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Chroniques CD-DVD







Au programme des chroniques
AEddie AllenJulien AlourChristophe Astolfi B Raf D Backer Daniel-Sidney BechetJean-Pierre BertrandMichel BiscegliaJane Ira BloomBrussels Jazz Orchestra / Joe Lovano C Catherine & Wind Duo ArtBrian CharetteAntiono Ciacca Quintet & Justin EcholsGeorge Colligan E Echoes of SwingRoby Supersax EdwardsEliane Elias H Chico HamiltonScott Hamilton / Dany DorizTim HegartyAntoine Hervé I Abdullah Ibrahim K Keith Jarrett / Gary Peacock / Jack DeJohnetteTom Kennedy L François Lemonnier / Raphaël LemonnierSamuel LernerGreg LewisAllison LindeJan Lundgren M Laurent MarodeBilly MintzMr. Bo WeavilN Clovis NicolasNikki & Jules P Ivan PaduartVincent Peirani & Emile ParisienRalph PetersonR Richard RazafDaniel Roure S Bobby SanabriaThomas SavyJacques Schwarz-BartPaddy SherlockDaniel SmithDave Stryker T Allen ToussaintNico Wayne ToussaintTrio FatalTrio Legacy W Kenny Blues Boss WayneDavid WeissSpike WilnerMatt Wilson


Des extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes signalées par une info-bulle.

© Jazz Hot 2014

EdCliquez sur la pochette pour écouter ce disquedie Allen
Push

Titres communiqués sur le livret
Eddie Allen (tp), Dion Tucker (tb), Keith Loftis (ts), Mark Soskin (p), Misha Tsiganov (synth), Kenny Davis (b), E.J. Strickland (dm)
Enregistré à Hoboken (New Jersey), date non précisée
Durée : 56' 46''
Edjalen Music 505 (www.eddieallen.net)


Eddie Allen est un excellent disciple de Freddie Hubbard, bien mis ici en valeur (avec sa trompette Phaeton) dans la ballade, « Who Can  I Turn To ? », la seule composition du CD qui n’est pas de lui. Le premier titre, « Nakia », est l’occasion de présenter chaque musicien sauf le bassiste, remarquable, Kenny Davis qui se rattrape dans « Caress » (très bon solo de Dion Tucker) et le planant « Whispers in the Dark ». Comme Freddie Hubbard, Eddie Allen racole un peu avec cet usage du synthétiseur. Mark Soskin est bon, mais neutre et sans personnalité (« Sacred Ground »). Le ténor, Keith Loftis, est aussi supportable que convenu dans son style, néanmoins adapté à ce bop standardisé (« Hillside Strut », entrainant avec de bons riffs). Il y a une alternative basse-batterie dans « Push ». Mais le soliste, à notre sens, le plus intéressant avec Eddie Allen lui-même, est le trombone, Dion Tucker, sorte de Julian Priester du moment. Bref, dans le contexte actuel, c’est un disque satisfaisant.
Michel Laplace

JCliquez sur la pochette pour écouter ce disqueulien Alour
W.I.L.L.I.W.A.W

Titres communiqués sur le livret
Julien Alour (tp, fgh), François Théberge (ts), Adrien Chicot (p), Sylvain Romano (b), Jean-Pierre Arnaud (dm).
Enregistré les 20 et 21 mai 2013, lieu non précisé
Durée : 45'17''
Gaya Music Production JAGCD001 (Abeille Musique)


Julien Alour nous a déjà présenté sa musique, souvent exigeante, au festival Bis de Marciac devant un public rompu au post bop et acquis. Ce public sera heureux de retrouver cet univers dense dans ce disque avec des moments d’exacerbation comme dans « W.I.L.L.I.A.W » et un passage trompette-batterie. L’ombre de Coltrane plane au-dessus de François Théberge. Adien Chicot n’ignore pas McCoy Tyner (« Impulsion »). Julien Alour parfois dans le lignée de Freddie Hubbard (« Reflet »), est un fin joueur de bugle dans « Vae Soli » et mieux encore « Song for Julia », joli thème qui pour nous est, avec « Loarwenn », le meilleur de ce disque.
Michel Laplace

Christophe Astolfi
Des Valses

Le retour des hirondelles, Sa préférée, Valse en do dièse mineure, De pluie et de reste #1, Balajo, Frères !, Valse à Gunther, Le papillon et la fleur, La valse fantôme, Joss Baselli, Le retour d’Ulysse, Gagoug, Minch valse, Patricia, De pluie et de restes #2, La bourrasque
Christophe Astolfi (g), Frederic Guedon (g), Benjamin Ramos (b)

Enregistré les 6, 7 avril et 6 juillet 2013, Paris

Durée : 41' 35''

Autoproduit (christopheastolfi@yahoo.fr)

Le guitariste est tombé dans le musette et la djangologie du côté de Nancy. Au Conservatoire de Bruxelles, il a travaillé la technique de l’instrument pour arriver à sanctifier ce swing à la française qui doit autant à Django qu’à Jo Privat. Au fil des valses, on remarquera le doigté léger et un très bon rendu des notes qui flirte avec le classique, comme si Matelo Ferré avait fait ses classes chez Paco De Lucia. Volubilité, aisance, swing : tout est réuni pour faire aimer, boire et chanter sur les places et dans les cafés, dans les clubs et les festivals au nord comme au sud de la Loire, de la Meuse et de la Moselle. A découvrir et à engager sans tarder !

Jean-Marie Hacquier

Raf D Backer
Rising Joy

Jon the Farmer, Shaky Shake Bluies, Beauty and the Beast, Descamisado, Oh the Joy !, Shout It Right, Nearness of You, Rising Joy, Full House, Losing The Faith, May I Know (What I’ve Lost), Travel, Moony Mood, C.C. Rider
Raf D Backer (p, elp, org), Lionel Beuvens (dm), Cédric Raymond (b, elb) + Lorenzo Dimaio (g), David Donatien (perc)
Enregistré en 2014 à Beersel (Belgique)
Durée : 57' 29''
Prova Records 1402-CD24 (www.provarecords.com)

C’est le premier album (avec neuf compositions originales) de Raphaël Debacker : un jeune qu’on a déjà souvent écouté (à Bruxelles) avec le band de Laurent Doumont (ts, voc), avec Marianna Tootsie (voc), Beverley Jo Scott (voc), Marc Lelangue (g, voc) ou Daniel Romeo (elb). Formé au piano dès l’âge de quatre ans, il s’est initié au jazz avec Eric Legnini (p) et au rythm’n blues avec Daniel Romeo. Son premier album est produit par Eric Legnini et Daniel Romeo dont on décrypte les influences dominantes : blues, soul, shuffle… Avec « Nearnes of You » au piano et « May I Know » (piano et orgue), Raf démontre qu’il a très bien assimilé toute l’histoire du jazz. Sa relecture au Hammond et en mode fifties de la composition de Wayne Shorter : « The Beauty and the Beast » est très réussie. « Rising Joy » met en valeur Cédric Raymond à la contrebasse alors qu’avec « Moony Mood » : il s’affiche le premier de classe de Dan Romeo. Sur « Full House » de Wes Montgomery : on épingle le même Cédric Raymond, mais aussi : le guitariste Lorenzo Dimaio, encore présent en superlatifs sur « Shaky Shake Blues ». Lionel Beuvens (dm) démontre à nouveau qu’il peut être présent dans l’héritage comme dans  la recherche. C’est au Hammond que je préfère Raphaël. Question de génération ? Son monde est fait de sourires, de swing, de joie et d’âme (« Oh, the Joy ! ») qu’il nous offre dans l’esprit de Dr. John (« C.C. Rider »), Les McCann ou Bobby Timmons. Let your soul coming out ! Come on and dance !

Jean-Marie Hacquier

Daniel-Sidney Bechet
Sidney Bechet. Ses plus grands succès

Titres communiqués sur le livret
Daniel-Sidney Bechet (dm), Olivier Franc (ss), Benoît de Flamesnil (tb), Jean-Baptiste Franc (p), Gilles Chevaucherie (b)
Enregistré en 2010, Grigny (91)
Durée : 1h 08' 08''
Frémeaux & Associés 8502 (Socadisc)


Il s’agit d’un CD destiné aux ventes d’après concert. Comme le titre le laisse penser, le répertoire est grand public, dominé par la période française et variétés du maître, Sidney Bechet (« Le Marchand de Poissons », « Petite Fleur », « Dans les rues d’Antibes », etc). Le fils du maître, et leader, Daniel-Sidney Bechet ne cherche pas à se mettre en valeur (breaksdans « Happy Go Lucky Blues » que Sidney a enregistré avec Bill Coleman ; « Buddy Bolden Stomp »). On remarque l’entente piano-contrebasse. Jean-Baptiste Franc est toujours inspiré, distingué et concerné par le swing. Gilles Chevaucherie, solide soutien rythmique, intervient peu ici en solo. Son slap dans le boogie, « Sidney’s Wedding Day » participe avec le solo de l’excellent Benoît de Flasmesnil à la réussite de ce titre moins souvent entendu. Toutes les interventions de trombone sont bonnes, notamment dans le blues lent « Sobbin’ and Cryin’ Blues ». Enfin le lyrisme chantant d’Olivier Franc brille dans de nombreux morceaux comme « I’ll Be Proud of You », « Passport to Paradise » ou encore « Sweet Louisiana ». Un succès assuré pour les amoureux du genre.
Michel Laplace

JeaCliquez sur la pochette pour écouter ce disquen-Pierre Bertrand
Rhythm Boogie

Rhythm Boogie, Down in The Alley, Honky Tonk Train Blues, Long Last Evening Blues, Roses de Picardie Boogie, The Bird of The Blues, Chicago Breakdown, Buona Sera, The Fives, T'esbo Tibo Boogie, Has Anyone Seen Corinne, Nostalgimmy, Bass Goin’ Crazy, Hey Good Looking, Boogie Kivalsendo, Migratory Pianist, Slim And Fat Boogie
Jean-Pierre Bertrand (p), Thibaut Chopin (b, hca, voc), Lionel Grivet (dm)

Enregistré les 28 et 30 septembre 2013, 1er octobre 2013, Longvic (21)

Durée : 57' 38''

Black & Blue 784.2 (Socadisc)

Jean-Pierre Bertrand poursuit depuis plus de vingt ans une carrière de pianiste de boogie. Et d’année en année sa manière gagne en maturité, ses albums en qualité. Nous retrouvons dans celui-ci sa matière habituelle, le boogie et le blues. Mais il présente l’originalité d’être en duo (quatre titres) et en trio (six titres), ce qui change quelque peu le ton général de son expression. Au programme, quelques standards de ses maîtres Albert Ammons, Meade Lux Lewis, quelques classiques… et plusieurs compositions personnelles, dont deux bien venues. Il est accompagné par Thibaut Chopin (b), qui sur « Down in The Alley » chante et joue de l’harmonica, et Lionel Grivet à la batterie. Les musiciens jouent bien et le groupe fonctionne parfaitement, y apportant de la variété (« The Bird of The Blues », « Hey Good Looking », « Honky Tonk », « Chicago Breakdown », « The Fives »).

Néanmoins, l’approche pianistique globale de Bertrand, même si son style est chaleureux et même généreux, comporte une élégance dans le phrasé qui se suffit à elle-même ; le soutien, pourtant très propre de la batterie et de la basse, lui ôte parfois un peu de la légèreté qui fait son charme et son originalité. C’est en fait dan ses solos qu’il parait le plus convaincant et vraiment dans son élément. Son « Long Last Evening Blues » est une belle réussite, tant dans le thème que dans l’exécution parfaite de simplicité. Egalement à retenir une excellente interprétation de la composition d’Albert Ammons, « Bass Goin’ Crazy » (1939) et de « Nostal Jimmy » de Lewis.
Rhythm Boogie
est un bon album, très caractéristique du travail de Jean-Pierre Bertrand et de l’école du boogie dont il est maintenant un représentant qui compte dans l’école française.

Félix W. Sportis

Michel Bisceglia
Singularity

Puccini, Meaning of the Blues, Jasmine, Lonely Woman, Choosing, Singularity, Augmented Tree, Don’t Explain, Passion Theme
Michel Bisceglia (p), Werner Lauscher (b), Marc Léhan (dm)
Enregistré en août 2013, Genk (Belgique)
Durée : 57’

Prova Records 1401-CD22 (www.provarecords.com)


Michel Bisceglia
My Ideal

My Ideal, The Epic, Out to Sea, RedEye, Paisellu miu, A Whiter Shade of Pale, N’n siata
Michel Bisceglia (p), Werner Lauscher (b), Marc Léhan (dm)
Enregistré en août 2013, Genk (Belgique)
Durée : 41’

Prova Records 1401-CD23 (www.provarecords.com)

Double album pour le pianiste-compositeur limbourgeois qui nous rappelle, au passage, qu’il est aussi le Directeur Musical de Viktor Lazlo pour le spectacle My Name is Billie Holliday (« Don’t Explain »).Par quelques lignes en pochette, Michel explique qu’il a cherché avec seize thèmes quelle relation existe entre l’homme et l’intelligence artificielle. Jusqu’où l’homme contemporain pourra-t-il suivre cette évolution ? Le questionnement inquiétant est pertinent avec « Choosing » qui arrive après quatre promenades romantico-champêtres, dont « Jasmine » : un song à la early-Jarrett, sans doute inspiré par le film de Woody Allen (Blue Jasmine). Le travail de Pino Guarraci est parfaitement clair pour balancer le pianiste en avant de ses accompagnateurs ; des accompagnateurs qui s’inscrivent parfaitement dans le tempo-breaks du drummer sur « Choosing », présence du bassiste sur « Augmented Tree », « Don’t Explain » et « My Ideal ». L’écriture du pianiste privilégie la légèreté et la profondeur ; ses relectures de standards comme « A Whiter Shade of Pale » et « Don’t Explain » – pour le tempo – témoignent d’une belle imagination. D’aucuns pourraient avancer qu’il manque de contrastes entre les morceaux, que les moods nous enfoncent au plus profond d’une bergère. Je préfère avancer que j’aime rêver et savourer les deux galettes lové dans un transat au couchant d’un soleil d’été finissant. Une petite brise ondoie l’eau du lac (« Out to Sea »). Je suis bien. Très bien !

Jean-Marie Hacquier

Jane Ira Bloom
Sixteen Sunsets

For All We Know, What She Wanted, Gershwin's Skyline/I Loves You Porgy, Darn That Dream, Good Morning Heartache, Out of This World, Ice Dancing, Left Alone, The Way You Look Tonight, But Not for Me, Primary Colors, My Ship, Too Many Reasons, Bird Experiencing Light
Jane Ira Bloom (ss), Dominic Fallacaro (p), Cameron Brown (b), Matt Wilson (dm)
Enregistré le 20 mai, 12 et 17 juin 2013, New York
Durée : 1h 17' 40''
Outline 141 (www.janeirabloom.com)

Plus proche de Steve Lacy que des stridences de Dave Liebman, Jane Ira Bloom possède assurément une superbe sonorité de soprano et une maîtrise des nuances remarquables. Artiste lauréate de la NASA qui a même donné son nom à un astéroïde, Jane Ira Bloom construit sa vision de « 16 couchers de soleil » sur une citation de l’astronaute Joseph Allen décrivant les changements de couleurs dans la stratosphère. Cet impressionnisme aux couleurs chatoyantes se heurte malheureusement à une uniformité d’atmosphère. Seule la rumba « Ice Dancing » et « Primary Colors » développent une présence rythmique plus affirmée. Autrement, les ballades très lentes, presque funèbres, se succèdent sans solution de continuité. Le choix des compositions s’oriente vers des morceaux aux thématiques douloureuses et l’interprétation en est très sensible. Pourtant, Dominic Fallacaro est sans doute trop respectueux et en retrait. Peut-être des accompagnateurs moins sobres auraient-ils permis à la musique de décoller ? Malgré une certaine beauté formelle, l’élan émotionnel reste sur la même ligne, générant en définitive plus d’attentisme que d’exaltation.

