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Aux Origines du piano hot
Les Fondements populaires de l'expressivité
d'un instrument bien tempéré


à Lisiane Laplace




On a longtemps pensé que le piano traînait des handicaps de disponibilité et d'expressivité pour traduire l'âme des classes défavorisées. On crut constater des facilités d'accès plus grandes au piano dans les villes, même s'il s'agissait de lieux de plaisirs (tremplins au « classic rag »), que dans les campagnes.
Si l'on en croit Paul Oliver, « les notes fixes du piano, fondées sur la gamme diatonique européenne et la pureté de sa sonorité étaient contraires à la tradition du blues et de la musique africaine et rendaient difficile toute interprétation authentiquement blues sur cet instrument ». Pourtant, depuis 1842, les tavernes (barrelhouses) des coins défavorisés, lieux d'élection d'une expressivité hot, restaient contrairement aux centres d'éclosion du classic rag, puis du style stride, insensibles à la fascination de la technique européenne pianistique, d'ailleurs imparfaite car le tempérament est un système musical à la justesse non rigoureuse.
Qu'entend-on par piano hot ? Ce sont les formes expressives les plus éloignées du goût européen. Elles recouvrent, notamment, les styles barrelhouse, boogie-woogie et le blues low-down. Ceux-ci s'entrecroisent volontiers et la distinction tombe dans l'artificiel. Il y a bien sûr des degrés d'intensité variables dans le jeu hot.

Paul Oliver nous a précisé qu'Alex Moore possédait un cheval et une carriole (junk car) pour amener son piano, le soir, sur des chantiers (chock houses) de Dallas. Il est donc un fait que, progressivement, une musique low-down pour piano s'est développée le long du Mississippi puis vers les villes du Nord, où elle se développa dans une fonctionnalité d'« house rent parties » (pianiste convié à jouer dans une maison, la recette servait à payer le loyer).

Par Michel Laplace
© Jazz Hot n° 667, printemps 2014





Tout n'est cependant pas aussi cloisonné. L'intellectuel noir, surnommé « dicty » par Fletcher Henderson et Duke Ellington, qui s'inscrivait dans le mouvement de la Harlem Renaissance, n'aimait pas à l'origine le piano, à cause des lieux fréquentés par les maîtres du clavier. A partir de 1923, l'état d'esprit changea. Les pianistes de style stride, genre qui émerge à partir de 1912, sont reconnus par Alain Locke. Ce furent plus spécialement James P. Johnson, Willie Smith et Fats Waller. Dans ce domaine, la main gauche a un rôle spécifique : elle alterne une note basse jouée sur les temps forts avec un accord aigu plaqué sur les temps faibles. La technique savante européenne a eu un grand attrait sur ces virtuoses. James P. Johnson a utilisé en introduction à un stomp une transcription pour piano de Rigoletto de Liszt. Il a enregistré des variations sur Peer Gynt de Grieg. On sait que Willie Smith s'échauffait en jouant Bach. Il jouait aussi à l'occasion une Polonaise de Chopin. Fats Waller tira parti du Sextette de Lucia di Lammermoor de Donizetti, de « Ah : So Pure » de Martha de Flotow, et de « My Heart at the Sweet Voice » tiré de Samson & Dalilah de Saint-Saëns. Donald Lambert, qui impressionna Art Tatum, a gravé en 1941 des solos en stride pour le label Bluebird à partir de Tannhauser de Wagner, Lucia di Lammermoor, Peer Gynt et l'Elegie de Massenet. Herman Chittison, enfin, a enregistré Tristesse de Chopin. Au passage, signalons que le monde du stride est vaste et ne se limite pas à ces quelques noms, auxquels il faut au moins ajouter ceux de Luckey Roberts (parmi les fondateurs du genre), Clarence Profit (qui a gravé quatre titres avec les Washboard Serenaders, le 24 mars 1930), Stephen Henderson et Joe Turner (qui avait de l'affection pour Thelonious Monk !).



Mais les choses se compliquent par le fait que comme les grands noms de la « musique savante européenne », suivant l'exemple de Dvořák, les compositeurs de ragtime, puis les virtuoses du stride s'inspiraient volontiers des musiques du peuple (folk). Eubie Blake et Willie Smith surent remarquer un pianiste boogie nommé Kitchen Tom à Atlantic City dans la période 1905-14. Eubie Blake qui lui dédia une œuvre, « Kitchen Tom » (1905), a sans doute connu ce genre un peu avant, car sa composition « Charleston Rag » (1902, qu'il prétendit avoir écrite en 1899), alias « Sounds of Africa » (rebaptisé ainsi par Jim Europe, autre gloire de la Harlem Renaissance), intègre une basse boogie. Eubie Blake en fit un enregistrement sur cylindre en 1917. Cette basse boogie se repère dans « Arkansas Blues » de James P. Johnson, qui en fit un enregistrement sur cylindre en 1921. Fletcher Henderson enregistre un « Chimes Blues » à New York en mars 1923 pour le label emblématique de la Harlem Renaissance, Black Swan, qui mélange basses boogie et stride. Ce mélange est fréquent chez Fats Waller notamment dans ses versions de « Muscle Shoals Blues » du Texan George Thomas (1922) et « Jail House Blues » du Louisianais Clarence Williams (1924). Pour bien compliquer les choses, ces basses boogie à la main gauche, en accords de 10e arpégés, ont été reprises par Albert Ammons (« Woo Woo » , 1939, Storyville 8026), c'est ce qu'il appela le « stride boogie woogie sandwitch » . Mais à côté de l'Art Form représentée par ces artistes d'exception, il y a une source, qui selon le jargon d'Albert Murray pourrait être qualifiée de Folk Art.


Trilles, trémolos, artifices comme de précéder l'attaque d'un mi par le mi bémol (pseudo note bleue) font partie d'un vocabulaire hot adapté à l'approche rugueuse du piano qui s'impose en 1927-35. Si les limites structurelles entre ragtime, boogie et blues sont floues, le lien expressif dirty en fit une entité.



