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Rodney Green

Drums From the Church

Rodney Green, Vitoria-Gasteiz, juillet 2013 © José M. Horna



Rodney Green est né le 17 mars 1979 à Camden (New Jersey).
Il est ce qu’on appelle un « natural drummer ». Fils d’un pasteur, organiste, l’église – où, enfant, il passait le plus clair de son temps –, a été le lieu premier de son apprentissage, largement autodidacte. C’est donc loin des écoles de musique et des programmes universitaires qu’il a forgé son style, écoutant des disques et parachevant sa formation sur scène, à 15 ans à peine, auprès des musiciens de Philadelphie. Il est alors repéré par Bobby Watson, qui demande à ses parents l’autorisation de l’emmener en tournée en Italie.
A 17 ans, bien qu’il soit toujours au lycée, il est régulièrement appelé pour des engagements à New York ou à l’étranger. Sa scolarité terminée et ses économies en poche, il s’installe à Big Apple où il joue et enregistre avec Greg Osby, Christian McBride, Eric Reed, Joe Henderson, Benny Green, Tom Harrell et Mulgrew Miller.
A 19 ans, sur la recommandation de Ben Wolfe, il intègre le groupe de Diana Krall pour deux ans. A 35 ans, et déjà vingt ans de carrière, il est à la tête d’une belle discographie de sideman, tandis que la liste des musiciens avec lesquels il a travaillé ressemble à un hall of fame : Charlie Haden, Terell Stafford, Wycliffe Gordon, Betty Carter, Abbey Lincoln, Dianne Reeves, Wynton Marsalis, etc. Nous l’avons rencontré à Paris, alors qu’il se produisait avec le trio de Benny Green, avec David Wong (b).




Propos recueillis par Jérôme Partage
Photos José M. Horna
 

© Jazz Hot n° 669, automne 2014



Jazz Hot : Vous avez commencé à jouer de la batterie à l’âge de 3 ans à l’église…

Rodney Green : Mon père est pasteur et professeur de gospel. J’ai vu la batterie à l’église. Elle brillait. Et je me suis dit : « Allez, on va essayer la batterie ». Mon père joue du piano et ma mère chante. Quand j’ai commencé à faire de la musique, je n’étais pas censé jouer du jazz. C’était la musique du diable ! Mais j’ai entendu un peu de jazz… et me voilà ! Dans tous mes souvenirs, je joue de la batterie. Je n’ai pris ma première leçon qu’à 14 ans parce que j’avais besoin d’apprendre à lire une partition. Je voulais jouer dans des groupes, dans des orchestres d’école, c’était donc nécessaire.


Vous avez donc d’abord appris à jouer à l’oreille ?

Oui. Mais même si vous savez lire, vous apprenez toujours à l’oreille. J’observais les batteurs à l’église et à la télévision. Il y avait aussi un magazine, Modern Drummer, et j’ai beaucoup appris en regardant les photos : « Oh, ce type met ses doigts comme ça! Celui-là tient ses baguettes de cette manière. » Ma première idole était Tony Williams parce que j’avais lu qu’il avait commencé avec Miles à seulement 17 ans. Moi, j’avais 14 ans et je me suis dit : « Lui, il y est bien arrivé. Pourquoi pas moi ? » Du coup, j’ai acheté tous ses disques. J’ai découvert le jazz d’abord par la fusion. J’aimais des musiciens comme Dave Weckl, le batteur de Chick Corea. Puis, en approfondissant, j’ai découvert Elvin Jones. Mon cousin, qui est saxophoniste ténor, a passé un disque de John Coltrane. Pour la première fois, j’ai entendu les maillets et j’ai demandé : « Wow ! Qu’est-ce que c’est que ça ? » ; parce que je ne connaissais que les batteurs de fusion et les baguettes. Ces mecs avaient de grosses batteries, avec quatre ou cinq toms, sept cymbales, etc. Donc quand j’ai entendu Elvin Jones produire tous ces sons, je me suis dit que sa batterie devait être énorme ! Et j’ai regardé la pochette du disque, il y avait une photo au dos. C’était la plus petite batterie que j’avais jamais vue, avec simplement deux toms et deux cymbales. Et j’ai pensé qu’il devait être meilleur que les autres. Depuis, je suis fasciné par les batteurs qui utilisent de petites batteries et parviennent à produire des sons très différents en utilisant les maillets, les baguettes, les balais ou leurs propres mains. Après avoir entendu Elvin Jones, je voulais des maillets. C’est comme s’ils avaient toujours été là et que je ne les avais jamais vus. Le disque suivant que mon cousin a passé était un duo entre Dizzy Gillespie et Max Roach, qu’ils avaient enregistré  dans les années 1980. Ça m’a fait comprendre qu’on pouvait faire beaucoup plus de choses avec une batterie que je ne le pensais. Plus tard, j’ai entendu Vernel Fournier jouer des balais avec Ahmad Jamal. Et quand j’ai découvert les cymbales « sizzle », j’ai vraiment adoré mais je ne savais pas comment obtenir un tel son. C’était très excitant. Et ça l’est toujours. Aujourd’hui, je joue sur des cymbales désignées, je continue d’apprendre à m’en servir. J’achète des baguettes mais je les personnalise en les taillant ou en utilisant du papier de verre pour obtenir d’autres sons.

