400 personnes, et de ce point de vue, ce premier concert en tête d’affiche de l’édition 2016 est une totale réussite.
L’artiste annonce d’emblée la couleur en parlant d’un «safari musical»au public pour évoquer le défrichage de terres exotiques en forme d’afro-jazz funk auquel il s’adonne ce soir. Notes de guitare saturée, pédale wah-wah, orgue Hammond ou sonorités de Fender Rhodes, le paysage instrumental fait penser au travail de Dominic Miller, David Sancious ou encore Branford Marsalis.
Tout au long du concert, on songe aussi tour à tour à l’univers musical de Youssou N’Dour, Salif Keita ou Papa Wemba, à Angélique Kidjo, Peter Gabriel, et Manu Katché, notamment au travers du superbe travail vocal des choristes, omniprésents tout au long du concert. Les musiciens ne bougent quasiment pas de leur emplacement initial sur la scène. Ce parti pris, qui sert le charisme du leader, prive parfois ses musiciens d’une mise en valeur méritée sur scène lorsqu’ils exécutent une partie qui les voit briller individuellement. C’est particulièrement le cas lors de ce superbe hommage à l’Argentine et à la poétesse Alfonsina Storni «Alfonsina y el mar», un moment qui nous rappelle que le jazz, à l’instar de toute forme d’art authentique, a partie liée avec l’histoire de la démocratie et la quête de l’égalité des droits.
L’usage de syncopes permet au groupe de jouer du reggae avec naturel, en utilisant des sonorités plus liquides pour ses cocottes funky. On note aussi l’emploi de deux snare drums chez le batteur. La profondeur du saxophone de Dibango est accentuée par l’utilisation d’une réverbération assez prononcée. Dès que le leader se fait plus discret, on évolue très près des terres défrichées en leur temps par le Santana Band ou Jimi Hendrix, alliant psychédélisme et influences latines sud-américaines greffées sur les racines africaines de Manu Dibango.
C’est sans doute lors d’un hommage chanté à son village natal que le leader se sera le plus éloigné de l’idiome jazz ce soir. Comme à l’accoutumée, le set de Dibango se clôt sur une interprétation endiablée de «Soul Makossa», titre pourtant destiné à constituer une face B de single en 1972, et qui est depuis devenu le plus grand succès de l’artiste. C’est le moment que choisit Ricky Ford pour rejoindre une première fois la scène du Toucy Jazz Festival, en s’adonnant avec une vigueur et une joie de jouer communicative à l’une de ces jams qui marquent les esprits. Le concert se termine par un ultime rappel sous forme d’hommage à Sidney Bechet et à La Nouvelle-Orléans, lors d’une émouvante et magnifique improvisation solo de Manu Dibango autour du thème de «Petite Fleur» sous le clair de lune de Toucy. L’image du saxophoniste seul sur scène avec au-dessus de lui le disque de la lune constitue l’une des images fortes d’un week-end qui n’en a d’ailleurs pas manqué. Un instant magique qui nous ramène dans ce qui fut l’aurore du world jazz.


Après cette fête de tous les sens, la Vandoren Jam Session accueille Clément Prioul à l’orgue et Baptiste Castets à la batterie. Ensemble, ils vont rendre hommage à Jimmy Smith et Larry Young, deux figures mythiques de l’orgue Hammond, en plusieurs occurrences tout au long du week-end. On peut ressentir l’exercice comme plutôt scolaire dans l’ensemble, mais la sincérité évidente de l’interprétation de même que la fidélité absolue manifestée envers l’œuvre de Jimmy Smith achève ce soir de convaincre ceux des membres du public qui n’ont pas quitté immédiatement les lieux après le concert de Manu Dibango. Clément Prioul nous confiera le lendemain utiliser un authentique Cabin Leslie pour recréer le son tournoyant caractéristique de l’orgue Hammond B3 (il nous cite aussi deux musiciens rock, qui comptent certainement parmi ses influences personnelles, comme ayant particulièrement popularisé l’instrument auprès des mélomanes, Jon Lord et Keith Emerson). L’absence de bassiste est totalement dans l’esprit des œuvres de Jimmy Smith, même si l’obligation de recréer les lignes de basse à la main gauche limite vraisemblablement l’audace harmonique des lignes mélodiques jouées par la main droite. L’aspect par trop percutant de la batterie Pearl est nuancé par l’usage de baguettes et de balais en fonction des titres interprétés. Fred Burgazzi, un tromboniste qui rend régulièrement hommage au swing traditionnel avec Ricky Ford au sein de Ze Big Band en Bretagne, s’adjoindra le lendemain au duo lors du festival off.

Bobby Few, Galerie 14 © Patrick Martineau




Le samedi 16 juillet, ce sont plusieurs sessions off organisées toute la journée au cœur de la Ville qui retiennent notre attention. Concomitantes du grand marché de Toucy, les prestations matinales de Bobby Few et Clément Prioul ont lieu dans un climat d’agitation qui a peu à voir avec l’ambiance des clubs new-yorkais. Bobby Few est désormais un habitué du festival de Toucy où le retiennent ses attaches amicales avec Ricky et Dominique Ford. Cette année, il nous propose deux mini-concerts en solo au sein même de la Galerie14, lieu où Dominique organise des expositions d’art. C’est donc dans un contexte plus intimiste et sous des toiles colorées que la légende de Cleveland  interprète deux sets dans la même journée. La première prestation revêt des apprêts d’une grande simplicité, eu égard au contexte précité et à l’heure sans doute fort matinale pour un musicien de jazz. La seconde, en revanche, constituera l’un des moments forts du festival, au moment où une certaine torpeur s’est emparée de Toucy après le marché et l’heure du repas. Bobby est manifestement fébrile avant de commencer son set, le trac étreint donc jusqu’aux plus grands et expérimentés des musiciens. Après quelques notes égrenées sans conviction particulière, une sorte de mise en train destinée à conjurer l’angoisse liminaire, les hommages aux grandes figures du jazz défilent. C’est à un véritable voyage dans le temps et l’histoire du jazz que Bobby nous convie en cette après-midi radieuse. Miles Davis, Thelonious Monk, Gershwin ou une fantaisie en La mineur qui ressuscite l’esprit de Scott Joplin émaillent une prestation à la fois intimiste et puissante, qui attire l’attention de passants pas spécialement présents pour assister à un concert de jazz en cette heure normalement plus propice à la sieste. La performance comporte un aspect expressionniste. D’un chaos de formes digne du chef-d’œuvre inconnu de Balzac émergent des accords, des harmonies qui prennent forme devant nous comme le feraient les avatars perçus au sein d’une toile pointilliste. L’émotion s’empare de l’assistance, et des larmes roulent sous les paupières tandis que l’artiste finit son set.



Le samedi soir retour au in avec African Connection, Ricky Ford nous offre un succédané de ses plus récentes expériences musicales, animées d’un désir de concilier un certain avant-gardisme avec l’héritage du blues et du jazz traditionnels. Composé de Raymond Doumbe (b), de Steve McCraven (dm) et d'Alex Legrand (g), le quartet de Ricky Ford se distingue d’emblée par la vigueur d’ensemble qui l’anime. Les différents titres sont annoncés par le leader sous forme de numéros. Une démarche originale qui a le mérite d’évoquer de prime abord l’aspect fortement structuré des prestations du combo. La Gibson ES 335 du guitariste introduit des notes chaleureuses et sensuelles dans la structure même des morceaux interprétés, combinées avec des accents plus lyriques lors des parties en solo. Le timbre de Ricky Ford et la conviction qui empreint chacune de ses interventions sont les deux choses qui frappent immédiatement l’esprit lorsqu’il s’empare de son instrument. Plus proche en cela de Coleman Hawkins que de Lester Young, il détache les notes les unes des autres, ne recourant au phrasé legato que pour des motifs ornementaux. Avant le concert, Alex Legrand nous confiait combien il se sentait honoré de jouer avec une légende comme Ricky Ford, insistant sur la beauté du timbre de son saxophone et sur la source d’inspiration qu’il représente pour les jeunes musiciens de jazz. Entrecoupé de commentaires très personnels du leader, les titres s’enchainent rapidement et semblent animés d’une rigueur presque mathématique. Le numéro quatre aurait été composé en à peine une demi-heure et comporte quelques syncopes hybrides sur des figures binaires. Le numéro 5 est dédié à Charlie Mingus et semble une sorte d’adultération d’un thème de John Coltrane. Le final fait penser aux excès en vigueur dans la musique contemporaine, dans une ambiance très jazz fusion à la Weather Report.


Kirk Lightsey, Fred Tuxx, Ricky Ford © Patrick Martineau




C’est maintenant l’heure du Kirk Lightsey Quartet qui célèbre le bebop de Charlie Parker et Dexter Gordon. Il s’agit là de la formation la plus jazz, au sens le plus traditionnel du terme, parmi toutes celles présentes sur l’affiche. De ce point de vue, la foule d’admirateurs présents semble à la fois bien moins nombreuse et plus «parisienne» que celle présente pour le concert de Manu Dibango (200 personnes tout au plus, à rapprocher des 600 annoncées par Dominique Ford la veille). Ce clivage illustre la complexité des choix qui s’offrent aux organisateurs de festivals contemporains, partagés entre fidélité à un héritage immémorial et devoir de viabilité financière. Ricky Ford nous a confié l’après-midi espérer un maximum de suffrages pour ce concert vedette, et on comprend implicitement qu’il tente de concilier l’aspect musical aventureux des formations auxquelles il s’associe et les préoccupations commerciales qui en assurent la visibilité.
Les principales influences de Lightsey sont ses «professeurs» de piano Hank Jones et Tommy Flanagan. Il revendique également la filiation de Bud Powell et d’Art Tatum, Son intérêt réitéré pour les chanteurs nous vaut ce soir la présence de Fred Tuxx pour sa première au festival de Toucy. Il nous demande d’ailleurs de faire en sorte qu’il se sente le bienvenu parmi nous, avec un humour qui ne se démentira pas au cours de ce très long set vespéral. De par le classicisme évident de la prestation, on songe à l’influence des collaborations du leader avec des orchestres de musique classique. Avec en tête la figure tutélaire de Dexter Gordon, Lightsey essaie d’ouvrir le jazz à un plus large public, tout en rendant hommage aux grands artistes qui lui donnèrent envie de faire de la scène. De ce point de vue, on peut dire qu’il remplit la mission qu’il s’est assignée avec une grande classe, tant l’élégance de ses traits mélodiques et l’inspiration constante dont il fait preuve ravissent l’esprit de l’amateur de jazz le plus exigeant ce soir. Jouant sur un piano de location, Lightsey nous offre une introduction purement acoustique de toute beauté, dans la brume de laquelle on jurerait voir se dégager une ambiance urbaine digne des plus grandes métropoles. Un Sangora Everett sobre (dm) confère une assise solide à l’ensemble. Son drumming subtil et peu démonstratif développe un jeu de cymbales parmi les plus fins qui soient, jouant au fond du temps, bien calé sur Thibaud Soulas (b) qui anime le set de sa vigueur et de sa précision rythmique. Au fil de l’écoute, on comprend que le travail presque primal du contrebassiste est destiné à offrir un contrepoint esthétique à la sophistication harmonique du leader. L’apport de Fred Tuxx, quant à lui, relève davantage de la tradition du music-hall et de Broadway. La prestation atteint son apogée sur le classique «All or Nothing at All», sur lequel Fred Tuxx approche le niveau des meilleurs crooners, avec un timbre de voix similaire à celui d’Al Jarreau. On se serait peut-être passé de quelques rires et jeux de scène un peu forcés du chanteur, mais c’est déjà la fin du festival et pour conclure cette très belle édition, qui dédaignera une nouvelle jam avec notre hôte Ricky Ford dont les admirateurs scandent le nom lors du rappel ? Pas nous en tout cas, car celle-ci atteint un niveau de complicité combiné à une folle envie de jouer qui font oublier l’horreur des faits de terrorisme qui endeuillent le monde aujourd’hui. «La beauté sera convulsive ou ne sera pas». Un bien beau moment de musique, d’art et de partage.

Jean-Pierre Alenda
Photos Patrick Martineau

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
 
Vitoria, Espagne


Festival de Jazz de Vitoria-Gasteiz, 12-16 juillet 2016




Le mardi 12 juillet a démarré au Théâtre Principal la 40e édition du Festival de Jazz de Vitoria avec le contrebassiste Pablo Martín Caminero et le saxophoniste Américain Chris Cheek. Pour une nouvelle édition de la proposition «Konexioa» (connexion), ces deux musiciens, accompagnés par Albert Sanz (p) et Borja Barrueta (dm), ont entremêlé les styles, de la «Soleá de Gasteiz», de Martín Caminero, au «Panels» de Cheek– avec sagesse et bon goût. Les jours suivants, la même scène a accueilli les concerts du guitariste valencien Ximo Tebar, le trio GoGo Penguin, le pianiste Yaron Herman et le saxophoniste Rudresh Mahanthappa, qui présentait son projet plebiscité «Bird Calls».




Revenons sur la première journée, le 12, dans le Complexe omnisports de Mendizorroza: le gospel était au programme, comme d’habitude, à cette occasion-là sous la férule de Bryant Jones & The Victory Singers. Malgré la qualité des voix, cette sorte de format et ces répertoires se répètent excessivement.




Taj Mahal © Jose Horna




Le mercredi 13 juillet, Mendizorroza a dédié sa programmation au blues.


Au premier set, Ruthie Foster a débuté son concert avec «Singing the Blues». Les réminiscences de la southern music américaine ont établi le point de départ de quelque chose qui est allée au-delà du blues. Elle-même l’avait dit: «du gospel, du blues, de la soul et un peu de reggae». Accompagnée par Larry Fulcher (b, 5 cordes), Samantha Banks (dm) et Hadden Sayers (g), Foster a parcouru tous les chemins annoncés.




Au deuxième set, Taj Mahal a aussi proposé au public un voyage qui allait dès bayous de La Louisiane jusqu'aux abords africains. «Good Morning Little Schoolgirl», «Corrina, Corrina», «Fishin’ Blues» et «C.C. Rider», parmi d’autres, ont émergé de la voix, des cordes ou des touches des différents instruments dont s’est servi Taj Mahal pour une grande soirée mémorable.





Tom Harrell © Jose Horna





La nuit du 14, le jazz est revenu en force au Complexe omnisports grâce à la double performance de Tom Harrell (tp, flh), et de Joshua Redman (ts, ss) à la tête de leur quartet respectif.


Voir et écouter Harrell, c’est une expérience, tenir un fil qui semble pouvoir se briser à tout moment. Ses silences sont mortels et perturbants, mais, quand il embouche la trompette ou le bugle, tout semble coller et s’écouler en altitude. Accompagné par Ralph Moore (ts), Okegwo (bs) et Adam Cruz (dm), Harrell a égrené «Adventures of a Quixotic Character», «Sunday» ou «Shuffle»… Un moment moment tenu en haleine le public, c’est l'interprétation d'un «Body and Soul» mémorable, où Tom Harrell n’a bénéficié que du soutien d’Ugonna Okegwo.







Joshua Redman Quartet © Jose Horna





Après lui, Joshua Redman a présenté son nouveau projet avec Kevin Hays (p), Joe Sanders (b) et Jorge Rosy (dm). Le répertoire, qui recueillait des compositions des quatre membres du quartet, a permis d’écouter des magistraux jeux de dynamiques ou des déroulements de solos passionnants, dans une proposition d’un haut niveau musical. Reste à savoir si l’actuelle veine lyrique de Redman, de grande qualité, va faire disparaître ou pas ses déchaînements hardbop d’il y a vingt-deux ans …








Kenny Barron et Dave Holland © Jose Horna





Le vendredi 15 juillet, Mendizorroza a présenté deux concerts diamétralement opposés par l’esprit: Kenny Barron et Dave Holland au premier set et Jamie Cullum au deuxième.


