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Jan Lundgren

21 décembre 2013
Swedish Jazz Tales
© Jazz Hot n°666, hiver 2013-2014


Jan Lundgren (2012) © Markus Fägersten, by courtesy of Ystad Sweden JazzFestival



Jan Lundgren est, avec Nils Landgren ou Ulf Wakenius, l'un des rares musiciens de jazz suédois dont la notoriété s'étend au-delà du monde scandinave. Né à Kristianstad, dans le sud de la Suède, le 22 mars 1966, il a grandi à Ronneby. Formé au piano classique dès l'âge de 5 ans, il a étudié à l’Université Royale de Musique de Malmö, période à laquelle il a commencé à fréquenter la scène jazz, sous la férule des « anciens » de la génération bebop : Arne Domnérus (ts),  Putte Wickman (cl) et Bernt Rosengren (ts). Développant dès lors une carrière de leader privilégiant la formule du trio, il a enregistré son premier album en 1994, Conclusion. Si Mattias Svensson est resté son fidèle contrebassiste, Rasmus Kihlberg, Morten Lund et aujourd'hui Zoltan Csörsz se sont succédés à la batterie. Son dernier disque, le premier en solo, est paru en février dernier chez Bee Jazz : Man in the Fog. Il approfondit le dialogue entre jazz, musique classique et folklore scandinave.
Depuis 2010, Jan Lundgren – qui, plus jeune, a failli devenir tennisman professionnel mais a finalement suivi la voie de Bobo Stenson plutôt que celle de Björn Borg – est également aux manettes du festival qu'il a fondé à Ystad, ville où il réside. Il s'y produit également chaque année, donnant l'occasion de montrer l'étendue de sa palette, allant de la musique improvisée européenne à un jazz swinguant sans complexe dans la tradition et à un talent réel de directeur artistique, présentateur et animateur de festival.


Propos recueillis par Jérôme Partage






Jazz Hot : Vous avez d’abord étudié la musique classique. A quel âge avez-vous découvert le jazz ?

Jan Lundgren : J’avais 14 ou 15 ans. J’avais un professeur de musique classique mais elle est tombée enceinte et un vieil Allemand l’a remplacée. Il allait prendre sa retraite. Après lui avoir joué quelques morceaux, il m’a dit qu’il ne pouvait rien m’apprendre de plus en musique classique mais pouvait m’introduire au jazz et à l’improvisation. Je n’avais aucune idée de ce que c’était. Pour ma première leçon, il m’a demandé d’acheter un disque d’Oscar Peterson chez le disquaire. C’était une leçon très étrange. Il n’y avait qu’un seul disquaire à Ronneby, c’est une petite ville. Son propriétaire était un ancien musicien et savait exactement quel enregistrement il me fallait. C’était Night Train. J’étais fasciné par ce disque. Je ne comprenais pas cette musique mais j’en suis tombé amoureux. C’était comme ne pas comprendre une langue mais en ressentir les vibrations. Après cela, je suis retourné chez le disquaire pour acheter d’autres disques. J’ai continué à étudier la musique classique tout en travaillant le jazz.

Comment avez-vous commencé à jouer du jazz ?

Je ne suis resté qu’un an avec mon professeur allemand. Il n’était pas si bon (rires) ! Mais il m’avait inspiré et m’avait conseillé de jouer avec un groupe, car on ne peut pas jouer du jazz tout seul. Mais je ne connaissais personne jusqu’à ce qu’un orchestre de jeunes m’appelle pour les rejoindre. Cela m’a permis de rencontrer quelques musiciens avec qui j’ai pu former un sextet qui s’appelait le Saint Thomas Band. C’était mon premier groupe. On jouait les standards pour les fêtes d’anniversaire, les mariages… On prenait tous les concerts qu’on pouvait ! Il n’y avait pas vraiment de scène jazz à Ronneby. Je devais trouver des musiciens dans les villes environnantes. Un an plus tard, je rencontrai le grand saxophoniste suédois Arne Domnérus qui est devenu pour moi un mentor. Dans le même temps, j’étudiais à l’Université Royale de Musique à Malmö depuis l’âge de 20 ans et j’avais monté mon premier trio.

Quelles ont été vos premières influences au piano ?

Oscar Peterson, Bud Powell, McCoy Tyner, Bill Evans, Erroll Garner, Herbie Hancock, Red Garland et bien d’autres. A cette époque, je voulais tout écouter: Cecil Taylor, Earl Hines, les pianistes suédois Jan Johansson, Bengt Hallberg, Bobo Stenson, tout, du swing au bebop, en passant par la fusion.

