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© Jazz Hot 2017


Roy Hargrove © Pierre Hembise

Bruxelles en janvier
Brussels Jazz Festival, Flagey, Bruxelles (Belgique)

Trois festivals le même mois (Flagey, Riverside, Djangofolllies): te veel is te veel! («trop c’est trop», en néerlandais). Malgré ceci et nonobstant les frimas, nous étions le 12 janvier au Brussels Jazz Festival à Flagey pour retrouver Roy Hargrove.Le trompettiste est trop souvent absent des scènes européennes pour des problèmes récurrents de santé. Nous n’étions donc pas les seuls à nous impatienter du come-back du gamin texan de 47 ans (déjà). La salle était fully booked dans le «paquebot» d’Ixelles pour ce premier concert d’un festival qui en compte dix-huit. Roy Hargrove et ses acolytes nous ont livré une sorte d’encyclopédie de la Great Black Musicà l’image de ses albums avec le RH Factor. Du jazz avec ses rythmes ternaires, binaires et variés; des originaux et des standards comme «Never Let Me Go»; mais aussi du blues, du bop parkéro-davisien, des ballades originales, du funk, de la soul avec «Fantasy» d’Earth Wind & Fire (chanté en duo avec le pianiste) et quelques pas de danse de la génération hip-hop. Hargrove est apparu en assez bonne forme, s’économisant quant à la longueur des solos. Son discours, sans outrance, pourrait apparaître conventionnel; les notes sont choisies, essentielles, séduisantes au bugle comme à la trompette, avec ou sans sourdine. Aux drums, Quincy Philips appuie les rythmes, attentif, délié, juste, efficace. Le jeu d’Armeen Saleem (b), malgré des attaques snapée, est beaucoup moins attrayant. Justin Robinson (as), excessivement volubile et démonstratif aurait tendance à prendre plus de chorus que ceux qui lui sont dévolus. Pour moi, la grande révélation est à mettre sur le compte du pianiste: Sullivan Fortner. Il joue avec une incroyable aisance, souple, disert; on distingue ici et là les influences: Monk pour des syncopes, Art Tatum et Oscar Peterson pour les envolées enjouées, Ellington pour la richesse du discours, Horace Silver ou Wynton Kelly pour le swing. Une formidable démonstration de ce qu’un pianiste de jazz peut démontrer. Un musicien à suivre bien certainement. Et, en plus: il chante aussi en duo avec son leader!
En définitive: un concert attendu, excellent, clôturé en standing ovation! Nous avons appris par la suite que la soirée s’était prolongée au Sounds pour le plus grand plaisir des amateurs noctambules et des musiciens belges présents. Lorenzo Di Maio (g) et Daniel Romeo (eb) garderont sans doute un bon souvenir de cette incroyable et improbable jam session.

Le 18 janvier, c’était au tour de Tom Harrell (tp, flh) de se produire avec son quartet «Trip» dans le cadre du festival. On attend toujours beaucoup lui lorsqu’il se produit en Belgique. Trop peut-être? C’est la conclusion qu’on pouvait tirer à l’issue d’un concert livré sans le soutien harmonique d’un piano ou d’une guitare. Pour se repérer parmi les méandres écrits par leur leader, les musiciens avaient à disposition quelque 2,5 mètres de partitions en largeur ! Ralph Moore (ts) eut bien du mal à en faire bon usage. Non seulement il laissa choir du pupitre des pages et des cahiers entiers, mais ses lectures témoignèrent en plus d’une totale approximation! Quant à la créativité de ses solos, elle était totalement absente. On peut même affirmer qu’il a gâché le plaisir qu’on pouvait recueillir à l’écoute des autres intervenants: Ugonna Okegwo (b)–bien en rythmes et en accord– et Adam Cruz (dm), prodigieux, les pas bien assurés dans les empreintes de Tom Harrell, magnifique dans sa manière de breaker puis de relancer le discours (mais un peu fort peut-être). Avec des tempos et des moods différenciés on était resté en éveil au cours des quatre premiers originaux, espérant que le saxophoniste s’amenderait par la suite. Le compositeur avait choisi de présenter ensuite une très grande suite. Cette sorte d’opéra en vingt strophes nous a laissé quelques beaux solos de basse et de drums, mais encore et toujours: les ânonnements de Moore! De ce concert au bord de la crise de nerfs, nous garderons un pur bonheur: le «Body And Soul» joué en duo bugle/contrebasse. Un peu de cran, Monsieur Harrell ! Cachez à nos oreilles ce saxophoniste qu’on ne peut plus entendre!

Texte: Jean-Marie Hacquier,
Photos: Pierre Hembise

© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017


René Urtreger © David Bouzaclou

Paris en clubs
Janvier 2017

Assister à un concert de René Urtreger (p), c'est un peu avoir rendez-vous avec l'histoire du bebop à Paris. Le 6 janvier, le public Sunside se bousculait pour apercevoir du fond d'un couloir le trio d'un René Urtreger maniant à merveille l'humour avec son auditoire évoquant un thème chanté par Danielle Darrieux «Premier rendez-vous» en 1941, pendant l'Occupation, ou bien le fameux «Tune Up» de Miles Davis, période désargentée. Le pianiste cultive toujours une forme d'élégance dans son phrasé avec ce souci permanent de swinguer comme sur ce sublime «Easy Does it» en hommage à Count Basie. L'arrangement du thème rappelle celui de Ray Brown avec une longue citation du fameux «Gravy Waltz» de ce dernier. S'exprimant dans le langage du bop qu'il maîtrise avec brio, bien qu'il ait su s'en émanciper avec le trio HUM ou bien en solo, René Urtreger nous proposa trois sets magnifiques en restant proche de son idiome favori.

Yves Torchinsky (b) et Eric Dervieu (dm) sont devenus au fil du temps un bel écrin pour le clavier du leader. Une rythmique d’orfèvre qui évolue avec lui depuis presque trois décennies dont le dernier album, Trio (Carlyne Music) représente une sorte d'aboutissement. La belle sonorité ronde et boisée d'Yves Torchinsky répond au jeu aérien d'Eric Dervieu . Avec l'âge, le pianiste s'est assagi, en explorant que les notes essentielles comme sur cette version de la ballade «Everything Happens to Me» rappelant l'école de Detroit de Tommy Flanagan ou Hank Jones à l'image d'une belle reprise de «Just One of Those Things». «Timide» thème dédié à Agnès Dusarthe l'auteur de l’excellent livre Le Roi René (Odile Jacob), également présente dans le club, est une sorte de calypso en tempo médium. Le second set est plus décontracté et les musiciens improvisent en alternant standards et compositions originales du maître. «It Could Happen to You» (qu'il joua certainement avec Chet Baker) précède une version pleine d'autorité et débordante de swing de «Jordu». La délicatesse de son jeu mélodique refuse néanmoins tout effet facile tombant dans une certaine forme de romantisme, à l'inverse d'un Brad Mehldau. Un thème de Parker reflète une thématique bop avec le fameux «Round About Midnight» de Monk pour terminer le set sur un clin d’œil à son mentor Bud Powell avec une sublime version de «Dance of the Infidels». Le dernier set débute sur un arrangement plus intimiste de «Con Alma» qui prépare l'incontournable mélodie de «Thème pour un ami» avant de plonger sur un «Tea for Two» dont le tempo d'enfer dans un langage purement bop est un modèle du genre. DB

Michel Pastre Quartet © David Bouzaclou

Le 7 janvier, sur la scène du Caveau de La Huchette, Michel Pastre (ts) de se produisait en quartet laissant pour une série de concerts sa rythmique habituelle amenée par Pierre Christophe (p), remplacée au pied levé par son fils César (p), l'impeccable Cédric Cailleau (b) et l'assurance tous risques aux baguettes avec François Laudet (dm). C'est d'ailleurs ce dernier qui s'est illustré sur la fameuse intro de «Sing, Sing, Sing» (immortalisée jadis par Gene Krupa dans l'orchestre de Benny Goodman) et qui a amené une version enlevée de «Topsy». On était sinon plutôt dans un esprit de jam autour de classiques du répertoire de Basie («April in Paris») ou d'Ellington («Satin Doll») permettant aux solistes de s'exprimer pour le plus grand bonheur des nombreux danseurs du Caveau. César Pastre varie son jeu avec quelques audacieux passages en block chord et quelques clichés à la Erroll Garner. On retiendra la quintessence des interventions de Michel Pastre conjuguant Don Byas avec l'expressivité de l'école Texane propre à Jacquet ou Buddy Tate. Après son excellent disque en hommage à Charlie Christian (Memories of You) le ténor se projette déjà à un retour au big band pour 2018 avec pourquoi pas un nouvel album. DB


Cecil L. Recchia © Jérôme Partage

Le
8 janvier, Cecil L. Recchia (voc) présentait au Sunside son nouveau projet, «The Gumbo»: des compositions évoquant New Orleans qui feront l’objet d’un enregistrement dans le courant de l’année. Pour servir ce répertoire, un bon trio: Pablo Campos (p), Raphaël Dever (b), David Grebil (dm). On savait déjà, depuis son dernier disque, Songs of the Three (voir notre chronique dans Jazz Hot n°676) consacré à Ahmad Jamal, que la chanteuse choisissait ses sujets avec intelligence et originalité. C’est encore une fois un vrai projet de musicienne qu’elle propose. Le choix des accompagnateurs n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard: on connaît leur connaissance pointue du patrimoine et leur talent pour le faire vivre. Cecil a ainsi repris «Second Line», «Jungle Blues» de Jelly Roll Morton (transformé en «Blues de la jungle» avec des paroles originales), «Go to the Mardi Gras» du Professor Longhair ou encore «Basin Street Blues». Le tout d’une voix joliment veloutée, dotée d’une belle expressivité swing. On est sous le charme… JP

Michele Hendricks Quintet © Jérôme Partage





Le 11 janvier, la Mairie du 11e arrondissement avait confié à l’association Spirit of Jazz la mise en musique de sa cérémonie de vœux à la population. C’est Michele Hendricks (voc) qui a ainsi investi la scène de la salle Olympe de Gouges, entourée de Ronald Baker (tp, voc), Sean Gourley (g), Nicola Sabato (b) et Philippe Soirat (dm). Un bel attelage, monté pour l’occasion, et qui a délivré un swing des plus festifs autour de thèmes variés: «The Bear Necessities», «It Don’t Mean a Thing» ou encore quelques compositions de Michele Hendricks. Le dialogue à deux voix ou à la trompette avec Ronald Baker a été réjouissant. Quant à la rythmique –inédite–, elle a apporté un soutien d’une grande finesse. Un régal. JP

Devant un parterre fourni, Pierre de Bethmann nous présentait, le 21 janvier au New Morning, son Medium Ensemble, un collectif de douze musiciens dont il dit qu’ils ne constituent pas un big band à ses yeux, mais juste l’occasion qui lui fut donnée de composer pour un groupe plus étoffé que ceux qu’il avait dirigés jusqu’à présent. La plupart des titres interprétés proviennent des deux albums de la formation, Exo et Sisyphe, mais De Bethmann profite de l’occasion pour introduire des réminiscences de ses formations antérieures, de telle sorte que même son trio Prysm était, d’une certaine façon, présent ce soir-là. En marge de ces relectures de morceaux dont les arrangements initiaux étaient destinés à des combos plus modestes en taille, «Moderato» instaure un climax sur lequel on repère déjà le registre très vaste couvert par le sax alto de Sylvain Beuf et le sax ténor de David El-Malek. «Ton sur ton» permet de relever l’excellent drumming de Karl Jannuska, qui interprète les métriques savantes du compositeur comme en se jouant, qualité jamais démentie durant les deux longs sets de ce concert (plus d’une heure et demi chacun). Pour «Attention», Pierre De Bethmann nous dit ironiquement la difficulté qu’il éprouve à trouver des titres pour ses compositions (raison sans doute pour laquelle il se contente d’un ou deux mots dans la plupart des cas). La première partie du concert se clôt sur «Exo», avec une brillante démonstration de Stéphane Guillaume (fl) et le sentiment d’avoir affaire à une prestation qui touche à la musique contemporaine se confirme. Le second set débute par une composition antérieure, «Complexe», dans une relecture évidemment complète par rapport à l’originale qui était enregistrée par un quintet (et qui serait un hommage à Edgar Morin). Le pianiste alterne le piano acoustique et le Fender Rhodes pour des sonorités plus électriques, et, n’était l’extrême variété des timbres utilisés, seul l’état d’esprit général qui anime le groupe témoignerait du fait que nous assistons bien à un concert de jazz. Il faut dire que le Pierre de Bethmann Medium Ensemble © Jean-Pierre Alendaleader intervient davantage ce soir comme directeur musical et chef d’orchestre que comme soliste. La densité de la trame musicale et du tapis harmonique offerts par les douze musiciens lui permet de s’appuyer sur des voicings pour mieux se concentrer sur le collier de notes déroulé par sa main droite, emprunt la plupart du temps d’une inspiration mélodique remarquable. «Panser et penser» confirme l’imprégnation d’influences classiques issues de la première moitié du 20e siècle, avec des accents tirés des pièces froides pour piano d’Erik Satie. «76» et «Sisyphe» sont des pistes de décollage idéales pour ceux qui aiment le Fender Rhodes et la clarinette basse de Thomas Savy. À noter les contributions de Bastien Stil (tu) qui parvient presque à reproduire le son d’une voix humaine lorsqu’il descend dans les graves (un exploit qu’on croyait inhérent à l’usage du vocoder), tandis que le trombone de Bastien Ballasz brille par ses interventions toutes de tact et de finesse. Bien sûr, le swing n’est pas le point cardinal de ce type de happening artistique, car la composition et l’orchestration imposent le plus souvent de limiter l’improvisation et la fantaisie aux seuls solos des musiciens; mais si l’on accepte le principe holiste de la forme momentanée en filigrane des montées en puissance qui jalonnent certains titres, on se retrouve finalement dans un territoire, certes moins dépouillé, mais pourtant pas si éloigné de ceux jadis arpentés par le groupe Magma de Christian Vander, que les magnifiques contributions vocales de Chloé Cailleton évoquent d’ailleurs immanquablement. Un concert parsemé d’émotions positives, que demander de plus en ces temps bien trop oublieux du sentiment fédérateur de la beauté? JPA

Martin Jacobsen avec le trio de Christian Brenner © Patrick Martineau

Le 21 janvier, Christian Brenner conviait son ami Martin Jacobsen, ténor danois et parisien d'élection, au Café Laurent pour une formation en quartet complétée par Gilles Naturel (b) et Pier Paolo Pozzi (dm). De «Lover Man» à «Yesterday» en passant par «There Is no Greater Love», ces reprises permettent à Martin Jacobsen de dévoiler son jeu ample tout en retenue qui s’accorde parfaitement avec celui de Pier Paolo Pozzi retenant ses baguettes comme pour mieux effleurer les peaux de sa batterie. D’autres standards sont encore donnés par ce beau quartet, tout en cohérence, dont le dansant «Groovy Samba», «On Green Dolphin Street» de Miles Davis et un final sur «Star Eyes» salué par des applaudissements nourris mais feutrés, à l’image du lieu. De quoi conquérir une nouvelle fois les habitués qui étaient présents. PM


Dany Doriz trio et Wendy Lee Taylor © Georges Herpe

Le 23 janvier, au Caveau de La Huchette, Dany Doriz (vib), maître de ses lieux, était en trio avec son batteur de fils, Didier Dorise, et l'excellent Philippe Petit (org). Belle ambiance ce soir-là, avec un enchaînement de morceaux propices à la danse: «Tenderly» ou encore «Vibes Boogie». La belle Australienne Wendy Lee Taylor est venue poser sa voix de velours sur quelques titres. Si le public était ce soir-là peu nombreux, on avait plaisir à se retrouver entre habitués. La Caveau qui célèbre ses 70 ans cette année (dont près de 47 sous la direction de Dany Doriz) aborde en tous les cas cette année 2017 avec la sérénité d'un incontournable monument parisien. GH




Chaque mercredi, depuis l’ouverture du «resto-concerts» Aux Petits Joueurs, en 2008, Daniel John Martin (vln, voc) invite un représentant de la Daniel John Martin, Romain Vuillemin et Romane © Patrick Martineautradition Django Reinhardt. Le 25 janvier, c’était Romane (g), accompagné de Romain Vuillemin (g), qui partageait la scène avec le violoniste, devant un public nombreux. Au programme, des standards évidemment, joliment revisités par le trio («Smile», «Tea for Two»…) et habillés par les cordes virevoltantes de Romane. Daniel John Martin, qui se situe dans la filiation de Stéphane Grappelli et de Stuff Smith, poursuivant un dialogue plein de poésie avec ses invités et donnant également de la voix à l’occasion. On connait les difficultés que traverse cet endroit où le jazz se partage en famille ou avec des amis, entre des rires, un verre et un bon petit plat. Que nous puissions en profiter encore longtemps! JP

Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, David Bouzaclou, Georges Herpe, Patrick Martineau, Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017


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La La Land
Comédie musicale de Damien Chaselle (128 min., USA, 2016)
Sortie en France le 25 janvier 2017

La première vocation de Damien Chazelle (32 ans) était d’être batteur de jazz. Ne s’estimant pas suffisamment talentueux, il s’orienta vers des études de cinéma. L’apprentissage de l’instrument, parfois douloureux, il l’a raconté dans son premier film, Whiplash (2013) qui mettait face à face un maître abusif et son élève. Avec ce deuxième long-métrage, La La Land, Damien Chazelle (également scénariste) place encore une fois son histoire dans un contexte jazz: cette comédie musicale, qui se veut un hommage aux classiques du genre des années 40 à 60, met en scène la rencontre et la relation entre Mia (la touchante Emma Stone), actrice tentant de faire carrière à Hollywood, et Sebastian (le fringuant Ryan Gosling) pianiste de jazz courant le cachet et dont l’ambition est d’ouvrir un club à Los Angeles. Soit deux personnages portés par leur rêve (en l’occurrence le rêve américain, celui qui appelle à s’élever, à accomplir), qui vont bien entendu tomber amoureux, mais également devoir effectuer des choix entre leurs aspirations et leur amour. A ce titre, notamment, le film – largement salué pour ses vertus euphorisantes –, sans être véritablement profond, n’est pas si léger. Sebastian, qui vit au milieu de ses reliques (portrait de Coltrane, etc.), est de ces amateurs de jazz intransigeants qui n’acceptent pas sa mise au goût du jour à des fins commerciales et fustige le grand public trop ignare pour s’y intéresser. Il rêve d’un club où l’on joue un jazz «pur et dur», celui de Basie, de Parker, et dont l’inévitable succès sera l’accomplissement de son grand-œuvre: «sauver le jazz»! Cause perdue pour son ami Keith, leader d’un groupe à la mode (interprété par le musicien de «néo-soul» John Legend), qui lui, à l’inverse, recherche l’adhésion facile du public. Ce décalage assumé de façon bravache (et qui rappelle le discours de beaucoup de jeunes jazzmen parisiens jouant middle jazz) nous rend bien sûr le personnage éminemment sympathique (l’occasion de saluer également le jeu de l’acteur qui est un authentique musicien) tout comme le réalisateur qui parle à travers lui. On est donc d’autant plus déçu, qu’en dehors de quelques scènes de club assez réussies, le jazz soit absent de la bande originale signée de Justin Hurwitz. Comble du ridicule, quand après un morceau très swing, Sebastian se met au piano et exprime ses sentiments pour Mia, il nous inflige la bluette mièvre («Mia & Sebastian’s Theme») qui est la chanson principale du film. Il est fort dommage que le réalisateur n’ait pas mis son propos en pratique en nous servant tout du long de la chanson de Broadway (et pas la meilleure), au demeurant pas très bien chantée par les acteurs. Exception faite du thème d’ouverture, «Another Day of Sun», auquel est associé une excellente scène de danse; les autres manquant malheureusement d’ampleur. Au final, La La Land aligne les bonnes intentions et les références pertinentes (comme la reconstitution, dans une jolie scène finale, du Caveau de La Huchette) mais ne parvient pas à faire aboutir les idées qui auraient constitué sa réussite. Tant pis, on peut toujours se consoler en revoyant un chef d’œuvre de la comédie musicale jazz, tel Stormy Weather.

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017


Chris Cody au Foundry 616 © X, by courtesy of Chris Cody



Jazz in Australia
Sydney, Melbourne, etc.

Le pianiste Chris Cody (Jazz Hot n°613) nous adresse une carte postale en provenance de son pays natal, l’Australie, où il est retourné vivre pour quelques temps, après vingt-et-un ans passés à Paris (où il a effectué un court passage, en juin dernier –voir notre compte-rendu ci-dessous– pour présenter son dernier disque, Not My Loverdont la chronique est également disponible). Il est vrai qu’en dehors de quelques musiciens, essentiellement ceux parisiens d’adoption, comme Sebastien Girardot (b), David Blenkhorn (g), Wendy Lee Taylor (voc), ou encore Joe Chindamo (p, Jazz Hot n°596) qu’on ne connaît que par enregistrements interposés, la scène jazz australienne nous est fort lointaine. C’est donc un intéressant panorama qu’esquisse Chris Cody, pour se faire une petite idée du jazz au pays des wallabies…

L’Australie est connue pour ses magnifiques déserts, ses plages de surf, ses «cafés culture», ses événements sportifs et l’opéra de Sydney; moins pour sa scène jazz et ses musiciens dont beaucoup ont fait carrière en Europe et aux Etats-Unis. Ainsi, l’amateur de jazz ne sera-t-il pas déçu par cette scène australienne réduite mais de qualité, particulièrement à Sydney et Melbourne, les deux plus grandes villes du pays qui comptent chacune environ 5 millions d’habitants.

A Sydney, bien que quelques-uns de ses clubs historiques –tel El Rocco ou le Soup Plus– soient fermés depuis longtemps ou que d’autres encore –comme The Basement–, ne programment plus de jazz, il existe encore des lieux spécifiquement dédiés au jazz. Par ailleurs, on peut entendre régulièrement du jazz dans nombre de bars, pubs, restaurants et festivals. A l’image de Sydney, synonyme de soleil et de plages, le jazz y est coloré, extraverti, original, avec souvent une base groove.

Chris Cody au 505 Club (2015) © X, by courtesy of Chris Cody

Près du centre-ville, se tient le Foundry 616 (ouvert en septembre 2013), au 616 Harris Street Ultimo, dans un ancien quartier ouvrier. La salle est de forme carrée avec un bar et des tables éclairées de bougies devant la scène où l’on peut dîner. La programmation est variée, avec une dominante de jazz moderne et contemporain, et s’étend occasionnellement à la world music et au hip hop. S’y produisent notamment Mike Nock (un pianiste néo-zélandais qui après plusieurs années passées aux Etats-Unis est aujourd’hui considéré comme le doyen de la scène australienne), Dale Barlow (ts, ancien membre des Jazz Messengers d’Art Blakey), Vince Jones, Virna Sanzone et Emma Pask (voc).
Le 505 Club était originellement situé dans un entrepôt (2004-2009), appartenant à un contrebassiste, où le public devait s’asseoir par terre. Début 2010, le club déménageait dans des locaux plus adaptés –où l’on peut boire et manger–, au 280 Cleveland Street, à Surry Hills, un quartier populaire qui, à la manière de Soho, s’est couvert de petits restaurants et de bars branchés. L’atmosphère du 505 Club est résolument underground: vieux canapés, lampes, graffitis sur les murs extérieurs. C’est un espace d’expression artistique où l’on entend du jazz moderne, du funk, du groove, mais également un blues enraciné. Du lundi au mercredi se tiennent les jam-sessions et les concerts le reste de la semaine. On peut y écouter régulièrement Matt McMahon (p), le groupe 20th Century Dog, Carl Dewhurst, and Carl Morgan (g), Andrew Gander (dm) et quelques autres formations.
La Sydney Improvised Music Association (SIMA) –en bas des escaliers de l’espace bar du Seymour Center, un grand complexe dédié au théâtre et à la musique, en bordure du campus universitaire – est financée par l’Australia Council for the Arts (le fonds culturel du gouvernement australien), elle a ainsi toute latitude pour programmer un jazz contemporain original. Toutefois, ces dernières années, le budget alloué à la Culture a subi des coupes franches qui rendent incertain l’avenir des artistes australiens (qui ne connaissent pas le statut d’intermittent). Mais la SIMA, qui se maintient à flot depuis plus de trente ans, en a vu d’autres… Parmi les musiciens qui fréquentent sa scène, on trouve Sandy Evans (ts, ss), Andrew Robson (as), Paul Cutlan (s, bcl…), James Greening (tb), Mike Bukowski, Phil Slater (tp), Lloyd Swanton (b) ou encore Mark Isaacs (p). Le public de la SIMA, assez varié, notamment en âges –mais en diminution ces derniers temps–, prend place dans un décor de briques quelque peu austère, heureusement enrichi de bougies et de jeux de lumières.
Colbourne Avenue n’est pas un lieu habituel: cette ancienne église possède un piano-à-queue et propose du café et du thé en self-service. Chacun paie ce qu’il veut et la musique est essentiellement acoustique. Les plus récents concerts ont permis de mettre en lumière des musiciens émergeants, tel Laurence Pike (dm, samples), Simon Ferenci, Mike Majowski (tp), Matt Keegan (ts), Richard MaeGraith (ts). Les passants se laissent facilement happer par cette atmosphère très particulière, y compris les sans-abris du quartier.
D’autres lieux à Sydney proposent occasionnellement du jazz, comme The Camelot Lounge, à Marrickville, qui possède une salle haute consacrée au cabaret et à la world music et une salle basse, le Django Bar, orné d’une grande affiche du guitariste. Dans quelques pubs du centre ville et dans le vieux quartier des Rocks on peut entendre du middle jazz et du dixieland, ainsi que dans des restaurants et quelques festivals de plein air. Tandis que les quartiers de Newtown et de Surry Hills, privilégient une musique plus groovy qui réunit souvent un chanteur, un saxophoniste et un DJ.



