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Aretha Franklin

16 août 2018
25 mars 1942, Memphis, Tennessee – 16 août 2018, Detroit, Michigan
© Jazz Hot n°685, automne 2018


Aretha Franklin © photo X, by courtesy of Columbia






C'est une icône de la musique afro-américaine qui nous quitte: Aretha Franklin avait su, à l'instar des Ray Charles, B.B. King, Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Miles Davis, etc., conquérir un public au-delà des amateurs de musique afro-américaine. 


La disparition à 76 ans de celle qu'on surnommait «The Queen of Soul» a été commentée sur toute la planète. Elle avait gardé intacts son talent et son expression aussi exceptionnelle qu’enracinée.
Pour comprendre le phénomène, il faut revenir au début du printemps 1967, lorsqu’Otis Redding écoute la version de son thème «Respect» par Aretha Franklin et s'exclame devant un Jerry Wexler, alors patron d’Atlantic, médusé: «J'ai perdu ma chanson. Cette fille me l'a prise!» A 25 ans à peine, elle transcende et s’approprie un thème, pourtant déjà célèbre avec son chant issu de l'église afro-américaine, et dans l'esprit, en épousant les revendications politiques de sa communauté sur les Droits civiques et les aspirations féministes de toute une génération.
Car nous sommes en pleine révolte: le ghetto de Detroit s'embrase le 23 juillet faisant de nombreuses victimes. Les événements illustrent le racisme au cœur des villes industrielles tel un reflet répondant à la ségrégation fraîchement abolie des Etats du Sud. D'ailleurs, le magazine communautaire Ebony évoque en couverture au même moment les trois «R»: «Retha» pour Aretha, «Rap» pour les discussions au sein de la communauté afro-américaine et «Revolt» pour les émeutes raciales du moment. Quarante-huit ans plus tard, il reste beaucoup à faire et bien que diminuée par un cancer, elle est sur la scène de la Maison Blanche interprétant magistralement «You Make Me Feel Like a Natural Woman» pour Barack Obama.






Aretha Franklin © Photo X, by courtesy of Atlantic-Rhino


Née en 1942 à Memphis, Aretha Louise Franklin est immergée dans la musique à sa naissance. Elle est la deuxième des trois filles du Révérend C.L. Franklin et de son épouse Barbara Siggers, elle-même pianiste et chanteuse de gospel (ils ont également chacun d’autres enfants d’unions précédentes).
Cependant, lassée des infidélités de son mari, Barbara quitte le foyer quand Aretha a 6 ans. Elle rend régulièrement visite à ses enfants mais a renoncé à leur garde pour des raisons financières (elle décédera en 1952). Un an plus tard, c'est à Detroit, ville à la fois industrielle et d'une richesse musicale rare, que le Révérend Franklin entraîne sa famille alors qu'il vient de trouver un poste de pasteur à la New Bethel Baptist Church. Une nouvelle carrière s'ouvre pour lui, en ce milieu des années 1950, enregistrant plus de soixante-dix albums de sermons sur le célèbre label Chess, lui permettant d'influencer bon nombre de chanteurs tels que le célèbre Bobby «Blue» Bland. Ses sermons seront diffusés à la radio au même titre que ceux de son ami Martin Luther King. Egalement militant des Droits civiques, il deviendra une personnalité influente de la ville.

Bien qu'introvertie, la jeune Aretha trouve sa voie dans le chant religieux et enregistre un remarquable live à la New Bethel Church à l'âge de 14 ans à peine. Elle grandit dans une vaste demeure de l'East Side de Detroit où se relaient de célèbres mères de substitutions qui ont pour noms Mahalia Jackson, Marion Williams et surtout Clara Ward. Cette dernière est véritablement l'élément déclencheur d'une vocation: Aretha Franklin évoquait ainsi avec émotion que, lors des funérailles d'une tante, Clara Ward avait chanté «Peace in the Valley» avec une telle passion qu'elle en avait jeté son chapeau à terre. A cette époque, la congrégation fondée par son père est devenue un lieu incontournable de Detroit où l'on croise Arthur Prysock, Lou Rawls, Dinah Washington, Jakie Wilson ou Sam Cooke. Le piano jazz est également au cœur des influences de la jeune Aretha: Art Tatum, un ami de son père, vient souvent jouer à la maison tout comme Oscar Peterson. Elle prend d’ailleurs des cours et tente d'imiter les disques d'Eddie Heywood. Le célèbre pasteur James Cleveland, venu s'installer dans la maison familiale, compte également parmi ceux qui ont soutenu sa vocation.

