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Chroniques CD-DVD








© Jazz Hot n°672, été 2015


Des extraits de certains de ces disques sont disponibles sur Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes signalées par une info-bulle.

AuroCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disquere Quartet
Live à La Fabrique

Une Blonde en or, Black Trombone, Toi, Le Jazz et la java, Rimes, Plus je t’embrasse, Personne, Johnny fais-moi mal, La Recette de l’amour fou, Requiem pour un con, Après minuit, Alhambra Rock, Le Rififi, Un soir de pluie
Aurore Voilqué (vln, voc), Jerry Edwards (tb), Thomas Ohresser (g) Basie Mouton (b), Julie Saury (dm) + Sacha Vikouloff (voc), Olivier Defaÿs (ts)
Enregistré les 18 et 19 avril 2014, Brie-Comte-Robert (77)
Durée : 1h 15' 55''
Autoproduit (www.aurorequartet.com)


L’Aurore Quartet est un peu comme les Trois Mousquetaires : il y a souvent un peu plus de monde qu’annoncé. En effet, Jerry Edwards est le cinquième laron de la formation à laquelle il amène de belles couleurs. Ajoutons à cela deux invités sur ce soir de « live » – en particulier l’excellent Olivier Defaÿs –, enregistré dans le restaurant La Fabrique, où Miss Voilqué programme du jazz depuis déjà quelques saisons. Jouant à domicile, elle s’est donc fait plaisir, délaissant quelque peu son violon pour donner de la voix sur un répertoire issu de la chanson française jazzophile (Vian, Gainsbourg, Nougaro, etc.). Bien sûr, Aurore n’est pas une chanteuse de jazz. Elle le sait et les gens qui la suivent également. Il n’en reste pas moins qu’elle chante de mieux en mieux et que c’est un réel plaisir d’entendre ces fleurons du patrimoine hexagonal interprété par des jazzmen (and women) de talent (mention spéciale à Thomas Ohresser sur « Black Trombone »). La principale qualité de ce disque étant de rendre la chaleur et la spontanéité d’une chouette soirée de concert, avec ses moments de grâce (le chant russe et mélancolique de Sacha Vikouloff sur une belle composition, « Après minuit »), sa bonne humeur (quelques fous-rires sur « Le Rififi ») et ses invités improbables (voir la plage cachée…).
Un album sympathique mais avant tout destiné aux inconditionnels d’Aurore Voilqué.
Jérôme Partage

Red GCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disquearland Trio
Swingin' on the Korner

Love For Sale, I Wish I Knew, It's Impossible, Billy Boy, Dear Old Stockholm, If I'm Lucky, Blues in BeBop, On Green Dolphin Street, Straight No Chaser, On a Clear Day, The Christmas Song, The Best Things in Life Are Free, Never Let Me Go, Autumn Leaves, Bag's Groove, It's All Right With Me/The ThemeRed Garland (p), Leroy Vinnegar (b), Philly Joe Jones (dm)
Enregistré du 6 au 10 décembre 1977, San Francisco
Durée : 58' 46'' et 1h 10' 38''
Elemental Music 5990426 (Distrijazz)


Produit par Zev Feldman et Todd Barkan, le fondateur du Keystone Korner où ont été enregistrées ces plages (Jazz Hot n°671), voici un extraordinaire trio dans les meilleures conditions de création, dans un club légendaire de la Côte Ouest, tenu par un patron légendaire de 1972 à 1983, réunissant le splendide Red Garland, un monument du piano jazz, magnifiquement entouré par Leroy Vinnegar et l’extraordinaire Philly Joe Jones. Ils sont capables de vous faire passer « Christmas Song » pour un standard essentiel du jazz, car tout ce qu’ils abordent devient de l’or, c’est-à-dire pour les amateurs de jazz, du swing, du blues, de la poésie avec ce sens de la perfection qui appartient aux plus grands trios de l’histoire du jazz. C’est avec ces trios que se sont établis une partie des fondamentaux esthétiques du jazz dans ce qu’il a de meilleur. Ici, la conversation musicale entre trois musiciens d’exception, dans la force de l’âge de leur création (Red Garland est né en 1923, Leroy Vinnegr en 1928 et Philly Joe Jones en 1923), élève le jazz à des sommets et sert de matrice à une riche descendance.
Todd Barkan et Zev Feldman en rééditant ces enregistrements de l’âge d’or du célèbre club de la Côte Ouest sont bien ces passionnés généreux que nous avons découvert dans l’interview du numéro anniversaire de Todd.
En ajoutant un excellent livret de 44 pages à cette production, ils démontrent qu’on peut toujours produire du jazz de la meilleure des façons, du grand jazz, inédit jusqu’à ce jour, en faisant une belle production, en faisant appel aussi à l’activité des amateurs, en leur apportant ce supplément d’informations qui développent la passion du jazz plus que sa simple consommation.
Kenny Washington est ainsi le consultant musical et apporte une longue contribution à propos de Red Garland, et les réflexions d’un musicien savant sont essentielles. Il remarque ainsi que Red Garland, c’est le sing et le feeling d’abord, que Philly Joe, c’est la plus belle synthèse de la batterie jazz de Jo Jones à Max Roach.
Il y a également la reprise d’un texte de Doug Ramsey de 1979 à propos de ce retour musical de Red Garland en 1977, après une interruption de carrière.
Zev Feldman s’entretient également avec Don Schlitten, grand producteur lui-même (Signal, Cobblestone Records avec Joe Fields, etc.) et excellent photographe, et l’introduction est due à l’excellent Benny Green, splendide pianiste et leader de trios, héritier justement de cette tradition, qui raconte sa découverte du Keystone Korner, et l’importance que ce lieu et ce trio ont eu sur son propre itinéraire.
Todd Barkan en introduction nous rappelle que Red Garland s’est produit une demi-douzaine de fois chez lui, entre 1972 et 1980 et quelques-uns des géants du jazz qu’il a côtoyés.
Au total, une belle production, éditée avec des arguments documentaires et sonores (bonne restitution) qui la rende absolument indispensable ! Merci à Todd et à Zev.
Yves Sportis

Scott HamiCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disquelton
Live at Smalls