Les lieux d'expression ont laissé leur nom à un genre : le style barrelhouse de piano. Barrelhouse est synonyme de Honky Tonk comme le souligna Little Brother Montgomery en 1976 et veut dire bouge, bar, taverne, tirant ce nom du tonneau de bière (barrel) placé contre un mur et dans lequel on puisait directement. Contrairement à ce qu'affirma Jacques B. Hess (Nothin' But the Blues), ce jeu puissant, non inhibé, n'est pas à l'origine du boogie-woogie (en krio de Sierra Leone, on connait l'expression bogi-bogi, qui signifie danser). C'est plutôt l'inverse. La basse roulante (cf. infra) possible vestige du goût africain pour le répétitif est sûrement l'un des plus anciens éléments constitutifs du jeu jazz. Le style barrelhouse dérive du ragtime improvisé. Généralement en métrique 4/4, il fait aussi appel à des figures de basse du ragtime et à une main gauche puissante (« stompante »). Un Blind Leroy Garnett nous laisse un solo, « Louisiana Glide » (London AL 3506, Black Swan CD 12011) qui est un ragtime improvisé. Ce fut un bon accompagnateur d'après son disque avec le chanteur James Wiggins (« On the Wall, My Lovin’ Blues », « Weary Heart Blues » , London AL 3544). Le maître du genre sera Jimmy Blythe, originaire de Louisville (Kentucky) qui bénéficia des conseils de Clarence Jones et qui est aussi une source d'un boogie-woogie formalisé même s'il n'en porte pas le nom. Son « Chicago Stomp » (avril 1924, Paramount) est un vrai boogie, à l'origine du « Chicago Breakdown » de Big Maceo et son « Jimmie Blues » (juin 1925, Paramount) donnera le fameux « Pine Top’s Boogie Woogie » (cf. infra). A côté de Jimmy Blythe, il y a beaucoup d'obscurs qui ont animé le quotidien. Ils ont surtout enregistré pour le label Paramount (1922-32) qui a fourni presque le quart de la production des race records. Avant-guerre, il y avait une poignée d'amateurs de hot, comme Bill Russell, George Beall, qui « chassaient » les disques de ce genre, perdus dans une marée commerciale.



Un modèle du lien entre ragtime et jeu barrelhouse est le disque sur label Paramount « Barrel House Man » par le pianiste texan Will Ezell (en 1927). Ce musicien versatile, véritable croisement du rag, du boogie et du blues, qui cafouille un peu mais qui a un sens mélodique, fut pour un temps le pianiste maison chez Paramount. Il a travaillé dans l'Est du Texas et dans la région de Shreveport en Louisiane. Il a accompagné la chanteuse Elzadie Robinson, originaire de Shreveport. Il connut aussi la notoriété à Chicago dans ces mêmes années 1920. Parmi ses disques, citons « Mixed Up Rag » , « West Coast Rag » , « Heifer Dust » , « Playing the Dozen » , « Bucket of Blood » . On considère comme typique du climat barrelhouse son « Pitchin’ Boogie » (Black Swan CD 12011), libellé « piano solo with instrumental accompaniment » (c'est-à-dire le cornet de Baby Jay et une rythmique). Notons au passage que l'étiquette barrelhouse a dépassé le piano, pour être appliquée au jeu de cornet ou au style d'un orchestre. La séance Barrel House Five gravée à Long Island en janvier 1929 sous l'égide du pianiste-chanteur-compositeur-affairiste Clarence Williams (Biograph LP 12006) est typique du genre (Eddie Allen, cornet et vocal, y est très dirty) et dans le style de Jimmy Blythe. Déjà en 1934 dans le livre Le Jazz Hot, Hugues Panassié définissait bien le mot dirty par une sonorité « volontairement rude et peu polie ». La littérature anglo-saxone définit le barrelhouse par des sonorités « rough », « crude ». Tout ceci est synonyme de hot. En 1934, Louis Armstrong associe Hot Music, Jazz Music, Gut Bucket Music à une même lignée, et ses disques en Hot Five et Hot Seven y font référence (« Gut Bucket Blues », « I’m Rough » ).



Mais quittons l'Art Form de Louis Armstrong pour le plus humble Folk Art. Le style barrelhouse de piano, c'est aussi par Charlie Spand (en 1929), toujours pour le label Paramount. Charlie Spand, également chanteur (source d'influence sur Leroy Carr), avait quitté le Sud pour Detroit où il officiait dans l'Hastings Street. Il fut l'une des meilleures ventes du label Paramount qui lui fit faire 22 faces entre 1929 et 1931. On y trouve notamment des duos avec le grand guitariste de blues-rag (en fait un jazzman !) Blind Blake : « Hastings Street » (Black Swann 12011), le boogie « Moanin’ the Blues » (London AL 3506, Black Swan 12011). Malgré une tendance à presser le tempo, il est bon dans « Mississippi Blues » (London AL 3537, Black Swan 12011). Charlie Spand qui a aussi vécu à Chicago, vaut pour ses lignes de basse vigoureuses et une parenté de style avec Cow Cow Davenport.



Charles « Cow Cow » Davenport
, originaire d'Alabama, qui serait l'auteur de « You Rascal You » (publié sous le nom de Sam Theard) et « Chimes Blues » (London AL 3537), a tourné dans le sud pour la TOBA (Theater Owners Booking Association) avant de s'installer à Chicago, où il fit des disques. Son jeu porte encore l'influence du ragtime (« Atlanta Rag » , inspiré de La Maxixe, 1929, Gennett, London AL 3537). Il savait jouer barrelhouse (« Back In the Alley » , 1929, Vocalion). Son « Slow Drag » (London AL 3506) est un blues et « Cow Cow Blues » , qui connut une version chantée et une version instrumentale, lui donna son surnom (1928, Vocalion). Ce morceau sur tempo moyen, joué en puissance, fait référence au train. Le style de Cow Cow Davenport utilise la basse roulante à la main gauche, égrainant des notes rapides dans tout l'accord.



A cette époque s'individualise après celle du « classic rag », une confrérie hot à St. Louis, autour de Wesley Wallace, proche de Will Ezell (« Fanny Lee Blues » , un boogie, London AL 3506, Black Swan 12011) et d'Henry Brown, proche de Cow Cow Davenport (« Deep Morgan Blues » , « Stomp’ Em Down » , « Eastern Chimes Blues » : technique limitée, mais vrai climat blues). Henry Brown, né dans le Tennessee, s'est fixé à St. Louis où il s'initia au piano en 1918. Il a enregistré pour Paramount en 1929-30. Son excellent boogie, « Henry Brown Blues » (London AL 3506, Black Swan 12011) s'apparente au style de Sammy Price. On connait aussi Barrelhouse Buck, alias Thomas McFarland, au jeu primaire. On rattache au style de St. Louis, Jabo Williams (« Jabo Blues » , sur tempo vif). Il est aussi chanteur (« Fat Mamma Blues », London AL 3537, Black Swan 12011). Le « No29 » de Wesley Wallace (1930, Paramount) est une des nombreuses références au train. Il y utilise une métrique 6/4 pour la partie de basse de la main gauche, sous un 4/4 pour la main droite (multi-rythmie, certes moins complexe que la polyrythmie africaine). Mais, Wesley Wallace n'était en fait pas très rigoureux avec les structures et les mesures.



Le Tennessee fut un berceau du piano hot. A Memphis, où sont nés Willie Mabon et Booker T. Laury, un style boogie fut repéré dès 1906 par Jelly Roll Morton, joué par Benny French (cf. Library of Congress 1666). En 1909, W.C. Handy, de son côté, allait écouter Sonny Butts à qui il fit des emprunts. C'est en quartet (avec guitare, basse et batterie) qu'enregistrent Lost John Hunter (quatre titres pour 4-Star en 1950) et Joe Dobbins, musicien à temps partiel fixé à Memphis à partir de 1921 (deux titres pour Chess en 1953).