Moins impressionnant et connaissant des hivers plus froids, Melbourne abrite une scène jazz moins extériorisée et dont la sensibilité est plus proche de la scène européenne contemporaine.
Si Bennetts Lane est le plus ancien club de Melbourne –créé en novembre 1992 par Michael Tortoni – son avenir paraît incertain depuis le départ de son fondateur. Il n’en reste pas moins que le club a vu défiler la crème du jazz australien: Paul Grabowski (p), Jamie Oehlers (ts, originaire de Perth, sur la côte sud-ouest du pays), Jordan Murray, Shannon Barnett (tb), sans compter les musiciens de renommée internationaleThe Uptown Jazz Café, dans le quartier de Fitzroy, est une petite salle en haut d’un escalier, comprenant un piano-à-queue et pouvant accueillir environ soixante-dix spectateurs; le dimanche, l’association Melbourne Jazz Co-Operative y programme de la musique improvisée, notamment Julien Wilson (ts), Barney MCall (p) ou Scott Tinkler (tp).
The Paris Cat Jazz Club, à Goldie Place, est un autre club intime où l’on peut entendre Gian Slater (voc) ou Andrea Keller (p), tandis que l’élégant Dizzy’s Jazz Club, à Richmond, propose beaucoup du jazz vocal –telle Nichaud FitzGibbon, une véritable institution à Melbourne–, mais également des big bands et des petites formations. De même que le Ruby’s Music Room fait également la part belle aux chanteurs et aux formations réduites.

Les principaux festivals de jazz australiens sont organisés à Melbourne, Wangaratta, Perth, Thredbo, Manly et à Stonnington, offrant un spectre assez large. Mais le jazz est également présent au sein de festivals plus généralistes, comme ceux de Brisbane, Perth, Sydney ou Adelaide. En dehors des grandes cités, quelques petites villes rurales comme Bellingen, Dubbo, Fremantle ou Berry proposent des festivals plus modestes, souvent sur un seul week-end, avec une programmation middle jazz. Et malgré la distance qui sépare le continent australien des Etats-Unis, on retrouve des têtes d’affiche américaines dans les grands festivals, les grandes salles de concert, comme l’Opéra de Sydney où se sont notamment produits Herbie Hancock, Wayne Shorter et Sonny Rollins. C’est également le cas de certains clubs, comme le 505 où Gary Bartz est passé en juin de l’année dernière.

Bien entendu, la société australienne s’intéresse d’abord au sport, au rock, à la pop music et aux grands espaces (ces endroits où vous pouvez «jeter une crevette sur le barbecue» - «throw a shrimp on the Barbie»). Le jazz reste donc une culture underground, animée par des musiciens qui, comme en France et aux Etats-Unis, doivent mener de front des activités d’enseignement, d’autopromotion, de
production pour pouvoir vivre de leur art. Mais avec passion.

NDLR: Le portail internet Jazz Australia met à disposition de nombreux compte rendus et interviews de musiciens qui renseignent la scène australienne.

Texte: Chris Cody
Photos by courtesy of Chris Cody
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017


Dany Doriz © Jérôme Partage
Festival Jazz'titudes de Laon
Blue Rhythm Band avec Dany Doriz et Faby Médina.
Maison des Arts et Loisirs, Laon (02), 20 janvier 2017

Sis dans la jolie citadelle médiévale de Laon, le festival Jazz’titudes fête en 2017 sa vingtième édition avec une programmation qui s’étale sur toute l’année (du 20 janvier au 15 décembre) et dont les temps forts sont prévus pour le mois de mars, avec notamment un «plateau anniversaire» de dix musiciens (le 18 mars) en partenariat avec le Jazz-Club de Dunkerque qui, de son côté, célèbre ses 35 ans. Si la plupart des concerts se tiennent dans le bel auditorium de la Maison des Arts et Loisirs de Laon – au pied de la cathédrale –, d’autres, parmi vingt-six annoncés, se déroulent dans divers lieux de la ville ou dans quelques communes proches (la programmation complète peut être consultée dans notre Agenda ou sur le site du festival: www.jazztitudes.org).

Faby Médina © Jérôme Partage

Le 20 janvier, Jazz’titudes 2017 s’ouvrait, à la Maison des Arts et Loisirs, avec un concert dont les bénéfices devaient être reversés pour aider à la restauration de la chapelle des Templiers de Laon (XIIe siècle), vestige quasi unique en France de l’ordre des Croisés, et à propos duquel un court documentaire fut diffusé de façon préliminaire. Mais la soirée était avant tout placée sous le signe du swing avec le Blue Rhythm Band, formation créée à Saint-Quentin en 1951 et qui est, à ce titre, le plus vieil orchestre de jazz amateur en France. En plus de soixante ans, le groupe s’est évidemment renouvelé et il ne reste plus aujourd’hui de membres fondateurs encore actifs (un "ancien", Alain Richard, tp, flh – né en 1935 –, était cependant venu en spectateur); bien que la plupart des musiciens aient de nombreuses années de service, à l’instar de leader, Serge Duftoy (p), au «BRB» depuis 1968. La rythmique de l’octet est une affaire de famille: Didier Duftoy (b, frère de Serge) et Armand Duftoy, dm, son neveu et benjamin du groupe). Quant aux soufflants, se sont Jacques Verrièle (tb, le doyen, membre de l’orchestre depuis 1956), Bruno Vilain (tp), Philippe Holbach (tp), Xavier Wolfersberger (as, cl) et Serge Helminiak (ts). En outre, le BRB avait à ses côtés deux invités de marque: Dany Doriz (vib, tout juste de retour de Liverpool où il s’était produit pour les 60 ans du Cavern Club, cave historique où ont débuté les Beatles et qui a été aménagée sur le modèle du Caveau de la Huchette!) et Faby Médina, que l’on connaît en particulier comme la voix féminine du Claude Bolling Big Band.

L’octet a d’abord accueilli le patron de La Huchette sur un des titres fétiches de ce dernier: «Air Mail Special». Les fines harmonies du vibraphoniste habillant avec bonheur chacun des morceaux joués. Peu après, c’est Faby Médina qui entrait en scène avec «G. Baby» d’Illinois Jacquet. Sa présence a constitué une belle découverte pour le public laonnois: puissance maîtrisée, diction claire et surtout un excellent groove! On s’est ainsi régalé à l’écouter reprendre «Lullaby of Birdland» ou encore «I Got Rhythm» en fin de première partie. Après un entracte au cours duquel les spectateurs ont pu partager une coupe de champagne avec les musiciens, le concert a repris avec un second set plus dynamique, chacun ayant eu le temps de prendre ses marques. Délaissant son saxophone pour exposer ses talents d’artiste lyrique, Xavier Wolfersberger a interprété «Ol’ Man River», le thème principal de la comédie musicale Show Boat, et fait sensation. On est cependant très vite revenu à une véritable expression jazz, avec Faby Médina qui a donné une très belle version de «Stormy Weather». Un autre bon moment fut «Moppin’ and Boppin’» de Fats Waller lors duquel, pour quelques mesures, Dany Doriz s’est amusé à rejoindre Serge Dutfoy au piano pour un quatre mains. Il est, par ailleurs, à signaler qu’au sein des cuivres, Serge Helminiak (ts) s’est distingué par la qualité de son jeu, notamment sur «Blues and Sentimental». La soirée s’est achevée sur deux rappels particulièrement sympathiques: «It Don’t Mean a Thing» et «Route 66» qui ont ravi l’assistance.

Dany Doriz, Faby Médina et le BRB © Jérôme Partage

Une agréable soirée de jazz, sans aucun doute, qui doit autant au talent des deux invités du BRB qu’à la gentillesse de l’équipe organisatrice, le très dynamique Dominique Capelle en tête. Jazz’titudes comptant encore parmi les festivals où musiciens, bénévoles, journalistes et public se côtoient avec convivialité. L’esprit du jazz, tel que beaucoup de festivals de dimension plus importante l’ont malheureusement oublié.

Textes et photos: Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017


Chicago Blues Festival © Jérôme Partage
Paris en clubs
Décembre 2016

Blues! Blues! Blues! L’édition 2016 (la 48e!) du fameux Chicago Blues Festival était assurément un excellent cru, d’autant plus remarquable que la plupart des musiciens partageant la scène du Jazz Club Etoile, le 9 décembre, ne s’était jamais produit en France. Quel plaisir ainsi de découvrir ces artistes délivrant un blues 100% pur jus, tiré à la source! Eddie Cotton Jr. (elg, voc, 1970) est originaire de Clinton (Mississippi). Fils de pasteur, il intègre tout jeune la chorale de l’église (dont il deviendra plus tard directeur musical) tout en apprenant la guitare à l’écoute B.B. King. Il a étudié à l’université de Jackson. Grady Champion (hca, voc, 1969) vient également du Mississippi (Canton) et s’est aussi formé à l’église. Il est, par ailleurs, producteur et animateur de radio. Diunna Greenleaf (voc, 1959) est née à Houston (Texas). Venue du gospel, elle consacre une partie de son temps à un «blues program» destiné aux écoles. Outre ces trois têtes d’affiche, le groupe était constitué de Darryl Cooper (p), Myron Bennett (elb) et Kendero Webster (dm). Soutenu par cette bonne rythmique, Cotton, Champion et Greenleaf se sont succédés sur le devant de la scène, chacun avec une énergie communicative. Entertainer bien rôdé, Cotton a surtout brillé par sa prestance, faisant se lever un public aux anges. Champion a lui séduit par son enthousiasme et sa façon de dégager de good wibes. Mais la personnalité la plus marquante fut sans nul doute celle de Diunna Greenleaf, aussi imposante physiquement que vocalement. Une diva du blues «à l’ancienne» comme on n’a plus guère l’occasion d’en entendre, puissante et sensible, et qui a notamment présenté quelques belles compositions personnelles. JP

Fabien Degryse © Jean-Pierre Alenda

Le 15 décembre, celui qui a fait équipe avec Philip Catherine venait nous présenter, au Centre Wallonie-Bruxelles, son dernier album, Summertime. Spécialiste du finger picking, le Belge Fabien Degryse, qui a étudié au Berklee College of Music de Boston, a déjà huit disques à son actif et présente la particularité de jouer sur une guitare folk aux cordes en acier, avec un son très naturel amplifié au moyen d’un capteur piézo. Si le choix de privilégier une amplification généreuse peut paraître risqué à première vue (le travail de frettes se fait davantage entendre), ce parti pris permet à Fabien Degryse de faire ressentir les moindres nuances de son jeu ainsi que son sens du rythme, éléments fondamentaux qui donnent tout son relief à la prestation d’un homme seul en scène avec sa guitare. Après de nombreuses œuvres basées sur des compositions personnelles, Summertime semble l’album d’un retour aux sources en même temps que celui de la maturité d’un artiste qui se fait le plaisir de célébrer ceux qui sont à l’origine de sa vocation musicale. De fait, son set est émaillé d’anecdotes, de petites notices d’introduction, pour lesquelles il développe un historique, une genèse, et met en exergue une figure de l’histoire du jazz. Nous voyageons en sa compagnie éclairée sur des relectures savantes de Shearing, de Gershwin, Porter ou Jobim. Chaque fois, l’artiste nous propose un arrangement distinct de l’original qui est au moins autant l’œuvre d’un amoureux de la musique que celle d’un musicien professionnel qui ne veut pas tomber dans la redite. Le passage par le Brésil et la bossa, «Corcovado», est justifié par des collaborations telles que celle de Stan Getz avec Joao Gilberto, et la Belgique n’est pas oubliée grâce au formidable «Bluesette» de Toots Thieleman. Parmi les moments forts du concert, on trouve les emprunts au Kind of Blue de Miles Davis et cette relecture de «Summertime» de George Gershwin, dont il nous dira qu’elle constitue l’une des dizaines de milliers de versions déjà existantes de ce classique parmi les classiques. Pourtant, c’est sans doute l’hommage rendu à Duke Ellington qui, parce qu’il est inattendu de la part d’un guitariste solo, constituera le souvenir le plus mémorable de cette soirée. «In My Solitude» a peut-être été composé en quelques dizaines de minutes sur un coin de table, aux dires du Dukelui-même. Mais c’est en tout cas une façon élégante pour Fabien Degryse de souligner ce que nous devons aux grands anciens, et combien la marque de ces génies incontestables de la musique continue et continuera de hanter le jazz moderne. JPA

Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017


Dwight West (de dos) et le Spirit of Life Ensemble © Jérôme Partage

Paris en clubs
Novembre 2016

Le Spirit of Life Ensemble de Daoud-David Williams (perc) était de passage au Caveau de La Huchette, le 1er novembre. On y a retrouvé ses membres réguliers: Rob Henke (tp), Dwight West (voc), Chip Shelton (as, fl) auxquels se sont agrégés d’autres «habitués» parisiens: Katy Roberts (p) et Philippe Combelle (dm). Deux nouvelles têtes cependant dans la formation: le propre fils de Daoud, Sam Williams (perc) – plutôt discret – et un contrebassiste venu en dernière minute: Jean-Pierre Rebillard. Une nouvelle fois, la prestance de Dwight West a beaucoup apporté au spectacle donné par le groupe: excellent vocaliste, il a livré une enthousiasmante version de «Everyday I Have the Blues». On l’a également entendu  sur «Night in Tunisa» ou «Take the A Train», esquissant par ailleurs quelques pas de danse avec une spectatrice pendant les solos de ses petits camarades. A souligner également la direction musicale avisée de Ron Henke, ainsi que les qualités de la rythmique, en particulier Katy Roberts. Quelques invités sont, en outre, venus se joindre à l’orchestre, au deuxième set: Rasul Siddik (tp) et Adrien Varachaud (as), pour un «Caravan» très fleuri. Comme dirait Daoud:«Viva le France et viva la jazz!». JP

Dexter Goldberg et Ricky Ford © Patrick Martineau

À une heure que d’aucuns, parmi les amateurs de jazz, qualifieraient de matinale, Ricky Ford (ts) nous conviait, le 6 novembre, à un brunch au Dame Rose, nouvelle appellation d’un lieu que la plupart d’entre-nous connaissaient sous le nom de Petit Journal Montparnasse. En duo avec Dexter Goldberg (p), il nous a interprété avec sa fougue habituelle un répertoire très vaste, avec des versions complètement remaniées de classiques et de compositions personnelles. On note tout particulièrement une relecture méconnaissable de «A Time for Love» un hommage à Stan Getz déjà joué au Sunside (voir notre compte-rendu du 7/10/16) dans un arrangement très différent, et surtout un «The Sidewinder» de Lee Morgan rutilant comme une pièce de chrome.

En écoutant le très émouvant «Naïma» de John Coltrane, on éprouve une sorte de malaise; le décalage entre la générosité de Ricky Ford, qui propose quelque chose de nouveau chaque fois qu’il se produit en public, et l’absence de contours du concept «Dame Rose», dont la décoration façon Nouvelle Orléans était pourtant censée permettre une ouverture plus grand public, fait songer à la polémique qu’avait ouverte Laurent Coq à propos du relooking et de la programmation du Duc des Lombards.
De fait, il y a pour l’heure un contraste assez embarrassant entre la volonté affichée d’étrenner de nouveaux concepts, et celle de continuer à accueillir des artistes confirmés qui ont travaillé toute leur vie pour défendre les couleurs du jazz. Voilà donc, pour l’heure, une enseigne qui vit sur sa légende, cherchant à renouveler son public par l’intermédiaire d’aménagements cosmétiques. Ce sentiment ambivalent n’empêche pas d’apprécier une prestation tout de même fort agréable du saxophoniste, qui profitera de l’assistance clairsemée pour jouer sur un mode plus intimiste, s’éloignant des micros pour échanger de façon très fluide avec son pianiste, dont le talent et la parfaite dichotomie main gauche main droite ont animé toutes les compositions proposées en cette happy hour d’un nouveau genre. JPA

Itamar Borochov Quartet © Jean-Pierre Alenda

Itamar Borochov
, trompettiste originaire de Jaffa vit à Brooklyn depuis plusieurs années. De par son parcours personnel, il tente de connecter les différentes traditions du jazz entre elles aux termes d’une démarche empreinte d’une certaine sophistication, mélangeant aussi bien des éléments issus du patrimoine musical africain que des influences arabes. Son expérience d’arrangeur et de producteur, ses préoccupations spirituelles, ont nourri tôt en lui la conviction que le bebop était intrinsèquement une sorte de world music avant la lettre. Dans le cadre très intimiste et agréable du Studio de l’Ermitage, le musicien a pu développer à loisir sa démarche, le 10 novembre, bien aidé par les éclairages et l’ambiance particulière du lieu, qui lui ont permis de mettre en exergue des accents très hard bop, dans une prestation live marquée au coin d’un certain œcuménisme. Ses deux albums Outset et Boomerang fournissent le plus clair des morceaux joués en cette belle soirée, et l’élégance surannée avec laquelle il conduit sa formation n’est pas sans évoquer le travail de Lee Morgan, à la spiritualité duquel il se réfère d’ailleurs expressément. De façon évidente, la dette que Borochov avoue à l’égard des grandes figures du jazz se transforme sur scène en quête de dépassement personnel. Les longs traits qu’il tire de sa trompette zèbrent l’espace de la scène, qui se métamorphose en espace onirique traversé par les éclairs mélodiques des musiciens. Les triolets et sextolets utilisés comme autant de boucles répétitives servent de piste de décollage à une musique extrêmement dense sur le plan harmonique, combinant entre eux des accents lyriques qui ne s’expriment jamais plus magistralement qu’au moment des solos pris tour à tour par les membres du groupe. Avri Borochov a droit à un long solo de contrebasse («Avri’s Tune»), à l’issue duquel il est salué par son leader comme un véritable frère d’armes sur le plan musical (Michael King, p, et Jay Sawyer, dm complétant le quartet). L’apport d’Aviv Bahar, invité de marque ce soir, aux instruments à cordes et au chant, achève de transformer la prestation du groupe en manifeste spirituel et en ode à l’harmonie entre les peuples. Mention spéciale à «Ovadia», sans doute le point culminant d’un superbe concert,  dont les notes en cascades font penser à autant de fractales illustrant la formule de Du Bouchet: «Nous sommes ce qui a crié». JPA


Kurt Elling Quintet © Patrick Martineau


Le 15 novembre, Kurt Elling (voc) se produisait au New Morning pour un tour de chant de saison, tiré de son dernier opus, The Beautiful Day, où il reprend des chansons de Noël, exercice on ne peut plus classique dans le jazz (Armstrong, Ella, Ray Charles, Jimmy Smith et beaucoup d’autres ont enregistré des albums sur le thème de Noël). Entouré d’un excellent groupe (John Mclean, g, Gary Versace, key, Clark Sommers, b, Kendrick Scott, dm), le chanteur a donné un show impeccable, d’un grand professionnalisme, mais tenant davantage de la belle variété jazzy (à la Sinatra) que du jazz à proprement parler. Une facilité qui a réjouit un public venu nombreux mais peu exigent. JP 

Claude Carrière, Sylvia Howard, Peter Giron © Jérôme Partage

Sylvia Howard
(voc) était l’invitée du Cercle suédois le 16 novembre, pour évoquer le répertoire de Duke Ellington en compagnie de Claude Carrière (p) et de Peter Giron (b): un attelage pour le moins surprenant! Avec la conviction et les accents blues qu’on lui connaît, la diva a mis en valeur quelques-uns des grands titres du Duke:«Just Squeeze Me», «Duke’s Place» ou encore «Satin Doll». Une interprétation habitée, qui bien qu’ayant bénéficié du soutien vigoureux de Peter Giron, n’a été que distraitement suivie par l’assistance, prisant avant tout ce rendez-vous musical pour sa dimension mondaine. Exception faite de ceux qui avaient fait le déplacement à dessein, comme le guitariste José Fallot ou le chorégraphe Larry Vickers. JP

 

Le 30 novembre, Pablo Campos (p, voc) – qu’on entend régulièrement au Caveau de La Huchette – présentait pour la première fois son trio (Viktor Nyberg, b, Philippe Maniez, dm) au Sunside. La parti pris de ces trois jeunes musiciens n’est pas, comme tant d’autres, de nous abreuver de compositions personnelles dont l’intérêt est rarement avéré et le lien avec le jazz souvent lointain; au contraire, ils revisitent avec une fraîcheur certaine le «Great American Songbook», serti d’arrangements bien écrits. «The Touch of Your Lips» (Ray Noble, 1936), «Jeepers Cripers» (Johnny Mercer, Harry Warren, 1938), «People Will Say We’re in Love» (Richard Rodgers, Oscar Hammerstein, 1943) ou encore «That Old Black Magic» (Harold Harlen, Harry Warren, 1942) – qu’on peut entendre dans le fameux The Nutty Professor (Docteur Jerry et Mister Love, en VF) de Jerry Lewis (1963) – se succèdent joliment esquissés par le trio dont le leader interprète également les paroles au chant, d’une voix claire. Chaque morceau est présenté au public avec un souci didactique qui trahit l’amour sincère de Pablo Campos et de ses complices pour les belles mélodies de Broadway dont le jazz a su faire des chefs-d’œuvre. JP

Textes: Jean-Pierre Alenda, Jérôme Partage
Photos: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017


 

R. Galliano, P. Catherine, I. Paduart, R. Brochet, P. Aerts © Pierre Hembise

Bruxelles en novembre
Flagey, Jazz Station, Bruxelles (Belgique),

C'est devant une salle comble que le pianiste Ivan Paduart a fêté, le 4 novembre à Flagey, ses cinquante ans, dont trente ans de carrière et autant d'albums enregistrés! Tout au long de la soirée, il fut entouré d'une belle rythmique: Hans Van Oosterhout (dm) et Philippe Aerts (b), revenu spécialement d’Inde pour l'occasion. Le trio ouvre sur «Crush» et le pianiste, sûr de lui, écrase les touches, percussif. Au fil des morceaux, l’approche se développera de plus en plus souple et la structure des compositions: de plus en plus riche harmoniquement. Dès le deuxième thème, Ivan Paduart introduit les premiers invités: Bert Joris (tp) et Quentin Dujardin (g). Avec «Délivrance», le trompettiste anversois nous enveloppe de son timbre de velours. Avec «Zen», Quentin Dujardin affirme sa complicité avec le pianiste; son jeu de la droite est essentiellement pratiqué pouce et doigts. Avec «Life As It Is», Ivan appelle Toon Roos (ss), Raphaëlle Brochet (voc) et Bert Joris. La musique s’envole, intense. Lorsqu’apparait Jan de Haas (vib) sur «Far Ahead», on s’extasie. Le solo est superbe, vigoureux, aisé, en place. Pour «Dreams Ago», qui est à la conclusion de la première partie, Quentin Dujardin, Raphaëlle Brochet et Jan de Haas magnifient cette œuvre en symphonie avec un beau solo de contrebasse et un autre au piano. Merveilleusement lyrique!

On s’attendait à ce que Philip Catherine (g) et Richard Galliano (acc), annoncés en affiche, viennent tirer encore plus haut la musique d’Ivan Paduart. Pour nous faire patienter après un entracte qui nous parut trop long, le trio débuta en compagnie de Toon Roos (ts) et Olivier Collette (key) («Shivers Down My Back»). Puis vint Philip Catherine, souriant, pour jouer «Between Us», une composition d’Ivan Paduart. Avec «Waltz For Sonny» qui suivit, Philip, les yeux au ciel, rendit hommage à Toots Thielemans avec des superbes envolées. Ivan lui emboîta le pas, swinguant de même, endiablé! Pour «Bebe» d’Hermeto Pascoal, Richard Galliano prit la place de Catherine à l’avant-scène alors que Jan de Haas retrouvait ses quatre mailloches. C’est Jan qui prit le premier solo, bien inspiré, avec de belles harmonies. Avec «Illusion Sensorielle», l’une des plus belles compositions d’Ivan nappée au keyboard par Olivier Collette, l’accordéoniste du Midi salua celui qui l’accompagna souvent dès 1992. On ne pouvait pas oublier la touche musette. «Waltz For Nicky» de Richard Galliano nous fit virevolter, appuyé en 4/4 par les tambours d’Hans Van Oosterhout. Le quatorzième titre: «Eruption», est issu de l’album «Catharsis». Quentin Dujardin, Olivier Collette et Raphaëlle Brochet rejoignirent le trio pour cette dernière composition du programme. On apprécia plus particulièrement le long solo de la chanteuse démontrant à l’envi son encyclopédisme nouveau. Comme de bien entendu, tout ce beau monde revint après les rappels enthousiastes et appuyés pour jouer une dernière œuvre d’Ivan: une sorte de gospel-blues très entrainant: «I Had A Ball». Quelle bonne idée d’avoir construit ce programme en crescendo d’émotions avec les changements de partenaires! C’était son anniversaire et nous fûmes à la fête. Go far ahead, Ivan!