Depuis l’album Swedish Standards, sorti en 1997, vous travaillez sur le dialogue entre jazz et musique populaire suédoise… Cette rencontre vous a-t-elle toujours intéressé ?


Quand vous êtes très jeune, parfois vous n’appréciez vos racines. C’était mon cas. J’adorais le jazz américain et je ne m’intéressais pas à la musique suédoise. Avec les années, vers l’âge de 26, 27 ans, j’ai commencé à rencontré des producteurs à Los Angeles et à New York. Je me suis rendu plusieurs fois aux Etats-Unis pour jouer et enregistrer des disques. Et quand j’étais là-bas, je me sentais vraiment suédois (rires) ! Et j’ai commencé à réfléchir à comment développer mon propre son. J’ai commencé à renouer avec mes racines. J’ai abordé la musique folklorique suédoise progressivement en regardant comment me l’approprier. Avec Swedish Standards j’ai franchi une étape majeure, de bien des façons. Le disque m’a immédiatement ouvert un public plus large en Suède. Il était classé dans les pop charts, diffusé sur les ondes et on m’invitait à passer à la télévision. Ceci m’a facilité la vie en tant que musicien de jazz.

Vous avez joué avec Johnny Griffin, Benny Golson, Herb Geller ou encore James Moody. Que vous est-il resté de ces expériences ?

C’était incroyable d’avoir la chance de jouer avec eux. La musique doit passer entre les générations. Et ils m’ont transmis cette tradition. J’ai enregistré avec Johnny Griffin, je l’avais invité à jouer sur mon album Plays the Music of Victor Young. J’ai enregistré avec Herb Geller à Los Angeles et j’ai tourné avec Benny Golson et James Moody en Scandinavie. Mais les grands musiciens suédois comme Arne Domnérus et Putte Wickman (cl) – qui m’ont découvert – ont été également importants pour moi. Le jazz est une langue qu’on ne peut apprendre qu’en jouant avec ses pairs.

Le jazz est-il davantage une question de transmission que d’apprentissage scolaire ?

J’enseigne un peu à l’université. Je pense que, malheureusement, les écoles constituent la seule opportunité pour les jeunes musiciens de progresser. Mais, pour moi, le jazz ne passe pas par l’école. Ça consiste à jouer avec les autres et à apprendre d’eux.

Jouer avec des jazzmen suédois ou américains est-il différent ?

Il y a beaucoup de points communs. Un grand musicien est un grand musicien. Et ce que j’aime le plus, c’est d’écouter et jouer avec de grands musiciens. Vous savez, il y a des différences entre les musiciens en Suède. Chacun cherche sa voix et donc chacun est différent. Mais il est évident que le contexte n’est pas le même à New York et à Ystad. Cependant, il est possible d’adopter une autre culture si on l’aime vraiment.

Il y a donc une différence de contexte culturel ? Pour les musiciens américains, le jazz est une langue maternelle alors que les musiciens européens doivent l’assimiler ?

Non. Je pense que dans ce cas, le terme « jazz » peut être un fardeau quelquefois. Le jazz, c’est la liberté. La liberté de trouver sa propre voix, de développer son propre jazz. Le jazz a une histoire mais il continue de se développer.

En 2007, vous avez enregistré le disque Mare Nostrum avec Richard Galliano et Paolo Fresu…

C’était une belle rencontre entre trois différents types de personnalité, venues de différentes traditions d’Europe. Et ça a très bien fonctionné : une combinaison d’instruments autour de valeurs communes basées sur l’improvisation et la mélodie. C’était un projet très mélodique. Chacun a amené ses propres compositions et des chansons de son pays. Mare Nostrum est le nom que les Romains avaient donné à la Mer Méditerranée. Cela signifiait « notre mer ». En fait, la mer est comme la musique. Quand on se laisse porter par elle, elle vous donne la possibilité de vous unir au monde. C’est une belle façon de définir le jazz. 

Jan Lundgren (2011) © Itta Johnson, by courtesy of Ystad Sweden JazzFestivalDepuis 2010, vous êtes le directeur artistique du Ystad Jazz Festival. Pourquoi avez-vous décidé de devenir programmateur ?

Quand j’étais jeune, il y avait un festival de jazz à Ronneby et j’avais la chance d’y jouer chaque année. Mais, depuis dix ans, les festivals de jazz en Suède ont disparu. J’ai donc pensé qu’il était temps de lancer un nouveau festival et de donner la possibilité aux gens d’écouter du bon jazz. C’est pourquoi j’ai fondé le festival d’Ystad – où je vis – avec Thomas Lantz, son président. Le festival s’est implanté rapidement, dès la première édition. De plus, je voulais démontrer qu’il était possible de faire un festival de jazz et survivre économiquement sans programmer de la pop. C’est un festival pour le public de jazz et les musiciens de jazz. Nous devons être fiers d’être des jazzmen.