Shake It, Don't Break It, Runnin' Wild, Ah Moore, Estate, The Nearness of You, Apple Honey, Sweet Georgia Brown, If I Ever Love Again, Easy Does It
Scott Hamilton (ts), Rossano Sportiello (p), Hassan Shakur (b), Chuck Riggs (dm)
Enregistré les 12-13 février 2013, New York
Durée : 1h 08' 21''
Smalls Live 0040 (www.smallslive.com)


Scott Hamilton dans la tradition des grands ténors du jazz démontre qu’aujourd’hui, le temps passant, on peut synthétiser plusieurs époques du jazz qui réunissent les éléments constitutifs du jazz, que le temps ne fait rien à l’affaire, « quand on est jazz, on est jazz ».
C’est un peu le discours qu’on pouvait lire entre les lignes de l’interview de Rossano Sportiello (Jazz Hot n°671), épris de la grande tradition du piano jazz de toutes les époques, pianiste classé dans le jazz classique mais qui démontre ici qu’il a écouté le jazz de Earl Hines à Kenny Barron, et qu’il est capable de mettre en œuvre toutes ses ressources avec une sonorité qui n’est ni ancienne, ni moderne mais simplement jazz, la sienne.
La session rythmique fait ce qu’elle doit pour permettre un bel enregistrement qui n’apporte sans doute rien de neuf, mais rien de redondant ou de "vieux" : simplement du jazz de belle facture, par des artistes de haut vol. Au répertoire Erroll Garner, Al Cohn, Woody Herman (en fait un « I Got Rhythm »), Sy Oliver, mais aussi un « Estate » peut-être inspiré par l’Italien du groupe, « The Nearness of You » ou « Sweet Georgia Brown », standards joués dans le style lyrique et intemporel du grand ténor, bien soutenu par un bon trio. Le jazz, tout le jazz, rien que le jazz !
Yves Sportis

Fioroni-HouCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueben Quartet
Bees and Bumblebees

Habanera, Sweet Yellow Jen, Honey, Un serpent dans les framboisiers, Bees and Bumblebees, Keep it tight, Glad !, Middle class blues, Margarita, Yes, I didn’t, Ressaca
Greg Houben (tp), Fabian Fiorini (p), Cédric Raymond (b), Hans Van Oosterhout (dm)

Enregistré en juillet 2013, lieu non précisé

Durée : 1h 03’ 51 ‘’

Igloo Records 249 (Socadisc)


De nos jours les albums concepts fleurissent à toute période de l’année. Dans un siècle où l’image est reine, ce Bees and Bumblebees nous démontre presque que le jazz pourrait s’apparenter à une programmation, aussi méthodique que celle des abeilles au sein d’une ruche. Tout comme celle des hommes au sein d’une société bien pensée ou plus exactement, bien pensante, et parfois loin des réalités tangibles de l’existence humaine où l’uniformisation est une tendance dominante aujourd’hui.
C’est à cet esprit que les compositions originales de Greg Houben et Fabian Fiorini peuvent nous laisser penser. À la trompette Greg Houben développe un son velouté dans l’esprit Chet Baker, au piano Fabian Fiorini a de belles envolées. Hans Van Oosterhout sait nous faire apprécier la subtilité de sa frappe notamment avec son jeu de balais dans « Sweet Yellow Jen » et à la contrebasse, Cedric Raymond émeut par un toucher précis et un son subtil. Malheureusement la musique n’arrive guère à décoller, sans doute par trop de formalisations. Ce qui pourrait presque la rendre mielleuse sans qu’elle manque pour autant d’élégance ou de charme. On regrette parfois le peu d’audace musicale et une certaine inhibition dans l’écoute collective, une absence de prises de risque, ce qui a tendance à produire une musique légèrement stérile. La jaquette quant à elle est à double tranchant. On peut y voir quelque chose d’amusant, même si l’on ne comprend bien pas ce qu’abeilles et bourdons ont à faire avec le jazz. On peut aussi y déceler, éventuellement, le renvoi aux pages sombres de l’histoire afro-américaine. Un disque malgré tout relativement équanime, auquel manque quand même un souffle de liberté. Il reste agréable à entendre et à écouter et ne manquera pas d’enchanter les amateurs de douceur et de tendresse.
Adrien Varachaud

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueIan Hendrickson-Smith
Live at Small's

My Ship, Minor Shift, I Be Blue, Blues for PW, Eddie Harris
Ian Hendrickson-Smith (as), David Hazeltine (p), Mike Karn (b), Joe Strasser (dm)
Enregistré les 17 et 18 janvier 2014, New York
Durée : 47'
Smalls Live 0043 (www.smallslive.com)


Ian Hendrickson-Smith est un passionné : son engagement musical est caractéristique d’une démarche qui ne s’embarrasse pas de grands discours et se contente de plonger dans la matière sonore elle-même. L’enthousiasme palpable du public traduit l’enthousiasme du saxophoniste lui-même qui délivre un set bluesy et chaleureux, rempli de subtilité et de nuances toujours viriles. Originaire de New Orleans, Ian Hendrickson-Smith a toujours fréquenté des musiciens proches du blues (Etta Jones, Dr. Lonnie Smith ; il a même joué dans des cadres soul-funk, avec Fred Wesley, Al Green, Sharon Jones, Amy Winehouse). Son lyrisme à la Sonny Stitt-Cannonball évoque parfois Jesse Davis. Il possède en tout cas la chaleur vibrante nécessaire pour s’exprimer dans ce contexte. Après un « My Ship » medium sensible, « Minor Shift », comme les deux autres compositions de Hazeltine, passe à la vitesse supérieure en termes de tension et d’agressivité mais l’altiste conserve néanmoins toujours une approche mélodique. L’accompagnement de David Hazeltine est dynamique et attentif, comme ses interventions en soliste, toujours très rythmiques. Mike Karn possède une belle présence et Joe Strasser une classe indéniable, avec un drumming à la fois classique et passionnant, aux relances inspirées. Après la ballade touchante « I Be Blue », « Blues for PW » est un morceau parkérien (façon « Blues for Alice ») et le blues funky « Eddie Harris » permet une clôture parfaite du set. De l’entrain, de la fougue et du blues – what’s not to like ?