Jean Szlamowicz

Brussels Jazz Orchestra / Joe Lovano
Wild Beauty : Sonata Suite

Wild Beauty, Powerhouse, Streets of Naples, Our Daily Bread, Big Ben, Sanctuary Park, Miss Etna, Viva Caruso
Joe Lovano (ts, aulochrome), Gil Goldstein (arr), Frank Vaganée (dir, as lead, ss), Dieter Limbourg (as, ss, cl, fl), Kurt Van Herck (ts, ss, afl), Bart Defoort (ts, ss, cl), Bo Van der Werf (bs, bc), Serge Plume (tp lead), Nico Schepers (tp), Pierre Devret (tp), Jeroen Van Malderen (tp), Marc Godfroid (tb lead), Lode Mertens (tb), Frederik Heirman (tb), Laurent Hendrick (bass tb, bass tuba), Nathalie Loriers (p), Hendrik Braeckman (g), Jos Machtel (b), Toni Vitacolonna (dm)

Enregistré le 10 décembre 2012, Gand (Belgique)

Durée : 1h 06' 28''

HalfNote 4556 (www.brusselsjazzorchestra.com)

Un album que le titre Wild Beautyqualifie parfaitement. C’est dans une effervescence de notes que l’orchestre de jazz de Bruxelles nous livre une Sonata Suite qui lui était destinée. Le premier morceau « Wild Beauty », empli de suavité, commence par un jeu de cymbales. Il est suivi de l’intervention gracieuse de Joe Lovano dont le solo se trouve finalement estompé par une orchestration trop puissante ayant tendance à écraser la finesse de son jeu. Le deuxième thème, « Powerhouse », livre un arrangement plus limpide. Un beau solo de Joe Lovano, plein d’entrain et de subtilité, une fluide utilisation rythmique des harmoniques qui s’arrête inopinément et ne donne pas l’impression d’avoir fini son discours. Lovano le reprend après des interventions perspicaces de Nico Schepers et Nathalie Loriers. Dans « Streets of Naples », l’arrangement s’inscrit véritablement dans la thématique de cet album. On y retrouve une ambiance carnavalesque où les influences de la musique dite « classique » sont prédominantes. Cependant, le moment de solo collectif, assez confus, manque de mettre en valeur les solistes et peut nous évoquer, sans grande difficulté, l’ambiance agitée que l’on connaît de Naples. Joe Lovano intervient avec dynamisme et profondeur mais on peut aussi entendre le manque de cohérence du guitariste par rapport au saxophoniste. Une belle orchestration finale qui cède la place du jazz à une musique autre. Dans « Big Ben », Joe Lovano introduit et utilise l’aulochrome dont les nappes de sons ne manquent ni de déferlantes ni d’impétuosité. Aussi, ce thème met en valeur les solistes et s’inscrit dans la lignée directe du blues. On y trouvera un beau solo de Lode Mertens, de Nico Schepers, les quatre saxophonistes soprano forment un discours individuel et collectif empli d’émotion grâce, entre autres, à une judicieuse passation de solo toutes les douze mesures puis à une alternance de 4/4. Une intervention de Bo Van der Werf, "out" du début à la fin, et un solo de Hendrik Braeckman ancré dans la tradition du blues. Ce morceau sonne comme une libération pour l’orchestre où les nombreux solistes s’en donnent à cœur joie. « Santuary Park » est un morceau plus introspectif où l’on peut entendre Jos Machtel, un peu timide à mon sens et insuffisamment mis en avant dans cet enregistrement, ainsi que les belles phrases délicates et attentives de Nathalie Loriers. L’arrangement de l’ensemble des compositions, réalisé de manière particulièrement métaphorique, peut laisser sceptique, il reste à certains moments très éloigné de l’essence du jazz. À l’écoute de ce disque, il apparaît clairement que Joe Lovano domine l’orchestre dont il est, plus qu’une apparition comme indiqué sur la jaquette, le leader incontestable. Par moments, on peut regretter le manque d’attention et de cohésion générale, particulièrement dans les solos, limitant quelque peu la nitescence des solistes. Une bonne section rythmique et un orchestre solide - malheureusement parfois limité par des orchestrations très condensées et extrêmement rigoureuses - laissent peu de place à la surprise et à la liberté auxquelles Joe Lovano nous avait pourtant habitué avec ses trios. Du côté technique, le mixage paraît manquer quelque peu de raffinement. Un enregistrement qui pourra plaire aussi aux amateurs d'un jazz plus "traditionnel" avec « Big Ben » qui respire le blues ou d’autres thèmes comme « Our Daily Bread », « Sanctuary Park », « Miss Etna » et « Viva Caruso » agréables à entendre.

Adrien Varachaud

Catherine & Wind Duo Art
New Folks

Old Folks, Fried Bananas, Hello George, Blues in the Closet, How Deep Is the Ocean, Jenny Wren, Song for D, Sublime, Pivoine, L’Eternel désir, Standing at the Window Waving Goodbye, Toscane, Winter Moon
Philip Catherine (g), Martin Wind (b)

Enregistré les 3 et 4 avril 2013, Munich (Allemagne)

Durée : 57' 13''

ACT 9621-2 (Harmonia Mundi)

On ne peut s’empêcher de se remémorer les concerts qui réunissaient Philip et NHØP … trente ans auparavant. A cette époque, Martin Wind avait 15 ans, Philip Catherine... 41 ! Après un excellent parcours new-yorkais, le contrebassiste allemand (45 ans aujourd'hui) s’est souvenu de cet album qui l’avait impressionné. Avec l’aide de Siggi Loch, il a pu concrétiser son désir de duo, effectuer une tournée et enregistrer la rencontre. Voici donc un fruit parfumé de respect mutuel. On peut admirer la légèreté et le sens profond du swing et de l’harmonie de Philip… Mais ceci n’est pas un scoop ! En revanche, la manière puissante dont Martin attaque les cordes, accompagne (« Old Folks »), dialogue (« Hello George ») ou double les tempos (« L’Eternel désir ») en bonne symbiose avec son aîné, ça : c’est remarquable et nouveau pour nous qui sommes familiers du travail souple de Philippe Aerts (b). Les compositions de Philip Catherine – ses standards – sont une nouvelle fois visités par des arrangements qui paraissent spontanés (« Toscane »). On perçoit dans l’enregistrement cette osmose qui a réuni les deux musiciens et on se demande qui emmène l’autre dans les accentuations (tension/détente sur « Fried Bananas »). Les leads sont alternés (exposition à l’archet de Wind sur « Winter Moon ») ; l’appropriation des chevaux de l’autre est naturelle, comme l’exposé de « Song For D » par Catherine sur une composition de Martin Wind. Vous dire que c’est encore un excellent album pour Philip Catherine : ça devient banal. Découvrez donc les autres couleurs de l’album, comme ces légères distorsions en up tempo et l’enthousiasme jouissif des deux sur le « Blues in the Closet » ! Woaw !

Jean-Marie Hacquier


Brian Charette
Music for Organ Sextette

Computer God, Fugue For Kathleen Anne /Ex Girlfriend Variation, Risk, The Elvira Pacifier, Equal Opportunity, Prayer For An Agnostic, Late Night TV, French Birds, Mode For Sean Wayland, Tambourine
Brian Charette (org), Jay Collins (fl, bs, tambourin), Mike DiRubbo (as, ss), Joel Frahm (ts), John Ellis (bcl), Jochen Rueckert (dm)
Enregistré en décembre 2010, lieu non précisé
Durée : 1h 07' 07
SteepleChase 31731 (www.steeplechase.dk)


L’album s’ouvre sur une superbe composition, à la fois nerveuse et mélodique, avec des éléments de mystère et une vitalité rythmique mise en valeur par l’alliance de flûte, de clarinette et de soprano. C’est sans doute le morceau le plus accompli dans le cadre esthétique recherché par Brian Charette qui tente, dans un esprit post-Larry Young, de sortir l’orgue du cadre du blues et de l’église. Pourquoi pas, mais pourquoi l’orgue blues devrait-il être considéré comme relevant du cliché tandis que l’orgue inspiré par Bach (« Fugue For Kathleen Anne ») serait considéré comme une libération ? La musique de Brian Charette hésite entre ces pôles et, s’il a joué avec Lou Donaldson (ainsi que Joni Mitchell, Chaka Khan, Cindy Lauper) et maîtrise les codes jazzistiques de l’orgue, son refus de la filiation issue de Jimmy Smith est peut-être légèrement systématique. A son crédit, une belle invention sonore et le recours à des musiciens de poids, notamment Mike DiRubbo. « Risk » est un swing medium qui semble refuser les couleurs du blues, ce qui produit une expression assez froide. De même, « The Elvira Pacifier » est un reggae un peu raide et mécanique (comme le funk violemment exprimé par Rueckert sur « Late Night TV »). Il y a une expressivité proche de la musique classique dans le recours à la sonorité flûte/ clarinette (assumé par la référence à Messiaen sur « French Birds ») qui est à la fois séduisante et un peu étrange. « Equal Opportunity » rappelle les groupes de Tristano, Warne Marsh, Ted Brown et Lee Konitz, ce qui implique une légère froideur. « Prayer For An Agnostic » retrouve des couleurs churchy mais avec une certaine distance méditative plus que de l’abandon de la ferveur. La frappe un peu sèche et agressive de Rueckert, pour précise qu’elle soit, ne contribue pas au confort du groove. On sent dans cet album une grande sincérité du projet artistique mais aussi une forme de contrainte qui fait de la richesse de conception (changements de rythmes et d’atmosphère) quelque chose de pensé plus qu’organique. Une vision du jazz à affiner…
Jean Szlamowicz

Antiono Ciacca Quintet & Justin Echols
Just... in Time

Don't Get Around Much Anymore, Just in Time, My Foolish Heart, If I Had You, Dany My Dear, Love Is Here to Stay, Stardust, All of Me, The Very Thought of You, Wallys, The Way You Look Tonight
Antonio Ciacca (p, arr), Justin Echols (voc), Andy Farber (ts, fl), Joe Cohn (g), Paul Gill (b), Pete Van Nostrand (dm)
Enregistré en 2012, Paramus (New Jersey)
Durée : 55' 47''
Twins Music Records 00001 (www.twinsmusic.it)


Rencontre improbable que celle d’un Italien du sud, Antonio Ciacca (né par hasard en Allemagne) et d’un militaire réformé de l’Oklahoma, Justin Echols ? D’autant que l’histoire de chacun ne ressortit pas de l’évidence.
Justin rêvait de gloire militaire et de décorations dans l’armée lorsqu’un accident malheureux mit un terme à ses ambitions. Réformé, il se console sur un piano. Suffisamment pour acquérir une notoriété locale. Il va trouver Wynton Marsalis au Lincoln Center, qui constatant ses dispositions l’oriente et le confie aux bons soins d’Antonio Ciacca, son adjoint, directeur de la programmation de l’institution et également professeur à la Julliard School.
Antonio, lui, est né en 1969 en Westphalie dans une famille originaire d’un petit village du sud de l’Italie. Celle-ci y jouait du folklore à l’accordéon pour animer des manifestations de danses locales. S’intéressant à la musique, il commence le piano à 13 ans. Mais comme beaucoup d’adolescents italiens, il rêve de gloire footballistique jusqu’à devenir adolescent footballeur semi-professionnel. Au lycée, en découvrant les sciences, il s’imagine ingénieur. Mais ayant poursuivi sa formation musicale classique au Conservatoire de Bologne, il en sort avec un diplôme de musique contemporaine. Et découvrant le jazz, vers la fin des années 1980 il s’adresse également à Wynton…
Just... in Time
est donc l’aboutissement de parcours singuliers de deux musiciens que rien ne semblait un jour pouvoir réunir, si ce n’est, d’une part, le rayonnement personnel d’un musicien de jazz d’exception, conjugué d’autre part, à la création d’une institution, privée certes mais à vocation publique, le Lincoln Center Jazz Orchestra, dotée d’une formidable puissance d’intégration. Ce rôle de révélateur de talents et d’aide à leur épanouissement n’est pas le moindre des nombreux apports qu’a permis ce type d’institution pour la reconnaissance et la diffusion de cette musique comme composante du patrimoine de la civilisation américaine. En effet, manifestation identitaire emblématique de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, le jazz marginal libertaire, individualiste, voire anarchiste, s’est rendu aux indispensables nécessités de l’organisation politique collective imposées par les évènements de l’histoire pour les besoins de sa cause : la conservation et la survie de la mémoire artistique collective de la communauté noire du pays sortie vainqueur dans sa lutte pour la conquête des Civil Rights.
Mises à part les deux pièces originales des deux leaders composées pour les besoins de la séance, le programme de cet album est constitué d’evergreen, classiques du jazz et standards de Tin Pan Alley, écrits entre 1928 (« If I Had You ») et 1956 (« Just in Time »). Leurs interprétations respectent les thèmes originaux et s’inscrivent pour l’essentiel dans la tradition d’un jazz classique bien maîtrisé. Ce volume découvre des musiciens qui ne sont plus tout jeunes (autour de la quarantaine) ayant en commun d’avoir accédé au statut de musiciens de jazz patentés dans le giron et avec l’aide du Lincoln Center vers la fin des années 1990. Justin Echols s’inscrit dans la tradition des chanteurs du début des années 1940, de Nat King Cole à Eddie « Cleanhead » Vinson, qu’il évoque dans le seul blues de l’album (« Wallys »), une composition originale. Ciacca connaît la littérature jazzique qu’il donne la sensation de prolonger avec une musicalité (dans le toucher - « Love Is Here to Stay ») et une respiration très newyorkaises dans sa façon de traiter la séquence musicale. Andy Farber est un ténor solide, possédant un registre large, apportant beaucoup de dynamisme dans ses interventions. Joe Cohn (le fils d’Al Cohn) fait montre d’un réel talent, dans l’accompagnement léger et dans ses solos bien construits. Paul Gill assure une ligne de basse impeccable et ses solos à l’archet (« Just in Time ») pizzicato (« Dany My Dear ») sont simples mais excellents. Quant à Pete Van Nostrand (dm), il est bien dans l’esprit de ce style de musique et ses interventions (4/4 dans « Don't Get Around Much Anymore ») sont irréprochables.
Just... in Time
est un bon disque, agréable à entendre et à écouter. Le swing et le chabada sont des denrées rares par les temps qui courent.
Félix W. Sportis

George Colligan
The Facts

Blue State, Whadya Looking At ? Missing, Miriam Edwards New York Accent, Pup Pup, The Facts, Lydian Domination, Steppin’ Out

George Colligan (p), Jaleel Shaw (as), Boris Kozlov (b), Donald Edwards (dm)
Enregistré en octobre 2011, lieu non précisé

Durée : 1h 05' 55''

Steeplechase 31752 (www.steeplechase.dk)

L’identité musicale de George Colligan n’a pas toujours été facile à saisir. Il a joué dans le Mingus Big Band, avec Phil Woods, Gary Thomas, Jack DeJohnette, Steve Wilson, Kurt Rosenwinkel, Chris McBride, Benny Golson, Mark Turner… Désormais enseignant et multi-instrumentiste (trompette, batterie, mélodica), il semble avoir aujourd’hui orienté sa musique dans l’esprit d’unstraigh-ahead contemporain influencé par Hancock, Corea et Miles. Cet album bénéficie de la somptueuse présence de Donald Edwards, un de ces batteurs qui savent conjuguer le muscle et les couleurs. La vigueur de Boris Kozlov n’est pas négligeable non plus. Ils apportent un élan rythmique que le pianiste ne génère pas toujours à lui seul. Quant à Jaleel Shaw (Roy Haynes quartet), son âpreté poétique dans l’esprit de Gary Bartz est décisive pour le grain de lyrisme râblé nécessaire à cette musique. Les deux morceaux en 5/4 (« Whadya Looking At ? » et « Pup Pup ») conjuguent joliment une certaine grâce et une indéniable puissance. La version de « Steppin’ Out » de Joe Jackson est à la fois littérale et jazzifiée avec beaucoup de verve. Il semble que George Colligan sache avec beaucoup de pertinence où il va, sans prétention mais avec application.

Jean Szlamowicz

Echoes of Swing
Blue Pepper

Titres communiqués sur le livret

Colin Dawson (tp, voc), Chris Hopkins (as), Bernd Lhotzky (p), Oliver Mewes (dm)
Enregistré du 25 au 27 mai 2013, Kefermarkt (Autriche)
Durée : 52' 53''
ACT 9102-2 (Harmonia Mundi)


Nous avions apprécié le précédent album, Message From Mars, qu’il nous soit permis (car nous ne sommes pas là dans l'effet mode) d’aimer cette récidive par ce quartet fondé en 1997 (mais toujours ignoré des « spécialistes » français). Le choix des thèmes, des originaux (Dawson, Hopkins, Lhotzky) ou peu joués, proposé dans un ordre intelligent (on commence et on finit par Duke) est un atout. Mais encore, les arrangements et la façon de les jouer constituent l’autre pôle d’intérêt. Colin Dawson a rarement joué de la trompette avec autant de drive que dans ce « Blue Pepper » d’Ellington (le Duke sonne très « moderne » aujourd’hui encore). Mais il chante aussi avec sensibilité, à la Harry Connick Jr (« Blue River ») ou surtout Chet Baker (« Blue Prelude » de Joe Bishop, « Blue Gardenia » avec en prime un alto genre Benny Carter). Chris Hopkins a un style chantant dont on a perdu l’habitude aujourd’hui (« La Paloma Azul ») mais sait aussi jouer strictement bop (« Blue & Naughty » de sa plume). Oliver Mewes est mis en valeur dans « Out of the Blue » de Lhotzky. Bien sûr Bernd Lhotzky est un remarquable pianiste (« Blue Moon » exposé en wa-wa par Dawson, « Aoi Sanmyaku », etc). Et enfin, le groupe sait restituer l’esprit du combo John Kirby : « Azzurro » de Paolo Conte, « Black Stick Blues » de Bechet, « Wild Cat Blues » de Fats Waller. Inutile d’en dire plus, c’est une friandise pour connaisseurs.
Michel Laplace

Roby Supersax Edwards
Copacetic

Mercy Mercy Mercy, Driftin’, Purple Wail, Minha Saudade, Come Rain or Come Shine, Alias, Better Go, If Its Magic, Kidney Stew, Soultrane, Only You
Roby Supersax Edwards (ts, voc), Sweet Screamin' Jones (bs, as, voc), Pierre Le Bot (p), Philippe Dardelle (b), Jean-Pierre Chesne (dm), Virginia Edwards (voc)

Enregistré les 19 & 20 octobre 2012, Lanmodez (22)

Durée : 59' 30''

Black & Blue 774.2 (Socadisc)

Pittsburgh (Pennsylvanie) est une ville qui a donné beaucoup de très grands musiciens (Earl Hines, Ray Brown, Art Blakey, Jeff Tain Watts, Billy Strayhorn et bien d'autres !). Comme tous ses prédécesseurs, c’est à l’étranger, et en Europe principalement, que Roby Supersax Edwards a gagné la reconnaissance de son talent. A moins de 40 ans, il nous donne un album digne de ses illustres devanciers.