Un style de piano appelé « Santa Fe » s'est développé dans le Texas, autour de Houston, Galveston, Sugarland, Richmond. En effet, dès 1904, existe une sorte de boogie pratiqué dans les scieries et sur les chantiers des voies ferrées. George Thomas, frère aîné du superbe pianiste Hersal Thomas, originaire de Houston, a cosigné avec son frère, « The Fives » , qui porte la mention « medium boogie tempo » . En 1924, Hershal Thomas en donna une version sur cylindre.
Ce « The Fives » fut piqué par Richard M. Jones (sous le titre « Jazzin’ Babies Blues » , 1923) et bien plus tard Cripple Clarence Lofton (version 1943 sous le nom « The Fives » , après deux autres rebaptisées « Clarence’s Blues » et « Sixes and Sevens », en 1939). Une version orchestrale fut gravée en 1923 par un groupe blanc de studio, le Tampa Blue Jazz Band. C'est, avec un peu d'imagination, le premier disque de boogie orchestral après le « Bluin’ the Blues » d'Henry Ragas gravé par l'Original Dixieland Jazz Band (25 juin 1918, Bluebird ND 90650).
A Chicago, où les frères Thomas se sont fixés, si un pianiste ne savait pas jouer « The Fives » et « The Rocks » de George Thomas (premières figures de basse enregistrées, propres au piano-blues, qu'il grava sous un pseudonyme en 1923, Okeh 4809), il valait mieux pour lui de ne pas s'approcher du piano. George Thomas, par ailleurs père de la chanteuse de blues Sippie Wallace, a également composé « New Orleans Hop Scop Blues » (1911), qui comporte une partie de basse roulante (édité en 1916). Sidney Bechet participa à l'enregistrement de ce morceau sous la direction de Clarence Williams (1923).


Houston fut le port d'attache du pianiste néo-orléanais Tink Baptiste, tandis que pendant les années 1920, Lazy Daddy officiait à Galveston. Il y joua notamment pour le cornettiste néo-orléanais Buddy Petit. Sammy Davis, né à New Orleans, a travaillé dans les barrelhouses du Texas (à Beaumont, Houston, Galveston -en 1915) et de New Orleans (sur Franklin Street). Il laisse deux titres enregistrés avec King Oliver (1930). Il jouait le Texas style, d'où des similitudes avec le jeu de Fred Washington. Katie Webster, née à Houston, a travaillé à Dallas, Beaumont, Houston avant de s'installer à Lake Charles en Louisiane (1957). Elle a beaucoup enregistré durant les années 1960 pour les petits labels locaux (Kry, Spot, Zynn, etc..). Ce n'est qu'en 1973 qu'elle fit un LP sous son nom pour Goldband. Chris Strachwitz enregistra des vestiges intacts du style barrelhouse du Texas représentés par Alex Moore (Dallas, en 1960) et Robert Shaw (Austin, en 1963). Cette lignée de piano rugueux du Texas s'apparentait au boogie woogie. Venu du Sud, le boogie woogie utilise la séquence harmonique du blues selon des formules répétitives de la main gauche avec, classiquement, huit battements par mesure. On l'appelle basse roulante ou ambulante (et à tort « walkin' bass », terme à réserver aux cordes telles que la contrebasse). Cette ligne continue (à la place d'accords plaqués) se combine en multiphonie à l'improvisation de la main droite. D'où un effet d'envoûtement, proche du roulement d'un train.



Le boogie woogie ne fut connu des premiers critiques jazz qu'au milieu des années 1930: d'abord par « quatre grands » (Pine Top Smith, Pete Johnson, Albert Ammons, Meade Lux Lewis), auxquels vinrent s'ajouter Jimmy Yancey, Romeo Nelson, Montana Taylor, Speckled Red et Doug Suggs. Les concerts « From Spiritual to Swing » organisés à Carnegie Hall par John Hammond Sr. (1938, 1939), ainsi que l'édition du livre Jazzmen de Frederick Ramsey et Charles Edward Smith (1939, avec un chapitre consacré au boogie-woogie par Bill Russell) ont lancé une véritable mode pour le boogie-woogie, récupérée par les vedettes de la Swing Era (même les Blancs), jusque et y compris de célèbres concertistes classiques ! L'Art Form du genre fut atteinte par Pine Top Smith, Big Maceo, Joshua Altheimer, Memphis Slim, Jimmy Yancey, Pete Johnson, Albert Ammons et surtout Sammy Price.

Signalons au passage qu'en 1938, la Library of Congress ne s'intéressa pas qu'à Jelly Roll Morton, mais chercha aussi à documenter l'histoire du boogie avec Meade Lux Lewis, Albert Ammons (« Pine Top’s Boogie Woogie » ) et Pete Johnson (« Fo’ O’Clock Blues » qui correspondait à Kansas City au « Five O’Clock » de Chicago). En 1954-58, la France qui découvre le rock and roll, qui n'est pas sans liens avec le boogie (Jerry Lee Lewis, influencé par Sunnyland Slim ; Fats Domino), se penche sur le boogie et le barrelhouse notamment grâce à une série Pioneers of Boogie Woogie importée par la maison London (AL 3506 & 3537). A cette époque, on était peu fixé sur le boogie, comme sur le genre barrelhouse sous le générique duquel on trouvait des disques de stride (James P. Johnson... et même Mary-Lou Williams), ou des styles hybrides (Alex Hill combinant Pine Top Smith et Earl Hines dans « Tack Head Blues »).



Né à Chicago, Jimmy Yancey jouait le blues à titre privé, pour lui et ses proches, alors que son frère Alonzo était un pianiste réputé de rags (1943 : « Everybody’s Rag » , DdJ 1023) et de stomps. En fait, Jimmy Yancey fut pour un temps chanteur et tap dancer dans des tournées de vaudeville jusqu'en 1913. De retour à Chicago, il faisait la tournée des bars. Ses lignes de basse n'étaient pas toujours orthodoxes, mais dans le blues lent elles étaient chantantes comme celles de Jelly Roll Morton, Clarence Williams et Little Brother Montgomery. Il pouvait s'écarter de la trame des douze mesures, mais il conservait l' « accent du Sud » (« Tell’ Em About Me » , 1939, RCA). Sa première composition, « Five O’Clock Blues » (cf. supra), fut un boogie-woogie avant la lettre. Jimmy Yancey qui accompagnait très bien sa femme, la chanteuse Estelle « Mama » Yancey (1943 : « Pallet in the Floor » , GdJ 1023), laisse beaucoup de belles faces hot : « Yancey Stomp » (1939), « The Rocks » (boogie, 1943, Jazz Selection 50 019), « Yancey Special » (vrai climat Yancey, 1943, pour Session), « Everlasting Blues » (blues lent, 1950), « Barber Shop Drag ». Outre le célèbre Albert Ammons, ses disciples furent Pine Top Smith et Meade Lux Lewis.