Jean Szlamowicz

JeanCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disque-Loup Longnon Quintet
Just in Time

Istanbounce, Anna Atoll Part 1 and 2, Suan’s Return, Stable Mates, High-Fly, Bo-Bun’s Groove, Round Midnight, Night In Tunisia, Just in Time, Four, Our Love Is Here To Stay, Ta pedia tou pirea, The Speech
Jean-Loup Longnon (tp), Pascal Gaubert (ts), Ludovic Allainmat (p), Fabien Marcoz (b), Frédéric Delestré (dm) + guests détaillés sur le livret
Enregistré à Dreux (28), date non précisée
Durée : 1h 07' 17''
JLLBB 0002011 (www.longnon.com)


La France a toujours pu s’enorgueillir d’avoir donné le jour à d’excellents trompettistes de jazz. Citons dans le passé : Philippe Brun, Aimé Barelli, Christian Bellest, Roger Guérin, Guy Longnon et quelques autres, et parmi une bonne demi douzaine aujourd’hui, le neveu du dernier nommé Jean-Loup Longnon, qui vient de nous offrir ce Just in Time qui sent bon le jazz tel qu’en lui-même l’éternité ne devrait pas le changer.
D’entrée Jean-Loup Longnon nous annonce qu’il ose enfin s’attaquer à la formule du quintet, et il a bien fait tant c’est une réussite. Et bien sûr, comme il le dit, ses vieux démons lui ont fait inviter sur quelques plages des complices de toujours et des sections de cuivre et de cordes. Mais l’essentiel s’exprime en quintet.
Le disque démarre par un étrange et plaisant « Istanbounce » mélangeant alternativement des phrases latino, turques, jazz. Et ça swingue façon Basie avec un long solo de trompette bouchée très fluide sur la rythmique, puis c’est le ténor, le piano. D’entrée c’est gagné, on est accro ! On appréciera l’apparente facilité, la vélocité du trompettiste sur tous les registres et toute la tessiture, la sonorité somptueuse, et l’inspiration dans les impros. Côté écriture ce n’est pas mal non plus, ses propres compos sont riches, et il a su ré-harmoniser, transformer les standards, sans un hiatus entre eux et ses propres compositions. Côté standards « Round Midnight » avec un admirable solo trompette ouverte, et la reprise avec la sourdine sur un autre rythme. Ou encore « Stable Mates » de Golson sur une harmonisation entre Jazz Messengers et Birth of the Cool, et la prestation de Nicolas Folmer, autre trompettiste de premier plan, ce qui permet de comparer les deux styles. Ou encore « Night in Tunisia » décalé avec une pompe de grande classe du bassiste, un solo de batterie ad’hoc, une sonnerie de trompette militaire, un passage genre « Travadja la moukhère » et un final fulgurant. « Anne Atoll » de Longnon nous vaut d’abord un unisson assez bop, et après un solo de piano très volubile, un scat magnifique de Christelle Peirera, avec un batteur flamboyant. Il donne au morceau d’origine grec « Ta pedia tou pirea » (Les Enfants du Pirée) un côté brésilien avec une grande formation, ça devient une véritable bossa. « Four » de Miles Davis nous permet d’apprécier une chanteuse, Sibel Kose, dans le sillage de Mimi Perrin : remarquable, ainsi que le chase : Voix-Batterie-trompette. On retrouve Sibel Kose, belle voix grave et chaude, distillant façon grande époque la ballade « Our Love Is Here to Stay ».
Et pour terminer ce disque en beauté jean-Loup Longon s’empare d’une de se compostions « The Speech » pour un scat étourdissant entre Bobby McFerrin, André Minvielle et Daniel Huck, avec un beau passage en contraste : cordes rubato, scat en swing, puis ça repart swing pour tout le monde. Attention, ne pas arrêter le disque après ce qui semble la fin, car après un silence ça repart.
Du jazz comme on l’aime, des solistes inspirés, une belle écriture personnelle, des arrangements qui mettent en joie, avec une section rythmique qui swingue, et c’est tout. Et c’est beaucoup. C’est tout, effectivement.
Serge Baudot

IsabellCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disquea Lundgren
Somehow Life Got in the Way

Procession, Everything Must Change, While We’re Young, Ac-cent-tchu-ate the Positive, If He Walked Into My Life, Somehow Life Got in the Way, Down With Love, That’s Just the Way I Am, Why Was I Born, Eudaimonia, Nobody Knows the Trouble I’ve Seen, A Time for Everything
Isabella Lundgren (voc), Carl Bagge (p), Niklas Fernqvist (b), Daniel Fredriksson (dm) + The Nordic Chamber Orchestra
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée : 1h 03' 36''
Ladybird 79556835 (www.ladybird.se)


Lecteurs attentifs de Jazz Hot, vous avez déjà entendu parler d’Isabella Lundgren : la première fois dans le compte-rendu du festival de jazz d’Ystad de 2013 et plus récemment dans celui de la fête des 80 ans de notre revue. Inconnue du public parisien, la Suédoise y avait d’ailleurs fait sensation par sa voix claire mais forte et des intonations évoquant par moments Billie Holiday, mais sans volonté d’imitation. Après It Had to Be You, sorti en 2012, la demoiselle nous propose ici son deuxième disque, Somehow Life Got in the Way, un recueil de standards et d’originaux. Outre son quartet habituel (Carl Bagge, Niklas Fernqvist et Daniel Fredriksson, accompagnateurs impeccables), Isabella s’est entourée du Nordic Chamber Orchestra, dirigé par Mats Halling, qui est également l’auteur du morceau éponyme. Un album à cordes donc, mais qui, fort heureusement, évite les étirements sirupeux. Les arrangements sont sobres, entre jazz et comédie musicale (très gershwinien « He Walked Into My Life »), les cuivres apportent du contraste et la rythmique swingue comme il faut.
Passé le court morceau d’introduction (« Procession ») un peu planant (et sans intérêt), Isabella Lundgren capte d’emblée l’attention de l’auditeur avec « Everything Must Change » dont l’ambiance nous rappelle Lady in Satin de Billie Holiday. Ce sont essentiellement de belles ballades dans l’esprit Broadway qui jalonnent ce disque, faisant la part belle aux cordes (comme « While We’re Young » ou « That’s Just the Way I Am »), mais sur lequel s’impose le timbre séduisant d’Isabella. Seul le titre qui clôt le disque (« A Time for Everything ») oublie de swinguer, passant ainsi du côté de la variété (américaine certes). A l’inverse, on retiendra une composition enlevée (« Ac-cent-tchu-ate the Positive ») où s’instaure un bon dialogue avec le tromboniste (Dicken Hedrenius) et, dans la même veine, « Down With Love » et « Why Was I Born » (très Quincy Jones). On retiendra également une interprétation intéressante de « Nobody Knows the Trouble I’ve Seen » qui, malgré un traitement plus comédie musicale que jazz, est une des jolies réussites de cet opus.
Lecteurs attentifs et curieux de Jazz Hot, écoutez avec attention cette jeune femme surprenante que nous espérons revoir bientôt par chez nous. Car c’est sur scène et sur du jazz (du vrai) qu’elle prend toute sa dimension.
Jérôme Partage