Le programme de cet opus présente l’originalité de puiser dans le répertoire qui fit le succès de la musique populaire américaine durant les trente ans de l’immédiat Après-guerre (1946-1976). Et l’interprétation de ces thèmes mémorables présente l’originalité et l’intérêt de l’être dans l’esprit de l’époque mais actualisé. Il ne s’agit donc pas d’un facsimilé mais bien d’une relecture respectueuse d’une époque. Nous retrouvons les tubes (« Mercy 3 », « Driftin’ », « Kidney Stew ») et les saucissons (« Only You ») qui firent danser et flirter toute la génération du babyboum. Premiers émois des papys et mamys boomers, qui se régaleront donc en repensant à leurs conquêtes et à leurs défaites en une période où la pilule et l’IVG n’étaient pas encore entrées dans les mœurs.
La version de « Mercy » (Joe Zawinul, 1966), différente de celle de Cannonball Adderley, mais particulièrement réussie, donne le ton à l’album. La composition d’Herbie Hancock, « Driftin’ » (1962), enchaîne dans le même esprit. Il convient également de retenir « Better Go » (Ben Webster, 1962) et surtout le titre emblématique de Cleanhead Vinson, « Kidney Stew » (1947) dont le chase avec Screamin’ Jones. La composition d’Edwards, « Alias », est d’une belle intensité. Mais ce Copacetic vaut par une interprétation superbe toute en retenue de la ballade de Tadd Dameron,  « Soultrane » (1956) ; Roby y démontre son immense talent de saxophoniste ténor qui demande à se concrétiser. Son style n’est pas sans évoquer la tradition des shootersde la fin des années 1940 et 1950 : Hal Singer des débuts, Arnett Cobb, Eddie Chamblee… Sweet Screamin’ Jones, alias Yannick Grimault, façon Earl Bostic ou Louis Jordan selon les thèmes, lui donne la réplique, avec beaucoup de compétence et d’intelligence sur ce type de répertoire. L’apparition de Virginia Edwards est bienvenue dans le morceau écrit par Cleanhead. Mais cette réussite doit beaucoup à l’excellente section rythmique qui les accompagne. Le contrebassiste, Philippe Dardelle maintenant âgé de 55 ans, qui a fait ses classes avec Jean-François Jenny-Clarke, a longtemps travaillé avec Christian Vander (1988-1996) ; il a monté le groupe Heat Wave en 1992 et si le personnel a beaucoup changé depuis, Sweet Screamin’faisait déjà partie de cette formation de soul music. Pierre Chesne n’est plus tout jeune également ; cet admirateur de Kenny Clarke qui, after hours, ne manquait jamais l’occasion d’une « prothèse » jazzique pendant son activité professionnelle, s’adonne sans retenue et avec beaucoup de réussite à ses passions juvéniles depuis qu’il est en retraite. Le troisième larron, Pierre Le Bot, est le benjamin de l’équipe, 38 ans. Après un début précoce, qui le vit à 15 ans fréquenter la scène jazz toulousaine, il "monta' à Paris en 1998, jouant aux côtés de Guillaume Nouaux, Jérôme Etchéberry, Sébastien Girardot, etc. Dans cet album, ce pianiste évoque souvent Ray Bryant : dynamique et mise en place irréprochables !

Copacetic s’inscrit dans la continuité de Cookin’ With Friends, publié sous le nom de Sweet Screamin’ Jones (Jazz Hot N° 663), enregistré trois mois avant. Le livret de l’album, écrit par le leader de cette session, se termine par « Affectueusement à bientôt ». Cette dédicace peu commune, qui illustre parfaitement la teneur de ce copacetic (terme utilisé dans le jive, notamment à Harlem, depuis les années 1920 : il signifie excellent, formidable, fantastique avec la connotation « d’Enfer » !) album de musique totalement reliée à ses racines, est de bon augure.
Félix W. Sportis

Eliane Elias
I Thought About You

I Thought About You, There Will Never Be Another You, This Can’t Be Love, Embraceable You, That Old Feeling, Everything Depends on You, I’ve Never Been in Love Before, Let’s Get Lost, You Don’t Know What Love Is, Blue Room, Just Friends, Girl Talk, Just in Time, I Get Along Without You Very Well
Elian Ellias (p, voc), Randy Brecker (tp, flg), Marc Johnson (b), Steve Gardenas, Oscar Castro Neves (g), Victor Lewis, Rafael Barata (dm), Marivaldo Dos Santos (perc)
Enregistré en 2013, New York
Durée : 54' 47''
Concord Jazz 0888072341913 (Universal)


Tout autant qu’à Chet Baker auquel il est dédié, le dernier disque de la chanteuse et pianiste Eliane Elias fait penser à la maîtrise du grand Nat King Cole. Chevaux de bataille du répertoire du si déchirant trompettiste et chanteur, ces quatorze standards sont, en effet, interprétés dans les règles de l’art, sans afféteries ni précipitation. Le plus souvent sur tempi moyens, et selon des arrangements limpides de légèreté, la voix fluide d’Eliane Elias contraste avec les fulgurances de son jeu de piano auxquelles répondent des parties de guitare d’une grande élégance. Batterie et percussions jouent tout en retenue, les lignes de basse sont un modèle du genre, et les quelques interventions fort brillantes du bugle ou de la trompette restent toutefois discrètes et demeurent tout à fait dans la manière suave et sensuelle de Chet Baker. Rien de révolutionnaire, certes, l’univers est connu, mais n’est-ce pas aussi une des qualités du jazz, quand il est joué à ce niveau d’excellence, de permettre de temps à autres de retrouver quelques moments de grâce et de plénitude.
Daniel Chauvet

Chico Hamilton
The Inquiring Mind

Chico Hamilton (dm), Paul Ramasey (elb), Evan Schwan (ts,as, ss, bs, fl, voc), Jérémy Carlstedt (dm, perc, voc), Nick Demopoulos (g, voc), Mayu Sacki (fl, afl, voc) + George Bohanon (tb), Jimmy Owens (flh, tp)
Joy of Spring, Money Wish, Up to You, Perdido, Hope, Who knows?, Nice lick, Cho=Chico Hamilton Organization, Nate’s night, Tone Poem, 534 Play, Out of Sight out of Mind, Gateway to the Inquiring Mind, If Tomorrow Never Comes Where is Today, Reluctant, Albert’s Tune, Nate Sure, No Wheels, Any Space in Time
Enregistré octobre 2013, New York
Durée : 1h 03' 02''
Joyous Shout 10016 (www.joyousshout.com)

The Inquiring Mind marque le point final de la carrière du batteur Chico Hamilton, décédé en novembre 2013 (Jazz Hot n°665). Hamilton y propose onze de ses compositions, six de ses partenaires et l’excellence de Juan Tizol « Perdido ».

Certes la belle époque du batteur se situe dans la première moitié des années cinquante lorsqu’il est le sideman de Gerry Mulligan, de Chet Baker ou encore lorsqu’il organise à la fin de la même décennie son quintet sans piano avec successivement des pointures comme Jim Hall (g), E. Dolphy, C. Lloyd… mais tout au long de sa carrière le Chico n’a cessé de questionner la musique et de provoquer la surprise. Ce dernier enregistrement devra donc être placé comme une nouvelle et dernière pierre à l’édifice Hamilton. Doit-on être surpris de constater que le drummer n’a en rien perdu de sa puissance, de sa finesse et du sens du rythme ? A plus de 80 ans on pourrait penser à une baisse de dynamisme. Ce n’est pas le cas. Chico emmène ses partenaires d’un pas alerte. On a plaisir à écouter ce disque très personnel dans lequel se distingue aussi Evan Schwam, compagnon de Chico depuis plus de dix ans qui s’exprime sur toute la gamme des saxophones et même à la flûte. Document d’histoire : sans doute les dernières paroles enregistrées de Chico Hamilton, une minute vingt de « Gateway to the Inquiring Mind ».
Patrick Dalmace

ScoCliquez sur la pochette pour écouter ce disquett Hamilton / Dany Doriz
Scott Hamilton Plays With the Dany Doriz Caveau de la Huchette Orchestra

Slipped Disc, Dropsy, Cotton Tail, Amen, Hershey Bar, Air Mail Special, Que reste-t-il de nos amours ?, Place du Tertre, Cherokee, Fanfreluche, Race Point
Scott Hamilton (ts), Dany Doriz (vib), Philippe Duchemin (p), Patricia Lebeugle (b), Didier Dorise (dm) + Ronald Baker (tp, voc), Marc Fosset (g)

Enregistré en 2013, Paris

Durée : 1h 04'

Frémeaux & Associés 599 (Socadisc)

Scott Hamilton vient se produire régulièrement à Paris, au Caveau de la Huchette, et participe aux tournées estivales des artistes gravitant autour de Dany Doriz (l'été 2014 ne fait d'ailleurs pas exception) depuis de nombreuses années. Le vibraphoniste et le ténor partagent ainsi une vieille complicité, rencontre de deux parcours sur le terrain commun du swing, qui se trouve enfin gravée, sinon dans le marbre, dans les sillons de cet album que le patron du Caveau a pris l'initiative de produire et de sortir sur le label de Patrick Frémeaux. Originaire de Providence (New York), baigné dans le jazz dès le plus jeune âge, cornaqué par Roy Eldridge, Scott Hamilton (Jazz Hot n°635) est de cette école de musiciens américains – non afro-américains – qui, dès le début de leur carrière, se sont inscrit dans la tradition du jazz (Warren & Allan Vaché, Ken Peplowski, etc.) quand les musiciens de leur génération expérimentaient le free jazz ou la fusion. Une filiation directe avec les grands maîtres qui le lie de fait à Dany Doriz (Jazz Hot n°543), disciple adoubé de Lionel Hampton, bien que né de l'autre côté de l'Atlantique et ayant suivi une formation classique avant de basculer dans le jazz (comme la plupart des jazzmen français). A ce stade de leur carrière, Hamilton comme Doriz se sont imposés comme les représentants parmi les plus importants de leur instrument, même si le second – du fait de sa nationalité et du mépris imbécile des élites culturelles françaises pour le jazz de répertoire – ne bénéficie pas de toute la reconnaissance qu'il mérite.
Autour de ces deux personnages, on retrouve le « Caveau de la Huchette Orchestra », soit la rythmique habituelle de Dany Doriz (Philippe Duchemin, Patricia Lebeugle et son fils Didier Dorise) et deux invités familiers du vibraphoniste : Ronald Baker (excellent de tonicité sur « Cotton Tail » et « Race Point ») et Marc Fosset (tout en finesse sur « Amen » et « Hershey Bar »). Bien qu'enregistré en studio, le disque reste proche de l'esprit des concerts d'Hamilton et Doriz et se pose donc comme un témoignage fidèle de leur collaboration, ce qui est l'un de ses principaux atouts. D'entrée, avec « Slipped Disc », on se retrouve transporté au Caveau de la Huchette ou sur la scène du festival de Langourla ou de Corbeil-Essonnes. L'attaque de Doriz nous saisit dès les premières notes, la suavité d'Hamilton nous enrobe et nous lâche plus. Rien de poussiéreux dans l'évocation des standards (sept titres sur onze), mais un swing plein d'énergie, un dialogue savoureux et des interprètes qui s'amusent. Le vibraphone colore chaque morceau avec nuance tandis que le son merveilleusement rond du ténor développe une extraordinaire intensité narrative, en particulier sur « Que reste-t-il de nos amours ? », morceau de bravoure, où Hamilton démontre qu'il est du cuivre dont on fait les Ben Webster et autres Coleman Hawkins. Et de nous faire ainsi oublier Trénet comme jadis Don Byas rendit « Laura » plus célèbre que le film d'Otto Preminger. Quand à la rythmique, elle sert les solistes impeccablement (toujours de jolis tricotages pianistiques de Duchemin, en osmose avec Hamilton sur « Que reste-t-il... »), tandis que les invités apportent un véritable supplément d'âme.
Du jazz de très haut niveau où la créativité des musiciens se nourrit de la tradition en la renouvelant. A diffuser d'urgence dans les écoles de jazz...
Jérôme Partage

Tim Hegarty
Tribute

A New Blue, Amsterdam After Dark, Simone, Ineffable, New Picture, Not to Worry, Low Profile, Gingerbread Boy, Pannonica, Inner Urge
Tim Hegarty (ts, ss), Mark Sherman (vib), Kenny Barron (p), Rufus Reid (b), Carl Allen (dm)
Enregistré le 20 août 2013, Hampton (New Jersey)
Durée : 1h 10' 28''
Miles High Records 8623 (www.mileshighrecords.com)


L’hommage de Tim Hegarty porte sur les saxophonistes qui l’ont inspiré et avec qui il a étudié. Même sans ce lien personnel, les morceaux qu’il reprend sont des classiques qui méritent d’être entendus tant il s’agit de superbes compositions pour l’expression des musiciens. C’est d’ailleurs là tout le propos de la composition dans le jazz : être à la fois une expression personnelle et participer d’un langage partageable. Au moins autant qu’un tribute, c’est donc un partage que propose Tim Hegarty et son très robuste ténor. On parcourt donc notamment les compositions de George Coleman (« Amsterdam After Dark »), Jimmy Heath (« A New Blue », « Ineffable », « New Picture »), Frank Foster (« Simone »), Joe Henderson (« Inner Urge »). Michael Brecker est également une présence qui, pour être implicite, n’en est pas moins forte. La sonorité de ténor de Hegarty renvoie aussi à la virilité moelleuse de Dexter Gordon et Sonny Rollins. Il possède beaucoup de présence, d’agilité rythmique et de lyrisme funky. Pour interpréter des joyaux comme la valse « Simone » ou le mystérieux « Amsterdam After Dark », on ne pouvait rêver mieux qu’une rythmique qui donne au mot perfection une nouvelle incarnation. On sait depuis de longues années que Kenny Barron est un sommet de musicalité, c’est également vrai quand il est accompagnateur où il valorise le soliste sans renoncer à sa propre vitalité. De même, Rufus Reid possède une présence et une sonorité qu’il utilise pour la lisibilité collective et Carl Allen sait faire preuve d’énergie sans verser dans l’excès. Proche de Bobby Hutcherson, Mark Sherman (qui produit également l’album) apporte une touche de couleur rafraîchissante (comme sur l’attendrissant « New Picture », une réussite sonore). L’aisance et l’intensité, la maîtrise et la musicalité : que demander de plus ?
Jean Szlamowicz

DVD : Cliquez sur la pochette pour visionner un extrait de ce DVDAntoine Hervé
La Leçon de jazz : Keith Jarrett

Long As You Know, You’re Living Yours, Fortune Smiles, Coral, Köln part IIc, Spiral Dance, The Windup, Don’t Ever Leave Me, Bregenz part I, Köln part IIa, Bregenz part II, Stella By Starlight, Over the Rainbow, Basin Street Blues, My Song, Variations in Jazz
Antoine Hervé (p)
Durée 1 h 38'
Enregistré à Grenoble (38)
RV Productions 122 (Harmonia Mundi)

En public, et seul au piano, Antoine Hervé, dont la réputation musicale n'est plus à faire, se propose d'analyser, commenter et démontrer avec beaucoup d'admiration et d'humour, et un grand sens de la pédagogie, les subtilités et l'originalité du jeu de piano de Keith Jarrett à travers quelques unes de ses œuvres les plus marquantes. La presque totalité des interventions étant filmées en contre-plongée sur le clavier, elles raviront les pianistes amateurs, qui n'ont pas eu la chance de fréquenter les classes de jazz des conservatoires, même s'il existe par ailleurs dans le commerce, de nombreuses transcriptions écrites des disques de Jarrett.

Retraçant tout d'abord la carrière précoce du pianiste et compositeur, il parcourt plusieurs étapes de son oeuvre en commençant par la période, encore marquée très "rock", des duos avec Gary Burton, en jouant un medley de « Long As You Know, Fortune Smiles, et Coral » trois thèmes des années 70.
Puis il évoque « Facing You », premier de la longue série des mémorables concerts en solo, enregistrés pour ECM. S'intéressant ensuite au célèbre Köln Concert, il insiste alors sur l'énergie, et le feeling déployés par Jarrett dans cette entreprise, où, souvent installés à la main gauche à la manière d'un ensemble de bongos et de congas,les rythmes sont repris à la main droite par des "notes fantômes", tandis que ce qui reste de doigts libres s'emploie à l'improvisation, à la manière d'un Rakhmaninov façon "rock'n'roll".