1960. Aretha Franklin, Aretha, Columbia


C'est en 1956 qu'elle publie un premier 78 tours sur le label J-V-B avec deux titres «Never Grow Old et «You Grow Closer» en forme d'hommage à Clara Ward. Après quelques années à parcourir le circuit des tournées pastorales au sein de la formation de son père, avec ses sœurs et son frère, elle décide –avec son accord
de s'émanciper en suivant les conseils de son ami Sam Cooke. Elle s'installe à 18 ans à New York, laissant ses deux fils (qu’elle a eus à 13 et 15 ans) à sa grand-mère, à Detroit, et enregistre des démos avec le célèbre contrebassiste de jazz Major Holley avant de signer au début de l'année 1960 avec le label Columbia. «Un génie à l'état brut, la plus belle voix depuis Billie Holiday!» déclare John Hammond qui s'y connaissait en tant que découvreur de talents. Elle fait ainsi ses débuts sur la scène du club «Tade Windsé» de Chicago et enregistre le superbe album Aretha en compagnie du pianiste Ray Bryant avec une version mémorable de «Today I Sing the Blues». Même si le répertoire et les arrangements oscillent entre jazz et variété de Broadway, la passion et la ferveur du chant venu de l'église se font ressentir dans les interprétations de la chanteuse. Une forte expressivité qui sera la marque de fabrique d'Aretha Franklin. En 1961, on écarte John Hammond de la production pour Robert Mersey et Clyde Otis, afin de donner une image plus commerciale et grand public en l'orientant vers une pop insipide.

De ce fait, fin 1966, après neuf albums pour Columbia, elle rejoint Atlantic bénéficiant alors de l’essor de la soul, porté par Otis Redding, Wilson Picket ou James Brown. Le producteur Jerry Wexler prend la route de l'Alabama pour rejoindre le fameux studio de Rick Hall «Fame», à Muscle Shoals, qui avait déjà fait ses preuves au cours des dernières années pour le label. Autour de Jimmy Johnson (g), Spooner Oldham (kb) et Roger Hawkins (dm) la section rythmique maison, on retrouve Chips Moman (g) et Tommy Cogbill (eb) de Memphis pour ce qui est certainement le morceau phare de l'histoire de la soul «I Never Loved a Man», malgré une session d'enregistrement qui a failli mal tourner entre Rick Hall et Ted White, le mari d'Aretha. Dès lors, les hits s'enchaînent, de «Respect» à «Chain of Fools» en passant par «Think», «I Say a Little Prayer», «Dr. Feelgood», «Ain't no Way». Ses albums sont enregistrés à New York avec les musiciens sudistes de Muscle Shoals que Wexler fait venir d'Alabama en compagnie du saxophoniste King Curtis.

1972. Aretha Franklin, Amazing Grace, Atlantic


L'année 1968 marque une étape dans la carrière d’Aretha Franklin avec un Grammy Award, une tournée européenne
avec un passage remarqué à Paris en mai 1968 et la couverture du Times auquel on peut ajouter un divorce salutaire avec Ted White, son mari violent. Au-delà de son rôle de femme engagée pour les Droits civiques, auprès de Martin Luther King, mais aussi face à la lucidité de son féminisme mis à mal par sa propre communauté, elle brise les barrières raciales en jouant aussi bien au Fillmore West qu'au Lincoln Center entourée de Ray Charles. Les années 70, sont moins prolifiques en succès, mais la qualité reste présente avec notamment son album de gospel Amazing Grace en 1972, tel un retour à une source qui ne s'est jamais tarie. Le réalisateur Sydney Pollack filme l'enregistrement, mais Aretha en interdit la diffusion. On ne négligera pas non plus l'excellent «Spirit in the Dark» avec le guitariste Duane Allman, bluesy à souhait, ou Young, Gifted and Black. Lors de son installation en Floride, c'est dans les studios de Criteria à Miami qu'Aretha travaille avec ses musiciens habituels de Muscle Shoals puis les «Dixie Flyers» de Memphis avec Dr. John ou Donny Hathaway au piano. Sur scène, elle s'entoure souvent de King Curtis (ts), Bernard Purdie (dm), Jerry Jemmont (b) et de l'excellent Cornell Dupree (g).

La fin de la décennie est marquée par sa collaboration avec Curtis Mayfield sur Sparkle, avant un nouveau changement de maison de disques, avec Arista en 1980. Sur le plan personnel, la période est difficile avec l'agression de son père, blessé par balles par un cambrioleur en 1979, et qui décédera au bout de cinq années de coma. Sur le plan artistique, le succès est encore au rendez-vous avec l'album Jump to It puis Get It Right, produit par Luther Vandross dans un univers pop-soul aux sonorités modernes proches de l'univers de Michael Jackson ou de Withney Houston. C’est également de cette époque que date sa participation remarquée au film de John Landis, The Blues Brothers (1980), où elle joue l'épouse du guitariste Matt Guitar Murphy, récemment disparu, et donne une version mémorable de son classique «Think» (plus rapide). En 1987, paraît l’album gospel One Lord, One Faith, One Baptism paru en 1987 en compagnie de Mavis Staples, Joe Ligon et de ses sœurs Carol et Erma.