Avec des morceaux comme «Pass It On» ou «Waltz for Wheeler», Barron (p) et Holland (b) ont recréé la magie du jazz. Ils ont joué une musique élégante qui ne s'appuyait pas sur la virtuosité mais sur un savoir-faire ancré dans leur énorme capacité de création artistique. L’intensité se démultipliait dans leurs échanges, à l’image de leur enregistrement The Art of Conversation. «Rain» et «Seascape» de Barron, «Segment» de Charlie Parker, ou «In Walked Bud» de Thelonious Monk en fin de concert ont trouvé sur la scène une nouvelle dimension.



A propos de Jamie Cullum, on ne peut rien dire de plus que dans les précédentes chroniques: Cullum lui-même reconnaît, dans une interview récente, qu'il n’est pas un pianiste de jazz. Ses concerts sont un show où domine le spectacle par-dessus tout (les sauts du haut du piano, les courses d’un bout à l’autre de la scène, les coups de cymbales à tout bout de champ…) Un standard de jazz et le bis où il a joué la chanson de Kyle Eastwood «Grand Torino» (musique du film) ont été les seuls moments d’originalité. Il a massacré indifféremment «Wind Cries Mary» de Jimi Hendrix et «Love for Sale» de Cole Porter, mieux vaut ne pas s’en souvenir…







Cécile McLorin Salvant Quartet © Jose Horna





Le samedi 16 juillet, Pat Metheny et Ron Carter, puis Cécile McLorin Salvant ont mis le point final au
40e Anniversaire du Festival de Jazz de Vitoria.


Il est difficile de ne pas établir de parallèle entre ce duo avec Carter et celui que Metheny a fait avec Charlie Haden il y a quelques années. Et non parce que Ron Carter n’a pas été à la hauteur, mais par l'attitude quelque peu erratique du guitariste. Cette année, nous n'avons pas trouvé la complicité et le feeling qu’il avait entretenu avec Haden dans le disque Beyond the Missouri Skyes, au concert de 2009 sur la même scène, ou encore au Jazzaldia de San-Sebastian en 2001. Le concert a pris quelque peu corps dans «Manhá de Carnaval» ou «Saint Thomas», mais le concert durant, les moments beaucoup trop plats ont foisonné, ternes malgré les efforts de Ron Carter, auteur du meilleur chorus de la nuit, entremêlant avec un goût exquis une fugue de Bach et la très populaire chanson «You Are My Sunshine».



Pour la seconde partie, Aaron Diehl (p), Paul Sikivie (b) et Lawrence Leathers (dm), ont introduit la jeune Dame du jazz, Cécile McLorin Salvant. Cécile est, avant tout, une voix miraculeuse! En dehors de l’opéra contemporain de Kurt Weill et Langston Hughes («Somehow I Never Could Believe») ou du plus classique «Devil May Care», son set a repris «What a Little Moonlight Can Do», «Wild Women Don't Have the Blues», «Wives and Lovers» de Burt Bacharach au programme dans son récent disque. Son concert a été intense et d’une extraordinaire générosité avec ses musiciens auxquels elle a laissé des chorus en toute liberté, notamment au formidable Aaron Diehl. Comme touche finale, Cécile a chanté en espagnol «Alfonsina y el mar», coupant le souffle à un public par ailleurs déjà totalement fasciné.


Lauri Fernández et Jose Horna
photos © Jose Horna

© Jazz Hot n° 677, automne 2016

Iseo, Italie


Iseo Jazz/La Casa del jazz italiano, 10-17 juillet 2016

La Casa del jazz italiano, Eglise paroissiale de Sant'Andrea © photo X by Courtesy of Iseo Jazz

Iseo est une petite ville pittoresque de Lombardie dans la province de Brescia, située sur les bords du lac homonyme dans un écrin naturel de grande beauté, à quelques kilomètres au nord de la Franciacorta, région renommée pour ses excellents vins. Depuis 24 ans, Iseo abrite un festival qui, sous l‘appellation «La casa del jazz italiano» se focalise sur une programmation bien précise: réserver de l’espace aux musiciens italiens, illustrant la scène nationale dans son ampleur et privilégiant par dessus tout de vrais projets et des productions originales. Une chose qui ne compte pas pour rien, en considérant le peu d’attention que prête la plupart des festivals aux jazzmen italiens.
La direction artistique est confiée au musicologue Maurizio Franco enseignant aux «Civici Corsi di Jazz della Civica Scuola di Musica» de Milan. En outre, ce qui n’est pas du tout négligeable, la manifestation tient aussi compte du rapport avec le territoire, répartissant quelques événements dans d’autres localités bresciannes.





Dans la cour du Palazzo Municipale di Palazzuolo sull’Oglio le quartet de Roberto Rossi a présenté un projet expressément conçu pour le festival, dédié à Clifford Brown, compositeur: loin des intentions philologiques ou revivalistes, l’opération a mis en lumière la vitalité des matériaux examinés. Le mérite en revient à l’ample vocabulaire bien maîtrisé du tromboniste, grâce sa féconde interaction avec Giacomo Uncini (tp), un jeune et brillant virtuose, et au solide support de Larco Vaggi (b) et Tony Arco (dm).
Le trio de Stefano Battaglia a proposé le répertoire de In the Morning (ECM), disque basé sur les musiques d’Alec Wilder. Une analyse brillante et profonde valorisée par le bagage culturel du pianiste et par la dialectique empathique instaurée avec Salvatore Maiore (b) et Roberto Dani (dm). C’est assurément un trio piano actuel des plus intéressants pour l’audace harmonique et la recherche des timbres.




La Villa Mazzotti de Chiari a constitué le décor pour un autre projet spécial: la représentation en forme interdisciplinaire de «Such Sweet Thunder» d’Ellington au moyen d’une des émanations du Civici Corsi di Jazz, le workshop Big Band, dirigé par Luca Missiti, en collaboration avec les acteurs et les danseurs sous la direction de Valentina Mignogna.




L’Auditorium de Darfo a abrité une soirée réservée à Gershwin. Ex-élève de Marco Fumo (parmi les meilleurs spécialistes mondiaux du ragtime et des musiques afro-américaines savantes), le pianiste Michele Di Toro a affronté des pages contraignantes comme Rhapsody in Blue et Prelude n° 2, en plus de «Rialto Ripples» appartenant à la production de jeunesse de Gershwin. Dans la version piano de la Rhapsody in Blue, plutôt rare, Di Toro a correctement marqué ces aspects rythmiques souvent ignorés ou négligées dans beaucoup d’exécutions classiques, y insérant aussi des parties improvisées –prévues du reste dans la version originale du compositeur– avec un toucher limpide, cristallin, et d’opportunes variations dynamiques. Il a également mis en valeur la section d’inspiration afro-cubaine, introduite par des notes répétées, et en exaltant l’utilisation des block-chords dans les passages importants. Di Toro a interprété plus librement et avec bonheur le Prélude n°2» en l’appréhendant avec une variation sur le thème de «Summertime» carrément déstructuré, duquel il a successivement exploité quelques fragments pour y imprégner la ligne thématique du prélude, énoncée par étapes avec un grand sens du blues. Dans «Rialto Ripples», il a reproposé le Gershwin amoureux du ragtime et du novelty, y incorporant des figures de stride et quelques dissonances.

Enrico Intra © photo X by Courtesy of Iseo Jazz






En duo avec la chanteuse américaine Joyce Yuille, le pianiste Enrico Intra (directeur du Civica Jazz Band) a proposé une étude avec son habituelle finesse pour interpréter des standards majeurs de Gershwin : «Embraceable You», moyennant sa pratique insolite de faire précéder le thème avec le couplet «I Got Rhythm», vidé et dépouillé des approches conventionnelles: «I’ve Got a Crush on You» caractérisé par d’efficaces glissements des syllabes et des accents flûtés: «They Can’t Take That Away From Me» riche de brefs rappels à James P. Johnson, Fats Waller, Teddy Wilson et Erroll Garner. Dans la version en solo de «Summertime» avec une introduction en ostinato lancinant, y entremêlant des fragments du thème, d’abord savourés et puis enrichis par des ornementations, revenant ensuite–avec des variations de thème et d’atmosphère– à une forme de «Walking». Dotée d’un contralto puissant, Joyce nous a réservé une version a cappella émouvante de «Motherless Child».






Tous les autres concerts se sont déroulés à Iseo dans deux cadres évocateurs: le côté sacré de l’église paroissiale romaine de Sant’Andrea et le Lido di Sassabanek. La vocalité est réapparue sous des formes diverses dans le duo Boris Savoldelli (voc) et Walter Beltrami (g), musiciens de la région brescianne, mais également actif sur la scène internationale. Avec le support de l’électronique, Salvoldelli et Beltrami  appliquent un traitement radical à de notables standards et de vieilles chansons italiennes. Comme le démontrent le bouleversement de «Caravan» grâce aux stratifications vocales obtenues avec un échantillonneur; la tonalité désuète imprimée à «Giorgia on My Mind»; la présentation étrange, quasi psychédélique, d’une chansonnette comme «Pipo non lo sa»; le coupage rock appliqué à un classique comme «Ma l’amore no». Fort d’une gamme caméléonique, Salvelli est un expérimentateur curieux; de son côté, Beltrami joue son rôle de guitariste moderne, maître d’un vocabulaire étendu.

Boris Savoldelli et Walter Beltrami © photo X by Courtesy of Iseo Jazz


A sa 30e année d’existence le quartet Enten Eller a confirmé les traits distinctifs de sa poétique. On note une propension à dépouiller les mélodies greffées sur des installations essentiellement modales et pour des thèmes géométriques de goût vaguement «ornettien». Dans ce cadre, trompette (Alberto Mandarini) et guitare (Maurizio Brunod) dessinent de substantiels unissons, parfois avec le filtre de l’électronique. Même dans les passages les plus informels, la rythmique jouit d’une ample respiration en vertu des longs coups d’archet, des lignes pénétrantes et des pédales puissantes de Giovanni Maier (b) et de la discrétion de Massimo Barbiero (dm) dans l’utilisation de ces dynamiques et de ces couleurs qui sont la marque de la philosophie du quartet.




Le piano solo original d’Oscar Del Barba, un autre «local hero», nous a réservé une très belle surprise. Son approche se sert des mouvements de l’arrière plan européen cultivé, ce qui lui permet d’élaborer les cellules des thèmes d’une structure dodécaphonique construisant des formes polytonales et polyrythmiques avec la méthode de la superposition. Son jeu de piano se trouve au confluent d’éléments post-wéberniens et des influences de Tristano et Bley, spécialement dans le jeu rythmique sur le registre grave. En outre, Del Barba fait la preuve qu'il sait dialoguer efficacement avec le silence par l’utilisation du staccato et des pauses.

Riccardo Del Fra Quintet © photo X by Courtesy of Iseo Jazz





Résidant en France depuis longtemps, le contrebassiste Riccardo Del Fra a fourni avec son quintet italo-français une grande preuve de cohésion et de maîtrise interprétatives. Des éléments tangibles dans l’approche critique et dans la coupe moderne appliquées à «But Not For Me» et «I’m Old Fashioned», complètement revitalisés, ou bien un «Love For Sale» transposé dans une implantation soul jazz ravivée à la teinte funk. Del Fra interagit avantageusement avec Ariel Tessier (dm), tandis que Maurizio Giammarco (ts, ss) et Francesco Lento (tp) en font autant: le premier avec un langage transversal, riche d’intuitions, spécialement au soprano; le second avec des phrases articulées, mais toujours méditées. Bruno Ruder (p) fait preuve d’un style brillant, avec des traces d’Herbie Hancock et McCoy Tyner. Le traitement réservé par Del Fra à «I’m a Fool to Want You», dans un duo poétique avec Ruder, constitue un sommet de rare expressivité: le contrebassiste exécute le thème en le scandant méticuleusement, et puis «chante» littéralement dans la partie improvisée.







Maria Pia De Vito (voc) et Rita Marcotulli (p) peuvent se permettre d’affronter n’importe quel type de matériau avec perspicacité critique et créativité fertile, en maintenant  dans un esprit inaltéré un langage rythmico-harmonique  et d’accent jazz. Les compositions de Marcotulli privilégient des figures rythmiques articulées sur lesquelles De Vito s’aventure dans des acrobaties dangereuses, en utilisant la voix à la manière d’un instrument à vent ou à percussion, dans une dialectique serrée et symbiotique. L’essence mélodique, propre à l’infrastructure du chanteur, s’extériorise dans l’usage du napolitain, notamment dans «Voccuccia de no pierzeco» (villanella du XVIe siècle) et dans la traduction d’un texte de Borgès. Il pénètre ensuite dans des aires disparates, se confrontant à la chanson d’auteur; c’est le cas de «Rainbow Sleeves», écrite par Tom Waits pour Rickie Lee Jones. Le Prix Iseo a été attribué à De Vito.


Maria Pia De Vito e Rita Marcotulli © photo X by Courtesy of Iseo Jazz



Enzo Jannacci (Milan, 1935-2013) était l’un des chanteurs italiens les plus géniaux, auteur de chansons surréalistes au goût doux-amer, riches de trouvailles ingénieuses. A son actif, on peut aussi revendiquer des expériences de jeunesse comme pianiste de jazz, accompagnateur de musiciens américains de passage. Réuni par le clarinettiste Paolo Tomolleri, l’Orchestra Jannacci est un sextette formé de musiciens qui avaient collaboré avec l’auteur-chanteur milanais: Marco Brioschi (tp), Paolo Brioschi (p), Sergio Farina (g), Piero Orsini (b) et Flaviano Cuffari (dm). Ciao Enzo in jazz est un projet spécial du festival, dédié affectueusement à l’ami disparu, composé des versions des chansons (
«L’Armando», «Il tassì», «Vincenzina», «Veronica», «El portava il scarp del tennis»)  déjà prévues harmoniquement à une réélaboration jazz. Un savoureux mainstream riche de swing, un rappel au dixieland, et une substantielle pointe de bossa.



Maurizio Franco, Gianni Coscia, Gianluigi Trovesi © photo X by Courtesy of Iseo Jazz
A la clôture du festival, on retient 7 Wheels for Wheeler, que la Bocconi Jazz Business Unit a centré sur les compositions de Kenny Wheeler, et un autre projet spécial: Dalla monferrina à Kurt Weill, dédié à Umberto Eco et accompagné de textes écrits et récités par Maurizio Franco pour Gianluigi Trovesi (cl) et Gianni Coscia (acc), ce dernier concitoyen et ami fraternel d’Eco. Les étapes de la narration sillonnent le parcours du talentueux duo, qui comme de coutume explore de vastes territoires à travers les musiques savantes et populaires: du folk de l’Italie du Nord aux Balkans, de la Renaissance à Offenbach, de Fiorenzo Carpi à Weill, jusqu’à la chanson italienne d’antan.



Le festival d’Iseo prend donc en grande considération les multiples aspects de l’actualité nationale, cherchant à affirmer une identité commune à travers une empreinte fortement en rapport avec un projet. Arrivederci en 2017 pour le 25e anniversaire. 

Enzo Boddi
Traduction Serge Baudot
Photos X by courtesy of Iseo Jazz


© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Dean Brown, Dennis Chambers, Bill Evans, Darryl Jones © Alessandra Freguja




Pescara, Italie



Pescara Jazz, 8-10 juillet 2016


Malgré les problèmes qui en phase de préparation avaient semblé quasiment  compromettre sa réalisation, la 44e édition de Pescara Jazz a offert un programme varié et de bon niveau, suivi comme toujours par un public fidèle et nombreux.