Tom McClung
Burning Bright

Terra, Funny Peculiar, Burning Bright, Noctilucent, La Manzana, Fire Waltz, Last of the Wild, There You Go, In the Woods, The Source, Minor Deeds
Tom McClung (p), Mátyás Szandai (b), Mourad Benhammou (dm)
Enregistré le 14 octobre 2013 et le 27 février 2014, Le Pré St Gervais (93)
Durée : 1h 05'
Archie Ball 1502 (Harmonia Mundi)

On connaît bien en France le pianiste de Boston. Accompagnateur régulier d’Archie Shepp, il avait précédemment signé un beau duo avec le saxophoniste ténor Jean-Jacques Elangué (This Is You). Il aborde ici le trio avec assurance, développant une musique affirmée où l’on reconnaît son univers, à la fois énergique, lyrique et sans frontières stylistiques. Il laisse ici libre cours à son penchant pour les couleurs les plus variées, énigmatiques (« Terra »), calypso (« La Manzana »), tynériennes (« Burning Bright »), méditatives (« Noctilucent », « The Source »), free (Into the Woods »), bossa romantique (« There You Go »), ou funky (« Last of the Wild »). La confluence d’influences Mal Waldron-Monk est nette (« Funny Peculiar ») mais sans systématisme ni affectation et l’on apprécie la constante présence du blues sous les doigts malicieux du leader. La superbe « Fire Waltz » de Waldron est du reste magnifiquement interprétée. L’écoute de Mourad Benhammou est sans faille et sa sonorité très aérée est parfaitement adaptée à ce trio. Quant à Mátyás Szandai, il s’exprime avec vigueur dans un style qui n’est pas sans évoquer Avery Sharpe ou Buster Williams. Son beau parcours témoigne de rencontres avec Shepp, David Murray, Herbie Mann, Chico Freeman, Hamid Drake, William Parker, Rob Brown ou Robin Eubanks.
Le morceau final « Minor Deeds » est véritablement burning, par son tempo comme par son inspiration mordante. Il conclue un bel album, qui ne manque ni de caractère ni de maturité, et rend – enfin – justice au talent de Tom McClung

Jean Szlamowicz

Cécile McLorin Salvant
For One to Love

Fog, Growlin’ Dan, Stepsisters’ Lament, Look at Me, Wives and Lovers, Left Over, The Trolley Song, Monday, What’s the Matter Now?, Le Mal de vivre, Something’s coming, Underling
Cécile McLorin Salvant (voc), Aaron Diehl (p), Paul sikivie (b), Lawrence Leathers (dm)
Enregistré le 23 août 2014, New York
Durée : 52’ 44”
Mack Avenue 1095 (mackavenue.com et cecilemclorinsalvant.com)


On ne présente déjà plus Cécile McLorin Salvant qui fait les beaux jours de toutes les scènes américaines et européennes (ou elle se démultiplie, cf. nos comptes rendus), malgré son âge, et après un envol fulgurant tant son talent est éclatant, évident, jazz sans équivoque, original sans l’ombre d’une écoute.
Elle continue un parcours d’excellence avec ce nouvel enregistrement, une petite merveille car l’exigence et la personnalité de cette chanteuse, hors normes actuelles, vont au-delà de ce qu’on pourrait attendre dans une époque où les grands producteurs ont disparu. Mais voilà, Cécile McLorin Salvant réussit pour l’instant là où beaucoup se perdent par manque d’encadrement jazz. Double miracle donc, celui d’une voix comme le jazz et l’art vocal en a très peu connu sur le plan de la qualité, et celui d’une personne d’une maturité artistique confondante.
Dans ce disque, où elle est magnifiquement entourée par un Aaron Diehl qui confirme lui aussi un talent d’exception au sein d’une bonne section rythmique, la construction du répertoire est une vraie réussite, alternant standards et originaux sans faiblesse, et c’est là, encore, un des talents de cette perle rare: ses compositions et textes sont d’une beauté fulgurante («Fog», «Look at Me», « Monday », «Left Over», «Underling»), et rien ne les distingue de standards confirmés par le temps dont le choix est lui aussi non seulement original (ils sont rares) mais aussi varié; car Cécile McLorin Salvant semble pouvoir, comme Ella Fitzgerald, tout interpréter sans fadeur ni artificialité (de Blanche Calloway à Bacharach); une performance en soi. A noter une bonne version d’une belle chanson française de Barbara («Le Mal de vivre»), traditionnel aparté dans la langue de Molière de la chanteuse franco-américaine, sans accent et avec profondeur.
L’interprétation, magnifiée par une voix splendide aux effets infinis –les growls, les vibratos de toutes natures, l’étendue du registre, témoignent de la virtuosité bien utilisée–, intensifiée par l’authenticité de l’expression, mise en valeur par un accompagnement «aux petits-oignons» d’Aaron Diehl, rend ce disque non seulement attachant mais aussi indispensable au jazz, comme le sont les grands classiques des enregistrements du jazz de toutes les époques. On réécoutera ce disque dans cinquante ans avec toujours autant de plaisir.
Les superlatifs sont de mise quand on rencontre une jeune artiste d’une telle intensité et d’une telle intégrité artistique, d’une telle capacité créative, dans une époque qui en manque singulièrement. En mettant la barre toujours plus haut, sur le plan de l’expression en particulier qui expose l’ensemble de ses qualités, Cécile McLorin Salvant s’impose pour la suite un challenge d’excellence
excitant comme on n’en a pas vu dans le jazz vocal depuis les grandes voix de l’âge d’or, et elle contribue à élever le niveau du jazz vocal et du jazz tout court. On doit aussi la remercier pour ça, car c’est une vraie responsabilité, celle toujours prise par les plus grands artistes des générations précédentes, de Louis Armstrong à Wynton Marsalis en passant par ses grandes sœurs Ella et Billie, de ne jamais sombrer dans la complaisance. Elle est de cette trempe!
Yves Sportis