Scott Robinson (perc) vous a donc donné votre première leçon, à 14 ans ?

Oui. C’était un professeur formidable. Il m’a appris la technique pour jouer du jazz et m’a fait écouter Buddy Rich et d’autres batteurs. Il m’a dit : « Il y a beaucoup d’écoles et un répertoire très vaste. Il faut que tu t’y mettes dès maintenant, que tu ne te contentes pas de jouer de la batterie assis dans une pièce. Il faut que tu travailles la technique des balais, des maillets, que tu apprennes comment passer des maillets aux baguettes, etc. »

Rodney Green, Vitoria-Gasteiz, juillet 2013 © José M. Horna

Quand avez-vous décidé de devenir musicien professionnel ?

Mon cousin m’a fait comprendre deux choses essentielles. Premièrement, c’est lui qui m’a fait découvrir Elvin Jones. Deuxièmement, il a été le premier à me faire prendre conscience que je pouvais gagner ma vie avec la musique, parce que je n’en avais pas idée. C’était quelque chose que je faisais naturellement, comme les gamins qui jouent au foot en Europe.

Et quand avez-vous commencé à jouer professionnellement ?

J’avais une petite amie qui était plus âgée que moi. Elle avait son permis de conduire. Quand on était supposé avoir un rencard, aller au cinéma, en fait elle me conduisait aux jam-sessions pour trouver un gig. Après, elle m’emmenait dans le petit club de la ville, quand j’avais des engagements. Ensuite, j’ai commencé à aller à Philadelphie jouer avec des musicos plus âgés. C’est là que j’ai vraiment appris les standards, leurs titres, les disques, le sens des termes « bebop », « hard bop », comment prendre un solo, etc. J’ai joué avec Bootsie Barnes, Orrin Evans, Duane Eubanks, Stefon Harris… Ils étaient tous très gentils avec moi et ils ont pris le temps de m’expliquer les choses en détail. C’était impressionnant ! A la suite de quoi, je me suis dit : « Ok, je suis prêt pour la prochaine étape : New York ! » ; parce qu’on a tendance à prendre ses aises à Philly : tu as ton petit réseau, tu achètes une maison, etc. Alors je suis parti à New York à 17 ans. Pas d’université. J’ai pris ma batterie et j’ai joué. A Philadelphie, je travaillais Chez LaBelle, le club de Patti LaBelle, une chanteuse de RnB, qui a son émission de télé. Grâce à ça, j’ai pu économiser de l’argent et partir. Philly et New York sont si proches, à peine à 1h30 de voiture. Mais sur le plan de la qualité des musiciens et des opportunités de travail, New York est un autre monde.


Jusqu’à ce que vous partiez pour New York, vous alliez encore au lycée ?

Oui. J’avais un beeper. Et quand je recevais un message pour un gig, je demandais à aller aux toilettes pour pouvoir répondre ! J’étais dans les parages et les gens m’appréciaient. J’avais beaucoup d’opportunités pour travailler. Le truc, c’est de décrocher le téléphone en premier et toujours dire oui. J’ai compris ça très tôt. J’ai beaucoup appris et très rapidement. Mon grand avantage, c’est de n’être pas allé à l’université. C’est comme si j’avais eu quatre ans d’avance sur les musiciens de mon âge : quand ils sont sortis de l’université moi, je travaillais déjà et les musiciens me connaissaient. Ils me croyaient d’ailleurs plus âgés. J’ai toujours été dans des groupes où les musiciens avaient cinq ou six ans de plus. Mais ça a changé depuis (rires) !