Harmen Fraanje © Roger Vantilt

En 2007, Toots Thielemans accepta, pour la première fois, la proposition du Koninklijk Conservatorium te Brussel (Conservatoire Royal de Bruxelles, section flamande) d’utiliser son nom et sa renommée pour récompenser le meilleur élève de l’année terminale (5e Jazz). Cette année, le jury n’est pas arrivé à départager deux étudiants. Pour la première fois donc, le Toots Thielemans Jazz Award 2016, nanti d’un chèque de 2500€, est allé conjointement au Brésilien Fil Caporali (b) et au Luxembourgeois Pit Dahm (dm). Les chèques ont été remis à la Jazz Station le 17 novembre à l’issue des deux sets proposés par les lauréats.Au Brésil, Fil Caporali possédait une solide formation classique. A Bruxelles, en 2014, il est venu la compléter par une étude approfondie du jazz. Les compositions du bassiste brésilien sont très marquées par son éclectisme; les œuvres sont rigoureusement écrites avec une bonne dose de mélancolie symphonique. Il les a présentées à la Jazz Station à la tête d’un quartet de trois jeunes filles: Margaux Vranken (p), Hélène Duret (cl, bcl) et Pauline Leblond (tp, flh).Malheureusement, à l’exception de la pianiste, ses accompagnatrices sont encore rudes de décoffrage; le bois et le cuivre jouent fort, sans grandes nuances, mais aussi - et c’est plus grave - sans de bonnes mises en place.
Avec Pit Dahm en seconde partie, on est surpris, étonnés, décontenancés par sa gymnastique simiesque; la tête oscille et pivote, hallucinée; la frappe est esquissée ou assénée laissant deviner une mélodie qu’il joue dans sa tête. Curieux drummer! A la suite de cette intro murmurée, quasi muette, le pianiste vient développer de très jolies harmonies. Un regard au programme nous apprend qu’il s’agit du pianiste hollandais Harmen Fraanje: un artiste connu, apprécié et appréciable qui déroule de très jolies progressions harmoniques. Il a le bon goût de les laisser résonner, de les entrecouper de silences avant de les développer à la tierce. Le seul élément positif que nous retiendrons de cet évènement, c’est notre désir de retrouver bien vite Harmen Fraanje en concert solo ou trio. Ca c’est de la musique!

Ce fut un grand privilège pour les amateurs bruxellois d’écouter, le 19 novembre à la Jazz Station, le trio de Kari Ikonen (p). Pour ce concert unique en Belgique, l’auditoire était moins bondé qu’à l’habitude. Les absents manquaient de curiosité; ils ont eu tort! Le pianiste finlandais joue ses compositions dont quelques-unes font l’objet de deux albums: Bright et Beauteous Taleds and Offbeat Stories. La musique est originale mais riche d’inspirations diverses: musique classique européenne, swing et jazz scandinave éthéré, mâtinés d’épices orientales et d’exubérances balkaniques. Dès le premier morceau («Septentrional») les rythmes et les harmonies fluctuent au sein d’un même thème, parfaitement suivis par ses accompagnateurs et compatriotes: Olli Rantala (b)et un Markku Ounaskari (dm) jouant toutes les notes avec une stupéfiante légèreté. La musique est dense, mais contrebasse et batterie collent si bien à la mélodie que, malgré la richesse des arrangements, aucune ponctuation ne sonne en-dehors. «Kouro» est d’inspiration lapone, «Pripiat» veut nous parler de l’utilité d’un contrôle nucléaire, «Beotamente» latinise… On apprécie le solo de basse en harmoniques et à l’archet sur «Baboua», les changements de rythmes sur «Lebotan», la quatrième partie de sa trilogie «Helsinski Suite» et le feu d’artifice final avec «Armenian Song» de Khatchatourian. C’est tellement parfait pour la mise en place d’une musique sans cesse mouvante qu’on en arriverait à croire que tout est écrit pour chaque instrument, pour tous les solos. Et pourtant, lorsqu’on vit en direct cette musique d’orfèvre, ces magnifiques arrangements, ces mélodies et ces harmonies riches, on est transportés. Kari Ikonen est un créateur qui compte et qu’il faudra suivre au fil d’une carrière qui ne dépareillerait pas chez ECM!

Shaï Maistro © Pierre Hembise

On n’avait pas encore osé offrir le grand auditorium, en l'occurrence le Studio 1 de Flagey, à Shaïm Maistro (p), découvert aux côtés d'Avishai Cohen (b), et qui vole de ses propres ailes depuis six ans. C’était, je crois, ce 29 novembre, la première fois qu’il se présentait en Belgique dans cette formation (un trio) soudée autour de sa musique: une musique de climats qui swingue et sautille à l’israélienne en s’aidant du classique et du jazz! C’est original mais c’est une musique qui séduit en-dehors de nos canons favoris. Ce soir-là, la plupart des œuvres étaient issues du dernier album The Stone Skipper: «Kunda Kuchka», et le très beau «The Message» qui fait usage de passages enregistrés sur l’iPhone du batteur Ziv Ravitz; batteur qui est aussi chantonneur sur un thème gospellisant qui s’épanouit en quelques libertés. Des libertés contenues, Shaïm Maistro en fait aussi usage en gratouillant les cordes ou en saturant les sons de sa clavinette. Les thèmes sont construits sur des harmonies simples suivies de variations circulaires. C’est un procédé que nous connaissons bien mais qui n’innove pas depuis Keith Jarrett et Brad Mehldau. Les thèmes sont parfois uniquement joués à l’archet par le Jorge Roeder (b). En définitive l’amateur de jazz est resté sur sa faim!

Texte: Jean-Marie Hacquier
Photos: Pierre Hembise et Roger Vantilt
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017


Blues Station de Tournon
Tournon d'Agenais (47), 7 et 29 octobre 2016

Au départ, il y a une volonté véhiculée par la passion, au cœur du Lot et Garonne dans un presbytère qui se donne des allures de club du «chitlin' circuit». Christian Boncour est le chef d’orchestre de ce projet un peu fou de promouvoir le blues depuis plusieurs années à Tournon D'Agenais sous le nom de «Blues Station». La plupart de la scène contemporaine du blues s'y est déjà produite du Chicago blues de Lurrie Bell, Linsey Alexander, Nick Moss, Harmonica Shah, Gerry Hundt, John Primer,Tail Dragger, Eddie Shaw, Dave Specter à la west coast de Mitch Woods, Duke Robillard, R.J. Misho, Gene Taylor, Rod Piazza, Sugar Ray Norcia sans oublier le Texas avec Shawn Pittman, Anson Funderburgh et la soul de Darrell Nullisch ou Tad Robinson.

Mississippi Heat © David Bouzaclou

Une programmation proche de l'excellence qui s’est encore vérifiée le 7 octobre avec une soirée autour de la formation de Chicago, Mississippi Heat, conduite par Pierre Lacocque (hca) et comprenant Inetta Visor (voc), Michael Dotson (elg), Brian Quinn (elb) et Kenny Smith (dm). On notera la cohésion d'un groupe intemporel qui propose un Chicago blues authentique depuis déjà plus d'un quart de siècle autour de solistes et invités de hauts vols tels que Carl Weathersby, Billy Boy Arnold, Lurrie Bell, John Primer, Billy Flynn ou Bob Stroger. Michael Dotson (que l'on a souvent vu épauler Magic Slim), propose un jeu direct, sans maniérisme, rappelant Jimmy Dawkins. Piliers du fameux label Delmark, Mississippi Heat varie son répertoire entre «Boogie» à la John Lee Hooker, shuffle propre au style du Michigan et accents louisianais comme sur cette version de «Saint Louis Blues». Le charisme du leader Pierre Lacocque (né en Israël qui a grandi en Europe et réside à Chicago depuis 1969), donne à la formation une autre dimension. Une musicalité jamais prise à défaut dans un jeu mélodique, il explore toutes les ressources de son harmonica surtout en soliste dans un style staccato. Ne nous trompons pas: la formation ne s'enferme pas dans un Chicago blues traditionnel, mais le prolonge dans des thèmes aux accents du Delta et de la Louisiane notamment par le répertoire original issu de leur nouvel album Cab Driving Man (Delmark). Le nombreux public de Tournon d'Agenais n'est pas prêt d'oublier une telle soirée. Un régal!


Doug Deming and The Jewel Tones © David Bouzaclou

Cultiver le paradoxe à une période où le jazz et le blues sont devenus des musiques d'initiés; ne semble pas être un problème pour «Blues Station» qui aura réussi ces rencontres «Music Blues 2016». Cinq journées de stages, rencontres, conférences et jam sessions autour de musiciens de blues confirmés européens et américains. Autour de Michel Foizon (elg), Tonky de la Pena (elg), Nico Wayne Toussaint (hca), Abdel 'B' Bop (b, elb), Guillaume Destarac (dm), Paul San Martin (p) et Glady Amoros (voc) les nombreux stagiaires partagent et profitent de l'apport également des têtes d'affiches américaines à Villeneuve sur Lot. Le concert venant clôturer cette expérience unique, le 29 octobre, était prévu sur la scène de Tournon D'Agenais dans l'ancien presbytère devenu l'un des lieux les plus prisés de la scène blues hexagonale.

Le nombreux public de tout âge ne s'est d'ailleurs pas trompé pour cette soirée exceptionnelle, ouverte par un premier set mené par les intervenants du stage, après une introduction mettant en avant les stagiaires. Paul Saint Martin (pianiste basque de San Sebastian) s'est ainsi illustré sur le classique «Down the Road a Piece» avec de superbes passages en stride, avant de laisser la place à son compatriote Tonky De La Pena (elg) sur «Big Boss Man» le thème de Jimmy Reed. Nico Wayne Toussaint, dans un jeu d'harmonica puissant et expressif, dans la lignée de son mentor James Cotton, répond au talentueux Michel Foizon dont le blues lent laisse entrevoir une forte influence d'Eric Clapton jusque dans le vocal. La présence de la Grana Louise (voc), figure locale de la scène de Chicago sur «Little Red Rooster» a apporté une touche d'authenticité à ce set avec sa voix puissante au registre évoquant Koko Taylor. L'attraction est également venue de Sax Gordon Beadle, au ténor incandescent. Le natif de Detroit, ayant passé sa jeunesse en Californie, dans la banlieue de San Francisco, a découvert la musique dans une grange transformée en club (The Palms Playhouse) où il écouta Etta James, John Lee Hooker, Robert Cray ou Phil Woods. Il est aujourd'hui l'un des rares représentants d'un style Honkers, né dans les années quarante, mêlant blues, jazz et rythm and blues, dont les précurseurs ont pour noms Sil Austin, Curtis King, Hal Singer, Paul Bascomb, Sam The ManTaylor; mais aussi des saxophonistes de jazz tels que Al Sears, Jimmy Forrest, Ben Webster ou Eddie Chamblee. Ses collaborations de Jimmy McGriff à Jay Mc Shann, en passant par Luther Guitar Johnson, ou Duke Robillard font de lui une véritable référence du genre. Son énorme vibrato doublé d'un sens du swing hors pair est un régal tout comme son jeu de scène excentrique que n'aurait pas renié Sam Butera. La superbe rythmique est amenée par l'impeccable Abdel 'B' Bop (b), spécialiste du slap, et l'excellent Guillaume Destarac (dm).
Pour le second set, l'arrivée de Doug Deming (elg, voc) and The Jewel Tones (Andrew Goham, b, Sam Farmer, dm) a donné une autre dimension à la soirée avec une impression de maîtrise tant sur le plan de la mise en place que de la musicalité, aussi exemplaire qu’authentique. Véritable backing band auprès de Kim Wilson, Lazy Lester, A.C. Reed ou la légendaire chanteuse de Détroit Alberta Adams, les Jewel Tones, bien qu'originaires du Michigan orientent leur blues vers la west coast avec des couleurs propres à T-Bone Walker, sans oublier le swing de Charlie Christian, voire les débuts du rockabilly. La solide rythmique a assuré une assise débordante de swing autour d'un répertoire de classiques de Lazy Lester et autres standards du blues. Mais la véritable claque de la soirée, fut la performance de Steve Guyger, sans aucun doute l'un des meilleurs harmonicistes de Chicago qui depuis la fin des années soixante est une valeur sure de la scène blues. L'illustre Jimmy Rogers ne s'est d'ailleurs pas trompé en l'engageant de 1980 à 1994. Son jeu élégant, raffiné et concis évoque également le phrasé Charlie Musselwhite. Un deuxième set de haute tenue porté par l'équilibre trouvé par Doug Deming et ses deux invités, Steve Guyger et Sax Gordon.

Texte et photos: David Bouzaclou
© Jazz Hot n°679, printemps 2017


Jacques Gamblin © Serge Baudot

Ce que le djazz fait à ma djambe
Théâtre Liberté, Toulon (83), 18 novembre 2016

Jacques Gamblin, acteur reconnu et populaire (qu’on a vu dans des films de Claude Lelouch, Claude Chabrol, Bertrand Tavernier, etc.), a monté, en collaboration avec Laurent de Wilde (p) le spectacle Ce que le djazz fait à ma djambe, lequel lui donne la possibilité d’être musicien sans jouer véritablement d’un instrument. De fait, il prouve plusieurs fois qu’il est musicien, avec un solo de cuillers, à la batterie, et en se frappant les joues et le crâne; la tête comme instrument de percussion.
Répartis sur toute la largeur de la grande scène, chacun des musiciens, à tour de rôle, vient se placer dans un cône de lumière: Alex Tassel (flh), Guillaume Naturel (ts), Bruno Schorp (b), Donald Kontomanou (dm) et Laurent de Wilde, compositeur, arrangeur et directeur musical de la pièce, Le sextet s’exprime dans un style plutôt hard bop, et c’est peu dire que ses interventions sont un régal. DJ Alea ajoute quelques effets pour la mise en scène, autrement il se sert de ses platines comme de percussions; il fait ainsi une belle intervention en duo avec le batteur.
Gamblin est un fou de jazz. Il nous dit: «J’ai pu, avec mon instrument à moi que sont les mots, écrire une histoire d’accords et de rendez-vous, pour vous dire ce que la musique me fait, nous fait en général et ce que le jazz en particulier fait à ma djambe et ce que ma djambe me fait, puis par résonance, à ma hanche, à mes tripes et ainsi de suite en passant par le cœur jusqu’à la tête et non l’inverse». Pari magistralement gagné. Pour les mots, il a puisé dans des textes de Herbie Hancock, Laurent de Wilde, Mezz Mezzrow, Langston Hughes, et a écrit ses propres textes qu’il dit en parler rythmé, en slam, ou tout simplement sur le ton de la narration ordinaire avec une diction parfaite, jouant des hésitations, buttant sur les mots, les enfilant à toute vitesse, dans un flux incessant, à la manière d’un solo de jazzman. Avec aisance, il occupe la scène.

Jacques Gamblin & Laurent de Wilde Sextet © Serge Baudot

Le spectacle se déroule en plusieurs actes, pourrait-on dire. Après l'intro par le sextet, Gamblin vient nous raconter, avec un humour décapant, ses tribulations et ses échecs pour apprendre à jouer d’un instrument, allant jusqu’à tenir la contrebasse comme une guitare. Acte suivant, c’est la recherche de la femme: rencontres, invitations ratées, espoirs, tout y passe. A noter deux scènes d’extases. Quand, dans son cône de lumière, Gamblin danse au ralenti, comme suspendu dans l’espace, allant jusqu’à planer parallèlement au-dessus du sol, seulement soutenu sur ses mains; un grand moment de beauté pure, du temps suspendu. Puis quand debout sur une chaise, là encore au ralenti, il s’envole tel un grand oiseau.
Entre chaque scène dans laquelle Gamblin évolue, l’orchestre ponctue par une intervention solo. Racines new-orleans, blues, bop, funk, hard bop, tout y est, pour un jazz qui fait bouger la jambe, car qui n’a pas remué au moins son pied à la vibration du jazz. Assis face au public, Gamblin va agiter sa jambe droite, de la cuisse à la pointe des pieds, sur un tempo rapide de l’orchestre, puis la gauche au même rythme, allant ensuite jusqu’à les faire sautiller en contretemps. Mais les jambes s’emparent de lui et le voilà qui se lève sur ses deux jambes frénétiques pour parcourir toute la scène en tournoyant sur lui-même, noyé dans la musique. Du délire! Prouesses physique, linguistique, musicale, en une osmose parfaite des sept protagonistes, qui reflètent un plaisir palpable d’être là et de jouer ensemble. Un vrai spectacle jazz, concocté et joué par des gens qui savent ce que c’est, et qui en sont passionnés. Le tout devant une salle archi-comble.

Texte et photos: Serge Baudot
© Jazz Hot n°677, automne 2016


Peric Sambeat © Patrick Dalmace



JazzEñe
Valencia (Espagne), 29-30 septembre et 1er octobre 2016

JazzEñe est une manifestation organisée par la Sgae (équivalent espagnol de la Sacem) pour promouvoir les artistes qu’elle gère, essentiellement espagnols mais aussi latino-américains parmi lesquels beaucoup de Cubains. Une sélection est faite et les jazzmen retenus sont présentés à Valence à une bonne douzaine de directeurs de festivals européens (dont les français de l’Ajmi, Festivals des 5 Continents, Nuits du Sud) à travers une série de concerts. Nous avons assisté aux prestations de Sinouj (qui nous a semblé hors du domaine du jazz), de Marta Sánchez, jeune pianiste madrilène installée à New York. Son quintet comptait dans ses rangs les Cubains Román Filiú (as) et Ariel Bringuez (ts). Musique de grande qualité mais rigide et d’où, à l’exception d’un thème, le swing était absent. On attendait avec envie le saxophoniste valencien Perico Sambeat et son trio (dm et g). Le projet Noesis Trio, un thème quasiment ininterrompu de près d’une heure, avec beaucoup d’électronique et de longues séquences à l’ewi, verse dans la musique improvisée. Lorsque Perico abandonne le jeu au pied (moult pédales!) pour souffler dans son alto on retrouve le grand saxophoniste au son magnifique, entendu dans de nombreux concerts et plus de vingt disques depuis des années.
Pour clore la nuit, venus de La Havane, Ernán López Nussa (p) avec Maikel González (tp), Jorge Reyes (b) et Enrique Plá (dm) ont nettement fait monter la chaleur. Un répertoire éclectique débutant avec une rumba que Ernán, a écrite il y a une bonne vingtaine d’années et se poursuivant avec des extraits de Sacrilegio, des compositions d’auteurs classiques y sont revisitées et jazzifiés à souhait. Le pianiste offre aussi des thèmes inédits puisés dans un projet où se mêlent musique cubaine et rythmes de New Orleans cherchant à retrouver le va et vient entre les deux musiques au début de l’ère du jazz. Une mention spéciale au jeune Maikel et à sa trompette. Très beau concert que le public local qui n’a pas pu écouter le pianiste in vivo depuis une vingtaine d’années a dû apprécier. D’autres formations intéressantes étaient programmées les deux jours suivants parmi lesquelles celles de Ramón Díaz, Joan Monné, deux catalans; de Luis Verde dont le quintet est formé de Cubains de Madrid… On cherchera prochainement à écouter Ernesto Aurignac dont les yeux sont tournés vers Parker et Ornette et à réécouter le saxophone de Javier Vercher qui propose son Agricultural Wisdom Project!
Il restera à voir si les directeurs invités programmeront ces jazzmen… pour voir s’il s’agissait plus qu’un voyage d’agrément!

Texte et photo: Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016


Paris en clubs
Octobre 2016

Ricky Ford Quartet © Patrick Martineau

A l’initiative de l’association Spirit of Jazz, Ricky Ford (ts) offrait avec Ronnie Lynn Patterson (p), Darryl Hall (b) et John Betsch (dm), le 7 octobre au Sunside, un concert de haut vol, interprété dans un tout autre esprit que celui donné avec «African Connection» lors du festival de Toucy (voir notre compte-rendu). Avant le set, Ricky nous confiait que cette nouvelle formation qu’il qualifiera de blues band à l’entame du concert, traduisait sa fascination pour la façon dont cette musique conquit en son temps les grandes métropoles d’Amérique du Nord. Ricky saisit en outre ainsi l’opportunité de rejouer avec un pianiste, ce qu’il n’avait guère fait ces dernières années. Répartis sur trois sets distincts, beaucoup de titres interprétés ce soir sont des compositions qui rendent directement hommage à de grands musiciens, comme celles proposées sur son opus Green Note. Dès l’abord, la sonorité ample du leader frappe les esprits. Alors qu’on pourrait le rapprocher de Dexter Gordon en ce qui concerne le timbre, sa puissance de jeu ainsi que quelques phrasés free très personnels lui confèrent un tempérament aussi léonin que celui de Sonny Rollins. Patterson joue, quant à lui, dans un style très fluide et délié, chose assez étonnante quand on sait qu’il met les mains à plat sur le clavier comme Thelonious Monk. Darryl Hall, de son côté, est certainement l’un des contrebassistes actuels les plus polyvalents. Sa sonorité ronde et ses glissandos acrobatiques font le show, avec des accents virtuoses souvent assumés en binôme avec Ford. « A Maidens’ Voyage» séduit immédiatement le public présent par son énergie. Par deux fois, Ford demandera au groupe de reprendre un morceau à son début, insatisfait du tempo, un perfectionnisme qui ne l’empêchera pas le moment venu de rechercher en toute simplicité le balai tombé à terre du batteur. John Betsch joue au fond du temps, et son drumming gagne en pouvoir de ponctuation ce qu’il sacrifie en drive. Ce faisant, il crée des espaces vacants qu’il s’amuse à combler lui-même avec des frappes puissantes et un effet retard assumé en correspondance subtile avec la palette du pianiste. Patterson chantonne ses chorus avec une justesse confondante et amène un classicisme de belle facture à la cohésion hors pair du quartet. Un titre inspiré par le célèbre speach de Martin Luther King ««How long not long», un hommage façon film noir à Ran Blake sur «Love Lament», popularisé par Abbey Lincoln, et force est de se rendre compte que le groupe rompt avec le passage de témoin successif que constitue l’articulation des solos en combinant entre eux des passages musicaux conçus sans l’intervention du saxophoniste, ce qui donne à Ricky Ford le temps de récupérer de ses longs chorus échevelés. Un moment dédié à la figure de George Russell et à ses années d’école buissonnière, puis c’est au tour de Lester Young d’être célébré comme le styliste incomparable qu’il était. Première surprise: la Canadienne, Jacelyn Holmes (voc), monte sur scène, pour un «Summertime» dans une veine presque pop. Seconde surprise (et meilleure), Ursuline Kairson (voc), originaire de Chicago, teinte «You Don’t Know What Love Is» d’une nuance gospel, avec un vibrato prononcé et une intégrité qui lui gagnent l’estime instantanée de toutes les personnes présentes. « A Time for Love», dédié à Stan Getz qui venait écouter le saxophoniste lorsqu’il en avait l’occasion à New York, est un sommet de sensibilité, et constitue par ailleurs l’acmé d’un concert sans faute de goût qui restera dans les toutes les mémoires. Un premier rappel avec «Reggae Ford Seven», composé pour son groupe African Connection, puis «Miles Train» viennent clore une très belle performance de la part d’un des plus authentiques et des plus généreux colosses du saxophone contemporain, qui confiait à Jazz Hot en 2014 (n°668): «Un bon musicien veut aider les autres, l’art nait de cet acte». JPA


