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Lucien Malson

27 jan. 2017
14 mai 1926, Bordeaux - 27 janvier 2017, Paris
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Lucien Malson, capture écran d'une émission archivée à l'Ina accessible sur ina.fr



Lucien Malson, né Lucien Patte, à Bordeaux en 1926, un ancien de Jazz Hot parmi les plus réputés, influant critique de la génération d’après-guerre, celle d’André Hodeir, est décédé le 27 janvier 2017, à Paris.

Sa notoriété et sa longue présence dans le jazz sont fondées sur quelques ouvrages sur l’histoire du jazz, se recoupant dans la forme et le contenu, et sur un ouvrage de psychologie sociale, qui a connu un succès important, Les Enfants sauvages (Editions Plon, 1964). Lucien Malson reste un modèle aujourd’hui pour une partie de la critique d’extraction universitaire.

Ecrivain et critique de jazz, Lucien Malson est également connu pour ses nombreuses émissions radiophoniques consacrées au jazz et sa collaboration au long cours avec la presse spécialisée ou généraliste, Jazz Hot en particulier où il publia de 1947 à 1968, avec quelques infidélités parfois au profit de Jazz Magazine à partir de 1959.

C’est en 1947, qu’il apporte sa première collaboration à Jazz Hot (n°13), dans un article thématique («Richesse du jazz»), mêlant esthétique et philosophie, un ton savant et universitaire qu’il gardera dans toutes ses contributions dans la presse, et qui constitue, en définitive, sa marque de fabrique.
Au cours des années 1950, il devient chroniqueur à France Soir (1956), Radio-Cinéma –qui en 1960 devient Télérama–, Arts et Spectacles, et toujours Jazz Hot dans lequel il côtoie toutes les tendances de toutes les époques, jusqu’à mai 1968, assurant, entre autres articles souvent bâtis comme des points de vue au ton professoral, un «courrier des lecteurs», à la suite de Boris Vian et Michel de Villers, de plus en plus «philosophique».
En 1959, Lucien Malson est également à l’origine des Cahiers du jazz dont il est le directeur-fondateur. Il collabore à beaucoup de revues: Les Temps modernes, Esprit, Europe, Jazz Magazine, Le Magazine littéraire, la Revue de musicologie, Inharmoniques, L'Homme, on en oublie sans doute, et il anime des émissions à l'ORTF: Visages du jazz et Tribune des critiques de jazz. Il écrit également des chroniques musicales et des nécrologies pour le journal Le Monde.

Histoire du jazz moderne, Ed. La Table Ronde, 1961


Ces ouvrages consacrés au jazz, comme Les Maîtres du jazz: D’Oliver à Coltrane (Coll. Que sais-je, PUF, 1952), Histoire du jazz moderne (La Table Ronde, 1961), Histoire du jazz (Editions Rencontre, Coll. Histoire de la Musique, Lausanne/La Guilde du Disque, 1967), Histoire du jazz et de la musique afro-américaine (Coll. 10/18, Union Générale d’Editions, 1976), Le Jazz (PUF, 2012, avec Christian Bellest) présentent une vision chronologique et progressiste du jazz, bien dans l’esprit de cette génération des critiques d’après-guerre. Elle n’a pu concevoir le foisonnement de cette musique, avec ses diversités sociologiques et géographiques, que comme une succession de courants et de ruptures, sur le modèle linéaire caricatural de la querelle perpétuelle des Anciens et des Modernes, les derniers invalidant les précédents dans une course à la créativité obligée. Bien dans l’esprit positiviste et finalement simpliste, le grand savoir de Lucien Malson et André Hodeir issu du monde universitaire et/ou académique, ancré dans la certitude du progrès inéluctable de l’expression musicale, sur le principe hodeirien, fondé sur un perfectionnement des techniques (instrumentales, d’écritures aussi bien que matérielles), a débouché sur un malentendu (avec et sans jeu de mot) du jazz qui dure encore. C’est ainsi qu’à l’instar d’André Hodeir qui s’interrogeait sur la perte de créativité de Duke Ellington au début des années 1950, Lucien Malson s’interroge, lui, dans Histoire du Jazz:«Pouvait-on, en 1960, continuer de jouer comme Dizzy Gillespie?», comme si Dizzy Gillespie, alors âgé de 43 ans, pouvait devenir sans intérêt par l'existence d'autres créateurs plus jeunes…