Laurent Mignard DukeCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disque Orchestra
Duke Ellington Sacred Concert

CD : Praise God, Tell Me It's The Truth, Come Sunday, In the Beginning God, Almighty/Choral, The Shepherd, Heaven, It's Freedom, Meditation, Every Man Prays, The Lord's Prayer, Praise God and Dance
DVD : Praise God, A Glimpse of God, Something About Believing, Reading the Bible, In the Beginning God, Almighty, Pastor John G. Gensel, The Shepherd, Optimist, Tell Me It's The Truth, Come Sunday, Every Man Prays, The Lord's Prayer, Heaven, It's Freedom, Communication, Meditation, David Danced Before the Lord, Love, Is God a Three Letter Word for Love, Mistakes, Father Forgive, Praise God and Dance

Laurent Mignard Duke Orchestra : Laurent Mignard (lead), Claude Egea, Sylvain Gontard, Jérôme Etchéberry, Richard Blanchet (tp) Fidel Fourneyron, Michaël Ballue, Jerry Edwards (tb), Didier Desbois, Aurélie Tropez (as, cl), Olivier Defaÿs (ts), Carl Schlosser (ts), Philippe Chagne (bs, bcl), Philippe Milanta (p), Bruno Rousselet (b), Julie Saury (dm),
Mercedes Ellington (speak), Emmanuel Pi Djob, Nicole Rochelle, Sylvia Howard (voc), Fabien Ruiz (tap dance) + Les Voix en Mouvement, Gospel Attitude Mantes-la-Jolie, White Spirit Viroflay, Chœur de La Celle-Saint-Cloud, Chœur de SAGE
Enregistré le 1
er octobre 2014, Paris
Durée : 1h 17' 57'' (CD) + 1h 51' 17'' (DVD)

Juste une Trace AM2015002 (Socadisc)


Dans son autobiographie,
Music Is My Mistress, Duke Ellington évoque en un chapitre les pièces habituellement désignées Sacred Concerts de son répertoire. A quarante ans de distance, elles apparaissent évidentes dans l’ensemble esthétique de son œuvre.
La
Sacred Music de Duke n’est pas une pièce originale formellement composée ; elle a été élaborée sur trente ans (1945-1973), même si la plus grande partie a été composée entre 1965 et 1973 ; réagencement en trois temps principaux que les collectionneurs désignent sous les titres de trois albums phonographiques : A Concert of Sacred Music (1965), Second Sacred Concert (1968) et Third Sacred Concert (1975) publié après la mort du maestro le 24 mai 1974. Ils sont le résultat de l’opportunité offerte par le révérend John S. Yaryan pour inaugurer la Grace Cathedral de San Francisco. Black Brown and Beige déjà composée en 1943 préfigure déjà cette esthétique sacrée dont il est nourri. Et les dix dernières années de sa vie, Ellington a souvent dit que ces concerts étaient les plus importants de sa production.
Comme les Suites, les
jazz fans ont longtemps vu dans ces longues compositions de Duke, la manifestation d’une volonté d’imitation de la musique classique européenne blanche, voire une forme de mégalo !
Après avoir exploré sa musique profane, Laurent Mignard s’attaque, dans son approche globale d’Ellington, à sa musique sacrée. Ce coffret comprend CD et DVD. L’enregistrement sonore donne un digest significatif du répertoire ; le DVD, captation du concert donné à La Madeleine le 1
er octobre 2014, rend compte, dans une excellente prise de vue, de la nature du concert.
Le Duke Orchestra reprend ici une quinzaine de pièces – composées en 1945 (1), 1963 (1), 1965 (1), 1966 (1), 1968 (6), 1972 (2) et 1973 (1) – sur les trente-six que comptaient les trois albums originaux, dont un inédit, le choral associé à « 
Almighty God ». La sélection des titres est pertinente en ce qu’elle donne l’essentiel de l’œuvre dans ce langage musical d’Ellington. Elle illustre, avec les récitatifs extraits de l’ouvrage de Duke dits par sa petite fille Mercedes, la foi du compositeur. Ce réagencement donne à cet opus l’unité d’une œuvre composée que chaque album, constitué de pièces de concert et pris individuellement, ne présentait pas de manière si évidente.
Les six ensembles, de plus de cinquante artistes, présentent une belle cohésion. La mise en place est solide. Les partitions exigeaient une certaine assimilation des intentions du compositeur. Le dialogue de l’orchestre et des chœurs est équilibré. Les solistes sont excellents. Les chanteurs assurent. Emmanuel Pi Djob, qui tient la partie de Tony Watkins chez Ellington, possède une belle voix de baryton et est bien dans son sujet (« 
In the Beginning God »). Nicolle Rochelle, qui reprend les parties autrefois assurées par Alice Babs, vit avec passion (« Praise God and Dance ») et inspiration (« Heaven ») ses interventions. Sylvia Howard, qui chante avec ferveur « Something about Believing », est à la fois émue et émouvante dans « Come Sunday ». Les solistes de l’orchestre, Fidel Fourneyron (tb), Michael Ballue (tb), Olivier Defaÿs (ts), comme Didier Desbois (as), Aurélie Tropez (cl) et Philippe Chagne (bs) ne sont pas en reste ; ils interviennent avec pertinence et sensibilité. Carl Schlosser (ts) a la générosité torturée de Paul Gonsalves ; Jérôme Etchéberry (tp, « The Shepherd »), retrouve l’esprit de Cootie. La section rythmique exceptionnelle tient l’édifice. Bruno Rousselet (b) est rigoureux dans la mise. July Saury maîtrise le langage du jazz et swingue avec une palette de couleurs non étrangère à l’originalité de ce grand orchestre. Musicologue averti d’Ellington, Philippe Milanta respecte les équilibres de cette musique dans ses interventions, parfois assez exceptionnelle (« Meditation »), en tant que pianiste.
La réalisation de cet album magnifique doit aux protagonistes, chanteurs et musiciens d’avoir su respecter l’esprit de l’œuvre. Mais l’énorme travail de préparation et d’organisation de Laurent Mignard et de toute l’équipe y a beaucoup contribué : chef d’orchestre accompli, certes, mais fonction de chef d’entreprise, moins connu de Duke, aussi.