Avec l’E-Collective, Terence Blanchard s’empare de la tendance, propre à de nombreux représentants du jazz afro-américain, à interpréter les différents segments de la black music actuelle et de les traduire en stimuli pour leurs propres créations. La conception de Blanchard est aussi alimentée par un souffle socio-politique. Une grande partie de la jeune population afro-américaine a orienté ses préférences vers  le hip hop, le rap, le drum’n’bass, le jungle, tout comme leurs parents ou grands-parents avaient une prédilection pour le rhythm and blues, la soul et le funk. Blanchard cherche à donner une même dignité à tous ces genres pour montrer leur plein droit d’appartenir à l’univers afro-américain. Avec des hauts et des bas, malgré tout, il poursuit une opération intellectuellement honnête, intégrant l’électronique dans la palette sonore. La programmation par ordinateur est utilisée pour insérer de courts extraits de récitatif avec des connotations précises de protestation sociale et de références aux tensions récentes («I Can’t Breathe»). Le parcours touche à différents territoires: des allusions au Davis électrique, des rythmiques funk et jungle, des crachements mélodiques à la Michael Jackson, des riffs rock. La seule limite est dans le filtrage constant du son de la trompette qui rend le phrasé irritant,  presque guitaristique, mais aussi terriblement uniforme.




Le grave accident de Mike Stern à trois jours du départ pour la tournée européenne a contraint
Bill Evans à le remplacer par un habitué des tournées, Dean Brown, bouleversant ainsi le répertoire. Point  fort du groupe, l’inébranlable couple rythmique, Dennis Chambers (dm)-Darryl Jones (b).  Ce dernier, très jeune encore, fut membre, comme Evans, du groupe de Miles Davis. Depuis longtemps, Evans poursuit avec ses groupes la mise au point d’un mélange entre jazz, R&B, funk et rock. Certes, c‘est une opération qui n’est pas sans arrières pensées commerciales, conduite en leur temps par David Sanborn et les Brecker Brothers, et définie tout simplement comme musique populaire. On saisit dans le phrasé et les inflexions du ténor le son d’une lointaine connexion coltranienne, en affinité avec le regretté Bob Berg et de nets rappels du R&B.  La matrice de Wayne Shorter apparaît au soprano dans une version efficace de «Jean-Pierre» de Miles Davis. Dean Brown s’est inséré dans ce contexte avec une variété de solutions de timbres, une syntaxe plus proche du rock et un phrasé saccadé, corrosif, teinté de nuances hendrixiennes.

Ravi Coltrane, Jack DeJohnette, Matthew Garrison © Alessandra Freguja



A 74 ans, Jack DeJohnette ne se repose certes pas sur ses lauriers. Le trio constitué avec Ravi Coltrane et Matthew Garrison (documenté par In Movement) témoigne d’une poussée constante vers l’exploration de nouvelles conceptions et de modalités d'exécution. Il prend son envol, souvent à égalité avec des interactions alimentées et soutenues par le batteur, qui atteint des sommets de grande expressivité même dans les passages informels sur tempo libre. La gamme des timbres s’enrichit de l’éventail des solutions choisies mijotées par Garrison aussi bien à la basse électrique qu’avec des inserts électroniques pilotés  à travers le pédalier et l'ordinateur. Avec des pédales denses, dans un domaine essentiellement modal, et de sèches lignes mélodiques qui par traits évoquent la figure du père, il intègre le jeu polyrythmique et les démontages de DeJohnette. Coltrane a désormais acquis sa propre identité, qui au ténor l’éloigne résolument des comparaisons inconfortables avec le père, tandis qu’au soprano et surtout au sopranino il construit des parcours frétillants, asymétriques et à traits abrasifs, contrastant violemment avec le flux rythmique. Quand le trio affronte «Alabama», affleure inévitablement l’esprit des pères, Coltrane et Garrison, mais la montée en tension trace une nette et opportune distinction par rapport à l’original.




Ceux qui s’attendaient à un kaléidoscope de latin jazz crépitant avec le sextet d’Arturo Sandoval seront restés partiellement déçus. Surtout dans la première partie du concert où le trompettiste cubain s’est étendu sur une manière entertainment, s’adonnant aux timbales et au chant. Un processus d’américanisation, interprété comme façon de concevoir la performance, plutôt tape-à-l’œil et un peu kitsch, avec des greffes vocales qui s’étendent d’un improbable crooning à un scat emprunté au maître Gillespie. Evidemment, quand il embouche la trompette, Sandoval est encore un formidable virtuose capable de monter dans les aigus et les suraigus avec une enviable netteté. Quand il s’identifie avec les racines puisant dans le patrimoine afro-cubain, il exploite les possibilités du groupe avec ces stratifications polyrythmiques, qui, partant de la superposition classique clave et montuno, ont donné la rumba, le mambo et la salsa. Appliquant cette formule à «A Night in Tunisia» et surtout à «Seven Steps to Heaven», le groupe a obtenu des résultats encore plus efficaces.


Carla Bley, Steve Swallow, Andy Sheppard © Alessandra Freguja




Le trio bien établi, Carla Bley-Steve Swallow-Andy Sheppard, a indubitablement recueilli l’héritage, et développé les intuitions des formations nées dans le sillage des innovations de Lennie Tristano: en premier lieu le trio de Jimmy Giuffre, dont le bassiste a longtemps été membre. Encore plus que dans un passé récent, le trio applique aux compositions de la pianiste un soin maniaque pour le son, les timbres et la dynamique, traduit en phrases ciselées avec un raffinement méticuleux. L’attention à la page écrite n’entame pas le processus créatif, ni ne porte préjudice aux espaces pour l’improvisation. De temps à autres, un goût pour le contrepoint moderne émerge, source d’efficaces entrelacements à travers les voix instrumentales. L’apport du piano est dépouillé, fréquemment  basé sur l’usage du staccato. Comme à l’accoutumée, Swallow déroule une double fonction rythmico-mélodique avec ses lignes riches carrément guitaristiques. Sheppard, surtout au ténor, développe ses phrases sur la pointe des pieds, avec une sorte de souffle vital qui semble avoir de lointaines racines dans Lester Young et une référence évidente à Wayne Marsh. Dans l’unique morceau qui ne soit pas un original, «Misterioso», l’arrangement de Carla Bley prévoit une intro’ et une coda quasi  classiques et opposées aux cellules du thème, tandis que les développements ramènent avec force à la lumière l’essence du blues de l’écriture de Monk.


Branford Marsalis et Kurt Elling © Alessandra Freguja




Dans le sillage de Upward Spiral, Branford Marsalis a inséré solidement Kurt Elling dans son quartet, dans le but de disposer -plus que d’un chanteur– d’un alter ego avec qui inter-réagir. Le vocaliste de Chicago possède un sens inné de la scène, une maîtrise des ressources et du matériel explorés. Il affronte avec un swing décontracté «There’s a Boat Dat’s Leavin’ Soon for New York» (de Porgy and Bess), module avec adresse les pauses et les inflexions des vers de la ballade «Blue Gardenia» de Nat King Cole, traite avec un ton rythmique incisif «Só tinha de ser com você» de Jobim. Il est en outre doté d’une diction claire, d’une articulation fluide pour le scat et d’une capacité remarquable de sauter d’un registre à l’autre. Les caractéristiques des originaux sont encore plus évidentes, d’où émergent l’habileté narrative et un processus accompli d’identification avec le texte. Le quartet bien rôdé bénéficie de la propulsion massive de Eric Revis (b) et Justin Faulkner (dm), et de l’ample soutien harmonique de Calderazzo (p), également protagoniste de quelques apparitions en solo qui exploraient les implications des morceaux. Que ce soit au ténor ou au soprano, Marsalis renonce à la virtuosité, en faveur de constructions calibrées. L’intense duo avec Elling, sur la base d’appels et réponses, sur «I’m a Fool to Want You» exprime la profonde conscience de la tradition et produit un sommet expressif au grand impact émotionnel.



On ne peut que souhaiter longue vie à Pescara Jazz, en dépit des difficultés affrontées ces années dernières. Le 50e anniversaire n’est pas loin!


Enzo Boddi
Traduction Serge Baudot
Phot
os Alessandra Freguja

© Jazz Hot n° 677, automne 2016

Saint-Cannat, Bouches-du-Rhône


Jazz à Beaupré, 8-9 juillet 2016


Ce n’est pas exagérer –même quand on est de Marseille– que d’affirmer que Jazz à Beaupré se tient dans l’un des plus beaux sites offerts à un festival de jazz en France: le parc, planté de platanes vénérables, d’une propriété viticole, le Château de Beaupré où s’élève ledit château, une élégante bastide provençale, à quelques kilomètres d’Aix-en-Provence, tel est le décor raffiné d’un festival qui se consacre au «beau» piano jazz et plus si affinité, et qui continue d’être porté avec passion par ses créateurs, Roger Mennillo, lui-même excellent pianiste, et Chris Brégoli. Chaque soirée débute autour d’un verre (issu de la production du domaine, bien entendu) que l’on déguste à l’heure où la température se fait plus aimable, en regardant le soleil se coucher. Puis le «speaker», Jean Pelle, le légendaire patron du Pelle-Mêle, club mythique du Vieux-Port de Marseille, invite les spectateurs à se presser de rejoindre leurs places. Et Môssieur Pelle d’introduire chacun des musiciens avant leur entrée en scène avec un art certain de la prise de parole didactique et décontractée.




Harold Lopez-Nussa Trio © Jérôme Partage



Une place de choix était réservée cette année à Cuba puisque, sur les quatre concerts répartis sur les deux soirées de festivals, la moitié mettait à l’honneur des musiciens caribéens. Ainsi, c’est Harold López-Nussa, 33 ans, étoile montante du piano cubain qui a ouvert les festivités. Diplômé de piano classique, il débute sa carrière au sein de plusieurs orchestres symphoniques tout en se joignant à des formations de musique traditionnelle et de jazz. Il fait d’ailleurs le choix du jazz en 2007, montant son propre groupe, tourne de 2008 à 2011 avec Omara Portuondo (voc) et aujourd’hui se joint régulièrement à Orlando Maraca Valle (fl). A Beaupré, il était en trio avec Felipe Cabrera (b) et son frère Adrián López-Nussa (dm). Le répertoire présenté est essentiellement celui tiré de son disque à sortir en septembre, El viaje (Mack Avenue), dominé par des compositions de son cru. López-Nussa est à la croisée des chemins: sur les ballades, on entend le pianiste de formation classique, délicat, introspectif; sur les thèmes rapides émergent les racines latines et ce rapport naturel au rythme qui se marie si bien avec le jazz. C’est dans ce second registre qu’on le préfère, d’autant que le soutien de Cabrera est impeccable. On retient toutefois un bel original, sur tempo lent, «Herencia», issu d’un précédent album.

Dado Moroni et Kenny Barron © Jérôme Partage



Le second concert de cette première soirée proposait un duo prometteur: Kenny Barron (déjà présent avec son trio l’année précédente) et Dado Moroni se faisant face, chacun derrière son piano. Quelle merveille de concert! Le dialogue a été riche, chacun parlant le langage du jazz avec son propre accent: Moroni, très mélodique, tricote autour des thèmes de belles notes perlées; Barron, plus rugueux, arbore un jeu percussif davantage ancré dans les graves. De Gershwin à Monk, en passant par Randy Weston («Hi Fly»), le duo a donné à entendre du jazz essentiel. A noter quelques jolies compositions de Dado Moroni dans le répertoire abordé, comme «First Smile» par laquelle l’Italien évoquait la naissance de son premier enfant. Le concert s’est achevé sur une invitation qui a ému plus d’un habitué du festival: Dado Moroni a cédé sa place à Roger Mennillo qui a partagé, avec l’entrain d’un jeune homme, un blues coloré en compagnie de Kenny Barron.




Pierre de Bethemann Trio © Jérôme Partage



La soirée du lendemain a débuté avec le trio de Pierre de Bethmann (p), composé de Sylvain Romano (b, le régional de l’étape) et de Tony Rabeson (dm). A 51 ans (malgré des allures de jeune homme timide), De Bethmann a atteint la plénitude de son art. C’est ainsi qu’il s’est attaché –avec une indéniable réussite– à traduire en jazz quelques titres marquants de la chanson française ou thèmes du patrimoine hexagonal (projet qui est au centre de son dernier album, Essais. Volume 1, chroniqué l’hiver dernier dans Jazz Hot). Si pour certains titres, le lien avec le jazz est évident («La Mer» de Charles Trenet, qui est depuis longtemps devenu un standard), d’autres adaptations sont plus inattendues («Pull marine» de Serge Gainsbourg). La reprise d’«Indifference» de Tony Murena  fut d’une grande beauté, le trio parvenant à rendre toute l’intensité de l’interprétation originale à l’accordéon. En revanche, le pianiste n’a pu faire émerger le swing de la «Sicilienne» de Fauré, se heurtant à la limite de l’exercice: le passage d’un idiome musical à un autre. Toujours est-il que De Bethmann, maniant l’improvisation avec une poésie onirique, a réalisé une bonne synthèse entre jazz et culture musicale européenne.

Enfin, retour à Cuba avec Omar Sosa (p) et Cuarteto Afrocubano. Pour autant qu’elle fût festive et jubilatoire, la musique de Sosa se situe au-delà des frontières du jazz. On a cependant apprécié tout ce qui relevait d’une expression authentique, de la joyeuse convocation des rythmes de La Havane, nous rappelant que la piano est un instrument basé sur un système de percussion; on a été moins convaincu par les ambiances planantes de quelques compositions.   

Beaupré est devenu en quelques années un rendez-vous incontournable pour les amoureux du piano, et cela sans aucun doute par la science jazzique de son directeur artistique, Roger Mennillo, et ses atouts de charme nous rendent impatients de la prochaine édition.


Jérôme Partage
Texte et photos


© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Ron Carter-Pat metheny, Gent Jazz 2016 © Bruno Bollaert by courtesy of Gent Jazz


Gent/Gand, Belgique




Gent Jazz, 7-8 juillet 2016



Evacués les 175 mm² de précipitations du mois de juin! Les canaux gantois ont retrouvé leur quiétude et les vergers du Bijloke (abbaye) leurs pommes sauvages. La quinzième édition du festival de jazz peut alors dérouler son programme de sept jours en deux week-ends. L’entreprise est gigantesque: deux podiums – un petit et un grand, cinq cents artistes et des infrastructures de gastronomie et de confort remarquables. Nous avons choisi de vous brosser l’ambiance des deux premiers jours. 

Jeudi, dès l’entrée, en salle de presse, les chroniqueurs débattaient en toutes langues des velléités de réduction des subventions accordées à la Culture par la Région Flamande. Dans la foulée, on murmurait que l’organisateur gantois avait sollicité 750000 euros auprès des sponsors institutionnels. Il n’en aurait finalement reçu que 315000 alors que, l’an dernier, la manne en comptait encore 350000! Mais, revenons au programme… 




Le 7, dès 16h30, Terence Blanchard (tp) et son «E. Collective Band» essuyaient les plâtres (sic) sous la grande tente devant un public encore confidentiel. Pour ceux qui gardent en mémoire les prestations d’un jeune trompettiste néo-orléanais avec les Messengers d’Art Blakey (1982), ce fut une grande gifle. Blanchard use du modèle d’instrument qui fit la réputation de son concitoyen Wynton Marsalis, mais Terence, 54 ans, compositeur et arrangeur, s’inscrit dans son époque: celle des moogs, des loops, des synthés et des fusions-modulations-distorsions. L’électronique, présente dans la plupart des groupes de ce festival, est ancrée dans la musique du siècle. Elle est généralement bien maitrisée. Les rythmes du quintet, souvent orientés two beats, font immanquablement penser au Miles-électro.  C’était au début des années 80… déjà! Les arrangements de Terence Blanchard sont parfaits; l’usage des synthés est discrètement maîtrisé; la mise en place des jeunes accompagnateurs: impeccable: Charles Alture (g), Taylor Eigsti (p), Gene Coye (b) et David Ginyard (dm). C’était bien; un calque de l’album «Breathless» publié par Blue Note l’année dernière. 


Après un interlude au petit podium, le pianiste Wout Gooris présentait à 18h30, en quintet: une musique de climats, sorte de longue suite incantatoire. L’œuvre est bien écrite, dans l’esprit - sans surprise - du tronc commun des diplômés des conservatoires belges. En solistes, on retrouvait avec plaisir Erwin Vann (ts), doublé par le néo-zélandais Hayden Chisholm (as). La musique du groupe est intéressante mais prévisible («Twaalf»); elle est  acoustique, en contraste total avec ce qui s’était passé avant et tout ce qui se passera après! 


