Connue du grand public comme chanteuse de variété, Maurane, malgré son succès commercial appartenait aussi, pour ses amis, à la tradition de la chanson à texte, comme on dit en France «la grande chanson française» y compris pour son compatriote, Jacques Brel, dont elle avait le projet de reprendre les titres juste au moment de sa disparition.
On peut rapprocher Maurane de Colette Magny, moins impliqué, c'est vrai, dans le showbizz, une proximité «à l'ancienne» avec le jazz et les chansons à textes, malgré quelques écarts parfois vers plus de facilité. Grande amatrice de jazz, comme le rappelle avec émotion Charles Loos, ci-dessous après le texte de Jean-Marie Hacquier, elle a fréquenté cette musique, notamment en compagnie de Charles Loos (p) et Steve Houben (as), le fameux trio HLM, sans jamais oser, c'est Charles Loos qui le dit, aborder un territoire qui lui semblait «intouchable», malgré son indéniable talent et de grandes facilités. Une sorte de réserve culturelle, une forme de sagesse et d'authenticité…
Nos condoléances à ses proches et ses amis…
Maurane est décédée à son domicile de Schaerbeek (Bruxelles) le soir du lundi 7 mai 2018, vraisemblablement
victime d’une crise cardiaque. Elle avait 57 ans. Nous l’avions vue pour la
dernière fois le 27 août 2016 à La Hulpe à l’occasion des funérailles de Toots
Thielemans. Souffrant des suites d’une opération d’un œdème aux cordes vocales,
elle n’avait pas pu répondre aux sollicitations d’interview des journalistes
présents. Après plus de deux années de souffrances et de rééducation, elle
s’apprêtait à faire un retour avec un nouvel album de chansons de Jacques Brel. Le samedi précédant son décès, elle avait donné un
court récital au Palais d’Egmont pour la Nuit des Etoiles. Le lendemain, pour
la Fête de l’Iris de la Région de Bruxelles-Capitale, elle était apparue sur
scène, fragile en gravissant les marches du podium, puis elle avait interprété «La
Chanson des vieux amants» de Brel en duo avec la jeune Typh Barrow. Maurane souffrait
du dos mais elle était apparue heureuse d’être à nouveau sur scène.
De son vrai nom Claudine Luypaerts, elle est née le 12
novembre 1960 à Ixelles (Bruxelles). Sa mère, Jeanine Patireaux est professeur
de piano; son père, Philippe Luypaerts (1931-1999), directeur de l’Académie de
Musique de Verviers. Il lui avait enseigné le violon, mais la jeune fille
avait préféré le piano, le chant et la guitare. Rapidement, elle se met à composer
ses propres textes et musiques. Maurane s’est fait rapidement remarquer par la
puissance et la tessiture de sa voix mais aussi par le souci des nuances dans
la peinture des sentiments. Son expressivité est celle d’un instrumentiste de
jazz, une musique qu’elle affectionne et pratique. Il est intéressant de
rapprocher à ce propos son interprétation
en duo avec Toots Thielemans sur «Tendre/For My Lady» –un original de
l’harmoniciste– avec celle qu’en donna Claude Nougaro, dont elle reprit fréquemment les chansons. En 1979, sa
participation au spectacle Brel en Mille
Temps lui vaut d’être repérée par Pierre Barouh qui produit son premier
disque sur son label, Saravah.
Maurane, Charles Loos, Steve Houben © Photo X, by courtesy of Igloo Records
Maurane n’a jamais oublié ses amis du jazz. Elle enregistre d'abord, en 1985, un disque sous son nom, Danser (Franc'Amour, réédité par Igloo Records), qui sort l'année suivante. Puis, elle passe en studio avec le trio
H.L.M. (Steve Houben et Charles Loos) pour un album éponyme (Igloo Records). Cette complicité sera
renouvelée, vingt ans plus tard, en 2005 (Un Ange passe, Igloo Records).
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HLM
Maurane, Charles Loos se souvient…
«J’ai été son premier pianiste. On s’est rencontrés en
1977; elle jouait très bien du piano et de la guitare. Elle ne faisait pas
encore des chansons «variétés» ; c’étaient des chansons assez progressistes,
des chansons françaises intéressantes. Elle était aussi très forte en musique
brésilienne; son grand maître, c’était Al Jarreau. Elle faisait magnifiquement
ce côté rythmique de la musique brésilienne à la guitare. J’ai beaucoup appris
avec elle à cette époque-là. Elle jouait aussi très bien du piano, mais, plutôt
des morceaux lents. En jazz, sa préférée c’était
Ella Fitzgerald. De temps en temps, elle chantait une ballade de jazz, mais
simplement comme ça, en répétition,
jamais sur scène! Je pense que c’est à cause de sa fascination pour
Ella qu’elle n’a jamais voulu chanter de jazz sur scène; ça lui paraissait inaccessible.
Elle chantait très bien le blues aussi. J’ai commencé à travailler avec elle au début de sa carrière, en 1978. Elle n’avait que 17 ans. L’histoire de HLM a débuté comme
ça: je jouais en duo avec Maurane, et Steve (avec lequel je jouais
régulièrement aussi en duo) est venu nous écouter. Il m’a dit: «C’est
formidable, il faut absolument qu’on mette ça en trio!» Là, j’ai
vraiment découvert ce qu’elle pouvait faire en scat. Pour autant, elle n’avait
pas fait Berklee, elle ne savait même pas lire la musique! Son père,
Philippe Luypaerts, était un type important dans la musique classique, mais,
elle, n’avait pas de formation musicale; elle faisait d’instinct des impros qui
rendaient Steve malade! Elle avait une approche intuitive; une approche à
tomber raide! Ce qui m’a toujours fasciné chez elle, c’est qu’il ne fallait
jamais lui écrire une deuxième voix. Steve jouait la première voix et elle,
elle inventait une deuxième voix qu’aucun arrangeur n’aurait imaginée. Et ce
n’était jamais deux fois la même! C’était d’une justesse imparable; ça
passait dans l’harmonie. Je ne sais pas comment elle faisait, mais c’était
magnifique! Elle avait une voix qui ne ressemblait à aucune autre et une
manière de chanter très personnelle. Tous les musiciens de jazz étaient
fascinés par sa facilité et son inventivité qui sortaient des cadres traditionnels; ce n’étaient pas des clichés bebop!»
Texte et propos recueillis par Jean-Marie Hacquier Photos Jacky Lepage et photo X by courtesy of Igloo Records
DISCOGRAPHIE
Leader-coleader
CD 1985. Danser, Franc'Amour 024 CD 1985. HLM, Igloo Records 043 (avec Steve Houben et Charles Loos) CD 2005. HLM, Un Ange passe, Igloo Records 183 (avec Steve Houben et Charles Loos)
VIDEOS 2011. Maurane (voc) avec Louis Winsberg (g), «Arsmtrong», sur RTL https://www.youtube.com/watch?v=lw_2NWIaABI
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