Aretha Franklin © photo X, by courtesy of Atlantic-Rhino


Plus discrète ses dernières années, sa popularité avait cependant dépassé le cadre de la musique afro-américaine par ses nombreux duos avec des artistes de pop tels Annie Lennox, George Michael, Keith Richard ou Lauryn Hill, mais aussi par ses participations aux films Malcom X, Sister Act 2 ou Blues Brothers 2000, un peu à l'image de Tina Turner. Elle collectionna les récompenses, avec une quinzaine de Grammys, et fut même intronisée dans le fameux Rock & Roll Hall of Fame en 1987. Son Lifetime Achievement Award en 1994, suivit de projets aussi divers qu'un livre de cuisine ou des cours de piano à la Juilliard School, en passant par ses nombreuses apparitions à la Maison Blanche, marquèrent le début  d'une forme de retraite. Son attachement à la ville de Detroit où elle retourna dans les années 1980, était devenu son havre de paix; elle y enregistra, il y a peu de temps encore, en studio, un album produit par Stevie Wonder que l'on attend avec impatience.

Après plus de soixante ans de carrière, la Queen of Soul, aux capacités vocales exceptionnelles, dont le registre s'étendait sur quatre octaves, restera une artiste majeure de la musique populaire américaine.

Ses funérailles à Detroit ont eu lieu au Greater Grace Temple, le 31 août dernier, avec quelques artistes venus saluer sa mémoire, tels que Stevie Wonder, Ron Isley, Chaka Khan ainsi que l’univers du gospel représenté par Yolanda Adams, Marvin Sapp, Vanessa Bell Armstrong, Les Clark Sisters et Shirley Caesar. Lors de la cérémonie, on a pu entendre les discours de Bill Clinton, du révérend Jesse Jackson, Smokey Robinson ou du fidèle Clive Davis. Un concert gratuit la veille a vu défiler sur la scène de Detroit Dee Dee Bridgewater, Gladys Knight, Angie Stone et les Fours Tops. Par ailleurs, un concert en forme d’hommage est prévu en novembre prochain au Madison Square Garden de New York, organisé par Clive Davis.

David Bouzaclou
photos X by courtesy of Columbia et Atlantic-Rhino


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N°379-380 (1980)

ARETHA FRANKLIN et
JAZZ HOT:
n°242 (1968), n°264 (1970), n°379-380 (1980), Supplément internet n°634 (2006)


SITE: www.arethafranklin.net


DISCOGRAPHIE SELECTIVE
Leader
CD 1960. Aretha, Columbia/CBS 474373-2 (avec Ray Bryant, p, Al Sears, ts, Quentin Jackson, tb, Tyree Glenn, tb)
CD 1961. The Electrifying Aretha Franklin, Columbia/Legacy 519871-2
CD 1962. The Tender, the Moving, the Swinging Aretha Franklin, Columbia/Legacy 519871-2
CD 1963. Laughing on the Outside, Columbia 8879
CD 1963. The Country's Best, Columbia/Legacy 519871-2
CD 1964. Unforgettable. A Tribute to Dinah Washington, Columbia/CBS 471588-2 (avec George Duvivier, b)
CD 1964. Aretha Sings the Blues, Columbia/Legacy 519871-2
CD 1964. Runnin' Out of Fools, Columbia 471588-2
CD 1964. Soul Sister, Columbia 9429
CD 1965. Yeah!!!, Columbia/Legacy 519781-2 (avec Teddy Harris, p, Kenny Burrell, g, James Beans Richardson, b, Hindel Butts, dm)
CD 1967. I Never Loved a Man The Way I Love You, Atlantic/Rhino Records 8122-71934-2
CD 1967. Aretha Arrives, Atlantic/Rhino Records 8122-71274-2
CD 1968. Lady Soul, Atlantic/Rhino Records 8122-71933-2
CD 1968. Aretha Now, Atlantic/Rhino Records 8122-71273-2
CD 1968. Aretha in Paris, Atlantic/Rhino Records 8122-71852-2
CD 1968. Soul 69, Atlantic/Rhino Records 8122-71523-2
CD 1969. The Girl's in Love With You, Atlantic/Rhino Records 8122-71524-2
CD 1970. Spirit in the Dark, Atlantic/Rhino Records 8122-71525-2
CD 1971. Live at Fillmore West, Atlantic/Rhino Records 8122-71526-2
CD 1971. Aretha Franklin & King Curtis, Don't Fight the Feeling, Rhino Handmade ‎2 7890 (4 CDs, inédit, avec Ray Charles et les Memphis Horn)
CD 1972. Young, Gift and Black, Atlantic/Rhino Records 8122-71527-2
CD 1972. Amazing Grace, Atlantic/Flashback Records 8122-75717-2
CD 1972. Oh Me Oh My: Live in Philly, 1972, Rhino Handmade ‎2 07757
CD 1973. Hey Now Hey: The Other Side of the Sky, Atlantic/Rhino Records 8122-71853-2
CD 1974. With Everything I Feel in Me, Atlantic 18116-2
CD 1975. Let Me in Your Life, Atlantic/Rhino Records 8122-71854-2
CD 1976. Sparkle, Atlantic/Rhino Records 8122-71148-2
CD 1987. One Lord, One Faith, One Baptism, Arista 82876 50350 2