La répétition de courtes cellules mélodiques, les chromatismes imbriqués, le souci de faire chanter le piano, la relation fusionnelle avec l'instrument par une gestuelle exubérante à la recherche de "l'énergie", où, les pieds ancrés dans le sol, le buste courbé au dessus des cordes il fait littéralement corps avec le piano, tout cela est lumineusement expliqué. Pour la période du « quartet européen » avec Jan Garbarek, le musicien-conférencier s'attache à décortiquer finement dans « Spiral Dance » et « The Wind Up », les formules rythmiques les plus complexes et l'utilisation des modes pentatoniques propres au style de Jarrett.

Passant ensuite à la longue saga (déjà plus de trente ans d'existence) du trio « Standards », (avec Gary Peacock et Jack DeJohnette), Antoine Hervé insiste à nouveau sur la dynamique et le toucher particulier déployés pour les phrases « en cloche » (lorsque les notes attaquées avec vigueur, semblent comme disparaître puis revenir). Il relève les accords "parfaits" hérités de l'univers médiéval et baroque que Jarrett semble bien connaître, ainsi que l'influence de Bach, Debussy, Ravel, et même celle des rythmiques particulières des gamelans balinais sur son jeu, sans oublier sa filiation avec le pianiste Paul Bley.

Avant de conclure avec le célébrissime thème de « My Song », les enrichissements harmoniques de la grille d'accords bien connue de « Over the Rainbow » et une interprétation magnifique de « My Romance », Antoine Hervé nous livre (pour « Stella By Starlight ») une fine analyse d'une des bottes secrètes de Jarrett. Celle-là même qui fascine les spectateurs les plus assidus de tous ses concerts en trio qui se livrent alors, pendant quelques secondes, au petit jeu de « qui trouvera le premier »...le nom du morceau avant la fin de son "introduction". Jarrett s'ingénie souvent alors, à dissimuler le thème par de multiples ruses faites de variations rythmiques et d'harmonies mystérieuses, jusqu'à ce qu'enfin, après quelques mesures, deux ou trois petites notes ne mettent fin au suspense. Alors, le bassiste et le batteur, peut-être plongés eux aussi jusque là dans la même expectative, rejoignent enfin le pianiste une fois thème , tempo et tonalité révélés, pour un développement lui aussi riche de surprises. Magistrale démonstration qui rend à elle seule ce DVD incontournable. Absolument passionnant !

Daniel Chauvet

Abdullah Ibrahim
Mukashi / Once Upon a Time

Mukashi, Dream Time, The Stars will Remember, Serenity, Mississippi, Peace, Matzikama, Cara Mia, Root, Trace Elements for Monk, Krotoa - Crystal Clear, Krotoa-Devotion, Krotoa-Endurance, In the Evening, Essence, The Balance
Abdullah Ibrahim (p, fl, voc), Cleave Guyton (fl, cl, sax), Eugen Bazijan (cello), Scott Roller (cello)
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée : 56' 46''
Intuition Records 3431-2 (Socadisc)


Abdullah Ibrahim partage avec Thelonious Monk, ici évoqué, non seulement le fait de pratiquer le piano mais aussi de construire des atmosphères envoûtantes, fondées sur une manière personnelle d’aborder l’instrument, mais aussi sur la reprise de thèmes originaux souvent joués. La comparaison s’arrête là, car le génie de Monk est sans équivalent, que ses compositions sont d’une originalité et d’une complexité exceptionnelles et que son expression se fonde sur une virtuosité hors norme bien qu’il ait fallu à certains des années pour s’en rendre compte. Chez Abdullah Ibrahim, les moyens sont plus limités, et avec intelligence, il utilise davantage les modes, l’exotisme ou le rêve des origines africaines et une sorte de permanence du tempo (de medium à lent) pour créer cet envoûtement.
Le résultat est séduisant parfois passionnant, et l’alliage des flûtes, de la voix et du piano, plus ici de deux violoncelles ajoute ici à cette construction toujours aussi originale après plus d’un demi-siècle. Ibrahim Abdullah sait aussi que la force de son message est là, et ses concerts, joués sans interruption, confirme cette volonté de méditation autour du message musical. L’étonnant est qu’il introduit dans ce registre une modernité harmonique ancrée dans le jazz qui se marie à merveille avec l’évocation des paradis perdus africains.
Abdullah Ibrahim possède donc un savoir-faire certain et a su créer son langage auquel il est resté fidèle depuis toujours, et c’est ce qui en fait un artiste authentique, attachant délivrant une belle musique toujours très ouverte à tous les publics et sans complaisance. Mukashi, une sorte de récit comme le titre l’indique, est donc comme souvent avec Abdullah, un beau voyage, l’excellent Cleave Guyton qui à joué avec le gotha du jazz (les big bands de Ray Charles, Lionel Hampton, Count Basie, Duke Ellington, Mingus, mais aussi Joe Henderson, Nat Adderley, Dizzy Gillespie, etc.) apportant son grand talent à cet opus.
Yves Sportis

Keith Jarrett / Gary Peacock / Jack DeJohnette
Somewhere

Deep Space, Solar, Stars Fell on Alabama, Between the Devil and the Deep Blue Sea, Somewhere, Everywhere Tonight, I Thought About You

Keith Jarrett (p), Gary Peacock (b), Jack DeJohnette (dm)
Enregistré le 11 juillet 2009, Lucerne (Suisse)

Durée : 1h 05' 32''

ECM 2200 276 6370 (Universal)


Le fameux trio de Keith Jarrett, expert es « défense et illustration des standards de l’American Song Book », fête ses trente ans d’existence. Pour célébrer l’événement, c’est curieusement l’enregistrement d’un concert de 2009 à Lucerne qui a été choisi. Il est vrai que pour qui a assisté aux concerts du trio depuis de nombreuses années au Festival de Juan-les-Pins – où il s’est produit 22 fois depuis 1985 – il est possible de trouver à celui-ci plus de charmes qu’aux plus récents (manquant parfois un peu d’enthousiasme). Quoi qu’il en soit, le présent CD s’écoute avec un vrai plaisir. L’envie de jouer est bien palpable (heureux Suisses), personne n’avait sûrement osé essayer de photographier le maître avant le concert et l’échantillon de pianos Steinway qui lui étaient proposés avait dû le satisfaire…Pas de mouettes rieuses, pas de passage d’avion intempestifs, pas de bourrasques, ni de bruits de vagues parasites, la prise de son est parfaite. Toujours très mystérieuse, l’introduction en solo de chaque thème propose plusieurs pistes. Cela fait partie du rituel, comme une sorte de jeu entre le pianiste et l’auditeur (et peut-être aussi entre lui et ses propres accompagnateurs, à qui il n’annonce jamais le titre du morceau, ni le ton, ni le tempo). Pendant quelques mesures, les paris sont ouverts pour reconnaître le thème (les vainqueurs ne gagneront que l’estime de leurs pairs). Enfin, cela devient plus limpide et, alors, tout s’enchaîne : exposition du thème dûment identifié, impros de piano, impros de basse (parfois, mais pas toujours), 4/4 de batterie (pas systématiquement non plus, et encore plus rarement de chorus complet), retour au thème, et coda plus ou moins acrobatique et toujours inattendue, qui, parfois, surprise, se transforme en nouveau morceau en forme de tournerie à vocation hypnotique sur deux accords (« Somewhere ») Cela peut durer ainsi suivant l’inspiration du moment jusqu’à une bonne vingtaine de minutes… Quasi magique, la recette suscite chaque fois l’enchantement, et cela depuis trente ans, pourquoi en changer ?
Daniel Chauvet

TCliquez sur la pochette pour écouter ce disqueom Kennedy
Just Play !

Airegin, Moanin’, The Night has a Thousand Eyes, Ceora, One Liners, In a Sentimental Mood, Bolivia, In Your Own Sweey Way, What Is This Thing Called Love

Tom Kennedy (b), George Garzone, Steve Wirts (ts), Tim Hagans (tp), John Allred (tb), Mike Stern, Lee Ritenour (g), Renee Rosnes (p), Dave Weckl (dm)
Enregistré en septembre 2012, New York
Durée : 1h 14' 07''
Capri Records 74122-2 (http://caprirecords.com)


Le titre de l’album du contrebassiste Tom Kennedy étant tiré d’une citation de Charlie Parker « master your instrument, master the music…and just play », les objectifs sont d’emblée revendiqués, et la barre très haut placée. Forfanterie ? Que nenni. Dès les premières mesures du premier morceau l’auditeur est soufflé ! Pour jouer, ça joue! Le répertoire est pourtant bien connu, ces thèmes de Rollins, Bobby Timmons, Freddy Hubbard, ou Cedar Walton sont devenus des classiques, étudiés dans les écoles, presque autant que ceux d’Ellington, de Cole Porter, ou de Brubeck qui complètent le tableau, sauf qu’il ne s’agit pas ici d’un bœuf entre amis… Pas de fanfaronnade, on est dans l’engagement absolu. Une fine touche d’originalité dans les arrangements suffit à "rafraîchir" les thèmes sans les dénaturer : « In a Sentimental Mood » à la mode bebop, « In Your Own Sweet Way » métamorphosé par un traitement up tempo à la McCoy Tyner ou « What Is This Thing Called Love» exposé façon tango par exemple. Mais le plus enthousiasmant tout au long du disque, c’est la dynamique constamment entretenue par les lignes d’une contrebasse d’une fougue imperturbable, d’une justesse et d’une énergie proprement ahurissantes.
Pas de doute, le patron, c’est le bassiste ! Il lui arrive même de ne pas pouvoir se retenir de jouer pendant les chorus de batterie, et ses soli sont de véritables tours de force. Revendiquant lui aussi l’héritage de Ray Brown, il peut, c’est sûr, jouer dans la cour des grands avec d’autres héritiers du grand maître comme Charnett Moffett et autre Christian McBride…Quant à ses comparses, tous de la même trempe, brillants, inspirés, généreux, le plaisir qu’ils ont pris à participer à cet enregistrement s’impose comme une évidence, et le résultat n’en est que plus réjouissant.
Daniel Chauvet

François Lemonnier / Raphaël Lemonnier
Come Again

Saint James Infirmary Blues, Oscarina, Nostalgia in Time Square, Chau Paris, Flying to Shangaï, Shanghaï Ducks, Come Again, Prélude, I Remember Clifford, Escargoiseau Blues, Lady Ga, 'Round Midnight
François Lemonnier (tb), Raphaël Lemonnier (p)
Durée : 52' 28''
Enregistré en septembre 2012, Pernes-les-Fontaines (84)
Blue Marge 1015 (http://futuramarge.free.fr)


François et Raphaël Lemonnier portent le même patronyme et cependant, ils n'ont aucun lien de parenté. Leur parcours musical est également différent. Raphaël Lemonnier a étudié le piano, puis est allé compléter sa formation à New York avec Jacky Byard écumant les clubs et les jam-sessions de la ville avant d'être le partenaire de China Moses pour le projet où tous deux font revivre la musique de Dinah Washington. François Lemonnier a suivi un chemin très différent. Après des débuts au piano il est sollicité pour adopter le trombone car il en manque dans l'orchestre. Il choisit donc cet instrument pour ne plus le quitter. Toute sa carrière il joue aussi bien du jazz que du classique, de la musique contemporaine et improvisée. Tromboniste tout terrain, il avoue être de plus en plus impliqué dans le jazz.
Le choix du répertoire donne une belle indication sur la voie suivie par les deux musiciens. Quatre standards de jazz très connus, quatre compositions de François Lemonnier et une de Raphaël Lemonnier, une pièce pour luth de John Dowland, et deux thèmes d'Amérique Latine montrent la diversité des chemins empruntés par les deux musiciens. « Saint James Infirmary Blues » donne d'emblée le ton : après une introduction qui ouvre la voie à des musique nomades, le blues reprend ses droits. Tandis que le tromboniste développe de superbes mélodies, c'est du côté du swing que le pianiste ramène obstinément la musique sans toutefois qu'il y ait de hiatus entre les deux musiciens. Très différentes les personnalité se complètent déjà par une incomparable qualité d'écoute mutuelle. Après deux thèmes sud américains sur lesquels flotte l'esprit d'Astor Piazzola, « Nostalgia in Time Square » rappelle Mingus où le trombone tenait une large place dans le son d'ensemble de ses formations. Mais ce sont surtout les aspects mélodiques que développe le tromboniste en particulier dans ses propres compositions. Sur « Escargoiseau Blues », croisement improbable entre un gastéropode et un volatile, François Lemonnier développe la mélodie de sa composition sans se priver de s'échapper vers des aspects rythmiques inattendus et son sens de l'humour se retrouve dans son jeu et ses compositions. Loin de se contenter d'accompagner Raphaël Lemonnier pousse son partenaire, suscite de nouvelles ouvertures, mais rappelle que tous deux sont des musiciens de jazz et réinstalle régulièrement le blues au centre du morceau. «'Round Midnight » illustre parfaitement le propos de John Coltrane qui n'improvisait pas sur une ballade porteuse d'une mélodie qui se suffit à elle même. Il reste à découvrir maintenant cette musique en concert pour mesurer la forte empathie des deux musiciens.
Guy Reynard

Samuel Lerner
Zomb(i)ebop

More Kicks, Let's Watch, Zomb (I) Ebop, I Can't Get Started, The Beast, Natasha, Walking With T, Roll On, Ballad, You'd Be so Nice to Come Home To
Samuel Lerner (p), Tal Ronen (b), Leroy Williams (dm)

Enregistré le 17 décembre 2012 à Paramus (New Jersey) et 15 octobre 2013 à Paris

Durée : 45' 14''

Black & Blue 786.2 (Socadisc)

Depuis une dizaine d’années, nombreux sont les jeunes musiciens français de jazz qui font le pèlerinage à la Jazz Mecca pour un séjour plus ou moins long dans l’effervescence troublante de Big Apple. On se souvient de Renaud Prenant (dm), de Thomas Bramerie (b), déjà dans les années 1990, de Xavier Richardeau (bs) au début des années 2000, d’Yves Brouqui (g), de Clovis Nicolas (b), plus récemment de Fabien Mary (tp) et de Laurent Courthaliac (p). Le phénomène mérite d’être mentionné eu égard au fait que cette démarche volontaire fut rare, et même rarissime, pendant la période (1946-1970) où le jazz connut sa petite heure de gloire dans notre pays ; seuls, les regrettés Georges Arvanitas et André Persiani tentèrent l’aventure américaine. Et, mis à part Michel Petrucciani et Jacky Terrasson pour des raisons spécifiques, les plus connus de nos artistes n’y firent en définitive que de brefs passages à l’occasion de tournées ou d’opérations ponctuelles (Stéphane Grappelli, Claude Bolling, Martial Solal).

Samuel Lerner s’inscrit donc dans la tendance récente, consistant à se rendre sur place « pour voir l’endroit et humer l’air des lieux ». Il n’était pas totalement en terrain inconnu ; il avait eu l’occasion, entre 3 et 8 ans, de séjourner aux Etats-Unis, dans une ville universitaire de l’Indiana, où son père, chercheur en mathématiques, participait à un programme. « Au départ, j’étais parti trois mois, pour explorer ; et puis, en participant à des jam sessions auSmalls, au Fat Cat… , l’évidente nécessité d’enregistrer un album est apparue ; New York est une ville qui génère une énergie assez rare. C’est ainsi que naquit le projet d’un album. D’autant que le prix de la séance de studio s’avère assez peu élevé et qu’il est permis de faire appel à beaucoup de musiciens qui possèdent tous la culture réelle et approfondie de cette musique. J’avais eu l’occasion de "bœufer" à plusieurs reprises avec Tal, que j’avais apprécié, et surtout avec Leroy qui est pour moi le batteur idéal pour la musique que je voulais enregistrer ».
Cet album comprend deux parties : les faces en trio, enregistrées en décembre 2012 et trois gravées en solo au studio 101 de la Maison de la Radio à Paris en octobre 2013. Particularité : les solos portent sur une seule composition originale et deux pièces déjà anciennes (de Vernon Duke et d’Elmo Hope) ; en revanche, les trios gravée à New York concernent des œuvres originales personnelles écrites à Paris dans l’année précédente.

L’originalité de Zomb(i)ebop tient à la manière dont est conçue la musique jouée. Contrairement aux pianistes de tradition européenne, qui l’élaborent sur la relation mélodie/harmonie, le rythme n’étant qu’un mode d’interprétation, la musique de Lerner est conçue à partir du rythme, l’élément mélodico-harmonique en devenant l’habillage d’une forme épurée et taillée à la serpe dans un traitement souvent atonal, ce qui ne manque pas d’en renforcer l’aspect cubiste. Le titre éponyme en est une excellente illustration mais également les autres, et même les pièces n’étant pas de lui (« I Can’t Get Started »). Le pianiste revendique sa filiation avec Elmo Hope, ce qui transparaît  par intermittences dans l’interprétation de sa composition « Ballad ». En revanche, sur les autres faces, le musicien est plus tourné vers un traitement musical  compositionnel où l’élément rythmique est premier. En sorte qu’il évoque au plan interprétatif Herbie Nichols dans « Walking With T », dans son solo sur « Roll on » (Elmo Hope – 1966) et dans la dernière face de l’album « You'd Be so Nice to Come Home to » (Cole Porter - 1947). Mais c’est surtout chez Thelonious Monk que sa manière puise l’essentiel de sa matière. Ainsi la thématique de « More Kicks » renvoie à « Bright Mississippi », celle de « Walking With T » à « Epistrophy »… L’auditeur ne sera que surpris de parentés qui sont des transpositions de l’univers monkien dans l’esthétique de notre temps.