Dans la foulée de la publication de son triple album «The Epic», Kamasi Washington (ts) est apparu à la tête d’une tribu afro-américaine, funk et jazz, de dix musiciens. Les compositions et les arrangements sont signés par le leader avec la volonté de pulser une énergie proche de la transe (une expression chère à Robert Goffin, malheureusement tombée en désuétude); un jazz moderne pour la jeunesse des banlieues. Du bruit, beaucoup de bruit avec deux drummers (Tony Austin et Ronald Bruner JR.) et un contrebassiste: Miles Mosley, qui tire  à tout va, comme un diable dans un bénitier (solo à l’archet sur «Askim»). De cet orphéon polymorphe, on peut retenir quelques chorus intéressants de Miles Mosley (b), de Brandon Coleman (kb), de Cameron Graves (p) et d’un flutiste apparu en fin de concert sur une composition dédiée à la mère de Kamasi. Je n’ai pas pu saisir le nom du flutiste, mais il s’agit d’un membre de la famille Washington (son père?). A jeter néanmoins: la vocaliste Patrice Quinn! Kamasi Washington n’est pas un nouveau Coltrane; son écriture et ses arrangements valent bien mieux que ses solos. Issu d’Inglewood (LA), il met dans sa musique la force revendicative des Noirs de la côte Ouest. Le jazz est revivifié, proche du peuple, accessible mais contemporain. Héritier de Sun Ra, de Mingus,  d’Albert Ayler et des Black Panthers, il mâtine tout l’héritage, des marching bands jusqu’au hip hop en passant par le rhythm and blues, le groove, le jazz et, bien sûr: l’électro-jazz. Cette fusion vigoureuse est intelligente et séduisante pour tous! 


Sur le petit podium (Garden Stage) on pouvait écouter, en trois passages alternés:  l’autre feeling, celui de la Côte Est (N.Y) avec les jeunes jazzmen de Kneebody (Adam Benjamin/kb, Shane Endsley/tp, Ben Wendel/ts, Kaveh Rastegar/b et Nate Wood/dm) alliés au DJ-sampler Aka Daedelus (Alfred Darlington). Une autre manière (blanche) de mixer le jazz post-bop et le scratch; une manière plus proche de ce qui se joue chez nous. Contrastes côtiers, choix; voix divergentes ou voies parallèles?


En clôture de la première journée, Ibrahim Maalouf (tp) proposait son hommage à Oum Kalthoum (voc). Cette symphonie sur un poème de la chanteuse égyptienne ne laissera pas un souvenir impérissable. Elle pêche par sa longueur et notre langueur, nonobstant (j’aime cet adverbe) l’originalité d’arrangements aux rythmes variés et des solistes, excellents accompagnateurs: Mark Turner (ts), Frank Woeste (p) et les sublimes Scott Colley (b) et Clarence Penn (dm).


Deux rencontres inhabituelles encadraient la seconde journée, le 8. La première, en lever de rideau: Pat Metheny (g) avec Ron Carter (b); la deuxième, en clôture: John Scofield (g), Brad Mehldau (p, kb) et Mark Guiliana (dm). Etonnés, nous espérions trouver dans ces rencontres matière à orgasmes auditifs. Ça commence très mal, avec deux standards: «Tristesse» et «My Funny Valentine». Pat Metheny n’est pas du tout dans le coup: mauvaise pince, idées absentes. On court à la catastrophe jusqu’à ce qu’un blues et un beau solo de basse de Ron Carter lui permette de respirer. C’est réparé, croyons-nous, avec une ballade en cinquième morceau; les notes sonnent pleines. Enfin? Suivent «Question and Answer», puis «Freddie Freeloader» et le solo de guitare retombe dans les banalités; Carter prend la suite, inventif, merveilleux en rythmes, remettant la syncope à sa place - une syncope qui fait totalement défaut chez Metheny. Au huitième titre, la multi-manche «Pikasso 42» remplace la guitare «Ibanez» et le guitariste est chez lui, dans son groove. Pour suivre, avec une valse lente, nous aurons droit à un beau solo de basse relayé aux doigts sur une guitare sèche de type espagnol. Une chansonnette insignifiante précède, «The Theme» pour terminer l’affrontement. Pat Metheny n’avait peut-être pas encore récupéré du jet-lag? En sera-t-il  remis le lendemain à Rotterdam?


Moins décevante était la rencontre de Brad Mehldau (p, kb, moog, synthés) avec John Scofield (g, eb). Rencontre de l’eau et du feu? C’est ce qui nous préoccupait! Palliant l’absence (voulue) de bassiste, le pianiste assure la ligne rythmique en accompagnant le guitariste de la main gauche sur le «moog»; lorsque Mehldau prend un solo, Scofield échange sa guitare pour une basse électrique. Les solos sont de longueurs démesurées. Le guitariste est en retenue, en-deçà des envolées rockeuses qui le caractérisent. Brad Mehldau glisse sous ses notes des ondes joliment colorées à l’aide du piano, des claviers et des synthés. «Wake Up», «He Was What He Was!». Avec ses compositions, Mehldau est à l’aise, construisant, comme il en a l’habitude, par répétitions-progressions. Mark Guiliana (dm) accompagne discrètement; Il faut attendre la fin du concert pour qu’il s’envole dans un solo qui n’ajoute rien à la conversation. «Love the Most» conclut une rencontre intéressante, tempérée. En devenir? 


Au cours de cette seconde journée, le Garden Stage offrait d’écouter en carte blanche le saxophoniste Steven Delannoye en trois formules acoustiques; un duo avec Nicola Andrioli (p); un trio avec les mêmes + Lode Vercampt (cello); un quartet avec Andrioli (p), Jean-Paul Estiévenart (tp), Reinier Baas (g) et Mark Schilders (dm). Une consécration méritée pour ce sympathique saxophoniste passé par le Lemmensinstituut de Leuven et la Manhattan School of Music de New York. Airelle Besson (tp) et son quartet avait été ajoutés en supplément after midnight. J’aurais sans doute pu l’écouter plutôt que de passer deux heures dans les embouteillages au retour vers Bruxelles! La rencontre avait été manquée à la Jazz Station, mais je l’avais écoutée et vue sur Mezzo


Nous avions découvert «De Beren Gieren» l’an dernier au festival de Middelheim (Anvers). Le trio de Fulco Ottervanger (p,kb) n’a rien perdu de sa créativité et de son énergie. A la manière de feu E.S.T, il procède par petites structures évolutives. Le pianiste hollandais percute les notes et les cordes, envoûté, voire: endiablé. La rythmique est collée aux pulsions du leader; bassiste et batteur s’affichent à tour de rôle alors que le claviériste joue des harmonies modulées en vagues graduelles. Lieven Van Pée (b) est remarquable par son accompagnement obsessionnel en quatre ou cinq notes; lorsqu’il est soliste, il use joliment de l’archet, montant en harmoniques pour créer la tension. Sur des structures répétitives du bassiste, breakées aux drums, Fulco Ottervanger (p) improvise, inspiré, usant des résonances piano-keyboards. L’osmose entre les musiciens est fusionnelle. Le swing explose. Ce furent  sans doute les meilleurs moments de ces deux premières journées!


Après la proclamation des Sabam Jazz Awards 2016: Bram De Looze (p): jeune talent et Peter Vermeersch (cl, sax, compos): talent confirmé,  le chanteur Hugh Coltman est venu rappeler les douces heures de Nat King Cole. La voix charme les flemish mamies  («Sweet Lorraine», «Mona Lisa»). Avec «Smile», la perle de Chaplin, il monte en voix de tête. Suit «Nature Boy». Au fil des morceaux, le crooner passe du sirop au rhythm ’n’ blues; il prend deux petits chorus à l’harmonica, s’en va chanter dans l’ouïe du Steinway, feature ses accompagnateurs et termine en force, conquérant, ovationné pour un show bien rodé. 


Le Gent Jazz Festival est devenu un événement incontournable et très couru, malgré la proximité du gigantesque Festival de Northsea de Rotterdam. Tous les concerts ne sont pas du même niveau, il y a des rencontres ratées, mais aussi quelques instants de vrai bonheur… Ça, ça vaut le déplacement!


Jean-Marie Hacquier
Photos: Bruno Bollaert © by courtesy of Gent Jazz

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Pléneuf-Val-André, Côtes-d’Armor


Jazz à l’Amirauté, 5 juillet-23 août 2016



Depuis 20 ans (c’est la 21e édition), l’association Jazz à l’Amirauté, en étroite collaboration avec la municipalité aujourd’hui dirigée par M. Jean-Yves Lebas, promeut le jazz en cette magnifique station balnéaire sur la côte nord de la Bretagne, la Côte d'émeraude (en raison disent certains de la couleur de la mer, je pense plutôt en raison de celle de certaines roches), dans un des plus beaux départements de France, toujours authentique ouvert à un tourisme encore équilibré, familial.
Tous les mardis donc de ces mois de juillet et d’août 2016, la trentaine de bénévoles de l’association, coordonnée avec beaucoup d’efficacité par Elie Guilmoto, met en œuvre une belle scène de jazz, ouverte et gratuite, où se presse une assistance remarquable (1000 à 2000 personnes selon les soirs).
Dans cette charmante station qui offre encore un beau décor début de XXe siècle, le cadre est enchanteur pour le jazz dans ce verdoyant parc de l’Amirauté, en référence au généreux donateur du parc et de la belle demeure, l’Amiral Charner.
Parrainé par Philippe Duchemin, qui apporte sa contribution à l'élaboration d'une programmation très jazz et variée, l’équipe est maintenant très bien organisée et rodée.  Attrait supplémentaire, l’atmosphère malgré la grande affluence, reste familiale, simple et sans aucun des travers qui s’accumulent aujourd’hui dans beaucoup de festivals. Tout reste à l’échelle, du jazz, de la ville, et c’est la meilleure façon d’aborder un festival.



Danser sur Nougaro, Pléneuf-Val-André, 2016 © Yves Sportis


Il ne nous était pas possible de couvrir tous les mardis, et dans un bon programme qui faisait la part belle aux pianistes avec Arnaud Labastie Trio (le 5/7), Olivier Leveau Quartet (12/7) et Pierre Le Bot (23/8), qui proposait du jazz d’inspiration ou filiation new orleans les 19/7 et 2/8 avec The New Washboard Band (19/7),  le Santadrea Jazz Band (2/8), Daniel Sidney Bechet (9/8), Mathieu Boré Quintet (16/8), nous avions donc choisi de nous arrêter le 26/7, pour cette première visite de Jazz Hot à Pléneuf-Val-André, et d’assister au bel hommage
à Claude Nougaro, intitulé «Danser sur Nougaro», multidimensionnel et conçu par le parrain du festival Philippe Duchemin (p), entouré de son trio habituel (Les frères Christophe, b, et Philippe Le Van, dm), de Christophe Davot (voc, g), et d’un ensemble à cordes de 12 musiciens, Cenoman, sous la direction d’Arnaud Aguergaray (vln). L’ensemble classique comprenait 12 musiciens, violons, altos, violoncelles et contrebasse.

Le leader du jour, pas vraiment perturbé par un bras dans le plâtre, résultat d’un enthousiasme peu raisonnable pour le Tour de France, a dirigé cette belle heure et demie de musique de son clavier, n’hésitant pas de sa main valide à non seulement accompagner mais également à improviser dans d’acrobatiques chorus de main droite, bien appréciés par le public. Au demeurant, Ravel a composé un Concerto pour main gauche, et, dans le jazz, Bud Powell, pour taquiner Art Tatum, avait lui aussi joué une pièce virtuose pour la main gauche.

Les arrangements recherchés du leader, aux tonalités originales car ils mêlent la couleur jazz de Duchemin, jazzy de Nougaro et classique de l’ensemble à cordes, ont fait la part du lion à l’excellent Christophe Davot, le chanteur indispensable et courageux pour un tel hommage, car il n’est pas facile de passer derrière l’interprète Nougaro de ses propres chansons et poésies. Christophe Davot donna aussi un échantillon de ses qualités guitaristiques et fut, de fait, au centre de ce bon spectacle musical.

Dans le registre poétique,  l’utilisation des cordes a été particulièrement appréciable, et le dynamisme du trio-quartet jazz a permis de mettre en valeur le côté jazzy du répertoire du Toulousain. On aurait même aimé que les cordes soient présentes sur «Rimes» joué sans les cordes.
 
Le répertoire est forcément sans surprise tant Claude Nougaro a enchaîné les succès et imprégné l’imaginaire collectif. Commencé avec «La Pluie fait des claquettes», malgré le beau temps du jour, le concert s’est fini sur l’inévitable «Le Jazz et la java» lors du rappel des 1200 spectateurs ravis. «Ma Femme», «Cécile, ma fille», «Armstrong», «Le Déjeuner sur l’herbe» (en référence à Renoir, peut-être Jean plus qu’Auguste, et pas à Manet, «Les Mains d’une femme dans la farine», «Prisonnier des nuages», «Rimes», «Tu verras», «Le Coq et la pendule», «Dansez sur moi»…
On retient en particulier «Berceuse à Pépé», «Toulouse» où Christophe Davot fut excellent; on note un blues instrumental du trio au milieu du set; on apprécia la couleur poétique des cordes et des arrangements sur plusieurs des thèmes, et au final le public ne s’y est pas trompé en faisant une belle ovation à ces musiciens et à cette soirée, où chacun fredonna avec l’orchestre ce qui est au sens littéral du domaine public, l’univers de Claude Nougaro.

Bravo donc à l’initiateur du projet, Philippe Duchemin, aux organisateurs du festival, car la soirée fut un simple mais très appréciable moment de poésie musicale dans la période actuelle. Quand on aime le jazz, et lorsque le programme, la qualité de l’organisation et de l’environnement se conjuguent avec une telle harmonie, il est recommandé d’en profiter pour découvrir une région splendide, toujours très authentique.


Yves Sportis

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Getxo, Espagne


Getxo Jazz Festival 2016, du 1er au 5 juillet  2016


40e édition du Festival International de Jazz de Getxo, avec cette année des vedettes de l'envergure de Dee Dee Bridgewater, Esperanza Spalding, Uri Caine, Hermeto Pascoal, et Jorge Pardo. A ces concerts vedettes se sont ajoutés en outre ceux du concours de groupes et de la partie «Troisième Millénaire», ainsi que les jam sessions nocturnes.




Jorge Pardo Quartet © Jose Horna

Lors de la première journée, après le groupe du concours –Wilfried Wilde Quintet– le saxophoniste et flûtiste Madrilène, Jorge Pardo, a dédié son intervention au guitariste flamenco Juan Habichuela (83 ans), décédé la veille. Voilà pourquoi son guitariste officiel, Josemi Carmona (neveu d’Habichuela), n’a pas pu venir à Getxo et a été remplacé par Rycardo Moreno. Pardo a présenté quelques morceaux de son disque Huellas («Puerta del Sol Expresso», «Sanlúcar-Mojácar») avec d’autres classiques comme «Historia de un amor» ou le standard
très connu «Caravan», toujours dans la ligne du métissage jazz-flamenco qui le caractérise. Avec sa guitare acoustique, Rycardo Brun a apporté des nuances plus proches du jazz, tandis que Pablo Baez, à la contrebasse, et le percussionniste José Manuel Ruiz «Bandolero» fournissaient une adéquate base rythmique.



Uri Caine Trio © Jose Horna


Pour la deuxième journée, après le groupe du concours –Tomasz Wendt Trio–, le trio d’Uri Caine a offert un concert solide et imaginatif avec sept morceaux où il a fait alterner plusieurs perspectives musicales. Caine (p, Fender), aux côtés de l’excellent John Hébert (b) et de Ben Perowski (dm), a parcouru divers chemins, du funk à l'élégance classique, en passant sur de beaux moments de scintillement minimaliste, sans oublier non plus la facette politique et revendicative, dédiant le blues ragtime «Smelly» (puant) au pathétique Donald Trump.



