Err

Bandeau-pdf-web.jpg
Actualités
Rechercher   << Retour

Ascona (Suisse)

1 sep. 2013
JazzAscona, 21 au 29 juin 2013
© Jazz Hot n°664, été 2013

New Orleans Brass Revue©Michel Laplace



Ascona évolue et se perpétue sous le sous-titre cette année d’« It Don’t Mean a Thing if It Ain’t Got That Swing ». Les aménagements sont les « Ascona Specials » (A.S.) sous le chapiteau Torre, payant, proposant des vedettes internationales et un accès gratuit ( !) aux concerts sur les cinq podiums le long du lac (Torre à partir de 23h environ) pendant la semaine (dimanche à jeudi). Cette dernière particularité, ainsi que la présence de Brass Bands (Ambrosia et la New Orleans Brass Revue de Matthew Shilling, as, avec Jason Marsalis, dm, Ashlin Parker, tp, Stephen Walker, tb), ramènent pour les vétérans, dont nous sommes, aux souvenirs des origines de ce festival.
Notons encore, outre l’accueil exceptionnel des organisateurs, l’exposition/les vidéos/la boutique de disques de l’Association SwissJazzOrama, fidèle aux lieux, notamment grâce à Jacques Rohner. Bien entendu, un chroniqueur aussi dévoué soit-il ne peut être présent partout à la fois. Voici son parcours d’abord motivé par les artistes qui ne se produisent pas en France.

Gerald French-Shannon Powell©Michel LaplaceLe 22, en dehors de quelques morceaux « basiens » dispensés par Uros Perich avec l’UJO Orchestra (Tribute to Ray Charles) (section de trompettes percutantes) et par l’Ascona Big Band d’Ivan Lombardi (composante féminine dans la section de trompettes), nous avons choisi un plateau strictement néo-orléanais pour ce premier soir, tel qu’on l’ignore dans les programmations françaises. Au Debarcadero, le Shannon Powell’s New Orleans All Stars, qui en dehors de « Bourbon Street Parade » (beat de parade) a surtout fait dans le Rhythm’n Blues louisianais (« I’m Walkin’ » avec Shannon comme chanteur) dans lequel le style rugueux à la King Curtis de Roderick Paulin (ts) convient bien (dans le genre rentre-dedans il y aura aussi Boris Van der Lek avec Christian Willisohn). Roland Guerin nous a servi de la slap-bass à la Marcus Miller (« Cantaloup Island »,…). Mais surtout, c’était un festival de batterie par Shannon Powell, l’un des meilleurs de la Cité du Croissant après Herlin Riley (absent d’Ascona cette année). Puis, ce fut l’Original Tuxedo Jazz Band dirigé par Gerald French (dm, voc) dans un programme typiquement traditionnel (« Lord Lord Lord », « Fidgety Feet », « Dinah », « Muskrat Ramble »,…) mettant en valeur des désormais vétérans (Tom Fischer, cl-ts, Larry Siberth, p, Richard Moten, b) et de la jeune sève néo-orléanaise : David Harris (tb) et surtout le solide Andrew Baham (tp, voc) prometteur. Nous avons prolongé la nuit jusqu’au lendemain au Torre, avec l’excellente Lillan Boutté, chou-chou d’Ascona (nous l’y avions découverte en 1989 !). Elle fut correctement accompagnée par Esben Just (p), Ole Skipper (b), Soeren Frost (dm) et elle bénéficia du concours du showman James Andrews (tp, voc), frère aîné de Trombone Shorty (qui a grandi dans tous les sens du terme) plus à l’aise dans le funky (« Barefoot », « Oo-poo-pa-doo ») que dans l’imitation de Louis Armstrong (« Sleepy Time »).