Dans cet ensemble, au beau milieu de ce parcours jazzique en tout point formidable, se pose en intermède, une composition tout à fait surprenante, « Natasha ». J’ignore si le titre fut musicalement ou autrement incitatif, toujours est-il que cette pièce s’inscrit dans une esthétique authentiquement "russe" : le début, exposé en forme de déconstruction du thème, présente des analogies descriptives avec certaines pièces de Moussorgski (Tableaux d’une exposition). Et au tiers de la pièce le leitmotiv devient départ d’une partie aux accents jazz : intermède parisien ?

Pour ce résultat, le pianiste a choisi deux partenaires correspondant parfaitement à son objet : le bassiste, Tal Ronen, israélien à la trentaine bien sonnée, formé par Teddy Kling premier bassiste du Philharmonique d’Israël. Il a derrière lui d’avoir accompagné James Moody, Eric Alexander ou Max Roach en tournées en Israël. Il possède une belle et profonde sonorité ; sa ligne de basse simple et rigoureuse au plan rythmique est d’un grand classicisme dans le traitement harmonique. Elle assure une belle assise à cette musique qui n’est pas conventionnelle. Et ses chorusessont clairs et bien posés (« Ballad », (« You’d Be so Nice to Come Home to »). Quant à Leroy Williams, qui est né en 1937, il a le parcours d’un vieux briscard. Il a fait ses preuves auprès d’Anthony Braxton, Sonny Rollins, Al Cohn, Andrew Hill, Hank Mobley, Jimmy Raney… et surtout de Barry Harris, dont il est le batteur attitré. Sa mise en place est irréprochable (« Let's Watch ») et il ne se contente pas d’accompagner avec talent (aux balais brillamment dans « You’d Be so Nice to Come Home to ») ; il participe avec bonheur à l’élaboration des pièces (« Zomb(i)ebop », « Wlaking with T ») en donnant un dynamisme non dépourvu d’élégance à ses interventions.

Alors que je lui demandais la signification du titre éponyme de son album, Samuel Lerner m’indiqua que celui-ci était emprunté à l’imaginaire de la culture haïtienne, dans laquelle le zombie était une personne ayant perdu toute forme de conscience du réel, en l’espèce de ce que fut le bebop, mais qui tentait néanmoins d’en retrouver l’esprit : voyage en inconscient collectif ? Les créations humaines ne meurent jamais, fussent-elles opprimées ou interdites. Zomb(i)ebop swingue comme jamais. Cet album illustre la richesse des musiques de civilisation, du be-bop en l’espèce, de Monk en particulier. Après celui de Laurent Couthaliac, Pannonica, d’une orientation différente – tournée vers l’aspect interprétatif du bop –, cet opus met en évidence le caractère polymorphe que peut prendre la relecture intelligente d’un bel héritage culturel. Je puis vous assurer que, comme moi, vous passerez de beaux moments à écouter et réécouterZomb(i)ebop. Il y a matière.

Félix W. Sportis

Greg Lewis
Organ Monk : American Standard

Liza, Lulu's Back in Town, Nice Work if You Can Get It, Dinah, I Should Care, Tea for Two, Everything Happens to Me, Just a Gigolo, Don't Blame Me, Between the Devil and the Deep Blue Sea
Greg Lewis (org), Ron Jackson (g), Riley Mullins (tp), Reggie Woods (ts), Jeremy Bean Clemons (dm)
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée : 1h 15' 00''
Autoproduit (www.greglewismusic.com)


Un peu à la manière de George Adams (1989, America), Greg "Organ Monk" Lewis revisite et déconstruit certaines compositions qui ont traversé les époques et les styles pour s’imposer comme standards de la musique américaine. Ce choix correspond également à des morceaux qui faisaient partie du répertoire de Thelonious Monk. La vitalité frénétique de Greg Lewis est originale et permet une approche véritable rafraîchie de ces morceaux souvent entendus. Le grand défaut de ce disque est la rythmique proposée par Jeremy Bean Clemons dont le foisonnement prolifique relève de l’hystérie rythmique. L’écoute est véritablement gênée par cette profusion sonore qui perturbe le swing en ne laissant aucune respiration. Les présences de l’élégant Ron Jackson, qui aurait pu être davantage mis en valeur, et de l’impeccable Riley Mullins, sont des atouts. A l’instar de Brian Charette ou Sam Yahel, Greg Lewis tente de trouver une voie pour l’orgue qui ne soit ni celle du rhythm and blues, ni du langage de Jimmy Smith, imbattablement prolongé par Joey DeFrancesco. Le dilemme existe, mais la spontanéité créative devrait le résoudre et non la décision programmatique de "faire différent". Le parti pris monkien est assurément un peu trop systématique. Le surnom de Greg Lewis pourrait bien à cet égard, au lieu d’être une inspiration, devenir une mauvaise manie. Pour l’heure, cet album propose de bons moments et un enthousiasme difficile à nier.
Jean Szlamowicz

Allison Linde
Come On Up to the House

Shall We Dance, Devil May Care, Singing in the Rain, Moon River, Cheek to Cheek, Let’s Fall in Love, Les Parapluies de Cherbourg, Just One of Those Things, Skylark, Bewitched, I Won’t Dance, J’ai vu, East of the Sun, Flor de Lis, Come On Up to the House

Allison Linde (voc), Jean Cortes (b), Arnaud Agullo, Emile Mélenchon (g), Jo Labita (accordina) François Devun (vln), Fabrice Agnoli (flh)
Date et lieu d’enregistrement non communiqués
Durée 1h 03' 00'
My Major Company (www.allisonlinde.com)


Voilà qui semble nouveau dans le domaine du jazz, la production de ce disque a été financée par les réseaux sociaux, les "généreux" donateurs sont d’ailleurs cités sur la pochette, mais pas les dates et lieu d’enregistrement (erreur de jeunesse ou modestie de débutante?)... On ne sait guère encore de la chanteuse américaine Allison Linde que sa date de naissance (1988 en Oklahoma) et le fait qu’elle vit de traductions en Provence depuis quelques temps. Cela ne saurait durer car, dans la lignée de Diana Krall et plus encore de Stacey Kent dont elle emprunte d’ailleurs quelques éléments de répertoire, elle se révèle dans ce disque comme une chanteuse de « standards » tout à fait intéressante. Jolie voix, justesse, mise en place parfaite, arrangements (signés du contrebassiste) souvent très originaux et bien mis en valeur par des accompagnateurs de qualité. Plus qu’une "carte de visite" professionnelle, ce disque à la diffusion encore très confidentielle, semble bien être le premier d’une longue série et l’augure d’une belle carrière.
Daniel Chauvet

Jan Lundgren Trio
Flowers of Sendai

Parfait Amour, Melancolia, Flowers of Sendai, Transcendence, Waltz for Marion, Fellini, Alone for You, Mulgrew, Lush Life, Man in the Fog

Jan Lundgren (p), Mattias Svensson (b), Zoltan Csörsz Jr (dm)
Enregistré les 15, 16 juillet et 1er novembre 2013, Cavalico (Italie)
Durée : 52’
Bee Jazz 067 (Abeille Musique)


Jan Lundgren, né en 1966 (Jazz Hot N°666), fait partie de la longue tradition des pianistes suédois : Jan Johansson, Bobo Stenson et Esbjöm Svensson. Il a débuté le piano à l’âge de 5 ans, découvert le jazz à la fin des années 80 par Oscar Peterson, Erroll Garner, Bud Powell et Bill Evans. Il est un peu le compromis de tous ces pianistes, privilégiant la qualité du son et la mélodie, avec un phrasé très aéré. Il a joué avec pas mal de pointures dont Johnny Griffin, Benny Golson, James Moody, ainsi qu’avec Paolo Fresu et Richard Galliano pour le projet Mare Nostrum. Il a obtenu le Django d’or suédois en 2008. Il a repris son trio cette même année 2008 mais avec ce nouveau batteur, Zoltan Csörsz Jr, né en 1976 en Hongrie. Celui-ci commence la batterie à 5 ans ; après des études en Suède, il joue dans différents groupes, y compris du rock progressif, avant d’intégrer ce trio où il se révèle très minimaliste, marquant discrètement mais efficacement le rythme, laissant toute l’ampleur sonore au piano et à la contrebasse. Mattias Svensson est l’ami et le fidèle bassiste du leader ; c’est un adepte du gros son, de la note tenue, de ceux qui font chanter la contrebasse, parfait partage du lyrisme du leader, chez qui on trouve ce lyrisme ouvert des musiques du nord de l’Europe.
« Flowers of Sendai » est un solo de piano qui débute justement par ce grand lyrisme ad libitum et se meut en une sorte de ragtime très dansant. « Waltz for Marion » de Galliano, sur tempo lent, voit le pianiste tisser sa dentelle en de belles phrases relayées par la contrebasse, qui insuffle ensuite son chant. « Fellini » de Fresu débute sur tempo très lent, piano-contrebasse, rejoint par les délicieux balais du batteur : l’un des moments forts du disque, qui s’enchaîne par « Alone for You » de Lundgren (qui se révèle un fin compositeur), dans la même tempo et la même inspiration, comme la suite logique. « Mulgrew » de Svensson est un concerto de belle allure pour basse-piano-batterie. « Lush Life » » de Strayhorn, permet d’entendre comment ce trio s’empare d’un standard et le fait sien par son interprétation, le piano restant assez près du thème, ajoutant quelques petites phrases assassines de son cru, toute la richesse venant du contrepoint de la contrebasse, et bien sûr du feeling du pianiste. « Man in the Fog » de Lundgren, sur un frottis de balais clôt le disque d’un si beau chant qu’on retourne immédiatement à la première plage et ainsi de suite…

Un trio dans la beauté des choses et des sons.
Serge Baudot

Laurent Marode
Elephant Walk

Boppin' With Alban, You Must Believe in Spring, Elephant Walk, Almost Like Being in Love, I Didn't Know What Time It Was, Samba Not, Wrap Your Troubles In Dream, Misty, Midwater Blues
Laurent Marode (p), Ronald Baker (tp, voc), David Sauzay (ts), Fabricio Nicolas (b), Grégory Serrier (dm), Sarah Lancman (voc)
Enregistré le 22 mai 2013, Saint-Chéron (91)
Durée : 42' 14''
Black & Blue 778.2 (Socadisc)


Après des études de piano classique commencé à 7 ans au Conservatoire d’Orsay, Laurent Marode se réoriente à l’âge de 20 ans vers le jazz après quelques détours par la pop music, le rhythm and blues, le blues et la fusion. Il entre ainsi en 2000 à la Bill Evans Piano Academy et travaille avec Bernard Maury jusqu’à la mort de ce dernier en 2005. Il commence à se produire dans les clubs parisiens et parallèlement compose pour le théâtre, illustre des œuvres cinématographiques et participe à l’élaboration de comédies musicales. Il a déjà publié deux albums sous son nom : I Mean (ABS Bellisima, 2005) et Grits and Groceries (Black & Blue 718.2, 2010). Depuis plusieurs années, Laurent Marode, qui fréquente les stages de Barry Harris à Rome, a l’occasion de jouer avec plusieurs des musiciens talentueux de sa génération : David Sauzay (ts), Fabien Mary (tp)... Elephant Walk est son troisième opus qu’il enregistre à 33 ans.
Pour celui-ci, il a fait appel à David Sauzay, à Ronald Baker et la chanteuse Sarah Lancman, récompensée du Premier Prix de la Compétition Internationale de Jazz Vocal de Montreux en 2012. Ce programme comporte trois compositions originales : « Boppin' With Alban » du leader de séance, « Samba Not » du trompettiste et « Midwater Blues » du saxophoniste. Les autres pièces sont empruntées aux standards et aux classiques du jazz, dont le titre éponyme, « Elephant Walk » composée en 1954 par Art Farmer. David Sauzay intervient sur trois plages avec beaucoup de bonheur, dans des compositions présentant des ambiances sensiblement différentes ; mais sa générosité y est toujours aussi grande et son drive stimulant. Ronald Baker est chaleureux et sincère dans la pièce de Farmer. S’il donne une nouvelle et belle version très enlevée de sa composition déjà enregistrée en 2003, sa prestation toute de simplicité et d’une sensibilité très maîtrisée en tant que chanteur, aux côtés de Sarah Lancman, dans « Misty » y apporte beaucoup. Sarah Lancman remplit sa partie avec bonheur, parfaitement soutenue par le trio et David et Ronald Baker. La section rythmique, qui a une moyenne d’âge d’à peine trente ans, est soudée et soutient les solistes avec beaucoup d’allant. Grégory Serrier est un batteur, qui sait accompagner sans importuner ; c’est sobre et efficace dans ses interventions (« Samba Not »). La ligne de basse de Fabricio Nicolas est épurée avec une fort belle sonorité et une profondeur timbrée (« Midwater Blues ») qu’on n’entend plus guère ; c’est classique mais parfait. Quant à Laurent Marode, il possède les registres d’un pianiste accompli : il sait accompagner en soutenant et sollicitant ses solistes (« Elephant Walk », « Wrap Your Troubles in Dream ») et ses solos bien sentis sont équilibrés.
Un très bon disque de jazz qu’on écoute avec plaisir. A vos platines !
Félix W. Sportis

Billy Mintz
Quartet

Beautiful You, Flight, Dit, Destiny, Haunted, Shmear, Cannonball, Beautiful, Ugly Beautiful, Relent, Retribution, After Retribution

Billy Mintz (dm, perc), Roberta Piket (p, voc, org), John Gross (ts), Putter Smith (b)
Enregistré le 1er février 2013, Paramus (New Jersey)

Durée : 1h 07’ 00’’

Thirteenth Note Records 005 (www.thirteenthnoterecords.com)

New-yorkais d’origine, Billy Mintz a fait l’essentiel de sa carrière à Los Angeles, jouant avec Mike Garson et Stanley Clarke, Bobby Shew, Vinny Golia mais aussi Mose Allison, Mark Murphy, Bill Mays, Charles Lloyd, Bill Perkins, Frank Strazzeri, Pete Christlieb ou Alan Broadbent. Il pratique aussi le concert en solo absolu. Cet enregistrement est à l’image de cette carrière variée, à la fois celle d’un grand professionnel du jazz capable de s’adapter à des contextes divers et celle d’un artiste désirant développer une musique personnelle. Celle-ci navigue entre les ballades un peu éthérées (« Haunted » est une belle composition) et des structures invitant au free blowing (« Shmear » qui malheureusement s’effiloche un peu trop). « Dit » possède des airs monkiens prononcés mais la tension retombe avec un interminable solo de batterie (défaut de bien des albums de batteurs). Le chant de Roberta Piket n’est pas probant même si la composition « Destiny » est effectivement appropriée au chant. En revanche, c’est une soliste efficace, experte en couleurs et en vigueur. John Gross évoque Sam Rivers, John Gilmore, Pharoah Sanders, avec aussi des touches de Joe Henderson et Joe Lovano. Les ambiances sont assez sombres et l’ensemble paraît plus appliqué qu’enthousiaste (« Cannonball » est un blues plus languissant qu’explosif). « Beautiful » fait songer à « Naima » mais sa lenteur reste trop attentiste. On préfère « Ugly Beautiful », où Piket se fait davantage tynérienne mais de manière originale. Ce quartet doit sûrement être plus impressionnant en concert car, en studio, on remarque surtout un certain manque d’intensité dont « Retribution » et « After Retribution », dans l’esprit coltranien deLove Supreme, est l’exemple type. Une musique trop démonstrative ?