Roy Hargrove Quintet © Patrick Martineau

Entrer dans le flot des idées jaillissantes du trompettiste
Roy Hargrove (tp, flh) n’est jamais chose aisée. Cette première date à Paris, le 10 octobre, avec son quintet, après l’annulation du concert de mars dernier ne fait pas exception à la règle. On disait l’artiste diminué par des problèmes de santé, incertain quant à la poursuite de sa carrière, et une certaine froideur marque, en effet, les premières évolutions du quintet hard bop acoustique sur la scène du New Morning. Les morceaux sont enchaînés sans temps mort, ni présentation des titres, et on sent la démarche un peu hésitante en dépit du formidable métier des musiciens. La part d’improvisation qui préside à l’élaboration d’une musique aussi aboutie est tout simplement trop grande pour que l’émotion puisse s’emparer instantanément du public. Les breaks et autres ruptures de rythme sont légion, ce qui permet à Quincy Phillips (dm) de briller de mille feux (il utilise même une cymbale hélicoïdale). Des notes charnues, travaillées avec les pédales de l’instrument, s’échappent du piano de Sullivan Fortner qui enrichit la rythmique du combo de trilles et de chromatismes. La contrebasse d’Ameen Saleem enracine le son du quintet en lui conférant une force d’inertie indispensable en regard des polyrythmies développées par Quincy Phillips. Eu égard à l’ambiance assez laid-back développée en premier lieu par la formation, un certain nombre de spectateurs regrettent visiblement les gigs plus animés donnés jadis par le trompettiste. À contrario, plus le concert se déroule, et plus on a un aperçu de ce que peut être une musique vivante aujourd’hui. Le groove est d’ailleurs bel et bien présent, mais de façon plus subtile, moins immédiatement perceptible. Les phrasés sophistiqués développés par le leader, positionné comme en retrait par rapport à ses compagnons de scène, suggèrent qu’il est ici plus chef d’orchestre et directeur musical que performer. Justin Robinson (as) occupe dès lors tout l’espace laissé vacant par son leader, multipliant les interventions virtuoses, dans une perspective élégante, non exempte d’un certain maniérisme. Au détour d’un titre, Hargrove fait songer à Miles Davis tant par la sobriété de ses interventions que par la façon dont il veille à mettre en valeur chacun des musiciens au cours du gig. Ses possibilités techniques sont entièrement mises au service de la musique, dans un melting-pot au sein duquel se préparent toutes sortes de décoctions savantes. Progressivement, on s’aperçoit que des harmonies insulaires sont intégrées à la trame musicale (Cuba, Barbade). Par ailleurs, l’optique un peu cérébrale Lucy Dixon © Jérôme Partageprivilégiée ce soir ne cache pas ce que le groupe doit à la Motown et au label Stax (spécialement lorsque Roy Hargrove s’empare du bugle et que les cuivres jouent à l’unisson). Earth Wind and Fire est même appelé à la rescousse au travers d’une citation bien sentie, tandis que Jerry Roll Morton renait de ses cendres à l’occasion d’une improvisation dans l’esprit de la Nouvelle Orléans. Il s’agit moins, en l’espèce, d’invoquer les mânes du jazz en réinterprétant de vieux classiques que de les intégrer à une maïeutique personnelle au sein des structures en perpétuelle évolution jouées par le quintet. Les citations humoristiques, d’ailleurs, font mouche, comme celle du thème de «L’Inspecteur Gadget» (!) lors du second set, mais ce qui marque les esprits, c’est l’aspect de plus en plus fluide de la musique, le fait que les musiciens deviennent de plus en plus inspirés, de plus en plus écoutables, à mesure que le combo déroule tout son répertoire. Scindé en deux parties d’une heure vingt environ, l’ensemble de la prestation semble finalement imprégnée d’une énergie hors norme et on est soudain frappé par une émotion intense qui fait du jeune public présent un véritable acteur du spectacle. Lorsque qu’Hargrove poussera la chansonnette sur un titre de Nat King ColeMy Personal Possession»), la confrontation entre le timbre de voix un peu fragile de l’artiste et la conviction d’ensemble qui anime le groupe nous fera toucher du doigt l’essentiel du message de l’artiste. Le concert se termine et l’on n’oubliera pas le visage de ce jeune homme bouleversé, fixant durant de longs instants la scène désertée par les musiciens. JPA

Le 12 octobre, Lucy Dixon (voc) était au Sunset pour présenter un show mêlant swing et tap dance. Entourée de Vincent Somonelli (g) et des frères Gastine (David, g, et Sébastien, b), qui lui apportent un soutien dans l’esprit Django, la Britannique a déroulé un répertoire de standards et de chansons de Broadway pour beaucoup issus de son dernier disque, Lulu’s Back in Town (voir notre chronique dans Jazz Hot n°674): «Exacltly Like You», «Fascinating Rhythms», «Night & Day»… Pourvu d’une jolie voix et d’un look «vintage», Lucy prend des solos au rythme des claquettes et ponctue ses interventions de quelques pointes humoristiques (comme lorsqu’elle explique comment elle se sert de sacs en plastique pour imiter le son de la charley…). Il s’agit d’un vrai petit spectacle, bien fait, avec de jolis moments comme ce duo contrebasse-voix très réussi sur «Bye Bye Blackbird». Un moment de charme et de légèreté. JP

Mandy Gaines © Jérôme Partage

Le 12 octobre encore, Mandy Gaines (voc) faisait son retour au Caveau de La Huchette, en compagnie d’un excellent trio: Cédric Chauveau (p), Nicola Sabato (b) et Germain Cornet (dm). C’est toujours un plaisir de retrouver la chanteuse de Cincinnati qui est certainement l’une des plus grandes voix qu’il soit donné d’entendre de nos jours. Une voix claire, naturellement puissante – rien n’est forcé – et une expression originale qui lui permet de s’approprier les standards: voire sa version (géniale) de «All of Me». Le plaisir était d’autant plus grand que la rythmique était à la hauteur et très à l’écoute de leur leader: Sabato – qui suit Mandy dans ses tournées françaises depuis plusieurs années – apporte un soutien solide, en bon disciple de Ray Brown; Chauveau – pour la première fois aux côtés de l’Américaine mais vieux complice du contrebassiste – est rompu à l’accompagnement des chanteuses (notamment Rachel Ratsizafy rencontrée au sein du Jazzpel d’Esaïe Cid); Cornet – également une première – démontre de concerts en concerts ses qualités – inventivité, attitude positive… – et une vraie maturité musicale (à seulement 25 ans, il est promis à un bel avenir). Bref, un concert absolument épatant! JP

Marie-Laure Célisse & The Frenchy's © Patrick Martineau

Issue d’une famille de chef d’orchestre et de chef de chœur,
Marie-Laure Célisse (voc, fl) s’oriente vers le jazz après le conservatoire en flûte classique et les chorales, pour créer un répertoire exclusif en français, comportant vieilles chansons françaises et standards de jazz auxquels elle ajoute ses propres paroles. En trio ou en quartet, comme ce 12 octobre à la Péniche Le Marcounet, les arrangements de ses
«Frenchy's», César Pastre (p) et Brahim Haiouani (b), mettent en valeur la sensibilité de la vocaliste qui, de «Flying to the Moon» à «La Javanaise», en passant par «Route 66», déroule toute une palette d’émotions dans une ambiance jam session résolument assumée. Le groupe joue régulièrement à l’Osmoz Café (Paris 14e), ne manquez pas d’aller les écouter. PM

Laure Donnat Quartet © Patrick Martineau

Laure Donnat
(voc) que l’on sait capable de toutes les interprétations dans des domaines musicaux très divers, nous présentait, le 13 octobre au Sunset son dernier album, Afro Blue, accompagnée de son fidèle quartet: Sébastien Germain (p), Lilian Bencini (b) et Fred Pasqua (dm). En blanc et noir, les grands standards ont été arrangés avec goût par Bencini. De «Afro Blue», comme susurré au micro, à un «Summertime» au scat déterminé, en passant par le profond et chaleureux «‘Round Midnight», tout le concert nous promène dans l’univers très personnel de la chanteuse. Les musiciens ont aussi la part belle, que ce soit lors du duo contrebasse/voix sur «Strange Fruits», ou pour l’intro de «Caravan» avec un solo de Pasqua, ou encore celui de Germain sur «Old Devil Moon» en mode salsa. Une belle surprise nous attendait pour le final avec «Alfonsina y el mar», un pur délice, à emporter pour embellir nos rêveries. PM

Marquis Hill © Mathieu Perez

Marquis Hill
(tp) était pour la première fois à Paris avec son quintet. Bien qu’il compte déjà dans sa discographie cinq albums en leader, pleins de compositions originales, le trompettiste, marqué par Freddie Hubbard et Woody Shaw, nous présentait, le 14 octobre au Duc des Lombards, son dernier album The Way We Play. Il y reprend des titres connus et moins connus des musiciens qu’il aime, «Moon Rays» (Silver), «Minority» (Gryce), «Maiden Voyage» (Hancock), «Beep Purple» (Jones), «Fly Little Bird Fly» (Byrd). Il interprétait aussi deux nouvelles compositions, «Vella», «Return of the Student». Accompagné de Christopher McBride (as), Justin Thomas (vib), Joshua Ramos (b), Makaya McCraven (dm), le Blacktet donne à ces titres un souffle contemporain et frais, sans nostalgie. Ils sont jeunes, viennent de Chicago, vivent aujourd’hui pour la plupart à New York. Ils jouent depuis longtemps, et ça s’entend, ça swingue dur. MP

Biréli Lagrène Trio & Adrien Moignard © Patrick Martineau

Biréli Lagrène
(g) nous avait donné rendez-vous au New Morning, le 14 octobre, avec son trio: Hono Winterstein (à la pompe, dans un style très épuré et William Brunard, b) et en invité, Adrien Moignard (g). Djangologie oblige, le premier set est résolument acoustique, avec de belles intros de Biréli, et permet l’expression des sonorités si particulières propres aux guitares de cette tradition. Un blues en mineur calme le jeu et le set se termine sur «Hungaria», interprété presque en mode country. Au deuxième set, Biréli change pour une guitare électrique, et tout s’accélère pour le plus grand plaisir du public qui ponctue chaque démonstration, chaque chase avec Adrien Moignard, de cris d’encouragement. Biréli aime ajouter dans ses solos inventifs des citations, celle de Jimi Hendrix faisant tout particulièrement sensation. Les chorus d’Adrien Moignard trouvent une place de choix au milieu du tapis de guitares ainsi déployé. Un rappel dédié à Django, et la salle est debout, espérant encore longtemps une suite possible après que les lumières se sont rallumées. PM


Ellen Birath, César Pastre, Paddy Sherlock © Patrick Martineau

Le 19 octobre nous assistions à l’un des deux nouveaux rendez-vous que proposent, chaque semaine, Paddy Sherlock (tb, voc) et Ellen Birath (voc) – l’autre étant le dimanche soir au Long Hop (Paris 5e, en alternance) –, à savoir un trio évoquant le répertoire d’Ella et Louis (celui des fameux albums de 1956 et 1957: Ella & Louis, Ella & Louis Again), trio complété par César Pastre (dans le rôle d’Oscar Peterson…). Au sous-sol du pub Tennesse-Paris (Paris 6e), se tient une toute petite scène autour de laquelle était massé un public déjà acquis aux interprètes et qui ressemblait davantage à une réunion entre amis. Le premier set fut effectivement consacré à la recréation du mythique duo («Can’t We Be Friends?», «Isn’t a Lovely Day?», «They Can’t Take That Away From Me») mais par le filtre des personnalités de Paddy et Ellen. On est dans l’hommage, jamais dans l’imitation (sauf clin d’œil humoristique). On fait surtout vivre joyeusement une musique qui donne énormément de bonheur et de plaisir. Les trois compères sont parfaits, tout en complicité: Paddy toujours truculent; Ellen – qu’on entend plus souvent sur un répertoire soul – s’impose comme une excellente chanteuse de jazz, dont le timbre est très adapté à l’évocation d’Ella; César, sérieux comme un pape, emballe le tout dans de belles harmonies. Pour le deuxième set, la belle équipe s’est quelque peu éloignée de son sujet de départ, ce qui a notamment donné une jolie version de «Dansez sur moi» (Nougaro/Neal Hefti) par Ellen Birath, laquelle a cédé sa place sur une autre version française, celle de «Fever» par Marie-Laure Célisse (voc) qui s’est employée à faire monter la température d’un Paddy Sherlock en grande forme! Une bien chouette soirée! JP

Christian McBride Trio © Patrick Martineau

Le superbe trio de
Christian McBride – un des rares dirigés par un contrebassiste – au New Morning le 21 octobre, a visiblement beaucoup joué, improvisé et composé. Avec Christian Sands (p) et Jerome Jennings (dm), McBride défend un jazz enraciné et met ses capacités exceptionnelles en pizzicato et en jeu à l’archet au service du swing le plus pur. On pourrait caractériser ce son par sa puissance, mais son jeu est empreint au moins à part égale de finesse et de soul. Au cours du premier set, on s’aperçoit que ce degré de maîtrise de la musique est indissociable d’une certaine interchangeabilité des rôles, et que MacBride a dû capitaliser aussi bien autour de ses expériences en tant que sideman que de leader ou d’arrangeur. Depuis la Julliard School et sa collaboration avec Bobby Watson, il maintient un engagement ferme contre le racisme et pour la défense de la musique et de l’héritage afro-américain, évoquant notamment des figures telles que Rosa Parks ou Malcolm X, au travers d’une spiritualité issue du gospel et des chants religieux. Cette esthétique se prolonge d’un certain sens de la fête et du partage, ce qui nous vaut aujourd’hui un hommage spectaculaire à Sammy Davis Jr. sur «Who Can I Turn To». Géant débonnaire, il insuffle à son jeu une grande force qu’il combine avec d’infinies nuances de jeu. Souvent bâties sur des turnarounds, ses improvisations font intervenir des substitutions d’accords complexes qui révèlent toute la subtilité musicale du trio. Christian Sands excelle tout spécialement dans l’art de faire rendre à chaque triolet toute sa saveur, ce qui permet à Mc Bride d’occuper une position centrale dans le paysage sonore sans devoir recourir à des effets de manche par trop appuyés, dans une étonnante économie de moyens qui sous-tend le groove plus qu’elle ne l’énonce. Les effets de slide sont rares, mais très appuyés, ce qui accentue leur pouvoir d’expression naturel en les opposant littéralement au pizzicato idiomatique de l’artiste. Privilégiant les toms plutôt que les cymbales, Jennings orne ses beats d’un travail particulier au charleston, utilisé de manière passive à la pédale plutôt que joué à la baguette. Un jeu de snare drum lancinant et volontairement répétitif confère à son jeu un caractère très roots, avec des accents nerveux dynamiques et puissants. Sans être aussi spectaculaire que certains virtuoses extravertis de la batterie, il brille tout particulièrement par un décompte quasi-mathématique des temps qui lui permet d’assurer un soubassement stable dans les situations les plus délicates, lors des interventions tout en tension du pianiste et du bassiste. Les variations virtuoses de Christian Sands au clavier sont caractérisées par un usage instable de la tonique, une dominante passagère qui donne des couleurs inédites à l’influx vital liant les trois musiciens au cours de leurs explorations musicales. La solidité des fondations assurées par le bassiste et le batteur fait que les notes jouées par sa main droite semblent animées d’une vie qui leur est propre. De ce point de vue, d’ailleurs, les motifs ostinato qu’il affectionne ne sont pas sans évoquer le travail de Keith Jarrett lors des Sun Bear Concerts, avec un art consommé de la périphrase qui achève de rendre le discours du groupe tout à fait passionnant. La jovialité de Mc Bride trouve par ailleurs l’occasion de s’exprimer lorsqu’il évoque ce qu’il nomme le «Gai Paris», qu’il dit aimer infiniment plus qu’il ne maîtrise notre langue. Avec un sens de l’à-propos très personnel, il cite «Dark City Nights» de Milt Jackson en guise d’illustration de ce paradoxe. Le swing consommé du groupe n’empêche au reste nullement qu’un titre de Stevie Wonder ne fournisse l’argument d’un cross over créatif tout à fait emblématique des deux longs sets proposés ici. Un très beau concert dont on gardera en mémoire l’aspect assez cérébral de la seconde partie, sur des progressions harmoniques sophistiquées à la tonalité plus sombre qui tiennent du crescendo, et que le combo choisit finalement de trahir au travers d’une improbable célébration conclusive du disco de la fin des années 70, pour le plus grand plaisir des membres du public qui applaudirent debout les derniers accords joués. JPA

Spike Wilner © Mathieu Perez

Le 24 octobre, Spike Wilner jouait au Duc des Lombards. Il se présente désormais sous les couleurs de son club new-yorkais. Son groupe s’appelle tout naturellement le SmallsLive Allstars. En France, en Italie ou en Chine, le pianiste ne se fait pas que l’ambassadeur de ses deux hauts lieux du jazz à New York, le Smalls et le Mezzrow, mais porte avec lui un état d’esprit, une culture et un hommage à ce club dans lequel Tyler Mitchell (b), Anthony Pinciotti (dm) et lui ont fait leurs armes dans les années 1990. Une fois lancé, le set ressemble bien à la personnalité de Wilner avec standards («Round Midnight»), chansons de Broadway («Fine and Dandy» et composition originale («Hopscotch»). Seul manquait au set de ce passionné de ragtime un titre de Scott Joplin. Ce soir-là, le pianiste invita sur scène deux guitaristes, Jérôme Barde, puis Yves Brouqui pour un sublime «Polka Dotsand Moonbeams ». Wilner est un pianiste ancré dans le bebop, dans cette philosophie (voir Jazz Hot n°667) et, comme lui, ses musiciens sont rompus à toutes les situations. Les voir et les entendre est un enchantement. MP


Laurent Courthaliac, figure éminente du piano jazz parisien, a décidé de rendre hommage à l’un de ses cinéastes favoris, Woody Allen, également musicien et fanatique du jazz, qu’il intègre au montage final de ses films comme un élément à part entière de son esthétique cinématographique. Pour ce faire, le pianiste avait réuni au Sunside, le 28 octobre, un octet totalement acquis à la cause (Dmitry Baevsky as, Fabien Mary tp, Xavier Richardeau, bar, David Sauzay ts, Bastien Ballaz tb, Géraud Portal b, Romain Sarron, dm), dont le répertoire et les arrangements sont basés en majeure partie sur l’œuvre de Gerschwin, que les musiciens affranchissent du jazz symphonique pour lui donner des ornements bebop. De «He Loves and She Loves» à «All My Life» (qui est également le titre de l’album né ce projet), le phrasé du leader, comme placé en suspension sur le fil conducteur offert par la contrebasse et la batterie, frappe les sensibilités par son élégance surannée. En écoutant ces accords fragmentés et ces silences égrenés en contrepoint des phrasés legato des souffleurs, on se dit qu’il existe une vraie vision parisienne du swing. Les morceaux, comme remis au goût du jour dans des versions revitalisées, sont la preuve flagrante du fait qu’il est possible de combiner la puissance d’un big band et la cohésion d’une petite formation, dans une optique très roots qui en privilégie l’authenticité. Paradoxalement, c’est peut-être sur les ballades que la redoutable efficacité du band s’avère la plus évidente. Les sonorités de trompette bouchée, les notes cuivrées produites par des instruments vintage, ajoutent à la texture ductile des sons produits par le groupe, et il appert bien vite que la pulsation qui transporte l’auditeur n’est pas générée par la seule section rythmique, qui joue toujours un petit peu en arrière du temps, comme pour mieux suggérer une tension qu’on croyait inhérente au stride de Harlem. C’est peut-être là le véritable dessein de Laurent Courthaliac: il a beau être un authentique spécialiste du genre, il n’en défend pas moins au travers d’un tel tribute un jazz enraciné, dont la naissance est antérieure aux folles improvisations des boppers qui souhaitaient d’abord et avant tout «jouer quelque chose qu’ils ne puissent pas jouer». À sa façon, il transmue la volonté de dépassement personnel des boppers en classicisme, au service d’une musique en tout point passionnante. Le public retiendra de ce concert hors du temps un œcuménisme et une sensation de vie jamais démentis durant les trois sets qui ont jalonné les évolutions du groupe. JPA

Laurent Courthliac Octet © Patrick Martineau

Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez
Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez

© Jazz Hot n°677, automne 2016


Cécile McLorin-Salvant © Sandra Miley



Cécile McLorin-Salvant & Aaron Diehl Trio

Théâtre municipal de Coutances, 21 octobre 2016



Evénement d’automne, la jeune Diva du jazz, Cécile McLorin-Salvant était l’invitée de Coutances, avec le très beau trio d’Aaron Diehl (p) –Paul Sikivie (b), Lawrence Leathers (dm). Pour cette dernière date de la tournée, la chanteuse et ses compagnons ont donné un beau récital, le terme un peu désuet s’impose car il y eut une offrande de ce qu’il y a de meilleur de l’Artiste en deux temps avec une première partie jazz par le répertoire et une seconde chanson française, le tout naturellement avec la manière jazz car c’est dans cette atmosphère que la chanson française, faut-il le rappeler, a donné ce qu’elle a de plus beau, de Charles Trenet à Georges Brassens.



Cette voix si naturellement-culturellement virtuose et pourtant si expressive, si imprégnée de la grande tradition, renouvelle totalement ce que peut être le chant en jazz, comme l’avaient fait ses plus grandes devancières (Bessie, Billie, Ella, Mahalia, Nina…), loin des surproductions maniérées et schématiques actuelles. Tout est neuf, tout est complexe sur le plan musical, mais tout reste si humain chez Cécile que le public a été littéralement emporté dans ce beau voyage transatlantique (et aussi très pédagogique, si on y réfléchit quant à la genèse de la chanson française).


Après une ouverture sur un air de l’opéra de Kurt Weill Street Scene, avec des paroles de Langston Hugues, qui reçut le prix Pultizer en 1929, il y eut, dans le premier temps en particulier, cette relecture si extraordinaire des traditionnels («John Henry», un duo voix et contrebasse jouant sur les harmoniques, comme d’une guitare acoustique), du répertoire de Bessie Smith et de Billie Holiday («What a Little Moonlight Can Do», 1935), Fitzgerald («I Get a Kick Out of You») par une Cécile McLorin-Salvant toujours plus grande musicienne parmi des musiciens de haut niveau avec un Aaron Diehl impérial de facilité et une osmose délicate avec Paul Sikivie et Lawrence Leathers jouant de toutes ses peaux avec délicatesse, y compris celle de ses mains.



Paul Sikivie © Sandra MileyAaron Diehl © Sandra MileyLawrence Leathers © Sandra MileyCécile McLorin-Salvant © Sandra Miley


Cécile McLorin-Salvant © Sandra Miley


Du répertoire de Bessie Smith repris avec autant de profondeur que d’intensité, comme pour un chant a capella sans micro qui laissa la salle muette d’émotion, on passa vers une seconde partie en français, avec «Personne ne m’aime», chanson pleine d’humour et de drame, dans la veine de la chanson réaliste, puis une poétique «Route enchantée» de Charles Trenet qui illustra un film de 1938 de Pierre Caron. On évoqua ensuite Joséphine Baker (le profond texte de «Si j’étais blanche», magnifié par une interprétation subtile et toujours avec humour), pour finir le tour de chant (autre terme ancien qui va comme un gant à ce beau spectacle) très logiquement par une évocation somptueuse des Parapluies de Cherbourg (nous sommes dans la Manche à quelques encablures de Cherbourg), avec le bel air de «Sur le quai», une interprétation de rêve dont Michel Legrand serait flatté.



Dans ce registre chanson française, la perfection va jusqu’à la diction d’une chanteuse parfaitement francophone qui arrive à phraser jazz avec la légèreté de la Diva qu’elle est, une sorte de miracle linguistique et biographique. Le choix, enfin, du répertoire, autant pour la partie américaine que française, est d’une remarquable profondeur qui dénote la sensibilité de Cécile et que confirme son accessibilité
, très simple et très jazz, after hours pour un public sous le charme (rappels).


Aaron Diehl, Cécile McLorin-Salvant, Paul Sikivie, Lawrence Leathers © Sandra Miley


Ce qui est aussi remarquable dans ces deux heures, c’est que l’art musical de Cécile et du trio d’Aaron Diehl ne fait aucune concession, n’a aucune complaisance ou faiblesse: chaque note compte, toujours jazz dans l’esprit, toujours respectueux de la mise en valeur des textes par des interprétations nuancées, recherchées. Aaron Diehl ne cesse par ses contrepoints parfois étranges (jeu classique, arythmique, puis stride, puis très jazz actuel, puis jazz de la grande histoire, commentaires humoristiques, échanges variés avec un contrebassiste et un batteur tout aussi inventifs…), Aaron, donc, construit avec son trio et Cécile de belles œuvres, toujours subtiles, nuancées, accentuées.



Le concert, qui présente toujours des pièces originales par rapport aux enregistrements existants, aurait mérité d’être enregistré comme un moment de perfection artistique. On le regrette pour ceux qui n’était pas dans ce beau théâtre de Coutances, parfait en taille (à l’échelle du jazz) et sur le plan acoustique pour l'écoute du jazz.