Le matin du 23, nous remarquons l’excellent solo de Jérôme Etcheberry (tp) dans «  St James Infirmary » au sein de l’United Nation Jazz Band (ristorant Al Pontile), groupe tonique qui donnera aussi trois jours plus tard un excellent « Red Wing » (avec l’étonnant Niklas Carlsson, tb, et en guest : David Paquette, p). A midi, sous le soleil, bouffée « mainstream » par les Swing All Stars italiens du clarinettiste Paolo Tomelleri, goodmanien (« Tea for Two ») déjà venu à Ascona comme son trompette solo remarquable, Emilio Soana, fin styliste méconnu en France (« Rockin’ Chair », « Sleepy Time »). La sonorité à la Mulligan de Carlo Bagnoli se marie bien à l’ensemble et les arrangements sont soignés. C’est sur la même ligne « maintream » que s’est exprimé le très bon International Hot Jazz Quintet d’Engelbert Wrobel (cl, ts, ss) avec Duke Heitger (tp) et Nicki Parrott (b). Wrobel est un bon clarinettiste (son « Apex Blues » ne doit rien à Jimmie Noone) qui a fait merveille dans « What A Little Moonlight Can Do » délicieusement chanté par Nicki Parrott et où la trompette incisive de Duke Heitger ainsi que le piano de Paolo Alderighi ont retenu l’attention. Dans « Indian Summer », Duke Heitger a montré ce qu’il doit à Ruby Braff. A noter un « Sidewalk Blues » (sans Nicki), réjouissant car de nos jours qui se préoccupe encore de Jelly Roll Morton ? (le lendemain ce sera « Mississippi Rag », genre difficile notamment pour la trompette, même dans une vision jazzée comme ici). La Carling Family se produisait non loin de là. Etonnant spectacle de music-hall dynamisé par la forte présence de Gunhild Carling, chanteuse et multi-instrumentiste (principalement trompette et surtout trombone). Dans « Dinah » et « I Cover the Waterfront » l’hommage au Louis Armstrong de 1933 est évident. On retrouve ce modèle dans « Swing That Music » où Gunhild laisse le soin à son père Hans Carling de jouer les dernières notes enlevées de trompette. Dans « Panama », la front-line, Hans (tp), Gunhild (tb) et son frère Max (cl) a joué très New Orleans, avec un trombone robuste à souhait. Le plus mignon fut sans doute « Love Letter » de Gunhild qu’elle a chanté en s’accompagnant au piano. Gros succès populaire.

Le 24 sous le soleil inspire une escapade brésilienne avec les Creole Clarinets (Thomas L’Etienne, cl, Uli Wunner, as) et le Trio Perigoso (joli « Si tu vois ma mère » de Bechet), puis en soirée (A.S.) la célèbre Tania Maria. Style de piano percussif, répétitif, Tania Maria qui alterne instrumentaux et morceaux chantés (qui s’écartent de la vraie samba) crée un climat envoutant qui a su séduire une bonne partie du public. A la sortie du Torre, le showman irlandais Paddy Sherlock (tb, voc) a bien capté l’attention dans un genre qui rappelle le rock’n roll (Thomas Ohresser, g). L’étonnant Jean-Philippe Naerder aux percussions est pour beaucoup dans l’efficacité du quartet (à noter ce « St James Infirmary » déjanté genre Screamin’ Jay Hawkins). Le « Midnight Show » a prolongé cette impression fifties avec la voix aigrelette (et charmante) d’Elaine McKeown que nous avions découverte à Ascona aux débuts des années 1990. Elle s’intégrait aux Ginger Pig du (bon) trompette anglais Finlay Milne avec les frères Richardson (John, p, Colin, dm), musiciens que nous avions aussi découverts à Ascona en 1989 avec le sax Sammy Lee. Cette fois leur invité néo-orléanais est le jeune Trumpet Black alias Travis Hill, aîné d’un an de son cousin Trombone Shorty. C’est un bon chanteur et trompettiste qui s’est mis en valeur dans « Back O’Town » (sanglant), « Just a Closer Walk » (lent puis vif), « I’ve Got A Woman » et (décidément revenu à la mode) « St James Infirmary ». Travis qui joue avec conviction et puissance, a une particularité : un vibrato régulier qu’il obtient en vibrant la colonne d’air et non en oscillant l’instrument, moyen le plus fréquent en « jazz » depuis Armstrong.

Le 25, l’après-midi débute avec les Late Night Jammers constitués de George Washingmachine (vln, voc), David Blenkhorn (g), Sébastien Girardot (b), l’indispensable Guillaume Nouaux (dm). A propos de standards comme « Wrap Your Troubles in Dreams », « Marie », « The Mooche », les formules à 2, 3, 4 et plus avec des invités (ts, accn) assurent une variété d’effets sur une constante (swing). A 16h, ce fut le tour des Syncopators avec Peter Gaudion (tp, voc) vétéran bien connu en Australie (signalons aussi Chris Ludowyk, tb) : beau style dans « You Always Hurt The One You Love », et sans caricature d’Armstrong, un extrait du film High Society qui balançait bien (Rod Gilbert, dm-voc). Lors du 2e set, Peter Gaudion a assuré dans « West End Blues ». Flavio Boltro (tp) au jeu flamboyant à la Freddie Hubbard, avec une touche davisienne si besoin (ce « Green Dolphin’ Street ») a manifesté son plaisir d’accompagner en All-stars (Max Ionata, ts, Dado Moroni, p, Rosario Bonaccorso, b, Roberto Gatto, dm) une personnalité, Ornella Vanoni (née en 1934), comédienne-chanteuse de Milan. Le public italophone réagissait favorablement dès les premières notes du répertoire de cette artiste à la voix plaintive, sorte de Barbara italienne. Ornella Vanoni a fait la concession d’interpréter « My Funny Valentine » avec Boltro et la rythmique. Les instrumentistes ont dû sortir d’un modernisme convenu pour s’impliquer. La « musique populaire » (dans le bon sens du terme) nourrit. Ces musiciens très qualifiés ont tiré de cette expérience un lyrisme qui élève. On soulignera le travail superlatif de Dado Moroni dans les introductions, l’accompagnement et les solos. Enfin, Ornella Vanoni a donné sa chance à une jeune interprète, Danla Satragno l’espace de deux titres (dont « If it Ain’t Got That Swing ») et d’un duo.