Jean Szlamowicz

Mr. Bo Weavil
As a Striving Longsome Bull

I Don’t Wanna Be no Rebel, You Take Da Piss Outta Me, I Don’t Give a Shit, Keep on Runnin’, Honey I Miss You, Big Boat Up the River, It’s Such a Beautiful Day, I’m Not a Country Boy, An Evil House, Mr. Bo Weavil Blues

Mr. Bo Weavil (voc, g, b, hca, bjo,cajon, stomp, perc, dm prog, fl)
Enregistré à La Morvient (85), date non précisée
Durée : 39' 00''
Dixiefrog 8751 (Harmonia Mundi)


Matthieu Fromont poursuit son expérience, mais en solo à présent. Adieu le groupe, Bo Weavil, bonjour l’homme, Mr. Bo Weavil. As a Striving Lonesome Bullparcourt les différents étangs où le blues s’est développé en privilégiant, l’aspect acoustico-rural (« You Take Da Piss Outta Me »), même s’il en convient il n’est pas un « country boy » ! Mais le bluesman sait aussi vivre en phase avec le monde qui l’entoure et signe un superbe « I Don’t Give a Shit » puissant, marqué par le sceau du rap de banlieue ? L’album se déroule tranquillement avec toujours cette empreinte du Delta, du Mississippi ou de la Loire, même si c’est un estuaire, qu’importe l’endroit. Il y a toujours cette efficacité pour nous faire rêver à des contrées où le blues a droit de cité (« Big Boat Up the River »).
Michel Maestracci

Clovis Nicolas
Nine Stories

Pisces, None Shall Wander, Juggling, Mothers and Fathers, Thon's Tea, Bridge, Tom's Number, You and the Night and the Music, Sweet Lorraine
Riley Mulherkar (tp), Luca Stoll (ts, ss), Alex Wintz (g), Tadataka Unno (p), Clovis Nicolas (b, arr, lead), Jimmy MacBride (dm)
Enregistré les 20 et 21 décembre 2012, New York
Durée : 53' 20''
Sunnyside 1375 (Naïve)


Avant de s’installer à New York en 2002, Clovis Nicolas, qui participait depuis 1998 au trio de Baptiste Trotignon, faisait partie des contrebassistes recherchés dans les milieux musicaux français. Cet album, Nine Stories, est l’aboutissement de cette rupture new-yorkaise, choix délibéré de sa part, qui fut également celui de nombreux autres jeunes musiciens français de jazz à l’articulation des XXe et XXIe siècles, partis se ressourcer àBig Apple. Un de ces expatriés, Laurent Courthaliac, a avec bonheur fait appel à lui dans son album (Pannonica, Jazz Village 570023, Jazz Hot n°667) : « Clovis Nicolas est excellent sur les quatre titres où il est présent. Sa musique est allègre, jubilatoire mais également lyrique (« Three Wishes ») et sa mise en place rigoureuse, toujours en adéquation avec le discours aéré du pianiste » (Jazz Hot n°667).
Le programme comprend neuf nouvelles musicales, qui sont autant d’histoires courtes en forme d’étapes d’un parcours personnel. Cinq pièces sont de sa plume : « Pisces », « Juggling », « Mothers and Fathers », « Thon's Tea » et « Tom's Number » ; les autres sont empruntées aux standards ou aux classiques du jazz. Mis à part « None Shall Wander » repris dans l’arrangement original de son compositeur, Kenny Dorham, les huit autres faces ont été arrangées par lui. Chaque plage explore un univers différent : univers tendre et nostalgique de « Mothers & Fathers » (dont le ton apaisé n’est pas sans évoquer celui de la composition d’Ellington « My Father, My Mother and Love » – aka « Heritage » – extrait de My People, 1963) ; turbulences débridées de « Bridge » ; lyrisme affectueux de « Tom’s Number » ; jubilation dans la brillante présentation de la formation sur « Pisces » et même poésie méditative de « Sweet Lorraine »…
Bien que leader de session, Nicolas y est plutôt discret ; dans ces faces , il apparaît plus en tant que musicien/compositeur/chef d’orchestre qu’en tant qu’instrumentiste. Ses interventions de contrebassiste, mis à part le petit plaisir qu’il se fait en duo contrebasse/guitare sur « Sweet Lorraine », restent réduites au stricte nécessaire ; il fait la part belle aux ensembles et aux solistes parfois brillantissimes dans des arrangements travaillés et parfois complexes (« Mothers and Fathers », « Pisces », « Juggling »…) même sur des thèmes beaucoup plus simples (« You and the Night and the Music »), assurant par le conductorde sa contrebasse la cohérence solide de l’édifice. Et Ron Carter, à qui rien n’échappe, ne se trompe pas qui, dans les courtes liners notes s’en tient à une formule aussi concise que pertinente : « Vous entendrez, de la part de M. Nicolas, des lignes de basse bien pensées qui orientent les musiciens de l’orchestre dans la direction vers laquelle il a choisi de les conduire » avec « Un très, très bon son de contrebasse ». Le talent de leader apparaît évident dans le choix des musiciens. Ce sont, mis à part le guitariste, des musiciens jeunes et peu connus ; ils brillent par la perfection des voicing mais également dans leurs interventions solistes. La section rythmique est d’une grande rigueur dans la mise en place. Le pianiste laisse respirer la musique et lui donne tout son espace par son toucher élégant et clair. Le guitariste est chaleureux sans envahir. Le batteur reste léger dans son soutien. Il n’étouffe pas et laisse entendre les lignes de basse épurées de Nicolas. Luca Stoll est un saxophoniste musicalement habile dans ses interventions pleines de nuances qui a su éviter les embûches de l’imitation (« Bridge ») ; il possède une manière très personnelle. Reste le trompettiste Riley Mulherkar, la révélation de cet album. Il fait partie de l’école Wynton Marsalis : une belle maîtrise instrumentale, tant dans le travail du son que dans la construction de ses soli. On entendra parler de lui sous peu. Clovis Nicolas n’est plus un débutant. C’est un contrebassiste accompli ayant acquis une grande expérience en tant que sidemandans les divers domaines – variétés et jazz – de la profession. Musicien, il a eu le privilège de travailler la matière sous la conduite d’un théoricien averti, Kendall Briggs. Jazzman, il a eu la possibilité de travailler son instrument sous la direction d’un de ses maîtres, Ron Carter. Professionnel consciencieux, il possède en outre l’assurance tranquille de sa compétence confirmée par la prestigieuse Julliard School. Et pour ne rien gâcher, fin lettré de l’université française et instrumentiste bien formé au Conservatoire de Marseille, c’est un homme de 40 ans parvenu à la maturité.
Ce formidable bagage s’entend dans ces superbes Nines Stories, album de jazz bien senti et très réussi dans un environnement newyorkais adéquat, le Bunker Studio. De la belle musique et qui swingue comme il se doit.
Félix W. Sportis

Nikki & Jules
Nikki & Jules

Let’s Make a Better World, Vous faites partie de moi, Baby What You Want Me to Do, Angel Kiss, Baby Won’t You Please Come Home, Mountain Blues, A quoi ça sert l’amour, Look Like Twins, Besame Mucho, Classified, Embraceable You, Hooties Blues, I Want to Be Evil, Bon Appétit, La Vie en rose

Nicolle Rochelle (voc), Julien Brunetaud (voc, p, org, dobro), Jean-Baptiste Gaudry (g), Bruno Rousselet (b), Julie Saury (dm, shaker), Nicolas Dary (ts)
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée : 1h 06'
Autoproduit (www.nikkiandjules.com)


« Let’s make a better world to live in », entonnent ensemble Nikki & Jules. Si le monde ne devient pas meilleur grâce à ce duo complice et malicieux, il peut devenir plus agréable le temps de ce premier album. Nikki, c’est Nicolle Rochelle, la Josephine Baker de Jérôme Savary, qui a affiché salle comble pendant quatre années consécutives. La chanteuse, danseuse et actrice américaine donne ici la réplique à Jules, alias Julien Brunetaud, pianiste, guitariste, chanteur, compositeur et arrangeur de talent
Sur quinze titres, Nikki & Jules reprennent douze standards du jazz, du blues et de la chanson française auxquels ils ont imprimé leur personnalité : la marque prononcée de Jules/Brunetaud sur les blues de Jimmy Reed (« Baby What You Want Me to Do »), Bessie Smith (« Baby Won’t You Please Come Home ») ; le piano de New Orleans qu’il chérit tant, avec Booker et l'excellente reprise de « Classified » ; le jazz de Jay McShann (superbe « Embraceable you »). La torpeur latine de leur version délicieusement sensuelle de « Besame Mucho » relie parfaitement les deux univers de Jules et Nikki. Celle-ci s'exprime dans un registre davantage chanson et cabaret :  « Vous faites partie de moi » (clin d’œil à son alter-ego Josephine Baker), Piaf avec « A quoi ça sert l’amour » et même « La Vie en rose » ou encore « I Want to Be Evil » de Eartha Kitt.
La bonne surprise de ce disque vient des compositions du duo qui en offrent les meilleurs moments : « Angel Kiss », une ballade ensoleillée jazzy aux accents reggae ; « Mountain Blues », un blues endiablé et groovy ; « Bon appétit », un dialogue délirant et jouissif qu’on imagine taillé pour la scène. Quant aux accompagnateurs, ils sont excellents. Mais si Nikki/Nicolle entraine de sa voix forte des chansons ciselées pour elle, on regrette que son talent d'imitatrice (Piaf, Kitt, etc.) ait éclipsé la chanteuse. Car c'est lorsqu'elle est simplement elle-même (sur les originaux comme « Angel Kiss » ou « Bon appétit ») qu'elle prend enfin toute sa dimension...
On n'en appréciera pas moins cette album, à savourer comme un rosé des premières soirées d'été.
Opale Crivello

Ivan Paduart
Alone #

25 titres
Ivan Paduart (p)

Enregistré en 2003, Porto (Portugal), Genk (Belgique)

Durée : 1h 04' 46''

Quetzal Records 139 (www.quetzalrecords.com)

On se déplace bien pour aller écouter huit morceaux répétitifs (90 minutes) de piano solo de Brad Mehldau. Alors, pourquoi pas 64 minutes d’Ivan Paduart ? D’autant plus qu’Ivan, créateur prolifique, ne cherche pas à vous jeter de la poudre aux yeux avec un petit doigt atteint de la maladie de Parkinson ! Les créations du pianiste brabançon sont belles, délicates, nostalgiques souvent (« Forbidden Love », « Never Say Never », « Wait For Me »). C’est toute une vie qu’il nous dévoile : « To My Parents », « Childs », « Véronique » (sa compagne), « Igor » (son fils)… D’ailleurs j’adore Igor… Pas le fils, le thème ! C’est beau, c’est tendre comme du filet mignon !

Jean-Marie Hacquier

VinCliquez sur la pochette pour écouter ce disquecent Peirani & Emile Parisien
Belle Epoque

Egyptian Fantasy, Temptation Rag, Song of Medina, Hysm, Le Cirque des mirages, Place 75, Schubertauster, St. James Infirmary, Dancers in Love
Vincent Peirani (acc), Emile Parisien (ss)
Date et lieux d'enregistrement non précisés
Durée : 54' 28''
Act Music 9625-2 (Harmonia Mundi)


Le duo Émile Parisien-Vincent Peirani s'est formé après leur rencontre au sein du quartet de Daniel Humair. Wynton Marsalis repéra Emile Parisien dans la classe du jazz du collège de Marciac. Nos deux protagonistes ont le même âge et le même goût de l’aventure et une grande culture musicale. Cela ne pouvait faire que des étincelles. Les voilà qui prennent des thèmes peu connus de Bechet, Ellington, un Ragtime de 1909, et un vieil air de la Nouvelle Orléans, immortalisé par Louis Armstrong (coup de chapeau à l’Histoire), plus quelques thèmes de leur cru.
Au soprano, Parisien n’est pas loin de Bechet, gros son ample et puissant, mais sans vibrato, même lyrisme à fleur de peau, inspiration au sommet. Peirani connaît tout de l’accordéon, du musette au classique, et surtout capable de faire swinguer son piano à bretelles. Lui aussi s’exprime avec un lyrisme des profondeurs, avec une inspiration quasi permanente. Il y a des perles rares dans ce disque. Citons-en quelques-unes. « Egyptian Fantasy » de Bechet, grandes envolées du soprano, vraiment proche de son maître, sur accompagnement accordéon façon Bach, et ça fonctionne du feu de dieu. « Tempation Rag », une réappropriation du ragtime, qui passe par la valse musette, et revient au ragtime pur et dur : étonnant. « Song of Medina » encore de Bechet, qui se la joue oriental, avec de magnifique graves du soprano et un splendide solo d’accordéon. « Le Cirque des mirages » de Peirani, une incursion dans la valse de cirque avec des échos de Nino Rota. « Place 75 » de Parisien, une réussite d’un mélange classique-swing. « Dancers in Love » d’Ellington, sur tempo  lent, hommage tout en sourire au Duke. Un « St. James Infirmary » (Mills, Irving) qui démarre d’une façon étrange puis le soprano s’empare du thème, et on retrouve tout le tragique traditionnel du morceau. Mais le chef d’œuvre du disque, le morceau qui a lui seul mérite l’acquisition de ce disque c’est « Hysm » de Parisien, avec une intro de l’accordéon dans l’aigu, puis le soprano qui lance sa splendide et prenante mélodie, accompagnée par des accords de l’accordéon dans le grave façon orgue d’église. Grande émotion, à pleurer de bonheur. En fait, tous les titres sont au sommet. Soyons heureux d’avoir de tels musiciens en France.
Serge Baudot

Ralph Peterson
The Duality Perspective

One False Move, 4 in 1, Addison and Anthony, Bamboo Bends in a Storm, Princess, Coming Home, Impervious Gems, The Duality Perspective, You Have Know Idea, Pinnacle
Ralph Peterson (dm), Joseph Doubleday (vib), Alxander LJ Toth (b), Feliw Peikili (cl, bcl), Luques Curtis (b), Zaccai Curtis (p), Sean Jones (tp), Walter Smith III (ts), Tia Fuller (as, ss) + Bryan Carrott (perc), Reinaldo Dejesus (perc), Edwin Bayard (ts), Victor Gould (p)

Enregistré le 24 mai 2012, Boston

Durée : 1h 08' 00''

Onyx Productions (www.ralphpetersonmusic.com)

Polyrythmie, mètres impairs, instrumentation originale (clarinette/vibraphone)… le Fo’Tet de Ralph Peterson, présenté sur les cinq premiers morceaux, ne manque pas d’ambition. La maîtrise impressionnante et le foisonnement des interventions n’empêchent pas un sentiment de trop grande préparation formelle. L’exotisme sonore et rythmique (« Bamboo Bends in a Storm », le « 4 in 1 » de Monk joué en clave…) et l’abondance percussive saturent vite l’écoute, d’autant que les ambiances apportées par le vibraphone sont assez uniformes. Le sextet est plus équilibré et aéré et évoque les groupes d’Art Blakey ou Joe Henderson des années 60 (« Coming Home », « Impervious Gems », « Pinnacle »). Les personnalités des solistes sont plus affirmées et lyriques, notamment le flamboyant Sean Jones et le funky Eddie Bayard. La vitalité de Ralph Peterson est ici plus libre, moins réfléchie, et les grooves, malgré leur profusion, appartiennent plus naturellement au langage du jazz. Les ballades possèdent également un chatoiement plus séduisant. La tentation de la complexité et de l’innovation, d’autant plus forte que l’expérience et la maîtrise sont évidentes, aboutit parfois à une forme d’enfermement ou d’oubli. La revendication de racines affichée en couverture (Blakey, Michael Carvin, Elvin Jones…) garantit pourtant une richesse d’expression potentiellement porteuse de rafraîchissantes créations comme le montre bien la deuxième partie de cet album.

Jean Szlamowicz

Richard Razaf
Namana

Tanisa, Namana, Kanto, Diavolana, Tso Bato, Mifankatiava Ihany, Pique nique, Ballad for N, Patience, Ma Meme, Orana, Veloma ry Said Omar, Blooz N'I Mi
Richard Razaf (p), Remi Chemla (b), Thierry Tardieu (dm), Benoit Raffin (dm), Pierre Baillot (oud)

Date et lieu d'enregistrement non précisés

Durée : 1h 01' 34''

Sergent Major Company 123 (EMI/The Ochard)

Richard Razaf est originaire de Madagascar. Après des études au conservatoire de La Réunion avec François Jeanneau puis avec Andy Emler, Denis Badault, etc., il vient tout naturellement travailler en Europe et surtout à Paris où, depuis le début des années 2000, il se produit dans les clubs. Sa sensibilité le fait remarquer. Cet album, qui fait largement référence à ses origines, est le premier en tant que leader. Comme souvent dans un premier opus, le musicien a voulu faire une présentation large de ce qu’il sait faire, en particulier jouer ses propres mélodies. Il y a de ce fait un assemblage d’univers assez hétéroclites. Accompagné par Remi Chemla et Thierry Tardieu, il nous donne néanmoins quelques jolies faces comme « Ballad for N », « Namana » ou « Kanto » et avec Benoit Raffin « Diavolana ».

On attend de le réentendre dans des compositions plus communes.
Félix W. Sportis

Daniel Roure
Le Temps d'un jazz

Titres détaillés dans le livret
Daniel Roure (p, voc), Paul Pioli (g), Francesco Castellani (tb), Fabien Giacchi (b), Gilles Alamel (dm)
Enregistré en mars 2001, Marseille
Durée : 42' 38''
Autoproduit (www.danielroure.com)

Daniel Roure a vu son album Le Temps d'un jazz diffusé à plus de 6 millions de fois sur Radio Pandora (USA) avec le titre « Les Baleines Bleues ». Il a fait une percée remarquée dans l'audimat des radios internet, aux Etats Unis, au Canada et en Australie. Bigre ! On est impressionné ! Daniel Roure possède une voix très agréable, bien timbrée avec une diction parfaite, de la décontraction, du charme. Je lui trouve parfois des accents à la Jean Sablon surtout dans le grave et les tempos lents où il fait preuve d’une grande douceur.
Pour ce disque il s’est entouré d’excellents jazzmen du Sud-Est de la France. On retrouve parfois un certain parfum du King Cole trio avec Pioli dans le rôle d’Oscar Moore et Giacchi dans celui de Wesley Prince comme par exemple dans « J’ai vu », avec en plus un batteur discret. Ça balance bien. Un joli solo de trombone, très chantant sur « Un petit bateau », genre bossa. Tous les solos de trombone sont très bien, ainsi que ceux du guitariste. « Je lis là », qui est en fait une adaptation de « Rosetta » est peut-être le meilleur moment du disque, sorte de chanson swing qui colle parfaitement au groupe. D’ailleurs d’autres morceaux au titre français sont aussi des adaptations de standards, indiquées sur la pochette. Le morceau « Les Baleines bleues » a beaucoup de charme et d’allant tranquille, pas étonnant qu’il fasse un malheur chez les anglo-saxons qui goûte cette French Touch, avec la sonorité du français en prime. La première chanson nous dit « C’est le temps d’un jazz d’antan », c’est tout à fait cela, de la belle chanson swing avec des paroles intelligentes, le tout dans un bel écrin musica
l.