Avec qui avez-vous joué à votre arrivée à New York ?

Mon premier concert était avec Bobby Watson. Après, j’ai joué avec Greg Osby. Avec lui, j’ai enregistré probablement le disque le plus connu parmi ceux auxquels j’ai participé : Banned in New York. Ensuite, il y a eu Eric Reed et Mulgrew Miller avec qui j’ai travaillé depuis mes 18 ans jusqu’à sa mort, l’année dernière. C’était mon pote ! J’ai un souvenir de concert avec Joe Henderson. Bill Stewart se produisait après nous avec John Scofield. Nous sommes amis. On s’est rencontrés à Philadelphie. J’avais 15 ou 16 ans et il m’a donné son numéro de téléphone personnel. Les musiciens ne font pas ça. Ils vous donnent le numéro de leur manager et vous disent juste : « Content de t’avoir rencontré, gamin. » J’étais donc sur scène avec Joe Henderson, j’avais 19 ans. Et Bill Stewart se tenait debout en coulisse et me regardait jouer. Et je me disais : « Tout ça arrive pour de vrai ! »

Rodney Green avec Charlie Haden, Vitoria-Gasteiz, juillet 2013 © José M. Horna

Vous avez également joué avec Chris McBride…

J’avais joué avec lui une ou deux fois. Mais la rencontre s’est vraiment produite quand j’ai rejoint son groupe. Ils avaient besoin de trouver un nouveau batteur en urgence. Ils ont dû appeler tout le monde et quelqu’un a dû leur parler de moi. Ils m’ont téléphoné : « Tu dois être dans l’avion demain ! » C’est ce que j’ai fait… Je me souviens avoir été en studio avec Chris McBride, et avoir attendu Herbie Hancock pendant six heures. On devait enregistrer deux morceaux avec lui1. Et quand il est arrivé et qu’on a répété ensemble, je pensais à tous les disques qu’il avait enregistrés dans sa carrière. Travailler avec Charlie Haden était extraordinaire aussi. Le niveau du jeu, sa façon d’appréhender les choses… Avec Charlie, on a joué exactement le même set pendant les huit ou neuf années où j’ai fait partie de son groupe. Juste six ou sept morceaux. Mais à chaque fois, on se demandait comment il arrivait à faire ce qu’il se faisait. C’était pareil avec Joe Henderson.

Quel type de formation préférez-vous ?

Après mes premières années où j’ai joué avec tout le monde, le trio est devenu ma spécialité. J’aime vraiment ça. Mais c’est très différent selon les musiciens. Le trio avec Benny Green n’a rien à voir avec les trios auxquels je participe habituellement. Ça ressemble plus à celui de Ray Bryant. Les arrangements doivent être joués de la même façon tous les soirs. Mon travail consiste alors à trouver de nouvelles façons pour jouer ces morceaux. Surtout quand on succède à Kenny Washington, qui est très fort dans ce contexte. Donc mon jeu doit être différent du sien. C’est difficile, mais j’aime ça ! Avec Benny, si vous voulez tenter quelque chose de nouveau, il faut d’abord le convaincre et vraiment croire en soi. Hier soir, j’ai utilisé les baguettes sur un morceau que je joue en général avec les balais. Le morceau n’était plus le même. Et Benny a dit : « Oh, ça me plaît avec les baguettes ! » C’est ce qu’on attend d’un batteur dans un groupe. Quand on se dit que Miles a joué les mêmes morceaux avec Tony Williams, Jimmy Cobb ou Philly Jo Jones… chacun a dû trouver de nouveaux chemins. C’est le génie des grands batteurs. Quand John Coltrane cherchait quelque chose, il demandait à Elvin Jones. Ils se faisaient confiance à ce point. Il y a aussi quelque chose que je continue d’apprendre : l’audace. Ce n’est pas l’arrogance. Vous devez avoir confiance en vous et vous dire : « Il y a une autre voie ». Un jour, quelqu’un trouvera quelque chose de nouveau comme si ça avait toujours été là. Et pourtant on utilise les mêmes notes, les mêmes rythmes, les mêmes instruments, les mêmes morceaux. C’est ça la magie de la musique.


