Err

Bandeau-pdf-web.jpg

La crise de la démocratie en Europe



De Munich, 1938, à Bruxelles, 2015, avec une constance qu’explique l’histoire des nations et des idées politiques en Europe, l’Allemagne poursuit avec une obstination morbide autant que sordide son éternel projet totalitaire, hégémonique, européen dont les racines plongent dans l’histoire millénaire du Vieux Continent, depuis Charlemagne et Charles Quint, pour ne parler que des références les plus marquantes.
Ce projet, dont les connotations ethniques, ancrées sur une mythologie, restent évidentes, y compris dans les discours et attitudes des représentants allemands lors de ces tragiques négociations au sujet de la place de la Grèce en Europe, continue d’empoisonner la diversité culturelle de l’Europe, de la menacer d’un nivellement des valeurs européennes, diversifiées, au niveau de valeurs allemandes supposées (car la corruption et la mafia règnent en Allemagne comme ailleurs), des valeurs établies sur des réalités comptables largement perverties et trafiquées par un rapport de force favorable à l’Allemagne. Car l’Allemagne n’a cessé, depuis sa défaite jamais acceptée de 1945, de travailler au rétablissement de sa puissance, de son influence en Europe centrale, avec la bienveillance naïve ou complice, voire l'aide des dirigeants des nations victorieuses de 1945 et des oligarques de tous les horizons qui préfèrent les sociétés disciplinées à l’allemande.
Après le relatif échec hitlérien (il a quand même réussi l'un de ses principaux objectifs, d’exterminer les Juifs d’Europe), l’Allemagne a donc choisi de faire de l’Europe et de l’économie son cheval de Troie pour le rétablissement de l’éternel germanique en Europe, une bonne stratégie à l’ère de la consommation de masse où la plupart des jugements et propos sont étalonnés sur la puissance financière, l’outil pour rétablir sa suprématie en Europe continentale, car l’Allemagne «éternelle» n’envisage pas d’autre système de valeurs que la domination, la hiérarchie, entre les hommes entre les peuples.
Le vocabulaire, le ton de la plupart des intervenants allemands, au-delà du contenu et des arguments de la plus profonde mauvaise foi, témoignent de ce caractère allemand dont parlent tous les auteurs de toutes les nations, de tous les temps, depuis les Lumières en particulier. Un trait culturel de la germanité, comme les Russes, les Français, les Anglais, les Italiens, les Espagnols, les Grecs, etc., en possèdent par ailleurs, venant de la nuit des temps, créés par des histoires collectives.
L’histoire, qui s’alimente de l’inconscient individuel et collectif, est redoutablement obstinée, et nous avons vu ressurgir depuis quelques années, les démons obscurs de l’histoire européenne. Comme la plupart du temps, c’est de l’Allemagne qu’ils viennent, en dépit d’une histoire encore récente dont on a pensé qu’elle pouvait vacciner à tout jamais les beaux pays germaniques de Bach, Mozart, Goethe, Beethoven, Schubert, Marx, Freud, Einstein, Kurt Weill et Fritz Lang de leurs bas instincts dominateurs, de leur complexe de supériorité «racial».
Oubliant que l’Europe et l’Amérique ont soutenu son redressement plusieurs fois au XXe siècle, avec des abandons
colossaux de dettes et de réparations en particulier, en dépit d’une responsabilité collective écrasante dans les deux conflits les plus meurtriers et les plus odieux de la planète, l’Allemagne, et nous gardons ce vocable collectif car le peuple allemand est solidaire dans son ensemble de sa stratégie du jour comme il l’a été de celle d’hier, l’Allemagne donc travaille à dominer avec outrance, avec usure, au mépris des principes démocratiques, depuis en particulier qu’elle s’est réunifiée. Dominer, vaincre est une fin en soi du projet allemand aujourd'hui, une revanche sur la mauvaise fortune des armes au XXe siècle. Elle le fait en divisant les autres, comme dans le cas de la Yougoslavie, de l’Ukraine, de l’Europe même, en opposant l’Europe du Sud à celle du Nord, en étendant aussi son aire d’influence toujours plus vers l’est et le sud, et elle a entrepris pour ça de corrompre les pays, les dirigeants, voire de les dominer (la France) car l’Allemagne a aussi la conviction de sa supériorité intellectuelle, ou de les écraser quand, exceptionnellement, ils ne sont pas d’accord comme c’est le cas de la Grèce. Sa puissance économique et financière, établie grâce à l’Europe et à une monnaie calquée pour tous ses rouages sur ceux du Mark et de l’organisation allemande, lui servent à corrompre, dominer, mettre en dépendance les états, vampiriser leurs industries (Tchéquie, Slovaquie, Pologne, Slovénie, Croatie, Grèce, Etats baltes…), leur imposer son système de gestion économique, son système de valeurs, parfois avec la soumission de leurs victimes (Etats baltes).
L’abandon de la souveraineté monétaire, outil majeur de l’indépendance des peuples et de la démocratie, outil majeur d’ajustement et d’équilibre dans les relations économiques entre les peuples et arbitre de la valeur du travail de chacun, cet abandon de souveraineté a ainsi plongé dans la dépendance la plupart des peuples d’Europe, les a privés de leur intelligence propre, culturelle, technique, économique, de leur capacité de décision et d'autonomie pour gérer leurs propres affaires, au profit d’un fonctionnement uniformisé, inadapté et rigide, impropre à la démocratie : une négation de l'intelligence de l'autre, une infantilisation des peuples et de leurs politiques.