Pine Top Smith
, comme Jimmy Yancey, fut tap dancer des tournées de vaudeville. Au début des années 1920, il s'est fixé à Chicago, jouant d'un bar à l'autre. Il fit quelques sauts à Omaha et St. Louis. C'est son solo de piano, où il interpelle des danseurs imaginaires, « Pine Top’s Boogie Woogie », qui donna ce nom à cette variante du blues. L'autre face du disque 78 tours Brunswick-Vocalion, « Pine Top’s Blues » (1928, Vocalion 1245), chantée, est plus conventionnelle. Son « Jump Steady Blues » est un excellent boogie avec un dialogue entre Pine Top Smith et un interlocuteur anonyme. Peu avant sa mort, il enseigna son « Pine Top’s Boogie Woogie » à Albert Ammons.



Meade Lux Lewis
fut le premier à faire connaitre le nom de Jimmy Yancey en enregistrant « Yancey Special » . Il a débuté la musique à l'âge de 16 ans. Autodidacte du piano, il a écouté Jimmy Blythe, les frères Yancey et Cripple Clarence Lofton, aussi bien que le Creole Jazz Band de King Oliver. En 1927, il grave en tempo rapide « Honky Tonk Train Blues » . Enregistré avant « Pine Top’s Boogie Woogie », il resta toutefois inédit pendant deux ans. Ayant usé son exemplaire de ce disque (devenu introuvable), John Hammond Sr. retrouva Meade Lux Lewis avec l'aide d'Albert Ammons pour lui faire enregistrer une nouvelle version (Parlophone). Meade Lux Lewis fut peut être meilleur accompagnateur que soliste si l'on se fonde sur « Freakish Man Blues » et « Malasses Supper Blues » où il soutient dans le style Jimmy Yancey le chanteur George Hannah (London AL 3544).



Cripple Clarence Lofton
, né dans le Tennessee, établi à Chicago en 1917, fut aussi un bon accompagnateur comme l'illustrent des faces telles que « By the Moon & Stars », « On the Wall » faites avec Louise Johnson (London AL 3544). Il savait jouer rigoureusement la structure des douze mesures (« Streamlined Train » , fin 1943, tempo dédoublé), mais plus souvent, il prenait des libertés avec les mesures. Il jouait au Big Apple où les pianistes débutants allaient l'écouter. Son cheval de bataille était « Strut That Thing » (1935, Vocalion), un des plus vigoureux exemples de boogie-woogie sur disque. Il jouait la basse roulante comme dans « Streamlined Blues » , alias « Cow Cow Blues », gravé avec Red Nelson en 1936. Il laisse un bon « South End Boogie » (fin 1943) et une séance gravée pour le label Solo Art (1939), fondé par un barman fou de boogie, Dan Qualey (qui enregistra aussi Pete Johnson, Jimmy Yancey, etc.), et qui ne fut éditée qu'en 1955 sur le label London (« House Rent Struggles », etc.).



Big Maceo Merriweather
, qui joua à New Orleans en 1950, fit l'essentiel de sa carrière à Chicago à partir de 1941. On connait trois solos de piano qui furent distribués en 1957 sur le label RCA : « Texas Stomp » , « Detroit Jump » (juillet 1945) où il dialogue avec le guitariste Tampa Red, et surtout « Chicago Breakdown » (octobre 1945), un solo de boogie avec accompagnement de guitare et batterie dont Hugues Panassié disait qu'il « donne le sentiment de la perfection ». Pour l'anecdote signalons que son compagnon, Tampa Red, fit bien avant équipe avec Georgia Tom (alias Barrelhouse Tommy !), sous le nom des Hokum Boys (Black Swan CD 13). Ce pianiste crapuleux n'était autre que le béni des dieux, Thomas Dorsay. Big Maceo a influençé Otis Spann et Eddie Boyd.



Joshua Altheimer
actif à Chicago en 1936-40 compte parmi les meilleurs accompagnateurs avec Bob Black, Horace Malcolm et Blind John Davis qui débuta en 1926. A part dans la lignée barrelhouse de Chicago, se trouve le pianiste blanc Frank Melrose, dit Kansas City Frank (!), frère des éditeurs Walter et Lester Melrose. Ce disciple de Clarence Williams et Jimmy Blythe, ami de Jelly Roll Morton avec qui il a joué dans le south side de Chicago, a enregistré pour Brunswick dans la série « race » (!) deux morceaux, « Kansas City Frank » et « Jelly Roll Stomp » , avec Tommy Taylor à la batterie. Le « Jelly Roll Stomp » fut réédité en microsillons, en France dans les années 1950 (Coral 40.010 : « les solos de Frank Melrose font terriblement piano mécanique » écrit Hugues Panassié… bien sûr). Au sein des Cellar Boys de Wingy Manone, Frank Melrose (et un jeune frère à... l'accordéon!) participe à l'enregistrement de « Barrel House Stomp » dans lequel Bud Freeman prélude le style rock and roll de ténor ! Pas moins intéressante est la collection de titres réalisée à Chicago, datée de 1940, regroupée par Delmark dans l’album Bluesiana en combo dont le personnel ne semble pas toujours conforme aux indications (on pense à Herb Morand, Edgar Courance).



L’autre pianiste blanc fixé à Chicago passionné de blues est Art Hodes (1904-1993) qui en 1976 encore enregistrait en solo 17 titres à la mémoire de Bessie Smith. La simplicité de son jeu renvoit à Clarence Williams (1898-1965) qui a gravé à New York des solos low down et sans complications comme « Mixing the Blues » (1923), « My Own Blues » et « Gravier Street Blues » (1924).

Une première génération de pianistes boogie woogie est aussi représentée par Romeo Nelson, Montana Taylor et Charles Avery (technique primaire : 1929, « Dearborn Street Breakdown » , pour Paramount, London AL 3537, Black Swan 12011).



Arthur « Montana » Taylor
(1903-1954), né à Butte , dans le Montana, s'est fixé à Indianapolis. Il débuta le piano à l'âge de 16 ans (1919). Il s'est inspiré des frères Harding, de Funky Five et de Jimmy Collins. C'est en 1923 qu'il commence à jouer pour de l'argent, au Rag Alley, et dans les « rent parties » d'Indianapolis. Remarqué en 1928, il est convié à enregistrer six morceaux à Chicago, dont deux furent édités : « Indiana Avenue Stomp » , alias « Montana Blues » (1929, Vocalion) où il fait preuve d'invention mélodique et « « Detroit Rocks » qui illustre des lignes de basse proches de celles du « Honky Tonk Train Blues » . La crise économique le plonge dans l'obscurité jusqu'à ce que des spécialistes écrivent sur lui en 1942-43. C'est Cow Cow Davenport qui le présenta en décembre 1945 à Rudi Blesh, qui le convia à Chicago en mars 1946 pour réaliser quelques disques sur son label Circle. Il était aussi chanteur.