Yves Sportis
Photos Sandra Miley

Gérard Naulet © Jérôme Partage



Paris en clubs
Septembre 2016

Programmé le 1er septembre au Petit Journal Saint-Michel, en quartet avec Irving Acao (ts), Bruno Rousselet (b) et Julie Saury (dm), Gérard Naulet (p) évolue comme un poisson dans l’eau au sein d’un environnement convivial et particulièrement propice à la communion entre public et orchestre. Le caractère contagieux des rythmes afro-cubains lui donne la possibilité de remonter le temps et les mélodies populaires lui servent de pistes de décollage pour des improvisations débridées et qui entretiennent des rapports étroits avec la danse. Le style cubain traditionnel est ordinairement assorti de percussions, mais aujourd’hui c’est Julie Saury qui assume toutes les responsabilités en la matière. C’est peu dire que d’affirmer qu’elle s’en sort impeccablement, glissant comme par mégarde quelques roulements prolixes sous le tapis de notes égrenées par les instruments harmoniques et mélodiques. Bien sûr, il y a un aspect répétitif assumé derrière ce genre de prestation, mais la batteuse y ajoute la vie nécessaire par un jeu de cymbales particulièrement dynamique et puissant. Lors du second set, le quartet s’est adjoint les services amicaux de Tony Russo (tp), qui a ponctué de quelques interventions mémorables le classique « Well You Needn’t ». L’optique très roots du concert permet de s’apercevoir que ce style musical s’est progressivement délesté d’une partie de son ornementation initiale pour sortir de sa logique insulaire. Pour rester dans la bonne humeur du moment, la partition de « Don’t Blame Me » donne lieu à un échange humoristique entre Bruno Rousselet, un habitué du Caveau de la Huchette, et le trompettiste. L’assise rythmique impeccable fournie par la contrebasse permet au jeune Irving Acao de prendre son essor lors de longs chorus inspirés. Gérard Naulet nous dira à l’issue du concert tout le bien qu’il pense de sa jeune recrue, dont la passion transpire lors d’interventions en solo qui trouveront un prolongement insolite, lorsqu’il continuera seul ses explorations au piano après que le groupe a quitté la scène. JPA

Le 21 septembre, Scott Hamilton (ts) était de retour au Caveau de La Huchette, entouré de Dany Doriz (vib), Philippe Duchemin (p), Patricia Lebeugle (b) et Didier Dorise. Au sommet de son art, le ténor américain, porté par son évidente complicité avec le vibraphoniste, a développé des phrases d’une grande beauté et une expression d’une remarquable intensité. On retiendra notamment une fort jolie introduction d’Hamilton sur «Cherokee», de même que des échanges très réussis avec Doriz sur «Topsy» et sur «Place du Tertre» de Biréli Lagrène. Le soutien de Duchemin, toujours excellent, achevant ce bel ouvrage. JP

Harold Mabern © Mathieu Perez


Harold Mabern
(p) était de passage au Duc des Lombards le 22 septembre, en trio avec Fabien Marcoz (b) et Joe Farnsworth (dm). Tout en s’exprimant dans un jazz des plus enracinés, Mabern – avec une pointe de malice – a donné une véritable leçon de musique, multipliant les citations les plus variées (du «French Cancan» d’Offenbach – prélude à un boogie-woogie déchaîné – à «Eleanor Rigby» des Beatles –, objet d’un long développement à la suite du «Daahoud» de Clifford Brown). Le maître concluant invariablement ses démonstrations d’une sentence définitive: «There’s two sort of music: good music, bad music… and silly music!». Respirant au contraire l’intelligence, la musique de Mabern puise aux sources du blues («Georgia») pour mieux s’approprier les répertoires situés à l’autre bout du spectre de la musique populaire américaine («Fantasy» d’Earth Wind and Fire). La finesse de Farnsworth et la subtilitéde Marcoz sublimant le jeu de Mabern. Quelle soirée! JP

China Moses © Patrick Martineau

Le 23 septembre, China Moses (voc) se produisait au Jazz Club Etoile, entourée de Luigi Grasso (as, dir), Joe Armon Jones (p), Luke Wynter (b, g) et Marijus Aleksa (dm), pour présenter son nouveau disque, Whatever, un hommage aux grandes figures du jazz, du blues et de la soul qui s'inscrit dans la lignée de deux albums précédents. La chanteuse, débute son show par «Dinah’s Blues» tiré de l’album This One’s For Dinah (2009, composé avec Raphaël Lemonnier, p, et dédié à Dinah Washington). «Jammin at Home» permet de présenter les musiciens et d’enchainer sur un premier titre du nouvel opus, «Disconnected», un groove introduit avec brio par Marijus Aleksa comme dans «Watch Out», mais cette fois secondé par Joe Armon Jones, swing d’un soir embrumé par les vapeurs de l'alcool, et «Whatever » - écrit en pensant aux mots inutiles en amour –, que Joe Armon Jone orne d'un solo de piano tout en finesse. Chaque titre est l’occasion pour China de nous raconter une histoire, prenant à part le public, demandant sa participation active au spectacle. Puis elle prend ses idiophones pour accompagner « Breaking Point » et Luigi Grasso son alto pour une improvisation jubilatoire. Suit une reprise d’une des rares compositions de Janis Joplin «Move Over» et «Blame Jerry» où China Moses voit dans chaque instrument la traduction de l’humeur, de la voix, du souffle d’un homme le soir. A travers « Lobby Call », China Moses nous invite à participer à une comédie musicale imaginaire et elle invite tout le club à chanter avec elle sur «Running» pour un moment de partage et d’émotion, avant de remercier ses fans lors du rappel: «Niccotine». PM

Philippe Soirat © Mathieu Perez

Le 24 septembre, Philippe Soirat présentait son premier album en leader au Sunset-Sunside. Il est intitulé You Know I Care, reprenant le titre de Duke Pearson, que lui a fait découvrir Alain Jean-Marie. Et comme ce titre correspond bien à ce batteur, rompu à toutes les situations, qui a joué aux côtés des plus grands, disponible aux plus jeunes, en tournée ces derniers temps avec Samy Thiébault, Michèle Hendricks, en passant par un gig avec Jason Marsalis et Toshiko Akiyoshi l’été dernier. Bien sûr, on espérait plus de compositions originales (il n’y en a qu’une de lui, «Dear Jean») mais son choix de reprises - «Refuge» (Andrew Hill), «Valse Triste» (Shorter), «Woody’n You» (Gillespie), «Ugly Beauty» (Monk), «Ezz-Thetic» (George Russell) - annonce la couleur : le jazz de Philippe Soirat est aussi exigeant qu’il est imbibé de culture. A l’image des trois excellents musiciens qui l’accompagnent, David Prez(ts), Yoni Zelnik(b) et Vincent Bourgeyx(p). Le feu, l’enthousiasme, la plénitude. On ne demande qu’à les revoir. MP

Le 24 septembre toujours, Thomas Dutronc (g, voc) célébrait l'esprit de Django Reinhardt au Cirque d’Hiver dans le cadre du 40e Festival d’Automne d’Ile-de-France, avec ses invités: Aurore Voiqué (vln), Pierre Blanchard (vln), Jérome Ciosi (g), David Chiron (b), Ninine Garcia (g), Rocky Gresset (g), Michel Portal (bcl, acc) et Pierre Boscheron (DJ). «Are You in the Mood» suivi de «Billet doux» met le public à la mesure de cette soirée. Hommage encore avec « Nuage » sur fond de craquements de vinyle arrangés par Pierre Boscheron avec une remarquable intro de Rocky Gresset. Thomas enchaîne avec son propre répertoire: «Je m’fous de tout» et avec l’entrée acclamée d’Aurore Voilqué («Il pleut dans ma maison») qui se termine en battle entre les deux violons. Le public est enchanté puis déchainé sur «J’aime plus Paris». Michel Portal nous offre un prologue tout en douceur de «Manoir de mes rêves». Retour à Django et de l’ensemble des musiciens sur scène pour évoquer Aragon sur le poème «Est-ce ainsi que les hommes vivent». «Sweet Geogia Brown» permet de rassembler le public distrait par l’entracte, afin d’apprécier la reprise de «Vech a no drom» de Ninine Garcia accompagné par les effets electros du DJ. Après une séquence rock (Django est loin), toute la troupe se retrouve sur scène pour le final de la Foire Dutronc, comme il aime à le dire, avec le thème des «Triplettes de Belleville». Belle soirée en famille et entre amis dans le fabuleux décor du Cirque d’Hiver. PM

Thomas Dutronc & co. © Patrick Martineau

Dave Liebman célébrait, le 28 septembre au New Morning, la musique d’Elvin Jones, accompagné d’Adam Niewood (ts), Adam Nussbaum (batterie), Gene Perla (dm). Du groupe historique, formé au début des années 1970, seuls restent le saxophoniste et le bassiste. Pour un tel concert, le club n’était pas plein à craquer, et c’est bien dommage. Entre reprises («My Ship», «Fancy Free» de Donald Byrd) et compositions originales de Liebman («New Breed»), le batteur était bien à l’honneur («Keiko’s Birthday March», «Three Cards Molly»). Au ténor et au soprano, le jeu du saxophoniste est intense et sans concession, complété par Niewood, impeccable, Perla et Nussbaum formant un duo époustouflant d’intensité. Cette musique, enregistrée il y a une quarantaine d’années, n’a pas pris une ride. Ce quartet ne sonne comme aucun autre groupe. Pas de nostalgie ici. MP

Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez
Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez

© Jazz Hot n°677, automne 2016


Joyce Moreno et Rodolfo Stroeter © Florence Ducommun

Marseille
29 septembre et 1er octobre 2016

Pour cet unique concert en France le 29 septembre, Joyce Moreno (g, voc), avait choisi Marseille.
En fait l’association Le Cri du Port, avait toujours souhaité la recevoir, car à travers ses trente-six saisons de concerts intitulé «Jazz Marseille», son programme a été ouvert aux artistes du Brésil qui empruntent des voies proches du jazz: Egberto Gismonti, Hermeto Pascaol, Baden Powell… Joyce Moreno, à l’allure de jeune femme, signe une carrière de près de 50 ans. Si elle a démarré novice aux côtés de Vinicius de Moraes, elle a construit sa propre œuvre avec à ce jour de quarante-deux albums et des collaborations originales. Parmi ses albums on notera l’étonnant Sem Voce, enregistré en duo avec le guitariste Toninho Horta, en une nuit de «saudade» pour pleurer la disparition d’Antonio Carlos Jobim. Du Carnegie Hall aux salles japonaises, sa voix s’est imposée comme une des plus authentiques du Brésil. Pour le plaisir, on peut citer un de ses premiers albums avec Nelson Angelo (1972) ou le tout récent Poesia avec Kenny Werner (2015). En 2009, elle rajoute à son prénom, le nom, Moreno, celui de son mari Tutti (dm) et compagnon de route.


Joyce Moreno Quartet © Florence Ducommun

Son dernier album Cool (Far Out Recording), enregistré avec son groupe actuel (Tutti Moreno, Helio Alves, p, Rodolfo Stroeter, b), le même depuis des années, est consacré pour la première fois de sa carrière à des standards de jazz, dont elle ne jouera ce soir qu’un seul titre, «Love for Sale». Pour ce concert, elle nous a interprété une sélection de ses titres emblématiques mais aussi quelques hommages à ses compositeurs préférés – dont Jobim – et un merveilleux titre oublié « Canto de Iansã » que Baden Powell composa lors de son fameux séjour avec Vinicius de Moraes à Salvador de Bahia, séjour arrosé qui donna naissance aux sublimes «Afro Sambas». Tous les musiciens sont parfaits, le jeu aérien, notamment sur les cymbales de Tutti et son utilisation des balais sur plusieurs titres font de lui un batteur des plus fins. Helio Alves, petit personnage très discret, signa plusieurs solos inventifs. Peu connu ici, il a été notamment le pianiste de Joe Henderson et partage sa carrière entre New York et le Brésil. Un «brinde d’honor» à tout ce groupe et un amical salut à Rodolfo Stroeter, ici à la guitare basse acoustique, ultra présent sur la scène de São Paulo mais aussi comme producteur de Gilberto Gil, qui revenait jouer à Marseille après 25 ans d’absence. C’était avec le groupe Pau Brasil, groupe qui tourne toujours et défend un jazz «made in Brasil». Cette étape Marseillaise, après une tournée au Japon, marquait le départ de concerts en Europe de l’Est et du Nord. La fin de l’année verra le retour du groupe dans un studio, en Uruguay, pour un nouvel album. Le temps ne fait rien à l’affaire quand on a du talent on peut le conserver toute sa carrière. Après un concert enthousiaste dans une salle surchauffée (dans tous les sens du terme) le public venu nombreux fit une ovation à Joyce digne des grandes stars dont elle fait indéniablement parti.

Philippe Baden Powell © Florence Ducommun

Le 1er octobre, à l'Alhambra CinéMarseille
e
n première partie, avant la projection du film A Musica, segundo Antonio Carlos Jobim, Philippe Baden Powell (p, voc) jouait pour la première fois à Marseille. Dans une salle comble, il assumait la lourde tâche, devant un grand nombre de spécialistes, de perpétuer la mémoire familiale, presque triple ce soir-là : celle évidente de son père, de Jobim et de toute la bossa-nova. Son jeu de piano très élégant et sobre à la fois nous révèle, dès ses premières compositions, un pianiste baigné de l’univers du jazz qu’il a découvert en écoutant un disque d’Eddy Louiss. Très jeune, il a dû choisir un instrument car tout le monde dans sa famille, depuis son grand-père Lilo (premier chef noir à diriger un orchestre au Brésil), est musicien. Malicieusement, il dit avoir pu opter pour le piano avec plus de chance que son frère, Marcel, à qui son père imposa la guitare. Il se produit en public dès l’âge de 13 ans et au fil de sa carrière développe son propre style pleinement révélé lors de ce concert. Il alterne compositions personnelles et hommages à ses pairs. Les thèmes sont à chaque fois subtilement introduits, le pianiste empruntant ensuite sa propre voie dans une technique et une invention sans faille. Pour lui, le fondamental de la musique moderne du Brésil, vient du saxophoniste et compositeur Pixinguinha, né en 1897 qui jouea en 1921 en France
(Le premier groupe brésilien avec des Noirs et des métisses à jouer hors du Brésil)1. Sa version de «Carinhoso», le plus grand succès du maître, si souvent interprétée à toutes les sauces, redevient sous ses doigts un hymne à l’amour viscéral et tendre, comme la chaude caresse du souffle de Xango, dieu du feu et des tonnerres du candomblé brésilien. Pour saluer son père, il choisit l’une de ses plus belles compositions extraite des Afro Sambas, «Berimbão» et en livrera toutes les incantations africaines. Il ne pouvait pas ne pas citer Jobim et ce sera «Ligea», thème moins connu que ses nombreux succès et à l’opposé le célébrissime «Aguas de Marco». Après son père, que le Cri du Port avait accueilli par trois fois, ainsi que son frère Marcel, Philippe Baden Powell triomphait allégrement de l’audience venue comme dans une cérémonie commémorative. Comme pour Joyce, le public le salua longtemps et fortement. Peut-être que Marseille est la corne africaine qui pousse vers le Brésil.

Ces deux concerts étaient présentés dans le cadre de Musica Popular Brasil, qui entre autres proposa deux films sur Antonio Carlos Jobim, A casa do Tom, Mundo, monde, Mondo réalisé par son épouse, Ana Jobim, et A Musica segundo Antonio Carlos Jobim réalisé par Nelson Perreira dos Santos et Dora Jobim (petite fille), des expositions de pochettes rares de la MPB, une conférence et une rencontre avec le musicien Walter Negao.

1. Bonjour Samba – Une discographie idéale de musique brésilienne (http://la-musique-bresilienne.fr)

Texte: Michel Antonelli
Photos: Florence Ducommun

© Jazz Hot n°677, automne 2016


de gauche à droite : Christophe Astolfi, Boulou Ferré, Renée Garlène (assise), Romain, Cristina Carballo, Elios Ferré, Rodolphe Raffali © Patrick Martineau



Paris en clubs
Juillet-Août 2016

Le 9 juillet, l’Atelier Charonne mettait fin à huit ans de jazz. En ce lieu se sont en effet produits David Reinhardt, Samson Schmitt, Tchavolo Schmitt, Angelo Debarre, Costel Nitescu, les frères Ferré, Norig et bien d’autres… Pour ce dernier concert, les patrons, Romain et Céline avaient invité de nombreux amis. C’est Samy Daussat (g) qui a animé la petite scène en compagnie de Frangy Delporte (g), Francois C. Delacoudre (b) et Christophe Daumas (dm). Après deux classiques de Django, une calme reprise du «Jardin d'hiver» d’Henri Salvador et un «Belleville» endiablé, Samy a invité, dès ce premier set, les musiciens venus en nombre à faire le bœuf: tout d’abord, la délicate Renée Garlène (voc). Rodolphe Raffali (g) est ensuite venu accompagner à la façon manouche les chanteuses LIiouba puis Marina, fille et femme de Moreno Winterstein qui c’est déjà produit ici en 2013. La salle, remplie d’habitués fut particulièrement réactive. La poète Vanina de Franco et Sahel Daussat, le fils, ont rejoint à leur tour la formation, ramenée à un trio. Après une pause tout aussi animée, les frères Ferré (g) ont pris leur tour, Elios cédant ensuite la place à Christophe Astolfi pour un duo de guitares des plus attachants. La soirée s’est terminée avec Christophe Daumas (voc), soutenu par Frangy Delporte (g). Romain et Céline quittant Paris pour la Normandie, peut-être y donneront ils naissance à un festival…? PM

Christophe Daumas, Samy Daussat, Francois C. Delacoudre, Frangy Delporte © Patrick Martineau  Marina Winterstein, Samy Daussat, Rodolphe Raffali,  Francois C. Delacoudre © Patrick Martineau  Boulou & Elios Ferré © Patrick Martineau

Le 12 juillet, Pharoah Sanders était de retour au New Morning, plein à craquer. Il était en très grande forme (on se souvient du dernier concert, chaotique, donné en 2013, où il avait peu joué, se plaignant d’un problème de retour, et avait quitté la scène de façon brutale). Brillamment accompagné de son vieux complice William Henderson (p), on le retrouvait ici avec sa formation européenne, composée de l’ultra solide Oli Hayhurst (b) et de l’épatant Gene Calderazzo (dm). Après une introduction envoûtante du ténor, qui montre qu’à 75 ans, il n’a rien perdu de puissance musicale et de son très gros son, il poursuit avec «Greetings to Idris», «Say It Over Again», «The Creator Has A Masterplan» et «High Life». Au second set, passent «The Greatest Love of All», «Jitu», le bouleversant «Naima»,«Giant Steps» et une variation de « The Creator Has a Masterplan». Tout au long du concert, il enfonce sa tête dans son saxophone, chante des incantations, esquisse des pas de danse. Emotion, mélodie, richesse de jeu étaient au rendez-vous de cette soirée exceptionnelle. MP
Pharoah Sanders © Mathieu Perez


Malgré un contexte difficile, il y avait du monde pour voir jouer Toshiko Akiyoshi le 15 juillet au Sunside. Elle était ici accompagnée de Gilles Naturel (b) et Philippe Soirat (dm). La pianiste ne s’étant plus produite à Paris depuis des années, elle se dévoilait plus que jamais touchante, par son histoire qu’elle raconte au public(son arrivée aux Etats-Unis en 1956), aussi par les titres qu’elle interprète, tels l’émouvant «Tempus Fugit» – de son ami et mentor Bud Powell –, et le bouleversant «Remembering Bud», qu’elle a composé pour lui, ainsi que son jeu très sûr, très rapide, marqué par Bud, et infusé de la fragilité d’une grande dame du jazz de 87 ans. Tout au long de la soirée, elle joue des standards («It Could Happen To You», aussi du Gershwin), une composition originale, son emblématique «The Village» en solo. Bien que directive avec ses sidemen, elle donne toute sa place à Naturel et à Soirat, qui l’accompagnent avec émotion et solidité. L’accord est total. MP

Toshiko Akiyoshi © Mathieu Perez

Les Yellowjackets (Bob Mintzer, ts, Russell Ferrante, p, Dane Alberson, b, William Kennedy, dm) passaient au Petit Journal Montparnasse le 21 juillet, et c’est peu dire que d’affirmer qu’il s’agissait d’un véritable évènement. Les influences rythm and blues du groupe, combinées à des sonorités plus synthétiques générées par l’«Electronic Wind Instrument» de Bob Mintzer, permettent aussi bien d’évoquer l’héritage de grands musiciens de l’ère classique que des épisodes plus erratiques, caractéristiques des expériences menées autour du free jazz et de la fusion. La première référence qui vient à l’esprit, lorsque le concert débute, est celle de Wayne Shorter et Weather Report. Le fait d’assortir sonorités de piano classiques avec les possibilités offertes par les claviers électroniques y est bien sûr pour beaucoup. La combinaison des sons de clavinet et de l’EWI de Mintzer ajoute encore un peu de crédibilité à cet apparentement, bien que le groupe ne touche pour ainsi dire jamais aux rendements échevelés et anarchiques dont se sont fendus tant de formations rongées par les excès lysergiques. Il y a un esprit très smooth jazz ainsi qu’une ambiance typiquement west coast dans le son des Yellow Jackets. « Spirit of the West » tiré de l’album Club Nocturne, dont les arrangements étaient conçus à l’origine pour donner la parole aux chanteurs, augure bien d’un set frappé à tous égards d’une certaine modération, dans le fond comme sur la forme. Un passage par l’album Politics ne fera que confirmer cette primo-impression, mettant en valeur le formidable interplay dont les musiciens savent faire montre. De lents développements atonaux, interprétés dans une optique très progressive, jalonnent le set des Yellowjackets, avec une alternance de parties jouées à l’unisson et de jeu hors phase. L’emploi de frisés et de double beats par le batteur, couplés à un usage particulier de la charleston, parachève la sensation d’avoir affaire à une musique empreinte d’intellection. Le piano Yamaha de Russell Ferrante assure un équilibre sans faille à l’ensemble, insufflant juste ce qu’il faut de sonorités acoustiques à un son qui, à la base, est comme empreint de retenue et bridé intentionnellement. Le solo basse-batterie du second set porte indéniablement cette marque de sobriété, l’instrument à cordes se taisant brusquement lorsque Will Kennedy décide d’accuser puissamment le tempo sous-jacent à la prestation du duo. Au passage, on perçoit ce qui est sans doute le secret du son des Yellowjackets, cette rigueur rythmique assumée brillamment par Russell Ferrante, avec un jeu très polyvalent qui restitue aux touches noires et blanches le rôle majeur qu’elles peuvent jouer en matière de métrique savante. Avec un public entièrement acquis à sa cause, c’est non pas un mais deux rappels à la tonalité plus intimiste qui nous attendent, les amateurs de jazz ne souhaitant pas que la fête se termine aussi tôt. C’est finalement un Bob Mintzer presque timide qui nous annonce au micro qu’il leur faut rompre là nos échanges, le groupe se devant de reprendre un avion dans à peine cinq heures. Un bien beau concert de jazz contemporain. JPA

Fabien Mary, David Sauzay, Michael Joussein © Mathieu Perez

Pour ceux qui le savaient en y allant, David Sauzay (ts) donnait le 23 juillet, avec son sextet, le dernier concert du Petit Journal Montparnasse, lequel fêtait, il y a peu, ses 30 ans d’existence. Pour ceux qui le découvrirent une fois sur place, ce fut un choc. Après l’Atelier Charonne et le 45° Jazz-Club (place du Colonel Fabien) voilà encore un club de jazz qui ferme cette année dans l’indifférence, et un lieu en moins où les musiciens peuvent s’exprimer. On se dit et on se répète que le jazz, c’est fragile, que tout ça ne tient qu'à un fil... Ce soir-là, il n’y a pas grand-monde. Peu d’amateurs, à peu près aucun musicien dans la salle. Sur ces compositions originales du ténor («Straight Forward»), ces reprises de Dizzy Gillespie ou d’Eric Alexander (« Straight Up »), Sauzay, Fabien Mary (tp), Michael Joussein (tb), Alain Jean-Marie (p), Michel Rosciglione (b) et Mourad Benhammou (dm) donnent tout, et les accompagnent de solos enflammés dans deux sets ultra solides. Ils font comme si de rien n’était. Toujours au service de cette musique. C'est à ça qu'on reconnait les grands musiciens. MP

Mike Stern venant d'être victime d'un accident, il ne pouvait participer à la tournée européenne en cours, montée avec Bill Evans. Le concert du 26 juillet au New Morning a donc été maintenu, mais avec un jeune guitariste américain du nom de Bryan Baker. Ancien du groupe de Miles Davis, tout comme Mike Stern, Bill Evans s’est doté pour ce quartet d'une section rythmique composée de Darryl Jones (b) et Keith Carlock (dm). Animé d’une certaine ferveur, le jazz fusion vigoureux qui nous était proposé ce soir était catapulté par le jeune Bryan Baker dans la sphère du rock. Il faut dire que le jeune homme a débuté sa carrière comme enfant prodige, à l'âge de 12 ans, et qu’il donne parfois dans l’excès, ainsi qu’en témoignent ses plans pyrotechniques à la guitare. Il revendique aussi bien les harmonies d'Ornette Coleman que Jimi Hendrix ou l’influence de groupes de metal, et ça s’entend. Comment s’étonner, dans ces conditions, qu’il donne une dimension par trop spectaculaire à un répertoire qu’il a dû, il est vrai, apprendre au débotté et dans une certaine urgence. Soyons justes, il ne dénature pas totalement l’esprit jazz-rock de la formation, particulièrement sur les morceaux chantés, mais il change indéniablement la forme de certaines interventions de Mike Stern, en leur conférant une dimension « shredder » exempte du vocabulaire de son illustre ainé. Dans un quartet avec une si forte concentration d’anciens du groupe de Miles Davis, on s’attend bien sûr à écouter de la bonne fusion, et de ce point de vue, le public qui a répondu présent suite à la démission de Mike Stern n’aura pas été déçu du voyage. La Telecaster de Bryan Baker est une dynamo qui propulse dans une autre dimension le répertoire du band dont Bill Evans apparaît, comme malgré lui, le leader. En vue d’adouber le guitariste aux yeux du public, le saxophoniste multiplie les duets humoristiques avec lui, conférant une allure presque free à des compositions aux arrangements à l’origine bien plus sophistiqués. L’énergie du guitariste oblige Evans à des interprétations débridées, avec une marge de sécurité réduite. Sur le plan harmonique, l’usage de nombreux accords de quinte brouille encore un peu plus les cartes, mais parfois le groove y gagne quelque chose, sans que la section rythmique ait à en rajouter outre mesure. Roy Ayers © Mathieu PerezBassiste de scène des Rolling Stones, Darryl Jones sait comment soutenir un rythme sans le phagocyter, et le parti pris sonore de ce soir limite le sustain des instruments en vue de préserver la cohésion du son. Les phrasés sont plus rapides, mais peut-être aussi moins précis et surtout moins legato que ceux de Mike Stern. Le solo de batterie, solaire et communicatif, nous amène au cœur de l’esthétique de groupes west coast comme Steely Dan et Toto, et le chant de Bill Evans est étonnamment orné de passages « scat que n’auraient pas renié les Manhattan Transfert. Il faut dire que le leader, peu avare de ses efforts pour assurer la réussite du spectacle, cumule à la fois parties vocales, saxophone ténor et claviers (il jouera même quelques notes de saxophone soprane). Si le concert se perd parfois dans les méandres de la virtuosité gratuite, le rappel « Jean-Pierre» remet tout le monde d’accord et conclut le deuxième set d’une joie communicative. Un tout de même bon moment, qui aura au moins prouvé que le son, le style de Mike Stern sont uniques en leur genre. JPA