Ecouter cette musique sur le CD évitera de se laisser distraire de ses beautés. Admirer en DVD le spectacle musical magnifique d’un peu moins de deux heures dans le cadre exceptionnel d’un superbe édifice religieux du 18
e siècle fera appréhender l’indispensable coordination dans la conception de cette belle réalisation.
Bravo ! La musique d’Ellington le mérite.

Félix W. Sportis

Antoinette Montague
World Peace in the Key of Jazz

Ain’t Gonna Let Nobody Turn Me Round, Imagine, If I Had a Hammer, Hard Times, God Bless the Child, How I Got Over, Here’s to Life, Oh What a Beautiful Morning, All This Love Is Waiting, And So It Is, How I Got Over, What the World Needs Now
Antoinette Montague (voc), Jay Hoggard (vib), Solomon Hicks (g), Bill Easley (fl), Danny Mixon (p), Paul Beaudry (b), Winard Harper (dm, perc)
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée : 54' 48''
Autoproduit (www.antoinettemontague.com)


Originaire de Newark (New Jersey), biberonnée aux disques d’Ella Fitzgerald, de Nat King Cole et de la Motown, protégée d’Etta Jones, Antoinette Montague est une vraie chanteuse de jazz. Le jazz est son expression, naturelle ; elle swingue comme elle respire. Sur cet album autoproduit (les majors sont trop occupées avec Melody Gardot et autres produits marketing pour s’occuper d’elle… et tant mieux !), la diva s’adonne à un exercice délicat : des reprises issues de la musique populaire, de la variété, voire de la pop, réarrangées jazz. Vous me direz que beaucoup de standards ne sont jamais, à l’origine, que des chansons de Broadway. Et en effet, rien n’empêche que le corpus du jazz continue de s’enrichir avec des titres qui ne lui étaient pas a priori destinés. Encore faut-il que ceux-ci s’y prêtent et que l’arrangeur et l’interprète parviennent à s’approprier la mélodie. Evacuons d’emblée le cas des musiciens qui n’ayant pas de culture jazz de naissance prennent ce biais pour faire "leur" jazz. Les plus grands artistes (Basie, Ella, Ray Charles, entre autres) n’ont généralement pas livré dans cette entreprise leurs œuvres les plus intéressantes, même si le résultat pouvait être plaisant.
Pour autant, Antoinette Montague se tire plutôt bien de cette gageure. La reprise la plus surprenante est dans doute « Imagine » de John Lennon. Après les premières mesures de piano rappelant la version d’origine, la chanson est traitée sur un mode latin, très rythmé. Et ça fonctionne ! Autre morceau de bravoure, « If I Had a Hammer » auquel est accolé « We Shall Overcome ». « What the World Needs Now » de Burt Bacharach est abordé avec moins de fantaisie mais Danny Mixon y est impérial, donnant tout son sel à cette bluette qui pouvait filer l’ennui. Winard Harper et Bill Easley sont également des atouts maîtres de ce disque qui ne s’embourbe pas dans la variété jazzy. Quelques titres relèvent tout de même du répertoire jazz ou gospel, comme le très beau « God Bless the Child » où Antoinette Montague donne le meilleur. En somme, voilà une galette qui, bien qu’un peu inégale, s’écoute avec un réel plaisir et offre une occasion de découvrir une grande chanteuse, malheureusement méconnue sous nos cieux. 
rôme Partage

No Vibrato
Live My Jazz

In the Meanwhile, The Light Shall Come, No Terminus, Sango And Oshun, Blue Flamingo, Ours In Paradise, Rêve sur la terre du milieu
Etienne Richard (p), Fred Delplancq (ts), Bilou Doneux (dm), Chris Mentens (b), Nicola Lancerotti (b) + Jean-Paul Estievenart (tp), Manu Domergue (voc, mellophone)
Enregistré le 10 octobre 2010 et les 21 et 22 février 2014, lieux non précisés
Durée : 56' 51''
Art Plus (www.myspace.com/novibrato)


Etienne Richard a mis trois ans pour publier en autoproduction un quatrième opus comprenant six compositions. Nul n’est prophète auprès des producteurs agréés par le Ministère de sa Région ! Etienne le sait bien, lui qui rencontre plus de succès avec son groupe lors de tournées d’été en France qu’autour et alentour des salles belges subventionnées. Monsieur Richard sait aussi qu’il n’est pas le meilleur pianiste du royaume, mais il est un bon leader ; ses compositions sont bien charpentées, avec beaucoup de respect pour l’héritage. La fidélité de ses excellents solistes (Estievenart, Delplancq) témoigne, si besoin est, de la considération qu’il rencontre à la tête d’un combo qui réfère assez bien aux Messengers d’Horace Silver (« Blue Flamingo »). Manu Domergue, jouant et chantant en invité sur « The Light Shall Come » (sa composition), apporte une touche originale et réjouissante. J’aime la perfect touch de Chris Mentens (« Rêve sur la terre… »), le jeu clair de Nicola Lancerotti (« No Terminus », « Ours in Paradise »), l’inventivité de Jean-Paul Estievenart, l’amplitude du son de Fred Delplancq (« Blue Flamingo », « Rêve sur la terre… ») et ses transgressions coltraniennes (solo sur « Ours In Paradise »). J’aime aussi la spontanéité de Bilou Doneux – même si, avec Chris Mentens il a parfois tendance à presser le tempo (« In the Meanwhile »). No Vibrato est un groupe qu’on aimerait écouter plus souvent en Belgique – et pas seulement au Sounds de Bruxelles. Pourquoi faudrait-il toujours heurter par des exploits harmoniques ? Etienne Richard tient le cap. Il le tient bien !