Demain vous allez rendre hommage à Stan Getz et au pianiste suédois Jan Johansson, en compagnie d’Harry Allen. Comment ce projet est-il né ?

Jan Johansson est une de mes premières influences. Je lui ai déjà rendu hommage plusieurs fois. C’est un musicien très important en Suède car il a été le premier à faire dialoguer le jazz et la musique populaire. Son lien avec Stan Getz était très profond. Ils ont joué plusieurs fois ensemble et ont également enregistré. J’ai rencontré Harry Allen plusieurs fois. Nous avons fait une tournée à travers la Scandinavie l’année dernière et je pensais que ce serait une bonne idée de faire ce projet avec lui.

A travers la programmation du festival d’Ystad, vous montrez  la richesse de la scène jazz suédoise…

Il y a beaucoup de musiciens jeunes et talentueux en Suède. Cette scène est de grande qualité et couvre tous les styles de jazz. Mais leur problème est de survivre… C’était plus facile il y a dix ou douze ans. Il y avait davantage d’opportunités, même si le pays est petit. Aujourd’hui, le public vieillit, c’est plus difficile. Mon travail en tant que directeur artistique, c’est de présenter un vaste éventail du jazz en un équilibre entre les différents pays, les styles et entre les hommes et les femmes, parce que le jazz est souvent dominé par les hommes.

Jan Lundgren et Bengt Hallberg (2012) © Markus Fägersten, by courtesy of Ystad Sweden JazzFestivalChaque année, le festival met aussi en avant des grandes figures du jazz suédois, comme Hacke Björksten (ts) cette année 2013. Comment expliquez-vous l’ancrage du jazz en Suède ?

La Suède n’a pas été impliquée dans la Seconde Guerre mondiale. Les amateurs de jazz ont pu continuer à se procurer des disques des Etats-Unis à bon marché et la scène suédoise est restée relativement intacte. Les musiciens avaient un accès au jazz moderne. De la fin des années 1940 au début des années 1950, les jazzmen suédois étaient à l’avant-garde. Beaucoup de musiciens furent influencés par le bebop, comme Lars Gullin (bs), Bengt Hallberg (p), Arne Domnérus (as, cl), Börje Fredriksson (ts) et beaucoup d’autres. Le jazz était très populaire dans les années 1950, surtout dans les grandes villes. C’était la musique à la mode pour cette génération. Les fondations du jazz en Suède ont été construites à cette époque et de façon très solide. Mais le jazz a perdu en popularité avec les générations suivantes. Ma mission à Ystad est de faire du jazz un un pont entre les générations et de faire se rencontrer sur scène des musiciens de tous âges pour le plus grand plaisir du public. C’est une nécessité pour l’avenir que de bâtir des ponts entre les cultures et entre les générations. Les jeunes peuvent apprendre des anciens et les aînés peuvent trouver une source d’inspiration dans la jeunesse.

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Sélection discographique

Leader/coleader
CD 1994. Conclusion, Four Leaf Records 136
CD 1994. Stockholm Get-Together!, Fresh Sound Records 5007
CD 1995. Bird of Passage, Four Leaf Records 145
CD 1996. California Connection, Four Leaf Records 148
CD 1996. Cooking! At The Jazz Bakery, Fresh Sound Records 5019
CD 1997. Swedish Standards, Sittel Records 9246
CD 1998. A Touch of You, Alfa Jazz 3934
CD 1998. Something to Live For, Sittel Records 9258
CD 2000. For Listeners Only, Sittel Records 9271-2
CD 2000-01. Play the Music of Victor Young, Sittel Records 9269-2
CD 2001. Lonely One, Marshmallow Records 30444
CD 2001. Pete Jolly, Collaboration, Fresh Sound Records 5038
CD 2001. Presents Miriam Aïda & Fredrik Kronkvist, Sittel Records
CD 2002. Charade, Marshmallow Records 30137
CD 2002. Play the Music of Jule Styne, Sittel Records 9288-2
CD 2002. Perfidia, Marshmallow Records 30176
LP 2002-07. When Love Comes Around, Marshmallow Records 1001
CD 2003. Blue Lights, Marshmallow Records 101
CD 2003. Landscapes, Sittel Records 9297-2
CD 2003. Will You Still Be Mine? Celebrating The Music of Matt Dennis, Fresh Sound Records 5040
CD 2003. Les Parapluies de Cherbourg, Marshmallow Records 102
CD 2004. Putte Wickman, We Always Be Together, Gazell Records 1075
CD 2005. Putte Wickman, An Intimate Salute to Frankie, Gazell Records 1088
CD 2005. In New York, Marshmallow Records 106
CD 2005. Georg Riedel, Lockrop, Gemini 122
CD 2006. Andy Martin, How About You?, Fresh Sound Records 5044
CD 2006. Plays Cole Porter Love Songs, Marshmallow Records 111
CD 2007. Paolo Fresu, Richard Galliano, Mare Nostrum, ACT 9466-2
CD 2007. A Swinging Rendezvous, Marshmallow Records 114
CD 2007. Magnum Misterium, ACT 9457-2
CD 2007. Soft Summer Breeze, Marshmallow Records 120
CD 2008. Together Again… At the Jazz Bakery, Fresh Sound Records 5050
CD 2008. European Standards, ACT 9482-2
CD 2010. Lasse Törnqvist, Everything Happens to Me, Spice of Life 0015
CD 2011. Bengt Hallberg, Back to Back, Volenza 105
CD 2011. Lagaylia Frazier, Until It’s Time, Prophone Records 126
CD 2011. Bengan Jansson, Ulf Wakenius, Janson/Lundgren/Wakenius, Ladybird 79556821
CD 2011. Man in the Fog, Bee Jazz 059

