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Jazz dans le New York des Années folles

6 juillet 2013
par Robert Nippoldt et Hans-Jürgen Schaal, Editions Taschen
©Jazz Hot n°664, été 2013

Jazz dans le New York des Années folles, par Robert Nippoldt et Hans-Jürgen Schaal, Editions Taschen, Cologne, 21,6 x 34 cm, avec CD, 144 pages, en français
Jazz dans le New York des Années folles
Voici un « beau livre », comme il est d’usage de définir un ouvrage doté d’une belle reliure, abondamment illustré, imprimé sur un beau papier, avec soin. Son objet, le jazz dans une période et un lieu défini, pourrait être un excellent sujet.
On nous dit que « Robert Nippoldt (Allemagne) graphiste, illustrateur est concepteur de livres d’art, déjà connu pour sa trilogie Gangster, Jazz & Hollywood de l’Amérique des années 1920-1930, plusieurs fois récompensée. Son atelier se trouve tout en haut d’un vieil entrepôt très tendance de Münster. »
À propos de l'auteur, on nous dit que « Hans-Jürgen Schaal, né en 1958, a étudié la philologie, la sociologie et l’art dramatique allemands. Il travaille comme journaliste musical indépendant pour divers magazines et a publié de nombreux livres sur le jazz. »
On nous dit enfin que ce livre a obtenu le prix européen du Design, 2008, à Stockholm,
celui du plus beau livre d'Allemagne en 2008 pour l’Institute for Book Arts de Francfort, et a été distingué «L’un des plus beaux livres d’Europe» en 2007 à Berlin.
Face à ce déferlement de louanges et face à l’objet, on pourrait s’avouer vaincu, mais voilà, cet ouvrage relève de la surpercherie, du produit commercial de grande consommation, de la « bimbo édition » et comme le jazz n’est pas né d’hier, ces visions simplistes, caricaturales, souvent partielles voire donc inexactes posent une vraie question : pour qui et pour quoi est fait ce livre ?
A la première question, vu la banalité du dessin (un trait simpliste et lissé reprenant des photos, avec des anachronismes comme la couverture qui évoque plus l’époque et les attitudes de Miles Davis que celles des années folles), malgré le luxe de la fabrication, on pourrait répondre : « c’est pour les enfants ». Mais le contenu, qui prétend à une certaine « science » du jazz n’est pas pour des enfants malgré ses poncifs (l’histoire de la Harlem Renaissance ne débute pas en 1920 et ne s’arrête pas à la crise de 1929), lieux communs (entre autre sur le racisme en oubliant que New York et Harlem furent un creuset artistique, la fenêtre ouverte sur le monde qui fait que Barack Obama est aujourd’hui Président des Etats-Unis), erreurs (que font Louis Armstrong, Glenn Miller, Benny Goodman et d’autres dans cette galère et avec beaucoup d’oubliés de New York et de Harlem, Duke Ellington n’est jamais parti des Etats-Unis, pas plus que Louis, même s'ils ont visité régulièrement Paris, l'autre phare culturel de l'époque, comme Gershwin, Hemingway, etc.) d’un jazz de panoplie de supermarché qui parsèment un contenu parfois plus fouillé, jusqu’à une sociologie du café du commerce pour faire croire ce qui n’est pas : que l’auteur a saisi quelque chose de l’histoire et de l’esprit de cette époque et du jazz. C’est en fait très pauvre concernant une époque artistique bénie dans un endroit phare du monde en effervescence artistique, et pas seulement pour le jazz et qui ne naît pas en 1920 à la musique en général et à la musique afro-américaine en particulier. Si des enfants s’intéressaient au jazz, ce serait leur faire un mauvais cadeau que de les ancrer dans de fausses certitudes.
Si ce n’est pas pour les enfants, et donc pas pour les amateurs de jazz et de culture pour les raisons déjà évoquées, c’est donc pour séduire les adultes qui ne connaissent pas le jazz, en leur faisant penser que l’habit fait le moine, que c’est un contenu pour aborder le jazz en une heure en surface de manière ludique (on se demande jusqu’où va nous amener cette passion de la vitesse et du jeu comme moteurs de la vie) et sans autre ambition que de consommer une heure de sa vie dans le confort d’un beau papier.
Comme le contenu importe peu, on pourrait aussi le concevoir comme une fiction sur le jazz sauf que les fictions qui traitent de l’histoire doivent se décaler du sujet, ce qui n’est pas le cas ici par manque d’imagination. En cela, texte et illustration sont cohérents : ils sont sans imagination et sans profondeur, et on oubliera sans mal la pauvreté du CD joint, un résumé du résumé qu’est l’ouvrage et de la réalité de cette époque.
Ce qui nous fait répondre à la deuxième question,  pour quoi faire ? Pour vendre donc au sens le plus trivial, ce que confirme la précision biographique sur le dessinateur (« dans un entrepôt très tendance »).
Reste qu’on pourra se demander pourquoi une critique si sévère de cet ouvrage sans ambition autre que commerciale ? C’est à cause de la prétention des moyens mis à disposition, qui sont indécents quand on sait que des centaines d’auteurs et de sujets ne peuvent voir le jour sur le jazz et le reste. Un ouvrage de BD traditionnelle aurait suffi, il y en a déjà beaucoup, rarement bons.
Parce que Taschen nous a habitués à beaucoup mieux pour le jazz avec le monumental Jazz Life de William Claxton par exemple ou avec ses publications sur les couvertures d’albums (Alex Steinweiss, The Inventor of the Modern Album Cover, ou encore Jazz Covers de Joaquim Paulo, Julius Wiedemannet) : un éditeur non spécialisé dans le jazz qui fait habituellement un beau travail dans le jazz, en choisissant des sujets pointus traités avec beaucoup de soin et de profondeur.
Beaucoup de déception donc, le jazz mérite mieux.
Yves Sportis