Jean-Marie Hacquier

Pierrick Pédron
Kubic's Cure

A Forest, In Your House, The Caterpillar, In Between Days, A Reflexion, Killing an Arab, Just Like Heaven & Close to Me, Lullaby, Boys Don’t Cry
Pierrick Pédron (as), Thomas Bramerie (b), Franck Aghulon (dm), Médéric Collignon (p), Thomas de Pourquery (voc), Ghamri Boubaker (Zorna algéroise, algerian flute)
Enregistré le 4 janvier 2014, Paris
Durée : 43' 55''
ACT 9554-2 (Harmonia Mundi)


Reprenant aux Studios Mercredi 9 la formule qu’il avait adoptée pour son précédent album chez ACT, avec Thomas Bramerie (b) et Franck Aghulon (dm), le saxophoniste alto Pierrick Pédron s’est lancé avec ce sixième opus dans l’exploration de la musique d’un groupe britannique qui eut son heure de gloire auprès des collégiens en rupture de ban dans les années 80 et 90, The Cure. Cet album est un exercice de style qui prend pour prétexte neuf morceaux enregistrés par ce groupe depuis la fin des années 1970. Au plan musical et particulièrement jazzique, le résultat s’avère d’une grande pauvreté. La musique de cet album relève du verbiage et de la logorrhée ; le répétitif, qui se donne comme économie esthétique, masque la pauvreté du langage ; l’outrance dans l’expression sans nuance tient lieu d’objet et l’insignifiance de matière exotique. Lorsque la culture existait encore dans notre société, ces productions sans racines étaient classées dans « musique de genre ».
Il convient de s’interroger : pourquoi classer ce type de production dans la catégorie « jazz » ? Surtout, pourquoi certains musiciens de jazz se prêtent-ils à ces opérations et/ou pourquoi éprouvent-ils le besoin d’emprunter le répertoire de la variété ? Si le jazz est une façon de jouer la musique (swing et hot), toutes les musiques ne conviennent pas ou ne supportent pas un traitement jazzique. Certes, les standards de Broadway constituent-ils une part importante du répertoire du jazz. Mais, parce que composés dans la même civilisation, américaine, ils purent y être adaptés ; leur parenté formelle, avec la musique afro-américaine, et leur contenu musical (écrits par de vrais compositeurs) comportaient en eux-mêmes une réelle richesse harmonique et structurelle qui le permettait. La tentation fut forte, dans les années 60 d’aller au plus facile en taquinant les hits du show business ; le Count lui-même ne résista pas à celle de courir après le succès des Beatles. Et si, en son temps, Basie Beatle Bag (Verve, 1966) arrangé par Chico O’Farrill, voire Basie on the Beatles (Waw Times, 1969), eurent-ils quelque succès auprès des yéyés, ces albums ne figurent, en termes de jazz, que comme des curiosités dans son œuvre. La musique anglaise, européenne, ne présente pas les mêmes capacités d’adaptation au swing du jazz, à l'inverse du rock'n'roll américain qui est un héritier de la musique populaire noire (Ray Charles l’a quelques fois traité ainsi).
Après le formidable Kubic’s Monk, nous espérions autre chose de Pierrick Pédron et de ses complices. Donc, attendons les futurs albums de Pierrick, Thomas et Frank ! Et oublions cet essai malheureux. Même au pays du rugby, impossible était la transformation !
Félix W. Sportis

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueJustin Robinson
Alana's Fantasy

Little Melonae, Eazy E, Alana's Fantasy, Jeremy Isaiah, When We Were One, Eronel, Libra, Answering Service, Just One Of Those Things, For Heaven's Sake
Justin Robinson (as),
Michael Rodriguez (tp)
 Sullivan Fortner (p),
Dwayne Burno (b), Willie Jones III (dm)
Enregistré le 4 novembre 2013, New York

Durée : 1h 03' 29''

Criss Cross Jazz 1371 (www.crisscrossjazz.com)


Connu comme saxophoniste de Roy Hargrove depuis de nombreuses années, Justin Robinson a fait partie des « jeunes lions » qui ont revitalisé le jazz dans les années 90. Depuis la sortie de Justin Time en 1992 (avec Kenny Barron, Lewis Nash, Stephen Scott, Eddie Henderson…), la carrière en leader du new-yorkais a été relativement modeste et il est paradoxalement peu reconnu pour lui-même. Il s’inscrit dans une très belle lignée d’altistes qui démarre avec Jackie McLean, James Spaulding, Gary Bartz, Joe Ford, et se prolonge jusqu’à Kenny Garrett, Antonio Hart ou Tim Green. Cet album correspond à son esthétique : vigoureux et d’un classicisme post-coltranien batailleur. Le lyrisme de Justin Robinson s’appuie sur une sonorité pleine et acerbe, prompte aux dérapages sonores enflammés. On comprend que « Little Melonae » soit le premier morceau du disque : l’entame de solo du leader est d’un mordant acéré qui pose son homme ! L’album se présente comme un hommage au regretté Dwayne Burno, dont la contrebasse assurée se fait effectivement sentir de manière majestueuse car il apporte un ancrage qui n’est pas seulement rythmique mais repose également sur la puissance de sa sonorité et son autorité harmonique. Sullivan Fortner (qui vient de la New Orleans et est lui aussi accompagnateur de Roy Hargrove, comme Willie Jones III) est inspiré par Hancock, Corea, Tyner et s’exprime avec une clarté dont les audaces harmoniques fonctionnent bien avec le style de Robinson. Michael Rodriguez semble porté vers le côté plus poétique de la trompette moderne (Miles, Edddie Henderson, même si le style doit aussi à Hubbard et Woody Shaw). On ne présente plus le grand classique qu’est Willie Jones III dont la classe permanente permet de mettre tout le monde en valeur. L’univers de cet album (dédié au regretté Dwayne Burno) est séduisant, avec des ballades sombres et rares (« When We Were One » de Griffin), un Monk enjoué (« Eronel » où Robinson est plus parkerien), un blues de Sonny Stitt (« Answering Service ») et uniquement deux standards. Un artiste à redécouvrir.

