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Amiri Baraka-LeRoi Jones

9 jan. 2014
7 octobre 1934, Newark, New Jersey - 9 janvier 2014, Newark, New Jersey
© Jazz Hot n°666, hiver 2013-2014

Né Everett Leroy Jones le 7 octobre 1934 à Newark (New Jersey), l’écrivain, critique de jazz et militant est décédé le 9 janvier 2014 au Beth Israel Medical Center de Newark, NJ.

Son père avait un emploi à la poste et sa mère travaillait comme assistante sociale. Leroy apprend le piano, la trompette et la batterie. Il étudie aussi le dessin et la peinture. Il commence de brèves études à Rutgers University puis à Howard University. Il change alors l’orthographe de son prénom qui devient LeRoi. Il considérera l’université comme « assimilationniste » et vouée à « la culture blanche » (« They teach you to pretend to be white »). Il cesse d’aller en cours et sera finalement exclu de l’université. Il s’enrôle dans l’Air Force et sera affecté à Porto-Rico. Soupçonné de communisme, il est exclu de l’armée. Il travaille alors dans le journalisme musical à New York pour The Record Changer et participe au mouvement des Beat poets de Greenwich Village, fréquentant notamment Allen Ginsberg.

En 1958, LeRoi Jones épouse Hettie Cohen avec laquelle il fonde un magazine littéraire, Yugen, dans lequel il publie ses poèmes, ainsi que des textes de Ginsberg, Gregory Corso ou Jack Kerouac. Avec la poétesse Diane di Prima, il fonde un autre magazine, The Floating Bear.
Après son voyage à Cuba en 1960 pour un congrès d’écrivains, il est convaincu par le castrisme ambiant de s’impliquer politiquement. Il créé une maison d’édition, Totem Press qui publiera son premier recueil de poèmes en 1961 (Preface to a Twenty Volume Suicide Note).



Il est l’auteur d’un des premiers ouvrages conséquents sur le jazz comme phénomène culturel (1963, Blues People : Negro Music in White America). Malgré bon nombre de qualités d’analyse, cet ouvrage impose durablement l’un des aspects les plus discutables de son positionnement : l’idée d’une essence « noire » du jazz sur un plan qui est moins historico-culturel que politique. C’est une lecture marxisante du jazz avec un sous-texte racial. La lente dérive raciale qui sera la sienne, l’annexion idéologique du jazz comme arme militante et non comme forme artistique universelles sont en germe.
En 1964, sa pièce en un acte, Dutchman, dialogue entre une jeune femme blanche et un jeune homme noir dans le métro, fait sensation au Cherry Lane Theater de Greenwich Village. Il écrit de nouvelles pièces, dont The Slave, consacré à une guerre des races. Malgré de nombreuses offres, LeRoi Jones refuse de travailler à Hollywood. Il enseigne à Columbia, Yale et finalement à Stony Brook University (Long Island) à partir de 1979 (il était professeur émérite en « Africana studies »).

Après la mort de Malcolm X en 1965, partant du principe qu’il lui était impossible de rester marié à une femme blanche, il quitte son épouse ainsi que ses deux filles et s’installe à Harlem où il fonde le Black Arts Repertory Theater. Hettie Cohen fera plus tard le récit de leur vie commune (1990, How I Became Hettie Jones). A la fin des années soixante, une fois son théâtre fermé, il retourne à Newark et se convertit à l’islam, adoptant alors une forme bantoue de son nom arabe Imamu (« dirigeant spirituel) Ameer (« prince ») Baraka (« béni »), qu’il simplifiera plus tard en Amiri Baraka. Il se consacre dès lors pleinement à une littérature de haine, assumant ouvertement son antisémitisme (Black Magic: Collected Poetry, 1961-1967, dans son poème « For Tom Postell, Dead Black Poet », il écrivait « Smile, jew. Dance, jew. Tell me you love me, jew,” continuing: "I got the extermination blues, jewboys. I got the hitler syndrome figured. »). Il tentera ultérieurement de revenir sur ses positions (1980, « Confessions of a Former Anti-Semite », essai paru dans The Village Voice).

Il est déclaré coupable de possession d’armes illégales et rébellion durant les émeutes de Newark de 1967. Il sera finalement acquitté en appel. Musicalement, il s’exprime en récitant ses poèmes, accompagné par Albert Ayler, Don Cherry, Sunny Murray, Sun Ra. C’est un proche d’Archie Shepp. En 1970, il produit un groupe qui se nomme les Jihad Singers.
Il épouse la poétesse Sylvia Robinson (Amina Baraka). En 1979, il est arrêté pour violences conjugales, et condamné à des séjours dans un centre de réadaptation. Il y écrira The Autobiography of LeRoi Jones (1984). Avec George Gruntz, il écrira un opéra, Money (1982) auquel participent Chico Freeman et Dee Dee Bridgewater. Il coécrit avec Max Roach Bumpy: a Bopera (créé en 1991 au Newark Symphony Hall et au San Diego Repertory Theatre). Il fonde ensuite le big band New Arkestra.