Le 28 juillet, le New Morning affichait complet pour Roy Ayers (vib, voc). Celui qui brille par ses concerts survoltés était en toute petite forme. Est-ce l’effet d’un décalage horaire dévastateur et/ou d’une tournée épuisante? Le vibraphoniste a perdu sa verve ce soir-là, jouant peu de titres («Searchin’», «Running Away», «We Live in Brooklyn Baby», «Sweet Tears»), même si ses sidemen – John Pressley (voc), Donald Nicks (b), Jamal Peoples (key), Larry Peoples (dm) –, se démenaient pour tenir le cap du groove. Ayers s’est fait voler la vedette par le jeune et impressionnant Jamal Peoples, débordant d’énergie et aux nombreux solos. Il ne manquait que le leader charismatique pour atteindre les sommets. MP
Benny Golson © Mathieu Perez

Benny Golson (ts) fait progressivement son retour sur la scène. Il jouait le 10 août au Duc des Lombards. Le maître du ténor n’a rien perdu de son élégance de jeu, de sa bienveillance à l’égard de ses musiciens et de sa fidélité en amitié. Accompagné de l’exceptionnel Antonio Farao (p), de l’ultra solide et musical Gilles Naturel (n) et de Doug Sides (dm) au gros son, le gentleman du jazz compose chacun de ses sets comme un recueil d’histoires et d’anecdotes, de portraits et d’hommages à ses amis disparus. A la fin d’un set, il a donc joué peu de titres, mais a su créer une telle intimité qu’en interprétant avec émotion «Whisper Not», «I Remember Clifford», «What Is This Thing Called Love» ou «Mr PC», le public bouleversé brûle de reprendre cette conversation avec Benny Golson, lors de son prochain passage à Paris. MP

César Pastre © Jérôme Partage

Le 18 août, César Pastre (p) se produisait, pour la première fois sous son nom, au Caveau de La Huchette, avec Enzo Mucci (b), Olivier Robin (dm) et, en invité, Claude Tissendier (as). Si, face à ces musiciens d’expérience, le leadership du jeune pianiste doit encore s’affirmer, celui-ci a démontré une nouvelle fois ses qualités musicales, en particulier un swing très naturel. On retiendra notamment sa très jolie introduction de «Tea for Two», pleine de subtilité. Tissendier, quant à lui, à déployé sa belle sonorité, notamment sur «I’m Beginning to See the Light» et «Cheek to Cheek». Un relais de génération prometteur. JP

Le 29 août, Julien Coriatt (p) présentait son nouvel album, Jingle Blues, à la Cave du 38 Riv’, dont il assurait, avec son trio (Adam Over, b, et David Paycha, dm), l’animation de la jam du lundi pour la dernière fois après plusieurs années de bons offices. La jam en question fut donc reléguée au troisième set pour permettre au trio de dérouler le répertoire du disque: de bonnes compositions, notamment «Fear the Artist», très swing, «Penelope’s Quilt», une jolie ballade, ou encore «Jingle Blues», titre qui emprunte quelques mesures de «Epistrophy». JP

Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez
Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez

© Jazz Hot n°677, automne 2016


Géraldine Laurent Quartet © Jérôme Partage

Paris en clubs
Juin 2016

Le Petit Journal Montparnasse accueillait le 1er juin  le quartet de Géraldine Laurent (as). Accompagnée d’Antonio Farao (p), de Dominique Di Piazza (elg) et de Lenny White (dm), cette formation nous a régalés d’un jazz virtuose empreint d’un certain classicisme dans l’interprétation, avec une pincée de jazz fusion et d’influences afro-cubaines qui affleurent sporadiquement, au gré notamment des improvisations de Di Piazza. Lenny White a affiché un jeu plus enraciné, brouillant les cartes au moyen de son jeu de caisse claire, marquant le tempo avec la cymbale ride plutôt qu’avec la Charleston, plus proche en cela de Kenny Clarke que de Billy Cobham. Avec l’âge, il met l’accent sur la technique et la finesse de jeu, troquant volontiers les baguettes contre des balais lors de pièces plus intimiste. Seules quelques mesures en 4/4, introduites comme en rupture avec les mesures ternaires, sont là pour rappeler qu’il fut aussi le batteur de Return to Forever.
Le premier set a débuté dans un esprit très Carla Bley, avec «Softly». Les prestations du quintet sont habituellement organisées autour de standards («What Is This Thing Called Love»), entrecoupés de compositions personnelles («Foot Prints»). La formation éclectique d’Antonio Farao confère à ce groupe une assise sur laquelle les musiciens peuvent s’appuyer pour s’affranchir de leur rôle rythmique. Sa main gauche ajoute des harmonies riches et souples à la mélodie, jouant une série de block chords tandis que les notes aiguës du clavier sont visitées avec puissance et délicatesse. Géraldine Laurent construit ses chorus en développant des volutes sonores qui ne sont pas sans évoquer les fameuses «sheets of sound» lors d’une substitution d’accords aventureuse. Elle ne craint pas de se mettre en retrait, voire d’utiliser les silences pour mieux suggérer, mettre en valeur des interventions lumineuses et harmoniquement élaborées qui laissent deviner, au hasard d’un changement de clé, une dette jamais démentie à l’égard de Charlie Parker. Le concert se clôt sur «Wolfbane», un titre de Lenny White qui ranime l’esprit des années fusion par l’intermédiaire d’un drumming prolixe qui constitue le véritable fil conducteur des deux sets assurés par le groupe. JPA

Leslie Lewis, Julie Saury, Rhoda Scott © Jérôme Partage

Le 24 juin, Rhoda Scott (org) présentait son nouvel album, Live au Jazz Club Etoile (Black & Blue) sur la scène du club de l’hôtel Le Méridien Etoile, dont l’espace a été remanié cet hiver. L’ex-Jazz Club Lionel Hampton est à présent dissimulé par de grandes portes (alors qu’on y accédait auparavant directement par le hall de l’hôtel) et son bar a été déplacé à l’extérieur pour augmenter le nombre de places assises. Dans le club même, on ressent finalement peu de différences, en dehors des espaces «cosy» qui sont apparus. Les conditions d’écoute demeurent excellentes et, surtout, le jazz reste au rendez-vous, du jeudi au samedi, avec Jean-Pierre Vignola aux manettes.
L’organiste avait ainsi mis à profit la large scène du club pour s’entourer d’une formation comprenant deux ténors (Carl Schlosser et Philippe Chagne) et deux batteries (Lucien Dobat et Julie Saury, qui ont joué tantôt alternativement, tantôt conjointement), avec également Christophe Davot (g) et Leslie Lewis (voc) en invitée. Une bien belle machine à groove! On ainsi pu apprécier les nuances apportées à Rhoda par chacun des batteurs (Dobat davantage dans la rondeur et Saury plus nerveuse) tandis que le duo de sax renforçait la puissance du son de l’orgue. Dans les moments plus apaisés, Christophe Davot a su glisser quelques belles interventions. Mais le petit plus de la soirée a été apporté par Leslie Lewis, notamment entendue sur «Love for Sale» et «The Man I Love». Assurément, il y avait du spectacle, ce soir-là au Jazz Club Etoile. JP

Chris Cody, Jon Handelsman, Bruno Rousselet © Jérôme PartagePartage

Le 29 juin, Chris Cody (p) était au Cercle Suédois (Paris 1er) en compagnie de Jon Handelsman (ts) et Bruno Rousselet (b). L’Australien, qui après une vingtaine d’années de vie parisienne est retourné à Melbourne, était de passage dans l’Hexagone pour présenter son nouvel album, Not My Lover (voir notre chronique), lequel évoque Paris au travers de morceaux qui sont essentiellement des originaux. Cody expose les thèmes de façon dépouillée, minimaliste, mais avec une grande mélodicité. L’accompagnement impeccable de Rousselet, qui met joliment en relief les motifs, comme le dialogue avec le ténor ont ajouté à la qualité de la prestation. Dommage que le public, d’abord venu pour « bruncher », n’ait pas été plus attentif. JP

Randy Weston African Rhythms Quintet © Mathieu Perez


Le 30 juin, l’immense Randy Weston était au New Morning avec son African Rhythms Quintet. A 90 ans, le pianiste ne faiblit pas, toujours en tournée dans le monde entier. Accompagné ici des excellents Billy Harper (ts), T. K. Blue, alias Talib Kibwe (fl, as), Alex Blake (b) et Neil Clarke (perc), il a livré deux sets particulièrement riches, ne jouant que ses compositions, comme «African Sunrise» (dédiée à Dizzy Gillespie et Melba Liston),«The Healers», «High-Fly», «Blue Moses».
Quelques jours auparavant, alors qu’il dédicaçait son autobiographie à la librairie Présence Africaine (Paris 5e), quelqu’un lui demandait ce qu’il restait de Monk dans son jeu actuel. Impossible pour le musicien d’expliquer par le verbe ce qui relève du «mystère de la musique» (voir notre interview dans notre n° 673). Ce soir-là, l’esprit de Monk planait au-dessus du pianiste, au jeu percussif, puissant, plein de surprise. Le premier set, dominé par les flamboyants Blake et Clarke, à l’expression africaine et latine, nous a transportés en Afrique. Le second était un voyage dans ce que le jazz afro-américain fait de plus spirituel, avec les duos profonds des saxophonistes, le lumineux Kibwe et Harper, au gros son, majestueux, bouleversant. Ces musiciens-là sont des conteurs. L’histoire se poursuit à Montreux et à Jazz à Vienne. MP

Esaïe Cid, Frederick Tuxx, Nicola Sabato, Germain Cornet © Jérôme Partage

Le 30 juin également, au Petit Journal Saint-Michel, Ahmet Gülbay (p) – qui assure désormais la programmation du club – avait réuni autour de lui Esaïe Cid (as), Nicola Sabato (b) et Germain Cornet (dm) pour un hommage à Duke Ellington. L’affiche était prometteuse et l’on n’a pas été déçu: Gulbäy, au jeu percusif, a donné tout leur relief aux célèbres pièces du Duke («In a Mellow Tone», «Just Squeeze Me»), magnifiquement soutenu par un Sabato très en verve – en particulier sur le blues – et un Cornet très inventif qui a livré sur «Caravan» un solo mains nus évoquant les percussions africaines. Tout en mélodicité, Esaïe Cid apporta quant à lui sa poésie bop. Venu en spectateur, Frederick Tuxx (voc) s’est joint à ce bel attelage sur «You Don’t Know What Love Is» et «Everyday I Have the Blues». Quel régal! JP

Textes: Jean-Pierre Alenda, Jérôme Partage, Mathieu Perez
Photos:
Jérôme Partage, Mathieu Perez
© Jazz Hot n°676, été 2016


 Kenny Werner © Mathieu Perez



Paris en clubs
Mai 2016

Kenny Werner se produisait le 2 mai au Duc des Lombards, avec Johannes Weidenmueller (b) et Ari Hoenig (dm). Dans une soirée aérienne, le trio a joué essentiellement des titres extraits de son dernier album The Melody, dont les deux superbes compositions du pianiste, «Voncify the Emulyans» et «Who?». Il y avait aussi «26-2» (Coltrane), «In Your Own Sweet Way» (Brubeck) et «Peace» (Silver). Ces trois excellents musiciens, à la palette de jeu vertigineuse, jouent ensemble depuis près de quinze ans, et cela s’entend. Le rapport est alchimique. Au jeu sensible, poétique, élégant, complexe du pianiste répondent la subtilité du contrebassiste et la passion du batteur. Plus qu’un son individuel qui se détache de chacun, c’est une véritable atmosphère qui ne ressemble à aucune autre.

Le lendemain, Werner donnait une master classe à l’Union des Musiciens de Jazz (Paris 13e) sur le thème «Effortless Mastery», inspiré de son best seller (publié en français sous le titre La maîtrise sans effort, chez Uncle Jazz Productions, 2003). Sa méthode pour libérer le musicien de ce qui retient sa créativité rappelle, par moment, celles de Ran Blake (Jazz Hot n°667) et de Lennie Tristano (Jazz Hot n°668). Devant une vingtaine de musiciens, en grande partie des pianistes, il a expliqué comment la pensée, le jugement de soi et l’attente conditionnent la créativité et l’étouffent. Il a souligné l’importance de laisser les mains courir sur le clavier et la nécessité de déprogrammer sa façon de jouer pour atteindre une véritable expérience musicale créative. La master classe d’une heure et demie, suivie d’un échange avec les musiciens présents, s’est achevée par une improvisation au piano de Werner. MP

Désorientés © Patrick Martineau

Le 8 mai, le brunch dominical Aux Petits Joueurs était assuré par le collectif Désorientés, créé par Jaafar Aggiouri (s, cl) et Mathias Levy (voc) qui, inspirés par le mythe de Dionysos, dieu de la musique, de la danse, du théâtre et du vin, ont tenté d’imaginer la musique tourbillonnante que ce dernier aurait pu composer. La formation, aux identités et influences plurielles (musiques classiques, jazz, orientale, traditionnelle, actuelle), compte également dans ses rangs David Poteaux-Razel (elg), Eric Groleau (dm), Olivier Lorang (b), Theo Girard (b) ou Emrah Kaptan (eb) comme aujourd’hui. Inspiré, entre autres, par Charles Mingus, John Coltrane, Ornette Coleman, et Yussef Lateef, le premier set présentait les différentes compositions du groupe: «Rue Myhra» (Levy), «Beyrouth-descente aux abris» (Aggiouri), «Encore une fois» (Groleau), «#2» (Poteaux-Razel), «La Voix de la lune» (Aggiouri), sauf «Lonely Woman» (de Ornette Coleman) et «Zeynebim Zeynebim» (traditionnel). Le deuxième set était une jam ouverte où les musiciens pouvaient passer d’un instrument à l’autre, au gré́ de la musique et des envies, où l’interaction, l’improvisation et l’écoute étaient au cœur de la scène. On attend avec impatience la sortie de leur premier album. PM

Sébastien Troendlé © Jérôme Partage

Le 10 mai, Sébastien Troendlé
présentait son spectacle Rag’n Boogie au Petit Journal Montparnasse. Seul en scène durant une heure trente, devant un décor de théâtre et un écran où passent quelque images d’archives, le pianiste alsacien (qui a étudié la musique à Bâle) raconte avec passion l’histoire du ragtime et du boogie-woogie, ces deux ancêtres du jazz apparus à la fin du XIXe siècle, illustrant son propos en interprétant des pièces appartenant à ces deux genres. Le résultat est à la fois ludique et didactique: Troendlé rapporte des anecdotes significatives – et souvent drôles – qui éclairent le spectateur sur l’environnement qui a vu naître la musique afro-américaine mais évoque aussi, avec sérieux et sensibilité, le phénomène de l’esclavage et de la ségrégation (ce qui, en ce jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage, tombait plus à propos que les habituelles et hypocrites cérémonies officielles). Un spectacle à recommander aux néophytes, notamment aux enfants qui ne s’y ennuieront pas, comme aux amateurs plus chevronnés qui apprécieront ce voyage plein de poésie, d’humour et se régaleront d’écouter un excellent pianiste, habité par son sujet (Rag’n Boogie est programmé au festival off d’Avignon du 7 au 31 juillet). JP

Le 10 mai toujours, Clara Brajtamn (voc) interprétait chantait pour première fois le répertoire de Boris Vian, sur la péniche Le Marcounet. Elle était en duo et avec Vladimir Medail (g), choisi pour son expression sobre qui soutient particulièrement le texte. La chanteuse avait choisi des œuvres bien connues mais aussi quelques perles méconnues : «Cinématographie» avec une intro swing en hommage à Duke Ellington (une des idoles de Boris) et «La Java des bombes atomiques» donnèrent le ton de la soirée. Clara enchaina avec beaucoup d’à-propos les titres à la suite comme «Sans blague» et «Je bois» ou encore «Pas encore» et «Ne vous mariez pas les filles» mettant ainsi en perspective les textes de Bison Ravi. Sur «Les Chaussettes à clous», le guitariste nous offrit un superbe solo avant d’enchaîner avec «Le Déserteur», puis finissant le premier set avec «J’suis un monstre de perversité». A noter que Clara Brajtamn lisait un extrait d’un livre ou une poésie de Vian pour introduire chaque chanson. «Mozart avec nous» cha-cha-cha sur l’air fameux de «Rondo alla Turca» ouvrit le deuxième set avec les éclats de rire de Clara qui se transmirent au public. «Wispering» fut suivi de sa version «francisée»: «Ah, si j’avais un franc cinquante», puis du «Tango des bouchers» et du fameux «Fais-moi mal Johnny». Le récital s’est terminé sur «Une bonne paire de claques», administrée au public, particulièrement attentif. PM

Clara Brajtamn et Vladimir Medail © Patrick Martineau

 Billy Hart © Mathieu Perez

Le 12 mai, le Duc des Lombards accueillait Billy Hart et son quartet. De ses groupes précédents, c’est sans doute celui-ci qui inspire le plus le batteur. Réunis autour de lui depuis 2005, Mark Turner (ts), Ethan Iverson (p) et Ben Street (b) à la formidable maîtrise et virtuosité ont créé une identité musicale, originale à part. Leur musique est exigeante, complexe, intense et ambitieuse. Si Hart joue sa composition «Amethyst», les titres sont surtout signés de Turner, comme «Lennie’s Groove» (hommage à Tristano) ou «Sonnet for Stevie», ou d’Iverson, avec «Maraschino». Chaque instant de leurs sets est un moment précieux. Chaque touche, une petite œuvre d’art. MP

Christian Brenner Trio © Jérôme Partage

Le 13 mai, Christian Brenner (p) officiait au Café Laurent avec Matyas Szandai (b) et Pier Paolo Pozzi (dm). Un trio au swing élégant – à l’image de cet Hôtel d’Aubusson – qui a donné, avec finesse, talent et simplicité, un beau récital de standards: «Bye Bye Blakbird», «Well You Need’nt», «A Child Is Born», etc. Il faut rappeler que les concerts du Café Laurent sont sans droit d’entrée et qu’ainsi pour le prix, à peine majoré, d’une consommation, on peut venir y écouter d’excellents musiciens dans un cadre plus qu’agréable, chic mais pas guindé (et qui résonne encore des solos de trompinette de l’ami Boris). Une belle sortie jazz dont on aurait tord de se priver. JP

Christian Brun et Austin O'Brien © Jérôme Partage



Le 13 mai également, dans un tout autre genre, le tonitruant Austin O’Brien (voc) donnait son show au Caveau de La Huchette, accompagné par Damien Argentieri (org), Christian Brun (g) et François Laudet (dm). Vêtu d’un improbable costume vert à carreaux (le «bon goût» irlandais assumé), le chanteur a enchaîné standards et pitreries en tous genres. Au programme, un très bon «All of Me», tout en puissance et en maîtrise, un «Night and Day» sur tempo rapide ou encore un «It Had to Be You» très suave. A noter le soutien swinguissime de François Laudet: un spectacle à l’intérieur du spectacle. Mais la performance de l’Irlandais ne s’arrête pas là: au beau milieu d’un titre, il se lance dans un medley à rallonge où il aligne les tubes de variétés à la mitraillette, balance quelques blagues aussi délicates qu’une pinte de bière, interpelle le public. Un vrai Zébulon à qui l’ont pardonne beaucoup, car c’est une nature qui s’exprime, avec aussi beaucoup de sensibilité. JP

Le 18 mai, le Sunside recevait Romain Vuillemin (g, voc) pour une évocation de Django Reinhardt: un retour aux sources avec des morceaux courts comme Django les signaient; un hommage rajeuni, épuré et non démonstratif. Le leader avait réuni un quartet dynamique: Stéphane Nguyen (g), Edouard Pennes (b) et Guillaume Singer (vln). En ouverture, «Swing 41» (avec une pensée pour le festival de Salbris qui n’a pas lieu cette année) suivi de «Topsy» et «Ninouche». «Embraceable You» de George Gershwin joliment réarrangé juste pour interrompre le cycle qui reprit de plus belle avec le traditionnel «Joseph Joseph» en duo de guitares et un morceau peu connu de Django «Chôti». Romain raconte des histoires entre les chansons, qui s’ajoutent aux échanges pleins d’humour avec les musiciens et avec le public, le tout dans une salle bondée. Reprise du deuxième set avec «Exactly Like You» de Jimmy McHugh, «Charleston» et «Tea for Two» de Vincent Youmans, puis une reprise de Charles Trenet «Vous qui passez sans me voir» et enfin «Gyspy Swing» de Samson Schmitt. La soirée s’est achevée dans une ambiance surchauffée avec «The Word Is Waiting for the Sunrise» de Ernest Seitz, «I love You» de Harry Archer, et une composition de Romain «Renouveau». PM

Romain Vuillemin Quartet © Patrick Martineau

Michel Legrand
jouait le 24 mai au Petit Journal Montparnasse. Le club était plein, bien sûr. Entouré de Pierre Boussaguet (b) et François Laizeau (dm), il a livré devant un public conquis d’avance un set unique, contrasté, d’une heure et demie. Le meilleur étant la première partie, à base d’improvisation. Sans doute victime de son répertoire et de ses titres incontournables, il n’a pas échappé à la restitution décevante des thèmes de Demoiselles de Rochefort ou d’Un été 1942, ou de chansons («Ton copain des jours de pluie») accompagnées par son fils Benjamin Legrand. Une soirée qui s’est rapidement éloignée du continent jazz. Si Laizeau s’est démené pour propulser le jeu du pianiste, Boussaguet a livré un jeu impeccable. MP

Textes: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez
Photos:
Patrick Martineau, Jérôme Partage
© Jazz Hot n°675, printemps 2016


Sylvain Beuf Quartet © Serge Baudot

Sylvain Beuf Quartet
Studio 11, Toulon (83), 27 mai 2016

Sylvain Beuf (ts) va quitter son poste au Conservatoire de Toulon (CNNR). Le COFs (Comité officiel des fêtes et du sport de la ville de Toulon) avait à cœur d’inviter cet éminent saxophoniste qui pour la circonstance avait réuni trois de ses amis musiciens, au sein de cet Acoustic Quartet (Henri Florens, p, Sam Favreau, b, Thierry Larosa, dm) qui tous ont joué les uns avec les autres, mais jamais les quatre ensemble. C’était donc une grande première, et disons-le tout de suite une grande réussite.
Dans la descendance de Stan Getz, Sylvain Beuf s’est forgé un jeu qui ne doit plus qu’à lui-même; une musique dans laquelle prévaut la mélodie, le swing, la maîtrise du discours, avec parfois des emportements, une véhémence qui évoque John Coltrane. Il fit merveille, tant le plaisir de jouer avec ses amis était patent. Le bonheur se lisait sur son visage, si bien que le concert dura pratiquement une heure de plus que prévu. Henri Florens est de la même veine jazzistique, il y a un peu toute l’histoire du piano jazz dans son jeu; lui aussi est un mélodiste qui sait aussi se jouer des subtilités harmoniques. Il est également un compositeur intéressant, comme le démontra son morceau «Missing Chass» en mémoire du trompettiste niçois François Chassagnite décédé en 2011. Grand moment d’émotion, avec ce morceau dans un arrangement très monkien. Sam Favreau est un contrebassiste remarquable. Pas d’esbroufe, une pompe déliée, chaleureuse qui booste la rythmique dans le swing; des notes pures, une attaque nette et ronde à la fois, de l’inspiration dans les impros: que demander de plus. Mais le plus ébouriffant de la soirée fut Thierry Larosa, vraiment de la trempe des grands de la batterie. Je ne l’avais jamais entendu jouer aussi diaboliquement. Une décontraction absolue pour un swing radical, de l’élégance, de l’inspiration, déroulant un tapis de luxe au saxophoniste. Il fut sublime aux balais, tout de délicatesse et de force à la fois; on sait que rares sont les batteurs qui triomphent dans cet accompagnement. La première partie fut dédiée à des grands standards propres à libérer les musiciens, puis on attaqua des démarquages de Mingus, Horace SIlver, etc…ainsi que des compostions du leader.
Voilà un quartet qui mord à fond dans le jazz, dès la première note; ça joue, ça swingue, et il y a le plaisir du partage, entre les musiciens tout heureux d’être là ensemble, et avec nous les auditeurs-spectateurs. Et puis, ce petit caveau qu’est le Studio 11 est le lieu idéal pour ce genre de prestation. Un quartet d’un soir, mais on en gardera un long souvenir
.