L'impératif d'un modèle économique unique, même plus capitaliste libéral mais bien capitaliste oligarchique et hiérarchiquement discipliné, en Europe, sur le modèle allemand, détruisant par exemple le projet d'économie mixte à la Française issu du Conseil national de la Résistance, mais aussi toutes les autres diversités économiques qui ont fait la richesse de l'Europe, a appauvri les Européens depuis 20 ans et a aboli l'une des bases de la démocratie, le primat de l'Homme sur l'économie, a participé a détruire aussi la diversité industrielle de l'Europe au profit d'une répartition des rôles, une division régionale de la richesse en Europe favorable d'abord à l'Allemagne et son glacis.

Machiavéliquement , au sens premier de l’adverbe, l’Allemagne, par ses banques, ses industries, sa puissance commerciale, touristique (sa capacité à envahir les autres pays, ceux du Sud en particulier, destinés selon ses vœux à ses loisirs), a corrompu l’Europe pour conquérir les marchés, les économies, les dirigeants, l'industrie, les pensées des peuples au point de les culpabiliser d’être ce qu’ils sont, des Français, des Anglais, des Grecs, des Italiens, etc., les amenant à envier inconsciemment une germanité qui n’a pourtant rien d’enviable spécialement. On achète ainsi par exemple des voitures allemandes dont on dit qu’elles sont plus solides, même si c’est pour les changer au bout de cinq ans, sans même réfléchir qu’elles sont plus chères et pas plus durables, et qu’elles génèrent du chômage un peu partout en supprimant la diversité.
Chez elle, en Allemagne, le sens de la hiérarchie perpétue une pauvreté inadmissible pour une telle puissance financière, mais il faut aussi dresser le peuple allemand à ses valeurs ancestrales, avec des führers et des travailleurs disciplinés, des très riches et des très pauvres, de la discipline et mieux une autodiscipline qui empêche tout débordement, qui surveille son voisin et le dénonce à la vindicte publique comme les Allemands le font avec les Grecs. Freud n’est pas né par hasard en pays germanique, le refoulement y est une valeur. Le dressage par la peur est un grand classique de la culture et de l’histoire germanique. C’est aussi dans ces pays qu’on a inventé un musée de la torture.
Alors, voilà, notre président, tel un tragique Daladier, rentre de Bruxelles, gonflé jusqu'à la boursouflure de son importance d’avoir sacrifié la démocratie européenne
, en ce 14 juillet symbole de l'irruption des peuples dans la vie politique européenne qui dérangea Hegel dans ses habitudes, un président fier d'avoir bradé l’indépendance, l’intégrité de la Grèce, comme celle de la France, félicité par tous les partis politiques, extrême-gauche comprise dans un premier temps, comme en 1938, à l'exception curieuse de quelques isolés de tous bords et du parti de Marine Le Pen, pasionaria révélée autant qu'improbable de la démocratie et du prolétariat mais qui gère l'offre politique avec succès (il n'y a plus de gauche en France). Pour notre président, que cela tienne à la faiblesse de caractère, la lâcheté, la corruption, les siennes et celles de la France, et que cela soit vrai également de Chamberlain-Cameron, des Anglais et du reste de l’Europe, ou d’Obama et ses intérêts géostratégiques en Europe, qu'Alexis Tsipras soit un nouveau Edvard Benes, privé comme son peuple de son avenir par un chantage odieux, à l’époque pour préserver provisoirement la paix, aujourd’hui préserver l’Euro, en fait pour obéir à un diktat (le mot n’est pas allemand pour rien) et consacrer la suprématie de l’Allemagne en Europe, et que Tsipras n’ait pas le courage d'affronter, de le dire et démissionne de fait de ses idées, devant son peuple qui l'a soutenu si courageusement, même s’il reste encore quelques temps au pouvoir pour faire avaler la cigüe, tout cela confirme que l’Europe n’est plus un ensemble démocratique, mais un ensemble oligarchique sous domination allemande.