Avez-vous des projets en leader ?

L’année dernière, j’ai sorti mon premier album en leader sur SmallsLIVE. Un très bon quartet avec Seamus Blake, qui est depuis toujours mon ténor préféré et aussi l’un de mes plus anciens amis, Joe Sanders et Luis Perdomo. J’ai enregistré plusieurs disques avec cette rythmique. L’année prochaine, j’espère partir en tournée avec de grands musiciens comme Benny Green, mais avec mon propre projet. J’ai 35 ans, je pense qu’il est temps !


1. Abum SciFi, enregistré en février 2000 (Verve)



Contact

www.rodneygreenjazz.com


Discographie


Leader-coleader

CD. 2013. Live at Smalls, Smalls Live 0036

Sideman

CD. 1996. Denise King, Simply Mellow, R.E.D.D. King Records 884502344479
CD. 1997. Patti LaBelle, Flame, MCA 874966

CD. 1998. Greg Osby, Zero, Blue Note 93760
CD. 1998. Greg Osby, Banned in New York, Blue Note 96860

CD. 1999. Walter Blanding, The Olive Tree, Criss Cross Jazz 1186

CD. 1999. JD Allen, In Search of, RED Distribution 123283
CD. 1999. Terell Stafford, Fields of Gold, Nagel Heyer 2000
CD. 2000. Christian McBride, SciFi, Verve 543915

CD. 2000. Eric Reed, Happiness, Nagel Heyer 2010

CD. 2000. Jafar Barron, Free Bop Movement, Q 92948

CD. 2000. Eric Reed, E-Bop, Savant Records 2051

CD. 2002. Mulgrew Miller, Live at the Kennedy Center. Volume One, MaxJazz 217

CD. 2002. Mulgrew Miller, Live at the Kennedy Center. Volume Two, MaxJazz 219

CD. 2001. Wycliffe Gordon, What You Dealin’ With, Criss Cross Jazz 1212

CD. 2003. Greg Osby, St. Louis Shoes, Blue Note 81699
CD. 2003. Eric Reed, Merry Magic, Max Jazz 302

CD. 2004. Orrin Evans, Easy Now, Criss Cross Jazz 1259
CD. 2004. Greg Osby, Public, Blue Note 97683
CD. 2004. Daisuke Abe, My Way Back Home, Nagel Heyer 2061
CD. 2006. John Stetch, Bruxin’, Justin Time 8525

CD. 2008. Adam Birnbaum, Travels, Smalls 38

CD. 2008. Antonio Ciacca, Rush Life, Motéma Music 15

CD. 2009. Terell Stafford – Dick Oatts Quintet, Bridging the Gap, Planet Arts 330974

CD. 2009. Eric Reed, Something Beautiful, WJ3 31009

CD. 2010. Christian Winther, From the Sound Up, SteepleChase 31721

CD. 2010. Peter Zak, Down East, SteepleChase 31715

CD. 2010. Harold O’Neal, Whirling Mantis, Smalls 48
CD. 2010. Charlie Haden, Sophisticated Lady, Decca 01534702
CD. 2010. Melissa Stylianou, Silent Movie, Anzic 36
CD. 2011. Joe Sanders, Introducing Joe Sanders, Criss Cross Jazz 1344
CD. 2011. John Ellis, It’s You I Like, Criss Cross Jazz 1347
CD. 2012. Michael Rodriguez, Reverence, Criss Cross Jazz 1356

CD. 2012. Dick Oatts, Lookin’ Up, SteepleChase 31738

CD. 2012. Laurent Courthaliac, Pannonica, Jazz Village 570023

CD. 2013. Tim Warfield, Inspire Me !, Herb Harris Music

CD. 2013. Luis Perdomo, Links, Criss Cross Jazz 1357

CD. 2013. John Ellis / Andy Bragen, Parade Light Records 001


Vidéos

Rodney Green au Festival Jazz Baltica 2006 avec Mulgrew Miller (p), Ivan Taylor (b) et Stefano Di Battista (as)

Rodney Green au Hat Bar (Saint-Petersbourg, Russie) avec Bill Charlap (p) et Peter Washington (b)

Rodney Green en solo aux Hot Jazz Series (2011)



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