En 1990, l’université de Rutgers lui refuse la titularisation : il traitera alors certains membres de l’université de « nazis » et de « partisans du ku-klux-klan ».

Il a reçu divers prix littéraires, dont le PEN/Faulkner Award, le Rockefeller Foundation Award for Drama et faisait partie de l’American Academy of Arts and Letters. Il apparaît dans le film de Warren Beatty Bulworth (1998). Il enregistre avec le trompettiste de Chicago Malachi Thompson (1998, Freebop Now!), ou le saxophoniste Billy Harper (2008: Billy Harper: Blueprints of Jazz, Volume 2 ).

Fort de ses nombreux soutiens politiques (la présidente du conseil municipal de Newark, Mildred Crump, proche de Baraka depuis qu’il avait voulu construire les Kawaida Towers, un projet monumental pour héberger le mouvement Black Power : « That's when he became my hero » a récemment affirmé Mildred Crump), il n’a cessé de faire la une et de trouver des postes universitaires ou au sein de l’establishment littéraire. Il est ainsi poète lauréat du New Jersey en 2002. Il ne conservera pas ce poste très longtemps. En effet, son poème de 2002, « Somebody Blew Up America » évoque les attentats du 11 Septembre sur le mode conspirationniste :
Who knew the World Trade Center was gonna get bombed
Who told 4000 Israeli workers at the Twin Towers
To stay home that day
Why did Sharon stay away?
Son poème relève du complotisme antisémite plus que de la poésie. Il lui coutera d’ailleurs son titre de poète lauréat du New Jersey malgré une bataille judiciaire pour conserver son poste (il défend sa position dans un texte intitulé « I will not apologize, I will not resign »).

Le critique de jazz et philosophe Stanley Crouch réagit, décrivant l’œuvre d’Amiri Baraka depuis les années soixante comme « an incoherent mix of racism, anti-Semitism, homophobia, black nationalism, anarchy and ad hominem attacks relying on comic book and horror film characters and images that he has used over and over and over. » (« Poet Laureate Was A Bad Hire » (oct. 2002, New York Daily News). Il décrit ainsi l’évolution idéologique de LeRoi Jones-Amiri Baraka :
« It was simple evolution: All whites – and Jews especially – should be murdered; then all Negroes who did not submit to his agenda; then all homosexuals; then all capitalists; then all who did not agree that the Western world and capitalism should be destroyed. True, Jones began his career more than 40 years ago as a very talented Greenwich Village poet, essayist, playwright and novelist, a black bohemian with a Jewish wife and two children. But that LeRoi flipped out inthe late ’60s, left his wife and children after deciding to become a racist black leader and sold out his talent in the interest of hysterical diatribes that have gotten neither worse nor better in the past 35 years. Consistency is all. For those who would celebrate his writing, there is only one question. What good book has he written since 1965? What truly good poem? Or does one become a member of the American Academy of Arts and Letters and poet laureate of New Jersey just by staying alive? ».

En France, on remarque l’unanimisme avec lequel la presse a parlé du décès du « poète » ou du « dramaturge » et jamais du « militant nationaliste » ou de l’« orateur raciste ». La façon de nommer vaut défense et illustration… La complaisance parisianiste a inévitablement salué le « griot révolutionnaire », célébrant « la conscience, l'émancipation, la résistance, la rage mais surtout et toujours la langue en bannière » et le comparant à « Villon, Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Césaire, Bernard Noël ». C’est fou comme les bourgeois parisiens au service des grands groupes de presse subventionnés par l’Etat adorent célébrer la « complexité » des révolutionnaires anti-blancs et antisémites. Mais quand on est poète, on est au-delà de la morale, n’est-ce pas ?

Amiri Baraka, dans un grand mélange pseudo-libertaire bien dans l’air du temps, avait fait sienne une position de révolutionnaire institutionnel consistant à prendre une position victimaire raciste et antisémite. Aux antipodes de l’esprit de générosité du jazz, il s’appropriait le jazz et la culture afro-américaine sur des principes raciaux (le Black Power) et en niait ainsi toute l’universalité. En réduisant la culture du jazz à une pure revendication égocentrée excluant le reste de l’humanité, Amiri Baraka s’était tristement exclu de toute production artistique et était devenu un simple porte-parole idéologique se servant de sa notoriété pour pratiquer un militantisme nauséabond. Attribuant le 11 septembre à un complot sioniste, vitupérant contre l’Amérique (mais jamais contre Ben Laden), il n’était plus depuis longtemps qu’une figure de l’agit-prop. Il n’avait de toute manière plus rien écrit hors de cette veine politico-hystérique depuis la fin des années soixante. Sur le sujet, plutôt que des hagiographies embarrassées par la violente réalité, on lira avec profit Amiri Baraka: The Politics and Art of a Black Intellectual (2001, NYUniversity Press) de Jerry Gafio Watts ou encore Shadow of the Panther: Huey Newton and the Price of Black Power in America de Hugh Pearson (1995, Da Capo Press).
Jean Szlamowicz