Hermeto Pascoal © Jose Horna



Lors de la troisième journée, après le groupe du concours –Francesco Colombo Trio–, s’est produit le groupe d’Hermeto Pascoal, l'un des grands artisans de la fusion entre la musique traditionnelle brésilienne, le jazz et d'autres musiques encore… On ne peut nier que c'était un concert amusant et du goût du public, où il y a eu des moments de qualité, en particulier du coté de Vinicius Dorin (sax) et d’Andrés Marques (p); mais le jeu proprement dit d’Hermeto a eu des inégalités qui faisaient penser plutôt à un one man show, basé sur ses traits humoristiques habituels (l'imitation de Jerry Lee Lewis au piano, les sons avec baigneurs ou la cafetière/trompette pleine d’eau…). Pour être juste, disons qu'il y a eu aussi des moments musicaux de bon niveau («Irmãos Latino», «Frevo Em Maceio», ou même le numéro de toute la bande soufflant dans des bouteilles en verre), néanmoins le bilan global reste marqué par les clins d'œil faciles (un pasodoble espagnol absolument oubliable), voire les auto-parodies…




Dee Dee Bridgewater Quintet © Jose Horna


Lors de la quatrième journée, après le dernier groupe du concours –Daahoud Salim Quintet–, le festival a présenté la star la plus remarquable du programme 2016, la chanteuse Dee Dee Bridgewater. Elle s’est produite à la tête d'un quintet de jeunes musiciens d'un bon niveau –Theo Crocker (tp),
Anthony Ware (s, fl), Michael King (clav), Eric Wheeler (b), Kassa Overall (dm). Encore une fois, la chanteuse a témoigné de l'étendue de son registre vocal, de son talent théâtral et de sa capacité à se mettre le public dans la poche dès son entrée en scène, lui offrant deux bis d'un style inhabituel, avec le public dansant de tous côtés: le soul de Stevie Wonder, «Livin’ For the City», et le funk «Compared to What», chanté en son temps par Roberta Flack et révisé ici par Dee Dee, qui a ajouté danse et bonds avec sa section à vent. Le jazz était dans le répertoire précédant les bis: «Afro Blue» de Mongo Santamaría, «The Music Is the Magique» d'Abbey Lincoln, ou «Filthy McNasty» d’Horace Silver. Le meilleur a été deux morceaux en scat de Dee Dee mimant le son des instruments avec sa bouche: un trombone dans le génial «Blue Monk» de Thelonius Monk, et une trompette avec sourdine dans le traditionnel de New Orléans «St. James Infirmary». En définitive, un beau succès!




Esperanza Spalding Emily's D+Evolution © Jose Horna



Pour la cinquième et dernière journée, la contrebassiste Esperanza Spalding a présenté son projet «Emily's D+Evolution», un show qui, paradoxalement, n'a rien eu à voir avec le jazz. C'était plutôt une opéra-rock, une performance conceptuelle ou une sorte de thérapie personnelle avec un fond musical. L'histoire qu'elle tentait de raconter (d'une compréhension difficile même si on maîtrise l'anglais) portait sur son anti-évolution et sur son évolution comme femme et artiste, racontée par l'intermédiaire des aventures d'Emily, comme une sorte d'alter ego. Le format choisi, avec une guitare et une batterie de hard rock, et un chœur genre high school, a beaucoup trop pesé jusqu'à estomper la puissance d'Espérance Spalding comme bassiste. A notre avis, un faux-pas dans son parcours musical.


Le gagnant du concours de groupes a été le Daahoud Salim Quintet. Le pianiste et compositeur Daahoud Salim, fils du saxophoniste Abdu Salim, est parvenu, chose impossible depuis des années, à faire coïncider le jury et la voix du public pour un prix qui, depuis cette édition, va s'appeler «Prix Juan Claudio Cifuentes», du nom du regretté critique de jazz «Cifu», pour le prix de meilleur groupe comme pour celui de meilleur soliste. Le deuxième prix est allé au trio du saxophoniste Polonais Tomasz Wendt.


Il faut ajouter au programme les concerts du «Troisième Millénaire» où de jeunes projets comme Laurent Coulondre Trio et Ainara Ortega «Scat» ont partagé l’affiche avec des anciens tels que Kiko Berenguer ou Gonzalo del Val. Il faut aussi souligner que la Salle Torrene a accueilli l'exposition de mosaïques «Le Jazz ? Yes!» de l'artiste Javier de la Torre, d’après des photographies de jazz.



Le bilan de Getxo Jazz pour son 40e anniversaire a été bon tant pour la qualité artistique que sur le plan de l’affluence. Seul point négatif, les lumières de scène avec des effets visuels hors de propos. Il y avait beaucoup plus de réflecteurs pour ces jeux de lumières ou d'images projetées –éblouissant complètement les premiers rangs du public– que pour illuminer les musiciens eux-mêmes! Une anecdote: pendant la samba jouée par le groupe d’Hermeto Pascoal, un paysage arctique était projeté sur la toile de fond… A résoudre pour les prochaines éditions de ce grand Festival!


Lauri Fernández et Jose Horna
Texte et photos

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Lincoln Center Jazz Orchestra-Wynton Marsalis © Denis Alix by courtesy of Festival International de jazz de Montréal



Montréal, Québec, Canada



Festival International de Jazz de Montréal,
29 juin-9 juillet 2016




On peut imaginer le déroulement des festivals de jazz de l'été canadien comme une énorme vague d’énergie musicale roulant vers l’Est, sautant par dessus le continent, devenu phénomène saisonnier traditionnel. Phénomène qui est son véritable ADN. Tout débute avec l’impressionnante chaîne des festivals canadiens, qui démarre sur les franges ouest de Vancouver, passe par l’Alberta, Toronto, pour arriver au grand et remarquable festival de Montréal, avant de s’en aller vers l’Est, vers les festivals européens.
Une fois de plus, le Festival international de Jazz de Montréal (FIJM), dans sa 37e édition cette année, prouve sa puissance et sa valeur artistique,
avec une vision large de ce qu’il y a de mieux dans le jazz aujourd’hui.
Le FIJM n’hésite pas présenter de la pop, du R&B et d’autres musiques à côté du jazz, afin d’obtenir des subventions et dattirer ceux qui n’éprouvent aucun intérêt pour un festival de jazz. Cet appât pour un public de masse est apparu sous la forme de noms tels que Brian Wilson et Melody Gardot. Mais le festival ne sacrifie ni ne lésine jamais avec sa principale mission de présenter une gerbe de quelques-uns des artistes de jazz parmi les meilleurs et les plus significatifs du moment, aussi bien d’expression contemporaine que de la tradition, même si les fans de l’avant-garde ont pu se sentir lésés, puisque la programmation contemporaine a été pratiquement supprimée.



Gregory Porter © Benoît Rousseau by courtesy of Festival International de jazz de Montréal



Cette année, le concert d’ouverture a tracé une ligne ténue entre le jazz et la pop, sous les traits du chanteur Gregory Porter, devenu rapidement l’un des plus populaires chanteurs de « jazz », mais dont le charme s’étend à une plus large audience qu’à celle plus strictement jazz. Avec son répertoire inédit, Porter est en symbiose avec l’héritage et les influences évidentes de Bill Withers, Marvin Gaye et Donny Hathaway qui lui attirent les amateurs de « soul », tandis que son phrasé souple, sa fluidité dans l’improvisation (son album «Liquid Spirit» est un modèle pertinent de ce don) et son langage harmonique, titillent l’essence du jazz.
En concert, au Théâtre Maisonneuve, place des Arts, centre du festival et carrefour des lieux de concert, Porter entra sur scène sur une annonce élogieuse quand le directeur artistique, André Ménard, le présenta en vainqueur du «Festival’s Ella Fitzgerald Award»: «Je la prends, dit Porter avec un sourire malicieux. Elle appartient aussi à mon orchestre. Cependant elle restera chez moi.»

La grande soirée Porter dans la grande salle faisait contraste avec le style vocal de Cyrille Aimée, dont le répertoire à l’Astral Night-club allait de Michael Jackson’s «Off the Wall» à «Light as a Feather» de Corea (rappelant Flora Purim). Ses variations sur le thème de «Gypsy» alliaient  des gestes théâtraux à sa musicalité.

Une autre soirée, un autre style de chanteur, avec Rufus Wainwright, qui s’en tira bien avec son œuvre pleine de promesse « La pop rencontre l’opéra », dans la grande salle Wilfrid-Pelletier. Elevé à Montréal, dans une dynastie musicale, fils de Loudon Wainwright III et de la regrettée Kate MacGarrigle, frère de la talentueuse et sous estimée Martha, il s’est créé un style unique, travaillant depuis la pop sophistiquée de «Poses» « Cigarettes and Chocolate Milk», «California», jusqu’à un opéra ambitieux, de sa conception « Prima Donna » à propos de Maria Callas, présenté ici dans une version multimédia. Un «Show Capper» de sa version particulière de «Hallelujah» de Leonard Cohen (autre Montréalais célèbre) lui permit d’inviter sur scène les membres de la famille : Martha, Lily et Sylvia.

Pour la captivante «Invitation Series », en première partie, le festival avait dirigé les projecteurs sur le trompettiste multi-style, Christian Scott, suivi par trois concerts qui démarrèrent avec Kenny Barron, (mais j’étais alors déjà parti). Le Scott’s Band qui invitait la jeune et étonnante flûtiste en pleine ascension, Elena Pinderhughes, avec le saxophoniste aux doigts agiles, Braxton Cook, s’aventura dans un répertoire à la fois électrifié et post-mainstream, qui est en quelque sorte le concept de « Stretch Music » du trompettiste. D’autres invités se produisirent à la soirée suivante, tout d’abord le guitariste à sept cordes Charlie Hunter, qui donne son meilleur en lignes groove mâtinée de funk, et la chanteuse Lizz Wright, une artiste en milieu de carrière et qui est maintenant à son niveau le plus haut. Quand Scott eut chanté chaleureusement et avec générosité les louanges de la chanteuse et dit que sa musique lui était une source d’inspiration, l’élégante et truculente chanteuse déclara à la foule : « Pour la première fois de ma vie, je suis la plus vieille personne sur scène. » Son répertoire incluait une nouvelle reprise de Neil Young’s «Old Man» et les poignants gospels «Freedom» et «Surrender», tandis que son orchestre occasionnel composé de copains lui construisait un soubassement ferme et expressif.

Marsalis’ JALC Big Band, encore et toujours l’un des meilleurs, joua pour un public totalement différent dans ce nouveau Concert Hall, la Maison Symphonique de Montréal, à l’architecture et à l’acoustique enchanteresses. L’orchestre était sur son trente-et-un, aussi bien côté costume que musicalement. Comme toujours dans cet orchestre, les racines du jazz se mêlent à la modernité.
L’orchestre est parti de Jelly Roll Morton («Le premier musicien de jazz intellectuel», commenta Marsalis) pour aller jusqu’à l’arrangement de Don Redman sur «I Got Rhythm» et à l’esthétique plus récente de « Armageddon » de Wayne Shorter, élégamment arrangé par le trompettiste Marcus Printup. Le «Crescent City» de Victor Goines, s’enrichissait délicieusement des percussions et des balancements de la valse, tandis que le «Jackson Pollock» de Ted Nash (de Nash’s Art-Minded Portrait in Seven Shades) était étourdissant, coloré par des traits rapides comme le jet des couleurs dans l’action painting,  tout en mettant en avant un solo du trompettiste Ryan Kisor.

Pour la soirée suivante, un ensemble de taille moyenne représentait une autre strate de la culture jazz, celle de jeunes et solides musiciens qui composent la nouvelle génération de Blue Note Records. Ce Blue Note 75 Band renvoie au 75e anniversaire de l’auguste label en 2014, prouvant que la vie continue. Ce groupe était composé de Robert Glasper (clav), d’Ambrose Akinmusire (tp), de Marcus Strickland (sax), de Derrick Hodge (b), de Kendrick Scott (dm) et, légèrement plus âgé, de Lionel Lueke (g), tous d’impressionnants interprètes qui ont fait preuve de sensibilité et de force expressive sur la scène.
En même temps ils ont rendu hommage au fonds musical de Blue Note, démarrant avec «Witch Hunt» de Wayne Shorter, et passant par des originaux des artistes des débuts de Blue Note. Les clous de la soirée furent le méditatif «Henya» d’Akinmusire ; Scott, en post-hard-bopper sur «Cycling through Reality»; et le joli  «Bayyinah» de Glasper, ouvrant le solo de piano sur d’habiles  entrelacements. Ils terminèrent avec un classique sans référance à Blue Note, le «Turnaround» d’Ornette Coleman, en transformant avec un peu de  dérision la mélodie de «Turnaround» en un motif en boucles.

Au risque d’en faire trop par rapport à ma brève apparition au festival, je trouve que cette boucle hypnotique de «Turnaround» symbolisait avec force le message, sous-jacent et partagé par tout le monde, de ce festival aussi considérable et couvrant un si vaste champ. Après tout, le jazz est une boucle, un chœur de voix fantomatiques et de mémoire de la musicale ancestrale, confrontés à l’arrivée et à l’évolution de «New Thing». L’ancien a rencontré le nouveau à Montréal, pour l’englober et en prouver la justesse, comme cela arrive habituellement ici chaque été.


Josef Woodard
Traduction et Adaptation Serge Baudot


© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Randy Weston, Jazz à Vienne 2016 © Pascal Kober


Vienne, Isère (alternate)



Jazz à Vienne, 28 juin-15 juillet 2016





Il a joué au sommet des Alpes dans la neige, a vécu un temps à Annecy et a même ouvert un club de jazz au Maroc, entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, invitant des musiciens gnawas comme Abdellah Boulkhair El Gourd à partager la scène avec lui. Il fête cette année ses 90 ans, et sa musique est de plus en plus belle. Bon pied, bon œil (et surtout excellente oreille!), Randy Weston nous a enchantés lors de son concert au Théâtre antique de Vienne ce lundi 4 juillet 2016. Guy Reynard vous l’a déjà dit.
Je voulais juste ici rajouter quelques lignes sur la profonde humilité, la profonde humanité, de ce pianiste hors du commun qui fut parmi les premiers à réunir les musiciens des deux continents, l’africain et l’américain. Mention toute spéciale à Alex Blake, son formidable contrebassiste, assis sur une chaise basse, la «grand-mère» presque couchée sur le corps, en jouant quasiment comme d’une guitare flamenco, tout en accords, sans que jamais ce jeu atypique puisse être assimilé à un quelconque procédé spectaculaire.




Lisa Simone, Jazz à Vienne 2016 © Pascal Kober



Randy Weston, 90 ans de musique au cœur, était précédé de Lisa Simone. J’avais rencontré sa maman en 1992 dans un festival à Pointe-à-Pitre. Pas facile, la maman… Et vie tout aussi pas facile pour Lisa, sa fille. Mais l’ancienne de l’US Air Force est d’abord excellente chanteuse et compositrice. Surtout, elle est en empathie immédiate avec son public et ceux qu’elle rencontre. Conséquence: ce jour-là, elle nous a accordé deux petites séances photos en mode street photography puis en mode glamour en studio! C’est aujourd’hui devenu si rare (l’empathie, tout comme la liberté photographique) qu’il faut saluer le changement d’attitude du service de presse du festival cette année. Service qui mérite enfin son nom après tant d’années de prise de pouvoir de la part de l’entourage des musiciens, souvent trop habitué aux usages du show business et peu sensible à l’univers particulier du jazz.