Romeo Nelson
, actif à Chicago, démontre une grande technique (mais non sophistiquée) dans « Head Rag Hop » (1929, Vocalion. Verso : « Gettin’ Dirty Just Shakin’ That Thing »). Ce titre fut réédité sur le label Hot Record Society no 8 à la fin des années 1930. Ce pianiste-chanteur était influencé par Pine Top Smith et Clarence Williams. De 1919 aux années 1940, il jouait pour des « house rent parties » à Chicago.



Né à Monroe (Louisiane), fixé à Detroit, Speckled Red (alias Rufus Perryman), joua dans les bordels du quartier noir, où sont passés les Charlie Spand, Will Ezell, Dad Fishtail, James Heminway et Big Maceo. Il grava « Hit That Boogie Woogie » pour Vocalion avec la mention « Jim Jackson’s Jamboree ». Cette spécialité fut aussi connue sous les titres « Wilkins Street Stomp », « The Dirty Dozen » (1929) et « St Louis Stomp ». Speckled Red fut un pianiste limité techniquement mais puissant comme Cripple Clarence Lofton et Romeo Nelson.



Né à St. Louis, Doug Suggs, disciple de Claude Brown (compositeur de « Sweet Patootie »), a fait une carrière dans les « house rent parties » de Chicago, croisant à l'occasion Pine Top Smith, Albert Ammons, Clarence Lofton ou Jimmy Yancey. Il a enregistré tardivement un « Doug’s Jump » pour Erwin Helfer et son label confidentiel Tone Records.



Dès le début des années 1920, Leroy Carr fit équipe avec le guitariste Scrapper Blackwell. Il accompagnait volontiers son chant par des figures de basse inspirées du boogie-woogie. Mais avec « How Long Blues » (1928, Vocalion), il impose un style qui se démarque du barrelhouse et du boogie. C'est le premier blues urbain qui influença entre autres Cecil Gant, originaire de Nashville, et Otis Spann, cousin de Boogie Bill Webb, actif à Chicago dès 1947. Au nombre des bonnes versions de « How Long Blues » comptent celles de Jimmy Yancey (1939, pour Solo Art ; 1943, pour Session dans laquelle il est bouleversant) et de Blind John Davis (1952, pour Vogue, en tempo modéré avec une main gauche rythmique comme le jeu d'une batterie).



Kansas City, pays du blues-jazz, a ses valeurs du piano hot. Cette lignée dominée par Pete Johnson apparaît plus sophistiquée. L'un des talents les moins connus, ami de Pete Johnson et Julia Lee, est Joshua Johnson, alias Everett Johnson, qui laisse des disques en solo chez Decca (1947) et en duo avec le stupéfiant drummer Baby Lovett pour Capitol (1950).



T.Bone Walker prétendit avoir entendu dès 1913 une sorte de boogie woogie dans une église à Dallas ! Et chose inouïe, un inespéré bijou tomba du ciel dans le piano crapuleux (ou l'inverse?). Son nom : Arizona Dranes, pianiste-chanteuse aveugle née au… Texas. Elle se fit remarquer dans l'église du pasteur Samuel Crouch à Fort Worth (Texas). Elle était aussi très appréciée aux conventions annuelles de la Church of God in Christ à Memphis. En juin 1926, Sara Martin l'amène à Chicago pour graver quatre spirituals (assistée par Sara Martin et Richard M. Jones), et deux solos de piano pour le label Okeh. Elle revint en novembre 1926 pour une séance de cinq titres avec le Rev. McGee et ses Jubilee Singers. En 1926-28, elle vécut, malade, à Memphis, puis s'installa à Sherman (1928). Elle fit une dernière séance en juillet 1928 avec des chanteurs et un joueur de mandoline. En mauvais état de santé, elle vécut ensuite, oubliée et dans la pauvreté. Elle demeurera l'archétype de la soliste et accompagnatrice, version sacrée du style barrelhouse.

C'est par contre du côté des maisons closes que le style rag-blues néo-orléanais s'est développé. Maître du « classic rag », Tony Jackson se signala par l'utilisation des basses roulantes (rolling bass) à l'époque de son engagement dans l'orchestre d'Adam Olivier, c'est à dire en 1904 (et non pas en 1892).



Selon Jelly Roll Morton, Buddy Bertrand jouait du boogie au Texas dès 1904. Buddy Bertrand sera un spécialiste notoire du barrelhouse à New Orleans, en solo ou avec orchestre. Le piano ne fut guère employé dans l'orchestre avant 1917, pour des raisons de justesse (hot mais quand même !), précisées par Johnny St.Cyr : « pianos then were used entirely for solo work. The pitch of the piano was too low to be used with a band and brass instruments » (Jazz Journal, 1966).



Jelly Roll Morton a documenté l'art du piano à New Orleans pour la Library of Congress en 1938 (« Pianists and honky tonk », LoC 1642 à 1644, « Lowdown Blues » , LoC 1655). Il a antidaté les faits de cinq ans ou plus. On ne peut pas l'assimiler au style barrelhouse proprement dit, sa musique étant très sophistiquée. Il a inventé « son » jazz. En 1907-15, Jelly Roll Morton voyageait déjà beaucoup, mais il gardait New Orleans comme port d'attache. Il a influencé Dink Johnson, né à Biloxi (Mississippi), longtemps actif dans le bar de sa sœur à Las Vegas et qui, dans des enregistrements tels que « Las Vegas Stomp » et « The Stella Blues » (1947), illustra un aspect du barrelhouse aux variations très mélodiques. Roy Carew, à ne pas confondre avec Red Cayou (cf. infra), indiqua que le boogie-woogie apparut à New Orleans dans les années qui suivent 1904 et que dès 1907, il était joué sur les riverboats. C'est en 1908-09 que le compositeur de ragtimes Percy Wenrich fit jouer sa musique à New Orleans, par le tromboniste George Filhe (possiblement le Peerless Orchestra). Dans son « Alamo Rag » (paroles de Ben Deely), paru en 1910, la main gauche joue dans le verse une basse hybride boogie-rag. Relation de cause à effet avec ce séjour ?


