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Harold Mabern

31 déc. 2013
Live at Smalls
© Jazz Hot n°666, hiver 2013-2014

Nouveauté-Indispensable
Alone Together, I'm Walking, Dreaming, Road Song, Boogie for Al McShann, Sesame Street, Afro Blue

Harold Mabern (p), John Webber (b), Joe Farnsworth (dm)
Enregistré les 22 et 23 juin 2012, New York
Durée : 57’
Smalls Live 0032 (www.smallsjazzclub.com)


Avec son label Smalls Live, Spike Wilner, propriétaire de Smalls à New York, poursuit sa lancée d’enregistrements live et sort une session signée Harold Mabern. Avec un musicien de légende, Smalls qui est avant tout un club de bebop retrouve toute sa splendeur.

Quand Mabern joue, il joue en famille. Le plus souvent avec Eric Alexander, ici avec John Webber à la basse et Joe Farnsworth à la batterie. Ils jouent ensemble depuis vingt ans. N’oublions pas George Coleman dont l’amitié remonte à l’enfance. Mabern par ses activités d’enseignant à William Paterson University, dans le New Jersey, et par son amour du jazz, de son histoire et du live a accompagné et aiguillé une génération de musiciens. Certains sont devenus des amis. Une histoire de famille et de camaraderie. La session débute avec « Alone Together » et une improvisation vertigineuse du pianiste. Renforcé par la section rythmique, le jeu de Mabern est intense et plein d’énergie. Le titre se poursuit sur onze minutes. Dans ce titre de Arthur Schwartz, le trio trouve là toute la richesse pour creuser toutes les profondeurs du jazz. Quand Webber et Farnsworth font un solo, Mabern redevient l’accompagnateur aiguisé et apporte tout son savoir-faire pour mettre en avant le bassiste et le batteur avant de reprendre les rennes du set. Le disque pioche sur deux concerts donnés les 22 et 23 juin 2012, et donc sans doute sur quatre sets. En composant une anthologie des meilleures interprétations, Spike Wilner laisse hélas de côté un élément presque tout aussi important que la musique, c’est le dialogue que Harold Mabern noue avec le public, l’occasion, entre deux morceaux, de raconter des histoires, de rétablir des vérités, d’évoquer des figures parfois oubliées…Le pianiste se lance dans « Walking » de Fats Domino. Après une introduction bluesy dans la tradition de cœur de Mabern, le trio fait swinguer Smalls. Le toucher de Mabern, solide et délicat, la main gauche dans la tradition et la droite dans le monde d’aujourd’hui, donne un son incomparable, reconnaissable entre tous. Avec « Dreaming », le pianiste nous renvoie à la magie inépuisable de son compositeur Erroll Garner, comme à celle du jeu de Teddy Wilson, Nat King Cole et Mary Lou Williams. Le géant au cœur tendre joue les mélodies avec sensibilité et une grande élégance. Pour qui connaît le parcours du pianiste, un set de Harold Mabern est largement autobiographique. Il interprète des titres d’amis, de musiciens qu’il a bien connus et avec qui il a joués, sans oublier les hommages et les clins d’œil. « Road Song » est un bon exemple. Mabern a joué avec Montgomery durant deux ans et l’a suivi en tournée en 1965. Le trio joue tout le groove de ce titre de Wes Montgomery. Le solo de Webber est très réussi. Le bassiste, qui aujourd’hui joue davantage de la guitare, est tout aussi rodé au swing. En plein milieu du set, comme Mabern aime le faire, le pianiste joue un boogie en solo, « Boogie for Al McShann », une composition originale. Plus qu’une pause dans un set-list exigeant, le titre traduit l’état d’esprit et les valeurs de Harold Mabern que défend, la passion de la musique bien sûr, la mémoire aussi, la fidélité en amitié, mais surtout la défense de toutes les différentes strates qui nourrissent l’histoire du jazz. L’excellence du pianiste de Memphis est complète. Puis vient « Sesame Street », un titre issu de la culture populaire, le générique de l’émission phare, diffusée à partir de 1969 aux Etats-Unis, qui marqua des générations d’enfants pour sa tendresse et sa drôlerie. Pas de concept de producteur, Harold Mabern joue avec le même plaisir ce titre de Joe Raposo comme il joue du Phineas Newborn, Jr. La mélodie, toujours l’amour de la mélodie. « Afro Blue » conclut la session. Mabern aime ce titre de Mongo Santamaria, qui le ramène à Coltrane. Le trio finit en beauté ce set magistral. Pour Harold Mabern, ce n’est qu’un set de plus ; pour nous, il est bien plus, l’incarnation d’un jazz bien vivant, généreux, sensible et élégant.

Mathieu Perez