Certainement l’une des soirées (A.S.) les plus marquantes, considération de genre mis à part, avec celle survoltée du 26 par les Blind Boys of Alabama (Jimmy Carter, Ricky McKinnie, Ben Moore, voc, avec guitare, piano/orgue, basse, batterie). Ils ont interprété des extraits de leur CDs notamment de celui dédié à la Nouvelle-Orléans. La sonorisation fut aussi forte que pour Nina Attal (qui incidemment dispose d’un trompette précis en Hervé Salamone). Leur musique n’est pas sans évoquer la soul, mais avec cette ferveur communicative propre au gospel qui fit réagir la salle.

Roland Guerin-Mark Whitfield©Michel LaplaceLe 27, par un après-midi pluvieux, Silvan Zingg s’est livré en trio au boogie, puis toujours en trio (Roland Guerin, b, Troy Davis, dm) le guitariste Mark Whitfield depuis le Debarcadero a tenté de rehausser une température brutalement en baisse. Il a commencé par le blues et on pensait à Wes Montgomery lors de ses solos en accords. C’était surtout ce soir-là, face à l’Albergo Elvezia, la remise de l’« Ascona Jazz Award 2013 » à Gerald French qui depuis mi-2012 a succédé à son oncle Bob French à la tête de l’Orignal Tuxedo Jazz Band fondé en 1910 (par Papa Celestin). L’orchestre (cf. supra avec en plus Chris Edmands, bj) s’est une fois encore révélé excellent. Signalons « Tin Roof Blues » chanté par Tom Fischer (bons solos de clarinette et surtout trompette dans la lignée Wynton Marsalis) et, chantés par Yolanda Windsay, « Bill Bailey » (bon solo de David Harris, tb) et surtout « My Funny Valentine » (excellent Andrew Braham !).

Robben Ford©Michel LaplaceLe 28 commence par une réjouissante surprise, New Orleans Brass Revue s’est transformé de brass band en combo mainstream-bop avec Jason Marsalis (vib), Nathan Lambertson (tu), Darryl Staves (dm). Ces jeunes musiciens versatiles ont donné devant un public connaisseur (Mark Whitfield, etc.) d’excellentes versions de « Take the A Train », « In a Sentimental Mood » (alto parkérien de Matthew Shilling), « Sunny Side » (tendance Clifford Brown d’Ashlin Parker, 31 ans), « Indiana » (version bop avec Stephen Walker en forme et les aigus d’Ashlin), « Mack the Knife », « It Don’t Mean a Thing », voir même avec des arrangements soignés (« New Orleans », « Stardust »). Ashlin et Darryl ont prolongé le concert par un duo « free ». C’est ensuite le Barrelhouse Jazzband (toujours Horst Schwarz, tp-tb, Reimer von Essen, cl-as et en bonne forme Frank Selten, ts-bs-ss-cl) qui a fêté ses 60 ans avec des thèmes créoles (dont 3 de Morton !). C’est la deuxième fois que la charmante Champian Fulton passe à Ascona. Chanteuse agréable, elle a un style swing de piano avec par-ci des block-chords, par-là plus rarement des « garnérismes » (« Exactly Like You » en trio). Elle s’est adjoint le concours du fin styliste Fabien Mary (tp) : sourdine bol (« It’s June In January »), harmon sans tube (« It’s Allright With Me ») ou ouvert (« I’m Gonna Sit Right Down »), c’est du grand art. Robben Ford (g, voc) a fait le plein à Elvezia soutenu par orgue (Ricky Peterson, excellent), contrebasse (gros son !) et batterie. On a apprécié l’instrumental « On That Morning » (tiré d’un gospel) et le blues lent lancé par Mose Allison et Charlie Brown, « Fools’ Paradise ». Par contre au Stage Seven, Kim Colett (voc) avec les inflexions à la Miles Davis de Nicolas Giraud (tp) sont desservis par le bruit du « ristorante bar lounge » voisin. Direction donc vers le groupe italo-suisse Armstrong Tribute du bon trombone Danilo Moccia qui avec Fabrizio Cattaneo (tp) et Alfredo Ferrario (cl) forme un front-line efficace (« Chinatown, My Chinatown », etc). Et puis il y a tout ce que nous avons loupé ! Ascona reste le festival idéal pour ceux, nombreux, qui ne sont pas « sectairisés » au stricte « jazz classique » ou à l’inverse formatés pour un pseudo-créativisme « progressiste », pour ne rien dire des snobs incultes qui s’affichent pour les seules « têtes d’affiche » de l’instant. Selon le même principe, la prochaine édition aura lieu du 20 au 28 juin 2014 et ce sera déjà le 30ème anniversaire !
Michel Laplace