Texte et photo: Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016


Fabrizio Bosso Quartet
L'Astrada, Marciac (32), 21 mai 2016

Fabrizio Bosso (tp) était le 21 mai en concert à L’Astrada avec Julian Oliver Mazzariello (p), Luca Alemanno (b) et Nicola Angelucci (dm). Quel dommage qu'il y eut aussi peu de monde pour autant de talent! Sans doute le point culminant du concert fut une version anthologique de «Do You Know What it Means to Miss New Orleans » non seulement pour la superbe trompette du leader, mais aussi pour les "garnerismes” bien venus du pianiste. Une cadence de Bosso avec citation de «Take the A Train» et passage en coups de langue a achevé ce grand moment qui dans les inflexions n'était pas sans évoquer Nicholas Payton. Il y eut aussi un « Caravan » démonstratif avec un batteur qui ne charge pas trop. Nous avons remarqué que Fabrizio Bosso a changé d'embouchure (pour une plus profonde) afin d'obtenir un son proche du bugle dans la ballade. Globalement, doté d'une belle dextérité, de bons aigus, du sens des nuances et d'inspiration, c'est sa sonorité séduisante qui interpelle. Sa performance en duo avec la contrebasse (beau son) avec le plunger n'a guère d'équivalent aujourd'hui sinon Wynton Marsalis. Le groupe est bien soudé et sait swinguer. Le pianiste est de qualité (block chords, beaucoup de variété dans le jeu, et cohérence du propos qui n'est pas qu'un déluge de notes). On regrette par contre le comportement très actuel qui consiste à entrer en scène et enfiler les morceaux sans dire un mot, même pas le titre des morceaux. Mais, au total, ce fut un moment de grâce.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°675, printemps 2016


© Pierre Hembise

International Jazz Day à Bruxelles
Jazz Station, Bruxelles (Belgique),  30 avril 2016

Le mois d’avril s’est conclu par quatre soirées organisées dans quatre clubs bruxellois pour célébrer les quarante ans des Lundis d’Hortense: à la Jazz Station, au Bravo, au Music Village en deuil de son propriétaire Paul Huygens et au Sounds de Sergio Duvaloni et Rosy Merlini qui fêtent, eux, trente années de concerts. Une fois de plus, nous n’avons pas eu le courage, samedi soir, d’affronter la foule qui se bousculait au Sounds Jazz Club pour écouter et voir Michel Herr diriger ses œuvres avec le Bravo Big Band (retransmission en direct sur les ondes de Musique 3/RTBF). Mais, le 30 avril, nous étions à la Jazz Station pour un International Jazz Day rassemblant les Violons de Bruxelles: Tcha Limberger (vln, voc), Renaud Crols (vnl), Alexandre Tripodi (avln), Sam Gerstmans (b) et Renaud Dardenne (g). Le répertoire revisite les canons manouches de Django («Black And White», «Ultra Fox», «Impromptu»,) mais aussi Boris Vian: «Barcelone»; des standards, comme «Fascinating Rhythm», «In A Sentimental Mood» (Duke Ellington), «I Surrender Dear» et «Avalon». Citons encore un très joli «Pixinginhza a Lisbo » de Renaud Dardenne (g) et des originaux de Tcha Limberger: «I.J.D» et un «Patchagonia» en mode tango. Les arrangements tournent la plupart du temps en harmonies conjointes des deux violons et de l’alto («Black And White»), le lead passe de l’un à l’autre sans négliger d’offrir un ou deux chorus au guitariste et au bassiste (long et excellent solo de Sam Gerstmans sur «Everybody Loves»). Le deuxième set fut, à ce titre, encore plus démonstratif de la qualité des solistes: Alexandre Tripodi (avl) sur «How About You?», Renaud Crols (vl) sur «Everybody Loves» et «I’m in Love Again», Renaud Dardenne (g) avec sa composition et sur un «Impromptu» qui osa mélanger quelques dissonances. Tcha Limberger (vl) est incontestablement le leader, attentif aux justes répartitions, n’oubliant pas de rappeler que l’album reste en vente à l’entrée et que la deuxième galette du quintet ne va pas tarder à éclore. Le jeune manouche malvoyant s’amuse beaucoup à chanter de sa voix forte et cristalline («In A Sentimental Mood», «I’m In Love Again») imitant la trompette et scatant mais sans excès. Ce concert "rassembleur" est inhabituel dans la programmation de la Jazz Station, mais il est nécessaire en cet I.J.D. pour bien marquer les styles qui émaillèrent le jazz de Broadway à Bruxelles en passant par Liberchies et Paris.

Texte: Jean-Marie Hacquier
Photo © Pierre Hembise
© Jazz Hot n°675, printemps 2016


A Great Day in Paris
Paris, 30 avril 2016

Le 30 avril 2016, pour célébrer «l’International Jazz Day», la chanteuse Denise King et le danseur chorégraphe Brian Scott Bagley avaient organisé sur l’esplanade du Trocadéro «A Great Day in Paris», en miroir à la fameuse photo d’Art Kane prise à New York en 1958 «A Great Day in Harlem». Bravant la pluie et le froid une vingtaine de musiciens se sont déplacés pour poser devant l’objectif de "notre" Patrick Martineau. Cette séance fut l’occasion de joyeuses retrouvailles et de nouvelles rencontres.

En 2008, Ricky Ford avait pris la même initiative (pour les 50 ans du célèbre cliché, voir Jazz Hot n°668), mais avec davantage de participants.
L’amie Denise compte reconduire l’opération chaque année et ainsi en faire un événement annuel. Avec l’énergie qu’on lui connait, on ne doute pas que son appel va faire boule de neige!

© Patrick Martineau

Les artistes sur la photo:

Trompette à gauche: Josiah Woodson.

Front line
Donna Lorraine Verzaro, Sylvia Howard, Ursaline Kairston, Denise King, Patrick Sedoc, Patrick Chenais, Joan Minor, Joniece Elessie, Michele Hendricks, Tarani Joy.

Back line
Mv Guilmont, Chris Henderson, Awa Timbo, FiFi Chayeb, Boney Fields, Aldrich Hansberry.

Texte: Patrick Martineau et Jérôme Partage
Photo
© Patrick Martineau
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Irving Acao, Gérard Naulet et Felipe Cabrera © Georges Herpe


Paris en clubs
Avril 2016

Le 1er avril, c’est un beau poisson des Caraïbes qui se produisait au Petit Journal St Michel: Gérard Naulet (p) entouré de la fine fleur des Cubains de Paris: Irving Acao (ts), Felipe Cabrera (b), Lukmil Perez (dm) et Coki (perc). Entre standards du jazz à la sauce Havana («Song for My Father», «Well You Needn’t»…) et morceaux traditionnels insulaires, la joyeuse équipe a donné à entendre une musique aussi chaleureuse qu’énergique et cultivée avec naturel par ses interprètes. A noter également, une jolie composition de Monsieur Gégé: «Danzon para dos corazones». Celui-ci s’est par ailleurs payé le luxe de se faire remplacer, coup sur coup, par deux excellents «confrères» pianistes: Harold Lopez Nussa et Piti Cabrera. On reste saisi par l’authenticité de l’expression musicale cubaine, cousine de celle de New Orleans, et comme elle très enracinée; de toutes les expressions musicales d’Amérique latine, elle est sans doute celle qui a le mieux opéré la rencontre avec le jazz. L’ami Gégé nous en convainc, en tous cas, en toutes occasions. JP

Peter Giron, John Betsch et Steve Potts © Jérôme Partage

Depuis trente-deux ans, le Bab-Ilo propose, du mercredi au dimanche, des soirées jazz mais aussi des musiques du monde, des lectures, des spectacles d’humour, des projections, des expositions. C’est un «pub» élégant des années 30, à l’ambiance de bistrot de quartier, et dont la spécialité maison est un couscous kabyle, le Makfoul. De quoi accommoder idéalement un jazz aux saveurs généralement free. C’est un club à l’aura discrète, planté au pied du Sacré-Cœur, loin des «spots» de la rue des Lombards ou de la Rive Gauche. Le 2 avril, il y avait là de quoi ravir les amateurs avec le quartet de Steve Potts (ts, ss), composé de Jobic Le Masson (p), Peter Giron (b) et John Betsch (dm), des habitués du lieu. La complicité des musiciens est évidente et participe grandement au plaisir que le public, qui se serre dans la petite salle en sous-sol, a à les écouter. Ils jouent ensemble depuis longtemps (le trio Le Masson-Giron-Betsch a onze ans, et a intégré le saxophoniste il y a quatre ans) et on su créer un son, une unité. Le tout cimenté par une bonne humeurcommunicative: entre deux solos aériens de Potts, ça rigole, ça plaisante. On n’en apprécie que mieux leur jazz d’une grande densité, sous tension. La musique est excellente et se déguste sans chichi. Bravo le Bab-Ilo! JP

Ninine Garcia © Patrick Martineau

Le 4 avril
, le Cabaret Jazz Club de l’Espace Carpeaux à Courbevoie recevait Ninine Garcia (g), accompagné par son fils Rocky Garcia (g) et Gilles Barikosky (ts); ce dernier, passionné par la musique Django, accompagne souvent les musiciens de cette tradition, ajoutant dans ce répertoire modernité et créativité. Après «Out of Nowhere» (Green/Hayman), deux compositions de Ninine, «Caporal Swing» et «Paquito» permettent au saxophone d’affirmer sa présence et quelquefois de jouer à l’unisson de la guitare. Puis «La Belle vie» de Sacha Distel» est comme un clin d’œil à son nouvel album, Laissez-moi tranquille, sorti en 2015, où Ninine chante d’une belle voix de crooner ses propres compositions jazz et bossa qui rappellent l’univers de Henri Salvador et de Sacha Distel. Le club rempli d’habitués est toujours bien calme ce soir. Ninine enchaîne les titres de référence – «Les Yeux noirs», «Minor Swing» - et ses compositions «1940», «Ninine» jusqu’au rappel, un «Sweet Georgia Brown» très swing qui parvient à faire applaudir le public en rythme. Ninine Garcia nous a offert un show simple et sans fioritures, avec feeling et modestie.
Pour rappel, il était à l’affiche du film Les Fils du vent, réalisé par Bruno Le Jean et retraçant la vie des quatre meilleurs guitaristes de jazz Django (Ninine Garcia, Angelo Debarre, Tchavolo Schmitt, Moreno). PM

Olivier Defaÿs, Esaie Cid, Leslie Lewis, J.-P. O'Neil, Guilaume Naud © Jérôme Partage

Le 5 avril, Leslie Lewis (voc) était au Caveau de La Huchette, accompagnée d’Olivier Defaÿs (ts), Guillaume Naud (org) et Yves Nahon (dm). Cela fait quelques années que la chanteuse s’est installée en France, avec son pianiste de mari, Gerard Hagen, où elle mène une carrière discrète. On l’entend effectivement plus souvent dans des soirées privées, des grands hôtels et restaurants que dans les clubs parisiens (mais c’est une réalité du métier de musicien de jazz aujourd’hui) et c’est bien dommage car c’est une excellente interprète, dotée d’un swing très naturel et une personnalité agréable. L’association avec Defaÿs fonctionne impeccablement sur «It Had to Be You» ou «I Got You Under My Skin» avec le soutien groovy de Naud et Nahon. Au deuxième set, le groupe a accueilli deux invités: Esaïe Cid (as) – beau duo de sax avec Defaÿs – Jean-Philippe O’Neil (dm) dont le renfort a donné un excellent «Night & Day». JP

Place des Abbesses (Paris 18e), Le Saint Jean affichait une terrasse bondée et joyeuse, en ce 7 avril. Mais il y avait également du monde à l’intérieur du bar pour écouter un jeune chanteur new-yorkais, d’origine portoricaine, Marcos Adam (Marcos Adam Negron de son nom complet), encadré par l’ami Sean Gourley (g) et l’excellent Sud-Africain George Wolfaardt (elb). Nanti d’une jolie voix soul et d’une belle présence scénique, c’est sur la chanson populaire américaine qu’il est le plus convainquant: «Hit the Road Jack» (Ray Charles), «Stand By Me» (Ben E. King), «Killing Me Softly With His Song (Charles Fox) ou encore «Rehab» (Amy Whinehouse). Des titres qui fonctionnent d’autant mieux que la guitare bop de Gourley leur fournit un très bel écrin. L’interprétation de titres plus jazz («Take the A Train») ne conviennent en revanche pas aux accents pop du chanteur. Mais, compte-tenu de son âge, il a une marge de progression certaine. D’autant que la fréquentation assidue du Don LaRue Combo – avec Gourley, Wolfaardt, Tim Puckett (ts) – l’amène à travailler (et en bonne compagnie) le répertoire jazz et son langage. Affaire à suivre. JP

Céline Bonacina © Patrick Martineau

Le 11 avril, Céline Bonacina
présentait son dernier album, Crystal Rain, sur la grande scène du Petit Journal Montparnasse et devant une salle comble. Elles ne sont pas nombreuses nos saxophonistes: Géraldine Laurent (as) et Sophie Alour (ts, ss)pour les plus connues. Céline, c’est la virtuose des extrêmes du baryton au soprano. Elle était ce soir accompagnée par Gwilym Simcock (p) qui signe aussi deux compositions, Chris Jennings (b) et Asaf Sirkis (per). Céline, en bottes et blouson doré nous entraîne avec elle le long de l’album ; on est conquis par la profondeurs des graves de «Trails in the Sky», captivés par la ligne de basse de «Crossing Flow», par la légèreté de «Smiles for Serious People» (premier titre de l’album), séduit par la délicatesse des percussions sur «Two Sides», subjugués par l’énergie la générosité des graves sur «Cyclone», surpris par la fluidité de «Vantan» et les souffles chauds de «Cristal Rain» jusqu’ au rappel avec «Song For Everyone» autre composition de Gwilym Simcock. Non! Ce soir Céline Bonacina n’était là que pour nous. PM

© Jérôme Partage

Ellen Birath
(voc) et ses Shadow Cats (Manuel Faivre, tp, Benjamin Blackstone, elg, Marten Ingle, elb, Thomas Join-Lambert, dm) ont donné, en début de soirée, un petit set de soul électrique, place de la République, qui s’insérait dans une programmation spéciale d’artistes solidaires du mouvement «Nuit Debout». En début de soirée, le 15 avril (ou plutôt le 46 mars selon le comptage en vigueur sur la place), un petit camion régie avait déployé une scène. La Suédoise a attaqué bille en tête sur «Lollypop», captant d’emblée un groupe de badauds. Très vite rejointe par Adélaïde Songeons (tb), venue faire le bœuf, elle a enchaîné sur «The Lovecats» où l’on a particulièrement apprécié ce renfort de cuivre. La prestation était en tous cas nettement plus énergique que bon nombre des occupants de la place, sous les effets du cannabis et de la musique techno. Ceux qui étaient là dans une perspective plus politique que festive, se trouvaient assis en cercle autour de discussions thématiques, siégeant en «commission» (il est amusant de voir comment un mouvement «citoyen» génère de fait un embryon de bureaucratie). On croisait sinon, place de la République, des curieux ou des représentants de causes diverses (personnel médical, sans-papiers…). Quelques mois après les attentats de 2015, l’occupation de l’espace public par une petite foule en demande d’alternative politique et sociale est plutôt sympathique. Elle le reste tant qu’elle n’exclue ni ne discrimine pas ceux qui portent un discours alternatif à leur propre alternative. JP

Agathe Iracéma © Jérôme Partage

Le 15 avril, toujours, Agathe Iracéma était au Duc des Lombards avec son quartet: Leonardo Montana (p), Juan-Sébastien Gimenez (b) et Pierre-Alain Tocanier (dm). A peine âgée de 25 ans, la chanteuse a déjà plusieurs années de carrière derrière elle et une maîtrise certaine de la scène. Ses compositions («Absurdo Natural», «Feeling Alive») s’insèrent bien dans le répertoire de standards ou de morceaux brésiliens. Soutenue par une bonne rythmique – en particulier Juan-Sébastien Gimenez qui a livré quelques jolis solos – Agathe, pleine de fraîcheur et de naturel, swingue avec beaucoup d’aisance et, entre deux morceaux, se raconte (un peu trop, c’est le revers de sa spontanéité). Quoi qu’il en soit, le charme opère toujours. JP

Dominique Lemerle Quartet © Jérôme Partage


Le 15 avril, enfin, à Autour de Midi…, Dominique Lemerle (b), accompagnateur fort apprécié, était, chose rare, en position de leader au sein d’un quartet composé de Michel Perez (g), Manuel Rocheman (p) et Tony Rabeson (dm). Un peu plus tendu qu’à l’accoutumée, le contrebassiste a donné à entendre un bop de haute volée, parcourant le répertoire de Monk ou de Miles. Le jeu de Michel Perez, tout en sensibilité, aura été l’un des atouts de ce concert. Lemerle n’étant pas en reste, avec une belle intervention à l’archet sur «Manoir de mes rêves». On espère pouvoir le réécouter bientôt dans cette configuration. JP

Patrick Quillart, Pablo Campos, Jean Duverdier, David Blenkhorn © Jérôme Partage

Au Caveau de La Huchette, le 18 avril, Pablo Campos (p, voc) était en trio avec ses deux compères de la côte basque: Patrick Quillart (b) et Jean Duverdier (dm), par ailleurs dessinateur de grand talent, auxquels s'était joint un invité: David Blenkhorn (g). Excellent pianiste, plein de swing, le jeune Pablo (un des rares jazzmen diplômé de Sciences Po: il aurait pu mal tourner et devenir énarque…) et également un bon chanteur (de charme), tendance crooner. On l’a ainsi entendu très à son aise sur les ballades: «Blue Moon», «These Foolish Things», etc. La venue d'un autre "guest" a donné un peu plus de piquant à la soirée: Germain Cornet (dm) – encore un «jeunot» –, qui en prenant les baguettes a insufflé un groove réjouissant. Pas de doute, la nouvelle génération assure! JP

Le 21 avril, le New Morning accueillait un all stars de haut niveau avec le virtuose mais toujours discret Bili Lagrène (g) qui a convié le très talentueux Antonio Faraò (p), le créateur Gary Willis (b), et l’éclectique Lenny White (dm) pour une tournée européenne. Salle comble pour écouter leurs compositions dont les remarquées «The Opener» de Willis, «For Four» de Faraò, «Dedication» de White ou «One Take» de Biréli. PM

Biréli Lagrène "All Stars" © Patrick Martineau

Le 22 avril, Stochelo Rosenberg (g) s’installait en famille au Duc des Lombard avec Moze (g), Johnny (voc, g) et Nonnie (b) – il manquait malheureusement Nous’che. Fait rarissime car le quintet passe La famille Rosenberg © Patrick Martineaurarement en club à Paris. Par ailleurs, ce soir, Johnny chantait pour la première fois en club des morceaux du nouvel album La Famillia, avec de belles reprises comme le thème du film «Le Parain» ou encore «Les Plaisirs démodés de Charles Aznavour» en anglais. Les guitares virevoltent de plaisir autour de ces standards mais toujours en finesse. Petite surprise en rappel, le rock’n roll d’Elvis termine le concert sur une note joyeuse. Stochelo a également enregistré la B.O. du biopic sur Django Reinhardt d’Etienne Comar et prépare un nouveau projet en trio. PM

Michele Hendricks © Patrick Martineau


Le 29 avril au Petit Journal Montparnasse, Michele Hendricks (voc) présentait son album A Little Bit of Ella, un hommage à la First Lady of Swing enregistré avec Tommy Flanagan, son fidèle pianiste, en 1998 à New York, et sorti seulement cette année.
Entourée par Arnaud Mattei (p), Bruno Rousselet (b) et Philippe Soirat (dm) Michele a ouvert le concert avec «Airmail Special» avant d’être rejointe sur scène par une belle ligne de soufflant: Olivier Temime (ts), Ronald Baker (tp) et Denis Leloup (tb), pour «Oh, Lady Be Good» (Charlie Christian). «A Little Bit of Ella» composition en dialogue avec le contrebassiste et «Sweet Georgia Brown» – un des morceaux préférés d’Ella – ont clôt la première partie du concert devant une salle déjà conquise. Le deuxième set commença de manière plus enlevée avec «It Don't Mean a Thing» où la chanteuse a démontré son aisance dans le scat, puis «Our Love Is Here to Stay». Toujours avec humour et même avec de grands éclats de rire, Michele a enchainé sur «Honk, if Ya Want It» – composition très bebop inspirée des étiquettes collées sur les pare-chocs aux US – avant de revenir à Ella avec «How High the Moon», et son délicat arrangement piano/bass/batterie, puis «I Keep Goin' Back To Joe's» où elle a scaté en duo avec Ronald Baker. Michele a ensuite accueilli deux chanteuses, Carole Perera et Valérie Duperey, sur «Things Ain't What They Used to Be» et «Yeh-Yeh» (un grand succès dont les paroles sont de son père, Jon Hendricks). «That's Enough», gospel enregistré par le Buddy Rich Orchestra, et enfin, un original, «Mama, You Told Me» ont conclu la soirée. PM 

Ursuline Kairson et Denise King © Jérôme Partage

Le 30 avril, grâce à Denise King, la
Journée Internationale du Jazz a pris les allures d'une vraie fête: l'initiative individuelle de la chanteuse ayant donné lieu à un événement authentiquement jazz, quand l'Unesco célèbre complaisamment un jazz souvent déconnecté de ses racines, qui devient ainsi une world music fongible dans n'importe quelle tradition musicale. Rien de tout cela au Très Honoré (à proximité de la place Vendôme), très belle brasserie Art Nouveau. En robe du soir, plus diva que jamais, Denise, devant un parterre d’admirateurs et d'amis, Français et Afro-Américains, jeunes et vieux, a donné deux sets absolument épatants. Entourée de l'excellent Julien Coriatt (p), de Gabriel Midon (b) et de Baptiste Castets (dm), la jazzwoman de Philadelphie a déployé les standards avec énergie et conviction («April in Paris», «Fever», etc.). Mais les amis n'étaient pas que dans le public, ils se sont également succédés sur scène: Marvin Parks (voc, qui a donné un très beau «I Have a Crush on You»), Ursuline Kairson et Sylvia Howard qui ont formé avec Denise un trio vocal détonnant sur «Take the A Train», morceau sur lequel elles ont été rejointes par Josiah Woodson (tp) et qui a donné lieu un époustouflant numéro de tap-dance de la part d’Asha Thomas! L'ambiance Années Folles du bar et la ferveur du public, heureux d'autant s'amuser, donnait l'impression d'être transporté ailleurs dans le temps. Pourtant, il n'y avait rien d'artificiel dans cette soirée de fête: juste du bon jazz et une interprète à la tonicité hors pair. Le dernier morceau, «Watermelon Man», a clôt la soirée en apothéose, le public se mettant à danser en formant une "Soul Train Line", y compris Julien Coriatt, remplacé au piano par Karim Blal. Devant le succès de cette Denise Party, la direction du Très Honoré a décidé de lui offrir une soirée par mois. On ne saurait trop conseiller d’aller s’y encanailler. JP

Texte: Patrick Martineau et Jérôme Partage
Photos
© Georges Herpe, Patrick Martineau, Jérôme Partage
© Jazz Hot n°675, printemps 2016


Benny Golson © Patrick Martineau



Paris en clubs
Mars 2016

Le 5 mars le Petit Journal Montparnasse offrait sa scène et une salle comble à Benny Golson (ts), l’une des dernières légendes vivantes du hard bop. En polo gris et coiffé de son traditionnel béret il s’est trouvé entouré par une belle rythmique: Antonio Faraò (p), Gilles Naturel (b) et Doug Sides (dm). «Horizon Ahead» et «Pierre's Moment» ouvrent le concert suivis de «Whisper Not», l’un de ses plus célèbres compositions, datant de 1956. La salle est étonnamment calme devant l’artiste qui, à 87 ans, possède toujours le souffle pour faire vibrer les graves de son ténor et un phrasé inchangé. Entre ses chorus, Benny Golson s’assoit et se tourne au fur et à mesure vers ses musiciens. «Mr P.C. Blues» écrit par John Coltrane en hommage à Paul Chambers clos le premier set. La reprise de «Tiny Capers» de Clifford Benny Golson et André Robert © Patrick MartineauBrown reconnecte le public un peu distrait par la pause et qui redevient attentif avec «Take the "A" Train», suivi de «Dominique», une composition de Faraò. Benny Golson aime raconter des histoires, comme celle de la création d’un autre de ses titres les plus fameux: «et pourquoi pas une marche?» dit-il à Art Blakey? «Oui comme les militaires», répond le batteur. «Attends quinze minutes et je te compose ça». Et c’est «Blues March», qui est introduit par un beau solo de Doug Sides. «Killing Joe» clôt le concert devant un public enthousiasmé. Après les saluts, le patron du Petit Journal Montparnasse, André Robert, est tellement conquis qu’il monte congratuler l’artiste sur scène. L’émotion, la sensibilité et l’expressivité étaient au programme. PM

Le samedi soir, chez Charlie (notamment connu pour sa «bière à 2 balles»), rue Cotte (12e arrdt.), c’est jam-session Django, animée par Arsène Charry (g). Au premier set, celui-ci ouvre la soirée avec un groupe, dont la composition varie chaque semaine, puis, après la pause, la minuscule scène du Charlie s’ouvre à tous les musiciens. Le 5 mars, Arsène Charry avait convié Thomas Renwick (g) et Esaïe Cid (as). Une configuration inédite pour notre altiste qui a toutefois ses aises dans le répertoire djangolien. De «Swing 48» à «Sweet Sue», la rencontre entre le sax délicat d’Esaïe et les cordes a fait merveille. Une relecture très plaisante du grand Manouche. On regrette juste le public un peu bruyant et pas très à l’écoute des trois excellents solistes. C’est la bière qui vaut 2 balles chez Charlie, pas la musique! JP

Jeb Patton, Fabien Marcos et Bernd Reiter © Patrick Martineau

L’Espace Carpeaux, l’imposant complexe culturel de Courbevoie, propose une programmation jazz régulière: les têtes d'affiche sont pour l'auditorium, tandis que les musiciens intéressant davantage les aficionados ont les honneurs de son Cabaret Jazz-Club, salle de taille plus modeste mais très bien agencée. Et les amateurs de jazz n’ont pas été déçus le 7 mars en venant écouter Jeb Patton qui était pour l’occasion très bien accompagné par Fabien Marcoz (b) et Bernd Reiter (dm). Elève de Sir Roland Hanna et de Jimmy Heath, le pianiste américain de 41 ans se produit depuis vingt ans avec les meilleurs musiciens: les Heath Borthers, Jon Faddis, Jimmy Cobb, Etta Jones, etc. Sa tournée européenne, la première en leader, nous permet de découvrir un soliste brillant, virtuose, au swing élégant. Patton vient de la musique classique (il a enregistré des ballades de Chopin) et rappelle parfois ses origines musicales (époustouflants aller-retour entre stride et classique sur «Century Rag» de Sir Rolland Hanna). Mais loin de tenter quelque synthèse hasardeuse, il joue jazz et bien jazz, donnant des interprétations lumineuses de «Make Believe» ou «Cool Eyes». Somptueux. JP

La file d'attente à l'entrée du New Morning © Yves Sportis

Une foule exceptionnelle – la file s’étendait de l’entrée du New Morning jusqu’à la rue du Faubourg-St-Denis sur plusieurs rangs – était venue le 10 mars apporter la reconnaissance des grands soirs à l’un des très grands artistes du jazz encore en pleine activité, Kenny Barron, à l’occasion de la sortie de son bel enregistrement, Book of Intuition, paru sur le célèbre label Impulse!, qui, malgré son glorieux passé (9 Grammy Awards, il a côtoyé le gotha du jazz, de Dizzy à Stan Getz, en passant par Freddie Hubbard, Milt Jackson, une liste sans fin…), s’enrichit encore de telles productions et de tels artistes.
On a du mal à comprendre ce qui a fait soudain passer ce pianiste, au sommet de son art depuis trente ans, du statut second en notoriété à celui de musicien pour lequel les billets se revendent à prix d’or à Paris. Mais ne boudons pas notre plaisir et le sien de voir un New Morning refuser du monde pour un artiste de jazz de la première à la dernière note.

