La photo
ci-contre a été prise en juillet 2000, à Vienne, le jour du passage
du Monk Tentet. En grand professionnel, David Redfern était présent
lors de la balance sonore et l'installation des musiciens. Pour
l'occasion, il avait revêtu un T-shirt avec l'une de ses propres
photos de Thelonious Monk, prise au cours des années 60. Avant même
que la mise en place commence, il était déjà sur scène avec ses
instruments de travail : le Hasselblad pour les photos au format
6x6 et le spotmètre pour une parfaite mesure de la lumière, l'œil
acéré pour choisir l'angle de prise de vue de son premier cliché.
Il en était ainsi de tous les concerts et festivals auxquels il
participait. Cette année encore, bien que fort diminué par la
maladie, il avait tenu à participer à Jazz à Vienne et à Jazz à
Juan, même si, pour la première fois, il n'avait pu être présent
au New Orleans Jazz and Heritage Festival. Il avait publié deux
livres de photographies de concert. Le premier appelé Jazz
Album est paru en 1980. Le
second, The Unclosed Eye,
évoque l'œil
non fermé qui décrit bien sa façon de travailler, un œil pour le
viseur de l'appareil et l'autre bien ouvert sur le monde qu'il est en
train de photographier. Ce dernier livre paru en 1999 a connu une
deuxième édition en 2005 et peut être commandé sur son site web
(www.davidredfern.com). Il comporte une amorce
d'autobiographie qui nous renseigne sur ses débuts, car le reste de
sa carrière demeure bien présente grâce à ses photos.
Son
intérêt pour la photographie est né très tôt car son père avait
un Kodak Brownie et développait ses photos en mettant le négatif
sur une feuille de papier photo et l'exposant à la lumière du jour
devant une fenêtre. Très tôt exposé à la musique, il n'aime pas
beaucoup la musique classique et lorsqu'il achète son premier
disque, son choix se porte sur « Bad Penny Blues » du
trompettiste et chef d'orchestre anglais Humphrey Littleton. Après
son service militaire dans les transmissions, puis en Allemagne, où
il assiste à un concert de Jazz at the Philarmonic avec Dizzy
Gillespie et Ella Fitzgerald, il travaille chez Kodak sur une machine
qui réalise les perforations dans les films 35 mm. Dans le même
temps, il commence à côtoyer la scène du jazz traditionnel
anglais. Il fait ses premiers clichés de photographe professionnel
au Beaulieu Jazz Festival et revient sur ce festival jusqu'à sa
disparition. C'est au cours de celui-ci qu'il réalise ses premiers
clichés d'Anita O'Day en couleur en format 6x6. Sollicité pour
devenir photo-reporter pour la presse, il préfère se consacrer à
la musique. Il fréquente alors les clubs de Londres : le 100
Club et le Marquee. Licencié par Kodak, il choisit de se consacrer à
la photo musicale et vit pendant un temps en les vendant à quelques
magazines. Sa grande opportunité va venir des plateaux de télévision
qui commencent à enregistrer la musique populaire. Il vend ainsi des
photos couleurs aux compagnie de disques. Mais bientôt arrivent deux
groupes qui vont véritablement lancer sa carrière : les
Beatles et les Rolling Stones. Il est présent lors de la première
apparition des Beatles à la télévision et prend la célèbre photo
des Fab Four autour de la batterie. Tout au long des années 60, il
se partage entre le jazz et le rock, aussi bien dans les clubs que
dans les grands enceintes. Il participe également au Magical Mystery
Tour des Beatles. Etant l'un des premiers à faire des photos
couleurs, ses photos de Louis Armstrong, Thelonious Monk et Coleman
Hawkins seront choisies plus tard par le service postal des Etats
Unis pour une série de timbres. Il devient ainsi l'un des plus
importants photographes du jazz et des musiques populaires. En 1980,
il est choisi par Frank Sinatra pour être le photographe officiel de
l'une de ses tournées.
Des
années 70 jusqu'à cette année, David Redfern a sillonné le monde
pour participer aux plus grands festivals. Il était reconnu par
l'ensemble des musiciens qui savaient que par ses photos il
contribuait à faire mieux connaître leur musique. Même affaibli
par la maladie, il n'a jamais cessé ses activités.
Alors
qu'aujourd'hui certains musiciens et leur entourage cherchent à
exercer un contrôle (auxquels les festivals se plient) qui entrave
la liberté artistique des photographes, la disparition de David
Redfern fait écho à celle de tout un monde, d'un état d'esprit.
Nous
pourrons toujours retrouver ses photos dans Jazz Hot, auquel
il avait souvent contribué, et chez Getty Images auquel il avait
revendu son agence en 2008. Jazz Hot présente ses
condoléances à Suzy sa compagne et à ses trois enfants Mark,
Bridget et Simon.
Guy Reynard
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