Serge Baudot

Bobby Sanabria Big Band
Multiverse

The French Connection, Cachita, Jump Shot, Over the Rainbow, Que Viva Candido !, Wordworth Ho !, Speak no Evil, Broken Heart, Afro-Cuban Jazz Suite for Ellington, The Chicken From Havana To Harlem-100 Years Of Mario Bauza
Bobby Sanabria (dm, perc, voc), Cristian Rivera (perc, voc), Obanilu Allende (perc, voc), Matthew Gonzalez (perc, voc), Hiram El Pavo Remon (voc), Enrique Haneine (p), Leo Traversa (b, voc), David Dejesus (as, ss, fl), John Beaty (fl), Peter Brainin (ts, cl), Norbert Stachel (ts, cl, fl), Jeff Lederer (ts), Danny Rivera (bs, bcl), Kevin Bryan (tp), Shareef Clayton (tp), Jonathan Barnes (tp), Andrew Neesley (tp), Dave Miller (tb), Tim Sessions (tb), Joe Beaty (tb), Chris Washburne (tb, tuba, dijeridoo), La Bruja/Caridad De La Luz (voc), Charenee Wade (voc), Gene Jefferson (voc), Mary Gatchell, (voc), Georgia Schmidt (voc), Ernesto Lucar (voc), Gene Marlow (voc)
Enregistré les 16 et 17 octobre 2011, New York
Durée : 1h 17’ 00’’
Jazz Heads 193 (www.jazzheads.com)


D’origine portoricaine, né dans le Bronx, Bobby Sanabria a été formé au Berklee College of Music (1975-1979). Il est l’un des brillants représentants d’une double tradition, celle des big bands et de la tradition afro-cubaine. Ses collaborations avec Dizzy Gillespie, Tito Puente et Paquito D'Rivera l’on durablement marqué. Il a également fréquenté Mongo Santamaría, Ray Barretto, Chico O'Farrill et Mario Bauzá. Sa longue expérience de leader et d’accompagnateur en font un musicien incontournable de la scène latine new-yorkaise. Concernant cet enregistrement, le premier descriptif qui vient à l’esprit serait sans doute celui d’énergie débordante. De fait, cela déborde. Beaucoup de stridences et de percussions, une rythmicité dont la permanence laisse peu de place aux nuances. Le rap de La Bruja, les tendances funkisantes et autres incessants changements d’atmosphère forment une soupe un peu épaisse. A cette image, « Que Viva Candido » démarre funk, passe à un swing médium basien avant de se transformer en clave cubain pur fruit : cela peut être spectaculaire en live mais n’a guère de cohérence autre que la démonstration de virtuosité dans la gestion des ambiances. Paradoxalement, la saturation sonore et la surabondance d’idées (changements d’ambiances et de langages musicaux) ne rendent pas forcément la musique très subtile. Comme en attesteront tous les cuisiniers, il y a des façons de mélanger plus réussies que d’autres : « The Chicken From Havana To Harlem » passe de Pastorius à un preachin' dont la rythmicité est un peu pesante. Le très haut niveau de professionnalisme musical des participants est indiscutable et il y a une certaine invention (une bonne interprétation de « Speak No Evil » transformé en irrésistible clave). Dans le genre, c’est une vraie réussite mais plus pour le dynamisme que pour la musicalité.
Jean Szlamowicz

Thomas Savy
Bleu. Archipel 2

No Time No Time, Anyway, Archipel bleu, O'McHenry, Father Bear Comes Home, Stones, Bad Drummer, Misterioso, Lazy Man Blues, Kind of Potts
Thomas Savy (bcl), Michael Felberbaum (g), Pierre de Bethmann (p, elp), Stephane Kerecki (b), Karl Jannushka (dm)

Enregistré les 28, 29 et 30 mai 2013, Montreuil (93)

Durée : 57' 32''

Plus Loin Music 4567 (Abeille Musique)

Thomas Savy faisait partie des jeunes pousses des années 1990 promis à bel avenir. A 41 ans, il enregistre, après Archipel (2006) et French Suite (2010), son troisième album en leader à la clarinette basse en compagnie des mêmes musiciens que ceux qui participèrent à l’enregistrement du premier en 2004. Ce programme comporte, pour l’essentiel, des compositions personnelles, mises à part « O'McHenry » (Karl Jannushka), « Bad Drummer » (Stéphane Kerecki), « Lazy Man Blues » (Michael Felberbaum) et « Misterioso » (Thelonious Monk). Il y reprend en outre « Stones » qu’il avait déjà enregistré dans French Suite. On y retrouve l’aisance absolue du musicien tant dans la construction du discours que sur l’instrument. Le timbre chaleureux et l’élégance de la clarinette basse mettent en relief son interprétation d’une musique exigeante. Ses partenaires sont à son diapason et participent à l’œuvre avec attention. A signaler « No Time No Time », « Anyway », « O’McHenry », « Bad Drummer », « Kind of Potts » et une très belle version de « Misterioso ».

Un disque de belle tenue qui exige une écoute attentive.
Félix W. Sportis

Jacques Schwarz-Bart
Jazz Racine Haïti

Kouzin, Banda, Blues Jon Jon, Bade Zile, Night, Kontredans, Sept Fe, Vaudou Zepole, Je vous aime Kongo, Legba Nan Baye
Jacques Schwarz-Bart (ts), Erol Josué, Rozna Zila, Stéphanie McKay (voc), Etienne Charles (tp), Alex Tassel (fgh), Milan Milanovic (p), Gregory Privat (p), Ben William (b), Reggie Washington (eb), Obed Calvaire (dm), Arnaud Dolmen (dm), Gaston Bonga Jean-Baptiste (perc), Claude Saturne (perc)

Date et lieu de l'enregistrement non précisés

Durée : 59' 26''

Motéma 233828 (Harmonia Mundi)

Ces dix pièces composées par Jacques Schwarz-Bart font référence à ses racines caribéennes et à son pays, Haïti. Si, au plan mélodique et rythmique, ces faces ne sont pas inintéressantes, il n’est pas permis de les rattacher à l’idiome du jazz ; manque l’élément rythmique référent indispensable, le swing. Réunir des cuivres, une batterie, une basse, des percussions et jouer de la musique rythmée ne saurait suffire à en définir le résultat en tant que « jazz ». Sans être dénuée de valeur, son originalité, qui est d’une autre nature, réside ailleurs. Par conséquent, invoquer le jazz, fût-il « Racine Haïti », constitue une posture voire une imposture que la qualité évidente de ces compositions ne méritent pas.

Pourquoi ces musiciens, qui ont du talent, se prêtent-ils à ce détournement de sens et d’identité ? Pourquoi éprouvent-ils le besoin d’invoquer l’appartenance au jazz ? Pourquoi acceptent-ils le faux-semblant afro-américain qui n’ajoute rien à leur vrai talent et même leur retire la part de création originale réelle qui est la leur ? La négritude de cette musique n’a pas accompli son dernier et indispensable parcours pour atteindre à la maturation qu’ils revendiquent – des îles caraïbes vers le continent américain – et effectué le séjour assez long en territoire américain de culture protestante et de langue anglaise, constituant le milieu et les conditions indispensables pour donner naissance à l’art nouveau qu’est le jazz, qui est et reste un art original et propre à la civilisation continentale des Etats-Unis d’Amérique.Il convient d’écouter ce disque pour ce qu’il est : un excellent témoignage de la riche diversité des musiques des îles Caraïbes.
Félix W. Sportis

Paddy Sherlock
Swing Your Blues Away

Titres communiqués sur le livret

Paddy Sherlock (tb, voc, arr), Marten Ingle (b, voc), Thomas Ohresser (g), Jean-Philippe Naeder (perc) + Andrew Crocker (tp), Philippe Dourneau (cl), Ellen Birah (voc)
Date et lieu d'enregistrement non communiqués
Durée : 29' 21''
A Tout de Suite Production (atdsprod@gmail.com)


A l’occasion du dernier JazzAscona nous avons dit le bien que nous pensions de ce groupe qui a le contact avec le public qui, n’en doutons pas, sera heureux d’acheter ce disque. On y retrouve Paddy Sherlock, chanteur agréable et robuste tromboniste qui n’est pas sans évoquer Lillian Briggs, Eddie Pequenino. Certains titres peuvent en effet évoquer le rock’n roll (« Hey Hey Louise », « Swing Your Blues Away »). Le quartet a un vrai son de groupe, dont la particularité vient du percussionniste Jean-Philippe Naeder. Le guitariste Thomas Ohresser a l’occasion ici de montrer ses qualités (« Manon Jolie », « Undecided » où il y a une touche Django). L’invitée, Ellen Birah, intervient de façon plaisante dans les bons arrangements de « Lover Come Back to Me » et « Fool in the Making » (bon solo de trombone). Le répertoire allie des standards et des compositions originales de Paddy Sherlock.
Michel Laplace

Daniel Smith
Smokin' Hot Bassoon Blues

Night Train, Hummin’, Better Get Hit in Your Soul, Back At the Chicken Shack, What I’d Say, Blue Seven, Senor Blues, Hellelujah I Love Her So, C Jam Blues, Eddie’s Blues, Moanin’, Mamacita

Daniel Smith (basson), Robert Bosscher (p), Michael O’Brien (b), Vincent Ector (dm) + Ron Jackson (g), Efrat Shapira (vln), Neil Clarke (perc), Greg Lewis (org), Frank Senior (voc)
Enregistré du 23 au 25 octobre 2013, New York

Durée : 50’ 00’’

Summit Records 622 (www.summitrecords.com)

Daniel Smith est bien connu pour être le seul bassoniste du jazz. Honneur à double tranchant qui pose à lui seul une véritable question : le basson est-il fait pour le jazz ? Daniel Smith, qui interprète par ailleurs Vivaldi et le répertoire classique du basson, aime et connaît le jazz. Il aime jouer du jazz sur l’instrument qu’il maîtrise et nul ne saurait le lui reprocher. L’intérêt artistique est cependant moins assuré pour l’amateur de jazz. La prise de son donne un côté amateur à des musiciens pourtant accomplis, en particulier Greg Lewis. Question basson, la justesse discutable (même au titre du blues) est aggravée par le choix de le joindre au violon, ce qui fait beaucoup en terme d’audace sonore. Le choix de grands classiques du blues, appelés à provoquer l’exultation, n’aboutit pas forcément une fois l’exposé du thème effectué. Un certain dénuement un peu brut se fait même sentir (« Hummin’ »). C’est une bonne session entre amis mais pas une œuvre impérissable.

Jean Szlamowicz

Dave Stryker
Eight Track

I’ll Be Around, Pusherman/Superfly, Wichita Lineman, Aquarius, Never my Love, Superwoman, Never Can Say Goodbye, Make It With You, Money, That’s the Way of the World
Dave Stryker (g), Stefon Harris (vib), Jared Gold (org), Hunter Mc Clenty (dm)
Enregistré les 16 & 21 décembre 2013, Paramus (New Jersey)
Durée : 55' 35''
Strikezone Records 8809 (www.davestryker.com)


À l’écoute de ce
Eight Trackon ne peut s’empêcher de penser aux "Grands" guitaristes des années soixante et notamment à un certain Grant Green. Dave Stryker, comme Green, a joué avec Stanley Turrentine et Jack McDuff. Comme lui, il intègre le vibraphone dans son combo (cf.Street of Dreams, Blue Note BLP 4253, BST 84253). Bref, l’hommage au génie de ce musicien semble tellement évident que ça n’est peut être pas du tout ça. Quoiqu’il en soit, cet album met sur la bonne voie les fans de cette période qui vont forcément se régaler. Dave Stryker est un guitariste au touché subtile et ouaté. Ses notes se détachent langoureusement de la caisse de sa Gibson et il trouve le moyen de vous faire basculer dans un univers bleuté comme il se doit. Stefon Harris (vib) apporte la touche supplémentaire qui fait de ce disque un petit joyau, brillant, lorsque Jared Gold (org) s’enflamme sur son meuble pour stimuler le combo. En reprenant des hits des années soixante et soixante-dix, le guitariste évoque aussi le travail des jazzmen qui ne se privaient pas d’adapter à leur sauce, des thèmes pop connus, pour mieux se connecter avec le grand public. Au programme de Eight Track, des reprises de Stevie Wonder (« Superwoman »), Curtis Mayfield (« Superfly), des Jackson 5 (« Never Can Say Goodbye »), des Spinners (I’ll Be Around ») ou encore Earth Wind and Fire (« That’s the Way of the World »). De la musique afro-américaine qui se prête totalement à une revisite jazz et ça sonne magnifiquement, notamment le thème de Stevie Wonder où la profondeur de l’émotion est plus qu’intacte. Mais même sur « Money », ce thème mercantile de Pink Floyd, la magie agit. Le jeu éthéré de Hunter Mc Clenty sur les peaux n’est pas étranger au succès tout comme les interventions de Stefon Harris sur le premier couplet et son premier chorus. Pari réussi pour Stryker qui avec dix titres étincelants refait vivre les grands moments de l’organ combo en lui donnant une vigueur tout actuelle.
Michel Maestracci

Allen Toussaint
Songbook

It's Raining, Lipstick Traces, Brickyard Blues, With You In Mind, Who's Gonna Help Brother Get Further, Sweet Touch Of Love, Holy Cow, Get Out Of My Life, Woman, Freedom For The Stallion, St. James Infirmary, Shrimp Po-Boy, Dressed, Soul Sister, All These Things, We Are America/Yes We Can, The Optimism Blues, Old Records, Certain Girl Medley: A Certain Girl/Mother-In-Law/Fortune Teller/Working In The Coal Mine, It's A New Orleans Thing, I Could Eat Crawfish Everyday, There's No Place Like New York, Southern Nights
Allen Toussaint (p, voc)
Enregistré le 1er mars et le 30 septembre 2009, New York
Durée : 1h 19’ 00’’
Rounder Records 0011661915428 (Universal)


Dans la longue lignée des pianistes de New Orleans (Fats Domino, Professor Longhair, Dr. John, Henry Butler, James Booker et, plus récemment, Tom McDermott), Allen Toussaint ne s’était pas fait un nom en tant que performer jusqu’à ces récentes années. Ses talents et son savoir-faire de compositeur, arrangeur, accompagnateur et producteur lui avait valu une célébrité un peu cachée pour le public mais fort recherchée des musiciens. Il a ainsi écrit pour Irma Thomas, Lee Dorsey, Aaron Neville, Robert Palmer, Patti Labelle… et ses compositions ont été reprises par quantité de musiciens de rock, pop, soul et rhythm and blues, « Get Out My Life, Woman » étant sans doute son succès le plus éminent. Le présent enregistrement, live at Joe’s Pub (Lafayette Street, NY), rend justice à sa pratique de pianiste-chanteur. Songbook est fort bien nommé puisqu’il est constitué d’une série de tubes indiscutables, expertement accompagnés par un pianiste vigoureux, varié, ultra-rythmique qui évoque stride, boogie, blues, gospel, jazz, soul et funk sans aucune discontinuité. Allen Toussaint n’est pas un chanteur d’une grande puissance, mais il est expressif, sincère et son aisance en fait un excellent professionnel du genre. Rythmiquement, c’est évidemment une prestation à méditer et c’est en soi une belle leçon de piano et un parcours stylistique de la musique louisianaise passionnant. Cet album est augmenté d’un DVD avec une bonne partie des morceaux du disque, deux interviews et d’un bon livret illustré.
Jean Szlamowicz

Nico Wayne Toussaint
The Mighty Quartet Live

Waltering in Montreal, One Fine Day, My Own Medecine, Can’t You Tell, Mali Mississippi, Southern Wind Blowin’, Sadie, Lonely Number, How Long to Heal, Memphis Hat, Paris Rain, Time to Cut Your Loose
Nico Wayne Toussaint (voc, hca), Florian Royo (g, voc), Antoine Perrut (b, voc, as), Guillaume Destarac (dm)
Enregistré le 24 novembre 2012, Bézannes (51) et le 8 décembre, Bayonne (64)
Durée : 53' 10''
Dixiefrog 8745 (Harmonia Mundi)

Nico Wayne Toussaint & Michel Foizon
On the Go

Go on Greyhound, Don’t Let Nobody Bring You Down, Give Me Back the Key, How Long to Heal, Burning Light, Lonely Number, Shining Through, You Can Leave Your Hat Down Saint James Infirmary, Alberta, Can’t You Tell, When Will It Be
Nico Wayne Toussaint (voc, hca), Michel Foizon (g)
Enregistré les 26 et 27 septembre 2013, Miami (USA)
Dixiefrog 8758 (Harmonia Mundi)

Jazz Hot suit Nico Wayne Toussaint depuis le début des années 2000. Ce musicien, bien installé sur la scène blues française, mais aussi américaine, continue de délivrer des galettes de qualité. Ces deux derniers produits, sortis chez Dixiefrog, témoignent non seulement de la qualité de ses compostions mais aussi de l’évolution du son, qu’il aime offrir à un public toujours aussi nombreux. Pour réussir dans son entreprise il est soutenu par un guitariste d’une grande subtilité. D’abord sur le live, les accompagnements par touches délicates de Florian Royo (g) sont un pur régal, notamment à l’écoute de « My Own Medecine ». Nico pour sa part, reste fidèle à sa tradition et use d’un instrument à vent qui respire les sonorités des années cinquante. Sa voix se mue en celle d'un vieux bluesman noir texan pour donner toute l’intensité émotionnelle à son propos (« One Fine Day »). Pour l’occasion le natif du sud ouest, nous convie à une balade à travers ses paysages comme « Mali Mississippi », et le solo de batterie de Guillaume Destarac, Memphis, un classique du chapeau ou encore la pluie parisienne qui fleure bon les grands boulevards (« Paris Rain »). L’album avec Michel Foizon est acoustique. Il est le fruit d’un challenge. En septembre 2013, le duo a remporté à Miami les sélections locales pour l'International Blues Challenge de Memphis. Sur « On the Go », les deux complices signent neuf des douze titres. Les racines du blues du Delta remontent à la surface et l’on entend l’harmonica de Toussaint pleurer de bonheur tandis que la rythmique sèche de Foizon impulse la dynamique (« Don’t Let Nobody Bring You Down »). Cette impression à la fois désuète, bien que dans la tradition, se perpétue avec « Give Me back the Jey ». Avec le seul accompagnement des cordes aciers de l’instrument de Foizon, « Wayne » Toussaint va chercher au fond de ses tripes une expression prenante et captivante (How Long to Heal ». Avant de clore son programme, le duo intègre un doucereux « You Can Leave Your Hat On », puis le traditionnel « Saint James Infirmary » et un classique de Leadbelly (« Alberta »). Un album tout en douceur à écouter le soir devant sa plantation en buvant un cocktail relevé.