Et comme d’habitude avec Kenny Barron, les présents ont eu raison. Au sein du trio qui a enregistré Book of Intuition, avec des excellents Kiyoshi Kitagawa (b) et Johnathan Blake (dm), Kenny Barron a donné un concert de haut niveau avec la maestria dont il a le secret, toujours sobre et modeste sur scène et produisant une musique qui brille de mille feux et d’idées à chaque détour de phrase.Kenny Barron a joué la musique de son enregistrement, pas dans le même ordre, et avec des variantes sur le plan de l’exécution, plus quelques thèmes : au programme donc et dans cet ordre, «Magic Dance», «Shuffle Boil» (de Thelonious Monk), puis trois thèmes qui ne figurent malheureusement pas sur le CD dont «The Very Thought of You» dans une version extraordinaire, «Calypso», «Beautiful Love», puis un brillantissime «Bud Like», déjà enregistré en solo à Maybeck, «Nightfall» un thème intense dédié à Charlie Haden, «Cooks Bay», un «Uncle Baba» ludique (de Gary Bartz, pas sur le CD),«In the Slow Lane», «Lunacy», et on en a peut-être oublié «Dreams».
Kenny Barron, Kiyoshi Kitagawa, Johnathan Blake © Jérôme PartageKenny Barron, c’est l’homme de la plénitude, celle de l’expression servie par une virtuosité à la hauteur, celle de l’espace qu’il remplit sans redondance avec la légèreté et la sobriété d’un grand concertiste, celle d’un lyrisme accepté, celle du blues toujours présents de ses accents, celle d’un art d’une exceptionnelle perfection, beauté, aussi bien quand il est le leader qu’accompagnateur. Tout est parfait chez Kenny Barron, ce qui en fait l’égal des plus grands, d’Oscar Peterson en particulier dont il n’est pas si éloigné par l’esprit et le type de carrière (grand leader et grand accompagnateur), avec bien entendu sa touche personnelle car il est de la génération suivante, et qu’il est Kenny Barron.
Dans le répertoire de Kenny Barron, Thelonious Monk est toujours présent, comme ce soir-là et il y a deux titres sur le disque de la main de Monk.
Le bassiste choisi par Kenny Barron, Kiyoshi Kitagawa, est idéal, brillant technicien à l’écoute de la musique, complice, auteur de beaux chorus lyriques. L’imposant Johnathan Blake, dont les cymbales occupent une disposition horizontale peu conventionnelle, est d’une délicatesse qui contraste avec sa puissance. Sur disque pas de longs chorus, plus en live, c’est normal, il sait se faire musical quand la musique le demande. Autre signe de l’art de Kenny Barron, il a toujours su trouver les musiciens qui conviennent à son expression, et dans sa proximité, les musiciens atteignent une dimension exceptionnelle. Kenny Barron est un Maître dans tous les sens de ce terme.
Kenny Barron est aujourd’hui sans nul doute une légende du jazz, et voir un club de jazz, bondé et épanoui, lui rendre hommage, est une double sensation de bonheur quand on s’occupe d’une revue de jazz, même si une bonne conjonction lunaire doit y être pour quelque chose. Nous avions le plaisir de pouvoir être présents grâce à Tom Woods, du New Morning, et à Casa qui officie depuis des années à l’entrée du New Morning, ce qui n’allait pas de soi étant donné la foule présente ce fameux soir. Pour un tel concert, c’était un cadeau exceptionnel! Qu’ils en soient remerciés. YS

The Scarlet Swing Band © Patrick Martineau

Le 11 mars, dans la péniche Le Marcounet, refaite à neuf, The Scarlet Swing Band – composé de Clara Brajtman (voc), Sylvain Hamel (cl), Vladimir Médail (g), Alexandre Perrot (b) et Clément Brajtman (dm) –, présente son répertoire avec pour mission d’animer le bal du Social Swing System (association qui organise des bals jazz dans Paris): «My Heart Belongs to Daddy», «I've Got You Under My Skin», «Ac-Cent-Tchu-Ate the Positive», «Stormy Weather», «Between the Devil and the Deep Blue Sea» (arrangé par Clara Brajtman) ou encore «On the Street Where You Live» (arrangé par Frederick Loewe). La cale de la péniche est pleine à craquer et le roulis ne semble pas perturber les danseurs qui s’arrêtent pour faire une ovation sur le dernier morceau, «Love Me or Leave Me». Nous on aime. C’est gagné pour le Scarlet Swing Band, ce premier bal swing est très réussi. PM

Johnny O’Neal © Mathieu Perez

Le
14 mars, quelques mois après son grand retour à Paris, en novembre dernier, après une longue absence des scènes françaises, le formidable pianiste Johnny O’Neal, accompagné de Luke Sellick (b) et Charles Goold (dm), était de nouveau au Duc des Lombards. En pleine tournée européenne, le trio fêtait son nouvel album, O’Neal is Back (Abeat Records For Jazz). Dans un set éblouissant, débordant de sensualité, le pianiste a puisé dans toute sa palette de couleurs avec une élégance et une classe infinies. Qu’il joue de grands standards («Looking at Me», «It Don’t Mean A Thing», «It’s Too Late»), des titres moins joués («Down Here on The Ground» ou un bouleversant «A Hundred Years From Today»), un blues épatant ou un hommage à Oscar Peterson, son héros de toujours, Johnny O’Neal transpire un swing et un groove fiévreux, dans la veine virtuose de Erroll Garner, Fats Waller ou Nat King Cole, avec ce répertoire de titres vertigineux, ce naturel, cette voix chaude qui sent le vécu, cette générosité et la modestie des géants. Alors qu’il pourrait avoir les plus grands musiciens en sidemen, le pianiste s’entoure de jeunes, insistant sur la transmission du swing aux prochaines générations. Et ses deux musiciens sont ici très attentifs, entièrement dédiés à soutenir le leader, avec un sens du timing impeccable. On attend le retour de Johnny O’Neal avec impatience! MP

Marvin Parks © Jérôme Partage

Le 18 mars a été l’occasion d’une double découverte. Un lieu, tout d’abord, la Cave du 38 Riv’ (sise au 38 rue de Rivoli, à deux pas de l’Hôtel de Ville), un club des plus sympathiques, doté une salle exiguë mais très agréable (une belle cave voutée du XIIIe siècle), tenu avec passion depuis 2008 par Vincent Charbonnier. Il s’y donne des concerts de jazz le mardi, le mercredi, le vendredi et des jam-sessions le lundi et le jeudi. L’autre découverte a été celle d’un chanteur américain de 39 ans, Marvin Parks, originaire de Baltimore et installé à Paris depuis 2013. Formé au gospel par sa mère et ayant pour premier modèle Nat King Cole, il lui rendait justement hommage ce soir-là, ainsi qu’à Frank Sinatra. Ce qui frappe chez ce garçon d’un abord doux et souriant, c’est le naturel avec lequel il swingue. Il chante sans affectation, sans forcer la voix, aussi simplement que d’autres vous demandent de leur passer le sel. Soutenu par l’excellent Julien Coriatt (p, qui anime régulièrement les jams du 38 Riv’), accompagné d’Adam Over (b) et Lucio Tomasi (dm), Parks s’est baladé avec aisance sur les «hits» des deux immenses crooners, de «Unforgettable» à «Fly Me to the Moon». Un régal. JP

Jean-Yves Dubanton et Jean-Claude Laudat © Patrick Martineau

Le 20 mars au Marcounet, Jean-Yves Dubanton (g) et Jean-Claude Laudat (acc) nous offraient avec Paname Swing (Laurent Fradelizi, b, et David Georgelet, dm) et son invité, Olivier Zanot (as) un concert entre swing, musette, tradition Django et groove. Dès le premier titre («The Turnaround», Hank Mobley) on ressent la présence du saxophone comme essentielle ce soir, tout comme dans «Midnight Creeper» (Lou Donaldson) puis on enchaîne avec «L’Indienne» et «Valse Anthracite» deux compositions de nos compères. Du bar tout en hauteur de la péniche on peut avoir une vue d’ensemble d’un public charmé par le touché tout en douceur Jean-Claude Laudat, que certains ont comparé au son de l’orgue Hammond, et la délicatesse des chorus de Jean-Yves Dubanton. Le groupe donne également la «Danse norvégienne» d’Edvard Grieg ou encore «Besame Mucho». Et ça danse, ça danse… PM

Le 21 mars, le Théâtre du Châtelet offrait une carte blanche à Patrice Caratini (b), un jubilé pour ses 50 ans de carrière. Entouré de compagnons de longue date, comme Martial Solal (p) et Marcel Azzola (acc), ainsi que des jeunes musiciens qui forment son Caratini Jazz Ensemble, il a donné un répertoire très varié. La première partie de soirée a débuté avec «Saint-Louis Blues», puis «Chofé biguine la» avec Alain Jean Marie (p) et Roger Raspail (djembé). S’en suivent plusieurs compositions du contrebassiste avant qu’il ne soit rejoint par Martial Solal sur son «Textes et prétexte». Le cinéma était également à l’honneur avec «Dry Bones in the Valley» et des extraits du film Body and Soul d’Oscar Micheaux projeté simultanément sur un écran géant.
La deuxième partie de soirée, davantage axée sur la variété, a vu se succéder sur scène l’Orchestre régional de Normandie, Hildegarde Wanzlawe (voc), Marc Fosset – (uniquement au chant), émouvant invité sur «C’est tout», adaptation de «That’s all» – Sara Lazarus (voc) ou encore Maxime Le Forestier (voc). Ces trois heures de concert se sont conclues par deux rappels que Caratini a achevé seul en scène avec une composition, «La Mouche». PM

The Cookers © Jérôme Partage

«The real deal!» Comment mieux qualifier la musique de The Cookers que par cette exclamation de l’ami Rasul Siddik venu en spectateur (à l’instar de Kirk Lightsey) au New Morning le 22 mars. Un tel alignement de virtuosité est en effet impressionnant. Une rythmique de rêve – George Cables (p), Cecil McBee (b), Billt Hart (dm) – et une front line époustouflante: Billy Harper (ts), Eddie Henderson (tp) et le leader, David Weiss (tp) – à laquelle manquait juste Donald Harrison (as). Côté répertoire, on a beaucoup entendu les compositions de chacun des membres du groupe (dont le très beau «Peacemaker» de Cecil McBee). Un jazz incandescent, foisonnant, qu’on prend en pleine figure! Et qui nous a permis, ce soir-là, d’échapper quelques instants à l’écho de la barbarie islamiste qui venait de frapper nos cousins bruxellois. JP

Bernd Reiter, Gilles Naturel et Champian Fulton © Jérôme Partage

Champian Fulton
(p, voc) était de passage au Duc des Lombards le 23 mars. Aller l’écouter est toujours l’assurance de passer un bon moment. Souriante et débordante d’énergie, elle s’attaque aux standards avec gourmandise. Joliment soutenue par Gilles Naturel (b) et Bernd Reiter (dm), elle a présenté un répertoire en hommage à Dinah Washington: «The Boy Next Door», «Mad About the Boy», ou encore un «Tenderly» joué sur un tempo rapide, ainsi qu’un très joli «All of Me», introduit par un duo voix-contrebasse. Un vent de fraîcheur sur le songbook américain. JP

Le 23 mars, toujours, Alain Bédard (b, par ailleurs patron du label québécois Effendi) fêtait au Sunside les 20 ans de son Auguste Quartet, lequel vient d’ailleurs de sortir un album anniversaire: Circum Continuum. Entouré de Samuel Blais (as), Félix Stussi (p) et Michel Lambert (dm), Bédard a proposé un ensemble de compositions lié au nouvel opus du groupe. On retrouve là l’esthétique Effendi: un jazz très intériorisé, presque méditatif, qui ne recherche pas les exercices de virtuosité ni les expérimentations trop «borderline». JP

Thomas Mestre, Jean-Marc L’Abbé, Drew Davis © Jérôme Partage

Le 26 mars, Drew Davies (ts, voc) était au Caveau de La Huchette. A la tête d’un sextet charnu – Thomas Mestre (tp), Jean-Marc L’Abbé (bs), César Pastre (p), Stephen Harrison (b), Kevin L’Hermite (dm) – le Gallois a passé en revue quelques standards du blues et du rock’n’roll («I Know Your Wig Is Gone» de T-Bone Walker, «Going Home» de B.B. King, etc.) et même de bonnes compositions comme «Loosing My Mind». Un concert roboratif, au gros son de cuivre, agrémenté de la touche boogie de César Pastre. Drew Davies a un talent d’entertainer certain et connait la recette pour porter le Caveau à ébullition! JP

Avishai Cohen © Patrick Martineau





Le 27 mars, le Petit Journal Montparnasse et le Sunset-Sunside s’étaient associés pour inviter Avishai Cohen (b). Pour cette soirée spéciale, le PJM avait modifié sa disposition habituelle, supprimant les tables, et affichait complet. Avec son trio (Omri Mor, p, et Daniel Dor, dm) Avishai Cohen a présenté des morceaux issus de son nouvel album, From Darkness, en débutant par «Beyond». Arrangements fluides, solos de contrebasse en introduction, pianiste avec une belle technique, batteur démonstratif, de «Abie» au mélancolique «Almah Sleeping». Le concert s’est achevé sur un premier rappel endiablé («Steven Seas») lors duquel le leader a fait des percussions sur son instrument, puis sur le piano, jouant même avec ses cordes. Pour le second rappel, le public avait réclamé «Alsfonsina Y El Mar» qui a été l’occasion de rappeler les talents de chanteur du contrebassiste. PM

Le 30 mars, au Sunside, Frederic Borey (ts) fêtait la sortie de son disque Wink (Fresh Sound New Talent) en compagnie de Michael Felberbaum (g), Leonardo Montana (p), Yoni Zelnik (b) et Fred Pasqua (dm), avec lesquels il revisite les standards parmi les plus populaires (les thèmes de Gershwin notamment) à l’aune d’un modernisme qui n’est pas un accessoire de mode mais le terreau fertiles d’arrangements fort subtils. Doté d’un très beau son de ténor, Borey ne cherche pas à en faire trop. Il joue, tout simplement. Et la présence de Felberbaum participe largement à la beauté de sa musique. JP

Texte et photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez, Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

© Christian Ducasse


Le Baton Rouge. Jazz Ô Bar
Granville (50), 4-5-6 mars 2016

Joyeuses propositions de Roland Girard pour un grand week-end célébrant l’anniversaire du club qu’il a créé dans la Monaco du Nord. Les formations invitées résumaient une année de swing offerte par cet entrepreneur déterminé et lucide qu’est Roland Girard. Rien ne le prédestinait à cette aventure qu’il mène selon son propre tempo, guidé par ses envies d’honorer un jazz authentique qui relie les origines néo-orléanaises au bop contemporain, musique qu’il pratique à ses heures à la clarinette.

Vendredi, les festivités ont démarré vraiment hot, car Jean Ade et son Bourbon Street Jazz Band ont l’art de perpétuer à nulle autre pareille la Louisiane chère au boss de Baton Rouge.

Samedi, moments tout aussi festifs en compagnie de Lucie Girard, la fille cadette de Roland! Alliée de circonstance aux Normands de Café Calva, tout à la dévotion de son répertoire, la violoniste démontre à chaque apparition la richesse de son jeu joint à un son vibrant: dans le sillon fertile de Grappelli.

A l’heure du thé, dimanche, un trio inédit conduit par le saxophoniste Nicolas Leneveu, incluant la belle personnalité de Priscilla Valdazzo, contrebasse & chant latino-espagnol sur une assise rythmique du fort prometteur Adrien Faure au piano. Soit des standards boppisants revisités par la nouvelle vague de la richissime scène caennaise.


Grâce à un public aussi nombreux que fidèle, on sent que bien des choses sont envisageables au Baton Rouge et les semaines à venir devraient être source de nouvelles & bonnes vibrations. Prochain rendez-vous à cocher sur les agendas, un quartet des émérites messagers du Camion Jazz emmené par le saxophoniste Guillaume Marthouret. Ce sera le dimanche 27 mars, jour de Pâques!


Texte et photo: Christian Ducasse
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Laurent Blondiau © Pierre Hembise

Bruxelles en mars (et toujours en vie!)
Les Lundis d'Hortense, Flagey, Jazz Station, mars 2016

En mars, on n’est pas encore sorti des frimas mais on peut se réchauffer les mains en applaudissant quelques beaux concerts. Le mercredi 9 d’abord, à la Jazz Station, où les Lundis d’Hortense avaient convié Laurent Blondiau (tp) et son quintet Määk. Le groupe, totalement acoustique est non-statique. Jeroen Van Herzeele (ts, ss), Guillaume Orti (as, ss), Michel Massot (tuba) et Laurent Blondiau (tp) se déplacent en jouant, cherchent les résonances et d’autres timbres. La musique remplit l’espace; l’écriture est denseet les structures: riches, variées, inusitées. Le tubiste initie le tempo, le change, le double, suivi par Joao Lobo (dm). La phrase rythmique est courte, répétitive, hallucinante; elle monte à la tierce et puis revient. La libération n’apparait qu’au travers des improvisations, en solos. Laurent Blondiau change de trompette, passe au bugle puis au cornet, module les sons de la main, percute l’embouchure, souffle conjointement dans deux instruments. Tout bouge: les hommes, les instruments, les sons et les rythmes. Avec cette fanfare, résidu de l’avant-garde, Blondiau et les siens ont cherché et ils se sont trouvés. Un collectif créatif! Jouissance assurée!

Christian McBride © Pierre Hembise

Le mercredi suivant, le 16, nous étions à Flagey pour redécouvrir Christian McBride (b): un musicien trop rare qui nous plait vraiment beaucoup depuis plus de vingt ans. L’imposant bassiste de Philadelphie joue de la contrebasse comme s’il avait un violon sous les doigts. Aisance, volubilité, justesse. Respect pour le public et pour ses accompagnateurs: Chris Sands (p) et Ulysses Owens JR (dm). Respect pour l’héritage aussi, avec un répertoire à l’image de son dernier album e
nregistré au Village Vanguard. «Tangerine», «Caravan», «East of The Sun, West of The Moon». La Stature nous rappelle Charles Mingus, mais le jeu est autre; léger sur une chanson de la comédie «The King And I», inventif sur «The Lady In My Life» de Michael Jackson, appuyé sur «Mash». Le concert, magnifique, se terminera en standing ovation par un «Car Wash» jubilatoire. Chez les disciples contemporains de la grand-mère, on est en droit d’aimer les singeries d’Avishaï Cohen. Les musiciens talentueux brillent aussi par leur humilité! Merci Christian McBride d’avoir illuminé cette soirée!

Jérémy Dumont (p) était le 19 à la Jazz Station en suite logique de son premier album autoproduit Resurrection. Avec Victor Foulon (b) et Fabio Zamagni (dm) le trio a pris une belle assurance au fil des mois. Le programme annonçait Fabrice Alleman (ts, ss) en invité. Nous nous imaginions donc qu’il viendrait jouer deux ou trois morceaux en fin de second set. Heureuse surprise: il souffla sur tous les thèmes, professeur protecteur hier, compagnon de route aujourd’hui. Toutes les compositions sont de la plume duJérémy Doumont © Roger Ventilt, by courtesy jeune pianiste. Les mélodies sont jolies («One Day»); les rythmes: variés, de la valse jouée en crescendo («Since That Day») au swing appuyé («Excitation»). «Blues For Tilou» : un original fortement inspiré des Jazz Messengers, permit à Fabrice Alleman (ts) de featurer Benny Golson. Sur «In Between», et l’ostinato du pianiste il s’envole, coltranien, au soprano. A la fin du premier set, «Resurrection», enjoué, donna la parole à tous les apôtres: soprano, piano, ténor, puis l’inévitable solo de batterie. «Hébreu» ouvrira la deuxième partie soulignant une certaine filiation. Les œuvres de Jeremy Dumont sont très bien structurées. Homogènes, elles sont rigoureusement mises en placepar la rythmique. La consistance des compositions et la solidité des arrangements privilégient un son de groupe, ce qui n’est pas fait pour déplaire au saxophoniste montois.

Jean-Paul Estiévenart © Roger Ventilt, by courtesy

Pour clôturer le premier trimestre des «Gare au Jazz», Les Lundis d’Hortense proposait le 30 mars: le trio de Jean-Paul Estiévenart (tp). La formule pianoless appelle une grande attention de tous, musiciens et public. Les compositions du trompettiste montois sont évolutives ou changeantes, comme sur «Blade Runner» qui passe en two beats; «Lix Feeling» débute legato pour déboucher sur un solo d’Alain Pierre (dm); «S.D.» surprend par une finale note pour note, trompette/basse; «M.O.A.» entamé à la trompette bouchée ouvre sur un solo de Sam Gerstmans (b) astructuré puis construit; «Wanted» en wa-wa repose sur une basse continue snappée. Les thèmes sont diversement colorés: trompette bouchée et jeu en mi-pistons sur «Les Dons»; «Behind The Darkness» entamé en mode ballade est temporisé à l’archet avant un solo de drums; «Deep Hart» est joliment arrangé par Sam Gerstmans (b). L’unité des trois musiciens est fusionnelle et complémentaire. Alain Pierre (dm) est une nouvelle fois éblouissant sur «La Danse des Sorcières», «Asphalte» et sa composition «Loft End». En coda, Steven Delannoye (ts) est venu faire un petit coucou à ses amis («Asphalte» et «Yako» de Wayne Shorter). Un concert de grande qualité qui met un léger baume sur un printemps bruxellois bien trop noir!

Jean-Marie Hacquier
Photo
© Pierre Hembise et Roger Ventilt, by courtesy
© Jazz Hot n°675, printemps 2016