Sideman
CD 1990-91. Arne Domnerus-Rune Gustafsson-Blekinge Big Band, Plays Music by Bengt, Arne Wallin and Hakan Thuner, Pama Records 98041
CD 1993. Arne Domnerus, Sugar Fingers, Phonto 8831
CD 1994. Gunar Svensson, Head, Fingers & Heart, Phono Suecia 83
CD 1995. Bill Perkins, Perk Plays Prez, Fresh Sound Records 5015
CD 1996. Conte Candoli, Portrait of a Count, Fresh Sound Records 5010
CD 1996. Arne Domnerus, Easy Going, Ladybird 0025
CD 1997. Lars Andresson and The Baker Boys, Fist Choice, Sittel Records 9241
CD 1997. Herb Geller, You’re Looking at Me, Fresh Sound Records 5018
CD 1997. Arne Domnerus, A Little Bossa Nova, Ladybird 0028
CD 1997. Wobbling Woodwinds, Wobbling Woodwinds Strikes Again, Phontastic 8858
CD 1998. Lisa Linn, On Such a Wonderful Summernight, Four Leaf Records 161
CD 1998. Vincent Nilsson, Jazz Trombone Spirituals, Storyville Records 1014240
CD 1998. Lars Erstrand, Live at Utterberg ’98, Gemini 98
CD 1999. Arne Domnerus & Bernt Rosengren, Face to Face, Dragon Records 344
CD 1999. Jesper Thilo & Ann Farholt, Flying Home, Music Mecca 3015-2
CD 1999. Conte Candoli, Conte-Nuity, Fresh Sound Records 5028
CD 2000. Katrine Madsen, My Secret, Music Mecca 3020-2
CD 2000. Ulf Johansson Werre, The Greatest Trombone of Ulf Johansson Werre, Phontastic 8861
CD 2000. Katrine Madsen, Gershwin & More, Music Mecca 3065-2  
CD 2000. Karl-Martin Almqvist, Karl-Martin Almqvist, Prophone Records 057 
CD 2000. Arne Domnerus, Dompan !, Fresh Sound Records 5032
CD 2001. Andy Martin, It’s Fine… It’s Andy!, Fresh Sound Records 5037
CD 2003. Kaoru Nakasone, Chim Chim Cheree, M&I Jazz 30188
CD 2003. Gunhild Carling, Red Hot Jam, Music Mecca 4036-2
CD 2005. Carin Lundin, Songs That We all Recognize, Prophone Records 078
CD 2005. Jesper Thilo, Tributes, Music Mecca 4098-2
CD 2009. Artisty Jazz Group, We Like Previn, Volenza 101
CD 2010. Artisty Jazz Group, Too Darn Hot, Volenza 102
CD 2012. Artisty Jazz Group, Tribute!, Volenza 103


Vidéos
« Lena », Jan Lundgren Trio : Jan Lundgren (p),  Mattias Svensson (b), Rasmus Kihlberg (dm), Stockholm, 9 décembre 1995

« The Seagull », Jan Lundgren
 : Jan Lundgren (p)

Mare Nostrum : Paolo Fresu (tp), Richard Galliano (acc), Jan Lundgren (p), Grenoble Jazz Festival 2009

Man in the Fog, Jan Lundgren : Jan Lundgren (p)

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