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We Want Miles, Miles Davis : Le Jazz face à sa légende

16 oct. 2009
Cité de la musique, Paris 16 octobre 2009–17 janvier 2010
We Want Miles, Miles Davis : Le Jazz face à sa légende Dix huit ans après sa mort cette exposition est la plus importante consacrée au trompettiste Miles Davis. We Want Miles est la demande formulée par les spectateurs anglophones avant le début d'un concert. C'est une belle déclaration d'amour à un musicien attendu avec impatience Et si tel pouvait être le cri des amateurs de jazz en 1980, après cinq ans de silence, ce n'est pas par hasard que Columbia baptisa ainsi le premier disque publié après cette longue retraite.
Organisée sur deux niveaux, cette exposition utilise toutes les ressources du multimédia pour rendre compte de la vie de Miles Davis : photos, films, vidéo, enregistrements, instruments, objets divers concourent à tenter de cerner le personnage énigmatique qui fut non sans raison surnommé « le prince des ténèbres ». We Want Miles s'adresse tout d'abord au grand public qui au mieux connait Kind of Blue et plus probablement la période funk où il connut le plus grand succès populaire. C'est sans doute la raison qui explique pourquoi le spécialiste ne découvre pas grand chose de nouveau dans la première partie de l'exposition où sont présentés dans un ordre parfaitement chronologique sa famille avec la photo de son père lors de la remise de son diplôme de chirurgie dentaire, sa première épouse, tous document importants qu'il fallait faire quelque effort pour les découvrir : Vincent Bessières, commissaire de l'exposition, a bénéficié de la collaboration des ayant droit de Miles Davis pour présenter certains documents. La 52e rue voisine ainsi avec la première venue en France en 1949, où sur la même affiche voisinent Sidney Bechet et Charlie Parker et la relation de Miles avec Juliette Gréco dans le Saint Germain des Près de l'après guerre. Les premières musiques (écoutées au casque) donnent le point de départ d'un musicien alors raisin aigre. Mais pas un mot sur cette querelle très franco-française où la dureté des arguments d'un Boris Vian contrastait avec la pathétique défense du «vrai jazz» d'Hugues Panassié : les musiciens américains ne se sont pas posé de problème et ont continué de jouer dans leur propre style.
En passant aux années 50 qui culminent bien sûr avec Kind of Blue, on peut regretter le manque de documentation sur cette première traversée du désert, avec des retours vers Saint Louis pour désintoxication, jusqu'à la formation du premier quintet particulièrement illustrée par un saxo ténor utilisé par John Coltrane et prêté pour l'exposition par son fils Ravi Coltrane. De nombreux documents (contrats, partitions de la collaboration avec Gil Evans largement documentée) complètent cette période avec un grand panneau consacré au matraquage et à l'arrestation de Miles Davis devant le Birdland, une semaine après la sortie de Kind of Blue. Si Miles a passé peu de temps en prison, son absence a causé la disparition du sextet avec Cannonball Adderley et une profonde rupture s'est produite entre le trompettiste et son pays natal qui expliquent son attitude fort différente aux USA et en Europe.

Il est indispensable de s'arrêter pour regarder le DVD qui illustre le second quintet, certainement la formation qui a fait le plus pour la renommée de Miles Davis. Enregistré en 1967 en Allemagne, il marque l'apogée de l'art du trompettiste et le moment où il ne peut aller plus loin dans sa recherche et l'étape suivante, au deuxième niveau de l'exposition s'ouvre sur un tableau synoptique des différents musiciens avec lesquels Miles Davis a joué et la taille des noms donne une indication sur l'importance et sur la durée de leur collaboration. Ainsi Benny Carter l'un des premiers employeur de Miles est écrit en petits caractères (leur travail commun fut très éphémère) alors que Kenny Garrett et John Coltrane sont en gros caractères pour la durée et l'importance de leur présence dans le groupe. Après cette transition commence la période dite électrique avec une grande masse de documents certains très connus, d'autres beaucoup moins : c'est là que le spécialiste découvrira le plus de documents inconnus car la masse est tellement grande qu'il est beaucoup plus facile d'en découvrir de nouveaux. En effet, même si elles sont très connues, les peintures de Miles Davis sont rarement exposées. Sa garde robe qui prend une importance grandissante dans l'image qu'il veut donner à cette époque, devient un élément essentiel de son personnage. Car Miles dès lors se construit une légende qui culmine avec l'interview où il déclare qu'il est devenu souteneur pour se payer ses doses de drogue. Fantasme ou réalité, Miles construit avec application son image de Prince des Ténèbres. Lorsqu'en 1975 il s'arrête de jouer (pour de graves problèmes de santé), cette période est heureusement présentée par un long couloir noir où émerge un seul document : un contrat pour un concert au Japon qui n'a jamais eu lieu. Et l'exposition se clôt sur la dernière période avec les instruments de Miles : un Fender Rhodes dont il jouait en tournant le dos au public (lui a-t-on assez reproché !), et une des trompette de couleur avec son nom écrit dessus.
A la sortie de l'exposition on connait certes un peu mieux le trompettiste qui a le plus modelé son siècle, mais de même que le Rosebud de Kane reste inexpliqué, le Citizen Miles garde tout son mystère. Les réponses se trouvent naturellement dans sa musique, des tout premiers enregistrements avec Charlie Parker, jusqu'au dernier concert de Nice en 1991 qui est à ce jour le seul officiellement publié (dans le coffret de ses enregistrement à Montreux. Il existe un enregistrement privé du dernier concert connu à l'Hollywood Bowl le 25 août 1991). Il semble que les visiteurs l'aient compris : les ventes de disques de Miles Davis ont augmenté chez les disquaires spécialisés.
Guy Reynard