Compilations et intégrales
CD 1960-65. Take a Look: Aretha Franklin Complete on Columbia, Columbia/Legacy 88697792792
CD 1966-73. Rare & Unreleased Recordings From The Golden Reign of the Queen of Soul, Atlantic/Rhino Records 8122-79970-3
CD 1967-76. The Atlantic Albums Collection, Atlantic/Rhino Records 081227951993

1961. The Electrifying Aretha Franklin, Columbia  1962. The Tender, the Moving, the Swinging Aretha Franklin, Columbia  1964. Soul Sister, Columbia  1965. Aretha Franklin, Yeah!!!, Columbia

1967. Aretha Franklin, I Never Loved a Man The Way I Love You, Atlantic  1968. Aretha Franklin, Aretha Now, Atlantic  1971. Aretha Franklin, Live at Fillmore West, Atlantic  1987. Aretha Franklin, One Lord, One Faith, One Baptism, Arista

DVD
Aretha Franklin, Live at Park West, Image Entertainment
Atlantic Records: The House that Ahmet Built, de Susan Steinberg, Rhino
Aretha Franklin, The legendary Concertgebouw Concert Amsterdam 1968, Rodeo Media
Aretha Franklin, Live at Montreux 1971, Footstomp
Aretha Franklin, Live in Stockholm 1968, Mirage


BIBLIOGRAPHIE

Sebastian Danchin, Aretha Franklin. Portrait d’une Natural Woman, Buchet Chastel
Sebasti
an Danchin, Encyclopédie du Rhythm & Blues et de la Soul, Fayard
Sebastian Danchin, Muscle Shoals. Capitale secrète du rock et de la soul, Autour du Livre
Peter Guralnick, Sweete Soul Music, Allia
Florent Mazzoleni, Memphis, Aux racines du rock et de la soul, Le Castor Astral
David Ritz, The Life of Aretha Franklin, Little, Brown & Company (en anglais)


VIDEOS


1964. Aretha Franklin au Steve Allen Show (émission TV)
https://www.youtube.com/watch?v=VEIdwaXYNPc&feature=share

1967. Aretha Franklin, «Do Right Woman» (émission TV Merv Griffin Show)
https://www.youtube.com/watch?v=N1MW6xXjW8g&index=2&list=RD3diMP_MT124

1968. Aretha Franklin, Live in Stockhom (concert intégral)
https://www.youtube.com/watch?v=DObS9jdnV2I
https://www.youtube.com/watch?v=UYXFTDPrXaE
https://www.youtube.com/watch?v=fGRxg-owr08
https://www.youtube.com/watch?v=stOFv7nBXgc
https://www.youtube.com/watch?v=M38Jl3iC49Q
https://www.youtube.com/watch?v=zTvEbIcBhXs
https://www.youtube.com/watch?v=ED9iLWTPIiI
https://www.youtube.com/watch?v=cRbEycU0Co8


1971. Aretha Franklin, Live at Fillmore West (concert intégral)
https://www.youtube.com/watch?v=Vyx34kgHGng

1975. Aretha Franklin & Ray Charles, «Two to Tango» (émission TV The Midnight Special)
https://www.youtube.com/watch?v=sskTXnQiWec

1980. Aretha Franklin, «Think» (extrait du film The Blues Brothers)
https://www.youtube.com/watch?v=WY66elCQkYk

1998. Aretha Franklin, «Respect» (extrait du film The Blues Brothers 2000)
https://www.youtube.com/watch?v=OD3WOKLTRyQ

2016. Aretha Franklin, «Rock of Age», New Bethel Baptist Church, Detroit
https://www.youtube.com/watch?v=FUjJhHgix4M&app=desktop


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