Histoire du Jazz, Ed. Rencontre, 1967


Finalement, c’est Boris Vian, avec sa plume aussi humoristique que moqueuse qui résume le mieux, dans une phrase à double sens dont il a le secret, la réalité de cette génération de critiques d’après-guerre qui inonde encore le jazz et ses scènes de ses vues si funestes pour la perpétuation d'un jazz de culture: «Personnellement, J’ai un faible pour les intellectuels, les gens cultivés et sensibles comme André Hodeir et Lucien Malson. Si vous ne les aimez pas, c’est inutile d’insister, ça prouve seulement que le domaine de leur compréhension est plus développé que le vôtre, et que le prétentieux c’est vous, qui voulez les juger. A propos, la musique, c’est pas un art intellectuel sans doute?». On peut bien sûr s’interroger sur le sens de cette phrase (reprise par Lucien Malson lui-même dans un autre sens que ce que nous percevons), mais une lecture attentive de Boris Vian dans Jazz Hot ne laisse planer aucun doute sur ce qu’il voulait dire.

Homme de radio également, Lucien Malson crée en 1961 à Radio France «Le Bureau du Jazz» et présente de 1956 et jusqu’à 1996 de nombreuses émissions sur France Musique et France Culture («Jazz d’Aujourd’hui», «Black and Blue», «Le Monde du jazz», «Bluesland», etc.).

Lucien Malson a enfin été membre de l’Académie Charles-Cros.

L'Enfant sauvage, Affiche du film de François Truffaut


Titulaire d’un doctorat ès Lettres et sciences humaines, agrégé de philosophie, Lucien Malson a eu par ailleurs une belle carrière universitaire, enseignant cette discipline puis occupant une chaire au Centre national de pédagogie. Sa publication de l’ouvrage Les Enfants Sauvages en 1964, adapté au cinéma par François Truffaut (L'Enfant sauvage, 1970), explique en partie une notoriété réelle pour une personnalité discrète.
A propos de son ouvrage Les Enfants sauvages, constamment et encore récemment réédité avec succès, Serge Aroles, un chirurgien qui a mené ses investigations dans les archives (L'Énigme des enfants-loups, 2007) reproche à Lucien Malson de n'avoir pas investiguer lui-même ces archives. Utilisant uniquement des livres, c'est-à-dire des sources de seconde main, Lucien Malson aurait validé, selon Serge Aroles, des cas d'enfants sauvages qui, pour la plupart, relèveraient de l’escroquerie, voire de maltraitances: il en serait ainsi de la célèbre enfant-loup Kamala (Inde, 1920), cas que Lucien Malson évoque, et pour laquelle les archives certifieraient qu'il s'agissait d'une fillette déficiente mentale qu'un escroc maltraitant frappait à coups de bâton afin qu'elle marche à quatre pattes devant les visiteurs, jouant ainsi le rôle de l’«enfant-loup».

Ici, comme dans le jazz, le savoir ne peut s’abstraire du vécu et de la culture, et c’est peut-être le plus grand reproche qu’on puisse faire à ce courant de critiques du jazz dont fit partie Lucien Malson, même si ses ouvrages, toujours riches de savoirs les plus divers, ont parfois contribué à la connaissance et à la diffusion du jazz auprès des amateurs dans une période de relative pénurie éditoriale sur le jazz.

Le salut de l'équipe de Jazz Hot à un Ancien qui a fait partie de son histoire et continue d'animer le débat.

Yves Sportis


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