Michel Maestracci

Trio Fatal
Space Way Messenger

The Wind Is Dancing Over the Hills, Escargoiseau Blues, Spirit of Trombours, Nordic Waves, Singing Softly, Sonate frivole, Slowlyness, Space Way Messenger, O Virtus Sapientiae
François Lemonnier (tb), Biggi Vinkeloe (as, f), Peeter Uuskyla (dm)
Durée : 1 h 07' 42''
Enregistré en août et septembre 2012, Göteborg (Suède)
Hôte Marge 07 (http://futuramarge.free.fr)


Il est des musiciens qui doivent obligatoirement se rencontrer tant leurs affinités sont grandes. Si la destinée existe, alors ces trois musiciens devaient inéluctablement joindre leur créativité et le nom de Trio Fatal donné à cet ensemble est parfaitement bien venu. L'instrumentation déjà sort de l'ordinaire et annonce des musiques très aventureuses. Un tromboniste tout terrain, une saxophoniste-flûtiste et un batteur plus percussionniste que porteur de pulsion participent à part égale à ce trio. Le premier morceau, « The Wind Is Dancing Over the Hills » installe d'emblée le climat qui sera celui de tout le disque. Biggi Vinkeloe au saxophone alto met en place une mélodie minimaliste ; François Lemonnier lance son improvisation avec une plus grande énergie reprise par la saxophoniste qui continue à refuser le lyrisme tandis que Peeter Uuskyla apporte une couleur personnelle au morceau. Sur « Escargoiseau Blues », François Lemonnier conserve nettement l'esprit du blues tandis que Biggi Vinkeloe apporte un contrepoint avant que les rôles s'inversent pour un solo de la saxophoniste souligné par un accompagnement du tromboniste. Si l'on ne retrouve pas de jeu à l'unisson (le bebop n'est pas ici le propos) les trois musiciens cherchent au contraire largement la surprise. Dans « Spirit of Trombours », les trois musiciens empruntent les voix ouvertes par Ornette Coleman. Une fois cet univers esquissé mis en place, sans jamais abandonner la mélodie, sans outrer les dissonances, les trois musiciens improvisent différentes lignes complémentaires qui s'entrelacent, se repoussent et se complètent sans jamais de redondance. Après quelques morceaux, un paysage musical d'une grande cohérence dans l'hétérogénéité se déroule devant l'auditeur. La rencontre européenne nord-sud est très fructueuse dans une rencontre du blues du sud et de la musique proche du free nordique dans une improvisation collective parfaitement maîtrisée.
Guy Reynard

Trio Legacy
Plays Richard Rodgers

Manhattan, It Never Entered My Mind, Bewitched, I Like to Recognize the Tune, You Are Too Beautiful, There’s a Small Hotel, My Heart Stood Still, This Can’t Be Love, Isn’t It Romantic ?, The Lady Is a Tramp
Gustav Lundgren (g), Stefan Gustafson (p), Patrik Boman (b)
Enregistré les 9, 23 et 24 février 2012, Stockholm (Suède)
Durée : 43' 47''
Lundgren Music (www.lundgrenmusic.com)


Membres éminents et respectés de la scène suédoise, mais quasi inconnus en France, Gustav Lundgren, guitariste qui est aussi un spécialiste de la musique de Django, Stefan Gustafson, pianiste adepte de Bill Evans et Patrick Boman contrebassiste paré à toutes les expériences, composent ce Trio Legacy . On ne peut être plus clair pour annoncer ses intentions d’illustrer les standards. Il s’agit précisément ici de reprendre quelques unes des œuvres de jeunesse (et pas des plus connues) de Richard Rogers, l’un des plus prolifiques compositeurs de comédies musicales américaines, et, dit-on aussi, l’un des plus riches en droits d’auteur. L’entreprise paraît banale mais n’est pas si facile, guitare et piano ne font pas toujours bon ménage, car, à moins d’une connivence longuement rodée, les accords de l’une empiètent parfois sur les harmonies développées par l’autre, la contrebasse hypocritement neutre, échappant par nature à ces joutes fratricides. Mais le duel reste en fait, très courtois. Les thèmes sont exposés tour à tour par chacun des solistes, et parfois à l’unisson. L’ordre des chorus n’est pas immuable, la contrebasse n’est pas confinée au rôle d’obscur accompagnateur et les échanges sur quatre ou huit mesures s’intercalent très judicieusement sous forme de questions-réponses de bon ton, chacun sachant s’effacer quand il se doit . Rien de très original, certes, mais, de la bien belle ouvrage livrée par de solides musiciens, avec beaucoup de swing et d’élégance.
Daniel Chauvet

Kenny Blues Boss Wayne
Rollin' With the Blues Boss

Leavin' in the Morning, You Bring the Jungle out of Me, Hootenanny Boogie-Woogie, Roadrunner, Baby It Ain't You, I Can't Believe It, Two Sides, Slow Down, Ogopogo Boogie, Keep on Rockin', Out Like A Bullet
Vince Mai (tp), Jerry Cook (ts, bs), Drew Davis (ts), Kenny "Blues Boss" Wayne (p, ep, org, rhod, voc, clav), Tim Hearsey (g), Tom Lavin (g, harm, perc), Wes Mackey (g), Lindsay Mitchell (g), Ron Thompson (bjo), Russell Jackson (eb, b), Loren Etkin (dm), Sherman Doucette (har), Sibel Thraser, Cecile Larochelle, Christine Best (voc), Diunna Greenleaf (voc), Eric Bibb (voc, g)
Enregistré environ 2012, Vancouver (Canada)
Durée : 37' 42''
Dixiefrog 8763 (Harmonia Mundi)


Kenny "Blues Boss" Wayne, qui a aujourd’hui 70 ans, vit à Vancouver. Il a, dans le monde du blues, la particularité de ne pas être né dans un des états du Sud, la patrie du blues, mais au bord de la Columbia River, à Spokane, à l’est de Seattle (Washington). L’histoire de cette ville fut marquée par l’exploitation forestière et la construction du North Pacific Railway. Son père, le Révérend Matthew Spruell, y était prédicateur, d’où sa fréquentation du gospel, dont il a gardé les stigmates dans son style lorsqu’il a définitivement choisi la « Devil's Music », selon l’expression paternelle. Comme souvent dans ces familles, il suit ses parents dans leurs missions successives en Californie (San Francisco, Los Angeles…) mais aussi en Louisiane (New Orleans)… Il y découvre le jazz de Nat King Cole, Erroll Garner, Jay McShann…, les musiques populaires de Charles Brown, Floyd Dixon, Ray Charles, Fats Domino, le blues de Champion Jack Dupree, Memphis Slim, Bill Doggett, Johnnie Johnson, Johnny Otis, BB King, Amos Milburn, Big Joe Turner… et le R&B de Little Willie John et Sunnyland Slim, dont il se réclame. Kenny s’est fait connaître relativement tard du grand public, vers la fin des années 1980. Il vient en Europe et finit, dans les années 1990 et 2000, par être récompensé par plusieurs Juno Awards au Canada.
Cet album, dont la structure a été enregistrée à Vancouver où il réside habituellement, est le résultat d’une collaboration avec d’autres solistes dont les contributions ont été gravées à distance : Sherman Doucette, tout près à Kelowna (BC), mais aussi Diunna Greanleaf à Huston (TX), Eric Bibb à Londres, et même Drew Davis en France, où il jouit depuis quelques années d’une notoriété certaine. C’est l’illustration des diverses influences plus haut énoncées, dont un très réussi hommage à Jay McShann (« Hootennany Boogie-Woogie »).
Ces onze faces, composées par lui et enregistrées à des dates différentes au cours de l’année 2012, semble-t-il, sont une excellente présentation du grand talent de Kenny Wayne Spruell, « Blues Boss » son nicknameemprunté au fameux album d’Almos Milburn, The Return of "The" Blues Boss, (Motown 608, 1963). Ce sont surtout la parfaite illustration de ce que peut encore signifier la tradition bien comprise de la culture Rhythm & Blues.
Keep swingin’ 
!
Félix W. Sportis

David Weiss
The Music of Wayne Shorter

Nellie Bly, Fall, Mr. Jin, The Turning Gate, Eva, Prometheus Unbound
David Weiss (tp), Tim Green (as), Marcus Strickland (ts, ss), Ravi Coltrane (ts), Norbert Stachel (bs, bcl), Diego Urcola (tp), Jeremy Pelt (tp), Joe Fiedler (tb), Steve Davis (tb), Geri Allen (p), Dwayne Burno (b), E.J. Strickland (dm)
Enregistré le 27 avril 2012, New York
Durée : 1h 07' 41''
Motéma Music 120 (Harmonia Mundi)


Le consensus actuel autour de Wayne Shorter (sans doute surévalué : il présente l’avantage d’être à la fois une figure historique et de posséder une image et un discours « créatifs »), pouvait laisser penser à un projet de convenance. Sauf que David Weiss, bien connu pour The New Jazz Composers’ Octet, The Cookers ou pour sa participation à l’octet de Freddie Hubbard et ses talents d’arrangeur/leader, possède une certaine ambition et sait s’entourer de solistes de feu. Ici avec son groupe Endangered Species, live au Dizzy’s Club Coca-Cola, il fédère et libère les énergies par son écriture à la fois atmosphérique et ouverte. La frappe sèche de E.J. Strickland et la subtilité vigoureuse du regretté Dwayne Burno permettent toutes les audaces. On découvre ainsi avec gourmandise le trépidant altiste Tim Green (façon Gary Bartz-Antonio Hart) qui déchire à chaque intervention, notamment « Nellie Bly » (écrit en 1959 durant la période Vee Jay de Shorter pour Wynton Kelly sous le titre « Mama G ») mais aussi « Mr Jin » (période Blakey, Indestructible, 1964). Steve Davis confirme sur ces mêmes morceaux qu’il est également un soliste majestueux. Les autres intervenants, Pelt, Coltrane, Strickland et Allen, sont au même niveau de charisme dans l’improvisation. L’interprétation de « Fall » est à la fois fidèle à la poésie de cette pièce (beau début de solo impressionniste de Geri Allen avant la montée en puissance) et élargie pour donner à la puissance des cuivres une certaine ampleur. La variété rythmique ne refuse jamais le swing sans en faire non plus un objectif mécanique. Quant aux couleurs, elles restent relativement sombres et sérieuses mais avec une poésie constante qui ne manque pas de tendresse (« Eva », avec un Jeremy Pelt splendidement hubbardien). La démarche de Weiss ne se pose pas de questions formalistes pesantes et utilise simplement comme support créatif la très riche interaction entre les possibles de chaque composition et les individualités des participants. David Weiss conjugue ainsi avec bonheur son ambition d’écriture avec la puissance des expressions individuelles, ce qui pourrait bien être sa marque de fabrique.
Jean Szlamowicz

Spike Wilner
Solo Piano : Live at Smalls

Lullaby of the Leaves, All Too Soon, Wrap Your Troubles in Dreams, Bess, You Is My Woman Now, Gone with the Wind, I Can't Get Started, Elite Syncopations, Echoes of Spring, Snowy Morning Blues, Poor Butterfly, I Hadn't Anyone 'till You, Tea for Two, Two Sleepy People, Bodhisattva Blue
Spike Wilner (p)
Enregistré en juillet et août 2010, New York
Durée : 58' 18''
Smalls Live 0016 (www.smallslive.com)

Le parcours de Spike Wilner est bien connu des lecteurs de Jazz Hot puisque nous l’avions rencontré en 2004 (n°612) et, fort récemment, en avril 2014 (n°667). Il est devenu une figure respectée du jazz new-yorkais, non seulement par sa position créative (et équilibriste) de musicien-patron de club, mais par la maîtrise musicale qu’il affirme à chacune de ses interventions dans des contextes esthétiques très variés. En solo absolu, Spike Wilner parvient à s’exprimer avec beaucoup de sensibilité. Il n’a aucune prétention à tenir des discours ou jouer avec des concepts : il se contente d’affronter les quatre-vingt huit touches avec une pureté d’esprit remarquable. Il n’est pas pianiste de bebop, ni pianiste contemporain, ni rien d’autre. Il est simplement lui-même. Il faut être sûr de soi pour aborder James P. Johnson, Scott Joplin ou Willie the Lion Smith, qui constituent il est vrai des influences de longue date. On pourrait assurément ajouter Tommy Flanagan et Hank Jones dont Spike tire une approche de l’interprétation faite de nuances et de musicalité, de risques et d’audace, d’émotion et de subtilité. Sa délicatesse épurée est constamment ancrée dans le swing : il fait ainsi ressortir la beauté des mélodies tout en s’appuyant sur ces compositions pour mettre en avant ses propres inventions. Sans le spectaculaire et les urgences de la frivolité contemporaine, il reste l’essentiel du jazz. Une musique de maturité, loin des artefacts à la mode, loin des poses esthétiques.

Jean Szlamowicz

Matt Wilson
Gathering Call

Main Stem, Some Assembly Required, Dancing Waters, Get Over Get Off and Get On, Barack Obama, Gathering Call, You Dirty Dog, Hope, Dreamscope, How Ya Going, If I Were a Boy, Pumpkin’s Delight, Juanita
Matt Wilson (dm), Jeff Lederer (ts, ss, cl), Kirk Knuffke (cnt), Chris Lightcap (b), John Medeski (p)
Enregistré le 29 janvier 2013, Buck's County (Pennsylvanie)
Palmetto Records 2169 (www.palmetto-records.com)


Matt Wilson et John Medeski avaient joué ensemble dans le Either/Orchestra dans les années 80. Et si John Medeski s’est fait un nom avec des trucages sensationnalistes (Medeski, Martin & Wood), il s’exprime ici de manière plus sobre, et aussi plus banale. On ne pourra pas dire que le répertoire n’est pas varié puisqu’il couvre un registre allant du Duke Ellington pur swing (« Main Stem ») à Beyoncé (« If I Were A Boy ») en passant par le « Pumpkin’s Delight » de Charlie Rouse, le funky « Get Over » de Hugh Lawson et « Juanita ». Stylistiquement, les ambiances vont vers une sorte de free jazz swing qui fait songer au quartet d’Ornette Coleman mais avec des sonorités et des références d’aujourd’hui. On songe aux univers du free de Chicago, de William Parker, Charlie Haden, Uri Caine, Graham Haynes, Mark Helias, Roswell Rudd… Jeff Lederer est un saxophoniste robuste et coloré, dans l’esprit explosif de Bennie Wallace, trapu, bluesy, passant du swing au free à la manière de Coleman Hawkins. La tradition trompettistique qui va de Clifford Brown à Don Cherry en traversant Booker Little et Ted Curson, aboutit aujourd’hui à Dave Douglas, Ron Miles ou Roy Campbell, non parfois sans une certaine sécheresse. Kirk Knuffke s’inscrit dans cet univers, avec peut-être un penchant pour la tradition plus ancienne (Cootie Williams, Roy Eldridge) qu’il partage avec Steven Bernstein. A l’instar des Bill Stewart, Nasheet Waits ou Gerald Cleaver, Matt Wilson est capable de couleurs et de swing, d’explosions et d’ambiances. C’est aussi un leader avec une claire idée de ce qu’il désire entreprendre. Le résultat est ici un peu hétérogène, du swing tendre à la tension rugueuse, notamment parce que le piano manque de charisme par rapport à l’exubérance des soufflants (comme le démontre « Pumpkin’s Delight » où le solo de piano brise tout l’élan accumulé par Knuffke et Lederer). Un enregistrement inventif et sincère qui fait un pari stylistique intéressant avec de bons moments grâce à des musiciens talentueux.
Jean Szlamowicz