En 1919, Udell Wilson de Kansas City, aurait joué à Storyville (donc après la fermeture des quartiers chauds). Il appartient aux pianistes associés au style barrelhouse dont la première vague compte aussi – si l'on excepte la pratique occasionnelle du piano par Lead Belly (« Eagle Rock Rag », 1944) – William Miller, alias Drive 'Em Down et son frère Butzy Miller, Joseph Louis Cayou, Albert Broussard, alias Baby Brousse qui joua pour Chris Kelly et il influença Burnell Santiago, Willie Hall et surtout Little Brother Montgomery.
Little Brother Montgomery débuta en 1917. C'est en 1922-25 qu'il joue à New Orleans dans les orchestres de Sam Morgan (1922), Leonard Parker (1924 avec George Lewis), Buddy Petit (1925) et Guy Kelly (1927). Il enregistre comme accompagnateur d'Irene Scruggs (1929) et en tant que soliste son « Vicksburg Blues » pour Paramount (1930, réédition Black Swan 12011). Il a dit de ce solo : « is the hardest barrelhouse blues of any blues in the history to play because you have to keep two different times going in each hand » . Il s'est dit influencé par Loomis Gibson (« Crescent City Blues » , 1936, RCA 17127), Cooney Vaughn (« Trembling Blues » , 1947, Decca) et Udell Wilson (entendu à New Orleans). On détecte aussi chez lui la trace de Clarence Williams (« I’m a Mighty Tight Woman », 1966, Storyville LP 198) et Jimmy Yancey (« Make Me a Pallet on the Floor », 1972, Blues Beacon LP 1932 115). Sa sœur Aris est la mère du pianiste de Rhythm and Blues et boogie woogie Paul Gayten. Little Brother Montgomery a influencé Skip James qui jouait dans des barrelhouses dès 1918, autour de Bentonia (Mississippi). Skip James a enregistré à Grafton pour Paramount (« 22-20 Blues », « If You Haven't Any Hay », Black Swan 12012, 12011).
Charlie Hamilton, né à Ama (Louisiane) qui apprit à jouer le blues en 1922 auprès de Leon Alexis, et qui a travaillé pour le trompette Evan Thomas (1927), fut un disciple de Red Cayou. Joseph Louis « Red » Cayou est l'un des nombreux fils pianistes de Mary Bee Bush qu'elle eut avec divers hommes. Ses demi-frères les plus célèbres furent Jean Vigne Jr. (fils du batteur), ami de Jelly Roll Morton, et qui joua à Storyville pour Lulu White, et Jeffry « Cooney » Guidry, très estimé de Joe Robichaux. Red Cayou suivait Cooney partout dès 1908, et il se fit un nom à New Orleans comme soliste barrelhouse et boogie woogie. Il joua aussi en trio au Big 25 avec Lorenzo Tio Jr. (cl) et Coffey Darensbourg (bj). En 1926, il partit pour Oakland. Sur la Côte Ouest, il joua pour les clarinettistes Clem Raymond et Wade Whaley. Red Cayou fut décrit comme un « devil of a player » par le pianiste néo-orléanais Frank « Sweet » Williams, fixé à Chicago où il joua pour Herb Morand et Lee Collins. En juin 1951, il grava un seul titre « Sweet’s Slow Blues » avec Israel Crosby (b) lors d'une séance à Chicago consacrée à Jimmy Yancey et Little Brother Montgomery.



Isidore « Tuts » Washington
, cousin de la délicate pianiste Jeanette Kimball, s'est lui aussi inspiré de Red Cayou. Créole (surnommé aussi « Papa Yellow », comme Cooney), il joua le blues au piano à partir de 1908 (date où le premier blues fut édité à New Orleans). Il a joué pour les trompettistes Kid Rena et Kid Clayton (lui-même pianiste selon Little Brother Montgomery), puis en 1945 avec le clarinettiste Kid Ernest Molière au Boogie-Woogie Club de Bunkie. Tuts Washington eut une grosse influence sur Sing Miller, Louis Gallaud, le Joe Robichaux des débuts, Pr. Longhair, Archibald, Fats Domino et James Booker. On comprend facilement pourquoi il y a des similitudes de style chez les pianistes louisianais comme Alton Purnell, Lester Santiago (frère de Burnell), Louis Gallaud, Sing Miller, Dave Williams et Sweet Emma Barrett. Emma Barrett, au jeu robuste et simple, débuta chez Papa Celestin. Elle fut une pianiste d'orchestre. Sing Miller se mit tardivement au piano, en 1931, après avoir entendu Charlie Alexander (avec Louis Armstrong).



Son jeu est proche de celui de Louis Gallaud qui reçut quelques cours de Tink Baptiste et Walter Decou. Dave « Fat Man » Williams joua dès 1932 dans les « parties ». Il a enregistré pour Little Sonny Jones (CSA 1017) et on le compara à Champion Jack Dupree. On peut le placer dans la lignée d'Alexander « Duke » Burrell qui officia en trio pendant les années 1940 au Famous Door et El Morocco de New Orleans. Il se fixa sur la Côte Ouest en 1963. Il a enregistré à New Orleans en 1950 pour Little Joe Gaines et George Miller (basse-chant : « Boogie’s the Thing » ).
A signaler, Sammy Hopkins qui a enregistré un « After Hours » dans le style barrelhouse (Mono/GHB 216) et les sœurs Goodson. Billie Pierce-Goodson est la mieux connue. Elle joua pour Buddy Petit (1929-31) puis épousa le cornettiste Dee Dee Pierce (en 1935). Harry Oster les a enregistré en 1959 (Folklyric/Arhoolie), ce qui donna un « Mama Don’t Allow It » considéré par Sinclair Traill comme « typical New Orleans down home music » (1972). Ida Goodson, originaire de Pensacola (Floride) est la moins connue. Elle laisse un album Sings & Plays Church Music & Songs of South (CSA 1015) réalisé à New Orleans en 1973 chez Lars Edegran. Sadie Goodson, petite femme menue au style simple et puissant, a joué pour Buddy Petit et Chris Kelly dans la période 1916-20. Epouse du trompettiste Kid Sheik Cola, elle fut une protégée de Michael White.



Des frères Santiago, le plus légendaire est Burnell Santiago, surnommé « King of Boogie » . Il s'est inspiré de Pine Top Smith et ne laisse qu'un seul enregistrement. Il fut l'accompagnateur de Cousin Joe, tout comme le fut aussi Alton Purnell.




Alton
Purnell
est né à Preservation Hall (!), et il a étudié auprès de Burnell Santiago et du distingué Fats Pichon, élève du New England Conservatory (en 1922-26) qui joua du piano bar raffiné de 1941 à 1956 à la Old Absinthe House (témoin : l'album de 1956, Decca DL 8380). Alton Purnell débuta en 1928. Il pratiquait le style barrelhouse, et son meilleur album Funky Piano New Orleans Style enregistré en 1958 avec Plas Johnson (ts), Red Callender (b), Earl Palmer (dm) (Warner Bros 1228) offre de bonnes versions de « Yancey Special », « Stack-O-Lee » et « Pine Top’s Boogie-Woogie ».
Kid Stormy Weather
, alias Edmond Joseph, est né à New Orleans, mais il pratiquait le style du Texas. Actif à Bourbon Street (Paddock Lounge, vers 1939, Old Absinthe House), il a aussi joué pour Capt John Handy (Club Bali) et Kid Howard (à Iberville Street). Tout comme les pianistes John Smith et Tuts Washington, il a joué en solo à la galerie d'art de Larry Borenstein, qui deviendra le Preservation Hall. Malgré une main gauche faible, il était apprécié par Tuts Washington, Walter Lewis, Charlie Hamilton, et dès 1933, il fut une source d'inspiration majeure pour Pr. Longhair. Il laisse un disque Vocalion gravé à Jackson (Mississippi) en octobre 1935 (« Short Hair Blues » , « Bread and Water Blues », n° 03145). Le « old style » de piano louisianais a longtemps survécu à travers Champion Jack Dupree, Cousin Joe, Archibald et Pr Longhair.