Esperanza Spalding, Jazz à Vienne 2016 © Pascal Kober



Soirée féminine le samedi 9 juillet avec un joli plateau qui semble a priori très hétéroclite: Esperanza Spalding en première partie, suivie du duo Ibeyi, puis de la formation de la chanteuse Yael Naim. D’Esperanza Spalding, on dira qu’elle a du culot. Et ce sera un euphémisme. Cette fille est folle! Vous la croyez contrebassiste? Esperanza Spalding habite son corps de liane comme si elle était une danseuse du grave pour une sorte d’opéra jazz surréaliste et ébouriffé. Je l’ai connue en 2009. Plutôt sage. La voici en athlète de sa cinq cordes… Dix ans tout juste après son premier album, Junjo, presque orthodoxe, il y a aujourd’hui du Frank Zappa dans Emily’s D+Evolution, son nouvel opus (autobiographique!). Richesse des timbres et de l’écriture, textes déjantés (et parfaitement incompréhensibles pour un Français, même correctement anglophone), mise en scène et en costumes, chorégraphies, bref, pure poésie que ce spectacle qui rugit d’une belle énergie juvénile. Succès auprès du public. Moins auprès de la critique jazz. Moi, j’aime l’audace insolente de cette compositrice d’à peine 30 ans, avec son parcours de première de la classe, son enfance dans les quartiers difficiles de Portland (Oregon) et sa chevelure (en effet) ébouriffée, qui se fiche de l’avis de ceux du sérail, tente le diable et, au fond, aime d’amour son instrument comme son public. Quelqu’un, qui vous remercie de citer «Silence», ce merveilleux thème composé par Charlie Haden qu’elle interprète de façon impromptue sur le prototype d’un instrument que lui a apporté backstage un luthier de la région, ne peut être qu’une grande musicienne!

Peu commune, non plus, le prestation de Lisa-Kaïndé Diaz (chant et piano) et Naomi Diaz (chant et percussions). Elles sont les filles (jumelles) de feu le grand percussionniste cubain Miguel «Anga» Díaz qui joua avec l’Irakere de Chucho Valdes, que j’avais croisé avec le pianiste Omar Sosa à Tanger en 2005, et qui est décédé, trop tôt, l’année suivante, à l’âge de 45 ans. Il y a peu, j’avais retrouvé Lisa et Naomi au festival des Enfants du jazz à Barcelonnette, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Elles étaient alors… stagiaires! Aujourd’hui, elles ont créé le duo Ibeyi. Beau chemin parcouru, les filles! Bel hommage à votre papa. Un univers musical singulier qui, s’il est en effet un peu éloigné du jazz, n’en reste pas moins sincère, exigeant et diablement séduisant. Lisa et Naomi préparent actuellement un deuxième album avec quelques friends invités. On a hâte d’écouter…

Sincérité et exigence sont deux qualificatifs qui s’appliquent également parfaitement à Yael Naim. Il y a quelques mois, je l’ai vue à Lyon, avec son homme, David Donatien, dans une formule atypique et musicalement risquée, accompagnés par une formation classique: le quatuor Debussy. Presque acoustique et tout en finesse. Ce samedi, les voici avec leur propre orchestre. Dans un registre extrêmement différent, mais tout aussi attachant. Arrangements aux petits oignons, sens du spectacle et surtout, quelle voix! Message personnel: Yael, ne sois pas timide! À quand l’enregistrement du répertoire jazz de Joni Mitchell entendu ici même, au théâtre antique de Vienne, il y a quelques années?



Buddy Guy, Jazz à Vienne 2016 © Pascal Kober



Exceptionnellement, après sa traditionnelle All Night Jazz qui s’achève aux aurores, Jazz à Vienne s’est poursuivi en proposant une soirée blues. Il ne fallait pas y rater Shakura S’Aida, une grande chanteuse de blues américaine encore trop méconnue de ce côté-ci de l’Atlantique que j’avais rencontrée en 2009 au festival Tanjazz avec le pianiste français Rachid Bahri. Pas de doute: Shakura sait faire le show et emballe les sept mille spectateurs du festival. Une parfaite introduction au concert de Buddy Guy qui, lui aussi, distille un blues qui plonge aux racines du genre. A bientôt 80 ans, chemise à pois, as usual, Papy Guy a su garder son âme d’enfant et ne nous a rien épargné: gratter avec les dents les cordes de sa Fender Stratocaster (laquelle a la touche blanchie par endroits à force de bends), distribuer ses médiators aux premiers rangs, prendre un chorus avec la guitare dans le dos, s’amuser avec l’effet larsen, descendre de scène pour aller à la rencontre de son public, jouer avec son… ventre (!), la guitare à l’envers, la frapper avec une baguette de batterie, s’amuser de ses effets de distorsion voire faire de la musique avec une… serviette de bain! Jamais rien pourtant qui puisse sembler emprunté ou superfétatoire. Buddy Guy? Un festival de blue notes pour marquer la fin du festival. Avec gourmandise!

Pascal Kober
Texte et photos

PS du photographe aux organisateurs: remettez-nous donc la belle affiche dessinée par Bruno Théry en fond de scène plutôt que ces infâmes effets de lumières que l’on voit partout, rejetons de ces satanées boules à facettes des boîtes de nuit des années 1970!

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Randy Weston, Vienne 2016 © Guy Reynard


Vienne, Isère


Jazz à Vienne, 28 juin-15 juillet 2016



Comme à l'accoutumée, Jazz à Vienne 2016 propose un programme soutenu qui s'étale sur la journée, de 12h30 sur la scène de Cybèle jusqu'à tard dans la nuit avec le club de minuit dans un petit théâtre à l'italienne. Tous ces concerts sont gratuits à l'exception du Théâtre antique où passent les têtes d'affiche du festival. Les quatre journées auxquelles nous étions invités présentaient donc beaucoup de musiques, et il n'est pas incongru de mettre musiques au pluriel car le champ culturel du festival s'élargit, ici comme ailleurs, à des projets qui s'éloignent de plus en plus du jazz. Nous avions choisi ces quatre jours car le jazz y était dominant.




Lisa Simone © Guy Reynard



Lundi 4 juillet. Lisa Simone ouvre la soirée au Théâtre antique. Il n'y a aucune affectation mais une présence sympathique et décontractée. Le soleil est encore présent, et la chanteuse se présente avec un grand chapeau africain en cuir et des lunettes de soleil. Elle ne les garde que peu temps et entre dans son spectacle habituel. On sait que Lisa Simone a beaucoup fréquenté Broadway et la comédie musicale. Elle a également chanté dans des groupes de gospel, et tous ces éléments se retrouvent dans son spectacle. Elle est une chanteuse de soul naturelle qui se rapproche de plus en plus du jazz. Elle possède une belle voix  chaude, et la comédie musicale lui a enseigné à mettre en scène ses chansons. Son incursion dans le public, sans être spontanée, est différente d'un spectacle à l'autre et varie selon les réactions du public (certains sont plus intéressés par les selfies que par la musique!). La musique demeure soul avec des éléments gospel, blues et jazz et la touche personnelle d'une chanteuse qui s'est rapidement fait un prénom en se distinguant de son illustre mère. Son quartet est très soudé: Hervé Samb (g acoustique) et Reggie Washington (b) assurent l'accompagnement, et lorsque Sonny Troupé (dm) se lance dans un chorus, c'est un percussionniste mélodiste qui réussit à faire chanter les tambours. Lisa Simone a réuni un orchestre idéal pour communiquer avec le public.

Randy Weston propose son African Rhythms Quintet. A plus de 90 ans, il n'a rien perdu de ses qualité de pianiste et de son enthousiasme pour retrouver le chaînon manquant entre l'Afrique et la musique afro-américaine. Les deux saxophonistes se complètent parfaitement: Billy Harper est d'une grande rigueur dans des solos très élaborés alors que  T.K. Blue qui a beaucoup joué avec les musiciens sud-africains (Chris McGregor, Abdullah Ibrahim) est plus effervescent. Neil Clarke aux percussions africaines est certes le plus proche de l'Afrique tandis que le fidèle Alex Blake assure la maîtrise rythmique de l'ensemble. Randy Weston joue plutôt sur des tempos assez lents au cours de cette première partie où ses compositions constituent le répertoire. «Hi Fly» qui termine cette première partie est d'abord esquissé au piano sur un tempo assez lent avant de prendre son essor avec l'entrée des saxophonistes. La deuxième partie constraste complètement avec la première. Les saxophonistes sortent et Cheik Tidiane Seck (elec p), Ablaye Sissoko (kora) et Mohamed Abouzekry (oud). Mais la musique ne semble pas vraiment décoller malgré quelques bons solos, montrant toute la difficulté à fusionner des musiques de tradition différente.



Hugh Coltman © Guy Reynard



Mardi 5 juillet. C'est le chanteur anglais Hugh Coltman qui ouvre la soirée pour Diana Krall. Il se place dans la lignée du music-hall. Il a choisi des chansons de Nat King Cole qu'il explore avec une voix sans aspérités, douce. Il propose ainsi une belle séance nostalgique tournée vers le swing des années 1950-60.


Diana Krall Quartet © Guy Reynard




Diana Krall effectue
également un retour vers le passé, mais il s'agit ici de celui des débuts de sa carrière. Elle n'a malheureusement pas oublié sa paranoia envers les photographes. Pour ce retour vers le jazz Diana Krall a choisi un orchestre de très haut niveau avec Anthony Wilson (g), Bob Hurst (b) et Kerriem Riggins (dm). La chanteuse ne quitte pas son piano et distille des mélodies swinguantes. Les tentations rock and roll sont ici oubliées, et ses accompagnateurs sont choisis en fonction de ce retour à ses premières amours. De belles mélodies bien insérées dans le jazz peuvent aussi continuer à lui amener un fidèle public.




Mercredi 7 juillet. Cette soirée, largement consacrée à Django Reinhardt, débute avec le quintet d'Angelo Debarre (g) avec Marius Apostol (vln). Le quintet se place naturellement dans la tradition du Quintet du Hot Club de France à la fois par l'instrumentation ainsi que par le répertoire et la manière. Les deux solistes ont leur propre personnalité. Le violoniste est beaucoup plus tourné vers la tradition tzigane. Soixante ans après la disparition du «Divin Manouche», la forme a un peu tendance à se figer.

Angelo Debarre Quintet © Guy Reynard


Il y a deux ans dans ce même théâtre antique le Amazing Keystone Big Band proposait des arrangements sur la musique de Quincy Jones présent alors sur scène. Cette fois, c'est la musique de Django Reinhardt en grand orchestre. Une plus grande cohérence se fait sentir grâce aux arrangements. Trois invités viennent exposer leur vision de Django. Stochelo Rosenberg, un grand soliste, parvient parfaitement à s'adapter au grand orchestre. Marian Badoï (accord)
apporte sa sensibilité de l’Europe orientale tandis que James Carter qui a déjà exploré la musique du guitariste manouche, est nettement plus disert. Pour le final, avec l'orchestre et les quatre solistes invités, «Nuages» est naturellement convoqué.

Amazing Keystone Big Band © Guy Reynard



Jeudi 8 juillet. Poursuivant ses recherches électriques, Brad Mehldau retrouve Mark Guiliana (dm) avec lequel il a déjà beaucoup exploré le duo. Et il a invité John Scofield (g) qui met beaucoup de blues dans son jazz. Brad Mehldau refuse toute photo et, utilisant piano acoustique, Fender Rhodes et synthétiseurs vintage, au son parfois pas très net, n'est pas toujours en accord avec les autres instruments. Autant le trio fonctionne bien sur la musique électrique avec Mark Guiliana, autant le piano acoustique s'accorde très mal à ce même jeu de batterie. Les mélodies de Brad Mehldau ont du mal à résister au travail rythmique de Mark Guiliana, fait de profondes ruptures. John Scofield joue à la fois de la basse et de la guitare et sa musique est toujours teintée de blues et de retours au jazz des année 1970. Un projet hybride.

John McLaughlin/The 4th Dimension © Guy Reynard



Rien de tel chez John McLaughlin dont le groupe, The 4th Dimension, existe depuis plusieurs années avec une remarquable stabilité (Emile Mbappe, b, Gary Husband, clav). Seul Ranjit Barot (dm) est indien. La musique reste indienne. Le jeu de guitare de McLaughlin est fait à la fois de longues phrases et de bouffées où croît l'intensité et le rythme du morceau. Quel que soit le groupe qui l'accompagne, le jeu virtuose de John Mclaughlin est personnel, lyrique. Les autres musiciens s'intègrent bien au projet et tous participent à l'univers rythmique et mélodique d'un concert varié mais toujours d'une belle unité.





A noter, pour finir sur une note ludique, un blindfold test proposé par le biographe Ashley Khan à James Carter avec pour thème, bien sûr, le saxophone…

Guy Reynard
texte et photos

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
Ascona, Suisse

JazzAscona, 23 juin-2 juillet 2016



Ascona est la capitale européenne des musiques de la Nouvelle-Orléans, et, donc, on y a entendu en provenance de la Cité du Croissant, des artistes en exclusivité comme Glen David Andrews, Aurora Nealand (ss, cl, voc, Tom McDermott, p, Bechet revu), Jazz Vipers, Tremé Brass Band (Shamarr Allen, tp, Terrence Tarpin, tb, Benny Jones, b dm), Palm Court All Stars, Davell Crawford Trio (Herlin Riley), John Michael Bradford, Leon Brown, les Boutté. Ces artistes absents de nos programmations constituent la raison principale pour laquelle un jazzfan français choisit de venir à Ascona. Il n'y avait pas de changement significatif dans l'organisation.




Craig Klein © Michel LaplaceKevin Louis © Michel Laplace



Le premier jour, Glen Davis Andrews (tb-voc, showman) s'est produit avec un percutant trio soul-funk (org, g, dm).
La découverte fut Jazz Vipers, à l'instrumentation inhabituelle, qui swinguent les standards. La rythmique tourne avec Joshua Gouzy (b) et Molly Reeves (g -genre Danny Barker). La front-line est excellente, Kevin Louis (cnt), Craig Klein (tb), les Bonie, Earl (cl, ts) et Oliver (bs): «Dinah» (Craig Klein, tb-voc), «I want a Little Girl» (Kevin Louis, voc), «Shake It & Break It» (belles nuances).


Davell Crawford © Michel Laplace





Le 25, leur invité John Michael Bradford (tp, voc) a confirmé son potentiel (en trio avec la rythmique: «Stardust»). L’Ascona Jazz Award 2016 a été décerné décerné à Davell Crawford qui nous donna un copieux récital avec Barry Stephenson et l'incroyable, Herlin Riley (des évocations de Ray Charles et surtout de Fats Domino –
«It Ain't a Shame«, «I'm Walking«, «Blueberry Hill»–, un bon «St. James Infirmary»).




Herlin Riley © Michel Laplace







L'événement du festival fut la Piano Night du 26 (2 pianos et 6 pianistes) au Teatro del Gatto, conçue par Davell Crawford qui l'a présenté, et, en solo, l'a ouverte (bel «Amazing Grace») et achevée («Do You Know What It Means»). Nul mieux que lui, Tom McDermott et Paul Longstreth pouvaient évoquer la lignée louisianaise du clavier (Fats Domino, James Booker, Henry Butler, Dr. John). En valeur ajoutée, Herlin Riley, mais aussi Barry Stephenson (pour David Paquette: solo à l'archet dans «New Orleans» et en slap dans «Shake It & Break It»). Notons un «Maple Leaf Rag» par McDermott tel que ne l'a pas pensé Scott Joplin, un bon duo Paquette-Crawford sur «St Louis Blues», un «St. James Infirmary» par Silvan Zingg et un final sur «My Mojo Working» par les six pianistes (Christian Willisohn, aussi)!


Autour de Lillian Boutté, Thomas L'Etienne a réuni un All Star (Uli Wunner, as-cl, Fessor Lindgren, tb, Shannon Powell, dm) dans un répertoire varié ouvert aux invités (belle soirée Armstrong avec John Michael Bradford, Leon Brown, Shamarr Allen, tp, 28/06). Lars Edegran a réuni au sein des Palm Court All Stars des vétérans que l'on a plaisir à retrouver, Gregg Stafford (tp, voc: «Second Line»), Sammy Rimington (cl: «I Grow too Old to Dream»; as, «Little Tenderness», avec Topsy Chapman, voc), bien soutenus par Richard Moten (b: «Sweet Georgia Brown») et Jason Marsalis, parfait dans le jazz tradtionnel («Avalon»).


