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Draguignan Jazz Festival

26 déc. 2010
16, 17 et 18 décembre 2010
Draguignan Jazz Festival Le Jazz-Club Dracénois a présenté, au Théâtre municipal de la ville, le 23e Festival de Jazz de Draguignan. Comme les années précédentes, le public est venu nombreux applaudir un programme, qui malgré les restrictions budgétaires s'est avéré fort intéressant.
A la suite de la défection pour raison de santé de la chanteuse de New Orleans, Lillian Boutté, les organisateurs ont choisi d'ouvrir la manifestation en ce jeudi 16 décembre en compagnie de Denise Gordon & Her Gumbo Zaire avec, en invités, Patrick Artéro et le Thierry Ollé Trio : une formidable surprise. Le concert, en deux parties, commença avec le quartet dirigé par Patrick Artéro. Le trompettiste, brillant et inspiré, fut une découverte pour l'assistance. Il interpréta deux compositions personnelles, « Alligator » et « Papa Limba's March », ainsi que la très ancienne composition du trompettiste et chanteur néo-orléanais, Sam Morgan, « Short Dress Gal » et la légendaire composition de Billie Holiday et Arthur Herzog, « God Bless the Child ». Les musiciens furent ensuite rejoints par Denise Gordon qui enchaîna sur « Them There Eyes » (Maceo Pinkard, Doris Tauber, William G. Tracey), « A Kiss to Build a Dream on » (Bert Kalmar, Harry Ruby, Oscar Hjammerstein II) et « Darktown Strutter's Ball » (Shelton Brooks). Après l'entracte, Thierry Ollé (p), Serge Oustiakine (b) et Guillaume Nouaux (dm) ont repris avec une lecture actuelle de « The Entertainer » (Scott Joplin),… Denise Gordon poursuivit avec « What a Little Moonlight Can Do » (Henry M. Woods), « In the Garden » (gospel song de C. Austin Miles). Elle termina le concert avec « When the Saints Go Marchin' in » (Traditionnel). En bis, elle donna une version émouvante de « Do You Know What It Means to Miss New Orleans » (Louis Alter, Eddie De Lange). Cette chanteuse, par sa tessiture, évoque Carrie Smith. Elle en possède également la sensibilité. Artéro fut égal à lui-même: fin, présent et jamais encombrant. Thierry Ollé est un excellent accompagnateur et un soliste brillant, généreux. Serge Oustiakine a été impeccable, intervenant avec beaucoup d'à-propos. Quant au batteur en disciple intelligent d'Herlin Railey et de Shannon Powell, il a été remarquable dans ce contexte à dominante orléanaise. Le public a longuement applaudi les artistes.
Le programme du vendredi était tout à l'opposé de celui de la veille; le Henri Texier Nord – Sud Quintet, composé de Sébastien Texier (as & cl), Francesco Bearzatti (cl & ts), Manu Codjia (g), Sean Carpio (dm) et du leader contrebassiste, proposa un répertoire original écrit pour l'essentiel par lui, mais également par d'autres membres de la formation, comme son fils, Sébastien ou Francesco Bearzatti : « Tango Fangoso », « Bayou Brume », « Tierra Ocre », « Louisiana Dark Waters », « Muncho Calor », « Sombre Jeudi », « Rouge Bayou », « De Nada », « Samba Loca », « Nigerian Sad Waters », « Ravine Gabouldin », « Old Delhi » et « Manatee Blues ». En bis, fut interprété « Sueño Canto » (« Sommeil caillou »). A propos d'évènements, ces thèmes appuyés sur une esthétique à dominante latine et dans une écriture musicale très européenne classique et maîtrisée, qui figureront pour l'essentiel sur le futur album à sortir au printemps 2011, a ravi le public.

Comme chaque année, le festival se termina le samedi (18) par un concert consacré au blues. La première partie était donc assurée par une formation locale, les Four Tones. Pendant trois quarts d'heure, ce quartet a électrisé la salle en reprenant quelques tubes des grands anciens. Ils furent longuement applaudis et eurent droit à deux rappels. La seconde partie a mis en lumière un bluesman, chanteur, harmoniciste et guitariste, John Hammond, sorte de mythe chez les aficionados de la discipline. Au Gaslight de New York, dans les années 1960, il avait réussi à réunir, autour de lui pendant une semaine, Jimmy Hendrix et Eric Clapton ! Il faut reconnaître que le personnage avait du répondant. En effet, né en 1942 à New York, c'est le fils du fameux producteur américain, John Hammond II, celui qui découvrit et fit les carrières des plus grands artistes afro-américains : de Count Basie à Benny Goodman, en passant par Charlie Christian… et le légendaire bluesman Robert Johnson. « Tombé dedans » dès sa naissance, il entretient avec et cette musique, qu'il entend, écoute et pratique depuis son enfance, une relation culturelle intime qui donne à son expression musicale une authenticité et une réalité émouvantes. Connu et reconnu par tous les maîtres de cet art, du chanteur et pianiste Roosevelt Sykes au guitariste et chanteur John Lee Hooker, sa notoriété est telle que FR3 avait délégué une équipe complète pour une interview passée en direct au Journal de 19 heures. Il est un peu regrettable que les autorités locales n'aient pas jugé utile, pour Draguigan, de remettre une distinction (la Médaille de la ville par exemple) à un artiste de cette importance à l'occasion de son concert au festival de la ville. Ce musicien, qui a à son actif plus de trente albums, dont un Grammy Award, possède une connaissance encyclopédique de cette littérature musicale qu'il réinvente et se réapproprie dans son idiome propre très enraciné dans la tradition du blues rural « pas tout à fait encore urbanisé, avec guitare acoustique, celle que j'aime », dit-il. De Robert Johson (auquel il consacra une présentation vidéo) à Tempa Red en passant par Sleepy John Estes, Wolin' Wolfe…, il en présenta, avec une étonnante économie de moyens (ses deux harmonicas diatoniques, deux guitares sèches, choisie selon la pièce interprétée) un panorama aussi large que divers de la grande musique populaire afro-américaine des Etats-Unis. Seul en scène devant un micro pendant presque deux heures, il a troublé l'assistance avec ses interprétations généreuses et sans affectation. Ce fut magnifique ; la culture, et seulement elle, parce que simple, épurée, sans fard, sans pédagogisme et superbement interprétée. Point n'est besoin d'être bruyant pour se faire entendre, pour briller et être longuement applaudi par une salle comble de huit cents personnes qui retenait son souffle.
Ce 23e Festival a été éclectique. Il a en définitive permis à des publics différents d'une soirée à l'autre de découvrir des musiciens et des chanteurs atypiques. Le Jazz Club Dracénois sera-t-il en mesure de proposer à nouveau un programme de cette tenue en 2011, compte tenu des restrictions budgétaires annoncées ?
Félix W. Sportis (texte et photo)