Jean Szlamowicz

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueVirginie Teychené
Bright and Sweet

Don’t Get Scared, Angel Face, Rat Race, Bless My Soul, The Dry Cleaner From Des Moines, Goodbye Pork Pie Hat, Don’t Explain, Tight, Familiar Dream, Shiny Stockings, Living Room, Pra Que Discutir Com Madame, Midnight Fair, Por Toda a Minha Vida, I’m Gonna Go Fishing, I Don’t Know Enough About You, La Chanson de Maxence
Virginie Teychené (voc), Stéphane Bernard (p), Gérard Maurin (b), Jean-Pierre Arnaud (dm), Eric Le Lann (tp)
Enregistré en février 2012, La Seyne sur Mer (83)
Durée : 1h 18' 45''
Jazz Village 570012 (Harmonia Mundi)


Voici donc Virginie Teychené brillante et douce (Bright and Sweet), et encore plus que cela, profonde jusqu’à l’émotion des larmes, forte de sa litote expressive, avec un groupe de musiciens en parfait accord et d'une belle complicité, jusqu’à l’invité Eric Lelann avec son feeling plongé aux sources du blues : toutes qualités qui propulsent Virginie dans le petit groupe des grandes chanteuses de jazz d’aujourd’hui. Car, oui, malgré l’incommensurable sororité des chanteuses à travers le monde, on ne peut en mettre qu’un nombre infime dans le cénacle des grandes vocalistes de jazz. Dans ce disque, Virginie et ses musiciens, rendent hommage à ces artistes, femmes et hommes, qui ont fait le chant jazz. Je n’en citerai que quelques-uns.

Dès la première introduction, a cappella, les qualités de la chanteuse sont là : la beauté de la voix, le swing, la décontraction, la diction tant en anglais qu’en portugais ou en français, la puissance et la fluidité, et par dessus tout la tenue de la note, même dans le grave ; on peut y ajouter un scat personnel et inspiré. Virginie possède un phrasé de saxophone, c’est flagrant sur « Bless My Soul », démarque de « Parker’s Mood », c’est le phrasé de Bird, c’est le chant de Virginie, en un duo avec la contrebasse qui joue des notes graves, profondes, dans un chant aéré et prenant. Un vrai chef-d’œuvre ! La rythmique colle au chant, le soutient et le propulse : on pense à cette rythmique de Billie Holiday, ou encore celle de Benny Goodman avec le même Teddy Wilson ; d’ailleurs le pianiste est un frère d’aujourd’hui de Teddy. Le batteur est d’un minimaliste et d’un à-propos fulgurants. Le contrebassiste, qui est aussi l’arrangeur d’une précision et d’un aloi admirables, semble toujours coller au souffle de la chanteuse, étant le cœur de la rythmique, en toute simplicité.
L’hommage à Mimi Perrin (disparue en 2010), et aux Double-Six, sur « Rat Race » est époustouflant de virtuosité et de vélocité tranquilles, et la rythmique fuse et fume. Un désespoir de femme amoureuse victime des infidélités de son Amour, mais qui pardonne : N’explique rien, dit-elle, c’est le « Don’t Expain » immortalisé par Billie Holiday. Virginie traduit ces sentiments avec une retenue tragique, et un brin de révolte, qui touchent au cœur : et voilà que s’envole la trompette, en écho au chant. « Shiny Stockings » pris sur un rythme rumba, un des rares textes d’Ella Fitzgerald, chanté dans le médium-grave, nous vaut une merveille de solo de piano, décontracté, qui coule de source. « Por toda a minha vida » de Vinicius de Moraes et Carlos Jobim, l’un des fleurons de la bossa-nova, est chanté avec la parfaite décontraction languissante du genre, suivi d’un long solo lumineux du trompettiste : osmose parfaite entre les deux interprètes. Un bel échange trio-chanteuse sur « I’m Gonna Go Fishing », là encore le pianiste fait merveille. Un autre beau duo teinté blues avec Gérard Maurin à la guitare sur « Familiar Dream » de Wynton Marsalis, avec des paroles écrites par Virginie. Elle a aussi écrit les paroles de « Midnight Fair » sur une musique de Maurin. Le disque se termine par « La Chanson de Maxence » de Jacques Demy et Michel Legrand pour Les Demoiselles de Rochefort, une des plus belles interprétations de cette chanson.

A aucun moment Virginie n’imite, elle interprète à sa façon des thèmes rendus célèbres par ses devanciers, leur rendant ainsi un hommage réjouissant. Ce disque est la preuve qu’on peut encore s’exprimer avec les données de base du jazz sans imiter, sans être dans le musée, en trouvant sa propre voix. Virginie pourrait définir son art en reprenant les paroles de « La Chanson de Maxence » : « Puisque je suis artiste et que l’amour dicte sa loi ». Cet album est dédié à la mémoire du trompettiste François Chassagnite décédé en 2011.
Serge Baudot

The CooCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disquekers
Time and Time Again

Sir Galahad, Reneda, Double or Nothing, Farewell Mulgrew, Three Fall, Time and Time Again, Dance of the Invisible Nymph, Dance Eternal Spirits Dance
Billy Harper (ts), David Weiss (tp), Donald Harrison (as), George Cables (p), Cecil McBee (b), Billy Hart (dm)
Enregistré les 5 et 6 mai 2014, New York
Durée : 1h 01' 14''
Motéma 233883 (Harmonia Mundi)


L’esthétique qui est celle des Cookers provient de la somme d’individualités qui partagent un ancrage générationnel dans la musique de John Coltrane et son évolution (Donald Harrison est un peu à part, car il est plus jeune et vient de la Nouvelle-Orléans). C’est une musique sérieuse, âpre, rugueuse et d’une poésie un peu sombre. Intense, elle privilégie le lyrisme et l’engagement au formalisme. La ferveur de Billy Harper, les couleurs d’Eddie Henderson, le punch de David Weiss, les traits de lumière de George Cables et les interventions virulentes de Donald Harrison sont soutenues par un groove très particulier, marqué par les ellipses de Billy Hart et Cecil McBee, leurs accents qui préfèrent les ambiances ambiguës au swing pur. La sonorité de Hart et McBee est en tout cas unique et immédiatement reconnaissable. Ils produisent une rythmicité envoutante, très propices à des atmosphères un peu violentes ou mystérieuses. Mais cette musique comporte aussi une saine part de blues, de valse, un balancement véhément et concentré qui ne peut qu’évoquer le quartet de Coltrane. Il y a là une démarche authentique et d’une grande musicalité qui consiste à donner une forme collective à des individualités instrumentales. Le résultat est en plus surprenant de vitalité pour un enregistrement en studio.

Jean Szlamowicz