Champion Jack Dupree
, né à New Orleans, élevé à la Waif's Home (1911-27), s'est inspiré de Willie Hall, Peetie Wheatstraw et Leroy Carr. Il a joué pour Chris Kelly à New Orleans. En 1941, à Chicago, il grave pour Okeh (n° 06152) un « Junker Blues » qui, à de modestes modifications près, donnera « Tipitina » par Pr. Longhair (1953) et « The Fat Man » par Fats Domino (1949). En 1959, il se fixe en Europe. Il y illustra le pur barrelhouse, comme ce « Drive’Em Down » plein de riffs obsédants (Copenhague, 5 juin 1962, Storyville LP 671 155).
Cousin Joe, alias Pleasant Joseph, né à Wallace (Louisiane), s'est mis tardivement au piano (1942) sous l'influence de son accompagnateur Alton Purnell. Il illustra un jeu simple et puissant dans les clubs de Bourbon Street. Archibald, alias Leon Gross s'est dit influencé par Burnell Santiago et Stack-O-Lee. Il rendit hommage à ce dernier en gravant « Stack-O-Lee » pour le label Imperial (5068), et ce fut un hit. Son style barrelhouse est bien préservé dans l'instrumental « Crescent City Bounce » gravé à New Orleans en 1950 avec l'Orchestre Dave Bartholomew (Colony 105).



Pr. Longhair
, alias Henry Roeland Byrd, est né à Bogalousa (Louisiane). En 1930-36, il écoute Robert Bertrand, Kid Stormy Weather, Little Brother Montgomery, Drive 'Em Down, Tuts Washington et Sullivan Rock, alias Rocky Sullivan, qui lui montra comment jouer « Pine Top’s Boogie-Woogie ». En 1935, il accompagne Jack Dupree, chanteur et maître de cérémonie au Cotton Club de New Orleans. Un échange eut alors lieu : Champion Jack donna des conseils de chant à Pr. Longhair qui en contrepartie lui montra des choses au piano. Sa carrière débute vraiment en 1948. En 1950, pour le label Mercury, il grave un « Byrd’s Blues ». Il invente un jeu de piano qui mélange le style barrelhouse aux rythmes des Caraïbes (rumba, mambo, calypso…) et qui, aujourd'hui encore, survit à travers une multitude de disciples. Il a influencé James Booker, Fats Domino, Frogman Henry, Dr. John, Jon Cleary. On peut ajouter à la liste Al Copley qui associe à l'influence du Pr. Longhair celles d'Otis Spann et Pete Johnson.



James Booker
est la deuxième légende toujours influente à New Orleans après Pr. Longhair. Il a fait son premier disque à l'âge de 14 ans. Il s'est inspiré de Tuts Washington et Pr. Longhair. Harry Connick, Jr. fut son élève. Clarence Henry fut lancé par Paul Gayton en 1956. Il sut jouer barrelhouse comme Fats Domino.
Tommy Ridgley, né à Schrewsbury (Louisiane), est le petit neveu du tromboniste Bébé Ridgley, coleader du Tuxedo Jazz Band avec Papa Celestin. Pianiste bluesy puissant, Tommy Ridgley commença sa carrière en 1949. Presqu'aussi légendaire que Pr. Longhair et James Booker, Eddie Bo, neveu du trompettiste Peter Bocage, a débuté très jeune pour le label Ace sous le nom de Little Bo (son vrai nom est Edwin Bocage). Influençé par Pr. Longhair, il mêle barrelhouse, blues low down et mambo. C'est par ailleurs l'un des pères du funk.
Plus obscure, James « Bat, the Hummingbird » Robinson est né à Algiers le jour de Noël en 1903. Il a été élevé à Memphis et c'est son père qui l'a initié au piano (et à la batterie dont il joua pour Louis Armstrong). A Chicago, il a fréquenté les chanteuses Chippie Hill et Elzadie Robinson. Il se fixe ensuite à St. Louis où il est décédé. Avant d'être redécouvert par Erwin Helfer, il avait enregistré pour les labels Vocalion et Gennett.


Henry Gray
, né à Kenner (Louisiane), mélange la rudesse du blues de Chicago (ville où il a beaucoup travaillé) à la nonchalance louisianaise. En 1997, pour le label Blueshouse, il a excellemment illustré le jeu barrelhouse (« When Things Go Wrong » , « Raided That Joint » ). Il est un disciple de Big Maceo et Roosevelt Sykes.


Roosevelt Sykes
est décèdé à New Orleans. Originaire de l'Arkansas, il fit la tournée des barrelhouses du Mississippi et de Louisiane dès 1921, souvent avec Lee « Porkchops » Green qui lui enseigna comment jouer « 44 Blues » (1929, Okeh) dont la figure de basse devint un classique. Le « Vicksburg Blues » de Little Brother Montgomery est d'ailleurs une autre version du « 44 Blues » .



N'oublions pas Fats Domino, merveilleux disciple de Tuts Washington, Albert Ammons (il débuta en jouant son « Swanee River Boogie »), qui resta longtemps, avec
Champion Jack Dupree,
une vedette du New Orleans Jazz & Heritage Festival.