Après la Grèce, à qui le tour ? L’histoire voudrait que l’espace vital allemand s’étende à l’est, puis tout de suite après la France… L’histoire ne ressert jamais exactement les mêmes plats, dit-on ; pour l’est, l’Ukraine, comme la Pologne naguère, est déjà coupée en deux, entre Russes et Allemands sous couvert d'Europe, il se pourrait qu’on passe directement au cas de la France, dont le monde politique est en ruines sur le plan des idées comme des valeurs.
Evidemment, Mme Merkel n’envoie pas les chars et ne bombarde plus, les temps ont changé, mais ses divisions de technocrates-banquiers-hommes d’affaires bénéficient de la collaboration des oligarques et technocrates européens ; bien sûr, elle n’a pas le projet d’exterminer les Juifs d’Europe, d’autres ont ce projet en Europe et ailleurs, et on vient justement de signer un accord avec eux pour leur permettre de le mettre en œuvre, à Vienne, Autriche, le lendemain des accords de Bruxelles sur la Grèce. Donc cette tragédie grecque de 2015 semble plus ordinaire que la précédente représentation tchèque de 1938. Mais à l’époque aussi, tout le monde semblait soulagé, content que finalement l’ogre se soit contenté du petit poucet tchèque. La suite de l'histoire prouva le contraire, et nous repose la question d'aujourd'hui : à qui le tour ?
Ce qu’il faut retenir, c’est que l’Europe est un ensemble démocratique ou ne l’est pas. Pour tous et en tout, ou pas du tout ; la démocratie est un principe de gouvernement, pas une option variable et soumise à la contingence économique. Et déjà, il est aisé, sans aucune discussion possible, de constater qu’un pays dont le peuple ne décide pas de son sort, même quand il vient de voter librement un refus des mesures européennes il y a une semaine, ce pays donc n’est plus en démocratie. Il est aisé de noter que des pays imposant une politique à d’autres ne respectent plus les principes démocratiques d'autodétermination, le suffrage. Cela constitue une ingérence, un coup d'état de fait.
La propagande, autre attribut de la tradition totalitaire, allemande en particulier, aussi massive soit-elle, et elle l'est actuellement, ne pourra pas changer cet état de fait, même si encore une fois, comme en 1938, lors de ces sinistres accords de Munich, les politiques et les médias avaient persuadé les opinions publiques que céder à Hitler et à l'Allemagne était la garantie de la paix, au moment même où ils asservissaient déjà des peuples et brimaient avec violence l’expression des opposants et des Juifs.
Tsipras et Syriza, comme Podemos en Espagne, qu’on acquiesce ou pas à leurs idées, représentent la diversité des idées en Europe et la garantie d’une démocratie, car sans alternatives, sans forces d’équilibre, il n’y a pas de démocratie, c’est aussi un principe et une réalité politique. Quand ils sont élus, les dirigeants ne doivent pas avoir à faire face au blocus économique et financier dont ont été victimes la Grèce et son gouvernement actuel de la part de ses «alliés» européens au nom d’une vision unique et pauvre de l'Europe et de la vérité, allemande en l’occurrence. Car la dette grecque doit l'essentiel aux gouvernements corrompus installés par l’Europe, aux intérêts des oligarchies financières qui écrasent les plus pauvres en Grèce et ailleurs (en France, pour la première fois depuis un siècle et demi, la tranche des plus pauvres s'est appauvrie, sans guerre locale) avec des taux d'usuriers sordides, aux oligarques qui d'un bout à l'autre de l'Europe et du monde se sucrent dans des travaux d'Hercule, dans le BTP en particulier mais pas seulement, d'une utilité jamais avérée, vérolés par la corruption (en particulier dans les jeux du stade régulièrement organisés ici ou là), et cette dette ne doit rien pour l’instant aux classes pauvres et moyennes ou aux dirigeants, ni aux idées et aux actes de Syriza. Ce sont pourtant eux qui viennent d’être exclus de l’Europe, au mépris de la démocratie et des droits fondamentaux des peuples et des hommes.

Yves Sportis

© Jazz Hot n°672, été 2015