Nous avons donc eu plusieurs générations de trompettistes dont Gregg Stafford, qui fait désormais figure de flambeau de la tradition (le 01/07, son «Moonlight Bay» vient directement de Kid Thomas). Shamarr Allen a un style compatible avec le traditionnel («Bogalusa Strut» avec Jazz Vipers, 30/06), mais sa vraie nature est post bop, et c'est aussi le cas pour John Michael Bradford (qui était à l'aise dans le funk de Glen David Andrews, 30/06). Tous deux dotés d'une excellente technique, jouent fortissimo, sans nuances, contrairement à Leon «Kid Chocolate» Brown qui soigne la sonorité («La Vie en Rose», 01/07), et Kevin Louis, au phrasé souple, capable d'envolées spectaculaires sans sacrifier la qualité du son et les diverses dynamiques.


Anais St.-John © Michel Laplace




Il n'y a pas que les Néo-Orléanais; le programme est complété par des artistes européens. Des jazzfans suisses m'ont témoigné leur enthousiasme pour le groupe Jazz à Bichon (avec remplaçants) qui fit le plein à Piazzetta (26/06). La Section Rythmique (Guillaume Nouaux, dm, Sébastien Girardot, b, David Blenkhorn, g) fait l'unanimité (avec Hetty Kate, voc). Notons l'exploit de Pierre Guicquéro (tb) remplaçant au pied levé dans les Primatics (vif succès). Pour les Français, les jazzmen actifs en Italie sont à découvrir. L'Italo-américain, Michael Supnick (tp, tb, voc) a démonstré au Pontile (26/06) tout ce qu'il doit à Louis Armstrong: «Confessin'», «I Can Give You Anything But Love», etc. Le vétéran Emilio Soana (tp) au sein du SMUM Big Band fit bonne figure avec John Michael Bradford en guest (26/06). On a retrouvé Red Pellini (ts) avec le Gotha Swing. Enfin, le talent d'Alfredo Ferrario (cl) et du styliste, percutant et élégant à la fois, Fabrizio Cattaneo (tp) fut un atout pour Anaïs St. John, fille de Marion Brown qui, plus qu'une chanteuse, est une interprète («Is You Is», «Gee Baby», etc.).

Ceux qui souhaitent découvrir les artistes dont il est ici question doivent aller à Ascona!


Michel Laplace
texte et photos

© Jazz Hot n° 677, automne 2016
 

Johan Dupont à l'Archiduc, Jazz Marathon de Bruxelles 2016 © Pierre Hembise

Bruxelles, Belgique




Brussels Jazz Marathon, 22 mai 2016




Alors que le marathon se déroule le vendredi et le samedi dans les clubs, les bistrots et sur les places de la capitale, le dimanche, la Grand-Place est réservée aux Lundis d’Hortense pour la promotion de quatre des meilleurs groupes belges du moment. C'est sur le dimanche que nous nous sommes focalisés.






Les frères Dellanoye et leur Delvita Group ouvraient dès 15h.15. Nous avons écouté avec attention et admiration le quartet de Jan De Haas. On voit souvent Jan derrière une batterie, mais on oublie parfois qu’il est  un excellent vibraphoniste (trois albums à son nom). C’est d’ailleurs accompagné par les musiciens de son dernier album (W.E.R.F. 123) qu’il avait choisi de se produire –Ivan Paduart (p), Sal La Rocca (b), Mimi Verderame (dm). Le répertoire est principalement construit autour des compositions du vibraphoniste qu’on rapproche facilement de Sadi pour les  valses. Moins excessif que l’Andennais sur les tempos rapides, il a le bon goût de doubler ses solos sur des toms placés en avant-scène. La cohésion du quartet est excellente. Les sidemen ont apporté quelques-unes de leurs compositions mais ils restent au service d’une jolie musique, collective, de facture classique.

Lorenzo Di Maio, Grand-Place © Pierre Hembise







Vint ensuite, le groupe de Lorenzo Di Maio (g): Cédric Raymond (b), Nicola Andrioli (p), Antoine Pierre (dm) et Jean-Paul Estiévenart (tp). Cédric est l’ainé ; les autres ont moins de trente ans et ça se ressent dans la manière dont ils jouent (très bien): plus appuyée, avec des prises de risques, des question/réponses et des structures qui soulignent la complémentarité des solistes («Detachment», «No Other Way», «September Song»).  «Santo Spirito» joué en finale mit en lumière l’approche surréaliste à la belge du pianiste transalpin. La musique est gaie!

Elle le sera plus encore avec le dernier groupe : celui du batteur Yves Peeters: Dree Peremans (tb), Nicolas Kummert (ts), Axel Gilain (eb), Bruce James (p, voc) et François Vaiana (voc). Reflet de leur album Gumbo publié chez WERF, le band propose un patchwork d’originaux («Lighthouse» de Kummert), des lyriques écrits par François Vaiana, des backings ténor/trombone et un feeling très Bourbon Street impulsé par Bruce James (p, voc).

Sur le chemin du retour, nos pas nous ont heureusement entraînés à la porte de L’Archiduc. Le mythique club art déco servait de cadre au duo Johan Dupont (p)–Steve Houben (as). Dos à la porte, assoiffés, incapables de nous faufiler au comptoir, nous nous sommes délectés du swing intense à la Fats Waller de Johan Dupont et des réparties élégantes de Steve Houben. Renaud Crols (vln) se faufila en douce et tout swing dans ce concert-coda d’un soir jouitif («Lament», «La Javanaise», etc.).


Jean-Marie Hacquier
Photos Pierre Hembise
© Jazz Hot n° 676, été 2016


Saint-Gaudens, Haute-Garonne


Jazz en Comminges, 4 au 8 mai 2016

Le week-end de l'Ascension est depuis 14 ans la période choisie par les fondateurs de Jazz en Comminges pour héberger leur festival, aujourd'hui sur 5 journées pour le Off gratuit et 4 soirées pour le festival officiel, avec toujours deux concerts chaque soir. Si l'on ajoute les orchestres présents dans plusieurs bars et restaurants, le cinéma local qui présente des films de jazz, les expositions, on peut dire que pendant ces cinq journées, la ville entière vit au rythme du jazz.

Cette année l'Ascension étant très précoce, les Pyrénées, toutes proches, étaient encore largement recouvertes de neige. Le programme, comme à l'habitude, est centré sur le jazz actuel sans exclusive de style, d'une belle cohérence malgré quelques assemblages parfois curieux. Le cru 2016 ne dérogeait pas, et la musique toujours extrêmement intéressante avec une acoustique parfaite, dans un lieu qui n'est pas fait a priori pour la musique mais parfaitement aménagé, et des techniciens du son et de la lumière parfaitement efficace,.



Didier Lockwood, Philippe Catherine, Richard Galliano © Guy Reynard


La première soirée est à guichets fermés. Le public très nombreux est certainement venu, plus attiré par l'accordéon de Richard Galliano et le violon de Didier Lockwood que par David Sanborn qui surfe depuis plusieurs décennies sur les différentes modes. Il ne faut certes par oublier Philip Catherine qui complète le trio. Quelques dizaines d'années auparavant, ainsi que le rappelle Didier Lockwood, un premier trio avait déjà existé avec Christian Escoudé, remplacé aujourd'hui pour Richard Galliano. Chacun des musicien reste dans son propre univers et prend des chorus parfaitement en place, mais au bout de quelques thèmes le son du trio n'apparaît toujours pas: il reste une juxtaposition de brillants solistes, et personne n'a la volonté de prendre la direction de l'ensemble, sauf sur ses propres compositions. Les trois musiciens proposent certes de belles musiques, mais on attend toujours ce jeu collectif qui est la base du jazz, aussi brillantes que soient les interventions personnelles.

David Sanborn a toujours voulu se couler dans la mode de son temps. Ainsi dans les années 70 et 80, il privilégiait le son de son saxo alto et donnait à sa musique une direction très proche d'une sorte de smooth jazz, peu dérangeant, qui flirtait avec la fusion, mais sans jamais dépasser les limites d'une musique médiane loin des outrances du free et même du bebop et hard bop, trop loin de la musique susceptible de toucher le grand public. Il effectue aujourd'hui un virage  complet, introduisant une partie plus funk à son orchestre, et parfois même quelques ouvertures vers le free dont on ne voit pas trop l'utilité. Heureusement l'organiste Ricky Peterson replace cette musique dans une voie plus proche du jazz et la batterie de Billy Kilson demeure dans cette même veine et pallie largement l'absence du percussionniste annoncé. André Berry à la basse donne la direction funk à la musique tandis que le guitariste Nicky Moroch reste assez discret. Mais en cherchant trop à rester au goût du jour, il n'est pas certain que David Sanborn y retrouve vraiment une sonorité personnelle et son public.



La deuxième soirée du festival est très différente  car les deux orchestres présentés sont certes très différents, mais il s'agit cette fois de véritables groupes. Le trio du pianiste Rémi Panossian, présenté en partenariat avec le Conseil Général de Haute Garonne, est une découverte de Jazz sur son 31, le festival automnal de Toulouse. Les trois musiciens forment un trio très soudé, et Maxime Delporte à la basse et Frédéric Petiprez à la batterie, apportent plus qu'un soutien au pianiste, et sont partie prenante à l'élaboration de la musique. Celle-ci joue plus sur les couleurs et les textures que sur le swing et le groove, mais chaque pièce est parfaitement mise en place. De belles improvisations sont suscitées par les parties d'ensemble et une belle dose d'humour vient pondérer une musique parfois très sérieuse avec des compositions comme «Brian le Raton Laveur» ou «Into the Wine». Même si le rock n'est jamais très loin, la sonorité d'ensemble demeure très européenne avec des références à l'harmonie de la musique classique.



Deux ans auparavant, Chucho Valdés était déjà présent sur cette même scène, mais en petite formation où dominaient les percussions. Cette fois-ci, avec un mini Irakere, il réalise un parfait équilibre entre section rythmique et souffleurs. Ces derniers sont présentés en une ligne qui fait face aux percussionnistes et au pianiste. La musique prend tout de suite une grande ampleur avec les percussions et le piano qui créent la mélodie tandis que les trois trompettes et les deux saxos apportent les riffs de la musique cubaines qui soulignent les percussions. Cela ne les empêche d'ailleurs pas de prendre tour à tour quelques solos décidés par le pianiste. Dreiser Durruthy Bombalé percussionniste, chanteur et danseur, fait office de maître de cérémonie et paraît diriger l'office païen dédié aux divinités importées d'Afrique et largement transformées au contact du christianisme. Cependant Chucho Valdés garde constamment la direction des opérations et relance régulièrement les solos ou les ensembles. Même lorsqu'il dirige avec beaucoup d'humour un «Take Five» à la mode cubaine, il demeure d'une grande impassibilité sans jamais se permettre le moindre sourire. On pense naturellement à Irakere et à la réussite de cet Orchestre National de Jazz de Cuba où, tout en demeurant toujours fidèle à la musique cubaine et au jazz, Chucho a réussi et réussit toujours à créer une musique enthousiasmante de très haut niveau.

Dee Dee Bridgewater et Irvin Mayfields © Guy Reynard


La troisième soirée présentait un plateau où la Nouvelle-Orléans et la trompette étaient les vedettes de la soirée. Certes la star annoncée était Dee Dee Bridgewater. Le dernier disque l'avait présentée beaucoup plus sobre avec le trompettiste Irvin Mayfield dirigeant le New Orleans Jazz Orchestra. C'est une formation réduite qui l'accompagne à Saint-Gaudens où demeurent malgré tout Irvin Mayfield, Victor Atkins (p) et Adonis Rose (dm). Le saxophoniste Irwin Hall vient de New York et le bassiste annoncé n'est pas non plus celui du disque. D'emblée, Dee Dee Bridgewater se place dans le spectacle, présentant longuement chacun de ses musiciens avant même qu'une note n'ait été jouée. Lorsqu'enfin la musique commence, elle s'attache à mettre le spectacle en valeur. Le  chant très émouvant du disque est un peu éclipsé par le show. Irvin Mayfield et l'orchestre, auxquels la chanteuse laisse avec bonheur une large place, restent d'une belle sobriété qui contraste avec le goût du spectacle de la chanteuse. Mais ceci n'enlève rien au concert qui reste toujours intéressant grâce à la maîtrise d’Irvin Mayfield et à la capacité de Dee Dee Bridgewater de captiver le spectateur et de susciter l'émotion.

Christian Scott, Logan Richardson, Kriss Funn © Guy Reynard


Dee Dee Bridgewater et Irvin Mayfield avaient été précédés par Christian Scott qui a abandonné, provisoirement nous l'espérons, son excellent septet. Seuls restent dans sa formation le batteur Corey Fonville et le bassiste Kris Funn. Logan Richardson est le saxophoniste et Tony Tixier le pianiste. Christian Scott nous apprendra d'ailleurs que Tony Tixier a rejoint l'orchestre une semaine auparavant. Le trompettiste a dessiné les quatre trompettes qui ont été réalisées pour lui, et il en utilise deux dans les concerts. Même si la longueur totale du tube demeure la même, les différences de courbures modifient profondément le son, et l'on a vu Irvin Mayfield essayer l'une des deux trompettes utilisées. Il définit sa musique comme de la «stretch music» terme qui peut prendre plusieurs sens en anglais mais qui signifie à la fois se tendre et se détendre, s'étendre, s'étirer. Malgré les changements de personnel, ce concept permet au son de chaque musicien de s'intégrer dans celui l'orchestre. Ainsi Tony Tixier est dans une veine où dominent le swing et le groove alors que Logan Richardson est plus porté vers une esthétique free. Christian Scott propose un discours très lyrique, porté par ses diverses expériences et les musiques actuelles qu'il intègre à son discours. Il utilise les compositions personnelles de son dernier disque West of the West, The Last Chieftain ainsi que Eye of the Hurricane de Herbie Hancock. Avec son jeu sans vibrato, il atteint assez vite l'émotion qui lui permet ensuite d'aller au delà de ce qui a été fait tout en restant ancré dans la tradition. Peut-être est-ce cela tout simplement la stretch music.

Joe Lovano © Guy Reynard


La dernière soirée est beaucoup plus éclectique. Joe Lovano présente modestement son Classic Quartet avec Laurence Fields au piano, le bassiste bulgare Peter Slavov et le batteur d'origine kosovar Lami Estrefi. Le quartet est parfaitement défini par le terme classique qui est non pas un retour vers le passé mais bien plutôt une adaptation actuelle des styles du passé. Joe Lovano excelle à se couler dans les styles qui ont marqué sa famille au travers de son père lui aussi excellent saxophoniste, de ses années de formation et des grands anciens de l'instrument. Même si sa sonorité n'est pas reconnaissable dès la première note, il possède un style bien à lui avec beaucoup d'énergie. Le quintet fonctionne parfaitement bien avec de belles interactions entre les quatre musiciens, et les hommages à Wayne Shorter et Michel Petrucciani sont de parfaites réussites car ils ne se contentent pas de reproduire les originaux, mais Joe Lovano sait se les approprier pour rendre l'hommage plus personnel et donc plus émouvant encore.

Changement complet de décor avec Al Di Meola et son trio qu'il intitule «Elysium & More». Longtemps adepte de la guitare électrique et des formations de fusion après des débuts avec Chick Corea dans la deuxième mouture de Return to Forever. Lassé des décibels, il a désormais décidé de se consacrer à la musique acoustique à la tête de formations plus ou moins étoffées. Pour Jazz en Comminges, il a choisi de venir en petite formation avec Peo Alfonsi (g) et Peter Koszas (dm). Mais la musique n'est pas très différente de celle des formations plus étoffées par l'utilisation d'effets électroniques qui permettent de doubler les sons produits. Le batteur est confiné derrière une sorte de barrière en plexiglas et apparaît vraiment isolé des deux guitaristes. La musique est présentée en longues suites plus proches de la world music que du jazz. Al Di Meola, avec de belles envolées lyriques, abandonne réellement le rôle de «guitar hero» qu'il tenait dans les formations électriques: il joue assis avec des partitions vers   lesquelles il penche la tête et recherche avant tout une sonorité personnelle aussi bien sur ses propres compositions que sur une reprise comme le «Because» des Beatles. Malgré tout, l'amateur de jazz reste un peu sur sa faim avec une musique un peu trop au-delà, mais largement appréciée par le grand public qui ne s'est pas fait prier pour rejoindre le devant de la scène lorsque Al Di Meola le lui a demandé.