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Selection Discographique

CD = Compact Disc
O = vinyle
CD 1917-1922. Boogie Woogie Story, Vol.1. Milan Jazz 886 795
CD 1921-1924. Clarence Williams. The Chronogical. Classics 679
CD 1923-1926. Boogie Woogie Story, Vol.2. Milan Jazz 886 796
CD 1923-1932. The Paramount Piano Blues (JR Morton, Hokum Boys, Skip James, W. Ezell). Black Swan HCD13
CD 1923-1940. New Orleans Blues (Little Brother Montgomery, Clarence Williams, Jelly Roll Morton, Champion Jack Dupree, Fats Pichon, etc..). Blues Collection 157612
O 1926-1928. Arizona Dranes : Barrelhouse Piano with Sanctified Singing. Herwin LP 210
O 1927-1929. Will Ezell. Gin Mill Jazz. London (25cm)AL 3539
CD 1927-1932. The Paramount Piano Blues (Meade Lux Lewis, W. Ezell, Blind L. Garnett, H. Brown, Jabo Williams). Black Swan 12012
CD 1927-1939. Meade Lux Lewis. The Chronological. Classics 722
O 1928-1929. Pine Top Smith. Coral (45t) ECV18042
CD 1928-1932.The Paramount Piano Blues (Blind Leroy Garnett, Ch. Spand, W. Ezell, H. Brown, Ch. Avery, L.B. Montgomery, W. Wallace, Jabo Williams) Black Swan HCD 12011
CD 1929-1941. Sammy Price and his Texas Bluesicians. Classics 696
O 1930-1969. Little Brother Montgomery. Matchbox SDR 213
CD 1936-1939. Albert Ammons : Master of Boogie. Milan 873012
O 1939. Cripple Clarence Lofton. A Lost Recording Date. London AL 3531
CD 1939. The Boogie Woogie Trio. Vol.2. Storyville 8026
CD 1939-1940. Jimmy Yancey : Master of Boogie (incl. "Five O’Clock Blues” = ' \* MERGEFORMAT ). Milan Jazz 873133
CD 1939-1941. Pete Johnson : King of Boogie. Milan 546
CD 1940. Kansas Coty Frank Melrose. Bluesiana. Delmark 245
O 1940-1945. Big Maceo. Jazz Classics no22. RCA 30.246
CD 1942. Burnell Santiago : The John Reid Collection 1940-1944. American Music CD 44
O 1943. Une soirée chez les Yancey. La Guilde du Jazz J1023
CD 1945-1946. Champion Jack Dupree. Joe Davis Sessions. Flyright CD 22
CD 1946. Montana Taylor with Chippie Hill & Almond Leonard. Southland SCD 30
CD 1946-1948. Dink Johnson-Charlie Thompson. American Music CD 11
CD 1946-1962. Mercury R+B '46-'62 (incl. Roy Byrd & his Blues Jumpers, 1950). Mercury 838 243-2
CD 1947-1954. Back Alley Boogie (Fred Dunn, Lost John Hunter, Joe Dobbins, Sherman Johnson, Joshua Johnson, Mercy Dee Walton). RST 91629-2
CD 1947-1969. Blues Piano Orgy (Speckled Red, Roosevelt Sykes, Sunnyland Slim, Little Brother Montgomery, Memphis Slim, Curtis Jones, Otis Spann). Delmark DE 626
O 1949, 1953. Pr Longhair. New Orleans Piano. Atlantic 7255-2
O 1950-1952. Archibald. New Orleans Sessions. Krazy Kat 7409
O années 1950. Bourbon Street Boogie. (Paul Gayten, Frogman Henry, Tommy Ridgley). Moonshine LP 116
CD 1950s. Primitive Piano (Speckled Red, Doug Suggs, James Robinson, Billie Pierce). The Sirens CD 5005
O 1958. Alton Purnell : Funky Piano New Orleans Style. Warner Bros 1228
O 1959. Billie and Dee Dee Pierce- New Orleans Jazz. Arhoolie 2016
CD 1959-1962. Eddie Bo. Check Mr Popeye. Rounder CD 2077
CD 1960. Tuts Washington : New Orleans Piano. 504 CD 32
O 1960. Alex Moore. Arhoolie F 1008
CD 1960-1964. Tommy Ridgley. New Orleans King of the Stroll. Rounder 2079
CD 1961. Frogman Henry. But I Do. Red CD13
O 1963. Robert Shaw. Arhoolie F 1010
CD 1960s. Katie Webster. Flyright CD 12
O 1974. Cousin Joe. Bluesway BLS 6078
CD 1976. Art Hodes. I Remember Bessie. Delmark 254
CD 1982. James Booker : Classified (Red Tyler, James Singleton, John Vidacovich) Rounder CD 2036
O 1984. Michael White & his Liberty Three (Sadie Goodson). 504 LP11
O 1985. Cousin Joe. Relaxin'in New Orleans (solos). Southern 11011
CD 1988. Al Copley : Accoustic 88. Suffering Eyes SECD 752
CD 1991. Champion Jack Dupree : Back Home in New Orleans. Rounder 9502
CD 1996. Henry Gray : Don't Start That Stuff. Last Call 7422468

Bibliographie

Karl Gert Zur Heide : Deep South Piano-The Story of Little Brother Montgomery (1970, Studio Vista, Londres)
Paul Oliver in New Grove Dictionary of Jazz, vol.1 (1988, MacMillan) (Barrelhouse, Blues, Boogie-Woogie)
Lawrence Cohn & Coll. : Nothing but the Blues (1994, ed. Abbeville)
Paul Oliver, Max Harrison, William Bolcom : The New Grove Gospel, blues and Jazz with Spirituals and Ragtime (1986, MacMillan)
Jean-Claude Arnaudon : Dictionnaire du Blues (1977, Filipacchi)
Jean-Paul Levet : Talkin'That Talk (1986, CLARB)
Sheldon Harris: Blues Who's Who (1979, Da Capo)
Grace Lichtenstein, Laura Dankner : Musical Gumbo, The Music of New Orleans (1993,W.W. Norton & Co.)
Jeff Hannusch : I Hear You Knockin'. The Sound of New Orleans Rhythm and Blues. (1985, Swallow Publications)
John Broven : Rhythm & Blues in New Orleans (1988, Pelican)

DVDs/Vidéos
• Treasury of Jazz, Arena series
-Albert Ammons & Pete Johnson (p), 1941

• Sammy Price, studio Black & Blue, 1975

Sammy Price (p), Carl Pruit (b), J.C. Heard (dm)
Doc Cheatham (tp, voc), Gene Conners (tb), Ted Buckner (as), Mary Buggs (voc).
• The Honeydripper , directed by Yannick Bruynoghe, Brussels, 1961. VHS KJ 096 (27'). Roosevelt Sykes (p, voc)

• Boogie Woogie, film by John Jeremy, London Week and Television & RM Arts (1988)
interviews : Paul Oliver, Francis Wilford-Smith, Art Hodes, Joe Duskin, Axel Zwingenberger
(Little Brother Montgomery, p-voc ; jam (Tuts Washington, Allen Toussaint, Pr Longhair, p ; Mary Lou Williams ; Meade Lux Lewis ; Ammons & Pete Johnson ; Big Joe Duskin ; Cab Calloway ; Will Bradley Orch. ; Wayne Marshall, p; Judy Garlans & José Iturbi, MGM ; Martha Davis ; Big Bill Broonzy ; Tennessee Ernie Ford ; Lionel Hampton & Milt Buckner ; Meade Lux Lewis, last TV appearance, 1961; Lafayette Leake & Axel Zwingenberger ; Zwingenberger ; Joe Duskin, Axel Zwingenberger, Bob Hall, George Green, p).
• Piano Players Rarely Ever Play Together (59'), VHS KJ 084.
A portrait of three New Orleans pianists : Tuts Washington, Pr Longhair, Allen Toussaint, incl. rehearsals for a planned concert of the three pianists, excerpts of the concert feat. Tuts and Allen as tribute to the deceased Pr Longhair.

Vidéos en ligne

Little Brother Montgomery Vicksburg Blues (1930)
www.youtube.com/watch?v=I_KYbizxhg8

Clarence Williams (1935) avec Willie Smith, Hank Duncan (p)
www.facebook.com/photo.php?v=1256263379561&set=vb.1618914194&type=3&theater

Jimmy & Mama Yancey - How Long Blues
www.youtube.com/watch?v=jw9tMRhKEak

Cripple Clarence Lofton (Streamline Train)

www.youtube.com/watch?v=Tb103qU61mo

Tuts Washington
www.youtube.com/watch?v=P4TYMMH2qf8

Art Hodes, Barney Bigard (1968)
www.youtube.com/watch?v=mZRce0Oa790

Frank Melrose (1940)
www.youtube.com/watch?v=G1yp0a1Bh2A