Jazz en Comminges a connu un beau succès public avec quatre soirées bien remplies, et il a fallu rajouter des chaises lors de deux soirées. Le programme se veut éclectique et le programme demeure toujours alléchant. Le seul bémol viendrait de trop de changement de personnels de dernière minute qui, s'ils ne changent pas la qualité de la prestation, compliquent un peu le travail du chroniqueur. Un affichage des line-ups serait sans nul doute un moyen d'y remédier. La 14e édition de Jazz en Comminges reste un grand cru avec plusieurs concerts de haute volée dans une très agréable atmosphère de convivialité.


Guy Reynard
Texte et photos

© Jazz Hot n° 676, été 2016
Samson Schmitt © Patrick Martineaux


St-Leu-la-Forêt, Val d'Oise


Arts & Swing, 2 avril 2016


Organisé par l’association Graines de Swing depuis 7 ans, ce petit festival permet aux musiciens de la région de se produire sur scène ainsi qu'à d'autres artistes-artisans des environs –luthiers, peintres, sculpteurs, photographes, etc.– de venir y exposer leurs œuvres. Cette année Philippe Drillon, luthier, présente les différentes étapes de la fabrication d’une guitare. Chaque année aussi un musicien de renom est invité comme tête d’affiche pour le grand concert de soirée; cette année, c’est Samson Schmitt…



Fond de Caisse, la formation des organisateurs Christophe Quarez (g, voc), Yves Paris (g), Michel Taché (g) et Michel Bartissol (b), fait  l’ouverture du festival dans un répertoire constitué de chansons françaises, de jazz de Django et de bossa nova. Le quartet laisse la place à l’Ecole de musique de St-Leu, sous la direction de Sylvain Guichard, qui aborde les standards de jazz. La jeune Julie Fraisse (g) se distingue par son jeu fluide; puis le duo Sophia (g, voc) et Déon (voc) enchaîne sur des arrangements pop et hip hop, un ton surprenant pour ce festival. Retour au jazz avec le trio Kdoublevé  (p-b-dm) de Julien Krywyk (p), qui revisitent les standards et avec le trio ZAF de Serge Zafalon, professeur de guitare à Montmorency, qui nous ramène à la musique de Django et clôture cette première partie.

L’ambiance cabaret voulue par les organisateurs rassemble petit à petit les visiteurs le long du bar pendant que le plateau se vide de ses instruments pour accueillir Amalgam, groupe de jazz vocal de 30 artistes créé en 1983 sous la direction de Paul Anquez. Passant de la comédie musicale au jazz et aux rythmes brésiliens, cette chorale a capella présente des tableaux syncopés de toute beauté. Intermède classique avec Olivier de Valette, 1er prix du Conservatoire de Paris, qui interprète brillamment des musiques Andalouses et des compositions de Georges Gershwin. Retour au jazz avec le SG Trio de Sylvain Guichard (g), Gabriel (g) et  Eric Métais (b) qui s’inspire aussi des standards du jazz et Monalisa Jazz Quintet, composé de Marc Merli (p), Hugo Lagos (g), Sacha Leroy (b), Thierry Cassard (dm), qui nous propose un jazz électrique en prélude à l’invité du grand concert, Samson Schmitt.

Pascal Bordeau, Claudius Dupont, Samson Scmitt © Patrick Martineau

Clôture du festival avec Samson Schmitt (g), l’enfant de Forbach. Il a donné son premier concert à 12 ans, et il est considéré avec son quartet, avec qui il a déjà enregistré deux albums (Djieske en 2002 et Alicia en 2007), comme l’un des meilleurs groupes français de jazz de la tradition de Django Reinhardt. Il joue ce soir en trio avec Pascal Bordeau (g) et Claudius Dupont (b), et ils reprennent essentiellement des morceaux de l’album Vocal et Swing, produit à partir des compositions de Pascal Bordeau sur des arrangements de Samson Schmitt: «La Tête qu’on fait», «La Crise», «Carole», etc. Ces morceaux permettent à Samson Schmitt d’étaler la beauté de son jeu, sa personnalité et sa virtuosité, et la mise en avant de ses musiciens, l’humour et le partage sur scène témoignent du bon esprit du groupe. Le public apprécie, en redemande, debout au dernier rappel.

Ce petit festival d'un jour, autour de la musique de Django et des arts qui s'y rattachent, mérite un détour. Rendez-vous pour la prochaine édition!

Patrick Martineau
texte et photos

© Jazz Hot n° 675, printemps 2016


Bergame, Italie

Bergamo Jazz, 17-20 mars 2016


Après la gestion de quatre ans d’Enrico Rava, Dave Douglas a repris la direction artistique de la 38e édition de Bergamo Jazz, lui imprimant un tour peut-être moins innovant, mais en maintenant la haute qualité et la variété des propositions.
La richesse de l’affiche a été comme toujours complétée par des événements collatéraux, comprenant des concerts de musiciens locaux, des présentations de livres et des rencontres, comme celles peaufinées par le Centro Didattico Produzione Musica avec des élèves de écoles primaires et secondaires, ou bien le débat entre Dave Douglas et Franco d’Andrea.
Comme de coutume les concerts se sont déroulés entre le Teatro Donizetti, le Teatro Sociale, l’Auditorium della Libertà et la galleria d’arte Gamec. Le public, nombreux et attentif, s’est pratiquement trouvé face à une ample gamme de thèmes, avec avant tout, l’approche de la tradition, conjuguée en modes divers.



Franco d'Andrea ©Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz

Le trio D’Andrea, intégrant Han Bennink, constitue pour le pianiste une clé efficace pour greffer les polyphonies du jazz new orleans (pratiqué pendant sa jeunesse) sur une organisation polyrythmique dans laquelle coexistent des références à Waller, Ellington, Tristano et Monk, et des empiètements dans le domaine atonal. Puis affleure une matrice africaine, comme le démontrent les figures sombres dans le registre grave qui déconstruisent «Caravan», et émerge la dialectique constante avec Han Bennink, héritière entre autres de Baby Dodds, le tout inclus dans le solo à la caisse claire et sur toutes les surfaces environnantes. Daniele D’Agaro (cl) et Mauro Ottolini (tb) représentent le versant polyphonique d’une ample gamme de timbres et d’expressions, interprètes modernes d’un parcours qui d’une part unit Johnny Dodds, Barney Bigard et Pee Wee Russell à Jimmy Giuffre et Anthony Braxton, et d’autre part à Kid Ory, Tricky Sam Nanton et Jack Teagarden à Roswell Rudd et Ray Anderson.


Geri Allen ©Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz

Dans une période dans laquelle certains musiciens afro-américains (Nicholas Payton en tête) réfutent le terme jazz en faveur de l’acronyme BAM (Black American Music), Geri Allen, dans un solo de piano dédié à Detroit et Motown, a démontré comment on peut exécuter de la grande musique en se contrefichant des étiquettes. Sans écarts stylistiques, Miss Allen a fait preuve de profondeur harmonique, d’un choix de phrasé, d’un méticuleux travail rythmique (avec un usage efficace du registre grave) et d’une pensée mélodique limpide et pure, même dans la relecture des classiques Motown comme «That Girl» de Stevie Wonder, «The Tears of a Clown», écrit par le même Wonder pour Smokey Robinson, «Save the Children» de Marvin Gaye et «Wanna Be Startin’ Something» de Michael Jackson.

Joe Lovano Quartet ©Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz

Avec son nouveau quartet –Lawrence Fields (p), Peter Slavov (b), Lamy Estrefi (dm)– Joe Lovano présente une poétique désormais consolidée: implantation modale de matrice coltranienne, thèmes élégants et bien agencés, successions de solos torrentiels dans lesquels se détache le langage sec de Fields, digne de Red Garland et soutenu par une pompe rythmique, mémoire de McCoy Tyner. Mainstream moderne? Classicisme? Le débat est ouvert.


Kenny Barron ©Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz

Kenny Barron a offert une authentique leçon de style et de mesure. En trio avec Kiyoshi Kitagawa (b) et Johnathan Blake (dm), le pianiste de Philadelphie a concentré en une synthèse efficace l’héritage du bebop (à travers le morceau éponyme de Dizzy Gillespie), les tensions rythmiques-harmoniques du hard bop, la leçon de Garland et Monk, son association passée avec Charlie Haden («Nightfall»). Blake se révèle un partenaire idéal, en vertu d’un drumming éclectique et riche d’analyses.

Billy Martin Wicked Knee ©Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz


Dans le quartet Wicked Knee, le batteur Billy Martin a rassemblé trois cuivres, le tuba de Michel Godard, fondement de l’incessante pulsation rythmique et protagoniste de quelques solos estimables; le trombone de Brian Drye, riche d’inflexions qui parcourent l’histoire de l’instrument; la trompette (également slide) de Steven Bernstein, en parfaite opposition aux stimuli rythmiques dictés par le leader qui part de la tradition des Marching Bands pour poursuivre à travers des figures rythmiques enrichissant le tissu avec les couleurs de multiples percussions. Avec cette position, semblable au Pocket Brass Band de Ray Anderson et au Brass Ecstasy de Dave Douglas, le quartet embrasse la polyphonie de New Orleans, le premier Ellington («It Don’t Mean a Thing») jusqu’au «Peace» d’Ornette Coleman.



Balkan Bop est la dénomination forgée par le pianiste albanais Markelian Kapedani pour son trio multi-ethnique, complété par l’Israélien Asaf Sirkis (dm), et le Russe Yuri Goloubev (b), doté d’un son somptueux et d’une belle inventivité mélodique. Par moments, d’évidents rappels à la tradition balkanique émergent par l’adoption de mesures impaires comme le 7/4 et le 9/8, et par les échos populaires de certaines mélodies. Tout est filtré à travers une esthétique mainstream et le fréquent recours aux rythmes latins. Dans le jeu de piano de Kapedani, on retrouve des traces de Red Garland, Bobby Timmons, Cedar Walton et Herbie Hancock.

Anat Cohen ©Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz


La poétique de la clarinettiste israélienne Anat Cohen est bien plus impressionnante tant elle possède une gamme de timbres et un spectre dynamique vraiment impressionnants, ainsi qu’un accent qui unit une infrastructure classique, des nuances jazzistiques, des inflexions et des modulations hébraïques évoquant les grands solistes traditionnels comme Naftule Brandwein et Dave Tarras, ou d’extraction classique comme Giora Feidman et David Krakauer. Son apport majeur consiste dans la combinaison d’un arrière plan hébraïque avec des mélodies et des formes brésiliennes, avec comme exemples frappants «Lilia» de Milton Nascimento de veine mélancolique, ou les chôros «Espinha de bacalhau» de Severino Araújo et «Um a zero» de Pixinguinha. Objectif atteint aussi grâce à l’apport infatigable de Daniel Freedman (dm), aux lignes pulsantes de Tal Mashiach (b) et aux incursions téméraires de Gadi Lehavy (p).

De nombreux éléments du patrimoine latino-américain, largement présents dans le Melting Pot de New York, sont traduits dans un contexte actuel par le groupe Catharsis du tromboniste Ryan Keberle, avec des références évidentes à Cuba, au Brésil et à la Colombie. Instrumentiste formidable et fin compositeur, Keberle intrique des lignes contrapuntiques et produit de denses amalgames avec Mike Rodriguez (tp). Jorge Roeder (b) et Eric Doob (dm), qui réunissent le dynamisme, la cohésion et d’intéressantes trouvailles mélodiques. La voix de Camila Meza, parfois insérée dans les lignes des soufflants, possède un timbre éthéré et une tessiture limitée, mais en fait elle fonctionne bien dans le contexte.


Aujourd’hui il est rare qu’un concert de jazz attire de nombreux jeunes. La thèse a été démentie par le Jazz Quartet de Mark Giuliana, en vertu de sa participation au Blackstar de David Bowie. L’écriture du batteur prévoit des thèmes mélodieux construits sur des structures harmoniques ingénieuses, avec des développements mélodiques de bon goût et d’extraction populaire, secondées par une poétique chère à Bad Plus et Bill Frisell. Tandis que l’apport du groupe –Jason Rigby (ts), Fabian Almazan (p), Chris Morrissey (b)– est purement fonctionnel dans le collectif. Giuliana met en évidence une certaine originalité de langage par l’utilisation coloriste de la batterie, avec des contretemps sur la caisse claire, la grosse caisse et la charleston, et la scansion simultanée des quatre temps sur la ride et la crash.


Bergamo Jazz a accordé un peu de place à la recherche. Les deux Tino Tracanna-Massimiliano Milesi (ts) ont conduit une analyse sur le rapport entre le son, l’espace et le temps au moyen d’une ample gamme de thèmes: échos de la Renaissance, anaphores minimalistes, contrepoints à la Bach, constructions rythmiques, éclats d’improvisation totale et une version de «The Train and the River» de Jimmy Giuffre.


Atomic ©Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz

Le quintet scandinave Atomic recueille idéalement l’hérédité du Free historique et de l’improvisation radicale européenne des années 70, et il la projette dans une synthèse fraîche et incisive. Dans le cadre d’une même exécution s’alternent de puissants collectifs, des thèmes dépouillés, des progressions sur up tempo swinguants, de fréquents changements métriques, des phases atonales, des structures asymétriques qui rappellent la conception harmolodique d’Ornette Coleman. Sous la mise en scène de Håvard Wiik (p), tête du groupe, se mêlent les entrées en scène foudroyantes de Magnus Broo (tp) et Fredrik Ljungkvist (ts, cl), alimentées par la masse sonore produite par Ingebrigt Håker Flaten (b) et enrichie par les inventions coloristes de Hans Hulbækmo (dm).


Louis Moholo 5 Blokes ©Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz

On rencontre de très solides racines historiques et identitaires dans le 5 Blokes de Louis Moholo-Moholo, avec lesquelles le batteur sud-africain ravive l’esprit, et en partie, le répertoire des blue notes. Composé de musiciens anglais, le quintet traduit dans une forme vive et crédible le legs des regrettés Mongesi Feza, Dudu Pukwana, Johnny Dyani et Chris McGregor. Ainsi se rétablit, idéalement mais pas filologiquement, la connexion entre la scène free anglaise et les expatriés sud-africains.
Shabaka Hutchings (ts, bcl) et Jason Yarde (as, ss, bs) entreprennent de torrides digressions, souvent entrecroisées. Alexander Hawkins (p) fait souvent fonction de raccord entre les différentes phases des longues exécutions avec sa frappe lancinante. John Edwards (b) possède un phrasé violent qui produit une onde de choc sur laquelle se greffe le drumming hétérodoxe du leader: une série exténuante de roulements, de contretemps, quasiment un solo sans fin. L’homogénéité du collectif se détache et prévaut dans une sorte d’imaginaire de rencontre entre des hymnes sud-africains et Albert Ayler.

Comme dit précédemment, le festival a mis en évidence la tendance des artistes américains à avoir des réflexions sur leurs propres traditions, mettant en évidence l’effort des musiciens d’une autre provenance pour greffer sur le langage jazzistique des éléments de leur culture propre. Connaissant l’ouverture d’esprit et la variété des intérêts de Dave Douglas, il est licite de s’attendre à des nouveautés substantielles et des choix plus courageux pour les prochaines éditions.
Enzo Boddi
Traduction: Serge Baudot
Photos Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz

© Jazz Hot n° 675, Printemps 2016